flux Ecologie

Le média des combats écologiques

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21.03.2024 à 14:18
Fracas Media
Texte intégral (1286 mots)

Bonjour à toutes et à tous,

Aujourd’hui, on vous en dit (enfin) plus sur la manière dont vous allez pouvoir soutenir Fracas !

Petit flashback : il y a cinq mois, on se retrouvait tous les trois à Belleville, dans le sous-sol d’une pizzeria à l’hygiène douteuse pour se raconter nos vies – comment ça va la famille, et toi tu vas faire quoi maintenant… et s’avouer finalement notre envie de rebosser ensemble et fonder le ✨média écolo de nos rêves ✨!

Depuis, il y a eu deux mois de « nous entre nous », puis trois mois de « vous avec nous ». Trois mois au cours desquels vous nous avez soutenus, encouragés, conseillés.  « Vous », c’est plus de 5000 futur·es lecteur·ices à suivre nos aventures via nos différents canaux – et c’est fou. 

On ne vous remerciera jamais assez : on avait de l’énergie à revendre, mais sans vous, on aurait déjà lâché la rampe. Maintenant, une étape de taille nous attend : mettre Fracas à flots. ⛵

Notre ambition est de faire tourner un média tout en restant indépendant, de payer dignement tout le monde et de porter haut la conviction qu’il va falloir se battre collectivement pour faire advenir une autre société. Et pour ça, nous aurons besoin de votre soutien, y compris financier.

La campagne de précommandes que nous nous apprêtons à lancer va être décisive : elle va nous permettre de récolter les fonds nécessaires à cette aventure. On ne vous en dit pas trop, pour garder quelques surprises en réserve, mais vous allez pouvoir acheter le premier numéro et vous abonner à Fracas(le must).

Cet argent permettra de financer le premier magazine, les suivants aussi on l’espère, et même ce bimédia qu’on imagine avec des productions vidéo gratuites.

Oui, vous l’avez déjà entendu : une presse indépendante et de qualité, ça coûte cher à produire. Cher, ça veut dire combien ? Difficile de répondre simplement. Par exemple, sortir ce premier numéro va nous coûter entre 30 et 40 000 euros, lorsqu’on additionne le papier, l’impression, la diffusion-distribution, le salaire des journalistes, des illustrateur·ices, etc. 

Mais ça, c’est bien sûr sans se payer nous, sans prendre en compte les frais de compta, le loyer de notre petit bureau, les coûts techniques en tout genre, le budget communication, etc.

Lancer Fracas, ça coûte combien alors ? Si on ajoute à ce premier numéro tout ce qu’on a dépensé pour le lancement, on approche déjà les 70 000 euros ! Eh oui, bien faire les choses ça coûte cher également : on avait besoin d’un accompagnement marketing, sur la com’, sur la stratégie de campagne, sur le montage de la structure coopérative, de payer des services en tous genres (envois de mails, hébergeur, développement du site internet…).
 

Une fois le premier numéro sorti, encore faut-il en faire un second, puis un troisième… bref : faire tourner une rédaction, avec des salariés (dont nous !), des capacités d’investissements, de la vidéo, et travailler moins de 60 h par semaine d’ici quelques mois.

La règle économique est implacable : plus vous serez nombreux à vous abonner et à nous soutenir, plus nous ferons des économies d’échelle et seront en capacité de fabriquer des contenus réfléchis, exigeants et originaux, d’un point de vue éditorial comme graphique, de faire de la vidéo… de mener, à notre manière et à notre mesure, le combat pour une société écologique !

Convaincu·es ? Alors tenez-vous prêt, on annonce bientôt le top départ.  

À très vite ! 

Philippe, Marine et Clément

PS : si vous n’est pas déjà tombé·es dessus, on vous invite à aller voir nos deux petits teasers (ici et ) qui ont été postés récemment et dont on est très fier·es. D’autres arrivent dans les prochains jours, donc abonnez-vous à notre chaîne Youtube ou à notre compte Instagram pour ne pas les louper !

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07.03.2024 à 16:49
Fracas Media
Texte intégral (1983 mots)

Au programme de cette newsletter, on vous parle d’un point qui est selon nous fondamental : la nécessité d’offrir un espace de débats et de discussions entre les différentes sensibilités de l’écologie.

Mais avant de commencer, on voulait dire un grand merci   à toutes celles et ceux qui ont donné de leur temps pour remplir notre petit questionnaire. Toutes vos réponses (et messages d’encouragement !) nous aident énormément à cerner vos attentes et à bâtir pas à pas le futur média de nosvos rêves. Pour celles et ceux qui n’auraient pas encore eu le temps de répondre, c’est bien sûr toujours possible…

Voici donc une petite mise au point sur le rôle que Fracas entend jouer en tant que média utile aux combats écologiques.

Doit-on avoir peur du dissensus ? Nous pensons que non. Nous pensons que le dissensus est inséparable de la pratique démocratique et qu’à l’inverse, la recherche du consensus est fondée sur la croyance que les institutions démocratiques sont neutres et impartiales – ce qui n’est, bien sûr, pas le cas. Comme le « dialogue social », le « compromis » ou le « statu quo », le « consensus », est aujourd’hui l’une des armes rhétoriques préférées de l’extrême-centrepour imposer l’ordre néolibéral et « traiter » les contestations populaires qui le menacent. Par l’argument du « consensus », toute idée politique qui sortirait d’un cadre préalablement fixé – en l’occurrence, celui de la préservation des intérêts de la classe bourgeoise – se retrouve irrévocablement disqualifiée.

