flux Ecologie

Le média des combats écologiques

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17.10.2024 à 11:06
Philippe Vion-Dury
Texte intégral (1736 mots)

« Budget : Pourquoi l’écologie perd toujours ». C’était le thème de l’émission C Politique, ce dimanche 13 octobre. Clément Sénéchal s’est ainsi retrouvé face à cinq représentants de l’écologie bourgeoise déterminés à le décrédibiliser. Attention, masterclass de dépolitisation.


Ça y est, c’est vraiment la rentrée ! On a enfin le retour des plateaux de débat consacrés à l’écologie. Ça nous avait manqué. En attendant que Karim Rissouli relance la machine sur C Ce Soir, on devra se contenter de C Politique, le « forum de discussion » animé par Thomas Snégaroff, qui consacrait il y a quelques jours une émission sur le thème « Budget : Pourquoi l’écologie perd toujours ». Ça vous dit quelque chose ? Normal : le titre est celui du livre de Clément Sénéchal qui nous a accordé une interview il y a quelques semaines.

Sans surprise, la bourgeoisie médiatique est toute trépignante à l’idée de nous donner son avis éclairé sur les mésaventures de l’écologie. À croire que ça la démangeait, car elle nous a donné ce soir-là une masterclass de dépolitisation. Objectif : arracher ses crocs à cette écologie qui leur fait si peur (la nôtre).

1. L’occupation du terrain

Face à Clément Sénéchal, nous avons donc cinq représentants de l’écologie bourgeoise. Toute la famille : Martin Hirsch le haut-fonctionnaire-écrivain, Marine Braud la consultante, Flora Ghebali l’entrepreneuse, Denis Pingaud l’expert politiste, Corinne Lepage l’ancienne ministre. On aurait voulu faire une sociographie de la bourgeoisie écolo médiatique qu’on aurait pas fait mieux. « Six nuances de vert sur ce plateau ! », va même jusqu’à s’exclamer une Flora Ghebali extatique qui voit trouble. Le manque de diversité n’a pourtant frappé Thomas Snégaroff, l’animateur, qu’après 37 minutes d’émission : « Je ne voudrais pas que Clément Sénéchal se sente seul sur ce plateau. »

Le camp bourgeois aime à mettre en scène les douces modulations de ses opinions. Il en plaisante volontiers, et on va même jusqu’à s’envoyer quelques piques inoffensives et bien senties, en s’appelant par son prénom. Il faut bien rappeler qu’ils ne sont pas toujours d’accord – sauf sur l’essentiel.

Derrière la variété toute relative des professions du trombinoscope, on retrouve en réalité : une ancienne conseillère de Macron, un ex-gradé du PS, une ex-communicante de François Hollande puis ex-candidate d’une liste macroniste, un communicant de crise passé par le PS et associé de Gaspard Gantzer, conseiller de Hollande puis conseiller de Macron. Le liant est fait : c’est le centre, à l’extrême. Le journaliste n’est manifestement pas là pour rappeler le CV politique de ses invités, c’est bien dommage.

2. La mise en accusation

L’écologie libérale est donc venue en nombre, et tout le monde s’entend parfaitement pour trouver des solutions pragmatiques et réalistes au grand défi de notre temps : tout est en place pour opérer le retournement. C’est-à-dire le contre-procès. Car si en apparence tout le monde est réuni pour critiquer le gouvernement et le « sacrifice de l’écologie », la vraie cible est ailleurs.

Tout sera fait pendant l’heure qui suit pour retourner la mise en accusation opérée par une critique assez radicale à l’encontre d’une écologie bourgeoise, qui se fait « par le haut » et sans les classes populaires, et prouver aux yeux du téléspectateur qu’on ne négocie pas avec les radicaux. D’un procès l’autre : la bourgeoisie aurait pu faire mieux, mais les gaucho auraient fait pire.

3. Diluer la parole critique

La première opération de désamorçage se joue dans le dispositif lui-même, comme bien souvent, par une opération simple : en surchargeant le plateau d’invités à qui il faut bien donner la parole, on réduit le temps de parole de chacun.

Quand le compteur n’affiche qu’une unique parole à charge contre cinq en défense, on imagine le résultat : quelque chose comme 8 minutes de temps de parole accordées à Clément Sénéchal, dont l’intitulé de l’émission reprend pourtant le titre de l’ouvrage et qui lui fait prétexte. L’accusateur accusé aimerait pouvoir se défendre, il le demande d’ailleurs, mais il aura donc cinq fois moins de temps que la partie adverse.

4. Déstructurer le débat

La seconde opération, permise par l’abondance d’invités, est de déjouer toute possibilité de débat, c’est-à-dire la mise en place d’un rapport dialectique entre personnes aux vues et arguments contradictoires, qui se répondent les unes aux autres. La parole est donnée, et pourtant, elle tourne : cinq fois avant de revenir.

En bref : chacun vient servir sa soupe, tandis que la soporifique tournée de table annihile la capacité à répondre, une fois le bâton de parole revenu, à un propos tenu dix minutes plus tôt. Ne reste à l’invité critique qu’une paire de séquences de deux à trois minutes pour donner à voir sa position et ses arguments entre deux attaques ou caricatures. Il ne lui reste alors d’autre option que de lâcher ses propres punchlines et chausser plus fermement la casquette qu’on lui a collée en entrant sur le plateau – bref : jouer son rôle.

Et que les invités ne s’avisent pas de rompre la concorde ! S’ils ne respectent pas le tour de parole ou se répondent trop vertement, voire, sacrilège, « parlent l’un sur l’autre » : Thomas Snégaroff est là pour rétablir l’ordre de la discussion entre gens convenables.

6. La conflictualité à visage couvert

La bourgeoisie, quand elle n’a pas à sortir les canons de Versailles, s’applique à dissimuler sa violence. Sa tactique centrale, par laquelle elle gouverne depuis plusieurs décennies, est d’assimiler la conflictualité à la violence, et donc d’exfiltrer l’une comme l’autre du débat public. Il faut « concilier », nous dit Martin Hirsch, tandis que Flora Ghebali, balayant le capitalisme et la décroissance, s’alerte qu’on mette « des concepts sur la table qui font peur aux gens ». Déjà que les gens ont peur de la fin du mois, d’autres de la fin du monde, il ne faudrait pas en plus aller leur parler de rapports de production.

