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30.10.2024 à 18:14
Philippe Vion-Dury
Texte intégral (1301 mots)

À Salindres, dans le Gard, Solvay a décidé de fermer son usine qui produisait des TFA, un composé de la famille des polluants éternels. L’occasion de revenir sur la sempiternelle opposition entre écologie et emploi, qui pourrait aussi être une alliance… à condition de s’en emparer.


L’écologie ou l’emploi, il faut choisir : la rengaine est bien connue. Plus d’écologie, c’est plus de contraintes, des coûts qui explosent, des secteurs supprimés, des délocalisations et du chômage de masse, sans oublier les dix plaies d’Egypte. Bien pratique, cette opposition, puisqu’elle permet de disqualifier les écolos, tout en dédouanant les industriels qu’ils soient de la chimie, de l’agroalimentaire, des hydrocarbures, etc.

Nouvel épisode de cette opposition factice : Salindres, dans le Gard, où le géant de la chimie Solvay a annoncé plus tôt dans le mois son intention de fermer l’usine locale qui produisait des TFA, des acides trifluoroacétiques qui comptent dans la famille des PFAS, autrement nommés « polluants éternels ». En cause : le manque de compétitivité du site face à la concurrence internationale, mais aussi le « durcissement des réglementations française et européenne sur les PFAS ». Eh oui, plus moyen de polluer en paix… 

De là à accuser les écolos et les associations qui ont dénoncé et documenté les pollutions environnementales sur le site d’être les responsables de la suppression des 68 emplois directs (sans compter les emplois indirects), il n’y a qu’un pas… que certains élus locaux de droite n’ont pas hésité à franchir.

Salariés empoisonnés

Mais est-ce bien ce que pensent les travailleurs et travailleuses de l’usine ? Pas vraiment, à en croire l’enquête de terrain menée par Reporterre. Si l’annonce dévaste les salariés et, au-delà, toute la population locale – le taux de chômage du Gard est l’un des plus élevés de France –, personne ne doute que Solvay entend simplement aller polluer ailleurs, pour moins cher.

Des salariés interviewés confessent qu’eux-mêmes sont probablement empoisonnés, quand ce n’est pas leurs enfants. Car depuis qu’on a appris la dangerosité des PFAS, on remarque des maladies anormales, des fausses couches tardives qui s’enchaînent… Finalement, on n’en veut pas vraiment à l’association écolo Générations futures d’avoir révélé ce que tout le monde savait.

Que demande-t-on sur place, réellement ? « Que le site soit nettoyé et qu’on reparte sur une usine plus propre, avec un impact environnemental le plus faible possible. » Le maintien des emplois ET le respect de certains critères écologiques. On pourrait autrement reprendre les termes du communiqué de Générations futures : « Nous réaffirmons la nécessité d’une transition écologique de l’activité du site qui anticipe les futures réglementations sur les rejets polluants et protège à la fois les emplois, les écosystèmes et la santé publique. »

On pourrait même aller plus loin, et imaginer une reconversion du site à d’autres fins, en dialogue avec les salariés qui sont les plus à même d’identifier leurs compétences et comment les mettre à profit  autrement. Aller vers l’auto-organisation des travailleurs au service de la transition.

Des éoliennes plutôt que des armes

On pourrait redécouvrir l’expérience des salariés de Lucas Aerospace, il y a tout juste un demi-siècle, et en faire une boussole pour la reconversion écologique. Des ouvriers britanniques de l’époque avaient ainsi tenté d’échapper au plan de licenciement de l’entreprise en proposant de faire des éoliennes plutôt que des armes.



A group of skilled engineers fighting to save their livelihoods at Lucas Aerospace UK in the 1970s.

Le sociologue Hadrien Clouet détaille l’affaire :

« Les salariés ont bossé pendant un an et demi et ils ont dressé une liste : “les dialyses rénales, ça on sait faire, les panneaux solaires, on sait faire aussi”… Ils ont même inventé un prototype de véhicule multimodal pour passer de la route au rail ! Mais ils n’ont pas été écoutés, et pas parce que leur projet était farfelu : le patronat s’est même réapproprié quelques années plus tard bon nombre de leurs idées. Bref, il faut donner aux salariés un pouvoir d’intervention sur les qualifications et les reconversions qui sont socialement et écologiquement utiles, et auxquelles les stratégies entrepreneuriales opposent trop souvent une fin de non-recevoir. »

D’une industrie de mort, les ouvriers ont trouvé le moyen d’en faire une activité utile à la société et aux générations futures. Mais alors, où est la gauche écolo dans l’affaire Solvay ? Si les élus locaux NFP tentent de ferrailler, les groupes militants comme les élus nationaux seront restés atones… laissant les coudées franches au Rassemblement national qui, en la personne de Pierre Meurin, député du Gard, a interpellé à l’Assemblée le ministre de l’Industrie sur la question.

Dans sa bouche, tant la dimension écologique du problème que la solution par l’auto-organisation et les perspectives de transition sont totalement évacuées, au profit d’une valorisation opportuniste de l’excellence et la souveraineté française sur la production de ces composés chimiques.

L’exemple de Salindres, comme d’autres, offre pourtant l’occasion d’une alliance entre milieux ouvriers et perspectives écologiques… et de briser le cadrage médiatique qui oppose les deux. À condition de s’en emparer !

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29.10.2024 à 10:04
Philippe Vion-Dury
Texte intégral (5078 mots)

Dans son ouvrage Écolos, mais pas trop, Jean-Baptiste Comby condense six années de travail de terrain auprès de différents groupes sociaux, de la bourgeoisie jusqu’aux classes populaires. Son objet : les rapports qu’entretient chacun de ces groupes à l’écologie. Qu’elle soit rejetée ou embrassée, elle ne laisse personne indifférent. Il en ressort que se donner pour objectif de mobiliser largement derrière la bannière d’une écologie de rupture impose de s’intéresser aux discours que les classes populaires entretiennent vis-à-vis d’elle, et aux intérêts matériels qu’elles veulent préserver. C’est à cette condition que des alliances sociales sont possibles.

Jean-Baptiste Comby est sociologue, enseignant et chercheur à l’université de Nantes. Il a coordonné avec Sophie Dubuisson-Quellier l’ouvrage Mobilisations écologiques (PUF/Vie des idées, 2023). Son livre Écolos, mais pas trop… Les classes sociales face à l’enjeu environnemental (Raisons d’agir, 2024) s’adosse à la conférence gesticulée qu’il présente avec Anthony Pouliquen : «L’écologie sans lutte des classes, c’est du gaspillage.»


Vos travaux s’intéressent au regard que chaque groupe social porte sur l’écologie, et les rapports à la fois pratiques et symboliques qu’il entretient avec elle. Qu’est-ce que cette approche peut apporter au débat politique sur l’écologie, ou au sein des milieux écolo ?

