31.10.2025 à 16:32
Romain Leclaire

La tension est palpable dans le monde de l’exploration spatiale. Alors que le sentiment grandit que la Chine pourrait bien coiffer les États-Unis au poteau pour le retour des humains sur la Lune, SpaceX vient de briser un silence de près de deux ans. La société d’Elon Musk a publié une mise à jour détaillée de son contrat de plusieurs milliards de dollars avec la NASA pour l’alunissage des astronautes du programme Artemis. Dans une longue déclaration, l’entreprise américaine se positionne comme le catalyseur central qui réalisera la vision du projet, établir une présence durable sur la Lune et, à terme, ouvrir la voie vers Mars.
Cette distinction a son importance. L’objectif ultime de SpaceX, martelé par son PDG depuis la création de l’entreprise, a toujours été la planète rouge. La Lune, dans cette optique, est une étape. Elon Musk a d’ailleurs parfois critiqué le programme Artemis de la NASA, le jugeant peu ambitieux et trop dépendant des contractants aérospatiaux traditionnels. Lorsque le milliardaire parle de Starship, son véhicule de nouvelle génération, c’est presque toujours avec Mars en ligne de mire, la Lune n’obtenant que peu de temps d’antenne.
Pourtant, en coulisses, les ingénieurs de SpaceX travaillent d’arrache-pied sur une version lunaire du Starship. Le plan actuel de la NASA est complexe, les astronautes décolleront de la Terre à bord de la capsule Orion de Lockheed Martin. Une fois en orbite lunaire, ils s’amarreront au Starship qui les attendra pour descendre vers le pôle sud de la Lune. Après leur mission, ils utiliseront ce même Starship comme ascenseur pour remonter vers Orion et rentrer chez eux.

Mais il y a un obstacle technique notable, le ravitaillement, un véritable éléphant dans l’orbite. Le Starship est une bête colossale, mais il consomme tout son carburant simplement pour atteindre l’orbite terrestre basse. Pour aller plus loin, il doit être ravitaillé dans l’espace. Le plan lunaire exige que SpaceX lance d’abord un dépôt de carburant en orbite, puis le remplisse à l’aide d’une flotte de Starships « tankers » (peut-être une douzaine de vols ou plus) avant que le vaisseau lunaire ne puisse faire le plein et partir. C’est cette manœuvre, que Blue Origin avait qualifiée d’immensément complexe et à haut risque lors de sa protestation contre l’attribution du contrat initial, qui constitue le goulot d’étranglement du programme.
SpaceX affirme avoir franchi plusieurs étapes en avance sur le calendrier, notamment sur les systèmes de survie, l’adaptateur d’amarrage avec Orion et les tests de train d’atterrissage. Mais le plus dur reste à faire. Le premier test de transfert de propergol cryogénique entre deux Starships en orbite, prévu au départ pour fin 2025, est désormais repoussé à l’année prochaine. Si l’entreprise surmonte cet obstacle, la récompense est transformationnelle. Le Starship lunaire est gigantesque, offrant un volume habitable de plus de 600 mètres cubes, soit les deux tiers de la Station Spatiale Internationale. Il sera doté d’un ascenseur pour descendre les astronautes et le matériel du haut de la cabine (perchée à 15 étages) jusqu’au sol lunaire. En mode cargo, il pourrait livrer 100 tonnes de matériel (des rovers, des habitats, voire des réacteurs nucléaires) en un seul voyage.
Mais le temps presse. Les échecs répétés des premiers vols d’essai cette année, bien que faisant partie de la méthode de développement itératif de SpaceX, ont accumulé les retards. Ces revers, couplés à l’ampleur de la tâche, font craindre que le programme Artemis ne prenne un retard irrattrapable sur l’initiative chinoise, qui vise un alunissage d’ici 2030 avec une architecture plus traditionnelle, ressemblant à Apollo.

