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26.10.2025 à 16:56

Anatomie d’une emprise médiatique, de Novosti à RT

Guillaume Sancey

De 2017 à son interdiction en 2022, RT France a transformé la méfiance envers les médias en culture de la défiance, dont les effets durent encore.

<p>Cet article Anatomie d’une emprise médiatique, de Novosti à RT a été publié par desk russie.</p>

Texte intégral (7293 mots)

Transposant à l’ère numérique les méthodes de l’Agence soviétique Novosti, RT France a réinventé la propagande d’État sous les dehors du pluralisme. Derrière le décor du débat ouvert, la chaîne a méthodiquement bâti une relation d’emprise : séduire, brouiller, isoler, puis survivre après sa disparition. De 2017 à son interdiction en 2022, elle a transformé la méfiance envers les médias en culture de la défiance, dont les effets durent encore – comme la demi‑vie d’un rayonnement invisible.

Introduction : une continuité d’État

Interdite en France en 202251, RT est l’héritière directe d’un appareil de communication né au cœur du système soviétique52. Son ancêtre, l’Agence de presse Novosti (APN), est créée en 1961 par décret du Présidium du Soviet suprême. Officiellement chargée de « faire connaître au monde la vie du peuple soviétique », l’APN fonctionne en réalité comme le bras médiatique du pouvoir : rédaction centrale à Moscou, bureaux dans plusieurs capitales, collaboration étroite avec le ministère des Affaires étrangères et le KGB. Elle publie des revues multilingues, organise des voyages de journalistes étrangers, supervise les correspondants soviétiques à l’étranger. L’information y est une arme.

Après la chute de l’URSS, l’agence se transforme sans disparaître. En 1993, elle devient RIA Novosti (Russian Information Agency Novosti). Le vocabulaire se modernise, mais la fonction demeure : servir la communication internationale de l’État russe. L’outil de propagande soviétique se mue en instrument du soft power russe.

La mutation décisive intervient en 2013. Un décret de Vladimir Poutine dissout la rédaction de RIA Novosti et met l’agence sous la tutelle d’une nouvelle entité, Rossia Segodnia ( « La Russie d’aujourd’hui »), dirigée par Dmitri Kisselev, présentateur vedette et loyaliste du Kremlin. Objectif affiché : « rationaliser » les médias publics. Effet réel : centraliser le pilotage politique de l’information. Rossia Segodnia devient la courroie de transmission entre le pouvoir et ses vitrines extérieures : le réseau multimédia Sputnik et la chaîne internationale RT (Russia Today), créée dès 2005 pour parler aux publics étrangers en anglais, arabe, espagnol, allemand et français.

RT France, lancée en 2017, n’est donc pas un média isolé, mais le dernier maillon d’un dispositif d’État dont la généalogie remonte à l’Union soviétique. Cette continuité explique la nature de son rapport au public : RT ne cherche pas d’abord à informer, mais à établir un lien de dépendance et de confiance émotionnelle, selon une logique d’emprise déjà éprouvée par son ancêtre soviétique.

I. La séduction : flatter la lucidité blessée

L’emprise médiatique de RT France commence à l’automne 2018, lorsque la contestation des Gilets jaunes surgit de manière spontanée. Ce mouvement, né sur les réseaux sociaux et organisé hors des structures syndicales, est totalement décentralisé : sans hiérarchie, sans direction commune, avec quelques figures éphémères et souvent concurrentes. Il agrège des militants venus d’univers politiques opposés autour d’un seul dénominateur : la colère.

Cette colère se tourne rapidement contre les institutions, les représentants politiques et les journalistes eux-mêmes. Les rédactions deviennent des cibles symboliques de la défiance populaire. Les reporters essuient des insultes, parfois des agressions. L’idée s’installe que les « médias mainstream » seraient des relais du pouvoir.

Les chaînes traditionnelles tentent de maintenir une couverture équilibrée, soucieuse de vérifier et contextualiser. Mais la concurrence entre chaînes d’info en continu, la pression du direct et la chasse au « scoop » amènent à commettre des erreurs. Ces fautes, amplifiées sur les réseaux sociaux, nourrissent la suspicion et confortent l’idée d’une presse déconnectée ou partiale.

RT France exploite cette faille. Dès les premières semaines du mouvement, la chaîne privilégie la diffusion d’images brutes et de témoignages non contextualisés, au détriment des vérifications et de la hiérarchisation de l’information53. Ses reporters diffusent des images longues, des témoignages bruts, des émotions à vif. Le cadrage est simple : « le peuple parle, enfin entendu ». Là où les médias français interrogent, RT acquiesce ; là où les autres mettent en contexte, elle épouse la colère. L’objectif n’est pas d’informer, mais de créer une identification immédiate. RT se nourrit de la colère, la met en scène, l’entretient, sans jamais s’intéresser à ses causes profondes. Le ressentiment n’est plus un objet d’analyse : c’est un carburant.

Le contraste est net. D’un côté, un journalisme en tension, pris entre rigueur et précipitation ; de l’autre, une chaîne qui mise sur la séduction émotionnelle pure. RT ne cherche pas la distance critique : elle recherche la proximité affective. En s’adressant directement à la frustration de ceux qui se sentent exclus du débat public, elle établit un lien de confiance fondé sur la reconnaissance : « Nous, nous vous comprenons ; nous disons ce que les autres n’osent pas dire ».

En quelques mois, la stratégie porte ses fruits. RT France gagne une visibilité inédite sur les réseaux sociaux ; ses vidéos circulent massivement, reprises dans les groupes militants. La chaîne devient un repère, non pour la qualité de son travail journalistique, mais pour la chaleur de son miroir. Elle transforme un public défiant en audience fidèle.

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Manifestation des gilets jaunes à Paris, avril 2019 // RT, capture d’écran

II. La distorsion : la caution du débat

Une fois la confiance installée, RT France cherche à élargir son influence. Après avoir capté un public par l’émotion, la chaîne doit se doter d’une apparence de respectabilité. C’est ce rôle que remplit Frédéric Taddeï, recruté en 2018 pour animer Interdit d’interdire.

Le principe du programme est attractif : plateau ouvert, invités d’horizons variés, sujets « interdits ailleurs ». En apparence, un espace rare de liberté d’expression. En réalité, l’émission agit comme alibi éditorial. Elle incarne la pluralité dont RT a besoin pour se différencier des médias qu’elle accuse de partialité. Cette diversité de ton lui permet de couvrir un large spectre d’audiences : conservateurs, souverainistes, anti-systèmes ou simples curieux désabusés par les grands médias.

À la moindre attaque, Interdit d’interdire devient l’argument-refuge : « Voyez, nous débattons de tout. » Mais cette vitrine n’est qu’un piège pour accréditer la crédibilité de RT. L’objectif réel : habituer le spectateur à venir sur la chaîne, l’intégrer à ses routines de consommation médiatique, l’amener à considérer RT comme un espace normal du débat public.

