22.10.2025 à 08:52
Thomas Abgrall
Sur un chemin de terre cahoteux, près du camp palestinien de Sabra, ceinture de misère au sud de Beyrouth, Hamid, 22 ans, pousse péniblement un chariot où s'entassent d'énormes sacs de jute pleins à craquer qui font deux fois sa taille. Le t-shirt noirci par la crasse et les mains calleuses, il s'adosse contre un muret et s'offre une pause cigarette en plein cagnard. Mais il ne s'attarde pas trop : le dos plié en deux, il descend les sacs et les dépose sur une balance en fer dans une boura (…)
- Actualité / Liban , Travail des enfants, Environnement, Pauvreté, Pollution, Développement durable, Travail précaireSur un chemin de terre cahoteux, près du camp palestinien de Sabra, ceinture de misère au sud de Beyrouth, Hamid, 22 ans, pousse péniblement un chariot où s'entassent d'énormes sacs de jute pleins à craquer qui font deux fois sa taille. Le t-shirt noirci par la crasse et les mains calleuses, il s'adosse contre un muret et s'offre une pause cigarette en plein cagnard. Mais il ne s'attarde pas trop : le dos plié en deux, il descend les sacs et les dépose sur une balance en fer dans une boura (en arabe, « terrain vague »), un centre de collecte informel qui achète les matériaux récupérés par les chiffonniers dans les bennes à ordure.
Il existe des dizaines de bourat dans la capitale libanaise. En face de la balance, assis sur un siège de bureau, un jeune homme, jean troué, qui tire sur une chicha, tient la comptabilité sur un grand carnet noir. Pour son premier passage de la journée, Hamid a récolté 24 kilos de bouteilles en plastique, 9 kilos d'autres matières plastiques, 32 kilos de carton et 2kilos d'aluminium. L'équivalent de 6 dollars américains (environ 5,10 euros). Il fait deux à trois passages quotidiens, et porte entre 100 et 150 kilos par jour. Il gagne environ 350 dollars par mois (environ 300 euros), un peu plus que le salaire minium libanais (de 312 dollars dans le secteur privé).
« Je marche de 9h du matin à 23h pour collecter des déchets. C'est un travail très fatigant, je n'ai pas de sécurité sociale en cas d'accident. Deux enfants sont morts en 2022 alors qu'ils triaient des déchets, ils ont été écrasés par des camions-poubelles », raconte le jeune syrien, qui vit au Liban depuis 2012. « Je me fais aussi régulièrement insulter, parfois battre par des gens dans la rue, mais il faut bien manger, payer le loyer ».
Hamid fait partie des chiffonniers du bas de l'échelle : ceux qui ont réussi à faire des économies au fil des ans ont pu s'acheter des motocyclettes, des Tuk Tuk, voire des pick-up, et collectent principalement des déchets dans les industries, supermarchés, ou garages des matériaux à plus forte valeur ajoutée.
Dans la boura de Sabra, le propriétaire est un Libanais qui travaille dans le secteur depuis 1975. « J'ai commencé à l'âge de 14 ans avec mon père qui a acheté le terrain de la boura, il n'y avait que des champs de citronniers ici. Les métaux sont récupérés depuis très longtemps, et constituent l'une des principales exportations libanaises, mais c'est depuis les années 2000 que les chiffonniers se sont mis à récupérer plastique et carton, qui ont pourtant moins de valeur que les métaux », affirme le propriétaire, qui souhaite rester anonyme.
« Ce sont d'abord des tribus bédouines d'Alep qui ont commencé à travailler dans le secteur, puis de Raqqa et de Deir ez-Zor, notamment quand de nombreux villages ont été occupés par l'État islamique [entre 2014 et 2016, ndlr] ». Les prix des matières recyclables vendues par Hamid varient selon le cours international des matières premières.
Chaque jour, les propriétaires de bourat reçoivent sur un groupe WhatsApp les tarifs d'une vingtaine de matériaux recyclables : cuivre rouge, cuivre jaune, acier inoxydable, journaux, cartons, canettes de Pepsi, bouteilles en plastique, nylon, aluminium, plomb, piles, climatiseurs et radiateurs, batteries de voiture… Une fois qu'Hamid a récupéré son dû, des adolescents qui travaillent dans la boura répartissent les recyclables dans différents tas, puis les chargent dans des camions.
Beaucoup de mineurs déscolarisés travaillent dans le secteur, ils ont souvent arrêté l'école à la fin de l'enseignement primaire.
Les métaux sont expédiés dans un plus grand centre de collecte à Sabra, puis exportés, principalement vers la Turquie. Le plastique et le carton sont principalement vendus à des entreprises de recyclage locales. Le plastique peut également être revendu à des grossistes qui détiennent des licences exclusives pour l'export. Ces derniers réalisent généralement les plus grands bénéfices dans la chaîne du tri.