Mon livre montre qu’un fossé se creuse entre les offres écologistes contemporaines (récits, pensées, initiatives, alternatives, dispositifs, technologies, mesures règlementaires, etc.) et les manières dont les différents groupes sociaux les appréhendent. Quand on prend le temps d’écouter des personnes différentes par l’âge, le genre, le niveau de revenu, etc., on s’aperçoit que dans l’ensemble, elles ne suivent plus le train de l’écologie. Et si elles ne le suivent plus, c’est parce que, dans le monde social tel qu’il fonctionne, en faire davantage n’est tout simplement pas possible pour certaines, et pas souhaitable pour d’autres.

En examinant patiemment ces positionnements ordinaires sur l’écologie, on comprend pourquoi l’écologie est trop souvent perçue comme «punitive». Elle ne l’est bien sûr pas en soi, mais elle le devient dès lors que rien ou si peu nous prépare à vivre écologiquement.

«L’écologie est trop souvent perçue comme « punitive ». Elle ne l’est bien sûr pas en soi, mais elle le devient dès lors que rien ou si peu nous prépare à vivre écologiquement.»

En l’état, les cadres fondamentaux de la vie sociale (l’école, le travail, le droit, la comptabilité publique, le foncier, l’administration publique, les moyens de production…) valorisent des manières d’être au monde et de faire société qui éloignent de l’écologie. C’est pour cela que la question environnementale n’est pas seulement une question sociale, mais qu’elle est surtout une question de pouvoir. Elle nous impose de prendre le pouvoir pour être en capacité de redéfinir tout autrement ces institutions du social, dans une perspective résolument écologique, démocratique et équitable. À défaut, nous resterons volontiers écolo, mais pas trop…

Une question de pouvoir, donc de lutte des classes…

Ces cadres de la vie sociale sont en effet le produit des rapports de force entre les groupes sociaux. On mesure ainsi à quel point les orientations tant réformatrices que non capitalistes se trouvent dans une impasse dès lors qu’elles échouent à renverser la table.

L’écologie réformatrice, celle du capitalisme vert et qui est la plus répandue socialement, entend impulser une transformation écologique de la société sans transformation sociale, c’est-à-dire sans toucher aux hiérarchies sociales. L’écologie non capitaliste, celle des ZAD, des utopies réelles et des alternatives, travaille à se défaire des logiques dominantes ; mais ce travail à temps plein ne laisse plus beaucoup d’énergie pour combattre cet ordre établi.


Pourriez-vous revenir à grands traits sur les différents groupes sociaux qui se font les défenseurs d’une écologie «réformatrice» ? Quels intérêts défendent-ils, quelles stratégies adoptent-ils ?

Cette écologie bourgeoise, celle des chiffres et des courbes, des seuls experts et gestionnaires, des imaginaires désirables et de l’idéologie de la «prise de conscience», des fresques du climat, du photovoltaïque, de la fiscalité verte ou encore de la conciliation de l’écologique et de l’économique, est élaborée avec le concours de protagonistes situés au carrefour de différentes fractions de la bourgeoisie.

J’en ai suivi un certain nombre depuis une vingtaine d’années en prenant au sérieux leur entreprise réformatrice. Celle-ci démarre d’ailleurs souvent avec une critique du capitalisme qui abime le vivant et ferait perdre le sens de la vie. Plutôt que de juger cette critique comme hypocrite et cynique, je me suis demandé pourquoi, alors qu’ils et elles se disent très conscient·es du désastre environnemental en cours, elles et ils n’en faisaient pas plus. 

«L’écologie réformatrice, celle du capitalisme vert et qui est la plus répandue socialement, entend impulser une transformation écologique de la société sans toucher aux hiérarchies sociales»

Car s’ils et elles réaménagent en partie leurs vies professionnelles et personnelles, ils et elles ne quittent pas le monde de l’entreprise. Ils se repositionnent en son sein, travaillent en indépendants et cumulent les casquettes de consultant·es, formateur·rices, animateurs·rices, auteur·rices, journalistes… Elles et ils se mettent alors au service des nouvelles économies vertes du capitalisme : symbiotique, circulaire, collaborative, bleue, régénérative… Ce repositionnement active des dispositions à la modération, à la compensation et à la pondération. Modération parce que s’ils font un pas de côté, ils ne décrochent pas. Compensation parce que l’enjeu reste d’équilibrer éthique et rentabilité au travail. Pondération parce que ces compromis dans l’organisation de la vie professionnelle se retrouvent dans leur rapport à l’écologie, où ils cherchent à articuler les logiques capitalistiques avec les alternatives et critiques écologiques. 

Cette articulation se fait en faveur des premières et au détriment des secondes, qui se retrouvent ainsi récupérées par le monde de l’entreprise. Si ces logiques de dilution sont bien connues, elles restent souvent imputées à une forme de magie sociale. Il apparaît en fait que la viscosité idéologique du «capitalisme» est favorisée par des pratiques et des positions sociales spécifiques, celles en l’occurrence des écologistes réformateurs. Le capitalisme vert n’est ainsi pas tant le produit de stratégies ou d’un intérêt calculé et bien compris, que de leurs inclinations à l’équilibre et au « juste milieu » dont je me suis aperçu qu’elles étaient favorisées par des socialisations au sein des classes dominantes. 


La petite bourgeoisie culturelle est un groupe social tangent, qui semble traversé par des divisions entre sous-groupes. Certains sont tentés par l’écologie réformatrice, d’autres par l’écologie «non capitaliste». Comment et sur quoi se jouent ces écarts ?

Les rapports à l’écologie montrent clairement que le monde social est à double versant, l’un culturel et l’autre économique. En haut de l’espace social, là où les richesses culturelles et économiques abondent, l’écologie vient finalement consolider le bloc bourgeois, par-delà des différences de pratiques et d’opinions. Mais cette intégration idéologique s’érode aux marges des classes intermédiaires.

Sur les marges de la petite bourgeoisie culturelle, on observe un dégradé de positionnements qui partent d’une adhésion forte à l’écologie dominante et se terminent, parfois, au sein de l’écologie non capitaliste. Celles et ceux qui prennent ainsi leurs distances avec les logiques réformatrices sont davantage politisé·es et moins attaché.es aux sociabilités bourgeoises. L’écologie devient pour elles et eux un enjeu statutaire, un totem du «style de vie». Celui-ci se trouve réaménagé, mais un réaménagement qui cette fois est nettement structurel : déménagement, ample reconversion professionnelle, réorientation politique…

Assez visibles médiatiquement mais très minoritaires statistiquement, ces personnes préfigurent au sein même de nos «sociétés de marché» d’autres mondes à venir. Elles montrent par la pratique que l’emprise du capital sur nos vies n’est pas une fatalité. Elles signalent qu’on ne «bifurque» pas brusquement vers les alternatives mais qu’on les rejoint au terme de processus longs et lents de contre-socialisations.

Ce cheminement suppose, comme le montre Geneviève Pruvost, de se défaire de ses habitudes et routines, de sortir de sa zone de confort, de se détacher de ses repères et de transformer ses visions de ce qui compte dans la vie et de ce qu’est une vie réussie. Le travail est pensé tout autrement et de manière à réduire autant que faire se peut l’exploitation des forces reproductives «bon marché» (cheap) pour parler comme Jason Moore.


