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L’été dernier, alors que je contemplais le ciel étoilé, j’ai été prise de vertige lorsque les étoiles se sont soudain mises à danser. Non, je n’avais pris aucune substance licite ou illicite ! J’ai vu, de mes yeux vu, une vingtaine d’étoiles peut-être, qui se déplaçaient de manière synchronique, toutes dans la même direction, ni trop vite ni trop lentement. J’ai ressenti une angoisse vertigineuse, comme si le sol se dérobait sous mes pieds. Sauf que là c’est le ciel qui se dérobait au-dessus de ma tête ! Pendant un court instant, j’ai compris la sidération d’une dinosaure voyant l’astéroïde foncer sur elle (même si une étude publiée fin septembre dans Science retient plutôt l’hypothèse d’un déclin déjà bien entamé de nos reptiles géants préférés, 300 000 ans avant l’impact de l’astéroïde, en raison du dioxyde de carbone et du dioxyde de soufre émis par une activité volcanique très intense dans les trapps du Deccan, du côté de l’Inde actuelle).
Bref, revenons à mes étoiles qui dansent. L’expérience troublante a duré à peine plus d’une minute mais elle a proprement renversé ma représentation du monde. Comme si j’avais perdu le Nord, ou plutôt l’Etoile du Nord. Ce moment infime a fait basculer ma boussole interne en me rappelant à ma condition terrestre, c’est-à-dire une créature errant sans véritable raison sur un caillou habité qui tourne, suspendu dans la nuit intersidérale.
Heureusement Saint Google a su mettre fin instantanément à mes délires métaphysiques. Je venais simplement d’être témoin du déploiement par un fournisseur d’accès à Internet d’un train de satellites de télécommunications sur une orbite terrestre basse. Cette orbite basse qui offre l’avantage de réduire le temps de latence par rapport à l’orbite géostationnaire. Et alors, me direz-vous, à quoi ça sert ? Eh bien c’est primordial, notamment quand on veut regarder, n’importe où, n’importe quand et en toute fluidité, une série sur une plateforme de streaming. Et comme ce divertissement est devenu un besoin vital pour des centaines de millions d’abonné·es à travers le monde, les fournisseurs d’accès ont prévu de lancer dans les prochaines années plus de 500 000 satellites, selon un article paru dans Nature début octobre. Un article de Reporterre publié cette semaine relève le caractère vertigineux de ce chiffre, d’autant plus si on le met « en perspective avec l’histoire de l’aérospatial : entre le lancement du premier satellite artificiel, Spoutnik 1, en 1957, et 2017 — soit avant l’arrivée des premiers satellites Starlink –, l’humanité avait envoyé moins de 8000 objets dans l’espace, selon le décompte du Bureau des affaires spatiales des Nations unies ».
On ne connaît pas vraiment les conséquences de cette densification de l’orbite basse, elles ne sont pas encore toutes évaluées. Néanmoins une étude parue dans Nature en mai 2021 pointe d’ores et déjà 3 risques. Tout d’abord, la libération dans la haute atmosphère de grandes quantités d’aluminium, matériau qui compose principalement les satellites. En effet, la combustion des satellites en fin de vie lors de leur ré-entrée dans l’atmosphère dégage de l’oxyde d’aluminium qui menace directement la couche d’ozone, cette couche protectrice contre les rayons ultraviolets du soleil, comme l’indique l’archéologue de l’espace Alice Gorman.
2ème risque : la pollution lumineuse. La disparition de la nuit à cause de l’éclairage urbain est pointée du doigt depuis quelques années, notamment comme une menace pour la biodiversité. Avec ce qu’on appelle les « constellations de satellites », c’est le travail des scientifiques observant l’Univers qui est perturbé. En effet, de nouveaux satellites brillent plus intensément que les étoiles et rendent l’observation astronomique impossible. Une discussion est en cours avec les fabricants de satellites pour qu’ils réduisent leur luminosité en utilisant des matériaux antireflets.
Enfin 3ème risque, et pas des moindres : la prolifération des débris spatiaux — les lanceurs des fusées, les satellites inactifs ou encore les déchets provenant de l’explosion accidentelle ou de la collision d’engins spatiaux. En septembre 2023, l’Agence spatiale européenne recensait 36 500 débris spatiaux de plus de 10 cm, un million de débris mesurant entre 1 et 10 cm et 130 millions mesurant entre 1 mm et 1 cm. Ça paraît assez inoffensif un débris de 1 millimètre, mais rappelez-vous la scène inaugurale du film Gravity dans laquelle les deux protagonistes sont littéralement bombardés par une salve de déchets spatiaux. Interrogé par Le Monde, Christophe Bonnal, le président du comité débris orbitaux de l’Académie internationale d’astronautique, explique qu’« un objet en aluminium d’un millimètre de rayon, c’est l’équivalent d’une boule de bowling lancée à 100 km/h. A un centimètre, c’est une Renault Laguna roulant à 130 km/h et, à 10 centimètres, c’est une charge de 240 kg de TNT ». Avec la centaine de millions de déchets spatiaux orbitant autour de la Terre, le risque de collision est élevé et menace de déclencher une réaction en chaîne puisque chaque nouvelle collision ajoute d’innombrables débris et donc de nouveaux risques de collision.
