18.10.2024 à 16:00
lundimatin
Depuis un an maintenant, la destruction méthodique et déchaînée de Gaza par l’armée israélienne maintient son effet de sidération. Qu’y aurait-il à dire ou penser de plus lorsque nous assistons impuissants au carnage, à l’écrasement d’un bout du monde ? Nous avons pourtant retrouvé un petit texte dans le limbes de lundimatin : manifeste kibboutz in Bavaria, rédigé en 2010 et publié en 2016 et qu’il nous a semblé, par-delà son caractère burlesque et fantasque, important de re-discuter. On a donc invité des camarades de Tsedek pour essayer de réfléchir au sionisme non à partir de sa seule réalité, mais à partir d’une contre-proposition sioniste en apparence « comique » et pourtant suffisamment sensée pour faire apparaître les contradictions des actuels soutiens inconditionnels à Israël. Cette proposition est la suivante : et si les Allemands, réellement affectés de culpabilité historique pour les crimes d’un certain IIIe Reich, se proposaient de nous confier, à nous juifs européens, un territoire sympathique en Bavière, pas loin de Bayreuth (plutôt que de Beyrouth), pour y installer nos kibboutzim socialistes et communalistes ? Que ferions nous ? Que faire des bavarois ? Sera-ce le judaïsme qui définira l’État de Bavière ? Ou l’État de Bavière qui définira le judaïsme ? Être juif, est-ce faire peuple, ethnie, religion ou, plus essentiellement, comme le pense Ammon Rav Krakotzkin, vivre et penser depuis une conscience de l’exil et donc, la conscience de la nécessité d’un droit supérieur à celui des peuples à disposer d’eux-mêmes, un droit plus fondamental encore que celui des nations : le droit à traverser le monde et les États, à migrer et émigrer, à s’exiler, apatride, et à errer dans le désert, d’une errance adverse ?
14.10.2024 à 20:00
lundimatin
La dissolution de l’Assemblée nationale a plongé brusquement une large partie de la population dans un état de sidération. Ce sentiment, qui n’a pas affecté seulement les gauchistes mais les membres même du camp macroniste les plus proches, n’est peut-être pas dû au hasard. Nous avons l’habitude des mensonges cyniques de la popote oligarchique. Ce qui est ici étonnant, c’est que l’on éprouve un choc qui confine à l’outrage, au scandale intime, au sentiment d’avoir été plongé depuis presque dix ans, sous la houlette non d’un politicien menteur mais d’une sorte d’ex toxique, de manipulateur équivoque, en réalité, et c’est l’intuition du sociologue Marc Joly comme d’Anne Crignon (Voir : Ve République : un soupçon de perversion narcissique), sous l’emprise d’un « pervers narcissique » en pleine crise.
Cette intuition n’est pas anodine. Elle indique un changement dans les structures actuelles de la domination et de sa légitimation. Selon Joly, nous serions passés d’une légitimation des inégalités sociales par la « violence symbolique », soit l’intériorisation inconsciente de l’ordre injuste et de la vision du monde des dominants, à une sorte de mise à nue brutale de la domination, mise à nue où le pouvoir de jouissance du pouvoir, ne se jouant plus sur le mode narquois de l’apparence, sur le mode satisfaisant d’une couleuvre avalée en silence par le truchement de symboles, mais sur le mode terriblement médiocre de la « violence morale », du harcèlement moral, de la jouissance non de l’apparence, mais du micromanagement, de la capacité à disloquer les âmes, la cohérence des choses, le sens du monde et les vérités essentielles, la faculté de titiller à mort ses victimes vampirisées, de s’assumer irresponsable, et de martyriser des citoyens comme s’il s’agissait de petits jouets dans les mains d’un pervers infantile. Pour Joly, le déclin, du fait de la critique féministe ou autre, du camouflage dans la violence symbolique des masculinités patriarcales et capitalistes, a engendré une société dans laquelle le mode par lequel le dominant jouit de sa domination sur le dominé n’est pas fondé sur le sentiment de l’avoir bien eu, bien dupé, mais celui de pouvoir continument le plonger dans un état de sidération, d’offense, d’inexistence, sur la base d’un arsenal d’injonctions paradoxales, d’indifférence à la contradiction et à la vérité (paradoxalité), d’effacement des continuités historiques (gaslighting) et de tout ce qui fait sens. Le monde de la violence symbolique semble laisser place au monde mis à nu de la violence morale, et dans cet entre-deux surgissent partout, dans les familles, les groupes, les entreprises et les institutions de l’État même, ces figures inquiétantes du « pervers narcissique », du « prédateur », de l’être dont la vie n’est vouée qu’à conserver l’emprise et à la renouveler sans cesse. Macron est-il l’une d’entre elle ? Qu’est-ce que cela nous révèle de nos sensibilités contemporaines, de nos grilles d’analyse du pouvoir et de l’épuisement des institutions de la Ve République ? Là où la domination semble laisser éclater sa franche perversité sans le tampon des apparences, avons-nous affaire à la fin d’une époque de la gouvernementalité ? Vivons-nous un crépuscule du pouvoir secoué sur ses bases et obligé de se réduire à l’efficacité perverse pure ? Ou sommes nous en train de découvrir que le pouvoir pour jouir de lui-même n’a plus besoin de se cacher, parce qu’il est devenu total et sans issu ?On dira que le désert ne peut plus croître. Certes. Mais Joly nous apprend qu’il peut encore s’enlaidir.
08.10.2024 à 20:00
lundimatin
1984, MadMax, La Route, Les furtifs, La zone du dehors, les dépossédés, V comme Vendetta. La science-fiction explore l’avenir qui vient. Dans son dernier essai, l’imaginaire au pouvoir. Science-fiction, politique et utopies aux Éditions du Passager clandestin, Vincent Gerber interroge les puissances politiques de la science-fiction. À l’heure du culte du pragmatisme et du réalisme, de la disqualification permanente des joyeuses divagations, la science-fiction et ses imaginaires pourraient bien s’inviter aux débats politiques. Réfléchir demain, anticiper les catastrophes qui viennent mais aussi percer l’avenir en projetant quelques mondes désirables sont sans doute quelques-uns des défis de la S.F. Dans de sombres temps, l’imagination en mouvement est une nécessité politique : elle utopie le ici et le maintenant et donne des raisons de croire au monde et d’y croire malgré tout.
30.09.2024 à 20:00
lundimatin
Si guerre et force virile sont fréquemment associées, souvent à raison, il existe cependant un angle mort qui tient presque du tabou, celui de la puissance de la féminité combattante. Dans “Combattantes, quand les femmes font la guerre”, la sociologue Camille Boutron récapitule 10 années de recherches et de terrains. Des prisons péruviennes pour prisonnières du Sentier Lumineux aux camps des guérillas FARC, jusqu’au hauts rangs des armées françaises, elle est allée à la rencontre de cette subjectivité duale qui consiste à être femme et combattante dans un monde très masculin.
Même si tout oppose idéologiquement une militaire occidentale à une guérillera latino-américaine ou à une militante de l’Etat islamique, elles partagent cependant un même intérêt à faire reconnaître leur trajectoire comme étant éminemment politique. Toutes inscrivent leur engagement, humaniste ou brutal, révolutionnaire ou réactionnaire, dans un domaine que l’on voudrait leur faire croire réserver aux hommes.
« La guerre, j’en suis persuadée, commence chez soi, en soi. Elle vient de ces conflits familiaux insolubles et destructeurs, des non-dits qui font hurler lors des repas de famille, elle bouillonne chez ces petites filles qui, comme ma grand-mère, ont vécu le pire sans jamais pouvoir en parler. L’inceste, le viol, l’emprise sont autant de déclarations de guerre faites aux femmes (et de façon générale à l’ensemble des personnes vulnérables) dans le cercle intime et discret de la famille. L’état du monde est un reflet de ces violences, encore insuffisamment abordées dans leur dimension structurelle et politique. Parce que l’on considère avant tout les femmes comme des victimes – comme si cela était un statut en soi. Or être victime ne veut pas dire que l’on ne peut plus agir. On peut en outre être victime et bourreau à la fois, que l’on soit un homme ou une femme. »24.09.2024 à 15:00
lundimatin
Tchekhov plutôt que Lénine. Voilà ce que nous propose gaiement Jacques Rancière dans Au loin la liberté (éditions La Fabrique), de la même façon que Joseph Jacotot répandait, dans Le maître ignorant, la bonne nouvelle de l’égalité des intelligences. Dans ce nouvel ouvrage cependant, il n’est pas question d’égalité, mais de liberté ; et il n’est pas question des rêves d’un philosophe, mais de ceux que met en scène un écrivain russe qui peut-être n’évoquera de prime abord pas grand-chose (sauf de s’être vaguement, une fois ou deux, ennuyé.e devant La Mouette).
Les nouvelles de Tchekhov offrent pourtant matière à parler d’émancipation, de révolution, de communisme : ce que fait Rancière une nouvelle fois, infatigable. Il serait faux néanmoins de considérer ces récits comme une simple « matière » ; en réalité, c’est comme si un dialogue se tissait entre l’auteur de la Nuit des prolétaires, et celui du Récit d’un inconnu, un dialogue se déployant à partir du « sentiment d’une ouverture indécise du temps ». Ce temps est avant tout celui de la servitude, celui de l’ordre de la police et des vies brisées où tant bien que mal, dans un horizon aux contours un peu flous, se dessinent des brèches. On a donc lu et parlé sur la servitude et de liberté, sur la puissance de consolation qui sommeille dans l’ordinaire des petites histoires issues de la mélancolie « ironique et rieuse » de Tchekhov. Est-ce que la consolation mène à l’inaction ? « Changer les manières de sentir », à quoi ça sert ? On a peut-être eu l’impression d’entendre une adresse amicale aux révolutionnaires : vous, qui vous demandez « que faire ? » : ne devenez pas Trotskystes, ne figez pas sociologiquement la servitude, croyez toujours que les pas de côté sont possibles, sachez admirer les banales émancipations qui à coup sûr mènent ailleurs et par-delà, au sens radical du terme. La liberté est loin, mais comme les vies enfin délivrées de ce qui les mutile, elle est au loin.
16.09.2024 à 20:00
lundimatin
Et si nous n’avions rien compris au conte du Petit Chaperon rouge ? Et si le bon sens et la morale populaire transmis par Perrault et les frères Grimm n’étaient pas d’avertir des dangers de la forêt et des prédateurs inconnus mais de se méfier de ce qui se cache derrière la bobinette et sous le bonnet de grand-mères un peu trop aimantes et poilues ? C’est l’hypothèse défendue par Lucile Novat dans le formidable De grandes dents, enquête sur un petit malentendu qui vient de paraître aux éditions Zones. La démonstration est implacable, le style impeccable et drôle mais ce qui rend ce livre décisif, c’est ce qu’il dit de nous, de nos aveuglements, de nos dénis et de nos tabous. Ce que l’on comprend à sa lecture, ce n’est pas seulement ce que nous ne voyons pas ou ne voulons pas voir mais pourquoi l’on s’arrange si bien d’une telle cécité. Si Claude Lévi-Strauss voyait dans l’interdit de l’inceste le passage de la nature à la culture, soit le signe de notre civilisation, Lucile Novat s’attache à démontrer que c’est l’interdit de parler de l’inceste qui scelle une certaine solidarité. Comme si ce que contient l’enfance de vérité et de puissance devait à tout prix rester tu. En novembre 2023, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) rend un rapport accablant dans lequel elle dénombre 129 600 cas d’agressions incestueuses chaque année. Si pour l’heure, aucune suite n’a été donnée à ces conclusions, le programme gouvernemental pour redresser la jeunesse a continué de se diffuser : en avril 2024 Gabriel Attal annonce que « la République contre-attaque » face à « l’addiction à la violence » des adolescents. Emmanuel Macron lui emboîte le pas et dénonce le « surgissement de l’ultra-violence dans le quotidien, chez des citoyens de plus en plus jeunes » et en appelle à « un retour de l’autorité à chaque niveau, et d’abord dans la famille. » Ce que l’on comprend en lisant cet essai de Lucile Novat, c’est que l’inceste et son tabou ne sont qu’un dommage collatéral et massif dans une société qui a toutes les raisons de se méfier d’une enfance pas encore tout à fait fondue dans le mensonge civilisé.
09.09.2024 à 20:00
lundimatin
Toute notre vie, nous la passons entre le lion, le chameau et l’enfant : la rébellion, le devoir et la création. Voilà que Bertrand Ogilvie décorrèle l’enfance de l’enfant : l’enfance est l’ensemble des « virtualités faibles » à laquelle tout un chacun doit pouvoir revenir pour se débarrasser du lion comme du chameau. Pour cette rentrée des classes, on se questionne avec lui sur le lien entre l’école et l’enfance et sur la façon dont l’école française, « institution structurellement perverse » produit tout le contraire de ce qu’elle prétend. Si pour certains c’est une évidence, pour d’autres cela serait peut-être un paradoxe : à l’École, on n’apprend rien. Mais quel est ce « rien », alors, que l’on apprend ? Lieu proclamé de transmission des savoirs, elle est aussi celui de l’évaluation, de l’apprentissage de l’échec et de l’apprentissage d’une place sociale. La question qui se pose alors est celle de savoir comment il est possible de ressaisir et de laisser place au désir de savoir comme condition de possibilité d’un apprentissage joyeux — et cela, nous dit Ogilvie, n’exige pas autre chose, pour celles et ceux qui transmettent le savoir que de « désobéir, quotidiennement, sans cesse, discrètement, obstinément, avec désinvolture » — de saboter l’école
02.09.2024 à 20:00
lundimatin
À qui (quoi) sert l’homophobie ? L’état, premier acteur de l’oppression homosexuelle - et ce dès l’invention de l’homosexualité au XIXe siècle- serait devenu, en quelques décennies, le garant de la sécurité des homos... Mickaël Tempête, pd, auteur et éditeur nous propose dans son premier ouvrage d’explorer l’histoire de l’homophobie, concept phare des nouvelles frontières de l’identité gay dont la lutte institutionnelle en serait un des principaux ciments. Comment s’est d’abord construite l’homophobie d’État ? A-t-elle réellement disparue ? Ou bien s’est elle seulement transformée ? La gaie panique propose une analyse historico-politique de la paranoïa et des angoisses qui ont toujours entouré la question homosexuelle masculine jusqu’à son instrumentalisation par les sociétés libérales comme affirmation de leur pseudo supériorité civilisationnelle... On parle, dans ce lundisoir, d’enjeux sécuritaires, de contrôle des désirs, de fléau social et d’espoirs d’émancipation...
15.07.2024 à 19:00
lundimatin
Qu’est ce qui relie des révoltes de Kabylie à la moitié du 19ème siècle à la Semaine Sanglante de Paris puis au bagne d’une terre perdue dans le Pacifique? Ou plus récemment, comment des corps et des idées souvent antagonistes parviennent ils à déployer des dispositifs, des doctrines et des résistances de la Casbah d’Alger aux banlieues du coeur de la métropole en passant par les forêts kanakes? C’est ce à quoi nous tentons de répondre avec Léopold Lambert, architecte de formation et rédacteur en chef de The Funambulist, qui s’attache à étudier la question des mobilités géographiques et de l’aménagement du territoire, jusque dans ses constructions les plus récentes.
08.07.2024 à 19:00
lundimatin
Ce lundisoir est un peu spécial. Lundimatin accueille des cinéastes pour parler de cinéma. Cela faisait un moment que Nicolas Klotz & Élisabeth Perceval (Réalisateur•ices), Marie José Mondzain (Philosophe), Saad Chakali & Alexia Roux (Des Nouvelles du Front cinématographique) nous proposaient d’intervenir, régulièrement, dans une émission à plusieurs épisodes, invitant leurs potes cinéastes, critiques, amateur•ices de bons films, pour essayer de déployer ce qu’il reste de cet art, ce qu’il a ou non d’éthique et de politique, dans son espace particulier que l’on croit désormais liminal. Cette série, ils et elles l’ont baptisé, avec un clin d’œil, « Lundi bonsoir cinéma ». Cet épisode 0, expérimental, improvisé, free style, part de la question de base – Que peut le cinéma en 2024 ? Quelle est la puissance du cinéma pour défaire les brutes ? On y découvre que derrière l’industrie du Superhéros se cache le Klu Klux Klan ; que le cinéma anti-nazi a quelque chose de nazi dans sa forme ; que la durée est ce qui permet de sculpter l’éthique de l’image ; que Guy Debord prophétisait l’avènement de Bolloré ou que le cinéma d’hier avait un peu de vergogne.
06.07.2024 à 13:00
lundimatin
On entend souvent « à gauche » cette petite musique condescendante à propos des électeurs du Rassemblement National. Ils seraient « fachés mais pas fachos », simplement trompés par la communication dédiabolisée du parti d'extrême droite. Il s'agirait donc de leur apporter la lumière, de leur prouver que derrière les beaux discours populistes se cache du racisme crasse, leur démontrer qu'ils se trompent quand ils votent et comprennent mal leurs intérêts de classe. Le sociologue Félicien Faury a mené une enquête au long cours sur ces électeurs dans le Sud-Est de la France et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il complexifie et radicalise ces analyses de plateaux télés : on ne vote pas RN par méprise ou manque d'éducation mais pour défendre un ordre du monde, racial et dominant. (Pour une présentation plus étoffée de cet entretien, rdv sur lundimatin)
05.07.2024 à 10:00
lundimatin
Si nous devons repenser le fascisme -ses fondements, son histoire et ses mutations-, se repose symétriquement la question de l’antifascisme. C’est une histoire qu’il nous faut sans nul doute redécouvrir et partager, au cœur de celle-ci, il y a bien évidemment la guerre civile espagnole, soit l’émergence et la lutte d’un mouvement ouvrier révolutionnaire et autogestionnaire contre le coup d’état fasciste de Franco en 1936. Pour ce lundisoir, nous avons invité l’historien Pierre Salmon qui vient de publier Un antifascisme de combat - Armer l’Espagne révolutionnaire – 1936-1939 (éditions du Détour). Si son livre s’attaque d’abord à un pan méconnu de la guerre d’Espagne, soit la manière dont les forces révolutionnaires sont parvenues à s’armer et à combattre en s’appuyant sur un réseau international de contrebande et de résistance, il nous permet de nous replonger dans cette période et d’aller y rechercher quelques résonances avec notre actualité. Quels enseignements garder d’aussi courageux et glorieux ancêtres ? Le plus décisif, peut-être : que l’antifascisme ne peut jamais se contenter d’être « anti » et se doit de toujours porter en lui les solidarités à chérir et les mondes à construire. Il n’y a pas l’antifascisme puis la révolution mais toujours l’antifascisme et la révolution.