La petite bourgeoisie économique et le reste des classes moyennes semblent s’être totalement détournées de l’écologie de rupture, sinon de l’écologie tout court. Est-ce qu’on peut, temporairement du moins, les considérer comme «perdues pour la cause» ?

Sur les berges cette fois de la petite bourgeoisie économique, on observe non plus une distanciation mais bien un clivage. Pour les groupes misant sur le consumérisme pour gagner en reconnaissance, l’écologie est devenue un repoussoir. Précisons toutefois que ces franges de la population ne sont pas contre la question environnementale mais bien contre l’écologie telle qu’elle se déploie dans l’espace public. 

Qu’elle soit réformatrice ou non capitaliste, l’écologie est associée à une remise en cause de leur manière d’être au monde, de se nourrir, de se divertir, mais aussi de se projeter dans l’avenir. C’est non seulement leur mode d’existence mais aussi et surtout leur mode de reproduction sociale (c’est-à-dire ce qu’ils et elles transmettent à leurs enfants) que, dans le monde tel qu’il est, l’écologie déstabilise. Et cette déstabilisation est jugée d’autant plus insupportable qu’elle est portée par des groupes sociaux éloignés d’eux et qui manifestent une certaine supériorité morale (laquelle peut être incarnée par les critiques médiatiques du barbecue ou du sapin de Noël exprimées ces dernières années par certaines figures de l’écologie). Donc tant que l’écologie continuera à les mépriser et que ne seront pas mis à leur portée des vecteurs de valorisation sociale conduisant vers des modes d’existence plus écologiques, oui, ils peuvent être considérés comme «perdus pour la cause». 

Restent enfin les classes populaires, qui là encore entretiennent des rapports très divers à l’écologie…

Très divers mais en même temps très semblables ! Les classes populaires ont en commun d’être les laissées-pour-compte de l’écologie et cela devrait constituer le socle objectif d’une conscience environnementale de classe. Elles souffrent bien plus que les autres classes sociales des nuisances environnementales de toutes sortes. Et ces souffrances sont directement liées à l’inégale distribution des ressources pour faire face aux dégâts environnementaux (lieux de vie, pratiques assurantielles, accès aux soins, etc.). C’est un point essentiel à partir duquel il doit être possible d’élaborer des conceptions proprement populaires et solidaires de l’écologie. Mais c’est un point qui reste à la périphérie des offres écologistes contemporaines. 

«Il ne faut plus tant chercher à être écologique ici et maintenant qu’œuvrer, ici et maintenant, à se donner collectivement les moyens d’être démocratiquement écologique demain»

Celles-ci viennent plutôt accentuer les tensions au sein des classes populaires où il est très compliqué de conjuguer richesses culturelles et économiques. Pour se placer socialement, les individus doivent donc souvent sacrifier l’une au détriment de l’autre. Au sein des strates ayant une certaine stabilité professionnelle et résidentielle, les positionnements sur l’enjeu écologique révèlent une concurrence entre deux modalités d’ascension sociale : l’une qui mise sur la culture et l’autre sur la réussite économique. Le pôle culturel de ces classes populaires stabilisées donne alors à voir un «écocitoyennisme du pauvre» où les difficultés et contraintes économiques peuvent être retraduites en vertu écologique : typiquement, faire des économies d’énergie pour des motifs économiques mais les présenter également comme un acte environnemental. 

 
L’approche sociologique que vous adoptez met en lumière, avec des termes comme «enjeu statutaire» ou «stratégies de positionnement social», que chaque individu tend à penser l’écologie «depuis sa propre classe», et toujours dans une logique qu’on pourrait dire conservatrice : «valorisation» de son statut, ascension sociale, évitement du déclassement, etc. Or cela tend à figer les rapports de classe, chacun étant enclin à collaborer plutôt que de rompre avec l’ordre existant. Dès lors, l’enjeu principal d’une écologie de rupture est-il de convaincre certains groupes sociaux d’aller contre leurs intérêts immédiats, tout en révélant d’autres intérêts à long terme (préservation de la santé, des conditions de vie, mode de vie moins aliénant, utilité sociale et écologique du travail…) ?

Effectivement, il faut bâtir à court terme les conditions sociales d’une rupture écologique à moyen et long terme. Celles-ci ne sont pas réunies aujourd’hui. Notre organisation collective ne rend pas possible la généralisation de manières d’exister socialement qui soient écologiques. Plutôt que de se dire «on n’y arrive pas donc c’est utopique», comprenons qu’il faut d’abord se donner les moyens d’y arriver et que cela passe prioritairement par une modification en profondeur des structures de la société.

Les sciences sociales montrent depuis près de 150 ans que nos subjectivités, nos aspirations et nos ambitions, nos visions du monde, nos goûts et nos dégoûts, sont modelés par nos socialisations, c’est-à-dire par ce que nous vivons au sein de collectifs (familiaux, amicaux, professionnels, résidentiels, culturels, politiques…).

Ces socialisations impriment insensiblement mais durablement leurs marques sur nos manières d’être, de faire et de penser. Mon livre montre comment les instances de socialisation conventionnelles nous empêchent d’être pleinement écologiques. Pour reprendre votre question, elles façonnent des intérêts immédiats qui entrent en tension avec des intérêts à long terme qu’elles n’invitent d’ailleurs plus tellement à penser… Il faut ainsi déplacer le débat sur les «solutions» vers la lutte politique pour les définir. Il ne faut plus tant chercher à être écologique ici et maintenant qu’œuvrer, ici et maintenant, à se donner collectivement les moyens d’être démocratiquement écologique demain.

L’écologie politique semble peiner à progresser, à engranger des victoires. Est-ce que quelque chose nous manque ?

Ce qui me frappe depuis que j’enquête sur la galaxie écologiste, c’est sa méconnaissance des sciences du social. Les scientifiques, experts, journalistes, militants ou fonctionnaires qui prennent en charge ces questions sont plutôt issus des sciences biophysiques. Ils et elles ne sont pas familiers des connaissances scientifiques du monde social mais ont toujours un avis sur la manière dont fonctionne la société et ce qu’il faudrait faire pour la changer. Sauf que bien souvent, ils et elles la pensent à l’envers, faisant par exemple primer l’individuel sur le collectif et les idées sur les pratiques. Si quelque chose manque aujourd’hui aux forces écologistes, je dirais donc que c’est un peu d’estime pour les sciences sociales soucieuses de comprendre les rapports de domination qui charpentent nos sociétés. 

Remettre à l’endroit ce qui est à l’envers dans les offres écologistes contemporaines, c’est notamment comprendre que ce ne sont pas les mentalités qu’il faut changer mais la matrice des relations sociales au sein desquelles ces mentalités se forment. C’est donner à l’écologie les moyens de déplacer la conflictualité politique du terrain culturel (migrants contre Français ; écolos cultivés contre pollueurs non cultivés) vers celui des classes sociales (ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas). 