C'est par exemple le cas de la famille Chaaban, l'un des principaux traders de plastique, rencontrée dans une zone industrielle à Choueifat, au sud de Beyrouth. « Nous achetons la tonne de plastique à 200 dollars US, nous le broyons avec des machines et revendons les granulés à 325 dollars la tonne à l'étranger, en Grèce, en Égypte ou en Turquie », explique Mohammad Chaaban, l'un des gérants de l'entreprise.
Les chiffonniers constituent un maillon essentiel dans l'économie circulaire, car les Libanais ne trient pas leurs déchets. « Moins de 5 % d'entre eux pratiquent le tri à la source, par négligence et par manque de sensibilisation », explique Georges Bitar, fondateur de l'ONG Live Love recycle, qui a lancé en 2018 une application pour récupérer les matières recyclables dans les foyers et entreprises.
Moyennant trois dollars par semaine, des employés de l'ONG emportent jusqu'à trois sacs de matières recyclées d'environ 4.000 foyers. Ces dernières sont ensuite séparées dans un centre de traitement, puis revendues. Quelques initiatives comme celles de Live Love Recycle se sont lancées après une catastrophique crise des déchets en 2015-2016, et des usines de tri ont été construites avec le soutien de donateurs internationaux, mais nombre d'entre elles se sont arrêtées, notamment faute de rentabilité.
« Depuis deux ans, le prix des matières recyclables a baissé : la tonne de plastique est passée de 450 à 200 dollars, la tonne de papier de 110 à 80 dollars et la tonne d'acier de 350 à 200 dollars. Les coûts de l'essence sont aussi très élevés, ce qui impacte nos coûts du transports. »
« Enfin, avec la crise économique depuis 2020, les ménages ont réduit leur consommation, en particulier de matières recyclables », note Georges Bitar.
Selon la Banque mondiale, le taux de matières recyclables dans les déchets solides libanais est passé d'environ 45 % à 25 % entre 2017 et 2021, tandis que les déchets organiques ont augmenté de 50 à 70 %. Live Love Recycle a employé 436 réfugiés syriens à temps partiel en 2018 avec le soutien du Programme alimentaire mondial (PAM). Aujourd'hui, ils ne sont plus là, mais l'ONG planifie de créer 100 nouveaux emplois à temps plein et d'ouvrir 30 nouveaux points de collecte, avec le soutien du Regional Development and Protection Program (RDPP).
« On ne baisse pas les bras malgré la situation morose du marché », assure Georges Bitar. Le Liban demeure cependant loin de modèles de coopératives de chiffonniers comme il en existe au Maroc ou au Brésil.
L'État libanais, lui, ne fait rien pour favoriser le recyclage, bien au contraire. Sa gestion des déchets repose principalement sur l'enfouissement des déchets non séparés dans des décharges centralisées gérées par des entreprises privées. À Beyrouth, deux ont été inaugurées en 2016, celles de Costa Brava, au sud de la capitale, et de Jdeidé, au nord de Beyrouth. Elles sont régulièrement saturées, puis agrandies, dans une fuite en avant périlleuse.
Les entreprises qui ont gagné les appels d'offre pour gérer ces décharges n'ont aucune obligation de tri préalable. Les camions-poubelles compactent les déchets des bennes à ordure et les recrachent tels quels dans les décharges. Avant 2020, il existait deux centres de traitement à proximité de ces décharges : l'un a été détruit par l'explosion du port de Beyrouth en 2020, et n'est toujours pas opérationnel, tandis que le second, vétuste, ne fonctionne plus depuis que le contrat avec l'entrepreneur gestionnaire a expiré.
En théorie, 25 % des déchets pourraient être recyclables, mais moins de 8 % le sont en pratique, selon des chiffres de 2024 fournis par Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), un établissement public libanais chargé de la mise en place d'une stratégie nationale pour la gestion des déchets.
L'État libanais tend à se décharger sur les municipalités, qui selon différents textes de loi, sont responsables de la gestion des déchets solides. Mais leurs moyens financiers sont limités : leurs ressources, faibles, dépendent essentiellement de fonds gouvernementaux. Et elles sont déjà endettées pour sous-traiter à des sociétés privées la collecte des déchets, ne disposant pas de moyens humains et logistiques pour traiter les déchets à la source. Quelques exceptions existent toutefois dans certaines unions de municipalités, notamment au nord du Liban.
Le rôle clé des chiffonniers n'a cessé de diminuer récemment. Plus de 90 % d'entre eux sont Syriens, le reste des collecteurs étant Palestiniens et Kurdes. Parmi les milliers de chiffonniers travaillant dans le secteur, une partie importante est retournée en Syrie après la chute de Bachar al-Assad, il y a près d'un an.
Dans le quartier de Hay-Lejja, à l'ouest de Beyrouth, des chiffonniers entrent et sortent d'un étroit passage entre deux bâtiments qui conduit à une impasse. À l'abri des regards, se niche une boura dans un local plongé dans la pénombre, au pied d'un immeuble de dix étages. Des dizaines de chiffonniers habitent et travaillent là depuis plus de 15 ans, tous membres du même clan, les Bou Hamad, originaires de villages autour de Raqqa.