Autour de cette vitrine policée, RT cultive toute une faune d’invités récurrents qui assurent la diffusion continue de la ligne russe. L’ancien militaire Xavier Moreau, installé à Moscou et fondateur du site Stratpol, apporte la caution « expertise stratégique ». La géopolitologue Caroline Galactéros, fondatrice du think tank Geopragma, habille le discours pro-russe du langage du « réalisme » diplomatique. L’avocat Régis de Castelnau, chroniqueur du blog Vu du Droit, traduit la propagande en vocabulaire juridique et moral. L’ex-patron du renseignement Alain Juillet incarne la respectabilité institutionnelle. L’économiste Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS et figure souverainiste assumée, intervient régulièrement pour justifier la politique économique russe et critiquer les sanctions occidentales, apportant une légitimité intellectuelle « académique » précieuse. Le journaliste Régis Le Sommier, ancien grand reporter de Paris Match devenu rédacteur en chef de RT France, parachève ce dispositif : son passé dans la presse traditionnelle offre une couverture journalistique de façade, brouillant la frontière entre média d’État et journalisme classique.

Autour de ce noyau gravite une nébuleuse d’intervenants : François Asselineau, chef du parti souverainiste UPR ; le colonel suisse Jacques Baud, qui justifie la stratégie militaire russe ; Florian Philippot, président des Patriotes. Tous relaient régulièrement les éléments de langage du Kremlin.

RT, soucieuse de préserver une apparence de décence, nettoie à l’antenne les propos les plus extrêmes. Elle laisse les positions les plus brutales se diffuser sur Internet, dans les conférences ou sur les chaînes personnelles de ces intervenants, tout en leur offrant une exposition initiale à l’écran. La chaîne ne produit pas seule le discours : elle le présente, le légitime et le promeut. Cette architecture crée un système d’influence à plusieurs étages : le plateau de Taddeï attire, les experts crédibilisent, les propagandistes relaient.

C’est la logique de la distorsion : dissimuler l’orientation derrière la forme, envelopper la propagande dans le costume du débat. Le spectateur, déjà séduit par la posture empathique de la chaîne, trouve dans cette mise en scène la confirmation de sa propre lucidité. Il croit assister à la diversité des opinions, alors qu’il ne fait que parcourir les variations d’un même récit.

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Frédéric Taddeï // RT France, capture d’écran

III. L’isolement : organiser la défiance

Une fois la crédibilité installée, RT France peut engager la phase la plus efficace de son dispositif : isoler son public du reste du paysage médiatique et institutionnel. Le principe est simple : plus le spectateur doute de tout, plus il fait confiance à RT.

Cette stratégie prolonge directement le travail de sape amorcé pendant la période des Gilets jaunes. RT avait alors capté la colère populaire contre les élites politiques et médiatiques ; elle va désormais l’élargir à l’ensemble des institutions : gouvernement, justice, science, Europe, presse. Ce qui relevait au départ d’une méfiance sociale devient une culture de la défiance généralisée.

Dès 2019, la chaîne consacre une part croissante de son antenne à la critique des « médias mainstream ». Les expressions « pensée unique », « journalisme de connivence », « propagande de l’OTAN » deviennent récurrentes. Les fautes des rédactions françaises sont systématiquement érigées en preuves d’un système d’information verrouillé. RT se présente comme le seul espace où la parole serait libre, les faits complets, le public respecté.

Le mécanisme fonctionne par inversion cognitive : plus les autres sont accusés de mensonge, plus RT paraît sincère. Le doute devient une vertu, la suspicion un signe d’intelligence. RT transforme la méfiance en identité collective : se méfier, c’est appartenir.

Cette logique d’isolement s’appuie sur un lexique familier : « réinformation », « désintoxication », « voix libres ». Les spectateurs se perçoivent peu à peu comme des initiés, lucides face à la manipulation généralisée. RT n’est plus seulement une chaîne : c’est une communauté de perception, un espace où la défiance se vit comme une libération.

En filigrane, derrière cette mécanique, se lit la grille idéologique du Kremlin : celle d’un Occident corrompu par un deep state invisible, livré à la décadence morale, à la manipulation médiatique et au délitement identitaire. En face, l’image d’une Russie souveraine, morale et assiégée, porteuse d’un ordre alternatif fondé sur la tradition, la force et la loyauté.

Cet imaginaire irrigue toute la rhétorique de la chaîne. D’abord, la paranoïa d’un complot occidental global, réactivée sous la forme d’un doute systématique envers toutes les institutions. À cela s’ajoute l’idéologie du monde multipolaire, traduite dans le registre médiatique par un relativisme constant : toutes les versions se valent, aucune ne peut être tenue pour vraie. RT valorise aussi la pureté morale et le rejet de la complexité : le peuple sincère face aux élites corrompues, la parole spontanée contre le mensonge sophistiqué. Le conflit devient spirituel : l’émotion prime sur la raison, la croyance sur la preuve. Enfin, la chaîne glorifie l’isolement héroïque, miroir direct du récit russe d’une nation assiégée mais vertueuse, seule contre tous, incomprise, mais dépositaire d’une mission morale.

RT transpose ces motifs à l’échelle individuelle : le spectateur devient le double symbolique du citoyen russe décrit par le pouvoir. Lui aussi se retrouve seul contre tous, incompris, mais moralement supérieur. L’emprise idéologique prend ainsi la forme d’un réconfort : l’isolement n’est plus une exclusion, mais une preuve de lucidité et de loyauté.

Le processus relève d’un schéma classique d’emprise : une fois la relation de confiance établie, l’isolement la rend indestructible. Le spectateur, coupé de toute contradiction, n’évalue plus les faits que par le prisme que RT lui fournit. Ce qu’il croit être un esprit critique devient un repli cognitif. Le doute permanent remplace la vérification.

Ainsi, la propagande moderne ne cherche plus à imposer une vérité unique : il lui suffit de détruire l’idée même de vérité partagée. RT ne dit pas « croyez-moi » ; elle dit « ne croyez plus personne ». C’est dans ce vide de confiance qu’elle s’installe durablement. Privée de voix, la chaîne continue pourtant d’exister à travers cette idée qu’elle a semée : tous les discours se vaudraient, la vérité ne serait qu’une affaire de point de vue, et aucun récit ne serait plus légitime qu’un autre. RT a brisé la barrière salutaire entre le fait et l’opinion. C’est là son héritage le plus durable : un monde où l’incertitude n’est plus un état provisoire, mais une condition permanente.

IV. La rupture avec le réel : la contagion du doute

En 2020, la pandémie de Covid-19 offre à RT France une opportunité décisive. La crise sanitaire constitue un terrain où la défiance, déjà installée, peut se muer en soupçon total. Alors que les médias traditionnels tâtonnent face à un événement inédit, la chaîne russe exploite chaque flottement, chaque revirement, chaque contradiction des autorités sanitaires. La parole scientifique, d’ordinaire facteur de stabilité, devient le nouvel objet de suspicion. Le discours se déplace : il ne s’agit plus seulement de dénoncer les « médias complices du pouvoir », mais désormais les scientifiques, les médecins et les institutions de santé.

Comme lors de la crise des Gilets jaunes, RT parle à l’émotion. Elle exploite la frustration née de la confusion qu’elle entretient, en offrant une tribune à toutes les voix qui s’opposent au consensus scientifique ou contestent les décisions politiques. Le doute devient matière première ; la peur, moteur d’audience. Chaque témoignage isolé, chaque rumeur, chaque colère personnelle est mise en avant comme une « autre vérité », une preuve que le système ment. Ce n’est plus de l’information, mais une dramaturgie du soupçon.

La contradiction interne de la propagande russe devient alors flagrante : sur RT France, on dénonce la vaccination occidentale comme un outil de domination ; pendant ce temps, sur RT Russie, la même politique sanitaire est défendue comme un acte patriotique ! Ce double discours ne vise pas la cohérence : il vise la confusion. RT ne cherche pas à convaincre, mais à désorienter.