Prendre le pouvoir implique de se reposer sur un mouvement social puissant, qui part d’un «bloc social» composé de différentes classes qui se sont découvert un intérêt commun et adoptent une «stratégie» commune. Sur quels groupes sociaux peut-on miser pour former ce bloc social-écologique de rupture ?

Une transformation de nos organisations sociales pour les rendre pleinement écologiques passe par la construction politique d’alliances de classe. Il ressort de mes enquêtes que celles-ci pourraient associer la petite bourgeoisie culturelle et une large partie des groupes populaires. 

En effet, c’est bien au sein de la petite bourgeoisie culturelle (et dans une mesure bien moindre mais pas nulle, au sein de la bourgeoisie culturelle) qu’un soutien à un programme social de rupture écologique est le plus probable.

«Ce ne sont pas les mentalités qu’il faut changer mais la matrice des relations sociales au sein desquelles ces mentalités se forment»

Les styles de vie et les visions du monde que l’on y rencontre constituent en effet un terreau fertile pour une telle perspective. Mais cela suppose au préalable un travail politique de terrain pour détourner cette petite bourgeoisie culturelle de l’écologie réformatrice et la réorienter vers ce que j’appelle une écologie transformatrice.

Et pour opérer cette réorientation, sans doute faut-il commencer par lui proposer d’autres manières de penser et de vivre l’écologie. Il peut notamment être stratégique de partir des expériences de l’écologie vécues par ces franges de la population qui se rendent bien compte qu’elles peinent à en faire plus pour le vivant. Cela peut aider à faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’une question de motivations, d’éthique, de courage, de mérite, d’ingéniosité ou de responsabilité, mais de logiques collectives et de batailles politiques.

Je me dis souvent que si toutes les énergies dépensées par ces personnes pour vivre plus sobrement étaient redirigées vers des organisations politiques de transformation sociale, le rapport de force prendrait probablement une tournure différente.

Et du côté des classes populaires, une condition préalable à toute politique environnementale me semble être d’œuvrer à résorber les fractures qui fragilisent ce groupe social. Or si en l’état l’écologie vient accentuer les conflits de respectabilité qui le fragmentent, elle pourrait aussi révéler tout ce que les différentes fractions des mondes populaires ont écologiquement en commun. À commencer, on l’a dit, par leur plus forte vulnérabilité environnementale, une vulnérabilité à double-face dans la mesure où elle est d’un côté la conséquence d’un démantèlement de l’État social et de l’autre liée aux ravages environnementaux d’un productivisme effréné. Dans les deux cas, il s’agit de satisfaire les intérêts de la classe possédante. Ce sont ces rapports de classe qui doivent être révélés.

Les écolos «radicaux» sont généralement issus de la petite bourgeoisie culturelle. Que devraient-ils comprendre et changer pour créer un terrain d’entente, dans tous les sens du terme, avec les classes populaires ?

Pour qu’il n’y ait pas de malentendus, je tiens à dire combien je respecte ces «écolos radicaux». En militant contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, j’ai pu mesurer à quel point leur rôle a été décisif dans cette grande victoire de l’écologie. Que ce soient les expérimentations alternatives ou les offensives contre des infrastructures écocidaires, ce qu’ils et elles parviennent à réaliser est considérable. Maintenant, comme vous le signaliez, ces dynamiques peinent à faire le poids face à l’appareil d’État et à l’inertie du monde social dont il est le garant.

Ces organisations doivent donc continuer à mener un travail de terrain, dans les quartiers comme dans les campagnes, dans les villes moyennes comme dans le périurbain, pour «élargir la base». Les conflits autour des mégabassines ou de l’A69 sont à chaque fois des moments forts de politisation qui amènent à réfléchir et à échanger sur l’écologie. Les activistes ont bien compris que le succès de ces mobilisations reposait sur leur capacité à devenir populaires, c’est-à-dire à gagner localement le soutien de vastes pans de la population. Il convient de renforcer ces ramifications territoriales qui se construisent et se déploient à la faveur de ces contestations.

L’enjeu est alors de ne pas paraître méprisant aux yeux de celles et ceux qui estiment ces infrastructures nécessaires pour, bien souvent, améliorer leurs conditions matérielles d’existence. Et pour cela, sans doute faut-il parvenir à bien mettre en avant que ces projets écocidaires vont en fait à l’encontre des intérêts sociaux d’une grande partie de celles et ceux qui peuvent pourtant les soutenir. Montrer avec insistance que ces projets sont ceux des «grands pollueurs» et des «grands patrons» qui piétinent le sort écologique des «petites gens».

À défaut, ces luttes peuvent aussi alimenter la rhétorique de l’écologie «punitive» et contribuer au clivage entre un pôle culturel des classes populaires susceptible de soutenir ces combats et un pôle économique qui les rejette fermement. Comme nous l’avons expliqué, il est peu probable que ce dernier en vienne à adhérer aux Soulèvements de la terre, mais on peut travailler à ce que ses membres ne perçoivent pas les «écolos radicaux» comme des ennemis. 

On voit aussi dans votre travail que le versant «économique» des classes sociales populaires et moyennes se représente la réussite sociale dans des critères largement rattachés au consumérisme. Est-ce à cela qu’il faudrait s’attaquer pour tenter de réduire leur adhésion à un système intrinsèquement anti-écologique ?

Le consumérisme étant l’autre face du productivisme, c’est clairement une cible. Mais comment s’attaquer à ces élans consuméristes sans disqualifier celles et ceux qui ne jurent que sur la consommation pour se valoriser socialement ?

J’entrevois deux pistes qui ne sont sans doute pas suffisantes mais qui me paraissent incontournables. La première consiste à ouvrir d’autres voies de valorisation sociale au sein de ces groupes sociaux acquis au consumérisme, et notamment des voies scolaires et culturelles. Ces franges de la population vont en effet chercher dans la consommation une reconnaissance et une fierté qu’elles n’obtiennent pas ailleurs, ni à l’école, ni sur les scènes culturelles, ni même au travail.

«Quand vous entendez Marie Toussaint lancer la campagne d’EELV pour les élections européennes sous l’angle de la « douceur » et du « vivant », vous vous demandez dans quel monde ces gens-là vivent…»

La seconde piste vise à agir non pas tant sur la consommation que sur la production et la distribution. J’ai ici en tête l’exemple de la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) qui permet non seulement de démocratiser une alternative, c’est à dire de l’étendre socialement, ici en rendant accessible à toutes et tous une alimentation saine et non capitaliste ; mais qui peut aussi engendrer d’autres rapports aux marchandises et aux besoins.

Qui décide de ce que l’on produit et comment ? Les Amap et autres réseaux alternatifs de producteurs locaux ont initié cette réarticulation de la production et de la consommation. Mais on constate à nouveau que les classes populaires sont largement tenues à distance de ces initiatives. La démocratisation de la production devrait faire l’objet d’un projet politique dont on peut penser qu’il pourrait affaiblir l’emprise du consumérisme dans nos sociétés.

