25.10.2025 à 11:51
Le gouvernement a annoncé un nouveau plan anti-fraudes, sociales et fiscales, qui vise à renforcer les actions déjà engagées depuis deux ans. Les objectifs affichés sont somme toute classiques : prévenir et détecter, lutter et sanctionner, recouvrer les sommes dues. Au-delà des formules, un regard approfondi s'impose cependant, tant la question de la lutte contre la fraude est importante et sensible.
Il ressort de la lecture de ce projet de loi un déséquilibre patent entre les mesures (…)
Le gouvernement a annoncé un nouveau plan anti-fraudes, sociales et fiscales, qui vise à renforcer les actions déjà engagées depuis deux ans. Les objectifs affichés sont somme toute classiques : prévenir et détecter, lutter et sanctionner, recouvrer les sommes dues.
Au-delà des formules, un regard approfondi s'impose cependant, tant la question de la lutte contre la fraude est importante et sensible.
Il ressort de la lecture de ce projet de loi un déséquilibre patent entre les mesures relatives à la fraude sociale et celles relatives à la fraude fiscale. En effet, sur les 23 mesures qu'il contient, 3 concernent la lutte contre la fraude fiscale, 3 sont communes à la lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale, 16 concernent la lutte contre la fraude sociale et 1 concerne le blanchiment. Le projet de loi est donc très orienté vers la lutte contre la fraude sociale.
Il reste à déterminer précisément le sens général de ce projet et les fraudes nommées et visées. Sur quelques points, le gouvernement semble avoir tiré quelques leçons des travaux menés sur la fraude sociale montrant qu'elle provient très majoritairement de la fraude aux cotisations sociales et de la fraude organisée par des professionnels.
On est loin ici du mythe du détournement d'un assistanat généralisé et généreux ressassé à l'envi par les conservateurs et l'extrême droite, désormais tous unis pour en finir avec la redistribution et la solidarité. Parmi ces mesures, certaines renforcent la coopération et l'échange d'informations entre les administrations fiscales douanières et sociales afin de mieux détecter des formes de fraudes organisées. On retrouve par ailleurs des mesures prévoyant une aggravation des peines des acteurs qui font la promotion de la fraude et qui la facilitent, ou encore le renforcement des sanctions en cas d'avoirs financiers détenus dans des trusts non déclarés. Tout cela est objectivement intéressant, sous réserve que ces mesures soient réellement appliquées et que les administrations qui en ont la charge aient les moyens de les mettre en œuvre, ce qui est très loin d'être le cas.
Au-delà de ces mesures, il est clair que, dans l'ensemble, l'équilibre général du texte penche nettement vers la lutte contre la fraude sociale et non vers celle contre la fraude fiscale. De ce point de vue, la continuité avec les autres gouvernements est claire.
Sans revenir sur l'ensemble des mesures, on reviendra sur deux points peu mis en avant dans le débat public sur ce projet.
Le premier concerne son contenu. On a du mal à voir dans ce projet une évolution franche et globale. C'est d'ailleurs l'avis du Conseil d'État qui, saisi en juillet, a rendu son avis le 11 septembre sur ce projet de loi dans lequel il estime que « le projet de loi ne contient pas de réforme d'ampleur des outils de lutte contre les fraudes sociales et fiscales, mais rassemble diverses dispositions visant à améliorer, par des modifications ciblées de procédures et mécanismes existants, l'efficacité des contrôles, des sanctions et des procédures de recouvrement des créances ».
En d'autres termes, il n'y a pas de « révolution » dans les mesures annoncées. Celles-ci n'ont d'ailleurs pas fait l'objet d'une étude d'impact chiffrée. Or, pour le Conseil d'État,
« le Gouvernement doit enrichir l'étude d'impact d'informations précises et chiffrées évaluant l'impact d'ensemble que le projet de loi est susceptible d'avoir sur les finances publiques ». Toutefois, l'empressement du gouvernement à vouloir élargir l'accès direct aux fichiers de l'administration fiscale est relevé par le Conseil d'État qui estime qu'avec une telle disposition, « le projet de loi apporte au régime du secret fiscal une nouvelle dérogation ». Il souhaite que celle-ci soit plus encadrée.
