07.12.2025 à 10:46
Romain Leclaire

Si vous aviez encore un doute sur le fait que la société américaine dévale la pente du bon sens à une vitesse vertigineuse, ne cherchez plus. Ils ont atteint le fond et apparemment il ressemble à un procès entre un YouTubeur connu pour aboyer sur des caméras et une entreprise de robotique qui pleure des larmes de crocodile pour un amas de circuits imprimés. Bienvenue dans l’ère moderne, où l’idiotie est virale et où l’on appelle la police parce qu’une poupée parlante a reçu une beigne.
En septembre dernier, le monde a assisté à la rencontre intellectuelle du siècle, IShowSpeed, de son vrai nom Darren Jason Watkins Jr, a fait la connaissance de Rizzbot. D’un côté, nous avons un créateur de contenu suivi par 50 millions de personnes, célèbre pour ses crises d’hystérie, ses backflips inopinés et une incapacité chronique à rester calme plus de trois secondes. De l’autre, un « influenceur humanoïde » (un terme qui devrait être illégal) connu pour faire des doigts d’honneur et vanner les gens. Autant dire que le sommet diplomatique s’annonçait explosif. Et il le fut, mais pas pour les raisons que l’on espérait.
Ce qui devait arriver arriva. Mettez un enfant turbulent dans une pièce avec un jouet coûteux et ce dernier finira en morceaux. IShowSpeed, fidèle à sa réputation de chaos ambulant, a décidé que la meilleure façon d’interagir avec cette merveille technologique n’était pas de discuter philosophie, mais de lui administrer une prise de catch. Selon la plainte déposée par Social Robotics (les créateurs de Rizzbot), il a infligé des dommages irréparables à la machine. La vidéo du livestream, qui servira probablement de pièce à conviction numéro 1 dans ce cirque judiciaire, montre l’intéressé frappant le robot au visage, l’étranglant, le plaquant contre un canapé et le jetant au sol. On pourrait s’arrêter là et dire: « Ok, le gars est un idiot qui casse du matériel qui ne lui appartient pas. » C’est un fait. C’est un comportement de gamin mal élevé qui a trop bu de boissons énergisantes. Mais là où l’histoire bascule dans le surréalisme absolu, c’est dans la réaction des propriétaires du robot.
La lecture de la pétition juridique est un chef-d’œuvre de comédie involontaire. Les avocats y décrivent la scène comme s’il s’agissait d’une agression brutale dans une ruelle sombre. Ils parlent de la perte totale de Rizzbot. Ils pleurnichent sur le fait que le youtubeur a causé une perte complète de fonctionnalité et des dommages importants à la bouche et au cou du robot. On croirait lire un rapport d’autopsie après une rixe de bar. « Les caméras de tête ne fonctionnent plus« , « le robot est instable et ne peut plus marcher droit« . Quelle horreur ! Un robot qui ne marche pas droit ? Appelez le SAMU ! Appelez l’ONU ! C’est un crime contre l’humanité binaire.
Le summum du ridicule a été atteint lorsque la police d’Austin au Texas a été appelée sur les lieux. Oui, vous avez bien lu. Des policiers, payés avec l’argent des contribuables américains pour assurer la sécurité publique, ont dû se déplacer pour constater qu’un imbécile avait cassé un jouet sophistiqué. L’officier a noté des dommages faits sans le consentement implicite du propriétaire. On imagine la scène: le propriétaire en larmes, tenant la tête décapitée de son robot, hurlant vengeance pendant que l’autre aboie dans un coin.
Mais bien sûr, derrière cette mascarade de justice pour les robots, se cache la seule chose qui compte vraiment, l’argent. Social Robotics ne pleure pas la mort d’un être cher, ils pleurent la perte de leurs contrats publicitaires. Selon leur avocat, Joel Levine, ils cherchent une certaine responsabilité (comprenez: un gros chèque). La plainte explique avec le plus grand sérieux que IShowSpeed a échoué à agir comme une personne prudente, raisonnable et avisée. Attendez une seconde. Ont-ils déjà vu une vidéo du gars ? S’attendre à ce qu’il agisse comme une personne prudente, c’est comme s’attendre à ce qu’un ouragan range votre chambre. C’est de la négligence de la part des créateurs de l’avoir laissé approcher leur précieux investissement sans une cage de protection.
Le document juridique déplore ensuite que Rizzbot, dans son état comateux, ait raté des opportunités économiques majeures. Apparemment, ce tas de ferraille devait apparaître dans l’émission The NFL Today de CBS et dans une vidéo de MrBeast. Les avocats osent même la comparaison: « Être dans une production de MrBeast équivaut à être dans une publicité du Super Bowl« . La prétention est à couper le souffle. Ils réclament des dommages et intérêts pour la destruction intentionnelle de leur vache à lait virale, accusant une baisse de 70% de l’audience. C’est tragique, le robot ne peut plus générer de clics, donc le monde s’effondre.
Et si vous pensiez que cela ne pouvait pas être plus stupide, attendez la déclaration du robot lui-même. Car oui, Rizzbot a « parlé » à la presse via email (probablement écrit par un stagiaire en marketing désespéré). « Tout est neuf sauf mes baskets Nike et mon chapeau de cow-boy« , a déclaré le robot, qui a visiblement reçu un nouveau corps après que IShowSpeed ait démoli l’ancien. Et la chute ? « Maintenant, je suis de retour en ligne… et ensuite, je travaillerai sur des mouvements complexes avec mes jambes, comme le twerk. J’espère que vous verrez mes hanches tournoyer lors de nouvelles apparitions télévisées sous peu.«
Voilà où ils en sont outre-Atlantique. Un procès pour un robot agressé, une police mobilisée pour de la ferraille, un influenceur qui se comporte comme un zombie enragé et une machine qui promet de twerker à la télévision nationale pour se refaire une santé financière. IShowSpeed est un vandale immature, c’est indéniable. Mais voir une entreprise tenter de transformer la casse de leur gadget en drame, avec langage juridique larmoyant et intervention policière, est tout simplement pathétique. Dans cette affaire, il n’y a pas de gagnants. Juste deux camps qui prouvent, chacun à leur manière, que l’intelligence artificielle ou humaine est une denrée de plus en plus rare.
06.12.2025 à 15:15
Romain Leclaire