Lutter au niveau des imaginaires et des représentations conduit trop souvent à des visions anti-populaires, anti-sociales, comme le dégoût du consumérisme des «pauvres», le néomalthusianisme, etc., pour ce qui est de l’écologie. Le mouvement écologique fait-il encore preuve d’une trop grande «violence symbolique» à l’égard des classes populaires ?

Malheureusement, oui. Et si l’expression d’écologie populaire a le vent médiatique en poupe depuis le mouvement des Gilets jaunes, il est déplorable de constater qu’il s’agit en fait bien souvent de montrer que les classes populaires sont capables de jardiner, de réparer, de composter, et finalement d’adopter des pratiques dont le blason a été redoré par l’écologie bourgeoise…

Cet exemple montre qu’un premier problème vient du fait que ces conceptions et récits de l’écologie sont édictés du haut de l’espace social. Les dominés n’ont pas droit au chapitre vert. Et donc ils ne se reconnaissent pas dans ces pensées et imaginaires. Ceux-ci ne reprennent pas leurs codes culturels et ne font pas écho à leurs conditions d’existence. Ils apparaissent bien souvent hors-sol. Quand vous entendez Marie Toussaint lancer la campagne d’EELV pour les élections européennes sous l’angle de la «douceur» et du «vivant», vous vous demandez dans quel monde ces gens-là vivent… Une campagne dans laquelle on a pu retrouver l’influence du philosophe Bruno Latour qui aimait dire que «les idées mènent le monde».

C’est là un second problème : la croyance forte au sein du mouvement écologiste dans le pouvoir autonome des idées. Or là encore, les sciences sociales montrent depuis plus d’un siècle que derrière l’écho favorable qu’une idée peut rencontrer chez des personnes, on constate surtout une forte proximité sociale entre le locuteur·rice de cette idée et celui ou celle qui la reçoit et y souscrit. D’une certaine façon, qui se ressemble s’assemble. Si bien qu’une écologie populaire ne peut être portée que depuis des groupes dominés et contre l’écologie dominante qui est l’écologie du capital.

L’article Jean-Baptiste Comby : «Les classes populaires sont les laissées-pour-compte de l’écologie» est apparu en premier sur Fracas.

17.10.2024 à 11:06
Philippe Vion-Dury
Texte intégral (1736 mots)

« Budget : Pourquoi l’écologie perd toujours ». C’était le thème de l’émission C Politique, ce dimanche 13 octobre. Clément Sénéchal s’est ainsi retrouvé face à cinq représentants de l’écologie bourgeoise déterminés à le décrédibiliser. Attention, masterclass de dépolitisation.


Ça y est, c’est vraiment la rentrée ! On a enfin le retour des plateaux de débat consacrés à l’écologie. Ça nous avait manqué. En attendant que Karim Rissouli relance la machine sur C Ce Soir, on devra se contenter de C Politique, le « forum de discussion » animé par Thomas Snégaroff, qui consacrait il y a quelques jours une émission sur le thème « Budget : Pourquoi l’écologie perd toujours ». Ça vous dit quelque chose ? Normal : le titre est celui du livre de Clément Sénéchal qui nous a accordé une interview il y a quelques semaines.

Sans surprise, la bourgeoisie médiatique est toute trépignante à l’idée de nous donner son avis éclairé sur les mésaventures de l’écologie. À croire que ça la démangeait, car elle nous a donné ce soir-là une masterclass de dépolitisation. Objectif : arracher ses crocs à cette écologie qui leur fait si peur (la nôtre).

1. L’occupation du terrain

Face à Clément Sénéchal, nous avons donc cinq représentants de l’écologie bourgeoise. Toute la famille : Martin Hirsch le haut-fonctionnaire-écrivain, Marine Braud la consultante, Flora Ghebali l’entrepreneuse, Denis Pingaud l’expert politiste, Corinne Lepage l’ancienne ministre. On aurait voulu faire une sociographie de la bourgeoisie écolo médiatique qu’on aurait pas fait mieux. « Six nuances de vert sur ce plateau ! », va même jusqu’à s’exclamer une Flora Ghebali extatique qui voit trouble. Le manque de diversité n’a pourtant frappé Thomas Snégaroff, l’animateur, qu’après 37 minutes d’émission : « Je ne voudrais pas que Clément Sénéchal se sente seul sur ce plateau. »

Le camp bourgeois aime à mettre en scène les douces modulations de ses opinions. Il en plaisante volontiers, et on va même jusqu’à s’envoyer quelques piques inoffensives et bien senties, en s’appelant par son prénom. Il faut bien rappeler qu’ils ne sont pas toujours d’accord – sauf sur l’essentiel.

Derrière la variété toute relative des professions du trombinoscope, on retrouve en réalité : une ancienne conseillère de Macron, un ex-gradé du PS, une ex-communicante de François Hollande puis ex-candidate d’une liste macroniste, un communicant de crise passé par le PS et associé de Gaspard Gantzer, conseiller de Hollande puis conseiller de Macron. Le liant est fait : c’est le centre, à l’extrême. Le journaliste n’est manifestement pas là pour rappeler le CV politique de ses invités, c’est bien dommage.

2. La mise en accusation

L’écologie libérale est donc venue en nombre, et tout le monde s’entend parfaitement pour trouver des solutions pragmatiques et réalistes au grand défi de notre temps : tout est en place pour opérer le retournement. C’est-à-dire le contre-procès. Car si en apparence tout le monde est réuni pour critiquer le gouvernement et le « sacrifice de l’écologie », la vraie cible est ailleurs.

Tout sera fait pendant l’heure qui suit pour retourner la mise en accusation opérée par une critique assez radicale à l’encontre d’une écologie bourgeoise, qui se fait « par le haut » et sans les classes populaires, et prouver aux yeux du téléspectateur qu’on ne négocie pas avec les radicaux. D’un procès l’autre : la bourgeoisie aurait pu faire mieux, mais les gaucho auraient fait pire.

3. Diluer la parole critique

La première opération de désamorçage se joue dans le dispositif lui-même, comme bien souvent, par une opération simple : en surchargeant le plateau d’invités à qui il faut bien donner la parole, on réduit le temps de parole de chacun.

Quand le compteur n’affiche qu’une unique parole à charge contre cinq en défense, on imagine le résultat : quelque chose comme 8 minutes de temps de parole accordées à Clément Sénéchal, dont l’intitulé de l’émission reprend pourtant le titre de l’ouvrage et qui lui fait prétexte. L’accusateur accusé aimerait pouvoir se défendre, il le demande d’ailleurs, mais il aura donc cinq fois moins de temps que la partie adverse.

4. Déstructurer le débat

La seconde opération, permise par l’abondance d’invités, est de déjouer toute possibilité de débat, c’est-à-dire la mise en place d’un rapport dialectique entre personnes aux vues et arguments contradictoires, qui se répondent les unes aux autres. La parole est donnée, et pourtant, elle tourne : cinq fois avant de revenir.

