Les combats ont éclaté hier, jeudi 24 juillet, dans deux provinces thaïlandaises du sud-est avec un bilan humain conséquent.
- Selon des sources officielles cambodgiennes, le 24 juillet à 8h46, des tirs thaïlandais ont visé des soldats cambodgiens, entraînant des combats sur plusieurs sites 1.
- Selon les autorités thaïlandaises, on compterait 14 morts dont un soldat en Thaïlande — et au moins 1 mort et 5 blessés civils côté cambodgien.
- Bangkok a décidé l’évacuation de plus de 100 000 personnes ainsi que la fermeture de plus de 750 écoles 2.
- L’usage d’armes lourdes et de forces aériennes a fait entrer le conflit dans une phase escalatoire. La Thaïlande a ainsi déclaré déployer des chasseurs F-16 en réponse à des frappes cambodgiennes visant des zones civiles, dont un hôpital.
- Le Cambodge a quant à lui frappé le territoire thaïlandais avec des lance-roquettes multiples soviétiques (BM-21 Grad).
Cet affrontement s’inscrit dans un litige frontalier ancien cristallisé autour d’une série de temples (Preah Vihear, Prasat Ta Muen Thom, Ta Krabey).
- Bien que la Cour internationale de justice ait attribué en 1962 la souveraineté au Cambodge, la Thaïlande maintient une présence militaire dans la zone, qu’elle continue de revendiquer.
- Le contrôle des territoires frontaliers a historiquement basculé entre diverses entités khmers et thaïlandaises, en se trouvant particulièrement impacté à partir du XIXe siècle par les puissances coloniales présentes dans la région — les revendications du Cambodge se basent sur une carte datant de 1907, établie pendant la colonisation française.
La conflictualité autour de la frontière provoque des incidents fréquents.
- Un précédent conflit en 2011 avait fait 20 morts près du temple de Preah Vihear, dédié au dieu hindou Shiva par l’empire khmer au XIe siècle, et aujourd’hui temple bouddhiste revendiqué par la Thaïlande.
- Le 28 mai, un échange de tirs à Chong Bok, à la frontière des provinces de Preah Vihear (Cambodge) et Ubon Ratchathani (Thaïlande), avait abouti à la mort d’un lieutenant cambodgien.
Cette escarmouche autour d’une tranchée dans une zone frontalière contestée est à l’origine d’une nouvelle poussée nationaliste dans les deux pays, marquée par un scandale politique à Bangkok.
- Hun Sen, ancien Premier ministre cambodgien et père de l’actuel chef du gouvernement Hun Manet, a rendu public un enregistrement téléphonique avec la Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra.
- Lors de cette conversation, celle-ci l’appelait respectueusement « oncle » et critiquait implicitement l’armée thaïlandaise en la rendant responsable des échanges de tirs au mois de mai, tout en adoptant un ton jugé conciliant face aux demandes cambodgiennes.
- Accusée de nuire aux intérêts nationaux, Paetongtarn Shinawatra a présenté des excuses publiques avant d’être suspendue par la Cour constitutionnelle le 1er juillet. Son parti reste toutefois dans la coalition au pouvoir, et elle a conservé un poste de ministre de la Culture après le remaniement.
- Le 23 juillet, soit la veille du début des hostilités, le gouvernement thaïlandais a accusé le Cambodge d’avoir posé de nouvelles mines terrestres à la frontière, causant la perte d’une jambe de deux militaires thaïlandais.
- Bangkok a alors rappelé son ambassadeur à Phnom Penh et expulsé le représentant cambodgien 3.
Dans un rare moment de convergence géopolitique, la Chine et les États-Unis appellent au cessez-le-feu immédiat et à la protection des civils.
- Le Premier ministre cambodgien Hun Manet a demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité, accusant la Thaïlande d’avoir mené une incursion armée planifiée sur des sites cambodgiens en violation des traités de 1904–1907 et du mémorandum bilatéral de 2000.
- Il dénonce des attaques justifiées par un prétexte fallacieux (explosion de mine) et affirme que les forces cambodgiennes ont agi en légitime défense.
- Si depuis la création en 1967 de l’ASEAN, aucune guerre à grande échelle n’avait éclaté entre les États membres, le risque d’une escalade entre le Cambodge et la Thaïlande pourrait fragiliser sa pertinence en tant qu’organisation garante de la stabilité régionale 4.
- Le Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim, pays qui assure la présidence tournante de l’ASEAN, a déjà proposé d’organiser des pourparlers entre Bangkok et Phnom Penh.
- Bien que la Thaïlande insiste sur des négociations bilatérales, elle a toutefois laissé la porte ouverte à une facilitation de l’ASEAN pour relancer le dialogue .
Selon une source militaire française consultée par la revue, l’absence — pour l’heure — d’escalade au-delà de la zone frontalière suggérerait que le conflit pourrait y rester circonscrit. La même source note : « On voit que le Cambodge s’est préparé au moins depuis le début de l’année à cette offensive, notamment en aménageant des fortifications et des routes, ce qui pourrait laisser penser qu’il s’agit d’une marche délibérée vers la guerre » et ajoute que l’escalade « constitue un nouveau point de données sur ce à quoi va ressembler la guerre moderne dans un cadre encore différent — on observe notamment l’utilisation de drones low cost sur le modèle ukrainien ».
Sources
- អត្ថបទស្រាវជ្រាវ៖ សំណុំរឿងថៃឈ្លានពានកម្ពុជា គួរប្រញាប់ប្ដឹងទៅក្រុមប្រឹក្សាសន្តិសុខ UN និងអគ្គលេខាធិការដ្ឋានអាស៊ាន », Cambodia Daily, 24 juillet 2025.
- 751 schools in border areas closed following clashes with Cambodia », Bangkok Post, 25 juillet 2025.
- New mine blast inflames border tensions », Bangkok Post, 23 juillet 2025.
- Asean must act for peace in Thai-Cambodian clash or risk irrelevance », South China Morning Post, 25 juillet 2025.