Le second point est plus global, pour ne pas dire fondamental. Plusieurs mesures de ce projet de loi sont destinées à renforcer la coopération entre les administrations fiscales, douanières et « sociales » (les URSSAF). Elles s'inscrivent dans une évolution déjà entamée : l'harmonisation progressive des procédures dans la lutte contre les fraudes publiques (soit la somme des fraudes fiscales, sociales et aux aides publiques) et une coopération renforcée dont l'une des conséquences est la transmission de données et informations plus nombreuses de l'administration fiscale vers la sphère sociale. Sans aller jusqu'à dire que cette évolution préfigure la création à terme d'une vaste entité unique regroupant ces administrations (les obstacles étant nombreux), il faut relever cette tendance profonde, à l'œuvre depuis plusieurs années.
Cette tendance, qui appellerait un débat long et nourri, s'accompagne d'une orientation politique qui vise à privilégier la lutte contre la fraude sociale et, « en même temps », poursuit la baisse des moyens alloués à l'administration fiscale qui, elle, ne cesse de perdre des emplois.
Pour en savoir plus :
- [Rapport] Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales : Ne pas se tromper de cible
- Retour sur la fraude aux finances publiques
22.10.2025 à 10:00
La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a récemment déclaré sur France 2 que l'héritage était « un truc qui tombe du ciel », elle a de nouveau * appelé à davantage taxer les héritages. Cette déclaration a suscité de nombreuses réactions, pour la plupart empreintes d'idées fausses et trompeuses. Attac s'est exprimée à plusieurs reprises ** sur cette question. Nous y revenons ici en 4 points.
** 1/ Les vrais libéraux devraient demander un renforcement des droits de (…)
La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a récemment déclaré sur France 2 que l'héritage était « un truc qui tombe du ciel », elle a de nouveau * appelé à davantage taxer les héritages. Cette déclaration a suscité de nombreuses réactions, pour la plupart empreintes d'idées fausses et trompeuses. Attac s'est exprimée à plusieurs reprises ** sur cette question. Nous y revenons ici en 4 points.
De longue date, certains « vrais libéraux » ont émis le souhait que la transmission de patrimoine soit fortement taxée. Selon eux, on ne doit pas réussir dans la vie grâce à l'héritage, mais par son mérite (pour Warren Buffett : « une personne très riche doit laisser suffisamment à ses enfants pour qu'ils fassent ce qu'ils veulent, mais pas trop pour qu'ils ne fassent rien ». Pour eux, personne ne doit bénéficier d'une rente et bénéficier de privilèges dans l'accès aux ressources. Au contraire, il faut valoriser le travail, ce que l'héritage ne permet pas, ou du moins, freine, et ainsi mettre fin au privilège de naissance.
► Les partisans d'une baisse des droits de donation et de succession [1] ne peuvent se réclamer du libéralisme au sens historique du terme.
Les pourfendeurs de la fiscalité du patrimoine font valoir peu d'arguments. Ils parlent d'impôt sur la mort et de la nécessité de transmettre à ses enfants le fruit d'une vie de travail. Ces éléments de langage sont strictement les mêmes que ceux de Georges Bush aux États-Unis dans les années 2000 lorsqu'il voulait supprimer ces impôts qui ne concernaient que les multimillionnaires. Transmettre à ses enfants le « fruit d'une vie de travail » sans droit de succession ? C'est déjà le cas, compte tenu des abattements prévus. Seules 15 % des successions dépassent le cap de 100 000 euros, 62 % portent sur 30 000 euros, 35 % sur moins de 8 000 euros. Près de la moitié des ménages français ne touchent aucun héritage au cours de leur vie et 80 % ne reçoivent aucune donation du vivant de leurs proches ». Et près de 87 % des successions ne donnent lieu à aucun impôt.
► L'argumentaire relève de la manipulation : il s'agit de rendre populaire une proposition particulièrement injuste qui ne concernera pas l'immense majorité de la population, encore plus que la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF, transformé en impôt sur la fortune immobilière, IFI).