En bref : chacun vient servir sa soupe, tandis que la soporifique tournée de table annihile la capacité à répondre, une fois le bâton de parole revenu, à un propos tenu dix minutes plus tôt. Ne reste à l’invité critique qu’une paire de séquences de deux à trois minutes pour donner à voir sa position et ses arguments entre deux attaques ou caricatures. Il ne lui reste alors d’autre option que de lâcher ses propres punchlines et chausser plus fermement la casquette qu’on lui a collée en entrant sur le plateau – bref : jouer son rôle.

Et que les invités ne s’avisent pas de rompre la concorde ! S’ils ne respectent pas le tour de parole ou se répondent trop vertement, voire, sacrilège, « parlent l’un sur l’autre » : Thomas Snégaroff est là pour rétablir l’ordre de la discussion entre gens convenables.

6. La conflictualité à visage couvert

La bourgeoisie, quand elle n’a pas à sortir les canons de Versailles, s’applique à dissimuler sa violence. Sa tactique centrale, par laquelle elle gouverne depuis plusieurs décennies, est d’assimiler la conflictualité à la violence, et donc d’exfiltrer l’une comme l’autre du débat public. Il faut « concilier », nous dit Martin Hirsch, tandis que Flora Ghebali, balayant le capitalisme et la décroissance, s’alerte qu’on mette « des concepts sur la table qui font peur aux gens ». Déjà que les gens ont peur de la fin du mois, d’autres de la fin du monde, il ne faudrait pas en plus aller leur parler de rapports de production.

Leur violence découle naturellement de ce refus sirupeux de la violence : il faut faire passer les tenants de la conflictualité politique pour des malades. Martin Hirsch s’inquiète ainsi de la « haine » de Clément Sénéchal. Lui, nous confie-t-il, narre dans son dernier roman l’histoire de gens « tout à fait raisonnables qui pourraient être autour de ce plateau » (cf point 2 plus haut) « basculent non seulement dans l’activisme mais dans l’illégalité pour hacker le monde » ! Imaginez donc ! On imagine ses nuits difficiles si elles sont peuplées de pareilles images.

Tout le monde s’en donne à coeur-joie. Ce type de discours (le nôtre, toujours) « tue l’écologie », il est « violent », « catastrophique », et « repose sur des mouvements qui ont oublié l’écologie au bénéfice d’autre chose », assène Corinne Lepage, pointant apparemment la France insoumise, à laquelle n’est pourtant pas affilié Clément Sénéchal. « Oui mais enfin il pourrait y être… »

Flora Ghebali, qui était « dans des milieux assez radicaux, d’ONG » (hum), confesse avoir eu « des amis qui me disaient qu’il allait falloir une tyrannie verte, déclencher l’état d’urgence à un moment… » Robespierre n’est jamais loin.

Denis Pingaud acquiesce gravement, car lui aussi est « inquiet » du discours qu’il entend, la lutte anticapitaliste « rejoignant d’une certaine façon le climatoscepticisme et le climato-je-m’en-foutisme ».

7. Ne surtout pas débattre du fond

Occupation du terrain, monopolisation de la parole, stérilisation du débat, pathologisation de l’adversaire… mais qu’en est-il du fond ? Ont-ils des arguments ? Pensez-donc ! Par exemple : l’écologie doit-elle être capitaliste ou anti-capitaliste ? Vraie question, après tout. « Le débat ne m’intéresse pas », clôt Flora Ghebali. Pourquoi ? « Parce que quel est l’impact de cette notion conceptuelle sur la vie quotidienne d’un français ».

On lui expliquerait que la plupart des gens ont un rapport bien concret et charnel à la dialectique Capital – Travail, à l’aliénation du salariat, aux effets destructeurs du mode de production capitaliste sur leur santé et leur espérance de vie, mais bon. Ce serait certainement perdre son temps avec une personne qui prend Yuval Hariri pour un grand historien, dont elle retient l’importance « des nouveaux récits » et d’imaginer une « civilisation écologique »… Ces notions conceptuelles-là, bizarrement, ne font pas frissonner l’entrepreneuse. Denis Pingaud opine, lui qui veut parler de la « transition heureuse » qu’il appelle de ses vœux : « soyons positifs ! ». Quant à Martin Hirsch, les écolos finalement « se font plaisir » mais viendront vite se « heurter au mur de la réalité ». Hé les écolos, grandissez un peu – et chut, les adultes parlent.

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16.10.2024 à 10:48
Isma Le Dantec
Texte intégral (2637 mots)

Après plusieurs mois de grève contre le géant de l’agro-business InVivo, les travailleurs de Neuhauser ont arraché cet été la réintégration de leur représentant syndical CGT Christian Porta, licencié illégalement, et fait condamner l’entreprise à lui payer plus d’un demi-million d’euros. S’il a pu pour cela compter sur le soutien de son syndicat, il a aussi bénéficié de celui d’organisations écologistes, comme les Soulèvements de la terre ou Extinction rébellion. « Il y a une répression similaire à l’égard des militants écologistes et des représentants syndicaux qui rend naturel notre rapprochement », expliquait ainsi un membre de Greenpeace à Reporterre.

Réalisé aux côté des grévistes dans le quotidien de la lutte par la cinéaste Carol Sibony, le documentaire « S’ils touchent à l’un d’entre nous » retrace ce combat et ouvre la discussion sur les méthodes à adopter face à la répression patronale, les alliances et solidarités nécessaires entre enjeux climatiques et luttes du monde du travail.


« S’ils touchent à l’un d’entre nous » raconte la lutte victorieuse des travailleurs de l’usine Neuhauser de Folschviller contre les tentatives de licencier le délégué syndical CGT Christian Porta. Que s’est-il joué entre février et août 2024, qu’est-ce qui rend ce combat important, aussi hors de l’enceinte de l’usine ?

On peut placer le point de départ au moment de la mise à pied de Christian Porta, élu syndical de la CGT Neuhauser. Neuhauser, c’est une boulangerie-usine industrielle en Moselle, rachetée par le géant de l’agrobusiness InVivo, qui détient des ports céréaliers, Gammvert… c’est une multinationale de la pollution aussi, qui produit des pesticides, qui a des intérêt dans les mégabassines

En février, Christian Porta est convoqué à un entretien et mis à pied en vue d’un licenciement pour « harcèlement envers la direction ». C’est-à-dire qu’il a fait son travail de syndicaliste : il a trop demandé d’augmentations de salaires. La convocation a eu lieu juste avant le lancement d’une grève à l’occasion des négociations annuelles obligatoires. C’est alors une bataille de plus de six mois qui démarre, et qui finira par une victoire spectaculaire de Christian et tous ses soutiens contre la direction de Neuhauser et surtout contre le groupe InVivo. C’est aussi ce qui donne cette ampleur : on ne parle pas d’un petit patron mais d’une multinationale, et les attaques ont été principalement menées par Sébastien Graff, DRH monde de InVivo, qui en a fait une affaire personnelle. Il voulait couper la tête du syndicat, qui entravait son désir de devenir l’Amazon de l’agroalimentaire. 