Ce mécanisme s’inscrit dans une tradition ancienne de désinformation biologique héritée de l’ère soviétique. Dans les années 1980, le KGB avait orchestré l’opération INFEKTION54, destinée à faire croire que le virus du SIDA avait été créé par l’armée américaine à Fort Detrick. RT n’a pas inventé cette méthode : elle en est le relais contemporain. Durant la pandémie, la chaîne a contribué à diffuser, sans jamais les endosser ouvertement, des rumeurs sur l’origine américaine du Covid-19. Le schéma est identique : partir d’une peur légitime et y injecter une intention humaine, hostile, pour transformer l’incertitude en suspicion politique. L’objectif n’est pas d’imposer une explication, mais de rendre toute vérité invérifiable.

La rupture avec le réel se manifeste là : le doute, initialement présenté comme un réflexe critique, devient un état permanent. Tout événement est perçu comme le symptôme d’une dissimulation, toute donnée comme suspecte. Le spectateur ne distingue plus la contradiction de la complexité ; il s’enferme dans un système clos où toute information, même fausse, peut être vraie « d’un certain point de vue ».

Pendant la pandémie, cette logique contamine d’autres sphères : politique, économie, géopolitique. Les mesures sanitaires deviennent la preuve d’une « dictature mondiale », les institutions internationales des instruments d’asservissement, les journalistes des « complices du mensonge ». Le vocabulaire du contrôle ( « colliers électroniques », « pass sanitaire », « puces », « expérimentation de masse ») remplace progressivement celui du soin. Le masque lui-même devient un symbole : présenté non plus comme un geste de précaution, mais comme une muselière imposée au peuple, signe de soumission et de silence. RT exagère sciemment la portée des mesures sanitaires, les décrivant comme des instruments de surveillance généralisée ou de dressage social. L’objectif n’est pas d’informer, mais de provoquer une réaction émotionnelle : susciter la « réactance » du public, cette impulsion psychologique qui pousse une personne à rejeter toute forme d’autorité perçue comme une menace contre sa liberté d’action.

RT ne se contente pas de rapporter les théories les plus extrêmes : elle les légitime par une mise en scène qui  les place sur le même plan que les faits. Chaque image, chaque slogan, chaque émotion devient une « vérité » équivalente. La hiérarchie entre preuve et ressenti s’effondre ; le doute devient une forme de résistance.

Dans la Russie de Poutine, la propagande s’appuie sur la foi dans le pouvoir. Dans l’Occident de RT, elle s’appuie sur la foi dans le doute. Le résultat est identique : un rapport altéré au réel, où la vérité devient accessoire et la cohérence suspecte.

Lorsque RT France est interdite d’antenne en 2022, après l’invasion de l’Ukraine, le dommage cognitif est déjà fait. La chaîne disparaît, mais son héritage persiste dans les réseaux sociaux, les chaînes parallèles, les figures de relais. Le scepticisme radical qu’elle a cultivé survit à sa fermeture : la croyance que tout discours est biaisé, que toute institution ment, que la vérité est une affaire de choix personnel.

RT a cessé d’émettre, mais elle continue de produire ses effets : un réalisme affaibli, un public qui doute non par ignorance, mais par conviction. C’est là la dernière étape de l’emprise, la plus dangereuse : celle où le mensonge n’a plus besoin d’être cru pour fonctionner.

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RT France, capture d’écran

V. La victimisation : le récit du média banni

En mars 2022, à la suite de l’invasion de l’Ukraine, l’Union européenne interdit la diffusion de RT et de Sputnik. La décision, justifiée par leur rôle dans la guerre informationnelle russe, met fin à cinq années de présence officielle de RT France. Mais pour la chaîne, cette sanction devient immédiatement une ressource narrative. Privée d’antenne, RT se redéfinit non plus comme média d’État, mais comme victime de la censure occidentale.

Le renversement rhétorique est complet. Ce qui relevait d’une stratégie d’influence pilotée depuis Moscou devient soudain le symbole d’un combat pour la liberté d’expression. La présidente de RT France, Xenia Fedorova, orchestre cette métamorphose dans son livre Bannie, publié en 202555 : la chaîne y est décrite comme un média « incompris », puni pour avoir « montré ce que les autres cachaient ». Le récit lénifiant, où la « petite fille de Kazan » se met en scène avec emphase, reprend fidèlement les codes de la victimisation narcissique : l’innocence proclamée, la souffrance exhibée, l’accusation retournée contre le bourreau. Depuis la fermeture de RT France, cette « bannie » n’a nullement quitté la scène médiatique. Au contraire, elle multiplie les chroniques et les interventions au sein du groupe Bolloré sur CNews, dans JDNews, ou à travers des ouvrages publiés chez Fayard. Son repositionnement dans cet écosystème conservateur illustre la continuité stratégique de cette posture : faire du bannissement un capital symbolique et profiter d’un paysage médiatique français où la frontière entre propagande étrangère et contre-discours nationaliste se dissout aisément, sous couvert de pluralisme.

Cette posture sert plusieurs objectifs. Sur le plan symbolique, elle efface toute responsabilité: la fermeture de RT n’est plus la conséquence d’une propagande d’État, mais la preuve d’une répression idéologique. Sur le plan stratégique, elle réactive l’attachement du public conquis : ceux qui voyaient dans RT une voix dissidente y trouvent la confirmation de leur intuition : « Si on les fait taire, c’est qu’ils disaient la vérité. » C’est le biais de persécution : la tendance à interpréter toute opposition comme preuve d’acharnement ou de complot. La censure, loin d’affaiblir l’influence du média, la renforce dans l’imaginaire de ses fidèles.

La fermeture ne met pas fin à la chaîne ; elle la dématérialise, la dissémine, la rend insaisissable. En 2022, apparaît Omerta Média56, un site d’information fondé par Charles d’Anjou, ancien chroniqueur de RT France, et dirigé par Régis Le Sommier, ex-rédacteur en chef de la chaîne. Présenté comme un média de reportage et d’investigation, Omerta prolonge le ton et les thématiques familières de RT : critique des élites, dénonciation du « système », et promesse d’un journalisme « libre ».

Dans ce récit victimaire, le Kremlin retrouve sa propre narration. RT n’est plus un instrument, mais un miroir : celui d’une Russie décrite comme juste mais persécutée, moralement droite mais politiquement diabolisée. Le parallèle est total : la chaîne bannie devient l’incarnation médiatique de la Russie assiégée. Ce dernier déplacement boucle le cycle : après avoir séduit, brouillé, isolé et désorienté, RT se sacralise dans la persécution.

L’efficacité de cette posture tient à sa plasticité : la chaîne n’a plus besoin d’émettre pour exister. Son récit de victimisation s’alimente de chaque critique, chaque article, chaque rappel de son interdiction. Elle prospère sur son absence, comme une ombre portée du débat public. La propagande n’a plus de vecteur : elle s’est transformée en réflexe, en émotion, en culture.

Ainsi s’achève le cycle d’emprise : du lien affectif à la dépendance idéologique, de la voix à l’écho. RT France n’a pas disparu ; elle s’est fondue dans le brouillard cognitif qu’elle a contribué à créer.