Leur violence découle naturellement de ce refus sirupeux de la violence : il faut faire passer les tenants de la conflictualité politique pour des malades. Martin Hirsch s’inquiète ainsi de la « haine » de Clément Sénéchal. Lui, nous confie-t-il, narre dans son dernier roman l’histoire de gens « tout à fait raisonnables qui pourraient être autour de ce plateau » (cf point 2 plus haut) « basculent non seulement dans l’activisme mais dans l’illégalité pour hacker le monde » ! Imaginez donc ! On imagine ses nuits difficiles si elles sont peuplées de pareilles images.

Tout le monde s’en donne à coeur-joie. Ce type de discours (le nôtre, toujours) « tue l’écologie », il est « violent », « catastrophique », et « repose sur des mouvements qui ont oublié l’écologie au bénéfice d’autre chose », assène Corinne Lepage, pointant apparemment la France insoumise, à laquelle n’est pourtant pas affilié Clément Sénéchal. « Oui mais enfin il pourrait y être… »

Flora Ghebali, qui était « dans des milieux assez radicaux, d’ONG » (hum), confesse avoir eu « des amis qui me disaient qu’il allait falloir une tyrannie verte, déclencher l’état d’urgence à un moment… » Robespierre n’est jamais loin.

Denis Pingaud acquiesce gravement, car lui aussi est « inquiet » du discours qu’il entend, la lutte anticapitaliste « rejoignant d’une certaine façon le climatoscepticisme et le climato-je-m’en-foutisme ».

7. Ne surtout pas débattre du fond

Occupation du terrain, monopolisation de la parole, stérilisation du débat, pathologisation de l’adversaire… mais qu’en est-il du fond ? Ont-ils des arguments ? Pensez-donc ! Par exemple : l’écologie doit-elle être capitaliste ou anti-capitaliste ? Vraie question, après tout. « Le débat ne m’intéresse pas », clôt Flora Ghebali. Pourquoi ? « Parce que quel est l’impact de cette notion conceptuelle sur la vie quotidienne d’un français ».

On lui expliquerait que la plupart des gens ont un rapport bien concret et charnel à la dialectique Capital – Travail, à l’aliénation du salariat, aux effets destructeurs du mode de production capitaliste sur leur santé et leur espérance de vie, mais bon. Ce serait certainement perdre son temps avec une personne qui prend Yuval Hariri pour un grand historien, dont elle retient l’importance « des nouveaux récits » et d’imaginer une « civilisation écologique »… Ces notions conceptuelles-là, bizarrement, ne font pas frissonner l’entrepreneuse. Denis Pingaud opine, lui qui veut parler de la « transition heureuse » qu’il appelle de ses vœux : « soyons positifs ! ». Quant à Martin Hirsch, les écolos finalement « se font plaisir » mais viendront vite se « heurter au mur de la réalité ». Hé les écolos, grandissez un peu – et chut, les adultes parlent.

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16.10.2024 à 10:48
Isma Le Dantec
Texte intégral (2642 mots)

Après plusieurs mois de grève contre le géant de l’agro-business InVivo, les travailleurs de Neuhauser ont arraché cet été la réintégration de leur représentant syndical CGT Christian Porta, licencié illégalement, et fait condamner l’entreprise à lui payer plus d’un demi-million d’euros. S’il a pu pour cela compter sur le soutien de son syndicat, il a aussi bénéficié de celui d’organisations écologistes, comme les Soulèvements de la terre ou Extinction rébellion. « Il y a une répression similaire à l’égard des militants écologistes et des représentants syndicaux qui rend naturel notre rapprochement », expliquait ainsi un membre de Greenpeace à Reporterre.

Réalisé aux côté des grévistes dans le quotidien de la lutte par la cinéaste Carol Sibony, le documentaire « S’ils touchent à l’un d’entre nous » retrace ce combat et ouvre la discussion sur les méthodes à adopter face à la répression patronale, les alliances et solidarités nécessaires entre enjeux climatiques et luttes du monde du travail.


« S’ils touchent à l’un d’entre nous » raconte la lutte victorieuse des travailleurs de l’usine Neuhauser de Folschviller contre les tentatives de licencier le délégué syndical CGT Christian Porta. Que s’est-il joué entre février et août 2024, qu’est-ce qui rend ce combat important, aussi hors de l’enceinte de l’usine ?

On peut placer le point de départ au moment de la mise à pied de Christian Porta, élu syndical de la CGT Neuhauser. Neuhauser, c’est une boulangerie-usine industrielle en Moselle, rachetée par le géant de l’agrobusiness InVivo, qui détient des ports céréaliers, Gammvert… c’est une multinationale de la pollution aussi, qui produit des pesticides, qui a des intérêt dans les mégabassines

En février, Christian Porta est convoqué à un entretien et mis à pied en vue d’un licenciement pour « harcèlement envers la direction ». C’est-à-dire qu’il a fait son travail de syndicaliste : il a trop demandé d’augmentations de salaires. La convocation a eu lieu juste avant le lancement d’une grève à l’occasion des négociations annuelles obligatoires. C’est alors une bataille de plus de six mois qui démarre, et qui finira par une victoire spectaculaire de Christian et tous ses soutiens contre la direction de Neuhauser et surtout contre le groupe InVivo. C’est aussi ce qui donne cette ampleur : on ne parle pas d’un petit patron mais d’une multinationale, et les attaques ont été principalement menées par Sébastien Graff, DRH monde de InVivo, qui en a fait une affaire personnelle. Il voulait couper la tête du syndicat, qui entravait son désir de devenir l’Amazon de l’agroalimentaire. 

