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17.04.2025 à 08:00

“Playlist”, d’Esteban Buch : la musique a-t-elle une fonction érotique ?

nfoiry

“Playlist”, d’Esteban Buch : la musique a-t-elle une fonction érotique ? nfoiry jeu 17/04/2025 - 08:00

Avec Playlist, qui vient d'être republié aux Éditions MF, le musicologue Estaban Buch livre une enquête pétillante et érudite sur les liens unissant la musique et la sexualité, du Don Giovanni de Mozart au Je t’aime moi non plus de Gainsbourg. Cet essai a fait vibrer Martin Legros, qui vous le présente dans notre nouveau numéro.

avril 2025

16.04.2025 à 18:00

Poétique du pylône

nfoiry

Poétique du pylône nfoiry mer 16/04/2025 - 18:00

« Alors que j’étais, ces derniers jours, à la campagne, je suis repassé, chemin faisant, à un endroit que j’aime beaucoup, quoiqu’il ne paie pas de mine : au pied des vignes installées sur le petit côté d’un ru, une trouée perce une mince haie forestière. Là, un pylône trône – relais d’un courant électrique, qui, venu d’on ne sait où, dévale la pente, franchit la ravine et s’enfuit à travers les champs de l’autre côté.

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Je l’ai d’abord détesté, ce lieu sans allure qu’aujourd’hui j’affectionne. Je me rappelle quand le bois a été rasé pour planter les ceps. Je me rappelle quand le bras de forêt, en contrebas, a été sectionné. J’étais enfant, et j’étais triste, mortifié de ce spectacle de dévastation : les troncs abattus, la terre dénudée, les camions vrombissants.

Peu à peu, pourtant, les choses ont changé. Les vignes ont grandi. Les herbes folles ont repris leur droit, sous la ligne à haute tension. J’en suis venu à apprécier ce pilier incongru. Les câbles suspendus qui filent à travers la modeste combe emportent le regard vers un ailleurs. L’œil se dilate. Peut-être voit-on mieux la forêt, désormais : frontière végétale impénétrable, la voilà qui devient un élément d’un paysage composé, nivelé, contrasté, hétérogène et bigarré, où les ordres de choses s’entrelacent. “Le paysage dont on s’émerveille (équilibré, varié, harmonieux, incomparable) a supposé l’intervention des hommes et des générations : celles-ci ont tracé des chemins, élevé des haies et des murailles, défriché et émondé les arbres, assagi les végétations”, écrit le philosophe François Dagognet dans son Éloge de l’objet (1989). Le pylône est un proche, un “portail” – pulôn, en grec – qui ouvre et rassemble un monde, tissant le présent et l’absent, les sillons, les talus, les routes et les villages invisibles que la fée électricité illumine au-delà de l’horizon.

Peut-être aurais-je préféré, il y a quelques années, que ce pylône se fonde davantage dans la nature, afin qu’on ne le remarque pas. C’est une tendance, dans le milieu des infrastructures électriques, comme l’évoque déjà Dagognet : les poteaux ne peuvent être réduits au rang de “simples ‘porteurs’”, ils doivent “se glisser dans l’ensemble”, “s’harmoniser au paysage”. L’ingénieur est soumis à “l’obligation de les couler dans les lignes d’un milieu qu’ils ne doivent pas systématiquement ignorer ou blesser”. Poussé par cette exigence d’“ajustement au milieu”, il est “tenté de […] transformer [les pylônes] ‘en fûts arborescents’”, d’inventer des modèles architecturaux qui simulent “une sorte de sapin d’acier ou de fer” : “On les dispose comme une pépinière ou un semis […]. On ne cesse rejouer de l’assimilation entre les arbres et eux.” Si, pour Dagognet, “la simple fonctionnalité de l’accrochage des conduits” est dommageable et conduit à la mutilation aveugle de la nature, la volonté de cacher l’artifice humain ne vaut beaucoup mieux : insinuant “les poteaux métalliques dans les lignes naturelles”, on “ne vise […] qu’à tromper”, à dissimuler toujours davantage. Dagognet parle d’un “affadissement de la dissimulation” qui “implique trop la nature à respecter” et “plie entièrement ‘l’objet’ à des considérations extérieures”, comme s’il n’était qu’une “fabrication inessentielle qui doit s’effacer et, à la limite, disparaître”.

Dagognet, lui, donne sa préférence à une architecture qui, sans être simplement fonctionnelle, assumerait la “violence des trajectoires techniques” et le contraste qu’elle introduit dans le paysage : “des aménagements plus radicaux, […] qui barrent, accentuent ou attaquent même les géométries spontanées.” Le philosophe dénonce ceux qui déplorent que la ligne à haute tension souille “la montagne”, ceux qui entendent “défendre les vallées contre la lèpre des échafaudages et des bâtis”, “protéger ‘les sites’” en refusant toute immixtion technique. Le mélange de nature et d’artifice n’est pas sans grâce : il y a une “‘beauté’ des enchevêtrements de réseaux, [des] immenses fouillis de pilotis et de câbles”. L’imposition de lignes tranchant sur les courbes naturelles introduit une tension dramatique qui n’est pas sans effet sur le spectateur : “Les ‘dispositifs de soutien des lignes’ rivalisent avec les montagnes qu’ils gravissent, avec les vallées qu’ils relient ou les vastes étendues qu’ils sillonnent et même lacèrent. […] La superposition des deux systèmes – le rustique et l’électrique – [suscite] un contraste saisissant et pathétique.”

Un autre philosophe des techniques le dit également. En 1958, dans Du mode d’existence des objets techniques, Gilbert Simondon écrit : “Les techniques, après avoir mobilisé et détaché du monde les figures schématiques […] retournent vers le monde pour s’allier à lui par la coïncidence du ciment et du roc, du câble et de la vallée, du pylône et de la colline. […] Ce n’est pas seulement la ligne de pylônes qui est belle, c’est le couplage de la ligne, des rochers et de la vallée, c’est la tension et la flexion des câbles : là réside une opération muette, silencieuse, et toujours continuée de la technicité qui s’applique au monde. […] Une ligne de pylônes supportant des câbles qui enjambent une vallée est belle, alors que les pylônes, vus sur les camions qui les apportent, ou les câbles, sur les grands rouleaux qui servent à les transporter, sont neutres.”

Là où régnait la continuité homogène du végétal, l’installation introduit une rupture et suscite un lieu, un site, qui, loin de nous arracher à la terre, nous permet peut-être de mieux la voir. “Telle ligne de pylônes, telle chaîne de relais constitue le harnais de la nature.” »

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