Le calendrier officiel de la NASA pour Artemis III, le premier alunissage américain, est fixé à 2027. Cependant, plus personne n’y croit. Le Starship et les nouvelles combinaisons spatiales (développées par Axiom Space) ne seront tout simplement pas prêts. Le chœur des voix affirmant que les États-Unis vont perdre cette seconde course à la Lune s’amplifie. Jim Bridenstine, l’ancien administrateur de la NASA sous Trump, a déclaré au Congrès américain que la défaite était probable. Charlie Bolden, son prédécesseur sous Obama, partage ces doutes, tout en tempérant: « Ce n’est pas grave si nous arrivons en 2031, tant que nous le faisons mieux qu’eux.«
Cette perspective ne satisfait pas l’administration actuelle. Sean Duffy, l’administrateur par intérim de la NASA, a récemment lancé un appel aux contractants pour trouver des moyens d’accélérer le calendrier. SpaceX et Blue Origin ont confirmé avoir soumis de nouveaux plans. Blue Origin, qui développe son propre atterrisseur (le Blue Moon) pour une mission ultérieure (Artemis V), propose désormais une approche incrémentale utilisant une version modifiée de son plus petit atterrisseur, le Mark 1, qui n’a pas besoin de ravitaillement en orbite.
De son côté, SpaceX a également proposé une architecture simplifiée, sans en dévoiler les détails. La société se dit constamment réactive aux changements d’exigences de la NASA, tout en réaffirmant que le Starship reste la voie la plus rapide pour retourner sur la Lune. L’entreprise a bâti sa réputation sur sa rapidité, et elle a récemment enchaîné les succès avec son vaisseau, réalisant des exploits comme le transfert de propergol dans l’espace et des rallumages de moteurs Raptor. La course est lancée, mais la route est encore longue et le principal adversaire n’est peut-être pas Pékin, mais la complexité vertigineuse du ravitaillement en orbite.
31.10.2025 à 15:40
Romain Leclaire

Si vous avez connu l’informatique des années 90, votre cœur va probablement battre un peu plus vite à la simple évocation du nom Creative. Cette entreprise est indissociable de sa gamme légendaire de cartes son Sound Blaster, qui a littéralement donné une voix (et des bandes-son épiques) à nos PC de l’époque. C’était le temps où l’audio n’était pas un acquis, mais une mise à niveau excitante.
Eh bien, préparez-vous à un sérieux voyage nostalgique, car la marque est de retour. Mais ne vous y trompez pas, elle ne se contente pas de dépoussiérer un vieux nom. Elle cherche à le « Re:Imaginer ». Creative vient de dévoiler un tout nouveau produit qui fait la synthèse de son héritage audio et des besoins des créateurs, joueurs et audiophiles modernes avec son hub Re:Imagine. À première vue, cet appareil peut faire penser aux célèbres contrôleurs Stream Deck d’Elgato, devenus incontournables pour les streamers. Mais là où ce dernier se concentre sur les raccourcis visuels, le Re:Imagine place votre équipement audio au centre de l’expérience. Et il le fait avec une ambition remarquable.

La caractéristique la plus frappante du Re:Imagine est sa conception modulaire. Nous ne parlons pas de quelques options de couleur mais d’une personnalisation physique profonde. L’appareil est conçu pour que vous puissiez mélanger, assortir et réorganiser à volonté des boutons, des molettes, des curseurs et même des écrans. Ces modules sont magnétiques, vous permettant de cliper les commandes dont vous avez besoin, là où vous en avez besoin. Vous êtes podcasteur ? Mettez en avant les curseurs pour gérer vos différentes pistes audio. Vous êtes streamer ? Privilégiez les boutons pour lancer des scènes ou des effets sonores. Vous êtes un audiophile ? La molette de volume de précision et l’écran tactile seront vos meilleurs amis. Le Re:Imagine s’adapte à votre flux de travail et non l’inverse.
Le mot « hub » n’est pas utilisé à la légère. Le Re:Imagine est conçu pour être le cerveau central de votre installation audio. La connectique est pléthorique: on y trouve de l’USB-C, des entrées micro, ligne et optique, une prise casque 3,5 mm, et un port USB dédié pour la connexion à l’ordinateur. Mais ce n’est pas tout. Il intègre également le Wi-Fi 6 et le Bluetooth, ouvrant la voie à tous vos appareils sans fil, comme votre casque favori.