En 1994, la guerre des consoles 16-bits atteint son paroxysme. La Super Nintendo et la Mega Drive se rendent coup pour coup, mais sur le terrain du jeu de rôle et de l’aventure, la machine de Nintendo semble avoir une longueur d’avance indéniable, portée par l’aura mythique de The Legend of Zelda: A Link to the Past. C’est dans ce contexte de rivalité intense et de fin de cycle pour la console de Sega que surgit un titre singulier, développé par le studio Nextech. Son nom est Ragnacenty au Japon, Crusader of Centy en Amérique du Nord, mais pour nous, les joueurs européens, il restera à jamais gravé sous le nom lumineux de Soleil. Plus qu’un simple clone de Zelda, ce jeu représente une fable humaniste courageuse, une prouesse technique et l’un des derniers grands souffles de la Mega Drive.
Pour comprendre la genèse de Soleil, il faut se tourner vers Nextech, son créateur. Ce petit studio japonais, fondé au début des années 90, s’était déjà illustré par une maîtrise technique impressionnante du hardware de la Mega Drive avec le jeu Ranger X (ex-Ex-Ranza). Là où ce dernier misait sur l’action frénétique et l’utilisation ingénieuse des plans de couleurs pour simuler plus de nuances que la console ne pouvait théoriquement en afficher, Soleil allait naître d’une ambition différente, offrir à la machine de Sega une aventure capable de rivaliser narrativement et structurellement avec les ténors du genre sur Super Nintendo.