Cette situation souligne la nécessité d’une régulation. Les pays du G7 se sont ainsi engagés en juin 2021 à « utiliser l’espace de manière sécuritaire et soutenable » en reconnaissant le « danger croissant des débris spatiaux et de la saturation de l’orbite ». Et Le Monde rapporte que le 2 octobre dernier, la Commission américaine des communications a infligé pour la première fois « une amende de 150 000 dollars à Dish Network pour avoir abandonné l’épave d’un satellite sur une orbite jugée dangereuse ».
Pourtant, un article publié en juin 2021 dans Science, Technology, & Human Values rappelle l’intérêt très récent que nous portons aux débris spatiaux, « un sous-produit autrefois accepté du progrès scientifique et technologique, des intérêts économiques et de la géopolitique ». La prise de conscience du risque qu’ils représentent coïncide, à vrai dire, avec le regain d’intérêt pour l’exploration spatiale interplanétaire. Ces débris spatiaux révèlent ainsi la dépendance de nos « techno-sociétés » à des infrastructures spatiales inextricablement liées aux infrastructures terrestres. Pour le dire plus simplement, maintenant, quand je regarde les étoiles, une question me turlupine : qui va descendre les poubelles ?
Chronique anthropocène - 11 octobre 2023 was originally published in Anthropocene 2050 on Medium, where people are continuing the conversation by highlighting and responding to this story.
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En cet après-midi consacré à la créativité du droit dans l’anthropocène, j’ai envie de revenir à un droit élémentaire : le droit de respirer. Sur mon profil Twitter (enfin X quoi !), vous trouverez un poster produit par la NASA avec une esthétique savamment vintage qui met en scène un couple d’astronautes hétéros ayant déposé leur casque pour s’enlacer en contemplant un paysage de forêt terrestre. La scène surplombe le slogan : « La Terre, votre oasis dans l’espace, où l’air est gratuit et respirer est facile ». Il est vrai que les cyanobactéries ont été redoutablement efficaces il y a 2,5 milliards d’années pour libérer dans les océans du dioxygène par photosynthèse et provoquer ainsi « la grande oxygénation de l’atmosphère terrestre ». Mais c’était compter sans la prouesse autrement plus redoutable de notre espèce bipède dont le mode de vie a, en quelques décennies seulement, modifié la composition de l’atmosphère en émettant toujours plus de dioxyde de carbone (le fameux CO2). Alors que sa concentration oscillait entre 180 et 280 parties par million pendant des centaines de milliers d’années, il dépasse aujourd’hui les 425 ppm, soit une augmentation de plus de 42% depuis les débuts de la période industrielle. Et le plus inquiétant c’est que cette augmentation s’accélère, passant de 0,5 ppm par an il y a 50 ans à plus de 2 ppm par an sur la dernière décennie. Un phénomène qui va jusqu’à transformer notre état civil puisqu’on en vient à ne plus demander l’année de naissance d’une personne mais la quantité de CO2 dans l’atmosphère à sa naissance. Pour incarner cette accélération vertigineuse, laissez-moi vous présenter ma dynastie matrilinéaire qui débute en 1901 : mon arrière-grand-mère donc est née à 294 ppm, ma grand-mère à 305, ma mère à 312, moi à 332, tandis que mes enfants — qui n’ont que 2 ans d’écart — sont nés à 400 et 407 ppm.
Au-delà du dioxyde de carbone, la qualité de l’air que nous respirons est fortement compromise par des particules fines et du dioxyde d’azote, principalement issus de la combustion dans les moteurs, de l’abrasion des freins et des pneus et de la combustion de bois, de fioul et de gaz. Selon les chiffres publiés en 2016 par Santé Publique France, la pollution de l’air est responsable de 48 000 décès prématurées chaque année. De nombreuses pathologies sont également associées à l’air que nous respirons, des maladies respiratoires et cardio-vasculaires, aux AVC et aux cancers en passant par les troubles du développement chez l’enfant, les maladies neurodégénératives — comme la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson –, le diabète de type 2 ou encore les troubles de la fertilité.