Le véritable atout pour les puristes du son se cache à l’intérieur. Creative, fidèle à sa réputation, a intégré un DAC (convertisseur numérique-analogique) et un amplificateur de haute qualité. L’entreprise affirme que cet ensemble est capable d’alimenter de gros haut-parleurs de bureau de qualité studio. La promesse est de pouvoir acheminer le son d’un appareil à l’autre via les boutons du hub ou son écran tactile, sans plus jamais avoir à jongler avec les câbles derrière votre bureau.
Si le Re:Imagine s’était arrêté là, il serait déjà un produit intéressant. Mais Creative a vu beaucoup plus grand. Lorsqu’il est connecté à un PC, ses divers boutons et commandes peuvent être personnalisés pour lancer des applications, déclencher des raccourcis (comme couper le micro lors d’un appel ou démarrer un enregistrement) ou même exécuter des macros programmables complexes.
Et voici la surprise, il peut également contrôler les appareils domestiques intelligents compatibles Matter. Votre hub audio devient soudainement une télécommande pour votre éclairage de studio ou votre thermostat. Pour les plus technophiles, Creative lâche une bombe, l’appareil fonctionne sous Linux, et les utilisateurs auront un accès root complet au matériel. C’est une invitation ouverte aux développeurs pour créer leurs propres applications, trouver des utilisations alternatives et repousser les limites de l’appareil.

L’appareil n’est pas totalement dépendant d’un PC. Il est alimenté par un processeur octa-core, soutenu par 8 Go de RAM et 16 Go de stockage (extensible via une carte microSD). C’est, en substance, un mini-ordinateur. Il peut faire tourner des applications directement sur son écran tactile de 3 pouces. Creative a même inclus des fonctionnalités étonnantes, un émulateur DOS pour jouer à des jeux rétro (un clin d’œil parfait à l’héritage Sound Blaster !), des assistants alimentés par l’IA et même un « DJ IA » capable de générer de la musique basée sur un thème.
Pour un projet aussi ambitieux, Creative s’est tourné vers le financement participatif. Une campagne Kickstarter a été lancée. Le prix de vente au détail devrait commencer à 500 $ pour un kit de base comprenant l’unité horizontale, un écran tactile, des modules de boutons, de molette et de curseur. Les participants à la campagne peuvent actuellement le précommander pour 329 $ pour une durée limitée. Il faudra être patient, la livraison est prévue pour juin 2026.
31.10.2025 à 15:18
Romain Leclaire

Reddit, le colosse de la discussion communautaire, vient de jeter un pavé dans la mare. Lors de la présentation des résultats du troisième trimestre 2025, son PDG Steve Huffman a livré une analyse surprenante. Non, les chatbots IA ne sont pas un moteur de trafic majeur pour l’entreprise.
Cette déclaration, en apparence simple, cache une stratégie complexe et fascinante que Reddit est en train de déployer. Alors que l’entreprise affiche une santé financière et une croissance d’utilisateurs insolentes, elle navigue dans les eaux troubles de l’IA avec une prudence de funambule, mêlant partenariats lucratifs et batailles juridiques acharnées.
Commençons par la nouvelle principale, celle qui a fait lever quelques sourcils parmi les analystes. Interrogé sur l’impact des nouveaux outils d’IA sur l’acquisition de trafic, Steve Huffman a été catégorique.
« [Les chatbots] ne sont pas un moteur de trafic aujourd’hui », a-t-il déclaré. Il a souligné que les sources de trafic dominantes de Reddit restent inchangées et robustes. On parle évidemment de la recherche Google et de l’accès direct. Un analyste a même tenté d’obtenir une répartition, demandant si le trafic était de 50 % Google et 50 % direct, ce à quoi le PDG a répondu que ces chiffres étaient approximatifs, mais assez proches.