VI. La demi-vie : l’emprise sans corps

RT France n’existe plus. Et pourtant, elle parle encore. Depuis Moscou, Belgrade ou Dubaï, des comptes Telegram portant son logo diffusent toujours du contenu en français. Des chaînes YouTube hébergées hors d’Europe republient d’anciennes émissions. Des sites miroirs (rt-france.info, rtfrance.net) clonent l’interface de l’ancien site et alimentent un flux continu d’articles. Techniquement, RT France a disparu, mais elle survit dans la réalité.

Le phénomène dépasse la simple rémanence technique. RT n’a plus besoin d’émettre pour exister : elle vit désormais dans les réflexes cognitifs de son public. Cinq années de diffusion ont suffi pour imprimer une grille de lecture, une habitude mentale : évaluer une information par la suspicion, confondre le scepticisme et la lucidité, interpréter tout désaccord comme la preuve d’une manipulation. RT s’est muée en logiciel mental, autonome, capable de fonctionner sans son créateur.

L’exemple le plus frappant est celui de la réception des enquêtes indépendantes sur la guerre en Ukraine. Lorsqu’en 2023, Bellingcat publie une analyse détaillant la responsabilité russe dans le bombardement du théâtre de Marioupol, la réaction, dans les espaces où se retrouvent d’anciens spectateurs de RT, est immédiate : « Bellingcat, financé par la CIA » ; « Le Monde, propagande atlantiste » ; « Encore une opération false flag ». RT n’est jamais citée, mais son lexique, ses schémas argumentatifs et ses automatismes de disqualification sont partout. Le média s’est effacé ; le discours demeure. C’est la demi-vie de la propagande : l’énergie initiale décline, mais continue d’agir longtemps après la disparition de la source.

En physique, la demi-vie désigne le temps nécessaire à la désintégration de la moitié d’une substance radioactive. La métaphore vaut ici : la contamination informationnelle persiste, lente, invisible, mais active. L’interdiction de RT France n’a pas détruit son influence ; elle l’a rendue diffuse, insaisissable, d’autant plus efficace qu’elle se confond désormais avec le climat général de défiance.

Les psychologues de l’emprise parlent de « cicatrice cognitive ». Après la rupture ou la disparition de la source, la victime continue de reproduire les schémas inculqués : la méfiance, l’isolement, la peur de la manipulation. RT a installé un doute réflexe, une incapacité à distinguer source fiable et source toxique. Le soupçon fonctionne désormais en pilote automatique.

Sur le terrain, les journalistes en constatent les effets. En 2023, la chroniqueuse Sophia Aram évoque les messages d’auditeurs la traitant de « propagandiste » ou de « vendue au système ». Samuel Laurent, des Décodeurs du Monde, résume : « Nous pouvons fact-checker cent fois, cela ne change rien : pour une partie du public, la vérité est disqualifiée par principe. » RT n’a pas gagné en imposant un récit ; elle a gagné en détruisant la possibilité même d’un récit commun.

Les chercheurs en cognition parlent d’impuissance épistémique apprise (epistemic learned helplessness)57. Face à un flux d’informations contradictoires et à la peur de se tromper, l’individu cesse de chercher la vérité : il se replie sur ses intuitions, sur ce qui le conforte. RT a industrialisé cette fatigue : son objectif n’était pas de convaincre, mais d’épuiser. Chaque consensus devenait « discutable », chaque preuve « relative », chaque institution « suspecte ». Le résultat : un brouillard informationnel où la seule boussole restante est l’émotion.

Les anciens visages de RT prolongent ce brouillard. Frédéric Taddeï poursuit sur Sud Radio et YouTube le format du débat « sans censure », où toutes les opinions se valent. Xavier Moreau diffuse depuis Moscou des analyses pro-Kremlin à des dizaines de milliers d’abonnés. Caroline Galactéros intervient dans les médias souverainistes et les colloques géopolitiques. Aucun ne se revendique de RT France, mais tous en reproduisent les méthodes : relativisme moral, inversion du réel, confusion méthodique entre opinion et fait.

Sur les réseaux sociaux, des comptes anonymes recyclent des éléments de langage pro-russes : « L’OTAN provoque la Russie », « L’Ukraine est un État fantoche », « Les sanctions affament le Sud ». Ces phrases circulent sans source, présentées comme des évidences. Le service français Viginum a documenté plusieurs opérations russes coordonnées utilisant des pseudo-médias francophones et des réseaux de comptes inauthentiques pour diffuser ces narratifs anti-ukrainiens. France 2458 a identifié que sur 115 contenus manipulatoires vérifiés en un an, 91 étaient favorables à la Russie, illustrant l’ampleur du phénomène dans l’espace francophone.

C’est l’aboutissement de l’emprise : le manipulateur n’a plus besoin d’être présent pour être obéi. RT a formaté une manière de douter, de rejeter, de juger. Ce doute, une fois internalisé, se transmet sans source ; il devient culture.

Quelques spectateurs commencent à s’en détacher. Dans des forums ou sur Reddit, certains témoignent : « J’ai cru être lucide ; j’étais manipulé. Même aujourd’hui, je continue à douter de tout » (un exemple de cicatrice cognitive). Ces récits montrent que la sortie de l’emprise est possible, mais lente, exigeant une rééducation au discernement. Apprendre de nouveau à faire confiance devient un acte de résistance.

RT France n’émet plus, mais son brouillard persiste. Son héritage n’est pas un message : c’est une méthode. Fermer RT, c’était éteindre le réacteur ; mais les particules sont déjà dans l’air. Elles continueront d’agir longtemps, invisiblement. C’est la demi-vie de la propagande.

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Poutine et Margarita Simonian, rédactrice en chef de Russia Today, lors de la célébration du 20ᵉ anniversaire de ce média, le 17 octobre 2025  // kremlin.ru

Conclusion : l’économie de la défiance

RT n’a pas imposé l’idéologie du Kremlin ; elle a installé le réflexe de la suspicion. Elle a transformé la défiance en ressource émotionnelle, en identité politique, en posture morale. Son succès n’est pas celui d’un discours, mais celui d’une méthode : séduire les déçus, flatter la lucidité blessée, brouiller les repères, isoler les convaincus, inverser les rôles, se sanctifier dans la persécution, puis survivre dans les automatismes de pensée. Elle n’a pas cherché à convaincre, mais à épuiser : épuiser la confiance, le discernement, la possibilité d’un espace commun de vérité.

Ce mécanisme reproduit, à l’échelle médiatique, celui d’une emprise narcissique. Le manipulateur ne domine pas par la force, mais par la confusion : il séduit, rassure, désoriente, puis prive sa cible de toute confiance extérieure. Lorsque le lien se rompt, la victime reste prisonnière des réflexes inculqués : méfiance, isolement, défi de toute autorité. RT a appliqué ce schéma à un public entier. Elle a appris à ses spectateurs non pas à croire en elle, mais à ne plus croire en rien.

Les chiffres traduisent ce déplacement. Selon le baromètre Kantar 202359, seuls 34 % des Français déclarent faire confiance aux médias traditionnels. En 2018[10]60, juste après le lancement de RT France, ils étaient 56 % à faire confiance à la radio, 52 % à la presse écrite et 48 % à la télévision. La corrélation n’est pas causalité, mais la concomitance interroge : RT n’était pas un accident médiatique, mais une pièce d’un dispositif global, celui de la propagande russe, dont l’objectif n’est pas de convaincre, mais d’éroder la confiance. Elle a fourni à cette stratégie une grammaire, une esthétique, une légitimité occidentale. Elle a institutionnalisé le soupçon.

