07.11.2022 à 20:00
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Ce soir nous accueillons le philosophe et écrivain Tristan Garcia pour un livre qui n’est pas encore paru et qui aura mis des années à passer des petites collines d’une courte conférence en 2017 aux vastes steppes d’une somme ontologico-politique (Laisser être et rendre puissant, à paraître) en passant par la vallée fleurie d’un entretien récapitulatif en 2021 (L’Architecture du possible).S’il faut souvent examiner les faits et les événements pour saisir l’horizon empirique sous lequel l’action politique se dessine ; il faut aussi parfois, pour un temps, remonter aux structures de nos langages et aux logiques de nos subjectivités, aux toiles d’araignées ténues de nos métaphysiques invisibles, afin de clarifier théoriquement les voies du labyrinthe dans lequel, souvent sans le savoir, nous avançons les yeux fermés.
Dans un très mauvais blockbuster de 2015, À la poursuite de demain (Tomorrowland), on pourrait trouver une image du rapport entre métaphysique et politique. Lorsque la jeune héroïne Casey Newton effleure un pin’s en forme de « T », trouvé par hasard dans ses affaires, elle est brusquement projetée depuis le bayou de sa Floride marécageuse dans un espace parallèle parfaitement utopique où se dresse, à l’horizon des champs de blé dorés qui l’entourent, une gigantesque citadelle. Mais alors qu’elle se met en marche à travers les épis, vers cette citadelle qui l’attire, elle se heurte à un mur invisible. En essayant de le contourner sans le voir, elle sent soudain son corps se recouvrir d’une eau pourtant absente. C’est que Casey Newton a beau percevoir le pays d’or et d’utopie, a beau le voir sous ses yeux se déployer alentour, son corps, lui, déambule entre les maisons de sa présente Floride, et même si elle ne voit plus ni ses rues, ni ses clôtures, ni ses façades, son corps, lui, les sent, les vit, s’y cogne, physiquement, et manque de se noyer dans le fleuve de la ville.
La métaphysique est cette Floride, ce labyrinthe urbain, qui n’est plus visible lorsque nous avançons dans les champs politiques de la citadelle utopique mais qui continue de déterminer les devenirs de nos actions. Déterminer à quels espaces urbains ontologiques nos subjectivités participent en se croyant tout autre chose, c’est l’un des aspects du travail de Tristan Garcia dans Laisser-être et rendre puissant. Après une vaste épopée ontologique, il analyse dans son livre les modalités du possible, de l’impossible, du contingent et du nécessaire, de la puissance et de l’impuissance et leur articulation sous la forme de subjectivités éthiques, de « formations éthiques » (457), distinctes et en conflit : « Ces formes que prend la subjectivité entre semblables, déformée par l’histoire, par les intérêts et des camps ennemis, quand chacune tend à l’hégémonie, se nourrissent et se confirment les unes les autres dans la guerre générale. » (455) À la manière d’un stratège théorique, il passe du point de vue d’un camp engagé dans l’action et la bataille, au point de vue du champ de bataille lui-même où se disposent les différentes subjectivités dans les luttes pour l’hégémonie. Le rôle du philosophe est peut-être alors d’analyser ces subjectivités, et de trouver les tactiques par lesquelles non pas détruire ou éliminer les plus vilaines, mais désamorcer ou interrompre leur élan d’hégémonisation :
« Si elle n’est pas interrompue, chacune menace de se constituer en autorité absolue. Elle supprime de plus en plus d’autres subjectivités possibles et empêche toute puissance autVous aimez ou au moins lisez lundimatin et vous souhaitez pouvoir continuer ? Ca tombe bien, pour fêter nos dix années d’existence, nous lançons une grande campagne de financement. Pour nous aider et nous encourager, C’est par ici.
31.10.2022 à 09:00
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Mathilde Girard est l’autrice de La séparation du monde et écrit In Extremis. Frédéric D. Oberland officie dans Oiseaux-Tempête, FOUDRE !, Le Réveil des Tropiques et NAHAL Recordings. Ils devaient se rencontrer, c’était un lundisoir.
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24.10.2022 à 08:00
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Nous continuons cette semaine nos pérégrinations autour de l’anthropologie, de la philosophie et de l’anarchisme. Après avoir discuté avec Catherine Malabou, Barbara Glowczewski, Nastassja Martin et Jean Vioulac il allait de soit qu’il nous fallait rencontrer Philippe Descola et Alessandro Pignocchi. Nous avons parlé de leur livre d’entretien et de bandes dessinées qui vient de paraître Ethnographie des mondes à venir mais aussi de l’appel des Soulèvements de la terre à rejoindre Sainte-Soline (79) le 29 et 30 octobre afin de lutter contre les mega-bassines.