A celles et ceux qui croiraient encore que nous autres Terriens et Terriennes respirons tous et toutes le même air, je poserai cette question : avez-vous déjà remarqué que dans la plupart des villes européennes, les quartiers pauvres se situent à l’Est ? Savez-vous pourquoi ? Tout simplement parce qu’en Europe les vents dominants soufflent d’Ouest en Est. Une étude publiée en mai 2021 dans Journal of Political Economy montre qu’au début de l’époque industrielle, le vent soufflait ainsi généralement la pollution au charbon vers l’Est, incitant les plus fortunés à s’établir à l’Ouest des installations polluantes tandis que les terrains situés en plein courant d’air étaient les seuls abordables pour la classe ouvrière. Voilà comment la pollution de l’air a déterminé la morphologie même de nos villes modernes. Aujourd’hui encore, on ne respire pas le même air selon son statut social. Dans l’essai Pour une écologie pirate, paru début 2023 aux éditions La Découverte, la politologue Fatima Ouassak cite un rapport de 2021 publié par l’Unicef et le Réseau Action Climat « sur les liens entre pauvreté et vulnérabilité des enfants à la pollution de l’air. A Paris, les habitants les plus pauvres risquent 3 fois plus de mourir d’un épisode de pollution que les habitants les plus riches ». Selon elle, « la pollution de l’air est une question de territoire, mais c’est aussi une question de classe et de race, notamment parce que les populations descendantes de l’immigration ouvrière et postcoloniale vivent concentrées dans les territoires les plus pollués, où l’exposition au bruit et à la chaleur est la plus forte, où l’alimentation est la plus industrielle et où l’accès aux soins est le plus discriminatoire ».
Et que dire de celles et ceux que nous autres les « gens-du-sur-place » appellons les « gens du voyage ». Dans son ouvrage Où sont les «gens du voyage»? Inventaire critique des aires d’accueil, paru en 2021 aux Editions du Commun, le juriste William Acker recense les aires d’accueil en France et dévoile leur fréquente proximité avec des zones à risque sanitaire ou écologique — centrale nucléaire, déchèterie, usine ou encore station d’épuration. Une situation qu’il résume ainsi : « Si tu ne trouves pas l’aire d’accueil, cherche la déchèterie ». Sur les 1 358 aires d’accueil répertoriées, plus de la moitié sont polluées. Pour le juriste, « contrairement aux aires d’accueil des camping-cars situées en bord de mer, ou des campings municipaux installés dans les zones touristiques, la localisation des aires d’accueil dans des terrains systématiquement relégués et donc souvent pollués est un choix de l’État et des collectivités publiques ».
I can’t breathe. J’arrive plus à respirer. Ce sont sans doute les dernières paroles d’Adama Traoré en 2016, de George Floyd en 2020 et de tant d’autres hommes perçus comme Noirs, comme non-Blancs ou comme non conformes à l’ordre dominant, tués par des policiers dans l’exercice de leur fonction en France, aux Etats-Unis et ailleurs. I can’t breathe, une expression devenue cri de ralliement contre les violences policières alors que le droit de respirer — le genre de droit qui ne devrait pouvoir être volé — est dénié à une partie de la population. I can’t breathe, le slogan de notre nouvelle ère ?
En avril 2020, alors qu’un virus s’attaquait à nos voies respiratoires, paraissait dans AOC — le quotidien d’idées en ligne –, un texte de l’historien et philosophe Achille Mbembe appelant à un « droit universel à la respiration », un droit inappropriable et fondamental pour le vivant dans son ensemble, c’est-à-dire « un droit originaire d’habitation de la Terre ». Dans un petit ouvrage qui vient de paraître chez Verdier et opportunément intitulé Respire, Marielle Macé postule que ce « droit universel à la respiration n’est pas uniquement le droit pour chacun de respirer dans des milieux dépollués ; non, c’est le droit à une vie respirable, c’est-à-dire désirable, une vie qui vaut la peine, une vie à laquelle tenir. C’est le droit d’attendre beaucoup de la vie : l’espoir de fraterniser dans la respiration, l’espoir de détoxiquer nos quotidiens et de respirer enfin avec les autres. Respirer avec, « conspirer » si l’on veut ».
Chronique anthropocène - 4 octobre 2023 was originally published in Anthropocene 2050 on Medium, where people are continuing the conversation by highlighting and responding to this story.
J’ai rassemblé ici les références que j’ai croisées au cours de ces 4 dernières années à veiller (sur) l’Anthropocène. J’ai tenté de rendre compte de l’ensemble des champs du savoir qui ont constitué notre démarche. Cette bibliographie est toute personnelle, mes choix sont donc éminemment contestables. Elle n’est pas exhaustive, bien entendu, et je vous invite à la compléter en partageant les références qui manquent sur l’Anthropocène, le changement global et tous les enjeux qu’ils soulèvent.
Bonnes lectures !
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