La question dépasse désormais le cas russe. Comment restaurer la confiance quand la méfiance est devenue vertu ? Comment défendre la vérité quand toute vérité est perçue comme suspecte ? Comment dialoguer quand le désaccord lui-même est interprété comme preuve de manipulation ?

On ne sort pas d’une emprise émotionnelle par la simple contradiction. Opposer des faits à une croyance ne suffit pas, lorsque cette croyance répond à un besoin affectif, celui d’être reconnu, de se sentir lucide, de ne pas être trompé. La reconstruction ne peut être que patiente et incarnée : reconnaître les blessures légitimes (sentiment d’abandon, mépris social, invisibilisation), offrir des espaces de parole, réhabiliter la complexité sans condescendance. La sortie de l’emprise ne se décrète pas : elle suppose un travail collectif de réapprentissage du discernement.

Mais cette reconstruction passe aussi par l’explicitation : décrire les mécanismes, documenter la stratégie, montrer comment la propagande s’installe dans la relation, non dans le message. Nommer, c’est rendre visible ce qui agit en silence. Et donner à ceux qui ont été séduits les outils pour comprendre, plutôt que les stigmatiser.

RT France a disparu, mais son empreinte demeure. Dans chaque commentaire accusant la presse de mensonge, dans chaque débat saturé de soupçon, dans chaque auditeur persuadé que « tous manipulent », sa trace affleure. Sa demi-vie ne se mesure pas en mois, mais en générations. Car ce que RT a transmis, ce n’est pas un récit : c’est un climat cognitif. Elle n’a pas voulu prouver que la Russie avait raison, mais instiller l’idée que personne ne peut avoir raison.

Son efficacité tient à cette inversion : elle ne fabrique pas la croyance, elle fabrique la fatigue de croire. Elle ne construit pas une vérité alternative ; elle détruit la possibilité d’une vérité commune. Et cette destruction ne s’efface pas : elle se propage, se dilue, s’hérite.

Cinq ans de séduction, deux ans d’absence, et des décennies de rémanence. RT France n’existe plus, mais elle parle encore.

<p>Cet article Anatomie d’une emprise médiatique, de Novosti à RT a été publié par desk russie.</p>

26.10.2025 à 16:56

« Dire un mot de trop fait peur » : la langue ukrainienne sous l’occupation

Ksenia Tourkova

Pour résister, nous devons mieux comprendre ce que signifie l’occupation russe pour les populations qui la subissent.

<p>Cet article « Dire un mot de trop fait peur » : la langue ukrainienne sous l’occupation a été publié par desk russie.</p>

Texte intégral (3511 mots)

La journaliste Ksenia Tourkova nous donne des exemples concrets de la russification outrancière pratiquée dans les territoires occupés de l’Ukraine, en commençant par la Crimée. Il ne s’agit pas seulement de l’arrêt de l’enseignement de ukrainien ou des manuels ukrainiens brûlés, mais de l’impossibilité de parler cette langue dans un lieu public ou sur des réseaux sociaux, car cela devient un facteur de déloyauté envers l’agresseur et peut valoir l’ostracisme social, voire la prison. 

Veronika, étudiante à l’université nationale Taras Chevchenko de Kyïv, a quitté la Crimée occupée pour s’installer à la capitale il y a environ un an. En 2023, elle a terminé ses études secondaires dans un village près de Djankoï. Elle s’est inscrite à l’université de Sébastopol et y a étudié la philologie pendant un an. Cependant, pendant tout ce temps, elle se préparait secrètement à entrer dans une université ukrainienne, seule, sans aide extérieure. Elle se connectait aux ressources web de l’université via un VPN et passait des tests.

« Je n’ai prévenu personne que je me préparais, je n’ai jamais dit que j’utilisais des ressources électroniques ukrainiennes. Seules les personnes les plus proches de moi, mes parents et mon petit ami, étaient au courant », raconte-t-elle.

C’est le petit ami de Veronika, Mykola, qui, comme elle l’admet elle-même, a été le principal moteur de son déménagement, l’inspirant par son exemple. Il avait suivi le même chemin un an plus tôt : il s’était également préparé en secret à entrer dans une université ukrainienne, puis avait déménagé. Bien que l’enseignement de l’ukrainien à l’école de Mykola ait cessé lorsqu’il avait huit ans, il n’a pas arrêté d’apprendre et de pratiquer la langue, et regardait la télévision ukrainienne. C’est précisément ce qui lui a permis de passer sans difficulté à l’ukrainien après son déménagement à Kyïv, dit-il. Veronica n’a pas non plus rencontré de difficultés : communiquer avec sa grand-mère l’a aidée à maintenir son niveau d’ukrainien.

Nous parlons avec Veronika et Mykola en ukrainien via Zoom, et rien dans leur discours ne trahit leur long séjour dans un environnement russophone sous occupation, ni leur manque d’éducation scolaire et de pratique quotidienne de l’ukrainien. Cependant, lorsqu’ils vivaient dans la péninsule, ils n’utilisaient pratiquement jamais l’ukrainien dans leur vie de tous les jours, pour des raisons de sécurité. « Officiellement, il y a trois langues en Crimée, explique Mykola, mais ce n’est vrai que sur le papier. Si vous entrez dans un magasin et dites quelque chose en ukrainien, on vous regardera immédiatement de travers, voire on vous dénoncera. » Veronika confirme : « Aujourd’hui, parler ukrainien en Crimée attire immédiatement l’attention. »

Il existe toutefois des endroits où l’on peut encore l’entendre, par exemple devant le palais de justice, où les défenseurs des droits humains et les militants viennent soutenir ceux qui sont persécutés par les autorités d’occupation. Loutfié Zoudieva, militante des droits humains, activiste tatare de Crimée et journaliste, écrit depuis 2016 sur les prisonniers politiques de Crimée et les procès intentés contre eux. En mai 2025, le ministère russe de la Justice l’a reconnue comme « agent étranger ».

Selon Loutfié, si la langue ukrainienne était encore présente dans la vie quotidienne en Crimée après 2014, elle est devenue d’un coup un marqueur politique après le début de la guerre totale.

« On a dit aux Criméens qu’il y avait trois langues officielles, mais en réalité, en 2025, il ne restait plus aucune école enseignant en ukrainien en Crimée », explique Loutfié. « Dans toute la Crimée, environ 300 enfants apprennent l’ukrainien, mais ces familles se retrouvent immédiatement dans le collimateur des autorités. » Selon la militante des droits humains, même les organisations indépendantes ne se lancent plus dans des projets d’enseignement de l’ukrainien pour des raisons de sécurité : tous les foyers de langue ukrainienne ont été pratiquement éliminés et détruits. L’ukrainien a ainsi disparu non seulement de l’enseignement et de la communication, mais aussi des réseaux sociaux. « Jusqu’en 2022, les gens partageaient plus librement des informations en ukrainien sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, ils préfèrent simplement lire, mais ne pas partager, même s’il s’agit simplement d’une recette. Tout contenu en ukrainien désigne ces personnes comme des jdouny, ceux qui attendent la désoccupation de la péninsule. »

Il est intéressant de noter que ce terme était auparavant activement utilisé par les Ukrainiens eux-mêmes pour désigner ceux qui « attendaient » l’arrivée de la Russie, pressée de « venir en aide à la population russophone ». Aujourd’hui, les autorités russes elles-mêmes se sont en quelque sorte approprié ce terme, et l’utilisent pour désigner les personnes déloyales.