L'INSEE a mesuré que la moitié de la population la plus aisée détient 90 % du total du patrimoine des ménages. En 2021, les 10 % les plus aisés détenaient 47,1 % du patrimoine contre 41,3 % en 2010. En leur sein, les 1 % les plus riches en détiennent 15 %.Cette concentration des richesses s'accompagne d'une montée de la part du patrimoine hérité. Actuellement, 60 % des patrimoines sont hérités, contre 35 % au début des années 1970. La financiarisation de l'économie, les baisses d'impôts au profit des plus riches et des grandes entreprises (lesquelles versent des dividendes à leurs actionnaires, notamment aux « gros actionnaires ») ou encore les dispositifs permettant de réduire les droits de donation et de succession expliquent cette tendance. Nous assistons ainsi à la reconstitution d'une société de rentiers.
► Baisser ou supprimer les droits de donation et de succession, c'est faire exploser les inégalités.
Les droits de donation et de succession ont toujours été plus rentables que l'ISF et, a fortiori, que l'IFI. Ils dégagent un rendement d'environ 20 milliards d'euros.
► Baisser ou supprimer les droits de donation et de succession, c'est accentuer l'austérité sur la population dont l'immense majorité ne paie pas ces impôts.
Pour dégager des recettes utiles à la bifurcation sociale et écologique et réduire les inégalités, les droits de donation et de succession méritent une réforme visant à les rendre véritablement progressifs. Cela passe par un plafonnement du dispositif « Dutreil » (une exonération de 75 % de la valeur des titres d'une société transmis par voie de donation et/ou de succession), une révision des barèmes encore familialisés (les barèmes diffèrent selon les liens de parenté) et l'instauration d'abattements équitables pour exonérer les patrimoines faibles ou de moyenne importance.
* Lire : On reparle de la taxation des super héritages
**Lire : Réhabiliter les droits de succession et de donation
17.10.2025 à 15:38
Le taux réel d'imposition des revenus et du patrimoine des ultrariches fait débat depuis que Gabriel Zucman a proposé d'instaurer un impôt plancher visant à leur faire payer, sinon leur juste part, du moins un impôt minimum. Dans la période, il est donc utile de montrer d'une part, en quoi l'impôt sur le revenu, censé est un impôt progressif, est en réalité au-delà d'un niveau élevé de revenu dégressif et, d'autre part, que l'imposition minimale de 20 % instaurée par la loi de finances 2025 (…)
- Actualités
Le taux réel d'imposition des revenus et du patrimoine des ultrariches fait débat depuis que Gabriel Zucman a proposé d'instaurer un impôt plancher visant à leur faire payer, sinon leur juste part, du moins un impôt minimum. Dans la période, il est donc utile de montrer d'une part, en quoi l'impôt sur le revenu, censé est un impôt progressif, est en réalité au-delà d'un niveau élevé de revenu dégressif et, d'autre part, que l'imposition minimale de 20 % instaurée par la loi de finances 2025 (la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus) comporte encore d'importants « trous dans la raquette ».
Depuis plusieurs années, l'association Attac étudie le niveau réel de l'imposition des revenus des foyers fiscaux, notamment ceux appartenant aux « ultrariches ». Nos calculs ne prennent en compte que le revenu déclaré et imposable au sens de la législation actuelle, sans intégrer les revenus des actifs financiers des holdings. Nous avons démontré que la proportion de l'impôt payé par les contribuables les plus riches ramené à leur revenu fiscal de référence [1] (RFR) n'était pas progressive et qu'au-delà d'un certain niveau, elle était dégressive. Plusieurs raisons expliquent cette dégressivité : l'existence du prélèvement forfaitaire unique (PFU, la flat-tax à 30 %, contribution sociale généralisée comprise), qui abaisse le taux d'imposition des revenus financiers des plus riches, ou encore l'empilement de « niches fiscales ».
La dégressivité de l'impôt sur le revenu des plus riches est une constante. En 2023, le taux réel moyen d'imposition des revenus s'accroissait régulièrement pour atteindre 21,75 % pour les foyers dont le revenu fiscal de référence était compris entre 800 000 et 900 000 euros.