« Nous sommes une tribu d'environ 40.000 personnes, qui travaillons dans les déchets, la plomberie ou la construction. Beaucoup d'entre nous étaient recherchés par le régime, et sont maintenant retournés en Syrie. Même s'il n'y a pas autant de travail qu'au Liban, nous n'avons pas à payer de loyer, nous sommes propriétaires de nos tentes », indique Abou Hassan, un gaillard aux yeux hallucinés qui semble être le responsable de la boura.
Les conditions de travail n'ont aussi cessé de se dégrader, expliquent les chiffonniers. Abou Hamza, un autre trieur de déchets, casquette à l'envers vissée sur le crâne, raconte :
« La municipalité a fait fermer des bourat dans le quartier, et nous harcèle de plus en plus. Ces derniers mois, elle a confisqué 13 motocyclettes et un camion. Nous avons dû les racheter à prix fort, à plusieurs centaines de dollars ».
Des conflits latents existent aussi entre les propriétaires libanais de bourat, associés à des gangs, qui font parfois régner la terreur pour que des chiffonniers n'empiètent pas sur le territoire.
« Plusieurs membres de notre boura se sont fait kidnapper par un gang d'un autre quartier. Ils ont été menacés par des chiens, frappés à coups de couteau, pendus à l'envers pendant plusieurs jours à des crocs de boucher, et privés de nourriture », témoigne l'un d'entre eux. Certains sont même obligés de payer une somme mensuelle pour être « protégés » dans leur zone par des caïds de quartier.
Alors que l'obscurité tombe sur Beyrouth, l'équipe de nuit de la boura de Hay-Lejja, composée essentiellement de jeunes adolescents, s'active pour commencer sa besogne. Munis de lampes frontales, ils grimpent dans les bennes à ordures, plongent la tête la première dedans et éventrent les sacs-poubelles avec agilité pour trier chaque matière recyclable dans différents bacs en carton. Ils ont jusqu'à l'aube pour récupérer le plus de déchets valorisables avant le passage des camions-poubelles. Comme chaque nuit, leur course contre la montre a commencé, et durera jusqu'au petit matin.
21.10.2025 à 11:49
Bien que le travail indépendant ait toujours existé dans de nombreux métiers, ces dernières années, dans le secteur des services surtout, un nombre croissant de professionnels semble se lancer dans le travail en free-lance, alors même que de nombreuses entreprises ont augmenté la charge de travail qu'elles délèguent à des prestataires externes d'une façon qui aurait été inimaginable il y a encore quelques années.
Un changement de mentalité semble bouleverser le monde du travail. La gestion (…)
Bien que le travail indépendant ait toujours existé dans de nombreux métiers, ces dernières années, dans le secteur des services surtout, un nombre croissant de professionnels semble se lancer dans le travail en free-lance, alors même que de nombreuses entreprises ont augmenté la charge de travail qu'elles délèguent à des prestataires externes d'une façon qui aurait été inimaginable il y a encore quelques années.
Un changement de mentalité semble bouleverser le monde du travail. La gestion à court terme et par projets, qui privilégie les relations de travail ponctuelles, remplace le modèle traditionnel qui consistait à investir dans la formation et la pérennisation de son propre personnel au sein de la structure et de la culture interne de chaque entreprise plus particulièrement. Il semble de plus en plus courant que les économies de coûts dictent les décisions des entreprises, disposées à ne payer que pour un travail spécifique lorsqu'elles en ont besoin, au point qu'il est devenu normal de combiner du personnel permanent et la sous-traitance vers des free-lances.
Cela n'augure rien de bon pour la qualité et la stabilité des emplois, dans ce qui semble être une tendance qui pourrait préfigurer l'avenir du monde du travail. Pour nous aider à comprendre ce phénomène, Equal Times a demandé l'avis de l'un des spécialistes qui connaît le mieux l'impact social et économique de ces transformations, le sociologue britannique Alex J. Wood, chercheur et maître de conférences en sociologie économique à l'université de Cambridge (Royaume-Uni). Il est également ancien membre de l'équipe qui a créé l'Indice du travail en ligne de l'université d'Oxford, un outil qui a permis de mesurer pour la première fois, entre 2016 et 2024, les fluctuations de l'activité professionnelle de tous les free-lances des cinq plus grandes plateformes spécialisées dans ce domaine dans le monde anglophone (ainsi que de plusieurs portails en espagnol et en russe entre 2020 et 2024), soit plus de 70 % du marché mondial des indépendants en activité.
On a l'impression que les travailleurs sont de plus en plus nombreux à choisir ou à être contraints de devenir indépendants. Que disent les données à ce sujet ?
Je pense qu'il y a bel et bien une tendance à la hausse du travail indépendant dans les pays capitalistes occidentaux, mais il est également vrai que la véritable augmentation forte des chiffres s'est produite entre l'année 2000 et la pandémie de Covid-19.