Immédiatement après la mise à pied de Christian Porta, l’usine débraye. Il faut alors un plan de bataille, médiatiser au niveau national, monter une caisse de grève… Tout un travail de sensibilisation est mené dans l’usine pour faire comprendre que l’attaque contre Christian les concernait tous, que c’était aussi un test de la direction pour voir jusqu’où ils pouvaient aller. Face à la mobilisation, la hiérarchie fait tout pour isoler Christian, intimider les travailleurs avec des menaces de fermeture, des huissiers présents 24h/24 qui épient les gestes des uns et des autres.

« On parle d’une multinationale qui veut couper la tête du syndicat car il entrave son désir de devenir l’Amazon de l’agroalimentaire »

Un mois après le licenciement, l’inspection du travail rend son avis qui invalide la décision de la direction en pointant qu’il n’y a aucune raison légitime de le licencier et de l’empêcher de mener son mandat syndical. La direction ignore cet avis, ce qui les mène aux Prud’hommes. Le jugement est rendu en mai et ordonne la réintégration de Christian. Ce à quoi la direction répond par une mise à pied instantanée : complètement délirant, il venait d’être réintégré et ne pouvait donc pas avoir commis de faute grave. Ça montre aussi le niveau de radicalisation du patronat qui se fiche d’être dans l’illégalité… La deuxième audience des Prud’hommes rendra son verdict début août et finira par faire plier la direction, condamnée à réintégrer Christian et à lui verser une astreinte d’un demi million d’euros.

Pendant tout ce temps, il y a eu une énorme mobilisation, c’est une bataille qui a été menée sur tous les fronts : juridique, avec les avocates Elsa Marcel et Savine Bernard qui ont travaillé avec beaucoup d’ardeur ; financier, avec une caisse de grève pour permettre à tout le monde de ne pas lâcher et politique avec tout un volet de stratégies, de sensibilisation, de discussion, de prise de conscience collective. Tous ces éléments en font une grande victoire qui dépasse les frontières de Folschviller. 

Qu’est-ce qui t’a menée à documenter la lutte des Neuhauser, comment ton projet et la présence de la caméra ont-ils été reçus sur place ?

Christian Porta est un camarade, on est tous deux militants à Révolution Permanente. Je suis venue avec l’idée de faire des capsules vidéo pour dénoncer les calomnies de la direction, montrer ce qu’il se passait vraiment sur le terrain.

Mais assez vite, j’ai été frappée par la combativité des Neuhauser et le cadre de l’usine, à l’endroit de l’ancien puit minier Furst de Folschviller. En arrivant, on voit cette grande tour marteau rouillée, qui servait à l’extraction, vestige de l’ancien carreau de la mine de charbon. Cet espace est particulier matériellement. On y voit que ce n’est pas juste une lutte locale, qu’elle représente la continuité ouvrière, la continuité de l’histoire des luttes. 

« Il faut se rappeler qu’il y a à peine trente ans, des luttes ultra radicales étaient menées à deux pas de Saint-Avold »

Dans le Grand Est, les pratiques ont complètement changé, il y a aujourd’hui un usage systématique de l’intérim, de contrats à la semaine, pendant un an, deux ans… Pendant tout ce temps, si la direction trouve que tu te rapproches de gens pas fréquentables, ton contrat peut ne pas être renouvelé. Ça participe à l’atomisation de la classe ouvrière au sein des usines, dans des endroits qui étaient des bassins ouvriers très politiques. Aujourd’hui, en Moselle, l’extrême droite est ultra-présente, dans la circonscription de l’usine, le RN est passé au 1er tour des législatives… C’est tous ces enjeux et cette histoire qu’on voit quand on regarde l’usine Neuhauser, et c’est ce qui m’a donné envie d’aller plus loin. 

C’est une question centrale qui a animé ce documentaire, au travers de Christian Porta, de ses actes et ses mots : celle de la mémoire, savoir se rappeler qu’il y a à peine trente ans, il y a avait des luttes ultra radicales à deux pas de Saint-Avold, que c’est ici aussi qu’il y a eu les premiers rapprochements entre syndicats et Gilets jaunes. Dans le documentaire, il y a une séquence, le 24 mai, où on voit un cordon de cadres empêcher Christian d’entrer dans l’usine, avec des gendarmes, etc. Il faut se rendre compte que quelques mètres en dessous, il y a probablement déjà eu des accidents mortels, les grands parents des travailleurs passaient leurs journées cinquante mètres sous leurs pieds. C’est un lieu qui condense matériellement ces enjeux-là. D’un point de vue cinématographique, c’est une matière importante. 

Et au delà de ça, c’est le caractère extrêmement combatif de la section locale qui a fait évoluer mon travail, ce sont des militants très politiques dans leur syndicalisme. Cette manière de s’organiser politiquement sur son lieu de travail n’est malheureusement pas majoritaire, surtout dans l’agroalimentaire, alors que le lieu de travail devrait être central dans la politisation. Et d’ailleurs, c’est ce qui fait peur à la direction, qui déjà repart à l’attaque avec un licenciement et des procédures disciplinaires sur des travailleurs qui se sont mis en grève pour Christian.

Pour ce qui est de la réception de la caméra dans la lutte, j’ai eu à cœur de leur montrer, en cours de route, une version très minimale du documentaire. Ils ont pu découvrir le ton, le regard que je posais en tant que réalisatrice sur leur lutte. J’ai l’impression que ça a été important pour eux, pour se saisir d’eux-mêmes comme sujets politiques, alors que jusque-là, certains se mettaient un peu en retrait, étaient très présents et combattifs mais n’osaient pas trop parler.

Ce documentaire raconte une victoire, ça en fait aussi un outil de mobilisation, une matière à penser, à gagner. Comment a-t-il été reçu lors des premières projections-débats ? 

C’est un film-outil qui donne de l’énergie, parce qu’on a peu de récits de victoires ouvrières si actuelles. Le film sort à peine deux mois après la bataille, avant qu’elle soit décantée. Ça permet de tirer des bilans, observer quels sont les outils pour maintenir la combativité, la caisse de grève, les discussions politiques au milieu de la bataille locale, ça rappelle le caractère général, le côté exemplaire. 