02.07.2024 à 09:00
lundimatin
Nous avions reçu Wu Ming I pour Q comme qomplot. Nous recevons Wu Ming II pour OVNI 78. En apparence, pourquoi irions nous nous perdre dans ces histoires d’OVNI ? Ces ufologues de tous les camps politiques cherchant à percer le mystère de la multiplication des objets volant non identifiables dans le contexte historique du rapt d’Aldo Moro (Ancien président du conseil des ministres en Italie) ? À quoi bon nous demander si les extraterrestres sont plutôt communistes ou capitalistes, ou encore toute autre chose, de furtif, d’indiscernable, de non-identifiable ? Parce qu’en nous penchant sur les métaphores et les signes de la culture, nous décryptons le hiéroglyphe du temps présent, le sens des ruptures en cours, l’accélération de la fascisation italienne et française des années 2020, tout cela en réarticulant l’histoire passée à l’action présente. Attention, un OVNI peut en cacher un autre.
28.06.2024 à 09:00
lundimatin
Eugénie Mérieau, juriste, politiste, constitutionnaliste, enseignante à l’université de Paris 1, a récemment publié deux ouvrages : La dictature, une antithèse à la démocratie ? et Géopolitique de l’état d’urgence. Sous couvert de petits livres sur le droit et les régimes politiques - sujet qui généralement nous échappent par leur formalisme et leur rigorisme tout abstrait -, ce sont peut-être les textes les plus denses, diaphanes et radicaux, les plus heureusement et puissamment critiques de la « tradition libérale-impériale » qu’on ait pu lire depuis bien longtemps. Dans cet entretien, non seulement la démocratie libérale représentative ne nous apparaît plus comme l’antithèse de la dictature mais comme l’une de ses modalités possibles ; mais la dictature même, par l’étude comparative des régimes politiques, se voit revêtue de toutes les propriétés que valorise en réalité le néo-libéralisme économique et ses critères de sanctification.
20.06.2024 à 16:00
lundimatin
À lire le livre de Marylou Magal & Nicolas Massol, on a le sentiment d’assister à ces chasses nocturnes, ou autres danses macabres, ces bandes de mort-vivants débrayés que l’on disait surgir parfois quand il sonnait minuit à l’horloge de l’histoire. Bref : on entre dans une cave où défilent les principaux portraits des cadres politiques de la droite extrême - cinquante nuances de fafs. Or, du point de vue de sa jeunesse, les différences ne sont pas de nature, mais de degré. Comme dit fièrement Sarah Knafo : « on est tous pareils : tous. » Des souverainistes aux nationaux révolutionnaires (fascistes) en passant par les identitaires, le livre de Magal et Massol porte sur la grande dynamique de décloisonnement des familles de la droite, qui de la Manif pour tous aux dernières législatives, à travers sa jeunesse, s’est convertie à la logique identitaire et civilisationnelle. Dans cet entretien, on traverse la vie banale et ridicule d’un Bardella fils à papa, qui roule en smart parce qu’il a peur du métro, on croise l’existence opportuniste d’une Sarah Knafo fan d’Henri Guaino, et on pose la question de la bollorosphère et de ses trois cartes maîtresses : le lepénisme émancipé de son discours social ; le zemmourisme radicalisé à valeur de Gollum ; et Hanouna, potentiel Trump futur à la française, dernière option des droites extrêmes pour trouver un appui spectaculaire dans le peuple réduit à l’audimat.
20.06.2024 à 08:00
lundimatin
Michalis Lianos est chercheur et sociologue. Il a beaucoup travaillé sur le contrôle social et la manière dont la peur et la « sécurité » façonnent nos représentations politiques et sociales, c’est-à-dire le monde. Au fil du mouvement des Gilets jaunes, il a publié dans lundimatin ce que nous considérons être la meilleure analyse sociologique du mouvement en cours, auquel il participait. Mais en 2022, M. Lianos nous transmettait un nouvel article, brillant encore mais un peu déprimant : Le tétralemme révolutionnaire et la tentation autoritaire. Pour le résumer vite et mal, l’écrasement et la répression du mouvement des Gilets jaunes poussaient à un repli dans les affects communautaires, réactionnaires... fascistes ? Le 9 juin dernier, une fois les résultats de l’élection européenne connues, Michalis Lianos nous a envoyé un SMS laconique : « comme prévu ». En réponse, nous lui avons proposé cet entretien.
18.06.2024 à 11:00
lundimatin
Où se cache « le pouvoir » ? On a pu dire qu’il résidait entre les mains de quelques grands hommes, puis convenir qu’il se diffusait à travers l’économie, on l’a vu traverser les corps et prendre la forme de dispositifs de contrôle, a aussi dit qu’il était désormais dans les infrastructures et qu’il prenait une forme cybernétique. Nelo Magalhães est allé le dénicher dans sa forme la plus homogène et solide, dans la manière dont il a recouvert la planète, imposé ses lignes et constitué l’essentiel de notre environnement humain, trop humain : le béton. Son livre, Accumuler du béton, tracer des routes - Une histoire environnementale des grandes infrastructures (La Fabrique) s’ouvre sur une drôle d’histoire, extraite d’un livre passé inaperçu, la bétonite.Le béton est atteint d’un virus qui l’amène à s’effriter, le virus s’étend à chaque centimètre cube du fameux matériaux et c’est la totalité de l’édifice social qui s’effondre et la vie entière qui doit se donner de nouveaux repères.
18.06.2024 à 11:00
lundimatin
Dans leur livre L’illusion du bloc bourgeois,Stefano Palombarini et Bruno Amable citent L’Art de la guerre de Machiavel :« Celui-là est rarement vaincu, qui sait mesurer ses forces et celles de l’ennemi. » À partir de cette prise de position « néoréaliste », essayons de mesurer la dynamique et l’histoire des forces de l’ennemi en dissipant les nuages du chaos apparent. Bruno Latour avait pour axiome : il n’y a pas de rapport de force, il n’y a que des rapports de faiblesse. Cela s’applique bien à une situation actuelle, qui dès 2017 était présentée comme une crise : « la France traverse la phase la plus aiguë d’une crise politique ouverte depuis plus de trente ans. Krisis, en grec, signifie « jugement », « décision » ; au risque de prêter à confusion, on pourrait écrire que si la crise dure depuis si longtemps, c’est que la France n’arrive pas à fixer la direction qu’elle veut prendre » Or cette crise semble, désormais, se réduire et se résumer dans la « décision » devenue presque arbitraire du président Macron. Elle semble atteindre une forme paroxystique. Voire extatique. Les stratagèmes électoraux du macronisme, devenus inopérants, font place à ce qu’il reste lorsque la stratégie semble morte : le pur pari – l’action votive – le coup de poker. C’est là, peut-être, la pointe la plus extrême du rapport de faiblesse. Car ce qui est en jeu dans cette dissolution, c’est bien tout le paradoxe d’une victoire par deux fois d’un président dont le soutien est une base sociale minuscule, obligé d’essayer de se rallier non seulement le « bloc bourgeois », ni de droite ni de gauche, mais, à terme, le « bloc identitaire » - seul bloc « populaire » encore compatible avec le libéralisme autoritaire. En bref : il y a, depuis 40 ans, une vaste crise d’hégémonie et de dominance sociale et donc, en conséquence, une multiplication violente des rapports de faiblesse. Où va le bloc bourgeois ? En quoi le 9 juin est le signe de sa fin ou de sa recomposition identitaire ? Nous essayons d’aborder ces questions ce soir avec Stefano Palombarini.
02.06.2024 à 21:00
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On dit assez facilement que nos révoltes sont archaïques, dépassées, inadaptées au degré actuel de développement du front de modernisation, que se soulever - sur le mode de l'émeute, de l'insurrection - est chose du passé, d'un autre temps, révolu. Ne sommes nous pas primitifs, rustres, barbares lorsqu'on occupe ronds-points, universités, coins de rue ou place de village ? La politique, après tout, c'est tout ce que vous voulez mais pas "l'ensauvagement", la "décivilisation", l'arriération et le retard dans le développement mature de notre perpétuelle enfance. Des Gilets Jaunes aux Croquants et aux Pieds Nus, des émeutes de quartier aux révoltes contre la Gabelle et aux soulèvements frumentaires, des formes de subjectivité politique qui s'affirment dans la révolution iranienne en passant par la commune indienne et russe (le Mir), Frédéric Rambeau opère une critique de la disqualification de "l'archaïsme" en attaquant deux fronts : 1) le vieux marxisme orthodoxe aveugle aux nuances politiques et asynchrones de Marx lui-même ; 2) l'assimilation de l'archaïque à la réaction. Comment se réapproprier l'archaïque, sans suspendre son ambigüité, quelles sont les bonnes raisons de "retourner le stigmate", de voir dans l'archaïsme, non plus une réaction au présent contre la ligne du temps, mais le principe (arkhè) d'un temps autre, d'un "contre-temps", celui de la Commune. C'est en portant son attention non pas à la place d'une émeute par rapport à son avant et son après, soit son sens dans l'ordre linéaire du temps, mais relativement à elle-même, dans son immanence même, que Rambeau nous permet de saisir en quoi l'émeute est porteuse, plus que d'une réaction et d'une résistance, des fermentations de l'idée révolutionnaire. Si Tiqqun pose l'image d'un communisme sans cesse différé par les dispositifs qui en refoulent la présence ; Rambeau active un originaire paradoxal, un principe d'ancienne nouveauté, une substance émeutière toujours contemporaine aux appareils de répression d'État - au point d'en être, selon Foucault, la véritable origine : l'origine de l'État même, c'est la résistance.
19.05.2024 à 21:00
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Ce lundisoir, on parle du dernier livre de Mark Fisher, Par delà-étrange et familier, dont la traduction vient de paraître aux éditions Sans Soleil. Sans Mark Fisher mais avec lui en esprit, accompagné de Lovecraft, David Lynch, Philipp K. Dick, Vincent Chanson, Guillaume Heuguet, Clémence Agnez et Julian Guazzini, on se demande comment l’imagination peut transformer le réel en y échappant, comment la critique culturelle peut être politique aujourd’hui, et ce qui fait que la science-fiction, le fantastique suscitent un engouement intellectuel ces dernières décennies. C’est aussi l’occasion d’échanger sur les potentialités émancipatrices de la fiction, les pièges et ressources de la nostalgie, le refus de toute clôture dans l’interprétation.
14.05.2024 à 19:00
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Comment agir à la hauteur du désastre écologique ? Où trouver les forces pour tirer le frein d’arrêt d’une civilisation qui œuvre à sa propre destruction ? Comment se donner les moyens d’une bifurcation hors du monde de l’économie ? Certains s’accrochent à capitaliser les petits gestes ou essaient de croire à une transition écologique gouvernementale, d’autres s’enterrent dans le cynisme ou s’abandonnent à la désolation. Depuis trois ans, les Soulèvements de la terre proposent une autre hypothèse : s’organiser pour déployer un mouvement d’action directe de masse, trouver les complicités et forger les alliances qui permettent de penser et d’agir.
Premières secousses (La Fabrique) est un livre important et qui fera date dans la pensée politique, écologiste, stratégique et révolutionnaire. Il s’agit moins d’un bilan des campagnes écoulées ou d’un programme que d’un rapport d’étape et une tentative de clarification tactique et stratégique. Paradoxalement, sa richesse et son audace, tiennent moins des propositions qu’il contient : désarmer, démanteler, reprendre les terres ; que de l’humilité avec laquelle les tensions, les contradictions et les obstacles rencontrés et à venir sont patiemment dépliés et offerts à la discussion. Trois participants aux Soulèvements sont venus en discuter pour ce lundisoir. La discussion a été longue pour ce format particulier qui ne se partage que derrière un écran mais elle a certainement était trop courte pour que nous puissions aborder et approfondir les points les plus importants et à débattre du livre. Un premier entretien pour de premières secousses.
06.05.2024 à 19:00
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On parle de littérature ce lundisoir avec Phœbe Hadjimarkos Clarke à propos de son dernier roman, Aliène (éditions du sous-sol, 2024). Éborgnée par un tir de LBD, Fauvel part s’occuper d’un chien cloné dans une campagne française isolée où se passent toutes sortes d’éléments bizarres, à la limite du cauchemar. Acclamé par la critique, qualifié d’ « ovni littéraire », Aliène, à tous égards, est un roman bizarre — au sens de Mark Fisher où « le bizarre est ce qui n’est pas à sa place. […] La forme peut-être la plus appropriée au bizarre est le montage — la conjonction de deux choses ou plus qui n’ont rien à faire ensemble. »
C’est un roman précisément où les voix et les univers se mélangent ; où la peur et le cauchemar naissent d’une impression d’inquiétante étrangeté renforcée par ce fait que tous les éléments étranges et fantastiques arrivent à des personnages tout à la fois impuissants et banals : le fantastique fait partie du décor, mais il n’est la source d’aucun pouvoir, d’aucune puissance. Il est un élément d’un montage qui fonctionne comme un dispositif révélant sous une lumière de film d’horreur ce que notre époque fait à l’intime, au désir, au corps. C’est les effets de ce décalage que nous avons tenté d’explorer avec Phœbe pour interroger les potentialités d’émancipation dont la fiction peut être porteuse — et a fortiori lorsqu’elle met en scène des personnages paradoxalement immobiles qui semblent ne rien faire d’autre que subir la réalité. Suite à l’entretien, revenant sur ces questions qui se refusent évidemment à toute réponse certaine et définitive, Phœbe nous a écrit : « La littérature ne se doit pas d’être exemplaire, justement parce qu’elle n’est pas de la théorie politique. Donc le fait que les personnages soient faillibles et nuls c’est aussi une manière de réfléchir à l’époque qui n’est pas forcément inspirante, certes, mais importante parce que la déception politiques et les traumatismes liés à la répression nous façonnent et façonnent nos vies. »
29.04.2024 à 19:00
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À rebours des aventuriers pompeux arpentant de supposés déserts naturels, mais aussi du monde ultra quadrillé de la Big Carto, que nous racontent nos imaginaires du bout du monde et du nulle part ? Les Pétaouchnoks sur lesquels enquête Ricardo Ciavolella sont des vrais lieux, mais flous. Des lieux au nom expressif sur lesquels s’est collé tout un imaginaire de l’ailleurs indéterminé, des noms qui désignent un bout du monde qui riment souvent avec fin du monde. Si ces fins du monde et milieu du nulle part sont souvent méprisés, s’ils portent la marque du regard colonial ou des différentes dominations spatiales qui les ont érigés en repoussoir, approcher leur réalité permet de décentrer notre regard et d’éclairer par l’envers, le petit enfer métropolitain. Et puisqu’il reste tant de cartes à tracer : Pétaouchnoks de tous les pays, unissez-vous !
15.04.2024 à 19:00
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Norman Ajari est venu nous présenter son Manifeste afro-décolonial, paru il y a quelques jours. Œuvre dont le sous-titre, Le rêve oublié de la politique radicale noir, annonce quelque chose comme un projet politique de refondation. Il y a un déjà-là de l’autonomie noire, qu’il s’agirait de ranimer. Quelle forme a-t-elle pris, quel visage nouveau pourrait-elle se donner ?En 2019, le philosophe annonçait dans l’introduction de La dignité ou la mort. Ethique et politique de la race : « Ce livre fait l’hypothèse qu’il existe – transcendant le partage entre les Afriques et leurs diasporas – une condition noire et une histoire noire essentiellement modernes, définies par une surexposition structurelle à la violence sociale et politique, et par une constante invention contrainte de stratégies de survie. » Dans le Manifeste, il s’agit de « poser les bases d’une nouvelle idéologie panafricaine, sociale et révolutionnaire », destinée à fédérer ces « stratégies de survie » – pour les changer en une politique de l’autonomie noire qui serait à même d’en finir avec l’esclavage, la colonisation, la ségrégation raciale, ces passés qui ne passent pas.
D’abord, il faut poser un diagnostic à propos de cette violence négrophobe, analysée à partir de trois concepts : aliénation, expropriation, génocide. Puis il faut critiquer les options politiques antiracistes les plus en vue actuellement, qui nourrissent une forme de « libéralisme identitaire ». Et il reste enfin à annoncer les perspectives concrètes d’une politique d’autonomie noire. Celle-ci pourrait-elle véritablement prendre la forme d’un « Etat fédéral panafricain et communiste » ? Le concept de souveraineté peut-il encore connaître un horizon révolutionnaire ? Les politiques de l’identité méritent-elles d’être taxées de libéralisme ? Voilà les questions que nous soumettent la politique radicale noire.
01.04.2024 à 19:00
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L’ouvrage Pas de Transition sans transe. Essai d’écologie politique des savoirs de Jean-Louis Tornatore est une contribution majeure pour affronter les violences de la modernité, qui même dans son déclin, nous laisse en héritage un monde fondé sur des représentations qui ont asséché l’expérience de la communauté.Avec ses traversées dans les corpus de l’anthropologie et de la philosophie, mais aussi du théâtre, il nous invite à renouveler une pensée décoloniale. Or celle-ci ne se laisse pas réduire pas à la convocation d’identités mais se situe résolument dans un pluralisme ontologique qui ouvre des perspectives vers une multiplicité de mondes. Partir de la transe c’est alors convoquer la différence comme raison ultime de tout travail d’enquête. Ou des manières de multiplier les autres en nous. C’est à cette condition qu’il nous sera possible de pluraliser le temps à venir. Et ceci ne peut pas être dissocié d’un passé qu’il nous faut rendre multiple à son tour. C’est en cela que la question des résurgences est au cœur de ce livre. Jean-Louis Tornatore nous propose de reconsidérer les fabriques des savoirs en prenant le risque de passages entre des mondes pour sortir de la monoculture du temps linéaire avec ses catastrophes annoncées.
25.03.2024 à 15:00
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Après avoir travaillé sur les armes et la militarisation de la police dans L’arme à l’oeil et Nous sommes en guerre , Pierre Douillard-Lefevre revient avec un nouveau livre : Dissoudre (Grevis). Il y est évidemment question de cette pratique policière et administrative remise à la mode par le gouvernement : la dissolution des associations et groupements de fait jugés subversifs ou contraire au bonnes mœurs républicaines. Mais pas que... Pierre Douillard-Lefèvre tisse un lien entre ces pratiques répressives ouvertement extra-judiciaires et le projet politique plus global qui vise à atomiser et neutraliser tous les corps collectifs qui pourraient échapper au contrôle et à l’économie. Un lundisoir qui sera exceptionnellement diffusé... mardi soir. En attendant, les bonnes feuilles sont accessibles sur lundimatin par ici.