Si la situation de la langue ukrainienne, selon Loutfié, est proche du point critique, celle de la langue tatare de Crimée, malgré les répressions continues contre la population autochtone de la péninsule, est légèrement meilleure : elle est certes en recul, mais n’est pas complètement éliminée. Il existe actuellement sept écoles en Crimée où l’enseignement est dispensé en tatar de Crimée, contre quinze avant 2014. Si un élève souhaite apprendre cette langue, ses parents doivent rédiger une demande spéciale et l’école doit y répondre. Cependant, dans la pratique, ces demandes sont très souvent refusées sous prétexte qu’il n’y a pas assez d’enseignants. De plus, elles ont recours à la pression psychologique et à la manipulation. Dans l’une des écoles de Djankoï, un enseignant a déclaré : « Nous avons des enfants qui souhaitent suivre un enseignement en tatar de Crimée, mais s’ils rédigent une demande et choisissent cette langue comme langue maternelle, nous serons obligés de consacrer à ces enfants une heure que nous pourrions consacrer au russe (qui est important pour passer les examens à l’avenir !). » Bien sûr, cela a monté les parents contre ceux qui veulent enseigner la langue tatare : pourquoi, à cause de quelques personnes, devrions-nous perdre une heure nécessaire pour les examens de langue russe ?

Le tatar de Crimée est donc plutôt considéré par les autorités comme peu utile (alors qu’elles affichent publiquement leur « souci » à son égard), tandis que l’ukrainien est considéré comme hostile.

« Les jeunes suivent les blogueurs ukrainiens, puis effacent leur historique, car ce n’est pas sûr ! »

« Toutes les déclarations selon lesquelles personne n’interdit d’apprendre l’ukrainien ne sont qu’un écran de fumée », déclare la militante des droits humains Maria Soulialina, qui a elle-même été contrainte de quitter sa ville natale de Yalta en 2014, après l’annexion de la Crimée. Dans une interview accordée à Nastoïachtcheïé Vremia, Maria a raconté l’histoire d’un enfant qui faisait semblant d’aller à ses cours de guitare mais qui, en réalité, apprenait secrètement l’ukrainien.

« En Crimée, parler ukrainien équivaut à avoir une position pro-ukrainienne, explique Maria dans une interview accordée à Delfi. Certains enfants se sont retrouvés sur la liste des extrémistes ! Il est impossible de vivre là-bas dans ce genre de situation, cela vous exclut de tous les processus sociaux. Comment les jeunes font-ils pour soutenir la langue ukrainienne ? Ils suivent les blogueurs sur les réseaux sociaux, mais sans s’abonner à leurs pages, et ils effacent leur historique après les avoir consultées, car ce n’est pas sûr ! » Maria raconte l’histoire d’amour d’un garçon et d’une fille qui ne s’abonnaient pas à leurs pages mutuelles, simplement parce que lui était en Ukraine et elle sous occupation.

Il existe des différences linguistiques entre les « anciens » et les « nouveaux » territoires occupés. Au moment où la Russie a envahi la Crimée, puis une partie du Donbass, l’Ukraine n’avait pas encore réformé son système scolaire et l’enseignement exclusivement en ukrainien n’était pas obligatoire. C’est pourquoi les enfants et les enseignants qui, pour diverses raisons, sont restés dans les territoires occupés n’ont pas subi le même choc que ceux qui se sont retrouvés sous occupation après février 2022. Les enfants, quel que soit leur âge, ont été alors contraints de réapprendre tout le programme scolaire.

« Les autorités russes affirment que dans les régions de Zaporijjia et de Kherson, un pourcentage assez important d’enfants apprennent l’ukrainien comme « langue maternelle ». Mais nous savons également qu’ils ne disposent d’aucun soutien matériel, que tous les manuels scolaires ont été retirés et qu’il ne reste plus aucun livre en ukrainien dans les bibliothèques. La question se pose donc : comment les enfants apprennent-ils, de quoi disposent-ils pour cela ? Les enfants avec lesquels notre organisation est en contact confirment qu’il n’y a pratiquement pas d’enseignement de l’ukrainien », explique Maria Soulialina.

Elle souligne également que l’impossibilité de pratiquer l’ukrainien, même de manière rudimentaire, crée un sérieux obstacle linguistique et psychologique pour ceux qui parviennent malgré tout à se rendre dans les territoires contrôlés par l’Ukraine. Selon Maria, il y a eu des cas où des jeunes ont été admis dans des universités ukrainiennes mais n’ont rien dit pendant plusieurs mois en cours, n’obtenant ainsi aucune note. « Nous ne pouvons pas parler correctement l’ukrainien et nous avons honte de ce que nos camarades de classe peuvent penser de nous », expliquaient-ils.

L’Ukraine tente d’aider ces jeunes : elle élabore des cours en ligne spéciaux qui tiennent compte des particularités de l’apprentissage, des considérations de sécurité et de la double charge de travail.

Cependant, d’une certaine manière, l’occupation a encore plus affecté l’identité linguistique des enseignants. C’est l’avis de la journaliste ukrainienne Anna Nikolaïenko, qui a fui Louhansk en 2014, puis Severodonetsk le 26 février 2022. Elle raconte avoir sauvé du matériel audiovisuel, ayant tiré les leçons de la douloureuse expérience de Louhansk, où les autorités d’occupation avaient « confisqué » du matériel audiovisuel coûteux. Selon Anna, les enseignants de la région de Louhansk travaillaient en ukrainien littéraire mais, dans la vie quotidienne, ils communiquaient soit dans le même ukrainien, soit dans un « beau dialecte dit sourjik » [NDLR : le sourjik ou sourjouk est un mélange de russe et d’ukrainien]. En 2022, on leur a posé un ultimatum : soit vous passez complètement au russe, même dans la vie quotidienne et pendant les récréations, soit vous rédigez une lettre de démission. Il a été très difficile pour les enseignants de s’adapter, en tant qu’adultes.

« Il y a eu des licenciements, voire des répressions. Des patrouilles linguistiques surveillaient le comportement des personnes licenciées, pour voir si elles avaient tiré les leçons de leur expérience ou si elles continuaient à parler ukrainien. C’est effrayant de recevoir des roquettes et des drones sur votre tête, mais c’est tout aussi effrayant de vivre sous une telle pression et d’avoir peur de dire un mot de trop dans la langue dans laquelle vous pensez. Si nous étions venus avec vous au service social et avions parlé ainsi (nous parlons en ukrainien — note de l’auteur), on nous aurait mis à la cave ! », raconte Anna.

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Les occupants russes célèbrent l’anniversaire de la prise de Severodonetsk. Juin 2023 // Russie unie

« Dès les premiers jours de l’occupation, les Russes ont ostensiblement brûlé les manuels scolaires ukrainiens. »

Son collègue, le rédacteur en chef du média en ligne Farvater.Sxid, Oleksandr Belokobylsky, rappelle que, historiquement, la région de Louhansk se compose de deux parties : le Donbass industriel (territoires occupés depuis 2014), presque entièrement russophone, où, même auparavant, la langue ukrainienne était plutôt un signe d’appartenance politique, et le nord rural de la région, correspond à la Slobojanchtchyna historique, où l’ukrainien a toujours été utilisé au quotidien, que ce soit au travail, dans les magasins ou à la maison. « Pour les “anciens” territoires occupés, la russification n’a pas été douloureuse, mais pour les nouveaux, c’est plutôt le contraire », explique Oleksandr.