Aujourd'hui, dans la plupart des pays, le nombre de travailleurs indépendants recommence à augmenter, mais pas nécessairement aussi fortement qu'avant la pandémie ni de manière uniforme. En outre, tout dépend des réglementations, des habitudes sur la façon de faire des affaires et de la manière dont chaque économie est réglementée en général à chaque endroit. En Scandinavie, par exemple, les pratiques en matière d'emploi sont généralement moins fragmentées, avec des marchés du travail très réglementés, avec pour conséquence que les entreprises ont beaucoup moins tendance à recourir à des travailleurs indépendants.
Est-ce que cela signifie donc que plus la réglementation du travail est stricte, moins il y a de free-lances ?
Oui, naturellement, même si le type de secteurs dominants dans chaque économie nationale est également déterminant. Par exemple, le Royaume-Uni est fortement axé sur les services, ce qui présente un grand potentiel pour que ces services soient proposés à travers l'auto-emploi, alors que dans une économie plus axée sur la production industrielle, comme l'Allemagne, ce potentiel est beaucoup plus faible.
Selon certains chercheurs, la technologie constitue un facteur historique de rupture dans les conditions de travail. Comment son utilisation influence-t-elle la précarisation et la tendance à l'augmentation du nombre de travailleurs indépendants ?
La numérisation accroît la capacité à fragmenter le travail dans l'espace, mais aussi à permettre à des personnes qui ne sont pas des employés (même éparpillées un peu partout dans le pays ou dans le monde) de contribuer au processus de travail. Cela explique la forte augmentation du travail indépendant entre l'année 2000 et la pandémie, du fait de l'utilisation croissante des ordinateurs et de la numérisation du travail.
Après quoi, ces dernières années, nous avons assisté au développement de plateformes numériques de travail, telles qu'Uber, Just Eat, Deliveroo, etc., ainsi que de plateformes pour travailleurs indépendants, telles qu'Upwork et Fiverr. Elles permettent de réduire les coûts de recherche des travailleurs free-lance, grâce à leurs algorithmes qui garantissent un accès à une main-d'œuvre disponible. Ce phénomène coïncide avec un affaiblissement des réglementations du travail et de la capacité des syndicats de faire pression sur les entreprises pour qu'elles ne sous-traitent pas la charge de travail à des travailleurs non syndiqués.
Ce lien entre technologie et précarisation rappelle le vieil adage « diviser pour mieux régner », puisque, face à cette fragmentation du travail, il est très difficile de bénéficier d'une représentation syndicale ou de négociations collectives, et la technologie permet à de nombreuses entreprises de dire : « voilà notre façon de travailler : c'est à prendre ou à laisser ». Pensez-vous que, dans ce sens, les entreprises se servent consciemment des technologies comme d'un élément de rupture à leur avantage ?
Je pense que oui. Nous avons réalisé une étude sur les free-lances au Royaume-Uni auprès de travailleurs indépendants qui utilisaient des plateformes telles qu'Uber et des plateformes pour free-lances. Dans le cas d'Upwork, nous avons observé des niveaux de soutien aux syndicats vraiment élevés ; bien plus élevés, en fait, que ceux généralement observés chez les employés conventionnels. Certains travailleurs déclaraient même vouloir créer leur propre syndicat, ce qui montre clairement qu'il existe une volonté de représentation syndicale. Je pense que nous devons demander à ces travailleurs s'ils estiment que des conseils du travail similaires à ceux qui existent dans l'industrie allemande devraient être mis en place pour les travailleurs des plateformes : un conseil dans lequel certains travailleurs seraient élus comme représentants, avec pour objectif d'être consultés et d'avoir un droit de veto sur les décisions importantes. Cette idée recueille en fait un soutien plus large que les syndicats, car je pense que les gens reconnaissent qu'il est très difficile de mettre en place un syndicat de travailleurs free-lance, alors qu'avec les plateformes, il est aisé d'imaginer comment ce type de conseil pourrait fonctionner. Nous avons besoin de formules de représentation alternatives, qui donnent aux travailleurs une voix fonctionnelle, sans que celle-ci dépende de leur capacité à mettre en place un syndicat.
Les entreprises qui passent d'une force de travail salariée à un système reposant de plus en plus sur des free-lances externes s'orientent-elles vers une conception beaucoup plus court-termiste de leur activité ? Pourquoi, selon vous, préfèrent-elles accepter cette volatilité plutôt que d'investir dans la constitution d'équipes stables ?
Ce changement de mentalité est bel et bien en cours, et je pense qu'il s'explique en grande partie par le déclin de ce que le sociologue Wolfgang Streeck qualifie de « contraintes bénéfiques » pour les employeurs. En effet, si on laisse le choix aux entreprises, elles opteront pour la voie de la facilité, car elles se concentrent sur le cours de leurs actions et la rentabilité à court terme, même si cela se fait au détriment de leurs intérêts sur le long terme.