Le développement débute avec l’idée de créer un Action-RPG accessible mais profond. Contrairement à Landstalker ou Light Crusader qui misaient sur la 3D isométrique (parfois source de confusion dans les contrôles), Nextech opte pour une vue de dessus classique, une vue aérienne qui assume pleinement la comparaison avec Zelda. L’équipe de développement, dirigée par des vétérans discrets de l’industrie, ne voulait cependant pas se contenter de copier la structure de Nintendo. Ils souhaitaient insuffler une âme différente, quelque chose de plus mélancolique et de plus subversif dans son propos. Le projet est supervisé par Sega, qui voit en ce titre l’opportunité parfaite de combler son catalogue avant l’arrivée imminente de la Sega Saturn.
L’écriture est de loin l’aspect le plus fascinant de la conception de Soleil. Le jeu commence comme n’importe quel récit initiatique classique, le jeune héros, Corona, vient d’avoir quatorze ans. Selon la tradition de la ville de Soleil, c’est l’âge où l’on reçoit l’épée de son père défunt pour partir à l’aventure et combattre les monstres qui menacent le monde. Jusque-là, le joueur est en terrain connu. Mais c’est ici que le génie de Nextech opère une rupture. Peu après le début de son périple, Corona perd sa capacité de parler aux humains. En échange, il gagne le don de comprendre et de communiquer avec les animaux et les plantes.
Ce choix de design n’est pas seulement une mécanique de jeu, c’est le cœur philosophique de l’œuvre. En coupant le héros de ses semblables, les créateurs forcent le joueur à écouter l’autre camp. Corona découvre alors que les monstres qu’il est censé abattre ne sont pas nécessairement des créatures maléfiques, mais des êtres vivants avec leurs propres peurs, leurs familles et leurs raisons de se battre. Le jeu déconstruit le manichéisme habituel des RPG de l’époque. Là où un Link tue des monstres sans se poser de questions, Corona se retrouve confronté à la douleur des créatures qu’il affronte. Cette inversion des valeurs, où l’humanité apparaît parfois comme l’agresseur intolérant, confère à Soleil une maturité scénaristique rare pour un jeu tout public de 1994.
Pour se distinguer davantage de la concurrence, les concepteurs ont imaginé un système de progression qui ne repose pas sur l’acquisition d’objets inanimés, mais sur le recrutement de compagnons vivants. Dans Soleil, vous ne trouvez pas de bottes de Pégase ou de marteau magique, vous recrutez des animaux. Chaque animal sauvé ou rencontré confère une capacité spéciale à l’épée ou aux déplacements du héros.

L’idée brillante des développeurs a été de permettre la combinaison de deux animaux simultanément. Par exemple, si le joueur sélectionne le guépard, Corona court plus vite. S’il sélectionne le pingouin, son épée gagne l’élément glace. Mais en combinant le guépard et le pingouin, le joueur peut effectuer une charge rapide glacée dévastatrice. Le lion permet d’enflammer l’épée, tandis que l’écureuil permet de la lancer comme un boomerang (une référence directe mais détournée à l’arsenal de Link). Ce système de « mix-and-match » offrait une flexibilité et une dimension stratégique très appréciées, incitant le joueur à expérimenter différentes combinaisons pour résoudre les énigmes des donjons ou vaincre les boss imposants qui ponctuent l’aventure.
D’un point de vue technique, Soleil est souvent cité comme l’un des plus beaux jeux de la ludothèque Mega Drive. Nextech a su tirer parti de la palette de couleurs limitée de la console (64 couleurs simultanées) pour créer un univers vibrant, coloré et chaleureux, tranchant avec les tons souvent plus sombres et métalliques des jeux Sega habituels. Les sprites sont larges, expressifs, et les décors fourmillent de détails, des plages ensoleillées aux forêts denses en passant par la fameuse Tour de Babel.