Elle a été douloureuse également en raison de la rapidité avec laquelle les événements se sont déroulés. Si en 2014 tout s’est passé plus ou moins progressivement, en 2022, selon les journalistes, la russification a été instantanée. Dans le village de Milouvatka, dans la région de Louhansk, les militaires russes ont ostensiblement brûlé les manuels scolaires ukrainiens de l’école locale dès les premiers jours de l’occupation : ils les ont sortis du bâtiment et ont allumé un feu dans la cour. Ce cas était loin d’être unique. Rien qu’à Marioupol, selon les médias ukrainiens, 180 000 livres ont été détruits : la moitié a brûlé pendant les bombardements, l’autre moitié a été détruite au motif qu’il s’agissait de « littérature extrémiste ».

Il n’y a qu’une seule façon de continuer à étudier en ukrainien dans les territoires occupés : en secret, ce qui comporte des risques. Anna Nikolaïenko raconte l’histoire d’un adolescent qui voulait s’inscrire dans une université ukrainienne. Ses proches lui ont apporté de la documentation spécialisée sur une clé USB afin qu’il puisse se préparer aux examens. Le garçon a accidentellement parlé de ses projets à ses amis, et il a été passé à tabac parce que parmi eux se trouvaient des enfants d’agents des forces de sécurité locales. En fin de compte, il a dû rester, sa famille a été surveillée de près et la clé USB a été utilisée comme preuve dans une affaire pénale contre des « agents qui transportaient de la littérature interdite ».

Une personne qui ose parler ukrainien dans la rue risque non seulement d’être regardée de travers, mais aussi d’avoir de réels problèmes, allant de commentaires humiliants à des persécutions. Maksym Beline, rédacteur en chef par intérim de la publication en ligne Zmist tyjnya, explique : « Une stigmatisation apparaît : l’ukrainien devient une langue qu’il est “indésirable de connaître”, un “code dangereux” susceptible de vous trahir comme “étranger”. Ainsi, les autorités d’occupation atteignent leur objectif : elles obligent les gens à se taire volontairement, les éloignent de leur propre identité culturelle. Le paradoxe réside dans le fait que, officiellement, personne n’affiche de panneaux indiquant “interdit de parler ukrainien”. Au lieu de cela, un autre message flotte dans l’air : Pourquoi en avez-vous besoin ? Personne ne l’utilise. Personne ne veut l’entendre. Elle est étrangère ici. » Et ce mur invisible d’indifférence, renforcé par la peur, s’avère souvent plus solide que n’importe quelle interdiction officielle.

Cette attitude envers la langue ukrainienne est renforcée par une promotion agressive du russe. Sur les réseaux sociaux, les pages des villes occupées par la Russie affichent des dizaines de publications sur des événements consacrés à la langue russe. À Marioupol, à la bibliothèque Hans Christian Andersen, un centre de promotion de la langue et de la culture russes a même été ouvert. « Ses premiers visiteurs, les élèves du collège n° 7 et leurs parents, ont appris beaucoup de choses sur la richesse, la beauté et l’importance de la langue russe, son rôle significatif dans la vie de chaque citoyen et dans l’histoire de notre patrie », peut-on lire sur la page de l’administration de Marioupol sur le réseau social Odnoklassniki.

Le Centre célèbre les anniversaires des écrivains russes et organise des fêtes consacrées à la langue russe. Ainsi, récemment, une fête intitulée « Chez ce bon vieux Tolstoï » y a été organisée. Plus tôt, en août, une conversation interactive sous forme de conte intitulée « La fête du sauveur des pommes : le soleil dans ma paume » a été organisée pour les habitants de Marioupol, où l’on a parlé des « valeurs spirituelles ».

Et en mai, les habitants ont été initiés à l’histoire de l’écriture slave : une « excursion passionnante dans le passé » intitulée « Les gardiens de la langue russe » a été organisée pour les élèves de l’équivalent du CM1 (les autres langues slaves n’ont apparemment pas été mentionnées).

Il est intéressant de noter que dans la description de ces événements dans les territoires occupés, le terme « langue maternelle » est utilisé en référence à la langue russe :

À Marioupol, les employés de la bibliothèque A. P. Tchekhov ont organisé pour les écoliers locaux un magazine oral intitulé « La base des bases – la langue maternelle » : « En parcourant les pages du magazine, les enfants ont découvert l’histoire de la fête, ont résolu des problèmes linguistiques et ont réfléchi ensemble à ce qu’il fallait faire pour préserver la beauté et la pureté de leur langue maternelle. »

Et dans la ville occupée de Henitchesk et les villes et villages environnants, une série d’expositions de livres intitulée « La langue maternelle – l’âme du peuple » a été organisée.

Traduit du russe par Desk Russie

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26.10.2025 à 16:56

« Vous êtes redevable à la famille Khangochvili » : lettre ouverte à Vladimir Kara-Mourza

Katia Margolis

Après l’expulsion d'Allemagne de la famille de Zelimkhan Khangochvili, une lettre ouverte interpelle l'opposant russe, qui a été échangé contre l’assassin de ce héros de la résistance tchétchène.

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Texte intégral (2224 mots)

L’artiste russo-italienne, connue pour son soutien flamboyant à l’Ukraine et sa condamnation de l’impérialisme russe, s’adresse à l’une des plus importantes figures de l’opposition russe, après l’expulsion scandaleuse de l’Allemagne de la famille de l’opposant tchétchène, Zelimkhan Khangochvili, tué en plein centre de Berlin. L’année dernière, son assassin Vadim Krassikov, condamné en Allemagne, ainsi que d’autres espions et criminels russes, avaient été échangés contre Vladimir Kara-Mourza et d’autres opposants politiques russes purgeant une peine au Goulag. 

Très estimé Vladimir Vladimirovitch,

Aujourd’hui, un événement qui vous concerne directement s’est produit en Allemagne. Et je garde l’espoir que vous ne le laisserez pas passer inaperçu.

Les autorités allemandes ont embarqué de force dans un avion une famille tchétchène et l’ont expulsée.

Le simple fait que de telles expulsions soient possibles de nos jours, après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie et trois décennies après une guerre coloniale génocidaire similaire menée par la Russie contre l’Itchkérie, que des gens soient envoyés vers la torture et une mort certaine, que de telles expulsions soient régulièrement pratiquées par les pays européens (principalement l’Autriche, et maintenant l’Allemagne), a été un choc pour moi.

Je pense que vous, en tant que personne directement impliquée en politique et mieux informée sur le plan professionnel, êtes au courant.

Et je pense que vous avez déjà deviné pourquoi je m’adresse précisément à vous aujourd’hui.

À l’été 2024, vous, prisonnier politique du Goulag russe, vous vous êtes soudainement retrouvé libre en Occident. Vous avez été échangé contre le tueur Vadim Krassikov, condamné à la prison à vie en Allemagne. Tout le monde se souvient de ce nom.

Lorsque l’échange a eu lieu, Poutine a accueilli le tueur libéré à la descente de l’avion à Moscou comme un héros, faisant comprendre au monde entier que ce meurtre avait été commandité par lui et était un exploit.

Mais permettez-moi de rappeler une fois de plus à mes lecteurs, à mes amis et à mes ennemis, le nom de la personne pour le meurtre de laquelle Krassikov a été condamné.