Wolfgang Streeck est un Allemand évoquant l'expérience allemande où, traditionnellement, les conseils du travail et les syndicats ont réussi à limiter la capacité des employeurs à choisir ce chemin de la facilité, les obligeant donc à investir dans leurs travailleurs et à leur dispenser des formations. Une fois que vous avez formé vos travailleurs, vous avez tout intérêt à leur offrir une plus grande sécurité d'emploi et des conditions de travail de qualité, car vous ne voulez pas qu'ils s'en aillent.
Effectivement, nous avons constaté un véritable déclin de ces contraintes bénéfiques, ce qui signifie que certaines entreprises considèrent les agences et les plateformes qui leur fournissent des free-lances comme un moyen de réduire immédiatement leurs coûts du travail, même si cela nuit à leur productivité. Cela s'explique en partie par le fait que, dans les années 80 et 90, le cours des actions s'est progressivement imposé comme l'étalon de la rentabilité à long terme des entreprises. Or, l'un des moyens d'augmenter le cours d'une action consiste à réduire les coûts du travail, même si cela se révèle ne pas être bénéfique pour l'entreprise dans la pratique. Je pense donc que le déclin de la réglementation des marchés financiers et le recours croissant aux fonds de capital-risque et aux fonds d'investissement jouent un rôle dans cette évolution. Ces prédateurs financiers issus de Wall Street ont influencé de nombreuses décisions de gestion, au lieu de laisser les dirigeants sur le terrain prendre ce type de décisions stratégiques.
Cela signifie donc que ce changement de paradigme dans les entreprises n'est pas un phénomène récent, mais qu'il remonte à une époque antérieure à Internet, à cette obsession néolibérale qui consiste à évaluer les entreprises en fonction du cours de leurs actions, qui fluctue quotidiennement.
Oui, il n'y a aucun doute que ce changement était déjà en cours dans le passé, tant en termes de déclin des syndicats que de ces contraintes bénéfiques, auxquelles s'ajoute le rôle croissant de la déréglementation des marchés financiers. L'économiste David Weil, qui faisait partie de l'administration Obama, explique les différentes manières dont les entreprises ont réagi à cette focalisation sur le cours des actions, en exploitant justement cette dislocation du travail, c'est-à-dire en ayant recours à des agences d'intérim et à des travailleurs indépendants. Puis sont arrivées les années 2000, avec une numérisation croissante, et aujourd'hui, dans les années 2020, avec l'émergence des plateformes de travail, de nouvelles formes de fragmentation de l'emploi apparaissent, grâce à l'utilisation de travailleurs des plateformes et de travailleurs free-lances à une échelle beaucoup plus grande, car les coûts liés à la recherche d'employés, à leur embauche et au contrôle de leur travail ont été considérablement réduits grâce à la technologie.
Du côté des travailleurs, observe-t-on également un changement de paradigme dans leur relation avec les entreprises ?
Je pense que, envers et contre tout, les gens tentent constamment de s'organiser et de créer des communautés, ce qui entraîne un certain degré de régulation informelle. Par exemple, nous voyons comment certains travailleurs dressent directement leur propre liste noire énonçant leurs pires clients et déconseillent à leurs confrères de travailler pour eux ou indiquent que personne ne devrait accepter tel travail pour moins de tel montant. Les syndicats jouissent également d'un large soutien, même s'il est difficile de les organiser dans ce type de travail. Je pense que la frustration que ressentent les gens face à la précarité de leur emploi les pousse à rechercher des alternatives qui ne sont pas proposées par les partis progressistes, ce qui amène certains vers les idées de l'extrême droite la plus populiste et conduit les gens à attribuer à tort la détérioration de leurs conditions de vie à l'immigration.
De fait, la détérioration des démocraties a commencé à partir de la crise financière de 2008 et le meilleur moyen de défendre la démocratie est probablement de maintenir des conditions de travail dignes. Vos données sociologiques le montrent-elles d'une manière ou d'une autre ?
Oui, et je pense que c'est ce que nous devons faire pour offrir une alternative aux gens, car je ne pense pas que mettre un terme à l'immigration améliorera de quelque manière que ce soit la qualité de vie des gens. Et si l'idée est d'offrir une alternative, il faut sans aucun doute que le système garantisse la démocratie sur le lieu de travail par l'intermédiaire de conseils du travail et de syndicats, ce qui, en réalité, améliorera les conditions de travail des gens et leur offrira une plus grande sécurité professionnelle et matérielle.
Le plus curieux est que cela profiterait également aux entreprises elles-mêmes. Cependant, il n'existe pas de réglementation du travail spécifique aux travailleurs indépendants. En 2024, l'UE a adopté sa Directive sur le travail des plateformes , mais celle-ci ne s'appliquera qu'aux travailleurs des plateformes. En tant que société, comment devrions-nous faire face à ces lacunes réglementaires ?