18.03.2024 à 19:00
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Ce lundisoir, nous essayons de déterminer ce que l’on nous vole. À partir du texte ultra-connu de Proudhon Qu’est-ce que la propriété ? Catherine Malabou nous découvre en quoi nos héritages ne sont précédés d’aucun testaments. En quoi la propriété, c’est le vol. Mais le vol d’abord de la mémoire du fait que nous sommes restés, pour la plupart, des serfs, des aubains, des esclaves.Pour cela, il faut partir ou repartir de Proudhon :
« La propriété est le droit d’aubaine : cet axiome sera pour nous comme le nom de la bête de l’Apocalypse, nom dans lequel est enfermé tout le mystère de cette bête. On sait que celui qui pénétrerait le mystère de ce nom obtiendrait l’intelligence de toute la prophétie, et vaincrait la bête. Eh bien ! Ce sera par l’interprétation approfondie de notre axiome que nous tuerons le sphinx de la propriété. Partant de ce fait si éminemment caractéristique, le droit d’aubaine, nous allons suivre dans ses replis le vieux serpent, nous compterons les entortillements homicides de cet épouvantable ténia, dont la tête, avec les mille suçoirs s’est toujours dérobée au glaive de ses plus ardents ennemis, leur abandonnant d’immenses tronçons de son cadavre. » (Proudhon)La Révolution a-t-elle vraiment eu lieu ? La féodalité a-t-elle été, d’un seul coup d’un seul, abolie ? N’y a-t-il pas eu, pendant des siècles, des rémanences, des permanences, des persistances d’Ancien Régime dans un monde moderne, dans un monde nouveau, qui dissimulait, par le déni et l’oubli, tout ce qu’il avait, en réalité, par cette ruse, par ce stratagème, conservé des servitudes des temps passés. Doit-on dire que : « La Révolution a réinstauré à nouveaux frais tout ce qu’elle avait combattu. » (106) ? Alors que, généralement, l’oubli, l’amnésie historique porte sur les grands changements, les grandes ruptures, le fait que l’histoire varie, n’est pas éternelle, est faite de mutations, le fait que ce qui est n’a pas toujours déjà été ; il nous semble que tu nous dis, Catherine Malabou, l’inverse : ce que nous avons oublié, aujourd’hui, c’est que les choses n’ont pas changé. C’est là le stratagème de l’amnésie des persistances. On va voir avec Catherine Malabou quelles sont ces persistances.
15.03.2024 à 17:00
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Alberto Prunetti, l’auteur d’Odyssée lumpen (Lux éditeur), est originaire de Toscane et plus précisément de Piombino où son père, son babbo, était ouvrier métallurgiste. L’amiante a eu sa peau et Alberto a raconté son histoire dans Amiante (Agone), premier volume d’une trilogie dont Odyssée est le deuxième. Dans le haut-fourneau de Piombino les hommes fabriquaient des rails de 108 mètres d’un seul tenant. Ils en étaient fiers mais cela ne les empêchait pas de se montrer offensifs envers les patrons en appliquant « Les dix commandements ouvriers » transmis de génération en génération. Alberto, boulimique de lecture, a choisi d’aller à l’université. Il lui a fallu pour cela convaincre son babbo, rompre avec la tradition ouvrière. Après ses études, Alberto ne trouve pas de travail en Italie. Alors, comme tant d’autres jeunes Italiens, il part à l’étranger pour en trouver. Il choisit l’Angleterre où l’ombre de Thatcher plane toujours. Du travail, au Royaume-Uni, Alberto en trouve à la pelle : il est tour à tour pizzaiolo, nettoyeur de chiottes, cantinier, ramasseur de framboises. D’un boulot de merde à l’autre, il se fait un tas d’amis tout aussi exploités que lui par le néolibéralisme. Des amis pour la vie. Sans pathos, pas larmoyant pour un penny, mêlant récit d’aventure, comédie, fantastique, critique sociale, Prunetti raconte son odyssée. On se marre, on s’émeut, et c’est fucking bien.
Dans ce lundisoir, Alberto parle de son livre mais aussi de littérature working class et de la lutte des GKN, les ouvriers qui occupent depuis deux ans leur usine menacée de fermeture, et du festival de littérature ouvrière qui s’y tiendra pour la deuxième fois cette année.
11.03.2024 à 19:00
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Un marxiste occidental dit que la philosophie est, en dernière instance, la lutte des classes dans la théorie. Ce même marxiste ajoute que la définition du matérialisme, c’est de « ne pas se raconter d’histoires ». Pacôme Thiellement, lui, nous raconte des histoires (anecdotes des bas-fonds d’internet, de cinéma, de popculture, ou de théologie gnostique), et grâce à elles, porte, pourrait-on dire en pastichant, la lutte des classes, non dans la théorie, mais dans la théoria, θεωρία, c’est-à-dire, en grec, dans le spectacle – dans la sphère spectaculaire. Il porte, avec ses histoires, pourrait-on dire, la lutte des classes dans le spectacle.Or, depuis quelques temps, renouant avec le sens originaire du mot propaganda – « propaganda fide », propagation de la foi –, le camp des bolloréens, les bolloroserviles, les laquais et vassaux de Bolloré mènent une offensive théologico-politique, c’est-à-dire nationale-catholique, grâce à CNews, à travers ce même spectacle. Ce camp est en train de théologiser et de christianiser la sphère spectaculaire et, face à cela, Pacôme mène une contre-offensive plutôt maline, très fine, qui, au lieu de vociférer en anticlérical athée d’arrière-garde contre les chrétiens, vient délicatement diviser la division, confronter le christianisme avec lui-même, réveiller ses courants les plus insurrectionnels, les plus hérétiques et les plus anarchistes – les manichéens, les cathares, les gnostiques, qui s’appelaient entre eux, les Bons Hommes, les Sans Roi – et qui se dressent, dans leurs traditions et leurs pratiques, autant contre l’Église catholique que contre l’Empire romain, autant contre la puissance sacrée que la puissance profane. Contre l’hypothèse catho-capitaliste bolloréenne, contre l’Empire qui n’a jamais pris fin, Pacôme Thiellement propose l’hypothèse des Sans Roi. C’est cette hypothèse que nous allons explorer dans ce lundisoir.
04.03.2024 à 19:00
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Alors que la vocable de la guerre est désormais sur toutes les lèvres gouvernementales, que nous sommes submergés et bouleversés par ses images provenant d’Ukraine ou de Gaza, nous recevons ce lundi Romain Huët, autour de son dernier livre La guerre en tête (PUF). De 2012 à 2023, de la Syrie à l’Ukraine, le chercheur Romain Huët a mené une enquête ethnographique au cœur de ce que l’on appelle communément « la guerre ». Sur les front et à ses abords, il est allé à la rencontre de celles et ceux, hommes et femmes ordinaires, qui du jour au lendemain décident de prendre les armes. Pour appuyer un soulèvement populaire comme au début de la révolution syrienne, pour se défendre de l’anéantissement par le régime là encore en Syrie ou pour repousser une invasion comme dans l’est de l’Ukraine. En s’attachant à la vie quotidienne des combattants et des volontaires, en la racontant depuis le ras du réel, Romain Huët nous parle de la guerre depuis cette dimension toujours négligée : le vécu intime, ses déterminations, ses tiraillements, ses joies et ses écrasements.Nous avions interviewé Romain Huët autour de son premier livre Le Vertige de l’émeute, de la ZAD aux Gilets Jaunes, une enquête passionnante et participative au coeur des évènements émeutiers de ces dernières années. Cette interview est disponible ici. Nous l’avions aussi invité à l’occasion d’un lundisoir pour son second livre : De si violentes fatigues, Les devenirs politiques de l’épuisement quotidien une enquête ethnographique et sociologique au long cours au sein d’une association de prévention contre le suicide. La vidéo est peut être vue là.
26.02.2024 à 19:00
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Faut-il en avoir quelque chose à cirer de Sylvain Tesson et du Printemps de la poésie ? Est-il encore imaginable qu’un poème déclenche une émeute ? Est-ce que l’extrême-droite peut tout écrabouiller par sa simple mais puissante bêtise ? Faut-il casser les phrases et les mots comme on casse des vitrines ? Si vous aussi vous vous posez ces questions, rendez-vous lundi 26 février à 19h dans lundisoir.
19.02.2024 à 19:00
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La littérature peut-elle casser des vitres ou crâmer des voitures de police ? C’est tout ce que lui souhaite Mačko Dràgàn qui vient de publier un « Abrégé de littérature-molotov » aux jeunes édtions Terres de feu. Punk à chat prolétaire, journaliste vagabond, colérique et libertaire, Dràgàn s’immisce dans le grand débat sur « ce que la littérature peut » en partant de ce qu’elle ne devrait pas être : ennuyeuse. Il nous ouvre sur des lectures qui ont creusé le monde, dans ces livres « molotov » qui bouleversent intérieurement, désincarcèrent l’avenir, foutent le feu aux imaginaires. On ne pouvait que l’inviter à en discuter.
18.02.2024 à 15:00
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Imaginons un monde où tout conspirerait à produire du néant. Dans ce monde-là, le front du vivant serait le premier menacé, virtuellement, de mise à mort. Bien sûr, on ne le verrait pas tout de suite. Il s'agirait d'une guerre d'attrition. D'un long long siège. On passerait discrètement, en quarante ans, d'un millions six à quatre cent mille travailleur·es de la terre. Appelons cette drôle de guerre : le grand déclin des géorgiques. Car dans ce drôle de monde, les paysans - cultivant les vivants - deviendraient peu à peu des ouvriers agricoles, puis des employés de l'Agroindustrie, puis, ironie du sort, de drôles d'hybrides, à la fois salariés du capital et fonctionnaires payés par les aides de la PAC. Le capital, avare vorace, substituant à son principe minimal de reproduction de la force de travail, l'aide généreuse venue des impôts de l'Europe, ne se soucierait même plus, au fond, de sa propre reproduction - le parasite se suicidant en suicidant son hôte. Dans ce monde-là, heureusement fort loin du nôtre, la logique de production des vivants qui servent à nous nourrir serait, intimement, réellement, à terme, une logique de destruction des producteurs, des vivants mêmes et de la terre. Heureusement, dans ce monde-là, un petit village, exalté, naïf, bourgeonnant depuis les bourgs vers les labours néo-ruraux, se propose de résister encore et toujours aux abstractions de la valeur Agroindustrielle : le village de la confédération paysanne, de l'Atelier Paysan, et de mille autres micro-tentatives d'inverser le procès par lequel le labour général, la dette, l'exploitation deviennent la guillotine du paysan. Réussira-t-il à inverser le cours des géorgiques ? Nous essayons de le savoir, ce Lundisoir.
12.02.2024 à 19:00
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Nous poursuivons notre série de Lundisoirs sur la fascisation d’atmosphère qui, jour après jour, pulvérise la prétendue évidence du jamais plus. Après le portrait des droites radicales magistralement exécuté par Pablo Stéfanoni et Marc Saint Upéry, l’examen des linéaments de l’hypothèse écofasciste par Pierre Madelin et plusieurs heures de débats publics intitulés Fascisme ou révolution nous accueillons aujourd’hui l’historien Johann Chapoutot. Le problème que nous essayons de suivre avec lui, c’est celui qui pourrait être résumé par la question suivante : les années 30 sont-elles derrières ou devant nous ? Soit : Que faire du sentiment viscéral que nous vivons une « récidive » de l’entre-deux-guerres ? Gérard Granel prophétisait, avant de s’éteindre en 2000 : « Les années 30 sont devant nous. » Cette drôle de familiarité avec les spectres du siècle arrière, qui s’insinue partout au moment même où les archives audiovisuelles de ces années-là se voient désormais colorisées, rafraîchies et rajeunies, au moment même où la fin du noir et blanc abolit l’ancienne distance des temps entre eux et nous, cette familiarité exige que l’on y fasse, analytiquement, retour. Même si, en 2017, Johann Chapoutot disait lui-même que : « la comparaison est permanente sans être pertinente », la permanence même de la question fasciste n’est pas, en elle-même, anodine.
L’approfondissement impertinent de sa permanence nous pose question. Le néo-kantien de la revue Esprit, Michaël Foessel, dans son livre Récidive (2018), disait que le « spectre » de l’année 1938 hantait la France de 2018 : même « société qui, sans rien savoir de ce qui [l’attend], [a] déjà abdiqué sur l’essentiel », même « antiparlementarisme par le haut », même multiplication des décrets-lois ou des 49.3, des lois pénalisant l’entraide (décrets-lois de Daladier du 2 mai 1938 sur « la police des étrangers »), même accoutumance à la xénophonie, même contemption de la LDH, même sentiment général « que la fête est finie ». Et ce n’était qu’en 2018.
Six ans plus tard, en 2024, Macron a bien failli promulguer la préférence ethnoraciste du RN avec sa loi immigration (« Rassemblement national » tire bizarrement sa nouvelle appellation du parti de Marcel Déat, le Rassemblement national populaire de 1941). Début 2024, on apprend qu’en Allemagne, le parti d’extrême droite AfD planifie, en secret, en cas de victoire électorale, les premiers dispositifs de remigration d’une partie des citoyens allemands dits « non-assimilés ». Or, si l’on ne fait pas de l’histoire téléologique, pour les nazis, au départ, il ne s’agissait jamais « que » de cela : faire remigrer les juifs à Madagascar. Comme l’écrit James Q. Whitman : « L’extermination est venue plus tard. Dans la période qui nous intéresse ici, la priorité des nazis était l’émigration forcée. »
Alors on pourrait se dire que 2024, ce n’est rien.
Pourtant, c’est exactement aussi ce que pensaient les contemporains du nazisme : Léon Blum n’écrivait-il pas, en 1932 : « Les nazis sont exclus du pouvoir, ils sont même exclus de l’hypothèse même du pouvoir. » ? Ou encore, 29 jours avant la nomination d’Hitler à la Chancellerie, le 1er Janvier 1933, le quotidien social-démocrate Vorwärts ne saluait-il pas la nouvelle année en titrant : « Ascension et chute de Hitler » ? Jacques Madaule, de la revue Esprit, ne disait-il pas, en 1938, un an avant Vichy : « Un parti fasciste en France, pour le moment nous ne le voyons pas. ». Madaule ne pouvant pas imaginer que le parti fasciste qu’il cherchait autour de lui allait venir de l’intérieur même des organes de l’État, au moment de la défaite et de l’avènement de Pétain ?
Après tout, aujourd’hui, dans une drôle de symét
11.02.2024 à 20:00
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Le 9 Juillet 2022, le monde entier assistait à un spectacle plutôt rare : des dizaines de milliers de manifestants Sri Lankais, agriculteurs, étudiants, jeunes, travailleurs, mettaient en fuite le président Gotabaya Rajapaksa et prenait d’assaut son palais. Parvenus à l’intérieur du bâtiment, soit au cœur symbolique du pouvoir, les occupants décident alors de se réapproprier son luxe et sa démesure en poussant de la fonte dans la salle de sport présidentielle ou en organisant des concours de plongeons dans la piscine personnelle du chef de l’État. Si les images de cette mise en commun spontanée et populaire ont réjoui et amusé la planète entière, nous nous sommes entretenu avec une activiste Sri Lankaise active dans le mouvement afin qu’elle nous raconte les différentes étapes du soulèvement [1].
Au vu de la situation française, nous la mettons en ligne dans la précipitation, c’est-à-dire en anglais.
22.01.2024 à 12:00
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Comment expliquer l'actuel « retour du monde magique » et de quoi est-il l’indice ? Résurgence de temps anciens, de croyances oubliées, lutte contre le désenchantement du monde ? A l’aide une boîte à outils conceptuelle nourrie entre autres d’Ernesto de Martino - à l’œuvre duquel le titre est un hommage -, de la démarche symétrique latourienne, des ontologies plurielles de Philippe Descola, et surtout d’une enquête de terrain de plusieurs années auprès de magnétiseurs et de leur patients, Fanny Charasse montre au contraire comment, loin de faire signe vers une anti-modernité ces pratiques et croyances participent au contraire activement à la modernité elle-même : « la remise en cause contemporaine des fondements de la société industrielle constitue moins un ‘retour en arrière’ qu’un pas supplémentaire dans l’accomplissement du projet moderne. » - en témoignent d’une part le discours que les magnétiseurs eux-mêmes tiennent sur leur propre pratique, mais également l’intégration au sein même des institutions de soin de certaines pratiques magico-traditionnelles. Moins qu’une opposition entre modernité et non-modernité, ce qui se joue là serait alors proprement un conflit de modernités, un conflit entre des manières différentes de faire modernité. Audacieuse hypothèse qui tout à la fois ôte peut-être à ces pratiques le caractère subversif dont elles se parent parfois, et qui exige en même temps de la part de qui en fait un objet de science de suspendre précisément son jugement immédiat quant à ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.
14.01.2024 à 20:00
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En ce début d’année, les mots « politique » et « littérature » semblent accolés sur la couverture de plusieurs ouvrages importants , avec quelques variations, Les liens entre poésie et révolution sont de nouveau l’objet de voeux fervents, la littérature l’objet d’une demande de plus en plus explicite de puissances et de lumières pour soutenir nos aspirations politiques Que dit cet espoir, semble-t-il renouvelé, dans les pouvoirs de la littérature ? Et qu’attend on d’elle au juste ? la littérature qu’on disait engagée, pour dire claire dans ses thèses et ses affiliations a fait long feu. On admet que ce que la littérature a à dire du politique est plus indirect, plus sensible, plus pluriel. Mais les rêves d’action directe des fictions et du jeu qui consiste à laisser l’initiative aux mots n’ont pas pour autant disparu et c’est dans cet écart que se situe toute son exploration. C’est en tout cas ces lieux que nous avons arpenté avec Leslie Kaplan et Nathalie Quintane, autour du recueil Contre la littérature politique et de sa collection de textes auquel elles ont participé. Défaire la fausse évidence des liens entre littérature et politique pour raviver la tension qui les noue, l’électricité qui peut en surgir, c’est vital.
08.01.2024 à 15:00
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L’histoire d’Internet est connue et largement documentée, de la création du réseau par l’armée américaine jusqu’à Tiktok en passant par le minitel et les modems 56K qui font « ding dong ». Ce que propose Félix Tréguer, membre fondateur de La Quadrature du Net et chercheur au CNRS, c’est peut-être tout l’inverse : une Contre-histoire d’internet, du Xve siècle à nos jours (Éditions Agone), soit une archéologie du réseau, de la logique algorithmique et de l’exploitation des métadonnées en tant que dispositifs de pouvoir et de contrôle, incorporés en nous, malgré nous. Une recherche historico-politique à contre-temps ou à contre-jour qui révèle les stratégies de pouvoir et de capture de l’espace public et cherche un chemin pour sortir de cette dichotomie qui nous enferme dès que nous tentons de penser la technique : le fantasme néo-luddite ou la croyance béate en un capitalisme cognitif. Entre une fuite en arrière et un enfoncement virtuel dans le présent, tracer une fuite en avant, comme on échappe à un piège.
26.12.2023 à 21:00
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En ce qui concerne l’écologie, il y a deux camps : les pruneaux et les pastèques. Les écologistes radicaux sont les pastèques : verts dehors, rouges dedans, émaillé de pépins noirs – bon pour la soif, désaltérant. Les écofascistes sont les pruneaux : bleues dehors, tout frippés, vert-brun dedans – mauvais pour l’hydratation, laxatifs. Si la conscience pastèque est en passe de s’hégémoniser ; elle rencontre l’obstacle de la conscience des pruneaux.