Un homme qui, comme vous, luttait pour la liberté de son peuple, mais qui a été tué, et dont le meurtrier ne paiera pas pour ce meurtre, car la justice a été échangée contre votre liberté.

Il s’appelait Zelimkhan Khangochvili. Il a combattu les occupants russes d’abord en Tchétchénie, puis en 2008 en Géorgie. Traqué par le FSB, il a été victime de plusieurs agressions et d’une tentative d’empoisonnement.

Il a demandé l’asile politique en Allemagne.

L’Allemagne le lui a accordé, mais n’a pas pu le protéger.

Khangochvili a été assassiné le 23 août 2019 dans un parc au centre de Berlin de deux balles dans la tête, sur ordre du FSB et des autorités russes, par ce même Vadim Krassikov contre lequel vous avez été échangé.

Je ne me souviens pas que, dans vos nombreuses interventions, dans vos interviews ou vos conférences, vous ayez jamais mentionné le nom de Khangochvili.

Je ne me souviens pas que vous ayez publiquement demandé pardon pour une nouvelle injustice, même involontaire, envers les Tchétchènes, ni exprimé votre sympathie à sa famille et à son peuple.

Ne vous sentez-vous pas lié à lui et redevable envers lui, ne serait-ce que symboliquement ?

Car c’est précisément la justice, le droit et sa mémoire qui ont fait l’objet d’un marchandage uniquement pour votre liberté. Et votre vie.

Et oui, toute vie humaine en vaut la peine. La vôtre aussi.

Allez-vous encore aujourd’hui passer sous silence la déportation des Tchétchènes, et plus particulièrement celle de la famille Khangochvili vers la Géorgie, désormais contrôlée par les forces pro-russes, d’où ils seront facilement renvoyés vers la Tchétchénie de Kadyrov pour y trouver une mort certaine ?

Ne vous sentez-vous vraiment pas directement responsable ?

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Les membres de la famille Khangochvili sur le toit d’un parking à l’aéroport de Berlin, le 23 octobre. Photo : Chamil Khangochvili / Deutsche Welle

Bien sûr, je me souviens très bien qu’à de très rares exceptions près (Sergueï Kovalev, Anna Politkovskaïa et quelques autres noms), à l’époque de ma jeunesse, l’intelligentsia libérale moscovite/russe condamnait vivement l’invasion de la Tchétchénie tout en répandant volontiers les fameux mythes sur les « terroristes », les « tribus guerrières », « et va savoir » : les buter dans les chiottes, ce sera bien sûr sans nous, mais bon, « il n’y a pas de fumée sans feu ».

Et de manière générale, « le méchant Tchétchène rampe vers le rivage et aiguise son poignard ».

C’est vraiment inculqué dès le berceau. C’est pourquoi le poème de Lermontov que je cite s’intitule Berceuse.

Cette image s’est construite au fil des siècles. Tout comme l’image des Russes vaillants / innocents / rêvant de liberté, souffrant – et en même temps occupant et discriminant d’autres peuples.

La Russie n’a pas seulement façonné l’image de peuples sauvages colonisés (comme l’ont fait tous les empires à toutes les époques, se présentant comme des libérateurs / éducateurs / grands frères et garants de la paix), elle n’a pas seulement privé ces peuples de leur droit de vote et de leur langue, mais elle a également utilisé toutes ses ressources (y compris celles qu’elle leur avait confisquées) pour diffuser ces mêmes mythes à travers sa culture, ses médias et sa propagande en Occident, façonnant des images s’y rapportant, par exemple celles des Tchétchènes qui seraient a priori des terroristes sauvages et belliqueux.

C’est pourquoi, cher Vladimir Kara-Mourza, la responsabilité des déportations actuelles et des tortures et meurtres qui s’ensuivent pour les Tchétchènes nous incombe à tous.

Et la destinée future du frère de Khangochvili et de sa famille vous incombe personnellement.

« Je ne veux pas que mon pays se désagrège », avez-vous déclaré dans une récente interview.

Vous savez, c’est toujours ce que dit un libéral qui reste un impérialiste moscovite en son for intérieur.

La suite est écrite noir sur blanc. On entendra un argument sur les armes nucléaires dans le contexte d’une désintégration de la Russie (comme si elles n’étaient pas actuellement entre les mains des personnes les plus criminelles et dangereuses), sur les guerres civiles (comme si, aujourd’hui et tout au long de l’histoire, la Russie-Moscovie n’avait pas fait la guerre, tué, déporté et exterminé des peuples entiers) et, cerise sur le gâteau, « d’où vous vient l’idée que ce seront des États démocratiques ? » Vous avez affirmé tout cela, comme tant d’autres. Et d’où vous vient l’idée que la confédération parlementaire que vous imaginez sera démocratique ?

Où, au cours de l’histoire russe multi-séculaire, y a-t-il eu la moindre allusion à une telle possibilité et à une période historique correspondante ?

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Vladimir Kara-Mourza à l’APCE, octobre 2024 // Son compte Facebook

Pourquoi, alors que nous sommes en pleine guerre génocidaire contre l’Ukraine, alors qu’aujourd’hui même de nouvelles bombes russes sont larguées sur les villes ukrainiennes, et que des milliers de Russes sont directement ou indirectement impliqués dans leur lancement, nous, les peuples du monde libre, ne devons-nous pas rêver de la défaite et du démantèlement de ce monstre anachronique agonisant, mais croire à vos chants sur les Russes innocents de la grande et indivisible Russie démocratique imaginaire, pour laquelle le monde entier doit se mobiliser, supporter et attendre – et refaire une nouvelle expérience sur des millions de personnes – au cas où, cette fois-ci, le vieil empire se réveillerait et cesserait de courir après ses voisins et ses propres enfants avec une hache. Au moins jusqu’à une prochaine beuverie…

Le fascisme ne naît pas de rien, il pousse sur les racines de l’empire, du chauvinisme, de l’indifférence et de l’égocentrisme. C’est de là que viennent les chars et les missiles. Vers Grozny ou Kyïv. Vers Prague ou Budapest.

Et aujourd’hui, le premier devoir des combattants contre le régime de Poutine n’est pas de parler aux Tchétchènes, aux Ukrainiens et au monde entier des Russes innocents qui souffrent, mais de se souvenir de l’histoire, de montrer ces liens, de crever cet abcès et non de le dissimuler…

Et de faire tout son possible pour précipiter la fin de l’empire.

Pouvez-vous imaginer des antifascistes allemands, soucieux du sort de leur peuple innocent et simple, faire la leçon aux Juifs en plein génocide ?

Vos convictions, pour lesquelles vous êtes parti au Goulag russe avec votre passeport britannique et votre capacité à influencer les politiques occidentaux pour aider l’Ukraine, votre messianisme et votre credo sont bien sûr votre affaire personnelle. Mais je vous en prie : ne gaspillez pas votre temps et votre réputation à réanimer l’empire agonisant. Utilisez votre voix, vos relations, votre influence à autre chose.

Faites tout votre possible dès aujourd’hui pour sauver au moins une famille tchétchène, celle du frère de Zelimkhan Khangochvili, qui a été assassiné.

C’est votre devoir. En tant que personnalité de l’opposition russe, en tant qu’être humain et, finalement, en tant que chrétien.

À vous de jouer.

Traduit du russe par Desk Russie

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