Immédiatement après la mise à pied de Christian Porta, l’usine débraye. Il faut alors un plan de bataille, médiatiser au niveau national, monter une caisse de grève… Tout un travail de sensibilisation est mené dans l’usine pour faire comprendre que l’attaque contre Christian les concernait tous, que c’était aussi un test de la direction pour voir jusqu’où ils pouvaient aller. Face à la mobilisation, la hiérarchie fait tout pour isoler Christian, intimider les travailleurs avec des menaces de fermeture, des huissiers présents 24h/24 qui épient les gestes des uns et des autres.

« On parle d’une multinationale qui veut couper la tête du syndicat car il entrave son désir de devenir l’Amazon de l’agroalimentaire »

Un mois après le licenciement, l’inspection du travail rend son avis qui invalide la décision de la direction en pointant qu’il n’y a aucune raison légitime de le licencier et de l’empêcher de mener son mandat syndical. La direction ignore cet avis, ce qui les mène aux Prud’hommes. Le jugement est rendu en mai et ordonne la réintégration de Christian. Ce à quoi la direction répond par une mise à pied instantanée : complètement délirant, il venait d’être réintégré et ne pouvait donc pas avoir commis de faute grave. Ça montre aussi le niveau de radicalisation du patronat qui se fiche d’être dans l’illégalité… La deuxième audience des Prud’hommes rendra son verdict début août et finira par faire plier la direction, condamnée à réintégrer Christian et à lui verser une astreinte d’un demi million d’euros.

Pendant tout ce temps, il y a eu une énorme mobilisation, c’est une bataille qui a été menée sur tous les fronts : juridique, avec les avocates Elsa Marcel et Savine Bernard qui ont travaillé avec beaucoup d’ardeur ; financier, avec une caisse de grève pour permettre à tout le monde de ne pas lâcher et politique avec tout un volet de stratégies, de sensibilisation, de discussion, de prise de conscience collective. Tous ces éléments en font une grande victoire qui dépasse les frontières de Folschviller. 

Qu’est-ce qui t’a menée à documenter la lutte des Neuhauser, comment ton projet et la présence de la caméra ont-ils été reçus sur place ?

Christian Porta est un camarade, on est tous deux militants à Révolution Permanente. Je suis venue avec l’idée de faire des capsules vidéo pour dénoncer les calomnies de la direction, montrer ce qu’il se passait vraiment sur le terrain.

Mais assez vite, j’ai été frappée par la combativité des Neuhauser et le cadre de l’usine, à l’endroit de l’ancien puit minier Furst de Folschviller. En arrivant, on voit cette grande tour marteau rouillée, qui servait à l’extraction, vestige de l’ancien carreau de la mine de charbon. Cet espace est particulier matériellement. On y voit que ce n’est pas juste une lutte locale, qu’elle représente la continuité ouvrière, la continuité de l’histoire des luttes. 

« Il faut se rappeler qu’il y a à peine trente ans, des luttes ultra radicales étaient menées à deux pas de Saint-Avold »

Dans le Grand Est, les pratiques ont complètement changé, il y a aujourd’hui un usage systématique de l’intérim, de contrats à la semaine, pendant un an, deux ans… Pendant tout ce temps, si la direction trouve que tu te rapproches de gens pas fréquentables, ton contrat peut ne pas être renouvelé. Ça participe à l’atomisation de la classe ouvrière au sein des usines, dans des endroits qui étaient des bassins ouvriers très politiques. Aujourd’hui, en Moselle, l’extrême droite est ultra-présente, dans la circonscription de l’usine, le RN est passé au 1er tour des législatives… C’est tous ces enjeux et cette histoire qu’on voit quand on regarde l’usine Neuhauser, et c’est ce qui m’a donné envie d’aller plus loin. 

C’est une question centrale qui a animé ce documentaire, au travers de Christian Porta, de ses actes et ses mots : celle de la mémoire, savoir se rappeler qu’il y a à peine trente ans, il y a avait des luttes ultra radicales à deux pas de Saint-Avold, que c’est ici aussi qu’il y a eu les premiers rapprochements entre syndicats et Gilets jaunes. Dans le documentaire, il y a une séquence, le 24 mai, où on voit un cordon de cadres empêcher Christian d’entrer dans l’usine, avec des gendarmes, etc. Il faut se rendre compte que quelques mètres en dessous, il y a probablement déjà eu des accidents mortels, les grands parents des travailleurs passaient leurs journées cinquante mètres sous leurs pieds. C’est un lieu qui condense matériellement ces enjeux-là. D’un point de vue cinématographique, c’est une matière importante. 

Et au delà de ça, c’est le caractère extrêmement combatif de la section locale qui a fait évoluer mon travail, ce sont des militants très politiques dans leur syndicalisme. Cette manière de s’organiser politiquement sur son lieu de travail n’est malheureusement pas majoritaire, surtout dans l’agroalimentaire, alors que le lieu de travail devrait être central dans la politisation. Et d’ailleurs, c’est ce qui fait peur à la direction, qui déjà repart à l’attaque avec un licenciement et des procédures disciplinaires sur des travailleurs qui se sont mis en grève pour Christian.

Pour ce qui est de la réception de la caméra dans la lutte, j’ai eu à cœur de leur montrer, en cours de route, une version très minimale du documentaire. Ils ont pu découvrir le ton, le regard que je posais en tant que réalisatrice sur leur lutte. J’ai l’impression que ça a été important pour eux, pour se saisir d’eux-mêmes comme sujets politiques, alors que jusque-là, certains se mettaient un peu en retrait, étaient très présents et combattifs mais n’osaient pas trop parler.

Ce documentaire raconte une victoire, ça en fait aussi un outil de mobilisation, une matière à penser, à gagner. Comment a-t-il été reçu lors des premières projections-débats ? 

C’est un film-outil qui donne de l’énergie, parce qu’on a peu de récits de victoires ouvrières si actuelles. Le film sort à peine deux mois après la bataille, avant qu’elle soit décantée. Ça permet de tirer des bilans, observer quels sont les outils pour maintenir la combativité, la caisse de grève, les discussions politiques au milieu de la bataille locale, ça rappelle le caractère général, le côté exemplaire. 

On a pu le constater lors des premières projections qu’on a faites, chaque séance amène des discussions politiques, sur la place de l’intervention de militants révolutionnaires, la question du plan de bataille, de comment accompagner, compléter l’outil qu’est la grève et qui ne suffit pas face à des multinationales qui ont les moyens de tenir très longtemps.

Ça a donné lieu à des discussions sur l’écologie aussi : Christian Porta a été invité à des conférences par les Soulèvements de la terre, par les Amis de la Terre, GreenPeace et XR ont été présents dans la lutte… C’est important de penser ces convergences entre syndicalistes et écolos face à un patronat qui réprime les deux, qui produit des pesticides, etc. Ce sont les deux faces de la même pièce. Ce documentaire a aussi vocation à accompagner la construction de nos rapports de force, à ne pas voir ces moments comme de simples alliances de circonstance. 