La conscience des pruneaux nous est représentée sous les traits d’un personnage de fiction mainstream. Dans la saga des Avengers, il y a un supervilain très puissant, appelé Thanos, qui n’a qu’une ambition : sauver l’univers de son effondrement écologique, en se dotant du pouvoir de faire disparaître instantanément la moitié de sa population. Tout le but de Thanos sera de rassembler les gemmes lui permettant de faire disparaître 50% du monde en un claquement de doigt. Dans la saga, il y parviendra. Les pruneaux fripés, les écofascistes, ne sont rien d’autre que les laquais de Thanos.Ce Lundisoir, nous invitons Pierre Madelin pour son livre La tentation écofasciste, Écologie et extrême droite, paru en 2023 chez Écosociété. C’est le deuxième épisode de notre série ouverte sur le « fascisme qui vient ». Il y a deux mois, nous avions invité Pablo Stefanoni pour son livre La rébellion est-elle passée à droite ? Il y saisissait très finement les mutations des mouvements réactionnaires. Le dernier chapitre de son livre, intitulé Heil pachamama !, repérait l’émergence d’un fascisme vert – différent du fascisme fossile ou carbofascisme. Un écofascisme à l’état naissant faisait se rencontrer ethno-nationalisme et écologie ; soit : une écologie conçue comme la défense d’un biotope contre les migrants – sentant fort les relents du lebensraum. Leur slogan pourrait être : « sauvez les arbres, pas les réfugiés », et, dans notre cas, « sauvez les arbres, pas les arabes ».Pour situer l’ethno-différentialisme chauvin pseudo-écologiste de ces laquais de Thanos, on peut citer deux déclarations absolument délirantes. La première est de Rudolf Bahro, marxiste dissident, passé à l’écologie radicale, prônant un pessimisme fort, au point de fleurter avec la réaction :
« Des profondeurs du peuple s’élève une clameur en faveur de l’avènement d’un Adolf vert. »La seconde est de Pentti Linkola, un écofasciste finlandais, paradoxalement très respecté, mort en 2020, qui recommandait de laisser mourir les migrants en Méditerranée (après tout, dit-il, beaucoup d’oiseaux migrateurs meurent en route), de créer des « goulags verts », d’instaurer la peine de mort pour maltraitance animale et dégradation de la nature, de remplacer la démocratie par une dictature susceptible de ramener l’humanité à des capacités de production et de consommation équivalentes à celles du Moyen Âge. La citation du petit Pentti Linkola est la suivante :
« Lorsque le canot de sauvetage sera plein, ceux qui détestent la vie essaieront d’y faire monter encore plus de passagers au risque de le faire couler. Ceux qui aiment et respectent la vie se saisiront d’une hache sur le pont et trancheront les mains des candidats trop nombreux qui s’agrippent au plat-bord » (Linkola, 2009, p. 130). »Il se trouve qu’à la sortie du film Infinity War en 2018, une tempête de tweets et de mèmes associait Thanos à Pentti Linkola, qui affichaient le slogan « Thanos Was Right ».
18.12.2023 à 11:00
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Pour ce lundisoir, nous accueillons oXni synthèse parfaite entre le rappeur Booba et la chanteuse Barbara. Pas de questions, d'interview ou de surplomb mais un live improvisé dans nos bureaux.
11.12.2023 à 11:00
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Samedi 2 décembre, nous organisions une après-midi et une soirée de discussion sur le thème Fascisme ou révolution (Voir le programme ici). Nous remercions les très nombreuses personnes présentes et nous excusons pour le froid ! Malheureusement, seule la première table ronde a pu être enregistrée, avec un son qui laisse grandement à désirer. Nous la rendons néanmoins accessible pour celles et ceux qui auront le courage de passer outre la qualité audio.
03.12.2023 à 17:00
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Selim Derkaoui vient de publier Rendre les coups. Boxe et lutte des classes aux éditions Le passager clandestin. Dans cette enquête, le journaliste nous emmène à la rencontre de boxeurs et de boxeuses en France pour essayer de comprendre le rapport de classe à la fois complexe et évident qui traverse ce sport, ceux qui le pratiquent, ceux qui se passionnent pour lui devant leur écran. Dans cet entretien, Selim Derkaoui raconte l'expérience charnelle et la douleur de la rencontre entre deux corps, ce que cette pratique dit des rapports de domination et comment les politiques publiques tentent de la récupérer afin de calmer les nerfs et canaliser les rages. Le ring comme lieu d'inscription de classe et de résistances, la boxe comme pratique politique.
26.11.2023 à 17:00
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Pour ce lundisoir, nous avons convié Josep Rafanell i Orra qui vient de publier un excellent petit traité de cosmo anarchie (Divergences). Plutôt que de bavarder, nous lui avons demandé d'éclaircir certains des points clefs du livre : pourquoi nous faut-il tout destituer à commencer par cette drôle d'idée qu'est le sujet ? En quoi une nouvelle idée du communisme s'oppose radicalement à cette autre drôle d'idée : la société ? Comment la fin du monde pourrait aussi receler la resurgissement des mondes ? Que peut-être une fuite de la politique qui ne renonce en rien à la lutte partisane ?
12.11.2023 à 18:00
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Une histoire globale des révolutions vient de paraître, c’est un pavé de 1200 pages, 72 autrices et auteurs, 93 articles. L’ouvrage est impressionnant, peut-être même intimidant, il n’en est pas moins incontournable et fera date. Pour ce lundisoir, nous accueillons Ludivine Bantigny, Eugenia Palieraki, Boris Gobille et Laurent Jeanpierre qui l’ont pensé et coordonné. Ils nous parlent de ce qui les a poussé à produire une telle enquête, de la nécessité d’ordonner les archives révolutionnaires et de la manière dont ce travail nous permet d’éclairer les soulèvements en cours et à venir.On dit que la révolution est exception. Il se trouve qu’elle est plutôt la norme. Le XX° siècle aura été, plus encore que le XIX° siècle, le siècle des révolutions. Et il semble que ce siècle, à l’échelle planétaire, n’a pas fini de s’éterniser. En réalité, il n’y a pas la Révolution. Car une révolution qui veut persévérer dans l’être historique, une révolution qui tient à son devenir, cette révolution dessine et trace une constellation. Constellation dont les astres scintillent de révolutions soeurs.
Avec Une histoire globale des révolutions, Ludivine Bantigny, Quentin Deluermoz, Boris Gobille, Laurent Jeanpierre et Eugénia Palieraki et leurs 67 contributrices et contributeurs, ne ne sont pas contentées d’une rhapsodie ou d’un catalogue géohistoriques des grands soirs mal connus et oubliés. Nous n’avons pas sous les yeux le cabinet des curiosités de la Nature en révolte. Et bien qu’il s’agisse d’une enquête sur les « constellations révolutionnaires », les autrices et auteurs ne sont pas les cosmologues contemplatifs d’un ciel indifférent ; ils et elles sont plus proches, en réalité, de l’astrologue théorico-tactique qui, à l’aide de son érudition, de sa finesse méthodique et de son objectivité, ne nous fournit pas son manuel insurrectionnel fantoche, ni ses mille et une leçons pour une révolution réussie, mais les quelques conditions de rigueur, parfois même négatives, d’une approche effective et éthique de la Révolution.
05.11.2023 à 16:00
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Quid sit hierarchia ? Ce soir nous plongeons dans l'histoire des anges, des astres et de la hiérarchie. On pourrait nous croire à jamais convertis à l’anarcho-spiritualisme . En un sens, c’est peut-être bien vrai. Mais sous l’œil patient de Ghislain Casas, auteur de La dépolitisation du monde (VRIN), l’angélologie médiévale se change en théorie du pouvoir – théorie de la hiérarchie – théorie du pouvoir sacré. Qui croit parler mystique en parlant des anges, parle plutôt d’un pouvoir si pur qu’il se change en lumière. Au moment où les anges abandonnent le cosmos et le mouvement des sphères pour s’affairer au gouvernement des esprits hors les astres, jetant les bases très lointaines de la Modernité, nous découvrons que leur « hiérarchie » fut pour les scolastiques du XIII° siècle – au moins en ce qui concerne le gouvernement des prêtres –, aussi importante politiquement que l’ensemble des arts de gouverner du XVI° et XVII° siècle.
15.10.2023 à 17:00
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Faire tenir ensemble la psychanalyse et le féminisme, la psychanalyse et la politique, Scum Manifesto et Sigmund Freud : tel est le pari de Silvia Lippi et Patrice Maniglier, qui co-signent aux éditions du Seuil Sœurs. Pour une psychanalyse féministe. Un titre aux allures de manifeste, et un ouvrage qui prend acte des critiques adressées à la psychanalyse, mais qui moins que de la détruire vise au contraire à la recommencer — à partir du féminisme, et de l’introduction du concept de sororité dans la clinique psychanalytique. C’est donc tout à la fois une autre psychanalyse et une autre modalité de relation — que #MeToo, sur le divan et dans la rue a participé à faire exister en pleine lumière — qu’il s’agit de penser ici, « une relation qui se tisse entre des femmes en tant que femmes, mais aussi plus généralement une alliance entre personnes qui s’effectue du point de vue de leur position féminine, c’est-à-dire ce à quoi elles sont à la fois incluses et soustraites à la problématique phallique. » Exister et guérir hors du paradigme d’un pouvoir dont finalement personne ne veut, exister et guérir ensemble à partir d’un commun symptôme, « symptôme partagé » sur lequel se construit la relation sororale, c’est l’horizon de cette réflexion qui fait dialoguer psychanalystes et psychotiques pour faire entendre une voix qui n’attend plus qu’on l’autorise à parler. « La femme est traumatique, la femme est politique » : mais comment penser justement le lien entre la femme et la sœur en échappant au piège de l’essentialisation ? Tout le monde peut-il être « sœur », et peut-on être « soeur » sans être traumatisée, et traumatisée sans être victime ? Qu’est-ce, concrètement, qu'une psychanalyse sororale ? On en parle dans lundi soir.
29.09.2023 à 16:00
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Partons d’un constat simple : nous héritons, pour nommer l’ennemi de tout un tas de mots et de concepts : le fascisme, l’extrême-droite, l’autoritarisme, la réaction, etc. Pourtant, à chaque fois que nous les convoquons, nous sentons bien qu’ils ne recouvrent pas tout à fait ce qui se trame ou nous fait face. Lorsque le gouvernement Macron juge opportun d’interdire l’abaya et d’organiser le rejet des migrants dans la méditerranée, assiste-t-on à l’endofascisation du parti de l’économie ? Lorsque des milliardaires de la Silicon Valley investissent dans le transhumanisme pour abolir la démocratie, peut-on parler d’une nouvelle hybridation du conservatisme ? Lorsque de Cyril Hanouna à Papacito, nos écrans diffusent en continue l’affect fun de l’asservissement et de la bêtise, faut-il prendre au sérieux la réaction ? Pour tenter d’y voir plus clair, nous lançons cette nouvelle série de lundisoir et pour entamer cette recherche nous avons invité Pablo Stefanoni & Marc Saint-Upéry pour nous parler d’un livre passionnant : La rébellion est-elle passée à droite ? Une présentation plus détaillée du livre comme de cette série est publiée ici : Des insurrections sans lumières.
24.09.2023 à 18:00
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Déserter, bifurquer, s’évader, autant de mots pour dire le refus de participer à un système mortifère. Si le constat semble sans appel pour un certain nombre d’individus vivant au quotidien le malaise et le clivage que leur situation professionnelle leur impose, l’échappée belle n’est pas toujours si simple. Ces derniers temps, c’est une drôle de classe qui s’est retrouvée en première ligne du front de la désaffiliation : celle des ingénieurs. Qui peut assumer aujourd’hui de faire partie des techniciens de la destruction du monde ? Alors comment partir ? Que faire de compétences si chèrement acquises, et problablement utiles, autrement ? Comment sortir d’une cage que tout le monde considère comme dorée ? Ce lundisoir nous poursuivons avec Olivier Lefebvre une discussion entamée l’an dernier. Ingénieur-déserteur, il vient de publier une Lettre aux ingénieurs qui doutent.
31.08.2023 à 22:00
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Parmi les machines qui hantent nos vies quotidiennes, le tapis roulant est celle qui traverse le plus insidieusement tous les secteurs d’activité : des tapis mobiles sur chaîne d’assemblage aux tapis de caisse de la moindre supérette en passant par ceux dévolus à l’exercice corporel du fitness. Travail posté, rituel consumériste et souci hygiénique de soi : trois postures qui, chacune à sa manière, nous condamnent à l’éternel recommencement d’une marche forcée. Pour cette rentrée et ce lundisoir, nous avons invité Yves Pagès à venir parler de son dernier livre : Les chaînes sans fin, histoire illustrée du tapis roulant.
11.07.2023 à 14:00
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Alors que l’attention médiatique se concentre sur le conflit en Ukraine, ou plus récemment sur l’équipée sauvage de Prigozhin, nous nous intéressons ce lundi à l’appareil d’État russe et à la Russie en générale, trop souvent perçue comme un bloc monolithique sans contradictions internes. Pourtant, la Russie n’est pas toujours le “Far-Est” ou l’État défaillant que l’on veut bien présenter. Avec ses propres caractéristiques structurelles et logiques endémiques, l’État russe semble avoir pleinement embrassé le monde de l’économie, tout en se drapant de valeurs néo-traditionalistes en opposition à un Occident "décadent". Un “capitalisme national périphérique” ou une mafia d’État ? Pour en parler, nous avons reçu Alexander Bikbov, sociologue russe, et Jean-Marc Royer, contributeur régulier de lundimatin, auteurs de nombreux "Carnets de guerre".
15.05.2023 à 20:00
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Pour ce lundisoir, on prend le réel par ses marges. A l’occasion de la parution d’Au bord des mondes, dont nous avons publié un extrait la semaine dernière, Mohamed Amer Meziane est venu nous présenter les propositions qu’il déploie dans ce travail. Prenant pour point de départ l’idée selon laquelle le développement des technosciences et le colonialisme vont de paire avec un désenchantement du monde, et face aux insuffisances des approches du tournant ontologique en anthropologie, le philosophe explore les pistes que pourrait ouvrir une métaphysique qui s’appuie sur l’étude minutieuse des traditions, des mythes, des rêves et des croyances. Si ce qui préside à l’extraction, c’est une ontologie « anti-métaphysique », que peut permettre une anthropologie métaphysique ?
08.05.2023 à 18:00
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Ce lundisoir, nous accueillons le philosophe Jacques Deschamps qui vient nous parler de sa revigorante Éloge de l'émeute tout juste publiée aux éditions Les liens qui libèrent. Il y sera donc question de cette pratique ancestrale et chère à tout bouleversement historique : sortir dans la rue pour s'en prendre aux symboles du pouvoir ; et dans les meilleurs jours parvenir à l'abattre. À mille lieues des arguties de plateaux télé et de leur sociologie de comptoir, Jacques Deschamps voit dans les pratiques émeutières des gestes éminemment politiques depuis lesquels s'entre-ouvre le présent. L'émeute est partout, dans les rues, dans les champs mais aussi dans les têtes. Partout où il s'agit de se retrouver et de résister contre le règne de la bêtise, de la mort et de la tristesse.
24.04.2023 à 19:00
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Qu’est-ce que l’ultra-gauche ? Les moins bien renseignés pensent qu’il s’agit d’un épouvantail régulièrement agité par les ministres de l’Intérieur confrontés à des formes débordantes et autonomes de contestation ; un concept fourre-tout repris à l’emporte-pièce par des journalistes dont la culture historique et politique déborde quant à elle plutôt rarement. Pourtant, l’ultra-gauche n’est pas qu’une opération policière et médiatique sur la langage et les évènements, ou du moins, ne l’a pas toujours été. Afin d’y voir plus clair, Serge Quadruppani vient de publier une fascinante histoire personnelle de le l’ultra-gauche aux éditions Divergences. A travers son expérience personnelle, il retrace une histoire des idées politiques qui ont accompagné les menées révolutionnaires les plus audacieuses du siècle passé : des conseils ouvriers de 1917 jusqu’au mouvement des gilets jaunes en passant par la révolution allemande, mai 68 et ses suites, l’Italie des années 70, etc. C’est de tout cela dont il est venu nous parler, accompagné de quelques complices de longue date.
17.04.2023 à 19:00
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Des gigantesques peintures murales en soutien aux mouvements en cours aux banderoles de têtes noires et blanches, si vous êtes allés dans la rue à Nantes ou à Paris ces huit dernières années, la signature Black Lines n’a pas pu vous échapper. Ce lundi, nous avons invité deux membres du collectif afin de discuter de l’idée qu’ils se font de l’art, de la manière dont ils se sont rencontrés, travaillent et agissent au cœur des mobilisations. Leurs banderoles comme autant de fines pellicules qui viennent matérialiser le point de contact entre dispositif policier et foule insurgée.
06.04.2023 à 10:00
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Chelsea Manning est probablement la « lanceuse d’alerte » la plus connue au monde. Analyste pour l’armée américaine, elle est arrêtée en 2010 pour avoir transmis 750 000 documents classés secret défense à Wikileaks, l’organisation de Julian Assange. Ces révélations quant aux exactions commises par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan feront la Une de tous les journaux mais lui vaudront aussi une condamnation à 35 ans de prison.
Après 7 années de détention dans des conditions d’isolement et de surveillance unanimement assimilés à de la torture, sa peine est commuée par Barack Obama et Chelsea Manning retrouve la liberté. En 2019, un grand jury exige qu’elle témoigne dans une procédure probablement liée à Wikileaks, la lanceuse d’alerte s’y refuse et est à nouveau incarcérée pendant près d’une année. Récemment, elle a publié Readme.txt, ses mémoires dans lesquelles elle revient sur son enfance, son enrôlement dans l’armée américaine, sa décision de faire fuiter les documents insupportables auxquels elle avait accès et l’enfer carcéral qui a suivi. Plutôt que de revenir sur ce passé déjà largement documenté, nous avons proposé à Chelsea Manning de nous parler du présent et de l’avenir, notamment son travail sur l’anonymat et le chiffrement de l’internet avec l’organisation NYM.
27.03.2023 à 19:00
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Garantir le respect des contrats économiques privés, garantir le taux de rendement du capital, défendre les droits des propriétaires : voilà la mission centrale et première de l’État. Pour ce faire, il faut des moyens, des méthodes et des infrastructures. Le sociologue Camille François a travaillé sur prérogative quotidienne et banale des services de l’État : expulser de leur domicile des personnes qui ne payent plus leur loyer.
Il décrypte la chaîne des « petites mains » – employées des bailleurs HLM, juges, employées des préfectures, élus locaux, travailleuses sociales, policiers – qui s’échinent docilement à expulser les locataires de chez eux. Il montre toute la violence symbolique qui se déploie dans un dispositif où des employées de bureau accomplissent un sale boulot au service de l’ordre capitaliste. A mille lieux de l’indignation bon marché qui souhaiterait que la défense farouche de la propriété privée s’accompagne d’un peu d’humanité, le sociologue décrit et décortique les mécanismes et dispositifs, sociaux, institutionnels et même psychologiques qui permettent et maintiennent cette logique infâme, de gré et de force.