Mais au-delà, il est sensiblement plus faible.
– il n'atteint que 17,9 % pour les foyers dont le RFR se situe entre 6 et 7 millions d'euros
– et remonte très légèrement à 18,01 % pour les foyers dont le RFR se situe au-delà de 9 millions d'euros.
Le taux moyen réel ne dépasse donc jamais les 20 % pour les foyers dont le RFR est supérieur à 3 millions d'euros, soit pour les 2 236 foyers fiscaux les plus riches qui ont déclaré 20,793 millions d'euros de revenus et payé 3,857 millions d'euros d'impôt sur le revenu (ce qui représente un taux moyen de 18,55 %)…
Or, déjà bien plus faibles que ce que le barème de l'impôt sur le revenu pourrait laisser penser, ces taux ont encore baissé depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir. En effet en 2017, le taux moyen d'imposition se situait entre 22 et 25 % pour les foyers dont le RFR se situait entre 900 000 et 9 millions d'euros. Et, pour les foyers dont le RFR se situait au-delà de 9 millions d'euros le taux moyen réel était de 20,94 %, (soit 2,93 points au-dessus du taux de 2023).
Quelles que soient l'assiette et la méthode retenues dans les différents travaux, l'enseignement reste le mème : contrairement à son objectif initial, l'impôt sur le revenu est dégressif au-delà d'un certain niveau de revenu. C'est ce qui justifie la demande d'une véritable justice fiscale passant, notamment et entre autres, par le renforcement de la progressivité fiscale, une revue des niches fiscales et l'imposition de tous les revenus au barème progressif (celui-ci pouvant également être revu), y compris les revenus financiers grâce à la suppression du PFU,
La loi de finances 2025 a instauré un taux minimal de 20 % pour les foyers dont le RFR pour l'année 2025 supérieur à 250 000 € pour une personne seule et 500 000 € pour les contribuables soumis à une imposition commune. Seulement voilà, ce dispositif ( la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ) a pu être contourné, de sorte qu'il ne puisse atteindre son objectif.
Certains revenus sont en effet exclus du RFR servant à la détermination du seuil minima d'imposition de 20 %. En clair, ceci signifie que la base sur laquelle le taux minimal de 20 % s'applique est plus étroite que le total des revenus réels des personnes qui perçoivent ces revenus exclus qui en sont exclus
Il en va ainsi de l'abattement fixe de 500 000 euros sur les gains de cession de titres par les dirigeants prenant leur retraite, de celui de 40 % sur les revenus distribués en cas d'option pour le barème progressif et de celui de 50 % applicable aux gains d'acquisition d'actions gratuites en deçà de 300 000 euros. Certains revenus exonérés en vertu d'une convention fiscale bilatérale, tout comme ceux bénéficiant d'exonération d'au titre du régime des impatriés (qui prévoit l'exonération d'une partie du revenu - la prime d'impatriation- pour certains dirigeants venant s'installer en France) sont également exclus du RFR. Enfin, certains revenus, qualifiés d'exceptionnels, ne sont retenus dans le RFR qu'à hauteur de 25 %.
Enfin, les revenus logés dans les holdings patrimoniales échappent à l'impôt sur le revenu. C'est un des mérites de la proposition de Gabriel Zucman d'imposer un « patrimoine économique », assez abusivement baptisé de « bien professionnel ». Cette notion fait en effet davantage référence à des biens de production alors que la taxe Zucman vise à s'appliquer à des actifs financiers détenus dans des structures de type « holdings familiales patrimoniales ».
Les opposants à cet impôt plancher arguent qu'on ne peut intégrer les actifs logés au sein des holdings dans une quelconque base imposable. Ils avancent que l'impôt sur le revenu est très concentré sur les plus riches et que ceux-ci sont déjà lourdement imposés. Les chiffres prouvent le contraire.
[1] Revenu fiscal de référence = revenu net imposable + certains revenus exonérés d'impôt ou soumis à un prélèvement libératoire + certains abattements et charges déductibles du revenu.