Tout à fait. De fait, j'ai participé à certaines discussions avec les législateurs européens portant sur cette directive et je leur ai fait remarquer qu'elle était plutôt bonne, mais qu'elle ne s'appliquait qu'aux travailleurs qui ont été contraints de recevoir la définition de travailleurs indépendants à ce moment-là, et non à ceux qui sont véritablement free-lance. Je pense donc que ce qu'il convient de dire est similaire à ce que nous dirions face à un cas d'évasion fiscale, à savoir qu'une entreprise ne peut pas affirmer « oh, eh bien, il s'agit de travailleurs indépendants » ou qu'elle a simplement sous-traité le travail à des tiers et qu'il ne lui incombe pas de s'assurer qu'ils perçoivent le salaire minimum. Non. Si une entreprise crée un quelconque travail, elle est tenue de payer, au moins, le salaire minimum, qui a justement été fixé à cet effet, afin de garantir que personne ne gagne moins que ce montant, y compris les travailleurs indépendants.
Et si vous êtes un travailleur indépendant sur une plateforme et que vous ne gagnez pas le salaire minimum avec les missions que vous recevez en moyenne, je pense que vous devriez pouvoir faire valoir que vos tarifs sont trop bas et réclamer que la plateforme les augmente. Et l'un des moyens d'y parvenir est de passer par les conseils du travail que nous avons évoqués tout à l'heure. Il s'agit de démocratiser les plateformes, mais aussi de faire en sorte que les droits du travail s'appliquent réellement à tous les travailleurs, y compris les free-lances. Toute personne effectuant un travail rémunéré doit pouvoir bénéficier de ses droits fondamentaux en matière de travail, y compris le salaire minimum.
Comment tout cela peut-il être garanti ?
Je pense que les plateformes de travail doivent disposer d'un conseil élu par les travailleurs, consulté sur les changements qui interviennent sur les plateformes, mais également habilité à examiner les prix et les tarifs fixés pour les différentes tâches, et ce, de façon à garantir qu'ils sont suffisamment élevés pour couvrir les besoins des travailleurs et, bien sûr, qu'ils couvrent le salaire minimum.
L'État devrait-il garantir cela d'une manière ou d'une autre ?
Oui, exactement : il faut que cette couverture légale soit étendue aux personnes qui sont véritablement des travailleurs indépendants, mais qui travaillent à travers des plateformes.
Pour finir, quelles sont les actions que les travailleurs peuvent entreprendre pour que cette protection devienne réalité ? Que recommanderiez-vous aux travailleurs indépendants pour faire avancer les choses dans cette direction ?
Avant tout, qu'ils adhèrent à un syndicat, ou qu'ils créent des communautés de travailleurs, ou de nouveaux syndicats, qu'ils adhèrent à un parti politique ou qu'ils en créent un nouveau, et qu'ils fassent ensuite évoluer la situation vers plus de protection des droits et donnent une plus grande voix à tous ces travailleurs indépendants.
17.10.2025 à 06:00
Momar Dieng
Avec sa capitale riche de culture et d'histoire, Dakar, ses côtes de sable fin bordées de stations balnéaires, ses villages de pêche pittoresques, l'architecture historique de Saint-Louis classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, ou encore ses mangroves, les rizières et forêts de Casamance et autres sites naturels remarquables, le Sénégal possède de très nombreux atouts touristiques et souhaite depuis longtemps faire de ceux-ci un levier de relance économique.
En 2024, le pays aurait (…)
Avec sa capitale riche de culture et d'histoire, Dakar, ses côtes de sable fin bordées de stations balnéaires, ses villages de pêche pittoresques, l'architecture historique de Saint-Louis classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, ou encore ses mangroves, les rizières et forêts de Casamance et autres sites naturels remarquables, le Sénégal possède de très nombreux atouts touristiques et souhaite depuis longtemps faire de ceux-ci un levier de relance économique.
En 2024, le pays aurait enregistré la venue de près de 2,26 millions de visiteurs, d'après le ministère du Tourisme et de l'Artisanat. Nombreux venus d'Europe (23%) et d'Afrique (74%), pour du tourisme culturel, mais aussi d'affaires, religieux ou pour des événements sportifs. Entre 2019 et 2024, les recettes générées par le secteur ont connu une hausse de 86,2 %, d'après la Cellule des études, de la planification et du suivi du ministère (CEPS/MTA). Le secteur représente environ 7% du PIB et de nombreux observateurs s'accordent à dire qu'il y a encore un potentiel à développer.
Toutefois, plusieurs acteurs du secteur rencontrés lors d'une enquête d'Equal Times, alertent sur des obstacles majeurs liés aux conditions de travail dans ce secteur, qui compte aussi un grand nombre de travailleurs informels, sans contrats en bonne et due forme.
Le secrétaire général de l'hôtellerie de la centrale syndicale CNTS, Mamadou Diouf, dénonce le recours massif des employeurs aux contrats saisonniers « qui ne répondent pas aux normes fixées par la loi. » Selon lui, « les licenciements, très fréquents, sont souvent décidés sur la base de soi-disant motifs économiques et sans tenir compte des procédures légales. Et ces licenciés sont parfois remplacés par des prestataires de services ou des journaliers ».