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17.10.2022 à 08:00
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Qui y a t-il de commun entre la communication du patronat français, une milice à la solde de narco-trafiquants mexicains, des parachutistes dans la guerre d’Algérie, la guerre en Irak et Afghanistan, des opérations secrètes de la Seconde Guerre Mondiale, la féroce répression des dictatures sud-américaines des années 1970 et, entre autre, le maintien de l’ordre colonial français pendant un siècle ? Une stratégie aux contributions plurielles, étalée sur près de deux siècles, et qui prendra la nom de “Doctrine de Guerre Révolutionnaire” (DGR) durant la décolonisation. C’est l’histoire de cette doctrine contre-insurrectionnelle que raconte Jérémy Rubenstein dans son excellent Terreur et séduction tout juste paru aux éditions La Découverte.
« Qu’on le sache ou non, la doctrine de la guerre révolutionnaire s’est insérée dans des domaines les plus variés : les polices, les armées privées, les agences de communication, le management d’entreprises et, dans le fond, dans la manière de penser de très nombreux dirigeants. »
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10.10.2022 à 20:00
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Un peu plus de trois semaines après le début des soulèvements à la suite du meurtre de Masha Amini, Kurde d’Iran, la situation suscite espoirs et peurs. Alors que le guide Suprême est demeuré étonnamment silencieux, la jeunesse iranienne continue à protester avec une vitalité déconcertante : manifestations spontanées et éclaires, opérations coup de poings, danses, chants, exposant au monde un désir impatient de liberté qu’aucune peur ou répression ne sauraient pour le moment contenir.
Les informations sur la situation demeurent rares en raison des coupures d’Internet et de la surveillance. Les intellectuels spécialistes de l’Iran semblent observer une certaine réserve. De fait, personne n’ose vraiment nommer ce qui est en train d’arriver : s’agit-il d’une révolte supplémentaire qui creuse encore davantage la défiance à l’égard du régime ou assistons-nous, 40 ans après l’avènement de la République Islamique, à une révolution initiée par les femmes et la jeunesse ?Chowra Makaremi nous aide à lire la situation en Iran en la mettant en perspective avec les révoltes de 2009, 2017-2018 et 2019. Elle propose une analyse d’une finesse rare sur la société iranienne, sur son passé récent et sur la nouveauté qu’inaugure la jeunesse iranienne dans les rues du pays entier depuis le 16 septembre. C’est bien un élan révolutionnaire qui secoue le paysChowra Makaremi est anthropologue au CNRS. Depuis 10 ans, elle consacre ses travaux sur les mécanismes de fonctionnement de la répression à partir de sa propre histoire familiale. Au lendemain de la révolution de 1979, la répression s’abat sur les opposants politiques autrefois amis et alliés de la révolution. La mécanique répressive est d’une ampleur extraordinaire. Les emprisonnements, massacres et politique de la peur figent dans le silence la société iranienne. Mais cette répression consiste également en une politique systématique de l’oubli des morts en effaçant les stèles, les objets de mémoire et les fosses communes. Chowra Makaremi enquête en « dressant la cartographie de ce qui reste, quand l’histoire a effacé les êtres et s’attache à gommer les contours de la disparition."Elle est la réalisatrice du film documentaire Hitch. Une histoire iranienne (Alter Ego Productions). Ce film a reçu le prix du premier film au festival du film ethnographique Jean Rouch, mention spéciale Rendez-vous de l’histoire du documentaire historique de Blois. Elle est également l’auteure de l’ouvrage, Le cahier d’Aziz. Au cœur de la révolution iranienne, aux éditions Gallimard en 2011.
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03.10.2022 à 20:00
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Cette semaine dans lundisoir, on parle de colonialisme énergétique, de mégaprojets et de défense des territoires au Mexique avec Mario Quintero, représentant de l’Assemblée des Peuples Indigènes de L’Isthme en défense de la terre et du territoire. Une des régions les plus venteuses au monde, l’isthme de Tehuantepec est convoité par des multinationales – dont la française EDF – qui viennent y imposer des parcs éoliens industriels depuis plusieurs décennies. Problème : les terres en question sont bien souvent communales, d’usage collectif, dans une région où vivent de nombreux peuples autochtones notamment zapotèques.
En tournée en Europe et invité par le collectif Stop EDF Mexique, Mario vient aussi parler des formes de résistances face au méconnu et pourtant pharaonique projet de couloir transocéanique - un canal sec aux enjeux géopolitiques majeurs qui relierait océans pacifique et atlantique, et prévoit la modernisation d’une ligne de train et de deux gazoducs, le tout bardé d’une dizaine de parcs industriels. Il invite des délégations européennes à se joindre à la caravane et la rencontre internationale « le Sud Résiste » qui auront lieu du 25 avril au 7 mai 2023 pour faire le tour des mégaprojets destructeurs dans le Sud du Mexique, et articuler les luttes à l’échelle internationale, dans la continuité du voyage pour la vie zapatiste.
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