L’ambiance sonore n’est pas en reste. La bande originale, composée par Motokazu Shinoda, est un mélange éclectique de styles allant du rock progressif à des mélodies symphoniques plus douces. Bien que le chip sonore de la Mega Drive soit souvent critiqué pour ses sonorités métalliques, Shinoda a réussi à en extraire des thèmes mémorables qui soulignent parfaitement la mélancolie latente du voyage de Corona. Le thème de la ville de Soleil ou celui des adieux reste gravé dans la mémoire de ceux qui ont parcouru ce monde.
À sa sortie, Soleil a reçu un accueil critique généralement très positif. La presse spécialisée, comme Mega Force ou Consoles + en France, a loué la réalisation graphique impeccable et l’originalité du système animalier. On parlait enfin d’un véritable « Zelda-killer » sur la 16-bits de Sega. Le jeu a aussi souffert de cette comparaison inévitable. Certains critiques lui ont reproché une durée de vie trop courte et une difficulté jugée trop faible par rapport à l’épopée de Nintendo.

En effet, Soleil est un jeu fluide qui se traverse sans blocage particulier, privilégiant le rythme et la narration au challenge punitif. De plus, sa sortie tardive en 1994-1995 (selon les régions) a joué en sa défaveur. À cette époque, les regards se tournaient déjà vers la génération suivante, la PlayStation et la Saturn. Beaucoup de joueurs sont passés à côté de cette perle, la considérant à tort comme un jeu pour enfants à cause de son esthétique colorée, sans réaliser la profondeur de son propos.
L’histoire de Soleil est parsemée de petits détails qui ravissent les historiens du jeu vidéo. L’une des anecdotes les plus célèbres concerne un caméo inattendu. Sur la plage d’Anemone, le joueur peut apercevoir Sonic le Hérisson, la mascotte de Sega, en train de se prélasser sur une chaise longue. Si Corona tente de lui parler, Sonic se contente de remuer le doigt, ne brisant pas le vœu de silence du héros envers les humains (ou les hérissons anthropomorphes célèbres). C’est un clin d’œil amusant qui ancre le jeu dans l’univers Sega tout en conservant son ton décalé.

Un autre fait intéressant concerne les différences régionales. La version japonaise, Ragnacenty, comporte des références religieuses plus explicites, notamment autour de la Tour de Babel et de la figure divine, qui ont été légèrement édulcorées ou modifiées dans les localisations occidentales pour éviter la controverse, une pratique courante chez Nintendo et Sega dans les années 90. De plus, le titre original Ragnacenty est une contraction évoquant le Ragnarok (la fin du monde dans la mythologie nordique) et le « Cent » (siècle ou centurion), soulignant les enjeux apocalyptiques de la fin du jeu, alors que le titre européen Soleil insiste sur la lumière et l’espoir.
Pourquoi Soleil n’a-t-il jamais eu de suite ? La réponse réside dans une combinaison de facteurs commerciaux et structurels. Bien que le jeu ait été apprécié, il n’a pas été le raz-de-marée commercial (le « system seller ») que fut Zelda pour la SNES. Sega, en pleine transition chaotique vers la 32-bits, a rapidement abandonné le support de la Mega Drive pour se concentrer sur la Saturn. Le genre de l’Action-RPG 2D est tombé en désuétude au profit des expériences en 3D polygone.
Nextech, de son côté, a continué à travailler étroitement avec Sega (et plus tard Capcom). Le studio a développé des titres comme Cyberbots ou a participé au développement de jeux majeurs comme Resident Evil Code: Veronica. L’équipe créative est passée à d’autres projets et la propriété intellectuelle de Soleil est restée dormante dans les tiroirs de Sega. Contrairement à la série Shining Force ou Phantasy Star, le jeu a été conçu comme une œuvre unique, une histoire complète avec un début et une fin définitive, rendant une suite difficile narrativement sans trahir le message original.
Aujourd’hui, Soleil a acquis un statut de jeu culte. Il est recherché avidement par les collectionneurs, faisant grimper sa cote à des sommets vertigineux sur le marché de l’occasion. Mais au-delà de sa valeur pécuniaire, c’est sa valeur sentimentale qui perdure. Il reste l’un des rares jeux de l’ère 16-bits à avoir traité la question de la communication et de l’empathie avec autant de finesse.
En refusant de donner une suite à ce titre, le destin a peut-être bien fait les choses, préservant cette pépite comme une gemme unique, intemporelle et parfaite dans son imperfection. C’est un jeu qui nous rappelle que pour comprendre le monde, il faut parfois arrêter de parler pour commencer à écouter, même si cela signifie écouter un pingouin, un chien ou un monstre. Pour les possesseurs de Mega Drive, il demeure à jamais ce rayon de lumière qui a prouvé que la console noire de Sega avait, elle aussi, un cœur immense.
06.12.2025 à 12:32
Romain Leclaire