13.03.2023 à 19:00
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Ce soir lundimatin accueille Edouard Jourdain pour son livre Le Sauvage et le Politique. Courte synthèse extrêmement serrée des derniers acquis de l’anthropologie anarchiste (Clastres, Salhins, Graeber, Scott), son livre tombe à pic pour notre exploration des rapports entre « philosophie, anthropologie et anarchisme » - depuis que Catherine Malabou est venue nous en démontrer les difficiles articulations. Nous essaierons de comprendre ce qu’est le « sauvage », pourquoi le roi est « un excrément », « un tas d’ordure », comment le sacré est la première forme de constitution, comment la magie se distingue du miracle, et pourquoi Proudhon, mine de rien, c’est quand même pas mal. https://lundi.am/Nouvelles-conjurations-sauvages
06.03.2023 à 19:00
lundimatin
Qu’est-ce-qu’une carte et pourquoi la carte? Parcequ’elle est le support privilégié du pouvoir qui contemple, et se contemple, à travers la spatialisation de sa domination politique, économique et policière sur les formes de vie, la carte est trop souvent l’outil du conquérant, du stratège, et pire encore, du gestionnaire. Mais une autre lecture géographique est possible, à travers la contre-cartographie proposée par le Kollektiv Orangotango+ et de nombreux contributeurs qui publient aux Éditions du commun “Ceci n’est pas un atlas - La cartographie comme outil de luttes”. Pour en parler, nous avons reçu Nepthys Zwer et avons choisi d’incorporer à notre vidéo quelques cartes qui, d’un continent à l’autre, illustrent aussi bien les prédations faites sur l’espace et les personnes, que les récits de ceux qui y résistent.
27.02.2023 à 19:00
lundimatin
Envers et contre elle, Annie Le Brun traverse l'époque. Elle occupe ce point où sensible et politique, littérature et subversion, restent indissociables. L'expérience du surréalisme dont elle témoigne est tout le contraire d'un mythe, le contraire d’un passé. On y entend le vif des rencontres et de le plein des singularités, la puissance du collectif quand il chemine vers l’inconnu. Autant dire que sa manière de soutenir les désirs, de chasser toute tendance à la résignation ou de faire entendre la joie d’être ensemble, nous a beaucoup parlé à lundisoir. On y a parlé d’esthétique critique, de communisme des ténèbres et de ces lignes de crête sur lesquelles il faut se tenir pour rester inaccaparé. Ou encore, pour reprendre un passage des Vases communicants qu’elle nous avait apporté, de ces « réserves monstrueuses de beauté » dans lesquelles puiser pour « se garder de reculer et de subir » .
06.02.2023 à 19:00
lundimatin
Mathieu Yon, après avoir mené une quête existentielle et mystique d’inspiration chrétienne, mais qui l’a aussi bien conduit en Inde, est devenu, à la trentaine, un paysan maraîcher qui cultive de manière autonome un hectare. Il est par ailleurs impliqué dans la vie syndicale du monde paysan, puisqu’il est membre de la Confédération paysanne. Dans un livre intitulé Notre lien quotidien. Le besoin d’une spiritualité de la terre (Nouvelle cité), il raconte son parcours existentiel, évoque son expérience du travail de la terre et esquisse une vision de la société fondée sur le « temps vécu ».
Contre l’arraisonnement de l’agriculture par le grand capital, il milite notamment pour une alliance de la paysannerie et des classes populaires. Et plus singulièrement, plus intimement, il travaille aussi à retrouver le sens de certains mots : « Mon métier est fait d’imprévus et de petits riens, de ces moments qui tendent à disparaître, dans le monde de contrôle incontrôlé que nous avons édifié. Dans mon champ à l’aube, il y avait une gelée blanche sur l’herbe. Je ne l’avais pas anticipée, me fiant aux prévisions météorologiques. J’avais oublié la présence de la rivière en bordure de la parcelle. En voyant mes courges marquées par le gel, je me suis senti comme un écolier qui apprend à lire et bute sur un mot : ’’Rivière’’. Un mot simple, dont j’avais oublié le sens paysan ». Nous avons profité de l’un de ses passages à Paris, dans le cadre de ses activités syndicales, pour nous entretenir avec lui.
30.01.2023 à 19:00
lundimatin
Elon Musk et Jeff Bezos aujourd’hui, Steve Jobs et Bill Gates hier, Thomas Edison et Andrew Carnegie un siècle plus tôt… De nombreuses célébrités entrepreneuriales peuplent nos imaginaires. Ces grands hommes seraient des créateurs partis de rien, des visionnaires capables d’imaginer des innovations révolutionnaires, des génies aux capacités hors du commun. C’est cette mythologie que vient démolir Anthony Galluzzo dans son excellent Le Mythe de l’entrepreneur, défaire l’imaginaire de la Silicon Valley qui vient de paraître aux éditions Zones. Car ce que recouvre toujours la figure sympathique de l’entrepreneur, c’est la brutalité du monde de l’économie et l’antagonisme fondamental qui le traverse.
23.01.2023 à 18:00
lundimatin
S’il y a bien un sujet dont il est difficile de parler en France, c’est l’école. On en bavarde évidemment, on s’en plaint même beaucoup mais toujours et presque immédiatement on se retrouve face à une contradiction qui apparaît insoluble . L’école, quand on n’y est pas ou plus, c’est la possibilité d’apprendre, de se former ; cette mythologie républicaine, méritocratique, imparfaite mais pleine de bons sentiments. Lorsqu’on y est, qu’on y est soumis ou qu’on y travaille, c’est à une toute autre réalité que l’on doit se confronter : l’école comme institution qui discipline les corps, calibre les subjectivités, trie, ordonne, sélectionne et parfois broie la vie, les « compétences » et les aspirations de millions d’enfants. On se retrouve alors tiraillé entre la nécessité d’y croire pour y survivre et l’impossibilité d’y échapper faute de dehors. Si l’on peut reconnaître un seul mérite à l’opacité du dispositif Parcoursup, c’est d’avoir rendu transparent ce processus de sélection. Dans ce lundisoir, nous essayons de comprendre plus précisément ce qui se joue dans l’expérience de cette plateforme. Comment les logiques d’auto-management imprègnent désormais chaque lycéen, comment les professeurs deviennent petit à petit les supplétifs de la sélection algorithmique, comment l’angoisse continue de l’évaluation devient une norme à laquelle on ne peut plus échapper. Pour en discuter, nous accueillons Aïda N’Diaye, professeur de philosophie et autrice de Ai-je vraiment du mérite ? (Gallimard), Johan Farber qui vient de publier Parlez-vous le Parcoursup ? (Seuil) et Camille, lycéen auteur d’un article très remarqué sur lundimatin : Rejeter l’école, le quotidien de la génération Parcoursup.
16.01.2023 à 19:00
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Ce lundisoir, nous allons parler de sabotage. Le sabotage comme pratique politique au fil de l’histoire, comme technique asymétrique contre l’ordre des choses, comme tactique voire comme stratégie contre le pouvoir. Pour cela nous accueillons Victor Cachard qui vient de publier deux livres importants aux éditions Libre : Emile Pouget et la révolution par le sabotage ainsi que le premier tome d’une Histoire du sabotage, des traines-savates aux briseurs de machines.
09.01.2023 à 19:00
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Depuis quelques années, nous voyons éclorent des salles de musculation à tous les coins de rue. Leur succès repose toujours sur la même promesse. Dans l’ambiance moite et surpeuplée des salles, il est possible de se faire un corps puissant, performant et transformé. Une industrie de la rationalisation et du perfectionnement du corps (complément alimentaire, coaching, etc.) accompagne l’injonction de se faire un corps débarrassé de ses lourdeurs pour être en capacité d’assumer la brutalité de la vie ordinaire.
La fabrique du muscle a rarement été investie politiquement. Au mieux, cette pratique serait le symptôme du désespéré qui, à mesure qu’il expérimente son impuissance, se tourne vers la seule chose appropriable dans un monde inappropriable : son corps. Au pire, elle n’est que l’affaire de quelques activistes virilistes qui, aux côtés des agents de sécurité, des néo-fascistes et des petits policiers, gonflent le torse et se cherchent une certaine allure dont la visée n’est autre que d’apparaître. Plutôt que de disqualifier d’emblée une pratique qui s’est popularisée, Guillaume Vallet se propose de réfléchir la fabrique du muscle. Qu’est-ce que la généralisation de cette pratique dit de notre société ? Comment ressaisir politiquement la fabrique du muscle pour en faire autre chose qu’un corps dressé et conforme à l’ordre social ?
08.01.2023 à 09:00
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Les passants se sont immobilisés devant le coucher de soleil. Sans un mot. Tous regardent. Cette jeune femme aux cheveux rouges. Cet homme âgé en chemise à carreaux qui tient un sac de toile usé. Ces employés en costume-cravate qui sortent juste de la banque. Pause générale ! Plus de garagiste à appeler « pour voir où ça en est avec la voiture ». Plus de relation conjugale au bord de l'explosion. Plus de pizzas à partager ce soir avec les copains. Plus de « je dois faire ceci ou cela ». Peut-être même plus de « je suis un tel ou une telle ».Nous habitons une même expérience et ce partage est bouleversant.Réalisation : Nicolas Zurstrassen
19.12.2022 à 07:00
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Des quartiers populaires aux Gilets jaunes, la question des violences policières est désormais centrale dans la société française. La transition entre une démocratie représentative, fondée sur la séparation des pouvoirs, et un État policier les fusionnant commence à être documentée par des sociologues et historiens, montrant qu’en laissant les coudées franches aux forces de l’ordre, le pouvoir politique révèle sa nature profonde.Or, si les violences policières peuvent se systématiser, c’est qu’elles sont sous-tendues par d’autres abus, moins spectaculaires, plus raffinés et éloignés des caméras, qu’il faut bien nommer pour ce qu’ils sont : des « violences judiciaires ». L’interpellation, la garde à vue, le jugement et l’emprisonnement des opposants politiques, d’un côté ; l’immunité accordée aux forces de l’ordre, de l’autre : c’est à chaque fois le pouvoir judiciaire qui valide ou actionne les agissements de la police. Dans un état d’urgence permanent, où la lutte contre le terrorisme semble tout autoriser, on assiste à une surenchère des arrestations, procès politiques et condamnations, qui brisent tant de vies.C’est depuis son expérience « intime » d'avocat que Raphaël Kempf analyse cet autre pan de la répression : le pouvoir judiciaire.
12.12.2022 à 19:00
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Si elle se donne souvent comme paisible et consensuelle, l’offre de lecture adressée aux enfants et aux jeunes est toujours politique, qu’elle conforte l’ordre des choses ou qu’elle lui résiste.
Dans L'aventure politique du livre jeunesse, Christian Bruel partage nombre de ses lectures jubilatoires, admiratives ou circonspectes et souligne tant la fécondité luxuriante d’une production créative à la marge, que l’inlassable travail des idéologies s’agissant de la famille, de l’école, du genre, de la sexualité, de l’économie, des discriminations, de l’esthétique, de la compétition, de l’écologie et de l’avenir.
Entre le relevé commenté des frilosités sociales, des évitements manifestes et des conformismes rentables, se glissent des propositions pour une autre formation littéraire des destinataires… et aussi une mère célibataire épanouie, une mare collectivisée par ses canards, des enfants solidaires résistant à « ceux qui décident », un chien libertaire se disant conservateur, l’indispensable travail du texte et ses articulations nouvelles avec les images, quelques masculinités moins hégémoniques, des filles rebelles plus nombreuses, et de possibles mondes entrevus ! C'est d'un peu tout cela dont nous avons discuté avec l'auteur.
05.12.2022 à 19:00
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Mars 2011. Aux lendemains des révolutions en Tunisie et en Égypte, le peuple syrien se soulève. Partout dans le pays, les corps joyeux dansent au rythme des chants qui en appellent à la dignité et à la liberté. Aux corps insouciants et enivrés par cette soudaine puissance retrouvée, succèderont les corps déchiquetés et jetés dans des fosses communes. En quelques mois seulement, la résistance est devenue tragédie. Catherine Coquio a publié « À quoi bon le monde ? La Syrie et nous » (Actes Sud, 2022). Elle saisit l’histoire syrienne comme une expérience effroyable de la néantisation du monde.Alors que les syriens n’ont eu de cesse de s’adresser au monde, de parler du monde, ils ont fait l’expérience d’un monde terriblement silencieux et indifférent. C’est le « silence glacial du monde civilisé » face à l’atrocité des crimes et la destruction massive du pays. Le peuple syrien s’est alors trouvé à la merci des forces nihilistes de Bachar Al Assad puis des intégrismes islamistes. Ces deux forces ont en commun de nier le « monde » et d’atteindre profondément les possibilités de croire au monde, à ce monde-là.
Catherine Coquio affronte la tragédie syrienne en plongeant le lecteur dans les pensées construites par de nombreux artistes syriens avant et pendant la guerre. Elle ne regarde pas seulement avec amertume l’histoire d’une révolution saccagée, brisée et avortée. Elle ouvre aussi à toutes ces productions artistiques, cette documentation inédite de la guerre qui donne à penser l’expérience de la néantisation du monde. C’est à partir de la voix de ces artistes syriens que s’ouvre un chemin étroit pour continuer à penser et à imaginer après un monde défait. Continuer à penser ce qui est arrivé est aussi une manière de ne pas sombrer dans l’ennemi de la pensée : le nihilisme.
28.11.2022 à 19:00
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Les crimes du colonialisme français dans les campagnes algériennes, la vie dans le bidonville de Nanterre, le racisme policier, la chute du mur séparant la fac du bidonville en mai 68, la découverte du gauchisme, les bagarres avec les flics, son ami Richard Deshaye, premier éborgné avant tant d’autres, la prison et l’expulsion de sa famille, sa vie de clandestin et son départ pour la Suisse : Mohamed Kenzi a beaucoup à nous raconter sur ce qu’il a vécu au siècle dernier, et c’est toute une tranche d’histoire des luttes, des espoirs et des désillusions qu’il nous restitue.
Il le fait en poète, qui sait évoquer Le Parfum de la menthe sauvage, (titre de son livre publié aux éditions Grévis), l’affection d’une grand-mère et la bouillonnante vitalité de sa bande. Il le fait aussi en critique, avec une distance par rapport à toutes les communautés, que ce soit celle de ses origines, celle de Vive La Révolution, le mouvement mao-situ, celle de la prison. Partout, il a senti qu’il n’appartenait jamais tout à fait au groupe : comme émigré, à jamais, de partout.
21.11.2022 à 20:00
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Ce soir nous accueillons le philosophe Patrice Maniglier pour essayer de comprendre comment agencer l’action anarchisante à notre « commune terrestritude » (Gramsci). Dans le rapport de la pensée et de l’action à la Terre, l’un des problèmes serait peut-être celui-ci : comment articuler nos formes de luttes toujours territoriales, situées précisément ici ou là – nous qui avons tendance à refuser les fausses universalités coloniales – à une théorie générale de la stratégie terrestre ? Comment faire lorsque la conquête du pouvoir, la prise du pouvoir, la macro-politique qui aboutit à la gestion du monde, n’est – apparemment – pas une option, alors qu’en face, l’ennemi, l’adversaire last but not least, comment faire lorsqu’entre « eux » et « nous », le champ de bataille lui-même s’anime et fait irruption, lorsque la Terre en personne se présente et s’annonce, de catastrophes en catastrophes, non pour trancher le nœud du conflit, comme l’ancien deus ex machina de la tragédie, mais pour l’embrouiller davantage ?
14.11.2022 à 20:00
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Léna Balaud et Antoine Chopot ont récemment publié Nous ne sommes pas seuls. Politiques des soulèvements terrestres aux éditions du Seuil. C’est un livre important et qui trouvent quelques belles résonances dans la mobilisation actuelle contre les méga-bassines.Les auteurs thématisent quelques débats qui traversent les luttes politiques et proposent de réfléchir les alliances avec les vivants dans la perspective d’un renversement du capitalisme. L’intérêt pour le vivant bouleverse la scène de nos préoccupations politiques et sociales. Il n’est pas rare que ces nouvelles luttes soient disqualifiées en tant qu’elles seraient la préoccupation d’une bourgeoisie sociale assez peu soucieuse des oppressions traditionnelles. De l’autre côté, cette pensée écologique soupçonne les mouvements traditionnels de porter trop peu d’attention aux transformations culturelles de la politique au seuil du drame écologique. Plutôt que de renvoyer dos à dos ces positions, Nicolas Chopot et Léna Balaud tentent de redéfinir politiquement et pratiquement les contours de l’action politique en pensant les conditions de possibilité d’un « soulèvement des terrestres ». La nature se soulève déjà. Ces soulèvements menacent parfois la vie humaine en même temps qu’ils ouvrent à de nouvelles connexions avec les vivants. Ces transformations en appellent à l’invention politique et ouvrent à des nouvelles voies de subjectivation que ces deux auteurs nous aident à explorer.
07.11.2022 à 20:00
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Ce soir nous accueillons le philosophe et écrivain Tristan Garcia pour un livre qui n’est pas encore paru et qui aura mis des années à passer des petites collines d’une courte conférence en 2017 aux vastes steppes d’une somme ontologico-politique (Laisser être et rendre puissant, à paraître) en passant par la vallée fleurie d’un entretien récapitulatif en 2021 (L’Architecture du possible).S’il faut souvent examiner les faits et les événements pour saisir l’horizon empirique sous lequel l’action politique se dessine ; il faut aussi parfois, pour un temps, remonter aux structures de nos langages et aux logiques de nos subjectivités, aux toiles d’araignées ténues de nos métaphysiques invisibles, afin de clarifier théoriquement les voies du labyrinthe dans lequel, souvent sans le savoir, nous avançons les yeux fermés.
Dans un très mauvais blockbuster de 2015, À la poursuite de demain (Tomorrowland), on pourrait trouver une image du rapport entre métaphysique et politique. Lorsque la jeune héroïne Casey Newton effleure un pin’s en forme de « T », trouvé par hasard dans ses affaires, elle est brusquement projetée depuis le bayou de sa Floride marécageuse dans un espace parallèle parfaitement utopique où se dresse, à l’horizon des champs de blé dorés qui l’entourent, une gigantesque citadelle. Mais alors qu’elle se met en marche à travers les épis, vers cette citadelle qui l’attire, elle se heurte à un mur invisible. En essayant de le contourner sans le voir, elle sent soudain son corps se recouvrir d’une eau pourtant absente. C’est que Casey Newton a beau percevoir le pays d’or et d’utopie, a beau le voir sous ses yeux se déployer alentour, son corps, lui, déambule entre les maisons de sa présente Floride, et même si elle ne voit plus ni ses rues, ni ses clôtures, ni ses façades, son corps, lui, les sent, les vit, s’y cogne, physiquement, et manque de se noyer dans le fleuve de la ville.