On a pu le constater lors des premières projections qu’on a faites, chaque séance amène des discussions politiques, sur la place de l’intervention de militants révolutionnaires, la question du plan de bataille, de comment accompagner, compléter l’outil qu’est la grève et qui ne suffit pas face à des multinationales qui ont les moyens de tenir très longtemps.

Ça a donné lieu à des discussions sur l’écologie aussi : Christian Porta a été invité à des conférences par les Soulèvements de la terre, par les Amis de la Terre, GreenPeace et XR ont été présents dans la lutte… C’est important de penser ces convergences entre syndicalistes et écolos face à un patronat qui réprime les deux, qui produit des pesticides, etc. Ce sont les deux faces de la même pièce. Ce documentaire a aussi vocation à accompagner la construction de nos rapports de force, à ne pas voir ces moments comme de simples alliances de circonstance. 

Qu’est-ce qui permet de croire que ce ne sont pas des alliances de circonstance, de penser de concert enjeux ouvriers et écolos ?

Les « écoles de guerre », pour reprendre Lénine, comme peuvent l’être ces luttes-là, sont exemplaires pour faire avancer ces alliances, les penser et qu’elles se pérennisent. C’est aussi batailler pour une stratégie à la hauteur face à la répression syndicale, à l’heure où il manque clairement d’un plan de bataille national sur ce terrain. Les espaces d’auto-organisation portés par les travailleurs en lutte ouvrent ces perspectives.

Quand on est face à des entreprises ultra polluantes, dans la catastrophe écologique mondiale qu’on est en train de vivre, les ouvriers sont les premiers à subir les conséquences. Ce sont eux qui vont se baigner dans les rivières où les entreprises déversent leurs déchets, eux qui respirent l’air pollué aux gaz toxiques rejeté par une raffinerie.

« L’enjeu écologique est totalement lié aux conditions de reprise des outils de production des mains des patrons »

Si on parle de la Moselle, énormément de travailleurs étaient il y a quarante ans dans les mines. Peu d’entre eux sont encore vivants, car ils ont attrapé des maladies liées au charbon. Les travailleurs ont tout intérêt à investir les questions écologiques. Et c’est dans les moments de lutte que ces questions peuvent être mises en avant. L’enjeu écologique est terminal, et totalement lié aux conditions de reprise des outils de production des mains des patrons, pour que ce soient les travailleurs eux-mêmes qui décident de ce qu’on produit et comment. 

L’alimentaire, c’est un tiers des émissions carbone dans le monde. Mais si on regarde produit par produit, les émissions sont très faibles. Dans un monde où les usines seraient expropriées des patrons et où la façon dont on produit serait décidée par les travailleurs, il y a pas mal de choses à inventer. La surproduction est colossale, non pas pour les besoins, mais pour les profits. Il serait possible de penser une production qui réponde aux besoins de la population.

La question du désastre environnemental, à la fin, est inextricable de la question de qui produit et pourquoi, et ça ne peut pas être un impensé des espaces écolos. La lutte des Neuhauser, les soutiens et alliances qui ont permis de gagner, permettent de poser ces questions politiques et stratégiques avec une victoire dans le rétroviseur. 


Pour voir « S’ils touchent à l’un d’entre nous » partout en France, le calendrier des projections est à retrouver ici.

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02.10.2024 à 10:23
Philippe Vion-Dury
Texte intégral (1089 mots)

Jusqu’ici assez anecdotique, l’écofascisme français trouve depuis quelques mois une place conséquentes dans les colonnes de Frontières – Livre noir. De quoi s’inquiéter ?


L’écofascisme français était jusqu’ici bien poussiéreux, à l’étroit dans la galaxie confidentielle d’une Nouvelle Droite que tout le monde a oubliée et la nébuleuse groupusculaire de collectifs extrémistes et d’instituts proposant d’obscures formations intellectuelles. Mais depuis quelques mois, la bouilloire commence doucement à frémir grâce au dernier né des médias d’extrême droite : Livre noir. Pardon, Frontières, puisque le trimestriel a récemment changé de nom et annoncé son ambition de devenir le « Mediapart de droite » en recrutant 25 journalistes à plein temps.

En l’espace de quelques mois, sous la plume du rédacteur en chef du journal Alexandre de Galzain, coucheur de vers antimodernes, les articles appelant la droite (extrême) à épouser enfin l’écologie se sont multipliés, allant jusqu’à proposer des conseils pratiques pour être écolo au quotidien. L’écologie serait le « devoir » de la droite qui doit faire le « choix de la cohérence ».

Sur Instagram, le journaliste y va avec moins de pincettes en affirmant qu’il « n’y a rien d’incompatible à lutter à la fois contre le grand remplacement et contre le grand réchauffement ». Renaud Camus, théoricien à qui revient la paternité de ce concept complotiste, a donc trouvé une filiation dans la nouvelle garde de l’extrême droite.

Le logiciel écofasciste

Aucun ingrédient de l’écofascisme version européenne ne manque :

👉 un éloge de la frontière qui permet de lier communauté nationale (hermétique et homogène) et écosystème naturel ;

👉 une mixophobie ethno-différentialiste qui ne hiérarchise pas les races mais valorise leur multiplicité… pour mieux les séparer en rejetant tout mélange ou cosmopolitisme ;

👉 un révisionnisme écologique prétendant que l’écologie serait historiquement de droite ;

👉 un essentialisme passant par un éloge confus de l’identité, de l’enracinement, de l’harmonie avec la nature (et donc les orientations sexuelles supposées naturelles, ou la division genrée des hommes et des femmes selon un modèle traditionnel) ;

👉 un refus du développement économique et industriel qui se traduit par l’artificialisation des campagnes, leur défiguration, le remplacement du clocher par le supermarché (ou pire, par la mosquée).

On sent planer l’ombre de l’influenceur d’extrême droite Julien Rochedy qui a eu droit à un entretien écrit mais aussi filmé sur la chaîne YouTube du média pour défendre son idée de « biocivilisation ». L’« intellectuel » y dénonce là encore confusément les ravages d’un capitalisme qu’il peine à définir, d’une gauche qui aurait « du flair mais pas de goût », et prône un retour à de petites communautés homogènes, traditionnelles, dans le respect de la « nature ».