Imaginez la scène , vous faites défiler votre fil d’actualité sur TikTok ou Facebook et vous tombez sur une vidéo d’un médecin respecté. Il porte peut-être une blouse blanche, s’exprime devant un pupitre officiel ou semble donner une interview sérieuse. Il regarde la caméra et vous explique avec autorité que pour soigner vos symptômes de la ménopause, vous devez absolument acheter un nouveau supplément miracle. Vous faites confiance à la blouse blanche, vous faites confiance à l’expert. Pourtant, tout ceci n’est qu’une illusion numérique.
Une enquête récente et alarmante menée par l’organisation de vérification des faits Full Fact a révélé une tendance inquiétante qui envahit nos réseaux sociaux, l’utilisation de l’intelligence artificielle pour voler l’image et la voix de médecins réels afin de vendre des produits de santé douteux. Ce n’est plus de la science-fiction, c’est une réalité commerciale agressive qui cible les personnes vulnérables en quête de solutions médicales.
Le mode opératoire découvert par les enquêteurs est aussi simple qu’efficace. Les fraudeurs récupèrent des vidéos réelles de conférences médicales, d’interviews télévisées ou d’audiences parlementaires disponibles sur Internet. Grâce à des technologies de plus en plus accessibles, ils manipulent ensuite les mouvements des lèvres et clonent la voix de l’intervenant. Le résultat est un « deepfake », ou hypertrucage, où un expert reconnu semble prononcer des mots qu’il n’a jamais dits.

Dans le cas précis révélé par Full Fact, des centaines de vidéos ont été identifiées. Elles mettent en scène des versions clonées de médecins et d’influenceurs dirigeant les spectateurs vers Wellness Nest, une entreprise de suppléments basée aux États-Unis. Ces faux médecins encouragent vivement les femmes traversant la ménopause à se procurer des probiotiques, du shilajit de l’Himalaya ou d’autres extraits de plantes sur le site de l’entreprise. Léo Benedictus, l’enquêteur derrière ces révélations, qualifie cette tactique de sinistre et inquiétante, car elle exploite la crédibilité d’experts ayant une grande audience pour valider des traitements non prouvés.
Pour comprendre l’impact personnel et professionnel de ces arnaques, il faut se pencher sur l’histoire du professeur David Taylor-Robinson, expert en inégalités de santé à l’université de Liverpool. Ce spécialiste, dont le travail se concentre principalement sur la santé des enfants, a eu le choc de découvrir qu’il était devenu, à son insu, le visage d’une campagne marketing pour la ménopause sur TikTok. Au mois d’août, quatorze vidéos manipulées circulaient sur la plateforme, le montrant en train de recommander des produits aux bénéfices non prouvés. L’absurdité de la situation a atteint son paroxysme dans une vidéo où son clone numérique évoquait un prétendu effet secondaire de la ménopause appelé « jambe thermomètre ». Le faux professeur conseillait alors l’achat d’un probiotique naturel contenant du curcuma et de l’actée à grappes noires pour soulager ces symptômes fictifs, ajoutant même des témoignages inventés de collègues féminines.