La métaphysique est cette Floride, ce labyrinthe urbain, qui n’est plus visible lorsque nous avançons dans les champs politiques de la citadelle utopique mais qui continue de déterminer les devenirs de nos actions. Déterminer à quels espaces urbains ontologiques nos subjectivités participent en se croyant tout autre chose, c’est l’un des aspects du travail de Tristan Garcia dans Laisser-être et rendre puissant. Après une vaste épopée ontologique, il analyse dans son livre les modalités du possible, de l’impossible, du contingent et du nécessaire, de la puissance et de l’impuissance et leur articulation sous la forme de subjectivités éthiques, de « formations éthiques » (457), distinctes et en conflit : « Ces formes que prend la subjectivité entre semblables, déformée par l’histoire, par les intérêts et des camps ennemis, quand chacune tend à l’hégémonie, se nourrissent et se confirment les unes les autres dans la guerre générale. » (455) À la manière d’un stratège théorique, il passe du point de vue d’un camp engagé dans l’action et la bataille, au point de vue du champ de bataille lui-même où se disposent les différentes subjectivités dans les luttes pour l’hégémonie. Le rôle du philosophe est peut-être alors d’analyser ces subjectivités, et de trouver les tactiques par lesquelles non pas détruire ou éliminer les plus vilaines, mais désamorcer ou interrompre leur élan d’hégémonisation :
« Si elle n’est pas interrompue, chacune menace de se constituer en autorité absolue. Elle supprime de plus en plus d’autres subjectivités possibles et empêche toute puissance autre que la sienne. Sa manière laisse de moins en moins être et rend de moins en moins puissant. Parce qu’elle doit se donner les moyens d’être reconnue, c’est le destin de toute subjectivité engagée dans une guerre avec ses semblables. Elle s’approprie le champ de bataille, s’aveugle sur son prop31.10.2022 à 09:00
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Mathilde Girard est l’autrice de La séparation du monde et écrit In Extremis. Frédéric D. Oberland officie dans Oiseaux-Tempête, FOUDRE !, Le Réveil des Tropiques et NAHAL Recordings. Ils devaient se rencontrer, c’était un lundisoir.
24.10.2022 à 08:00
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Nous continuons cette semaine nos pérégrinations autour de l’anthropologie, de la philosophie et de l’anarchisme. Après avoir discuté avec Catherine Malabou, Barbara Glowczewski, Nastassja Martin et Jean Vioulac il allait de soit qu’il nous fallait rencontrer Philippe Descola et Alessandro Pignocchi. Nous avons parlé de leur livre d’entretien et de bandes dessinées qui vient de paraître Ethnographie des mondes à venir mais aussi de l’appel des Soulèvements de la terre à rejoindre Sainte-Soline (79) le 29 et 30 octobre afin de lutter contre les mega-bassines.
17.10.2022 à 08:00
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Qui y a t-il de commun entre la communication du patronat français, une milice à la solde de narco-trafiquants mexicains, des parachutistes dans la guerre d’Algérie, la guerre en Irak et Afghanistan, des opérations secrètes de la Seconde Guerre Mondiale, la féroce répression des dictatures sud-américaines des années 1970 et, entre autre, le maintien de l’ordre colonial français pendant un siècle ? Une stratégie aux contributions plurielles, étalée sur près de deux siècles, et qui prendra la nom de “Doctrine de Guerre Révolutionnaire” (DGR) durant la décolonisation. C’est l’histoire de cette doctrine contre-insurrectionnelle que raconte Jérémy Rubenstein dans son excellent Terreur et séduction tout juste paru aux éditions La Découverte.
« Qu’on le sache ou non, la doctrine de la guerre révolutionnaire s’est insérée dans des domaines les plus variés : les polices, les armées privées, les agences de communication, le management d’entreprises et, dans le fond, dans la manière de penser de très nombreux dirigeants. »
10.10.2022 à 20:00
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Un peu plus de trois semaines après le début des soulèvements à la suite du meurtre de Masha Amini, Kurde d’Iran, la situation suscite espoirs et peurs. Alors que le guide Suprême est demeuré étonnamment silencieux, la jeunesse iranienne continue à protester avec une vitalité déconcertante : manifestations spontanées et éclaires, opérations coup de poings, danses, chants, exposant au monde un désir impatient de liberté qu’aucune peur ou répression ne sauraient pour le moment contenir.
Les informations sur la situation demeurent rares en raison des coupures d’Internet et de la surveillance. Les intellectuels spécialistes de l’Iran semblent observer une certaine réserve. De fait, personne n’ose vraiment nommer ce qui est en train d’arriver : s’agit-il d’une révolte supplémentaire qui creuse encore davantage la défiance à l’égard du régime ou assistons-nous, 40 ans après l’avènement de la République Islamique, à une révolution initiée par les femmes et la jeunesse ?Chowra Makaremi nous aide à lire la situation en Iran en la mettant en perspective avec les révoltes de 2009, 2017-2018 et 2019. Elle propose une analyse d’une finesse rare sur la société iranienne, sur son passé récent et sur la nouveauté qu’inaugure la jeunesse iranienne dans les rues du pays entier depuis le 16 septembre. C’est bien un élan révolutionnaire qui secoue le paysChowra Makaremi est anthropologue au CNRS. Depuis 10 ans, elle consacre ses travaux sur les mécanismes de fonctionnement de la répression à partir de sa propre histoire familiale. Au lendemain de la révolution de 1979, la répression s’abat sur les opposants politiques autrefois amis et alliés de la révolution. La mécanique répressive est d’une ampleur extraordinaire. Les emprisonnements, massacres et politique de la peur figent dans le silence la société iranienne. Mais cette répression consiste également en une politique systématique de l’oubli des morts en effaçant les stèles, les objets de mémoire et les fosses communes. Chowra Makaremi enquête en « dressant la cartographie de ce qui reste, quand l’histoire a effacé les êtres et s’attache à gommer les contours de la disparition."Elle est la réalisatrice du film documentaire Hitch. Une histoire iranienne (Alter Ego Productions). Ce film a reçu le prix du premier film au festival du film ethnographique Jean Rouch, mention spéciale Rendez-vous de l’histoire du documentaire historique de Blois. Elle est également l’auteure de l’ouvrage, Le cahier d’Aziz. Au cœur de la révolution iranienne, aux éditions Gallimard en 2011.
03.10.2022 à 20:00
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Cette semaine dans lundisoir, on parle de colonialisme énergétique, de mégaprojets et de défense des territoires au Mexique avec Mario Quintero, représentant de l’Assemblée des Peuples Indigènes de L’Isthme en défense de la terre et du territoire. Une des régions les plus venteuses au monde, l’isthme de Tehuantepec est convoité par des multinationales – dont la française EDF – qui viennent y imposer des parcs éoliens industriels depuis plusieurs décennies. Problème : les terres en question sont bien souvent communales, d’usage collectif, dans une région où vivent de nombreux peuples autochtones notamment zapotèques.
En tournée en Europe et invité par le collectif Stop EDF Mexique, Mario vient aussi parler des formes de résistances face au méconnu et pourtant pharaonique projet de couloir transocéanique - un canal sec aux enjeux géopolitiques majeurs qui relierait océans pacifique et atlantique, et prévoit la modernisation d’une ligne de train et de deux gazoducs, le tout bardé d’une dizaine de parcs industriels. Il invite des délégations européennes à se joindre à la caravane et la rencontre internationale « le Sud Résiste » qui auront lieu du 25 avril au 7 mai 2023 pour faire le tour des mégaprojets destructeurs dans le Sud du Mexique, et articuler les luttes à l’échelle internationale, dans la continuité du voyage pour la vie zapatiste.
26.09.2022 à 06:00
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Dans À Bout de Flux, qui vient de paraître aux Éditions Divergences, l’historienne de l’architecture Fanny Lopez poursuit un travail qui s’attache à décortiquer les dimensions politiques et spatiales des infrastructures énergétiques. L’auteur y déploie une double histoire du numérique et des réseaux de production, d’acheminement et de transmission électrique : un éventail de prises pratiques par lesquelles comprendre le fonctionnement de cette « mégamachine ». A l’heure où les appareils gouvernementaux présentent la sobriété individuelle comme réponse à la crise de l’énergie, et où Ursula Von Der Leyen nous apprend comment nous laver les mains sans gaspiller de l’eau en sifflant l’hymne européen, Fanny Lopez revient avec clarté et finesse sur les aspects matériels de ces infrastructures, et met en relief différentes propositions pour les mettre en déroute : leur opposer d’autres formes de réseaux, d’autres rapports à la technique.
19.09.2022 à 20:00
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Ce lundisoir, nous accueillons l’anthropologue Nastassja Martin qui vient de publier le fabuleux À l’est des rêves : Réponses even aux crises systémiques. Il s’agira de parler de ses recherches sur la tribu Even du Kamtchatka, sédentarisée pendant l’ère soviétique et dont certains membres ont décidé, depuis l’effondrement de l’URSS, de repartir en forêt et d’y recréer un mode de vie autonome fondé sur la chasse, la pêche et la cueillette. À mille lieux de tout exotisme, ce que les travaux de Nastassja Martin viennent éclairer, c’est la persistance, dans les interstices du capitalisme, de rapports singuliers au monde, de formes-de-vie. Et ce que tout cela nous indique, c’est qu’il existe, entre le folklore de la tradition et l’étouffement de tout par l’économie, la possibilité de composer et recomposer des mondes inédits.
12.09.2022 à 20:00
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À l’occasion de la publication en français de Q comme qomplot, son auteur Wu Ming 1 est passé nous rendre visite. L’origine de ce fascinant pavé théorico-politico-journalistico-littéraire de 550 pages est en elle-même une intrigue déconcertante. Au fil des premiers messages diffusés sur les réseaux sociaux par le fameux Q qui déclenchera la vague de délire Qanon et accidentellement l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, Wu Ming reconnaissent de très nombreuses références à leur roman lui aussi nommé Q et paru en 1999. Connus et reconnus de l’autre côté des Alpes pour avoir organisé des canulars subversifs gigantesques et piégé des pelletés de journalistes, la question s’est immédiatement retrouvée sur toutes les lèvres : le phénomène Qanon est-il une œuvre et une blague de Wu Ming qui auraient dégénérées ? (spoiler: la réponse est non)
C’est-à-partir de ces coïncidences mystérieuses que Wu Ming 1 s’est attelé pendant 3 ans à comprendre, décrypter et historiciser ce phénomène dont tout le monde parle mais ne dit jamais grand-chose : le complotisme. A mille lieux de la condescendance et de l’anti-complotisme du parti de l’ordre, à rebours de la complaisance opportuniste des esprits malins qui espèrent y trouver une nouvelle rente, Wu Ming a travaillé l’histoire, les concepts et le phénomène afin de le comprendre et l’appréhender politiquement, c’est-à-dire éthiquement. Q comme Qomplot propose une boîte à outils pour lutter contre les narrations toxiques qui prolifèrent et abîment les esprits, jusqu’à leur faire oublier le monde. De ceux qui étaient convaincus que Paul McCartney était mort ou que Kennedy ne l’était pas à ceux qui réduisent le Covid 19 à une grippette ou croient que la pandémie a été planifiée (ou les deux). Avec une érudition impressionnante, l’auteur analyse un phénomène politique qui capte l’immense malaise dans la civilisation, court-circuite la colère et propage le ressentiment, la paranoïa et l’impuissance. C’est de tout cela dont nous avons parlé avec l’auteur. L’entretien a été mené par Yves Pagès, qui a beaucoup travaillé sur ces questions. Merci au traducteur et la traductrice à l’interprétariat.
05.09.2022 à 20:00
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On a parfois le sentiment que la pensée critique tourne en rond. Que chaque petit détail de notre quotidien comme toute méga-structure institutionnelle ont déjà été décortiqués, analysés et contextualisés dans les régimes de pouvoir qui nous enserrent, nous calibrent, nous tiennent. Juliette Volcler vient justement prouver le contraire. Depuis plusieurs années, la chercheuse s’intéresse à une dimension du réel à la fois proche et omniprésente mais impensée : le son. Le son comme arme et ses usages policiers et militaires, le son comme dispositif de contrôle et de manipulation et plus récemment dans son dernier ouvrage paru à La Découverte , le son comme orchestration du quotidien. De la musique d’ascenseur, aux annonces de la SNCF, des publicités au maintien de l’ordre, Juliette Volcler raconte et explique comment nos oreilles sont elles aussi un champs de bataille.
04.07.2022 à 20:00
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Dans un entretien avec Jean Vioulac, nous remarquions que l’anthropologie est devenue peu à peu le refuge de la philosophie anarchiste. Depuis Clastres, Scott, Graeber - renouant avec un courant de dissidence qui commence peut-être avec Rousseau ou Montaigne, mais dont la filiation est plus récemment inscrite en Mauss, Radcliff-Brown, Salhins et même le Levi-Strauss de Tristes tropiques - les anthropologues ne furent que rarement de simples théoriciens en fauteuils, et depuis leurs carnets de notes, avec les concepts autochtones qu’ils rencontraient, en essayant de suivre et d’écouter ce que les Bororos, les Nambikuaras, les Guyakis, les Achuars, les archives des sociétés des collines de l’Asie du sud-est, avaient peut-être à dire du “simple fait de vivre”. C’est aussi par l’anthropologie, entre autre, que les prétentions de l’occident furent une à une disloquées, parce que venaient du dehors des témoins de vérités bien autres, qui, renforcées théoriquement par le contraste avec l’Empire étouffant des maîtres et possesseurs et ses citoyens affadis, n’ont cessé de ventiler d’ondées sensibles le désert halluciné. Hier on accusait les cultures sur abattis-brulis de détruire les forêts, aujourd’hui les maîtres et destructeurs de l’agriculture de chez nous reconnaissent que ces pratiques conjurent les ravages des méga-feux.
Barbara Glowczewski ne se dit pas anarchiste, mais sa manière d’appréhender la question de la vie collective, avec ses amis et amies du désert central australien, sa famille et ses proches de Lajamanu, les gens qu’elle est partie connaître et regarder tracer leurs trajectoires-chantées dans les sables d’un désert plus vivant que le notre, et qui ont lié leur destin au sien sans que les parts respectives de ce qui revient au même et à l’autre soient discernables, sans que nous puissions vraiment décréter que ce sont les aborigènes Warlpiri qui pensent comme Deleuze et Guattari ou Deleuze et Guattari qui, grâce à Barbara Glowczewski, qui a été leur amie, pensent avec et comme elles et eux. L’anarchisme n’a pas besoin de se dire anarchiste ou libertaire. Il ne ferait que refaire du slogan, de l’identité, du marketing. Ce sont des formes de vie fort variées qui l’expriment, et leurs pratiques sont des théories. Lorsque les Warlpiris conçoivent leurs territoires d’existence comme de vastes trajets constellés de noeuds ou d’étapes où, dans les temps reculés, et depuis l’espace virtuel du dessous, des êtres du Rêve (leur totem de patriclan) se sont fossilisés dans des roches et des points d’eau, des arbres ou des crevasses, dont ils et elles sont les gardiens et les gestionnaires, ils et elles proposent des formes d’habitation du monde, qui peuvent servir de point d’Archimède, à des luttes pour leurs terres colonisées, de puissances tactiques qui prennent corps à partir d’un ailleurs et non pas au coup par coup d’une situation sans issue. Bien entendu, la perfection n’est pas de ce monde. L’hostilité et la hiérarchie peuvent de temps à autre ressurgir. Mais on peut alors se séparer. Devant l’omnicide, écocide, ethnocide, genocide, il y a bien entendu de la vie. Et elle se lève. Non parce qu’elle aurait une force mystique en elle. Mais parce que les gens n’aiment pas être dominés, c’est comme ça, et qu’ils cherchent à ce qu’on leur foute la paix. C’est peut-être le premier axiome de l’anthropologie anarchiste.
20.06.2022 à 20:00
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Démissionner, bifurquer, déserter... pour ne plus alimenter la machine, pour ne pas contribuer à la destruction du monde en cours. C’est le choix que certains ingénieurs ont fait : trahir ce à quoi leurs études les prédestinaient.
L’énorme écho rencontré par l’appel à déserter et à bifurquer de jeunes diplomés d’AgroParisTech indique à quel point ce qui se joue dans cette épidémie de « pas de côté » ne peut être réduit à une somme de prises de conscience individuelles en vue de réorientations professionnelles plus « responsables ». Si la figure de l’ingénieur est couramment associée aux classes supérieures, sa fonction dans le capitalisme contemporain est pourtant très différente de celle de la bourgeoisie classique. L’ingénieur ne détient pas de capital ou des moyens de production, il est capital et moyen de production. Décider de déserter après de longues études d’ingénieur, c’est manifester la violence de sa déception vis-à-vis de ce à quoi l’on sait que l’on va être employé. C’est s’apercevoir de ce à quoi l’on va servir au fil de son propre apprentissage. Mais qu apprend-on précisément dans ces écoles ? Quelles connaissances et compétences sont à se réapproprier ou à oublier ? S’agit-il de bifurquer ou de déserter ? A partir de quels seuils une somme de retraits du monde se transforme en constructions de mondes ? Comment faire sécession comme on mène un assaut ? Toutes ces questions tiraillent l’époque, elles en sont même probablement le cœur. Comme elles n’appellent pas de réponses toutes faites et prêtes, il s’agit de les ouvrir, de les déplier et de voir ce qu’elles appellent de nous et là où elles nous mènent. Pour ce lundisoir nous avons convié Romain Boucher, ingénieur diplômé de l’École des Mines, membre de l’association Vous n’êtes pas seuls, Eva et Sam des Désert’heureuses ainsi que Tité des Pluri-versité.
13.06.2022 à 20:00
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Ce lundi on a voulu savoir si l’anarchisme était pensable. Nous on ne s’était pas posé la question. On ne savait pas que, peut-être, il ne l’était pas. Grâce à Catherine Malabou et son livre Au voleur ! Anarchisme et Philosophie on a eu une réponse.
En fait, on a appris que l’anarchisme n’était pas tout à fait pensable dans les conditions posées par les six principaux philosophes « mâles et blancs » en charge de le faire : Schürmann, Lévinas, Derrida, Foucault, Agamben, Rancière. Pourquoi ? Parce que nos six philosophes, en réfléchissant sur l’anarchie, ont dérobé quelque chose à l’anarchisme. En voulant conceptualiser l’Anarchie et penser théoriquement la possibilité de l’anarchisme, ils n’ont réussi qu’à jeter le bébé et garder l’eau du bain, c’est-à-dire à dénier l’éventualité réelle des formes de vie que ce mot recouvre tout en gardant faisant triompher le concept.
Malabou nous a appris combien la pensée philosophique était imprégnée d’un préjugé : le « préjugé gouvernementaliste » - la croyance qu’au fond sans gouvernement, c’est le chaos. Elle nous a expliqué alors comment ce préjugé se rattache au « paradigme archique » ; paradigme selon lequel on ne peut penser rationnellement ni vivre en commun sans Archè – c’est-à-dire sans principe qui à la fois commence et commande, et façonne l’ordre à partir du chaos. Une fois élucidé ce paradigme et ce préjugé, on a ensuite découvert que le concept d’ingouvernable n’était jamais que l’envers du gouvernement et même son objet propre. Gouverner étant, justement, gérer de l’ingouvernable. Malabou nous a fait comprendre que l’anarchisme, aujourd’hui, n’est pas une position depuis laquelle critiquer ou attaquer la domination, mais le champ de bataille lui-même. En effet, ce qui marquerait l’époque, ce ne serait pas la crise de la verticalité de l’État, mais la « crise de l’horizontalité ». Non pas une crise de l’horizontalité confrontée à la verticalité autoritaire de l’État, mais bien une crise interne à l’horizontalité elle-même : le capitalisme serait lui-même en train de s’aplatir – de se prétendre et revendiquer « anarchiste ». À partir de là, Malabou nous a offert des distinctions pour nous repérer dans cette crise. D’abord en distinguant anarchisme de fait (qui rassemble tout ce qui prétend à un fonctionnement horizontal – les ZAD comme les Libertariens) et anarchisme d’éveil (un anarchisme vraiment émancipateur). Ensuite, en fondant l’anarchisme d’éveil sur un concept plus adéquat que celui d’ingouvernable : le concept du « non-gouvernable », qu’elle définit comme ce qui ne peut qu’être écrasé ou dressé mais jamais gouverné. Sa proposition consistant à éveiller l’anarchisme, à la dimension du « non-gouvernable ». Ce que Barbara Glowczewski appelle aussi de ses vœux, à sa manière, lorsqu’elle invite à « éveiller les esprits de la terre ».
