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28.10.2025 à 12:53

Miguel Shema : « Beaucoup de personnes sont discriminées dans le soin médical »

Yasmine Choukairy

Quelles sont les catégories de personnes les plus discriminées dans le système de santé ? L’histoire de la médecine est traversée par bon nombre de maltraitances et de pratiques injustifiées, dont nous, […]
Texte intégral (1306 mots)

Quelles sont les catégories de personnes les plus discriminées dans le système de santé ?


L’histoire de la médecine est traversée par bon nombre de maltraitances et de pratiques injustifiées,

dont nous, soignant·es, sommes en partie responsables. Le problème est que la plupart des gens ont une définition fausse de ce qu’est la maltraitance et pensent qu’elle résulte d’une volonté de maltraiter de la part de personnes qui auraient mauvais fond ou de mauvaises intentions. Penser ainsi, c’est minimiser l’importance des systèmes de domination [entre personnes racisées et personnes blanches, entre hommes et femmes, etc.]. Il existe une étude « Do emergency medicine health care workers rate triage level of chest pain differently based upon appearance in simulated patients? », European Journal of Emergency Medecine, décembre 2023. réalisée en 2024 auprès de médecins, d’internes et d’infirmier·es de services d’urgence en France, en Belgique, en Suisse et à Monaco. On leur a présenté une même situation clinique, avec pour seule différence le genre ou la couleur de peau de la personne à diagnostiquer. En l’absence de différence médicale biologique permettant de justifier un traitement différencié, les femmes, d’une part, et les personnes noires, de l’autre, étaient considérées comme des cas moins graves. Mais il est difficile de faire une liste exhaustive de toutes les personnes discriminées dans le soin médical, car il y a autant de dominé·es que de systèmes de domination.

Vous parlez dans votre livre du syndrome méditerranéen. De quoi s’agit-il ?


Dans l’inconscient du monde médical, certaines communautés font l’objet de stéréotypes particuliers : par exemple, les Roms, les Arabes et les Noir·es seraient bruyant·es, alors que les personnes originaires d’Asie seraient discrètes. Cela alimente des croyances : la plus connue est le « syndrome méditerranéen », l’idée que les personnes originaires du Maghreb auraient tendance à exagérer, voire à simuler leur douleur. J’ai moi-même pu constater l’existence de ce préjugé à plusieurs reprises. Une patiente arabe, admise dans un service d’urgences parisien où j’effectuais un stage, présentait une douleur à la mâchoire inhabituelle, sans avoir chuté ni reçu de coups. L’une des cheffes a demandé à une interne de faire un électrocardiogramme : les résultats présentaient les signes clairs d’un infarctus, alors l’interne a voulu appeler en urgence le service de cardiologie. Mais une autre cheffe a refusé et demandé des examens complémentaires, en avançant qu’il s’agissait sans doute d’un « syndrome méditerranéen ». Or, par la suite, l’infarctus a été confirmé.

Vous racontez également comment les discriminations sont nourries par la pression exercée sur les hôpitaux pour faire des économies.


On nous répète sans cesse en cours de médecine que le plus important dans le soin, c’est l’anamnèse, l’interrogatoire qu’on réalise à l’arrivée du ou de la patient·e. Mais il y a des individus avec lesquels la communication est difficile, voire impossible : les enfants, les personnes inconscientes, les patient·es qui ne maîtrisent pas le français. J’évoque dans mon livre deux internes qui travaillaient dans une permanence d’accès aux soins hospitaliers à Paris. La majorité des patient·es étant étranger·es, elles faisaient régulièrement appel à des traducteur·ices. Mais au bout de quelques semaines, elles ont été convoquées par leur responsable : cela revenait trop cher à leur service et on leur en a limité l’accès. Pourtant, cela revient moins cher de faire appel à un·e interprète pour réaliser une bonne anamnèse et poser un bon diagnostic, que de voir revenir une personne qui présente des complications. Le mépris vis-à-vis de ces patient·es étranger·es découle de préjugés racistes, sur ce que devrait être l’intégration « à la française ».

Qu’en est-il des discriminations contre les personnes LGBTQIA+ ?


Une étude de Santé publique France publiée en 2024 montrait que pour 17 % des gays et 20 % des lesbiennes, le premier lieu de traitement inégalitaire est la consultation médicale. Des discriminations sont susceptibles d’intervenir à chaque étape du parcours de soins, de la prise de rendez-vous à la consultation, en passant par le retrait d’un traitement thérapeutique. Dans le contexte médical, l’homophobie relève pour les personnes concernées – et j’en fais partie – d’un événement banal. Je raconte dans le livre l’histoire d’un ami qui est allé voir un proctologue pour des douleurs anales. Il lui a notamment expliqué avoir mal lors de l’acte sexuel. En guise de solution, le médecin lui a conseillé de « faire l’amour normalement ». Mais la médecine n’est pas là pour dire ce qui est normal ou ce qui ne l’est pas, mais bien pour diminuer les souffrances ! Son seul rôle est d’accompagner les individus.

Vous-même, futur médecin, noir et bisexuel, vivez-vous aussi des discriminations dans l’exercice de votre métier ?


Du côté des patient·es, il est déjà arrivé qu’on me prenne pour un brancardier, parce que je suis noir. Les autres soignant·es font parfois des commentaires racistes en ma présence. Par exemple, un jour, dans une salle réservée au personnel, une aide-soignante qui se plaignait d’un patient, a dit « si cette espèce de Noir continue à me regarder comme ça, ça va mal aller ». Mais ce n’est pas plus fréquent qu’ailleurs. En revanche, en tant que patient, ça m’arrive souvent. Un jour, alors que j’allais consulter un ORL dans le XVIe arrondissement de Paris, j’ai oublié ma carte Vitale. La secrétaire m’a demandé : « Vous êtes à la CMU Désormais remplacée par la Complémentaire santé solidaire, cette assurance santé proposée par l’État fait office de mutuelle complémentaire pour les personnes à faibles revenus. ? », pensant que parce que j’étais noir, j’étais forcément étranger et précaire. Je lui ai expliqué ma situation et lui ai montré mon attestation de droits. Alors elle m’a regardé pleine d’empathie et s’est exclamée : « Oh, alors ils ne vous ont pas donné la carte Vitale quand vous êtes arrivé ? »

Dans le titre de votre livre, vous posez la question : « La médecine soigne-t-elle vraiment tout le monde ? » Avez-vous une réponse ?


Pourquoi les gens qui soignent seraient exempts des préjugés qui traversent l’ensemble de la société ? Si on est capable de faire une analyse critique des biais qui imprègnent les médias ou la police, on doit pouvoir le faire avec les soignant·es. Pour que la médecine soit moins inégalitaire, il faudrait que nous développions une analyse sociologique critique de son fonctionnement. Sans travail sérieux sur ses préjugés inconscients et sur les rapports sociaux de genre et de race qui la traversent, elle continuera à maltraiter les gens. •

Entretien réalisé par téléphone, le 10 juin 2025.

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