Qu’est-ce qui permet de croire que ce ne sont pas des alliances de circonstance, de penser de concert enjeux ouvriers et écolos ?

Les « écoles de guerre », pour reprendre Lénine, comme peuvent l’être ces luttes-là, sont exemplaires pour faire avancer ces alliances, les penser et qu’elles se pérennisent. C’est aussi batailler pour une stratégie à la hauteur face à la répression syndicale, à l’heure où il manque clairement d’un plan de bataille national sur ce terrain. Les espaces d’auto-organisation portés par les travailleurs en lutte ouvrent ces perspectives.

Quand on est face à des entreprises ultra polluantes, dans la catastrophe écologique mondiale qu’on est en train de vivre, les ouvriers sont les premiers à subir les conséquences. Ce sont eux qui vont se baigner dans les rivières où les entreprises déversent leurs déchets, eux qui respirent l’air pollué aux gaz toxiques rejeté par une raffinerie.

« L’enjeu écologique est totalement lié aux conditions de reprise des outils de production des mains des patrons »

Si on parle de la Moselle, énormément de travailleurs étaient il y a quarante ans dans les mines. Peu d’entre eux sont encore vivants, car ils ont attrapé des maladies liées au charbon. Les travailleurs ont tout intérêt à investir les questions écologiques. Et c’est dans les moments de lutte que ces questions peuvent être mises en avant. L’enjeu écologique est terminal, et totalement lié aux conditions de reprise des outils de production des mains des patrons, pour que ce soient les travailleurs eux-mêmes qui décident de ce qu’on produit et comment. 

L’alimentaire, c’est un tiers des émissions carbone dans le monde. Mais si on regarde produit par produit, les émissions sont très faibles. Dans un monde où les usines seraient expropriées des patrons et où la façon dont on produit serait décidée par les travailleurs, il y a pas mal de choses à inventer. La surproduction est colossale, non pas pour les besoins, mais pour les profits. Il serait possible de penser une production qui réponde aux besoins de la population.

La question du désastre environnemental, à la fin, est inextricable de la question de qui produit et pourquoi, et ça ne peut pas être un impensé des espaces écolos. La lutte des Neuhauser, les soutiens et alliances qui ont permis de gagner, permettent de poser ces questions politiques et stratégiques avec une victoire dans le rétroviseur. 


Pour voir « S’ils touchent à l’un d’entre nous » partout en France, le calendrier des projections est à retrouver ici.

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02.10.2024 à 10:23
Philippe Vion-Dury
Texte intégral (1089 mots)

Jusqu’ici assez anecdotique, l’écofascisme français trouve depuis quelques mois une place conséquentes dans les colonnes de Frontières – Livre noir. De quoi s’inquiéter ?


L’écofascisme français était jusqu’ici bien poussiéreux, à l’étroit dans la galaxie confidentielle d’une Nouvelle Droite que tout le monde a oubliée et la nébuleuse groupusculaire de collectifs extrémistes et d’instituts proposant d’obscures formations intellectuelles. Mais depuis quelques mois, la bouilloire commence doucement à frémir grâce au dernier né des médias d’extrême droite : Livre noir. Pardon, Frontières, puisque le trimestriel a récemment changé de nom et annoncé son ambition de devenir le « Mediapart de droite » en recrutant 25 journalistes à plein temps.

En l’espace de quelques mois, sous la plume du rédacteur en chef du journal Alexandre de Galzain, coucheur de vers antimodernes, les articles appelant la droite (extrême) à épouser enfin l’écologie se sont multipliés, allant jusqu’à proposer des conseils pratiques pour être écolo au quotidien. L’écologie serait le « devoir » de la droite qui doit faire le « choix de la cohérence ».

Sur Instagram, le journaliste y va avec moins de pincettes en affirmant qu’il « n’y a rien d’incompatible à lutter à la fois contre le grand remplacement et contre le grand réchauffement ». Renaud Camus, théoricien à qui revient la paternité de ce concept complotiste, a donc trouvé une filiation dans la nouvelle garde de l’extrême droite.

Le logiciel écofasciste

Aucun ingrédient de l’écofascisme version européenne ne manque :

👉 un éloge de la frontière qui permet de lier communauté nationale (hermétique et homogène) et écosystème naturel ;

👉 une mixophobie ethno-différentialiste qui ne hiérarchise pas les races mais valorise leur multiplicité… pour mieux les séparer en rejetant tout mélange ou cosmopolitisme ;

👉 un révisionnisme écologique prétendant que l’écologie serait historiquement de droite ;

👉 un essentialisme passant par un éloge confus de l’identité, de l’enracinement, de l’harmonie avec la nature (et donc les orientations sexuelles supposées naturelles, ou la division genrée des hommes et des femmes selon un modèle traditionnel) ;

👉 un refus du développement économique et industriel qui se traduit par l’artificialisation des campagnes, leur défiguration, le remplacement du clocher par le supermarché (ou pire, par la mosquée).

On sent planer l’ombre de l’influenceur d’extrême droite Julien Rochedy qui a eu droit à un entretien écrit mais aussi filmé sur la chaîne YouTube du média pour défendre son idée de « biocivilisation ». L’« intellectuel » y dénonce là encore confusément les ravages d’un capitalisme qu’il peine à définir, d’une gauche qui aurait « du flair mais pas de goût », et prône un retour à de petites communautés homogènes, traditionnelles, dans le respect de la « nature ».


Un nouveau challenger dans l’arène

On rappelle que la récupération de l’écologie par la droite suit trois logiques différentes voire concurrentes :

🚀 l’option technolutionniste adhère à l’impératif écologique en intégrant la nécessité d’une décarbonation du capitalisme, qu’elle entend parachever grâce à l’innovation ;

🛢 l’option carbofasciste rejette le constat écologique en le niant ou en le minimisant, et valorise au contraire l’impérialisme, l’extractivisme, les modes de production et de consommation écocidaires (« drill baby drill ! ») ;

⚜ l’option écofasciste, enfin, revendique l’écologie elle-même en la fondant dans une logique anti-moderne, localiste et xénophobe.

Faut-il s’inquiéter de cette poussée de l’écofascisme ? Il est vrai qu’elle n’avait jusqu’ici presque aucun relais médiatique et donc peu de visibilité ou de poids dans la bataille qui se joue pour le sens à donner au mot « écologie ». Voir un média montant et des influenceurs en vue s’en emparer ne peut pas être accueilli par un haussement d’épaule. Cette poussée signifie l’ouverture d’un nouveau front pour l’écologie sociale : en plus de combattre la dilution du mot écologie dans la novlangue technocratique, elle va devoir maintenant apprendre à combattre le « coucou » écofasciste qui vient s’installer dans son nid.

De là à penser que l’écofascisme puisse, à court ou même moyen terme, peser réellement politiquement, il y a un grand pas qu’on se gardera bien de franchir.

Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, on vous recommande la lecture de La tentation écofasciste de Pierre Madelin et Ecofascismes d’Antoine Dubiau !

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