Pour finir on peut résumer brièvement ce que Malabou définit comme les trois figures qui servent de conditions sine qua non à une théorie de l’anarchisme sans déni et attentive au « non-gouvernable » ; les figures du Témoin, du Colonisé, de l’Esclave :
L’anarchisme est toujours de témoignage : c’est-à-dire, il n’est pas justifié ou fondé a priori par une pensée qui en décrète les conditions de possibilité mais, pour reprendre Wittgenstein, « il est là – comme la vie ». « Tous les anarchistes sont des témoins » écrit Malabou. De même que l’on prouve le mouvement en marchant, on atteste de l’anarchisme en anarchisant : par l’exemple et le témoignage. En criant : « On est là ! » - comme disent les Gilets Jaunes. S’il faut partir plutôt des témoignages de l’anarchisme que des principes abstraits, si l’anarchisme se pense ex dati (à partir des faits) et non pas ex principii (à partir des
16.05.2022 à 20:00
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Kamel Daoudi est le plus ancien assigné à résidence de France. Depuis 14 ans, il ne peut quitter la commune où on l’assigne, doit pointer deux, trois ou quatre fois par jour au commissariat et respecter, chaque soir, un couvre-feu. Interpelé au lendemain du 11 septembre 2001, il est soupçonné d’appartenir à une association de malfaiteur qui aurait projeté de s’en prendre à des intérêts américains. Beaucoup a déjà été dit et écrit sur le fonctionnement et la probité de l’antiterrorisme de ces années-là. Condamné à 6 années de détention, la justice le déchoit aussi de sa nationalité et ordonne son expulsion vers l’Algérie. Cependant, la Commission Européenne des Droits de l’Homme, bloque l’application de cette mesure, M. Daoudi se retrouve donc, avec toute sa famille, dans les limbes de la citoyenneté. Indésirable aux vues des autorités mais inexpulsable légalement, il va devenir l’objet d’une expérimentation inédite de la part du ministère de l’Intérieur : irréprochable devant la loi, sa peine effectuée, il s’agit de le laisser libre tout en réduisant au maximum cette liberté, de le laisser vivre tout en lui rendant la vie impossible. 14 années d’assignation, donc, soit plus de 5135 jours, 26 160 pointages et plus de 58 359 kilomètres parcourus pour s’y rendre, c’est-à-dire une fois et demi la circonférence de la Terre, sans jamais franchir les limites de sa ville d’assignation.
Cette épopée, il la raconte dans un livre paru ce 13 mai aux éditions du bout de la ville et intitulé « Je suis libre... dans le périmètre qu’on m’assigne ». Nous sommes allés le rencontrer à Aurillac pour en parler.
02.05.2022 à 20:00
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La savante composition du film s’accorde parfaitement avec son sujet. A partir des bobines de films retrouvées dans la bibliothèque de Saint Alban, Martine Deyres nous fait voir, nous fait sentir ce que fut la vie dans le désormais légendaire hôpital. Comment des psychiatres liés à la révolutions catalane et à la Résistance trouvèrent des manières de rompre avec les logiques asilaires qui conduisirent à la mort des dizaines de milliers d’internés psychiatriques, pendant l’Occupation.
On y retrouve des patients, des paysans, des nonnes, des villageois devenus des infirmières et infirmiers. On y retrouve bien sûr les voix du Catalan Francesc Tosquelles, du couple Balvet, de Lucien Bonnafé, de Jean Oury... On entend parler de Georges Canguilhem, de Paul Eluard, de Georges Dubuffet... Mais on y retrouve aussi des paysages, des processions, des fêtes votives comme des carnavals, des travaux des champs, des élevages, une imprimerie, des ateliers, un journal interne à l’hôpital fait avec les patients...
Ce film ne verse pas dans l’hagiographie, ne veut pas conforter le caractère légendaire de la psychothérapie institutionnelle dont le travail de Tosquelles à Saint Alban en fut le berceau. Il nous invite à penser ce que pourrait être aujourd’hui une psychiatrie qui s’ouvre à son dehors malgré l’implosion du secteur psychiatrique.
Il y a aujourd’hui le désinvestissement de l’État dans l’hôpital, la gestion managériale de celui-ci conduisant à un cruel manque de moyens. Mais ce que nous apprend Tosquelles, lorsqu’on songe à l’état du monde asilaire sous l’occupation qui fit des hôpitaux des mouroirs, c’est que la psychiatrie peut se réinventer en se sortant elle-même de son propre enfermement...
25.04.2022 à 20:00
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« Je baiserai la France jusqu’à ce qu’elle-même. » On trouve cette citation du duo de rap Tandem au cœur du chapitre que Louisa Youfi consacre à Booba dans Rester barbare, son premier livre. Un livre qui commence par un portrait de Kateb Yacine, dans lequel on pourrait vouloir lire une sorte d’autoportrait. Et puis, en fait, peu importe les autoportraits. Ceci dit, en revanche, le passage qui, parlant du rap, saisit au plus près en même la nature de ce livre – peut-être sans faire exprès mais, là encore, peu importe – est celui qui déclare l’impossibilité de rendre compte de la puissance du rap, puissance de création et de démolition, qui n’existe qu’en acte, en flow, et qui laisse son auditeur pantois, finalement comme ce livre. En voulant résumé ou chroniquer celui-ci, on se retrouve face à cette impossibilité. À ne pas pouvoir l’évoquer sans le réduire. Nous ne ne saurions trop inviter nos spectateurs à lire ces quelque cent pages. Plutôt que de le résumer, on a essayé de composer une sorte de playlist de textes et de sons à partir de laquelle on aurait pu comprendre ce que signifie cette position esthético-éthique : celle du barbare. On y est d’autant mieux parvenu qu’on n’a pas réussi. Bienvenue en Barbarie.
18.04.2022 à 20:00
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On a parfois tendance à penser le féminisme de Virginia Woolf comme ancré dans la question de l’écriture. On l’associe souvent à cette revendication bien connue du droit pour les femmes à avoir un lieu à soi, A room of one’s own, comme la forme très concrète d’une indépendance et d’une autonomie élémentaire. Mais les interrogations féministes de Woolf traversent les murs de la maison et interrogent les structures patriarcales de la société sur des sujets qui en sont bien éloignés.
Trois guinées, son avant dernier livre, une fiction épistolaire écrite pendant la Guerre d’Espagne, répond ainsi, en tant que femme à la question posée par un homme : « Que devrions-nous faire pour arrêter la guerre ? « Sans cesser de rendre ce « nous » problématique, et face aux photos de la barbarie guerrière comme de ses honneurs, Virginia Woolf sonde dans ses réponses les analogies de l’autorité patriarcales, du foyer aux champs de bataille. Nous en discutons avec Naomi Toth.
28.03.2022 à 20:00
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Qu’est-ce que la Françafrique ? Spontanément, nous avons tous l’impression de le savoir, dans le détail, ce néologisme recouvre une réalité floue voire opaque que nous serions bien en mal de décrire et d’historiciser. C’est justement ce à quoi s’attèle L’Empire qui ne veut pas mourir - Une histoire de la Françafrique, pavé de presque mille pages publié sous la direction de Thomas Borrel, Amzat Boukari Yabara, Benoît Collombat et Thomas Deltombe dont nous avions déjà rendu compte ici. L’ouvrage, de par son volume, pourrait paraître intimidant, il n’en est pas moins passionnant. Une vingtaine de chercheurs, journalistes, militants et spécialistes s’y relaient pour décortiquer les évolutions de l’empire colonial français, ses sales petites secrets autant que son système officiel et revendiqué. Nous en discutons ce lundisoir avec Thomas Deltombe et Thomas Borrel.
14.03.2022 à 20:00
Depuis la métropole, la Guadeloupe est d’abord connue pour ses magnifiques plages de sable blanc et les hordes de retraités ou vacanciers qui viennent s’y étaler pour bronzer. En réalité, c’est certainement l’un des territoires « français » où la contestation de l’ordre des choses et du monde est la plus dense et la plus intense. On se souvient que de janvier à mars 2009, l’île connaissait un mouvement de grève générale et de blocages sans précédent. À l’initiative, le LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon), un mouvement indépendantiste regroupant une cinquantaine d’organisations syndicales, associatives, politiques et culturelles qui s’est depuis imposé comme la première force politique de Guadeloupe. Cette dernière année, un large mouvement de contestation de la politique sanitaire française s’est déployé dans l’île. Après de nombreuses manifestations populaires contre le passe sanitaire, la radiation de centaines de professionnels de santé et face au mépris ostensible du gouvernement, le mouvement a de nouveau recouru au blocage de toutes les routes en novembre et décembre. Pour ce lundisoir, nous sommes allés à Pointe-à-Pitre rencontrer Elie Domota, secrétaire général de l’Union Général des Travailleurs de Guadeloupe et porte-parole du LKP afin de receuillir son analyse des évènements récents et de la mobilisation en cours. [Nous avons rencontré quelques difficultés techniques lors de cet entretien. Nous nous excusons pour la piètre qualité de l'enregistrement audio. Tendez l'oreille!]
07.03.2022 à 20:00
lundimatin
Près de 15 jours après les premières offensives russes en Ukraine, la guerre sature nos espaces publics. Plane dans tous les esprits la menace d’une troisième guerre mondiale d’autant plus terrible qu’elle serait nucléaire. L’anxiété collective conduit à des mouvements de soutien paniqué et souvent non-assuré quant à savoir quoi penser sur ce qui est en train de nous arriver et ce que nous sommes en train de devenir.
Le traitement médiatique et politique ne surprend guère. S’affronte l’axe du bien de l’impérialisme démocrate occidental contre l’axe du mal incarné par l’empire russe fascisant mené par un Président dont on pense qu’il serait devenu toujours plus délirant. Dans ce face à face diplomatique qui dure depuis des années, le Président Vladimir Poutine envahit l’Ukraine. Il engage une guerre d’une intensité inégalée en Europe depuis de nombreuses années. Ses forces éminemment puissantes d’un point de vue militaire se heurtent à une résistance tout aussi insoupçonnée qu’obstinée du peuple ukrainien. Les images sont scandaleuses mais fascinantes : Nombre de civils ukrainiens se dressent « malgré tout » : en opposant leurs corps à des chars, en manifestant, en balançant quelques cocktails Molotov sur les blindés, en prenant les armes. Ce retour de la guerre en Europe après la Bosnie, le Kosovo sidère. Mais l’accablement ne suffit jamais.Ce lundisoir tente d’interroger cette guerre en examinant les forces sociales en présence de part et d’autre. Les commentaires qui prévalent jusqu’à-là ne manquent pas de disserter sur les enjeux géopolitiques, les relations internationales et s’hasardent à quelques flous pronostics sur les issues possibles d’un tel conflit. Mais la guerre n’est pas qu’un jeu de nations. Elle engage des peuples, des personnes ordinaires, des mouvements civils qui s’y opposent ou qui s’y joignent. Elle est faite d’affects, d’espoirs politiques, de peurs et de désorientations tant l’effondrement de leur monde engagé depuis tant de temps prend aujourd’hui une forme sinistrement concrète. Elle est aussi affaire de positions : assumer en raison où l’on apporte son soutien. Enfin, elle appelle à réfléchir les racines profondes de ces tentations guerrières. Force est de reconnaître que la guerre économique à coup de politiques étrangères tantôt grossières tantôt obscures devient aujourd’hui une guerre physique dont il n’y a guère à attendre d’apaisement durable. Dans ses jours les plus dramatiques, la nuit est la plus profonde avant l’aube.Plutôt que d’affirmer un jugement clair sur ce qui est en train de nous arriver, il nous faut encore clarifier et tenter de saisir la teneur des rapports de force, les aspirations sociales qui se manifestent dans les camps ukrainiens et russes. Pour nous aider à clarifier la situation, nous avons demandé à trois spécialistes de la région de débattre sur leur compréhension de la guerre en Ukraine.
28.02.2022 à 20:00
lundimatin
Cette semaine, nous rencontrons Mathieu Quet qui vient de publier Flux, comment la pensée logistique gouverne le monde aux éditions Zones . Il s’agit de penser cette organisation particulière du monde où la production, l’échange et le contrôle semblent se confondre et tendre vers le même objectif - créer de la valeur, ou « gagner ».L’auteur nous raconte comment la logistique peut nous conduire à « penser comme un centre de tri », comment le géant Maersk s’est retrouvé bien embêté suite à une cyberattaque menée par des ingénieurs informaticiens russes, et comment penser les mouvements plutôt que les circulations peut nous permettre de contrer le régime logistique. « La logistique est cet art du transport et de la circulation qui consiste depuis d’antiques guerres à acheminer des vivres, des armes, des bêtes, des hommes d’un point à un autre sans perdre de vue ce qui compte : gagner. Mais tout comme la guerre se poursuit par d’autres moyens, sur d’autres terrains, la logistique s’est immiscée partout où elle le pouvait. De telle manière qu’il est aujourd’hui difficile de distinguer ce qui ne relèverait pas de sa raison. »
20.02.2022 à 15:00
lundimatin
Mathieu Bellahsen est psychiatre connu. Les lecteurs de lundimatin le connaissent. En mai 2020, lors du premier confinement, il dénonçait dans nos colonnes une confusion entre confinement sanitaire et isolement psychiatrique. En l’espèce, l’enfermement systématique des patients du service de l’hôpital où il exerçait. Mais on ne s’oppose pas à l’institution impunément : depuis, il a été démis de ses fonctions de chef de pôle.Retour ligne automatiqueDans cet entretien, il revient sur les motivations qui l’ont amené à devenir psychiatre, sur sa vision du soin, et sur les luttes auxquelles il participe contre l’évolution d’une psychiatrie de plus en plus sécuritaire et happée par l’idéologie managériale.Il est l’auteur de La santé mentale (éditions La Fabrique) et La révolte de la psychiatrie avec Rachel Knaebel (éditions La Découverte).
15.02.2022 à 12:00
« La poubelle jaune ? C’est pour le plastique ! La bleue ? Les déchets papiers ! » Depuis quelques années, on nous a beaucoup appris à trier. Il s’agissait de nous inculquer les « bons réflexes », de nous « sensibiliser » à ces petits gestes du quotidien qui, mis bout-à-bout, font le plus grand bien à la planète. On jette au bon endroit et dans le bon ordre avec la satisfaction morale de commettre le bien, de prendre à bras-le-corps la responsabilité de cette transition écologique sans laquelle nous pourrions nous-mêmes finir dans la mauvaise poubelle. Par-delà cette politique d’invidualisation d’une culpabilité que l’on aurait plutôt envie de faire peser sur les responsables et bénéficiaires de siècles de destruction de la planète, il y a le monde dans lequel nous vivons. Ce lundisoir, nous accueillons l’anthropologue Mikaëla Le Meur, autrice de l’excellent Le mythe du recyclage paru aux éditions Premier Parallèle. Dans « ce carnet de terrain », la chercheuse a suivi la route du plastique au Vietnam. Elle y décrit l’économie et la vie dans des « villes plastiques » submergées de détritus, du sol au plafond. Arrivés par conteneurs depuis l’Occident, les déchets redeviennent une matière dite première. Des travailleurs vietnamiens trient, à leur tour, compactent et refont du plastique avec du plastique.
07.02.2022 à 20:00
lundimatin
On parle beaucoup de la justice, de ses moyens et de ses fins, du rôle qu’elle joue dans nos vies lorsqu’on s’y retrouve confronté, des illusions qu’elle charrie, de ce qu’elle est censée réparer ou réprimer. S’il est probablement sain d’en penser d’abord du mal, il faut reconnaître que c’est une des institutions que nous connaissons le moins bien de l’intérieur. Pour ce lundisoir, nous avons décidé de nous pencher sur ce que cela signifie d’être juge. Par-delà les représentations et les analyses, il s’agit de comprendre ce que c’est que d’exercer cet étrange métier : juger les autres. Nous avons donc invité une magistrate qui après plus de 15 ans de bons et loyaux services a choisi de déserter la fonction et d’abandonner cette curieuse mission.
31.01.2022 à 20:00
lundimatin
Baudelaire qui revient en zombie, une histoire d’amour qui finit en bûcher, un confinement qui va de charybde en scylla… Les trois derniers récits de l’anthropologue Éric Chauvier, non contents de nous avoir fait rire noir tant ils visaient juste, nous ont mis la puce à l’oreille. Nous sommes ainsi allés voir du côté de ses travaux plus « théoriques ». Des anthropologies du quotidien, de l’intime, partant de son expérience personnelle (il a soutenu une thèse d’ethnologie sur sa propre famille) qui se trouvaient écrits, eux, à la première personne. Le chercheur développe ainsi une méthode scientifique et subjective, rigoureuse et hérétique qui lui permet de déplier et décortiquer notre quotidien. A cheval entre la fiction, la littérature et le réel, Eric Chauvier raconte nos vies comme elles s’effondrent intérieurement et se défont objectivement. Sans rien céder au cynisme et à la défaite, son travail restitue dans un grand éclat de rire, ce qu’il reste d’« âme humaine ». Rencontre avec un hétérodoxe qui, depuis la marge, frappe dans le cœur des choses.
24.01.2022 à 20:00
lundimatin
Partir de la subsistance, du tissu de notre quotidien comme point de départ c’est le pari que font certains d’entre nous en désertant ce monde. Ce soir, nous recevons, Geneviève Pruvost, qui, avec Quotidien politique, essaye justement de comprendre et d’armer ces départs. Il s’agit de se défaire de la dépossession de notre rapport au monde matériel.
Faire l’histoire de cette dépossession, c’est s’approprier des contre-récits éco-féministes qui lient, invisibilisation du travail de subsistance, renforcement du patriarcat et émergence du capitalisme. En partant de cette attention de ce qui fait la matérialité de nos vies et en la prenant en charge collectivement, il est possible de reprendre pied dans notre quotidien.