Un nouveau challenger dans l’arène

On rappelle que la récupération de l’écologie par la droite suit trois logiques différentes voire concurrentes :

🚀 l’option technolutionniste adhère à l’impératif écologique en intégrant la nécessité d’une décarbonation du capitalisme, qu’elle entend parachever grâce à l’innovation ;

🛢 l’option carbofasciste rejette le constat écologique en le niant ou en le minimisant, et valorise au contraire l’impérialisme, l’extractivisme, les modes de production et de consommation écocidaires (« drill baby drill ! ») ;

⚜ l’option écofasciste, enfin, revendique l’écologie elle-même en la fondant dans une logique anti-moderne, localiste et xénophobe.

Faut-il s’inquiéter de cette poussée de l’écofascisme ? Il est vrai qu’elle n’avait jusqu’ici presque aucun relais médiatique et donc peu de visibilité ou de poids dans la bataille qui se joue pour le sens à donner au mot « écologie ». Voir un média montant et des influenceurs en vue s’en emparer ne peut pas être accueilli par un haussement d’épaule. Cette poussée signifie l’ouverture d’un nouveau front pour l’écologie sociale : en plus de combattre la dilution du mot écologie dans la novlangue technocratique, elle va devoir maintenant apprendre à combattre le « coucou » écofasciste qui vient s’installer dans son nid.

De là à penser que l’écofascisme puisse, à court ou même moyen terme, peser réellement politiquement, il y a un grand pas qu’on se gardera bien de franchir.

Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, on vous recommande la lecture de La tentation écofasciste de Pierre Madelin et Ecofascismes d’Antoine Dubiau !

L’article Frontières, nouvelle vitrine de l’écofascisme est apparu en premier sur Fracas.

01.10.2024 à 15:56
Isma Le Dantec
Texte intégral (1703 mots)

Sarah Cohen est agronome et ingénieure de recherche à l’Inrae. Elle coécrit avec Tanguy Martin De la démocratie dans nos assiettes – construire une Sécurité sociale de l’alimentation, paru aux éditions Charles Léopold Mayer en mai 2024.

Elle coordonne également Caissalim, la caisse d’alimentation de Toulouse, qui s’inspire de la proposition de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) portée par le Collectif national pour une SSA. Leur idée : une extension du régime général de sécurité sociale, avec une nouvelle branche qui serait financée par une cotisation sociale et permettrait d’allouer un budget de 150 euros à tous les résidents en France, dédié à une alimentation conventionnée. Le conventionnement – un ensemble de critères de production, transformation et distribution prenant en compte les enjeux sociaux, environnementaux, climatiques et économiques des systèmes alimentaires – serait décidé par les citoyens de manière démocratique.


Le constat de départ que vous amenez dans De la démocratie dans nos assiettes est celui de l’insécurité alimentaire en France. Qui est concerné, à quoi peut-on l’imputer ?

Parmi les principales causes, on trouve en premier lieu la précarisation de la population, avec des dépenses contraintes qui font que la part consacrée à la nourriture est très faible, de plus en plus de personnes ne mangent pas à leur faim, ne mangent pas ce qu’elles aimeraient manger. C’est entre 2 et 5 millions de personnes en France qui ont recours à l’aide alimentaire, un chiffre qui est monté à 8 millions au moment du Covid. Si on prend l’année 2021, 22 % des foyers avec enfants sont dans une situation de précarité alimentaire.

Pour résumer, les gens ont de moins en moins de revenus, les dépenses contraintes sont de plus en plus élevées, et à cela s’ajoutent des causes conjoncturelles, comme l’inflation liée à la guerre en Ukraine. 

Votre appel pour une Sécurité sociale de l’alimentation part aussi de la paupérisation de celles et ceux qui font partie de la chaîne de production alimentaire, d’un système global de l’alimentation qui dysfonctionne. Comment penser ces enjeux conjointement ?

On pose trois constats. Premièrement, comme nous le disions, le système alimentaire ne permet pas de nourrir toute la population de manière satisfaisante. Ensuite, les paysans ne sont pas rémunérés dignement, tout comme les caissières, les personnes qui travaillent dans la logistique, etc. Et troisièmement, on est en train de détériorer nos conditions de vie sur Terre de manière préoccupante.

Depuis des années, des politiques essaient d’y répondre, mais de façon très cloisonnée : d’un côté des subventions pour les agriculteurs, des millions à l’aide alimentaire, des millions pour dépolluer les eaux… ça ne fonctionne pas, parce que c’est tout le système alimentaire qu’il s’agit de refonder. 

Du côté de l’agriculture, le problème majeur est la marchandisation des denrées alimentaires qui sont devenues un bien comme un autre dans le système capitaliste, sur lequel on peut spéculer. Les agriculteurs se retrouvent à ne pas du tout être maîtres de leur prix de vente, avec des coûts de revient quant à eux assez contraints. Si on est dans une agriculture très conventionnelle, intensive, on est dépendant des pesticides, des machines, etc. Si on est dans une petite agriculture paysanne, les produits peuvent apparaître de prime abord plus chers pour les consommateurs.

Lorsque les agriculteurs ne sont pas maître du prix de vente, soit parce qu’ils ont des multinationales en face d’eux, soit simplement parce qu’il n’y a pas de marché, en raison de la précarité des citoyens qu’on évoquait en premier lieu, ils se rémunèrent à des taux horaires ridicules (quand ils se rémunèrent).

C’est toutes ces raisons qui vous mènent à défendre l’idée d’une Sécurité sociale de l’alimentation. Comment fonctionnerait-elle ?

Pour répondre de manière globale aux enjeux alimentaires, des conditions de travail à ce qu’on trouve dans nos assiettes en passant par la question environnementale, il faut un système national, macroéconomique. 