Sur 120.000 travailleurs recensés au niveau du ministère du tourisme, « je suppose que seul le tiers – soit 40.000 - bénéficie de contrats à durée indéterminée », avance-t-il.
Lors des conflits sociaux, le responsable du secteur tourisme à la CNTS-FC (Confédération nationale des travailleurs du Sénégal/Forces du changement), un autre syndicat, El Hadji Ndiaye, fustige lui la partialité d'inspecteurs du travail trop souvent favorables aux employeurs.
« Quand il y a un conflit entre un employé et son patron, ils ne convoquent souvent que le travailleur. Le patron, lui, il peut parfois envoyer son chauffeur le représenter. Ces pratiques ne sont pas acceptables », s'indigne-t-il.
L'Etat est donc largement attendu pour amener le secteur à des standards internationaux en termes de qualité de l'offre et d'exemplarité du secteur. Un chantier potentiel pour Vision 2050 le nouveau document de référence pour les politiques publiques, depuis l'arrivée d'un nouveau gouvernement en avril 2024. Ce dernier souhaiterait atteindre l'objectif de 500.000 emplois liés à ce secteur et lui faire atteindre la part de 10% dans le PIB national.
Ce ne sera pas simple, avertit Faouzou Dème. Ce consultant et ex-candidat à la direction de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), membre de plusieurs cabinets ministériels à partir des années 2000, milite pour une vision globale du secteur. « Le tourisme est à la fois un produit d'exportation et de consommation interne [64% des activités touristiques sont ‘consommées' par des nationaux, contre 36% par des touristes internationaux, ndlr]. Cela veut dire qu'il s'accommode de la culture, de l'artisanat, de tout ce que nous avons comme valeurs et qui nous identifie », explique-t-il. Le 6 septembre 2025, le gouvernement suivant cette logique a en effet renommé le ministère en « ministère de la Culture, de l'Artisanat et du Tourisme ». Une appellation nouvelle pour connecter davantage le secteur touristique à des secteurs qui pourraient créer une synergie positive.
Les réformes ont commencé et un nouveau Code du tourisme serait en gestation pour renforcer une réglementation capable de favoriser un développement durable dans tout l'écosystème. « Le tourisme est un secteur porteur qui crée des emplois et de la richesse, mais cela n'est pas possible sans des investisseurs privés », rappelle toutefois Faouzou Dème, qui plaide pour l'inclusion de tous les acteurs.
Concernant les conditions de travail, le gouvernement actuel a aussi fait le ménage dans de vieilles pratiques en abrogeant par exemple l'arrêté colonial 41-87 du 26 juin 1953, qui faisait travailler les agents du secteur touristique 50 heures par semaine pour 40 heures effectivement payées. « Il y a des résistances chez certains patrons, mais la mesure est globalement appliquée », se réjouit El Hadji Ndiaye.
Mamadou Diouf estime cette abrogation salutaire, au regard de son injustice, mais beaucoup reste à faire d'après lui. Notamment l'entrée en vigueur du « Pacte de stabilité sociale du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration », pourtant signé depuis avril 2021 entre le gouvernement, le patronat et les représentants des travailleurs (dont la CNTS et la CNTS/FC). Ce Pacte, – intervenu après les difficultés dues à la crise du Covid-19–, est un compromis entre plusieurs objectifs : protéger les emplois existants, assurer le paiement régulier des salaires des travailleurs, actualiser la convention collective nationale de l'hôtellerie, suspendre les préavis de grève, soutenir les entreprises touristiques par l'ouverture d'une ligne de crédit bancaire, etc. Mais ses mesures n'ont jamais été mises en œuvre, au grand dam des signataires.
Du côté des partenaires sociaux, on œuvrent aussi pour répondre aux doléances des travailleurs : « Un accord signé avec le patronat institue désormais une prime mensuelle de nourriture entre 17 mille et 24 mille francs CFA [entre 26 et 37 euros environ], selon les catégories, et pour tous les travailleurs des secteurs de l'hôtellerie. Cet accord de branche est un acquis majeur dans notre combat pour la dignité des camarades travailleurs », ajoute El Hadji Ndiaye.
Aux côtés du tourisme classique international, Faouzou Dème préconise une intensification du tourisme rural intégré pour ses nombreux atouts, dont le développement des zones éloignées. « Les populations en profiteraient en gagnant de l'argent à partir des activités dans leur propre terroir. En même temps, la nature et la faune seraient préservées dans les zones défavorisées », souligne-t-il.
En Casamance, zone d'évasion touristique par excellence, Ousmane Sané est un promoteur de l'écotourisme depuis que « le tourisme classique a montré ses limites. » Il travaille avec deux employés – un jardinier et une cuisinière – et des membres de sa famille en exploitant un campement d'environ deux hectares à Niafrang, un village de la Basse-Casamance, situé non loin de la frontière gambienne.