La réalité derrière ces images est tout autre. Les séquences originales provenaient d’une conférence sur la vaccination donnée en 2017 et d’une audition parlementaire sur la pauvreté infantile en mai dernier. Pire encore, certaines vidéos allaient jusqu’à faire tenir au professeur des propos misogynes et vulgaires. Si ses enfants ont d’abord trouvé la situation hilarante, le professeur Taylor-Robinson a rapidement déchanté face à la difficulté de faire retirer ces contenus. Il décrit un sentiment croissant d’irritation à l’idée que des escrocs profitent de son travail pour propager de la désinformation médicale.
La réponse des plateformes sociales face à ce fléau soulève de nombreuses questions sur leur capacité à nous protéger. Il a fallu six semaines et de multiples plaintes pour que TikTok retire enfin les vidéos du professeur Taylor-Robinson. La plateforme a affirmé au début que certaines vidéos ne violaient pas ses règles, une réponse jugée absurde par le médecin, étant donné qu’il s’agissait intégralement de faux le mettant en scène sans son consentement.

Ce problème ne se limite pas à un seul médecin. Duncan Selbie, ancien directeur général de Public Health England, a également été ciblé. Huit deepfakes le montrant en train de parler de ménopause ont été découverts sur TikTok, utilisant les mêmes images de l’événement de 2017 que celles de Taylor-Robinson. Selbie a qualifié l’imitation de stupéfiante de réalisme, soulignant que c’est un faux intégral du début à la fin, mais suffisamment convaincant pour tromper un public inattentif. D’autres figures médicales britanniques de premier plan ont également vu leur image détournée sur X, Facebook et YouTube.
Face aux accusations, la société Wellness Nest a adopté une ligne de défense classique dans le monde du marketing numérique opaque. L’entreprise a déclaré à Full Fact que ces vidéos étaient totalement indépendantes de leur volonté, affirmant n’avoir jamais utilisé de contenu généré par l’IA. Elle rejette la faute sur des affiliés à travers le monde qu’elle ne peut ni contrôler ni surveiller. C’est une excuse commode qui met en lumière les zones grises du marketing d’affiliation, où des tiers peuvent utiliser des méthodes sans scrupules pour générer des ventes et toucher des commissions, tout en permettant à la marque principale de nier toute responsabilité directe.

Cette situation a provoqué une levée de boucliers politique. Helen Morgan, porte-parole santé des Libéraux-Démocrates au Royaume-Uni, a vivement réagi en soulignant le danger que représente l’IA lorsqu’elle est utilisée pour exploiter les failles du système de santé. Elle pose une question fondamentale, si un individu se faisait passer pour un médecin dans la vie réelle pour vendre des médicaments, il serait poursuivi pénalement. Pourquoi tolérons-nous l’équivalent numérique ? Elle appelle à ce que les deepfakes se faisant passer pour des professionnels de santé soient éradiqués et que ceux qui profitent de la désinformation médicale soient tenus criminellement responsables.
TikTok a déclaré avoir supprimé le contenu incriminé et continuer d’investir dans de nouvelles méthodes de détection. Ils admettent cependant que le contenu généré par l’IA est un défi pour l’ensemble de l’industrie. En tant qu’utilisateurs, la vigilance est notre meilleure arme. Si vous voyez un médecin célèbre recommander un produit miracle sur une vidéo aux mouvements de lèvres légèrement décalés ou avec une intonation monotone, méfiez-vous. Vérifiez toujours les sources officielles et rappelez-vous que si un remède semble trop beau pour être vrai, c’est probablement parce qu’il n’existe pas. L’ère de la désinformation médicale assistée par l’IA ne fait que commencer et notre esprit critique est la seule barrière restante.