Quand on commence à penser de manière globale, apparaissent des contradictions par exemple entre des formes d’alimentation accessibles et la rémunération des travailleurs. Pour y répondre, il faut qu’il y ait des débats dans la société, il ne peut pas y avoir des mesures autoritaires comme ce qui a été fait avec l’augmentation des taxes sur les carburants qui a suscité une grande colère et été le point de départ du mouvement des Gilets jaunes. Il y a des enjeux de justice sociale qui doivent absolument être pris en compte, les décisions doivent être prises de manière démocratique. 

« Il faut un système national, arrêter de compartimenter les réponses à un problème global »

La Sécurité sociale de l’alimentation se base sur le régime général de sécurité sociale qui a permis de créer un droit à la santé en France et de donner le contrôle de ce droit aux citoyens via leurs représentants syndicaux. 

On voit donc que ça existe, pourquoi ne pas s’appuyer sur ce régime général qui permet d’avoir des retraites, d’être aidé en cas d’accident du travail, d’avoir droit à des allocations familiales, etc. ? L’idée est de l’étendre et d’en allouer une branche à l’alimentation ; qui serait dédiée à toutes les personnes qui vivent en France, quelle que soit leur nationalité. Le montant, défini aujourd’hui à 150 euros par le collectif national de la Sécurité sociale de l’alimentation, serait fléché vers une alimentation choisie de manière démocratique.

Je viens d’évoquer deux premiers piliers : l’universalité, tout le monde a le droit à ce budget là, il ne s‘agit pas d’une politique dédiée à une partie de la population ; et la démocratie, c’est à dire que la communauté ait pu choisir ce qu’elle souhaitait pour son alimentation, en connaissance de cause – cela s’associe à une période de formation, de partage de connaissances. Et enfin, le troisième pilier, c’est celui du financement par de la cotisation sociale, à l’instar de la branche santé créée en 1946. 

Des expérimentations locales qui s’inspirent de la SSA existent déjà, notamment Caissalim à Toulouse, que vous coordonnez. Comment ça se passe ?

Ce sont vraiment des expérimentations, car à cette échelle, on doit aller chercher des financements, on ne touche que des personnes qui sont volontaires, ce n’est donc pas une sécurité sociale de l’alimentation. Mais ça permet déjà de pratiquer cette démocratie alimentaire au sein de groupes d’habitants.

Il y a un peu plus d’une dizaine d’initiatives en France et je coordonne celle de l’aire toulousaine depuis deux ans. Il y a quatre groupes indépendants, à l’échelle de quartiers ou de petites villes. Une première phase est dédiée à la rencontre, puis une autre à la formation, ensuite on passe à l’organisation et là, ayant passé toutes ces étapes, pour deux caisses sur les quatre, les participants vont à partir d’octobre cotiser et recevoir leur bouquet alimentaire à dépenser au sein du réseau de professionnels qu’ils ont choisi. 

On peut déjà constater que ça suscite de l’intérêt, que ce soit chez des personnes qui se posaient au préalable des questions sur l’alimentation, l’environnement, la rémunération des agriculteurs ; chez celles qui sont en situation de précarité… ça parle forcément, et on voit de plus en plus de personnes se pencher sérieusement sur le sujet. 


Pour aller plus loin : De la démocratie dans nos assiettes, Sarah Cohen et Tanguy Martin, ECLM, 2024.

L’article Sarah Cohen : pour une Sécurité sociale de l’alimentation est apparu en premier sur Fracas.

19.09.2024 à 11:20
Isma Le Dantec
Texte intégral (3028 mots)

Clément Sénéchal a été pendant plusieurs années chargé de plaidoyer chez Greenpeace France. Dans Pourquoi l’écologie perd toujours, il décrypte les écueils des ONG environnementales ; le culte de l’image, la frilosité politique et un certain rapport au renoncement dont il s’agirait de s’extraire. 


Vous décrivez dans Pourquoi l’écologie perd toujours une écologie du spectacle incarnée par les ONG environnementales. En ce moment, l’arrestation de Paul Watson au Groenland et sa potentielle extradition au Japon font couler beaucoup d’encre, est-ce qu’il incarne cette mouvance ?

Si on parle de Paul Watson, il faut remonter à sa brouille avec Greenpeace dans les années 1970. Lors d’une campagne autour des phoques, il y a eu des heurts entre les membres de l’organisation et les Inuits. À ce moment-là, un désaccord éclate entre lui et le reste de l’équipe de Greenpeace, qui accepte de renoncer à l’intervention prévue pour se contenter de ramener simplement des images de phoques ensanglantés, au motif qu’il suffirait de porter témoignage auprès du grand public, sans confrontation matérielle concrète (donc sans attenter à la propriété privée) pour enclencher des changements majeurs. De son côté, Paul Watson est prêt à assumer un niveau de conflictualité plus élevé, notamment de s’attaquer physiquement aux bateaux de pêche pour entraver la commercialisation des phoques. Ce moment marque une rupture définitive : Paul Watson, évincé par la direction de Greenpeace, crée Sea Shepherd, qui adopte un rapport un peu moins mystificateur au réel. Pour lui, il ne faut pas hésiter à sen prendre aux infrastructures du désastre, les baleiniers en loccurrence : il n’a pas de problème avec l’idée de dégrader des biens. Pour moi, cela dénote déjà une forme d’environnementalisme plus sincère et sérieuse dans son engagement.

Mais paradoxalement, Sea Sheperd continue de fonctionner à l’écologie du spectacle, articulée autour de la personnalité charismatique de Paul Watson, héros de belles histoires, saisissantes mais sans portée réelle. Sans doute parce que c’est une écologie, qui, par ailleurs, se tient à bonne distance de toute tension afférente à la lutte des classes.

Vous évoquez justement l’aspect dépolitisant des ONG environnementales, qui placent l’écologie hors du champ social. Lors des législatives de juin 2024, Greenpeace, mais aussi Alternatiba ou Notre affaire à Tous ont non seulement appelé à faire barrage à l’extrême droite mais aussi explicitement soutenu le Nouveau Front populaire. Est-ce un tournant ?