17.01.2022 à 20:00
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Dans son poème The second coming, William B. Yeats décrit la fin de notre temps. Le faucon n’entend plus le fauconnier, le centre ne tient plus, tout se disloque. La vague teintée de sang se répand et partout, la cérémonie de l’innocence se noie. Les meilleurs ne croient plus en rien, pendant que les pires se gonflent de l’ardeur des passions mauvaises. Norman Ajari n’est pas poète, il est philosophe, mais il parle dans le fond de la même chose que Yeats. Les polémiques suscitées avec beaucoup d’entrain par la réaction française autour du « wokisme », de la pensée « décoloniale » et de « l’indigénisme » sont généralement considérées pour ce qu’elles sont : des démonstrations de bêtise un peu gênantes qui font néanmoins et efficacement office de diversion politique autant que de passerelle vers l’électorat faisandé de l’extrême droite. Mais elles ne sont peut-être pas que cela. Il faut concéder une intuition juste aux réactionnaires : leur monde s’échappe, le centre ne tient plus et tout le petit cirque de l’innocence touche à sa fin. À la suite de La dignité ou la mort (La Découverte), Norman Ajari vient de publier Noirceur (Divergences), livre dans lequel il se fait le passeur d’un courant de pensée et des débats qui l’animent : l’afropessimisme. Essentiellement présente aux États-Unis et encore très peu traduite en français, cette « pensée » est peut-être d’abord une stratégie : ne rien attendre. Parce que la dette de l’esclavage et de ce qui en perdure est inexpugnable, parce que la civilisation ne sera jamais autre chose que sa domination propre, ne plus y croire, sauf à sa fin. Noirceur tente de tracer une ligne, du refus de l’intégration et de la reconnaissance identitaire, fonder l’autonomie et viser le communisme. De l’un à l’autre un seul obstacle : le monde tel qu’il s’effondre. C’est ce dont nous discutons ce lundisoir.
17.01.2022 à 10:00
lundimatin
Le 23 janvier 2021 à la Parole Errante à Montreuil, une centaine de personnes sont venues regarder La Bataille de la Plaine (film de Primitivi), écouter et prendre part à la table ronde qui s'en est suivie (sur les luttes urbaines et la métropole), puis boire un verre et discuter avec des ami.e.s, des inconnu.e.s. Cela, en plein couvre-feu.Ce reportage est une archive sonore de ce rassemblement organisé par le Groupe de Recherche et d’Action sur la Production de l’Espace, et des débats qui s'y sont tenus.
03.01.2022 à 20:00
lundimatin
Grilles-pains, machines à coudre, gobelets, déodorants, smartphones et tant d’autres objets disparates envahissent nos vies ordinaires, saturent nos espaces domestiques, transforment nos manières de faire et s’entassent dans les recoins les plus étroits de nos logements. Il y a sans doute intérêt à en faire leur histoire ; à saisir par quels processus ils se sont imposés dans la vie ordinaire jusqu’à devenir tout à fait banals. Alors qu’ils sont devenus souvent nécessaires à la vie, nous n’avons guère leur intelligence : nous n’en comprenons que peu leur fonctionnement et nous sommes généralement empêchés de les réparer si bien qu’ils nous placent dans des situations concrètes et ordinaires de dépossession.
Ce soir, trois invités viennent débattre de ces questions autour de leurs récents ouvrages : Jeanne Guien (2021) publie aux éditions divergences Le consumérisme à travers ses objets. Gobelets, vitrines, mouchoirs, smartphone et déodorants tandis que Gil Bartholens et Manuel Charpy sortent L’étrange et folle aventure du grille-pain, de la machine à coudre et de ceux qui s’en servent aux éditions Premiers parallèles (2021). Ces deux ouvrages ouvrent de passionnantes réflexions sur la façon dont ces objets norment nos corps, forment nos subjectivités ou renforcent la distribution sexuée du travail domestique. Mais plus massivement encore, ils aident à penser les mutations du capitalisme et du consumérisme dont la vocation première est de s’étendre et coloniser nos vies ordinaires jusqu’à placer chacun sous des formes multiples de dépendance. C’est ainsi que cette histoire de ces objets banals aide à mieux comprendre notre époque et ses aliénations ordinaires. Mais Jeanne Guien, Gil Bartholens et Manuel Charpy ne se contentent pas de poser un diagnostic sur notre époque ; ils tracent également d’heureuses perspectives pour réfléchir des pratiques de résistance et pour questionner les façons de se libérer de ce quotidien colonisé.
20.12.2021 à 20:00
lundimatin
Cela faisait un moment que nous voulions, à lundisoir, parler de féminisme. Mais c’était pas évident de trouver les bonnes coordonnées au cœur d’une question à la fois aussi vaste et intime. D’un côté il y a ce phénomène désormais médiatique : la libération de la parole des femmes. Et oui ça y est, les femmes ont appris à parler, il leur arrive même de déposer plainte, de signer des tribunes, voire de coller des affiches. À cela on pourrait être tentés de répondre : les femmes ont toujours parlé, il n’y avait juste pas grand monde qui écoutait, à peu près aucun média pour leur donner de l’écho. Ou encore : parler ne sera jamais suffisant. Les mots, les témoignages, ne sauront jamais être une riposte à la mesure de tous les coups que nous avons pris et continuons de prendre.
Et puis il y a aussi ce bruit permanent, ces acouphènes interminables que l’on ressent : tout le monde parle désormais de féminisme, tout le temps. Et tout le monde a son petit mot à dire sur la question, soit pour geindre de l’apocalypse matriarcal final (lol), soit pour se valoriser personnellement d’en être la plus belle et pure représentante. Des codes, de l’entre-soi et cet épuisant besoin de reconnaissance.On a donc voulu essayer de contourner tout ça ou peut-être de trouver quelques raccourcis. L’idée c’était d’ouvrir une discussion avec des femmes qui nous semblaient avoir quelques idées de méthode ou des pistes de réflexions pour dégommer le patriarcat.Trouver le ton, l’angle, les mots n’est pas simple. Comment parler de moyens alors qu’on ne sait même pas si l’on vise la même chose ? Mais aussi : comment déterminer des fins alors que le geste prescriptif est une des marques de fabrique du même patriarcat qu’il s’agit de démolir ?On a lancé un paquet d’invitations et on s’est dit qu’on allait laisser les micros enregistrer, que ça s’improviserait et qu’on avait suffisamment confiance en et entre nous pour s’épargner une direction. Beaucoup n’ont pas pu se joindre pour cette émission mais beaucoup sont venu.e.s aussi.Bref, on a tenté un truc, et il a été difficile pour certaines de participer, et pour d’autres de se taire, pas évident pour certaines de déborder, et pour d’autres de rester en place - mais on a essayé de clarifier quelques enjeux, évité quelques questions qui nous semblaient peut être trop lointaines.Qu’est-ce qu’une pratique féministe ? Comment sortir d’une position purement défensive ? Comment contrer celles (pratiques comme positions) qui nous affaiblissent ? Et donc : poser la question de notre propre puissance. Ce sont à peu près les coordonnées que nous avons retenues de cette première rencontre qui en appelle évidemment d’autres (on va pas tarder à envoyer de nouvelles invitations).Ce lundisoir, on a donc parlé de transmission, d’alliances, et de comment défoncer des ronces avec des pelles.
13.12.2021 à 20:00
lundimatin
La fondation Luma, à vocation philanthropique, sise dans la ville d’Arles, revendique son engagement pour la création sous toutes ses formes. Son plus éclatant symptôme est une tour érigée par l’architecte Frank Gehry inaugurée en juillet dernier. Du haut de ses 56 mètres, elle surplombe la cité. Position confortable depuis laquelle sa fondatrice – l’héritière Maja Hoffmann, environ 450e fortune mondial grâce à l’empire pharmaceutique Hoffmann-Laroche, qui s’est notamment illustré par la catastrophe industrielle de Seveso – peut remodeler la ville de 53000 habitants à la guise de ses ambitions.
Quelques amis arlésiens de passage par la mégalopole nous ont suggéré de manger ladite tour. « Quel appétit ! », nous sommes-nous d’abord réjouis. « Mais quel mauvais esprit ! », nous sommes-nous ensuite offusqués. Mais c’était avant de les écouter. Bonne dégustation.
06.12.2021 à 17:00
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Le fardeau qui pèse sur les épaules, l’épuisement dans lequel certains ont le sentiment de traîner leur vie « comme un landau sous l’eau », la tristesse et l’abattement même dans lesquels nous pouvons nous trouver, toutes ces sensations de fatigue et de vides modernes sont-elles condamnées à une lecture et un traitement individuels ? Les dispositifs qui écoutent, soutiennent, aident ne privent-ils pas d’une mise en collectif de ces souffrances et de leur devenir politique ? Ne faut-il pas entendre dans nos intenses fatigues modernes qui semble avoir cédé sur tout désir le bouillonnement de la révolte à bas bruit ? C’est ce qu’essaie de penser Romain Huët dans l’excellent De si violentes fatigues, Les devenirs politiques de l’épuisement quotidien, à partir d’une enquête ethnographique et sociologique au long cours au sein d’une association de prévention contre le suicide. Nous en avons discuté avec lui.
29.11.2021 à 20:00
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Nous en choyons - nourrissons, castrons, enfermons - certaines, à jamais enfants de nos foyers. Nous en mangeons et exploitons d'autres, tuées et dépecées le plus souvent en masse et loin de nos regards, entre autres pour nourrir les premières. Notre relation aux bêtes et nos sensibilités à leur égard sont un summum de contradictions et de problèmes éthiques dont une féroce division du travail peine à nous sauver. La chasse avec toutes les controverses qu'elle suscite est un des lieux les plus vifs pour penser ce mélange d'affects et d'élans qui nous traversent, nous laissant bien peu tranquilles quand il s'agit de repenser notre place parmi les vivants. Charles Stépanoff, anthropologue, spécialiste du chamanisme sibérien et auteur du très beau L'animal et la mort. Chasses, modernité et crise du sauvage, nous permet d'explorer ces territoires.
08.11.2021 à 20:00
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Janvier 2014, la commune du Rojava est proclamée dans le nord de la Syrie historiquement kurde. Le PYD (parti de l’union démocratique) proche du PKK (parti des travailleurs du kurdistan) prend le contrôle de la zone et annonce l’instauration d’une zone autonome politiquement en s’inspirant du socialisme libertaire et du confédéralisme démocratique. L’expérience politique se retrouve néanmoins rapidement prise dans un étau militaire aux multiples fronts et ennemis.
Au fil des années, de nombreux volontaires internationaux ont rejoint la commune pour voir ce qui s’y expérimentait et défendre la zone des offensives de Daesh et de la Turquie notamment. Le front du Rojava pose de très nombreuses questions politiques, géopolitiques et stratégiques, quant à son rapport à la révolution syrienne, au démocratisme plutôt relatif du PKK, à sa forme-partie ou à ce que signifie pratiquement et éthiquement d’être acculé à une confrontation militaire. Beaucoup a déjà été dit et débattu à propos du Rojava, dans nos pages notamment, et comme pour toute tentative révolutionnaire, ce bilan se fera au fil des années, du recul et de l’évolution de ces expérimentations.
Pour ce lundisoir, nous avons rencontré Alexis qui a passé plus de 3 ans là-bas et a notamment participé à l’ouvrage collectif Hommage au Rojava publié en septembre 2020 aux éditions Libertalia. Nous lui avons proposé de nous raconter, sans surplomb, ce que cela pouvait signifier pratiquement de partir au Rojava, d’y combattre et d’en revenir.
31.10.2021 à 19:00
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Comment comprendre les obsessions monstrueuses dont l'époque entoure ce qu'elle appelle « l'islam » ? Est-il possible, comme le font des voix minoritaires et bien intentionnées, de n'y voir qu'un aspect collatéral du racisme et de la démagogie gestionnaire ? Ou la continuation de vieilles logiques policières et contre-insurrectionnelles ?Cette interview de Mohamad Amer Meziane, auteur d'un livre intitulé "Des Empires sous la terre, histoire écologique et raciale de la sécularisation", aidera à aborder ces questions en prenant un peu de hauteur historique et théorique. Outre les analyses imposantes qu'il développe concernant le caractère impérial des Etats nations modernes ou la dimension écologique de la sécularisation, cet ouvrage permet de comprendre en quoi une loi sur le séparatisme ou un Eric Zemmour ne sont que les effets les plus récents d'un processus historique de sécularisation qui « loin de toute séparation de la religion et de la politique (...) est une manière de politiser la religion en lui faisant jouer le rôle de la race ».
31.10.2021 à 10:00
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La conspiration des enfants« La toux a cessé mais le souffle n'a pas été retrouvé. Il s'est exilé et ne trouve même plus, dans la scansion des quintes et la suspension des râles, la plasticité par laquelle se dessinent les plus de possible et les pliures des après, Tout tombe, tout s'arrête, tout s'est arrêté.
Pourtant, à bien y regarder, juste après l'embrasement de Moria et juste avant l'évacuation de Pikpa, en ce 15 octobre 2020, quelque chose semble continuer à se mouvoir dans une étrange suspension. La petite communauté mélangée découvre un interstice au bout de l'île que l'Union est en train de saccager. Ce jour-là, les flammes ne sont pas encore là. Elles ne brûlent plus le camp de Moria et pas encore celui de Pikpa. Pourtant, tout parle du feu, tout le transporte mais personne ne panique. Ni les enfants, ni les coraux, ni les racines, ni les éducateurs ne tremblent. Car avec les flammes, chacun voit s'élever, à la manière des après, des devenirs métamorphiques et des promesses renouvelées. Les enfants dorment encore moins qu'auparavant : se passent le relais de veillées imaginées non pour surveiller le terrain mais pour veiller sur les constructions souples et la foule des turbulents que le petit monde accueille. La turbula revient ; elle n'a rien perdu de sa puissance à la fois terrible et parodique, que seuls connaissent les enfants. Certes, dans le monde des Grands, mais les oppositions au démantèlement exprimées par plusieurs citoyens européens rassemblés sur le campement de Pikpa, l'évacuation aura lieu. Mais les enfants convertiront en eau déchaînée qu'ils forment comme autant de petits précipités d'océans. Le feu a assez pris pour que les cendres deviennent les flots des commencements. »
Réalisation: Nicolas Zurstrassen
17.10.2021 à 16:00
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Nous avons assisté, ces dernières années, à la diffusion toujours plus large de sentiments négatifs à l’égard des forces de l’ordre. Pas une manifestation sans que l’on entende entonné le désormais fameux « Tout le monde déteste la police », pas une ville qui ne soit décorée de plus ou moins discrètes inscriptions ACAB, « tous les flics sont des bâtards ». Mais alors que faire d’une intuition ou d’une revendication si massivement partagée et pourtant tue dans l’espace médiatico-politique ? Hasard du calendrier, la rentrée littéraire 2021 nous a gratifié de trois excellent ouvrages qui tentent de circonscrire ces questions : faut-il réformer la police, l’abolir ou la défaire ? Nous en avons discuté publiquement le jeudi 14 octobre en présence de Serge Quadruppani, Iréné, Pierre Douillard-Lefèvre et de membres du Collectif Matsuda. La vidéo sera disponible ce lundisoir à partir de 20h.
08.10.2021 à 15:00
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1. Suffragistes et Ju-Jitsu (0'00)2. Généalogie du krav maga (5'56)3. Vigilantisme, super-héros et colonialité du pouvoir (20'09)4. Black Panthers : le bon sens et l’autodéfense (30'54)5. Retourner la violence, restaurer le monde (43'17)Ces 5 épisodes ont été publiés en format vidéo sur lundimatin en novembre 2017.
08.10.2021 à 15:00
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Comme il est bon, par les temps qui coulent, de remporter une victoire. Cette victoire, c’est Sabrina Calvo qui nous l’offre avec son Melmoth furieux paru aux éditions La Volte, un assaut poétique mené amour battant dans un Paris parallèle, dans un Belleville libéré en néo-Commune au sein de laquelle fleuriront assez d’exaltations, d’inventions et de rêves pour mettre à mal un empire à deux (sales) têtes : la métrique d’un côté, algorithme phagocyte qui enserre et assèche tout et chacun, Eurodisney de l’autre, parc aux plaisirs fades et sans ferveur qui digère les imaginaires de ses visiteurs. C’est à l’inauguration de ce dernier, parce que le frère de la narratrice s’y immole, que prend racine une colère qui gonflera tout le long des 287 pages de ce poème épique.
Aussi c’est pétris d’enthousiasme que nous avons rencontré Sabrina Calvo qui nous a fait le plaisir de nous expliquer comment et pourquoi articuler couture, écriture, game design, psychogéographie et lutte. Entretien sensible.
05.10.2021 à 15:00
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Durant le confinement du printemps 2020, la Préfecture de Police avait alerté sur une saturation du « système d’urgence », du fait d’une augmentation des délations (pour signaler ici des manquements aux règles du confinement). Et avait demandé à ne plus alimenter le 17 avec ce type de dénonciations. Dans d’autres pays, le problème a été réglé par la mise en place de plateformes numériques (par exemple en Nouvelle-Zélande, mais aussi en Belgique ou au Canada), qui n’est pas sans rappeler l’expérimentation de la ville de Nice quelques années auparavant. Il y a quelques semaines le ministre de l’Intérieur, M. Darmanin, annonçait le lancement d’une plateforme « permettant à chacun de signaler à la police et à la gendarmerie les points de deal se trouvant près de chez lui ». Au delà du surinvestissement politique des questions sécuritaires en prévision de l’élection présidentielle à venir, que disent de notre époque ces réflexes de délation et ces injonctions au « signalement » ? S’agit-il réellement d’un retour ? Quel rôle joue ici la numérisation des rapports (la dénonciation derrière son clavier étant déjà un moteur des réseaux sociaux) ?
05.10.2021 à 14:00
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Quentin Ravelli est sociologue, chargé de recherche au CNRS. En 2015, il a publié La Stratégie de la bactérie : Une enquête au cœur de l’industrie pharmaceutique au Seuil. Il y décrit et analyse tout la chaîne de production du médicament - de la constitution des molécules à la fabrication des emballages en passant par le lobbying et le service commercial. À partir de sa connaissance du fonctionnement routinier de l’industrie pharmaceutique, nous avons souhaité discuter avec lui de la situation actuelle, de la production des vaccins, de la médecine en temps de crise épidémique, de l’emprise de l’industrie sur le corps médical et de queues de cerises.
05.10.2021 à 14:00
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Jérôme Baschet est historien médiéviste à San Cristóbal de Las Casas au Chiapas. Mais dernièrement, il a surtout écrit sur le présent, la covid, les Gilets Jaunes, les mondes qui émergent et les possibles qu’il s’agit d’enfoncer. Comme il était de passage en France et que nous avions quelques questions à lui poser sur son dernier livre Basculements : Mondes émergents, possibles désirables, nous avons invité quelques amis pour discuter de ses analyses et perspectives stratégiques.
05.10.2021 à 14:00
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05.10.2021 à 12:00
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Sandra Lucbert est écrivaine. Elle a écrit deux romans Mobiles (Flammarion, 2013) et La Toile (Gallimard 2016) avant d’aborder un sujet plus directement politique Personne ne sort les fusils (Le Seuil) en 2020 qui a reçu le prix de l’essai Inrockuptibles. Incontestablement, la littérature est un moyen pour alimenter la critique sociale et politique. Ce dernier livre, Le ministère des contes publics, prolonge un long travail sur la déconstruction du langage managérial et libéral au service de ce qu’elle appelle « l’hégémonie ». Il est rare que des écrivains s’intéressent au sujet technique de la dette. Dans cet entretien, elle revient sur son travail littéraire et sa déconstruction du langage néolibéral : comment opère-t-il et comment lui résister ?