Cette répartition 50/50 est intéressante. Elle montre que Reddit bénéficie à la fois d’une puissance de référencement (SEO) immense, captant les recherches de niche sur Google (pensez à toutes les fois où vous avez ajouté « reddit » à votre recherche pour obtenir de vrais avis), et d’une loyauté de marque massive, avec des millions d’utilisateurs qui tapent directement l’URL ou ouvrent l’application par habitude. Huffman a tenu à préciser que cela ne signifiait pas une rupture des relations avec les acteurs de l’IA.
« Je pense que nos relations avec les entreprises avec lesquelles nous travaillons directement sont saines, et nous avons tous deux beaucoup appris au cours des deux dernières années, notamment sur la valeur des données de Reddit […]. Je suis donc impatient de continuer à travailler sur ces sujets avec ces partenaires. »
Mais le message est clair, à l’heure actuelle, les utilisateurs ne passent pas massivement par un chatbot pour atterrir sur un subreddit.
Cette déclaration sur le trafic devient encore plus passionnante lorsqu’on la met en contexte avec la stratégie de données de Reddit. L’entreprise sait qu’elle est assise sur une mine d’or. Pendant des années, ses forums ont été le terrain d’entraînement de facto pour les grands modèles de langage, qui se sont nourris de ses millions de conversations humaines authentiques pour apprendre à parler, raisonner et débattre. En mai 2024, la plateforme a décidé de fermer le robinet. Conscient de la valeur commerciale immense de ce contenu, elle a modifié sa politique, verrouillant son API et stipulant que toute utilisation commerciale de ses données nécessiterait désormais une licence payante.
C’est là que réside sa relation compliquée avec l’IA. D’un côté, l’entreprise a signé un accord majeur avec OpenAI pour lui permettre d’utiliser les données maison pour l’entraînement de ses modèles. Un partenariat similaire existe avec Google. Reddit monétise donc son atout le plus précieux auprès des plus grands noms du secteur. De l’autre côté, le réseau social a sorti les griffes. Il est engagé dans des batailles juridiques féroces avec d’autres sociétés d’IA, notamment Anthropic et Perplexity, probablement accusées d’avoir pillé ses données sans autorisation ni compensation. Reddit joue un double jeu, il se positionne comme le fournisseur officiel et payant de « l’âme d’Internet » pour les géants de l’IA tout en poursuivant agressivement ceux qui tentent de s’emparer de ces mêmes données gratuitement.
Et cette stratégie semble payer. Loin d’être une simple plateforme de discussion, Reddit est devenu une puissance financière. Les résultats du T3 2025 sont éloquents:
Ces chiffres montrent une entreprise en pleine expansion qui n’a pas besoin des chatbots pour assurer sa croissance. Elle a le luxe de pouvoir choisir ses partenaires et de dicter ses conditions.
Si Steve Huffman minimise l’impact de l’IA externe sur son trafic, il mise tout sur celle interne pour transformer l’expérience utilisateur. La véritable ambition de Reddit n’est pas d’être une source pour les chatbots externes, mais de devenir lui-même un moteur de réponse. L’entreprise continue d’investir massivement pour faire de la recherche une partie centrale de l’expérience. Et les résultats sont déjà là. Le PDG a révélé que la société traite déjà 20 % de ses volumes de recherche via sa nouvelle fonctionnalité « Answers » alimentée par l’IA et via la barre de recherche principale.

Le volume est considérable, au troisième trimestre, 75 millions de personnes ont utilisé la fonction de recherche chaque semaine. L’objectif, annoncé par Huffman, est de fusionner complètement l’IA et l’expérience de recherche de base au cours des prochains trimestres. En d’autres termes, Reddit est en train de construire son propre concurrent de Perplexity ou de la recherche IA de Google, directement intégré à sa plateforme. Au fond, pourquoi iriez-vous demander à un chatbot externe « quel est le meilleur casque audio selon de vrais utilisateurs » quand vous pouvez poser la question directement à Reddit et obtenir une réponse synthétisée par l’IA, basée sur des millions de discussions authentiques ?
Pour finir, cette croissance doit être soutenue par une capacité à retenir les nouveaux venus. Parallèlement à ses ambitions en matière d’IA, Reddit expérimente un nouveau flux d’intégration (onboarding) plus simple. L’objectif est de réduire la friction pour les nouveaux utilisateurs, souvent intimidés par la structure unique de la plateforme.
« Nous voulons qu’ils voient dès leur première session que Reddit est incroyable et qu’il a du contenu pour eux. Notre objectif est donc de connecter les utilisateurs avec du contenu pertinent très rapidement », a expliqué Huffman.
L’image qui se dessine est celle d’une entreprise remarquablement stratégique. Reddit comprend que sa valeur ne réside pas dans le trafic de clics généré par l’IA, mais dans les données brutes qui alimentent cette dernière. La société monétise ces données auprès de partenaires triés sur le volet, tout en utilisant ses revenus explosifs pour construire ses propres outils d’IA internes. L’objectif final n’est pas d’être une note de bas de page dans les réponses de ChatGPT, mais de devenir la destination unique où la recherche IA et la communauté humaine authentique fusionnent.