Quid des autres, comme la FNH, le WWF ou les Amis de la Terre ? En l’occurrence, ce soutien électoral impromptu constitue plutôt l’exception qui confirme la règle. Là, ils se sont retrouvés au pied du mur : opérer un décryptage pudique des programmes à l’ombre du fascisme semblait sans doute un peu court. 

D’une part, pour ce qui concerne Greenpeace en tout cas, la base se radicalise peu à peu (une vague de syndicalisation a eu lieu début 2023), notamment face à la dégradation de la situation politique : la direction se trouve donc obligée de lâcher du lest de temps en temps pour donner le change en interne. D’autre part, c’est l’extrême droite qui était annoncée à Matignon. Pour les ONG, ça commençait à devenir limite, notamment car cela signifiait très probablement la fin de la niche fiscale sur les dons, de même qu’un certain nombre de subventions. Apporter un soutien ponctuel au NFP était donc un moindre mal. 

Nonobstant, rappelons que le succès grandissant de l’extrême droite ne sort pas de nulle part : le Rassemblement national construit son capital politique échéance après échéance et progresse patiemment dans la société depuis des années, en profitant aussi de la dépolitisation sédative d’une partie de la société civile… Où étaient les ONG lors des élections européennes, qui ont abouti à cette dissolution périlleuse ? Au sein de Greenpeace France, où j’ai passé presque huit ans, il n’y a jamais eu de réel chantier collectif ouvert sur l’extrême droite, de réel axe stratégique développé sur ce sujet ni, ipso facto, aucune campagne antifasciste active.

« Face au coup d’État feutré d’Emmanuel Macron, les ONG sont en vacances »

En outre, si les ONG sont momentanément sorties de leur sommeil apartisan, c’est aussi parce que le NFP constitue précisément une coalition de partis ; ce qui permet de diluer l’engagement, de ne pas soutenir un parti en particulier. Si ça avait été la France Insoumise seule, je doute qu’ils aient affiché un franc soutien. D’ailleurs, même face à l’urgence présentée par la pression fasciste dans le pays, le lexique utilisé dans leurs déclarations est très choisi, très prudent, volontiers moralisateur, parfois même hautain (comme pour s’excuser de se mêler de politique politicienne). Et à aucun moment, de mémoire, elles n’ont écrit noir sur blanc « votez pour le NFP » : il n’y a pas eu de mot d’ordre clair et direct. 

Mais ce qui me sidère surtout, c’est leur silence radio depuis le second tour des législatives et la victoire surprise du NFP. Cette victoire en demi-teinte était pourtant très fragile. C’est donc dès le lendemain de l’échéance que les ONG auraient dû accentuer la pression pour que le Nouveau front populaire, avec Lucie Castets, ait sa chance à Matignon. Face au coup d’État feutré d’Emmanuel Macron, elles sont en vacances. En définitive, elles sont trop intermittentes pour constituer un point d’appui solide pour le camp progressiste.

Que serait alors une ONG qui s’engage réellement, est-ce même structurellement possible ?

Il y a une tension structurelle dans le sens où les ONG se sont construites en dehors de la lutte des classes, en cultivant une idéologie du dépassement des clivages, au gré d’un œcuménisme bienveillant se présentant comme « le camp du bien ». Dès les origines, cette grammaire porte en elle la dépolitisation de la cause. Dans les statuts de la plupart des ONG, il est donc écrit qu’elles sont apolitiques ici, apartisanes ailleurs : elles se sont forgées dans ce carcan. C’est d’ailleurs cette neutralité qui leur a permis d’accumuler de nombreux capitaux et de prendre de l’ampleur, au point de devenir de véritables multinationales. Si elles se prétendent apolitiques, ou apartisanes, c’est en premier lieu, pour des raisons mercantiles : l’argent n’a pas d’odeur. En second lieu, pour garder une autonomie de ton et d’action – mais dont elles font, par construction, un usage très limité, sans quoi elles risquent de devenir… trop partisanes. Le problème, si l’on va jusqu’au bout de cette logique, c’est que cela les rend compatibles avec n’importe quel parti, donc aussi l’extrême droite. 

« L’enjeu, c’est plutôt que ce petit monde soit marginalisé pour laisser place à une écologie de clivage résolument anticapitaliste »

Par ailleurs, cette dépolitisation va de pair avec l’institutionnalisation des ONG, qui sont désormais des organisations très bureaucratiques, verticales, professionnalisées, farcies de technocrates, de concepts et de “process” semblables aux milieux entrepreneuriaux…. Elles n’ont plus rien à voir avec des collectifs militants. En outre, elles s’adressent essentiellement aux différentes franges de la bourgeoisie (économique et culturelle, petite, moyenne et grande), laquelle n’a dans son ensemble pas vraiment intérêt à un bouleversement radical des hiérarchies sociales. Au surplus, la classe dirigeante du champ environnemental, bien installée dans la société mondaine actuelle, a-t-elle vraiment intérêt à la fin du capitalisme ou à n’importe quelle révolution politique ?

Une ONG qui s’engage réellement serait capable d’organiser son combat de manière intersectionnelle, de participer activement et dans le bon sens à la lutte des classes, de mailler le territoire en appuyant les luttes locales, de défier sans fard le capitalisme (donc la propriété privée) et de prendre parti selon les nécessités conjoncturelles du moment politique, par exemple lors des élections.

À défaut de s’inscrire dans une lutte plus globale, peut-on leur accorder une utilité dans la production de rapports, de données qui servent ensuite d’autres formes de militantisme ?

Lexpertise des ONG est probablement ce qu’elles apportent de plus intéressant. Mais chez Greenpeace, on tourne quand même autour de 30 millions d’euros de recettes par an. On est en droit de se demander à quoi sert cet argent : est-ce que cela vaut ces quelques rapports, quand d’un autre côté les collectifs militants qui émaillent le territoire avec des luttes concrètes, ancrées, ont vraiment besoin de ressources ?  Dans ce cas, il faut que les ONG cessent d’avoir la prétention de représenter le mouvement écologiste et deviennent des think tanks ou des agences de conseil. Parce qu’aujourd’hui, elles encombrent le champ militant.