« Ma clientèle est principalement occidentale. Mais il y a aussi des Africains qui passent, dont des Gambiens et des Sénégalais. Il y a du confort, mais nous ne visons pas une certaine modernité. D'ailleurs, la plupart de nos clients acceptent de s'impliquer dans des activités ou projets de préservation de l'environnement. »
Dans cette partie du Sénégal, l'écotourisme souffre toutefois de plusieurs maux dont l'enclavement, l'état des routes, la vétusté des moyens de transport et les prix élevés pratiqués par les transporteurs, indique Ousmane Sané. Dans d'autres parties du pays, il doit aussi affronter « l'industrialisation », notamment la bétonisation effrénée de paysages touristiques, ou encore l'exploitation du zircon, un minerai qu'on trouve dans le sable, qui affecte les terres.
Auteur du livre-enquête Le tourisme au Sénégal, radioscopie d'un secteur (éd. Nuit & Jour, 2025), Mamadou Pouye Tita, souligne : « L'écotourisme doit être la marque de fabrique du tourisme local. Il crée une attraction touristique autour de nos valeurs, de nos spécificités en tant que peuple, de nos richesses culturelles et de nos potentialités agricoles et environnementales. »
Sans écarter l'option des gros investissements, Mamadou Pouye Tita préconise une plus grande attention à l'endroit du tourisme intérieur « car aucun pays ne doit compter sur l'extérieur pour développer le tourisme », citant en référence à la fermeture des frontières imposée par le Covid-19 entre 2019 et 2020, qui a beaucoup fait souffrir le secteur.
À cet égard, le retour des campements impliquant étroitement les villageois dans leur gestion, modèle d'écotourisme « qui avait bien marché » en Casamance et dans les îles du Saloum, reste une option pertinente pour le tourisme intérieur, souligne-t-il. « Malheureusement, l'Etat n'ayant pas été vigilant, ce concept a été récupéré et dévoyé par des hommes d'affaires qui en ont fait des campements privés. »
Le tourisme au Sénégal fait face à une série d'obstacles structurels qui freinent encore sa pleine expansion. Parmi ces défis, trois se détachent nettement : la nécessité d'une meilleure formation professionnelle des acteurs du secteur, la lutte contre le sous-emploi et la cherté de la destination, ainsi que la sécurisation des sites touristiques.
À la tête des syndicats d'initiative de Thiès et Diourbel, des structures locales qui s'occupent de la mise en valeur et de l'animation touristique, Boubacar Sabaly, plaide pour un renforcement de la qualité de la formation professionnelle. Il souligne que « se jouent ici le présent et l'avenir du tourisme sénégalais ». Sans un personnel qualifié, il devient difficile pour le pays d'offrir une expérience touristique répondant aux standards internationaux et susceptible de rivaliser avec d'autres destinations africaines ou mondiales. Faouzou Dème, insiste lui aussi sur la nécessité d'investir dans la formation et la planification rigoureuse, rappelant que « si on veut 500.000 emplois, il faut […] une école de formation qui forme des employés, selon les besoins de l'évolution de la capacité litière ».
Les chiffres rapportés par l'expert Mamadou Pouye Tita sont éloquents : malgré l'augmentation des capacités d'accueil en nombre de lits (de 27.658 en 2014 à 41.500 en 2022), le niveau de l'emploi direct généré par le secteur hôtelier est resté stagnant sur la même période, autour de 28.035. Ce constat révèle « une grave situation de sous-emploi » avec moins d'un « emploi créé par chambre d'hôtel ».
Autrement dit, la croissance quantitative du parc hôtelier ne s'est pas traduite par une amélioration qualitative en termes d'opportunités professionnelles.
Les prix élevés pratiqués dans certains d'endroits constituent un autre frein de taille, surtout pour les touristes africains. Sémou Dione, guide touristique professionnel depuis de nombreuses années, l'explique clairement : « Avec la rareté de la clientèle due en grande partie à la cherté de la destination, et la faiblesse de la promotion du Sénégal, on comprend pourquoi le secteur du tourisme est en difficulté. » Mamadou Pouye Tita dénonce notamment le cumul des taxes sur le billet d'avion qui dépasse souvent le prix hors taxe du billet lui-même. Une telle fiscalité décourage les visiteurs potentiels et place le Sénégal en situation de désavantage. À cela s'ajoutent des problèmes récurrents d' « insalubrité et l'envahissement humain et animal, » sur certains sites, comme le relève Boubacar Sabaly, également directeur-général de l'hôtel Les Bougainvillées de Saly.
En outre, la question de la sécurité constitue une préoccupation croissante pour les acteurs du secteur. Faouzou Dème rappelle que « le touriste ne voyage pas dans les pays instables, dans les zones où il n'y a pas de sécurité ». Cette remarque s'est trouvée confirmée par une série d'incidents survenus en 2025 : en janvier, l'hôtel Riu Baobab de Pointe Sarène, un des derniers fleurons du tourisme haut de gamme, a été l'objet d'un braquage par des bandits armés, et en août, un vol et une agression armée ont été signalés à la résidence Les Diamantines de Saly. Ces épisodes ternissent l'image d'une destination sûre, mais qui se veut toujours plus accueillante.