Quand j’étais chez Greenpeace, j’avais la volonté de politiser la question climatique pour sortir de l’environnementalisme béat. Ça a marché un ou deux ans, on a commencé à parler de néolibéralisme et de l’empreinte carbone des riches, à revendiquer la création d’un ISF climatique, à demander un moratoire sur la publicité ou la pénalisation des dividendes fossiles, à stigmatiser certaines figures politiques… Mais ça m’a valu de nombreuses oppositions en interne et ça s’est terminé rapidement. Il fallait revenir dans les clous de la bienséance et de la sensibilisation. Aujourd’hui, je n’ai plus vraiment confiance dans la capacité des ONG à se réformer pour épouser la vérité systémique de la cause qu’elles prétendent défendre

L’enjeu, c’est plutôt que ce petit monde soit marginalisé pour laisser place à une écologie de clivage résolument anticapitaliste. Elle existe déjà, régulièrement stimulée par les Soulèvements de la Terre par exemple. Il faut que cette écologie-là devienne hégémonique dans le champ environnemental. 

C’est ce qu’on retrouve dans la dernière partie de Pourquoi l’écologie perd toujours, cette « montée en puissance du flanc radical », avec notamment XR ou les Soulèvements. En quoi est-ce une approche si différente ?

Ce sont des groupes, des mouvements qui ont une compréhension du capitalisme et qui instaurent un rapport de force sans concession avec leurs adversaires. Ces dynamiques sont bien sûr à réactiver en permanence, mais je pense que l’équation proposée par les Soulèvements de la terre fait sens. Elle propose une praxis cohérente avec la situation actuelle : elle inclut de la critique sociale, une réflexivité politique forte, une capacité d’attraction qui traverse différentes populations prêtes à prendre des risques, un travail sur les infrastructures matérielles à la base de l’accumulation capitaliste… 

Surtout, en ce qui concerne les actions de résistance regroupées dans l’orbite des Soulèvements, elles ont la qualité d’être pérennes. Pas de simples mises en scène temporaires et symboliques pour amuser la galerie. C’est une forme d’antispectacle : les écureuils de l’A69, ils ne montent pas avec une banderole dans un arbre juste pour la photo, pour redescendre deux heures après. C’est une écologie qui n’obtempère pas. Face à la répression, ils tiennent bon : ils ne sont pas là pour faire de la figuration pour leurs adhérents. 

Je pense qu’il est fondamental de se masser derrière ces écologies offensives pour déborder l’écologie réformiste, qui n’a eu de cesse de faire la démonstration de son impuissance alors même qu’elle était dominante. De fait, les Soulèvements ont réussi à instaurer un solide rapport de force avec le bloc capitaliste, à tel point acculé qu’il a tenté la dissolution du mouvement. En vain. C’est la preuve du potentiel révolutionnaire que ces militants souvent anonymes détiennent entre leurs mains. A l’inverse, quand une ONG environnementale a-t-elle déjà été menacée de dissolution ?

Les pratiques proposées sur l’A69, lors des actions des Soulèvements, de XR impliquent certaines prises de risque, notamment celui très concret de la répression. Est-ce inévitable ?

Les Soulèvements, les zadistes, les écureuils font face à des pratiques de répression ultra violentes, semi-mafieuses. Ça contraste beaucoup avec ce que j’ai vécu à Greenpeace France, où lorsque l’on arrivait sur les sites prévus pour une action de désobéissance civile (la plupart du temps dans le seul but de prendre une photo), les forces de l’ordre étaient aimables et patientes. La plupart du temps, les policiers regardaient tranquillement le show, sachant très bien que dans deux heures ce serait fini, que nous étions « non-violents » donc dociles… Il s’agit toujours d’une fausse conflictualité, lourdement ritualisée, devenue tristement banale.

« La dimension sacrificielle du combat a un sens. Pourquoi le directeur général de Greenpeace France n’est-il jamais allé faire un tour en prison ? »

Les nouveaux mouvements protestataires s’ancrent beaucoup plus dans la réalité du conflit écologique, avec ce que cela implique comme niveau d’affrontement avec les agents de l’ordre établi. Provoquer cette répression présente un intérêt heuristique, celui de faire tomber le masque de la violence d’État : elle dévoile en effet la nature autoritaire de l’accumulation de capital en temps de crise écologique et délégitime sa suprématie politique.

Je pense par ailleurs que la dimension sacrificielle du combat a un sens, qu’elle envoie un signal. Pourquoi le directeur général de Greenpeace France, qui parle de fin du monde, de combat du siècle et de désobéissance civile à tout bout de champ, n’est-il jamais allé en prison ? Ce n’est pas un hasard si les cadres de l’écologie dominante ne sont jamais blessés, ni incarcérés, alors même que le pouvoir est détenu par les adversaires de l’écologie depuis des décennies. A contrario, ils jouissent de bons salaires, d’une reconnaissance sociale et médiatique importante, d’une vie confortable… En outre, dès qu’un activiste de l’ONG coupable d’avoir désobéi à la loi se trouve placé en garde à vue, c’est tout de suite un scandale d’État. Pourtant, l’un des fondements de la désobéissance civile, c’est d’accepter de se confronter aux peines encourues et d’utiliser le circuit judiciaire comme caisse de résonance.

Au moment où XR s’est lancé en Angleterre, certains de mes collègues prétendaient qu’assumer le risque de la prison était un « truc de privilégiés, car tout le monde n’en avait pas les moyens ». Pour moi, c’est un renversement des arguments, qui permet à des entrepreneurs de causes installés de s’excuser de ne plus prendre ce genre de risques. En outre, les ONG poussent des cris d’orfraie dès que la répression se rapproche d’eux, mais quand elle s‘abat sur les quartiers pauvres et racisés, il n’y a plus grand monde. L’inconscient des environnementalistes les pousse à se considérer comme une classe à part, respectable, qui ne devrait jamais subir la violence d’État, ni même la dureté des lois. Ils proposent alors une version édulcorée et pour tout dire insignifiante, essentiellement spectaculaire, de la désobéissance civile.

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