Nous pensons que l’un des premiers exercices d’hygiène démocratique consiste au contraire à accepter et organiser le conflit. Que la démocratie n’est rien d’autre que la pratique par laquelle les citoyens révèlent leurs opinions, convictions et intérêts divergents, et cherchent à arbitrer le dissensus. Pas seulement par le vote : aussi par d’autres pratiques comme la manifestation ou la désobéissance civile. Une démocratie digne de ce nom doit donner en permanence la possibilité d’un affrontement politique, blocs contre blocs, et aménager un espace pour le faire.

Heureusement donc, le mouvement écologique a fini par abandonner ses illusions consensuelles ces dernières années, et a compris plusieurs choses : 

  • ♀ Que si les gouvernements n’agissent pas, ce n’est pas qu’ils ont mal lu les rapports du Giec ;
  • Que l’écologie ne peut s’inscrire que dans un rapport conflictuel entre classes sociales ;
  • Que les plus riches ont des comptes à rendre.

Mais qu’en est-il du dissensus à l’intérieur de l’écologie ? Nous l’avons affirmé dès notre manifeste publié en janvier : l’écologie n’a rien d’un bloc homogène et la diversité des pensées qui s’y rattachent est précieuse. Mais elle a, aussi, tout à perdre au morcellement, aux querelles de chapelle et aux luttes intestines.

Nous sommes convaincus qu’il faut organiser le débat entre celles et ceux qui se revendiquent comme écolos, mettre au jour les pommes de discorde qui nous fragmentent et nous dispersent. Certaines resteront insolubles, mais nous sommes persuadés que la plupart sont surmontables, voire fertiles.

C’est sans doute ce qu’un média a de plus utile à offrir : un espace de dissensus fertile . Rapport à l’État, à la technique, au naturalisme, au genre, à l’histoire coloniale, à la collectivisation, aux stratégies de prise du pouvoir, aux tactiques de résistance… Tous ces sujets peuvent se révéler clivants, mais identifier les fossés est aussi ce qui permet d’y jeter des passerelles.

Nous voulons créer, avec Fracas, cet espace grâce auxquels les lecteur·ices, témoins ou protagonistes de ces échanges, interprètes de ces mots d’ordre, tranchent et se positionnent, s’inquiètent des angles morts ou s’enthousiasment des vides comblés par la découverte d’une nouvelle idée ou de tel·le auteur·ice, se donnent de l’élan pour poursuivre certains combats et en amorcer de nouveaux.

Cet espace doit être ouvert au-delà de l’écologie. C’est en puisant dans différentes références, idées, perspectives et vécus que l’écologie sera en mesure de proposer des pistes inédites et fécondes pour penser le monde et accompagner les alliances sociales résolues à le changer.

Si cet espace doit être ouvert : jusqu’où ? Ça ne vous a pas échappé, l’écologie est aujourd’hui sur toutes les lèvresdans toutes les têtes. Il s’agit donc de délimiter notre espace de débats.

Selon André Gorz, l’écologie politique est une éthique de la libération… forcément anticapitaliste : « Je ne dirais donc pas qu’il y a une morale de l’écologie, écrivait le philosophe dans son livre Écologica (Galilée, 2008), mais plutôt que l’exigence éthique d’émancipation du sujet implique la critique théorique et pratique du capitalisme, de laquelle l’écologie politique est une dimension essentielle. […] Si tu pars, en revanche, de l’impératif écologique, tu peux aussi bien arriver à un anticapitalisme radical qu’à un pétainisme vert, à un écofascisme ou à un communautarisme naturaliste. »

✊ Pas la peine de se cacher derrière son petit doigt : l’écologie dont nous nous réclamons est populaire, féministe, décoloniale et anticapitaliste. L’espace de débat que nous souhaitons créer ne sera donc pas ouvert à cette écologie mainstream comme l’appellent certains, écologie vulgaire comme d’autres la désignent, qui n’en finit pas d’avancer par reptation. Quand elle ne tente pas d’inoculer le poison de la résignation, elle écarte sans ménagement toute possibilité et toute revendication qui pourrait contrevenir, directement ou indirectement, à la conservation de l’économie capitaliste. Si elle joue le jeu des « divisions qu’il faut dépasser » et du « réalisme », c’est pour gagner du temps et faire en sorte que fondamentalement, rien ne change.

C’est sûrement le moment d’en dire un peu plus sur nous, car Fracas n’est pas un bloc monolithique : en interne aussi, il y a chez nous de nombreux débats, voire désaccords prises de tête.

Si on s’intéresse à Philippe, par exemple, sa trajectoire idéologique manque de consistance est super intéressante. Il est arrivé à l’écologie par les auteurs technocritiques et libertaires, comme Murray Bookchin, Jacques Ellul, et Bernard Charbonneau. Il engueule d’ailleurs souvent Clément pour son ça-va-pétismebolchévisme atavique dès qu’un mouvement social, aussi minuscule soit-il, se déclare.

Clément, maintenant, est beaucoup plus charpenté idéologiquement un peu limité dans ses référencesPlus malin et plus drôle aussi. Passionné par l’histoire ouvrière et la sociologie du travail, il est arrivé à l’écologie par des penseurs écosocialistes et marxistes, comme André Gorz ou Razmig Keucheyan. Il engueule de temps en temps Philippe pour sa niaiserie sensiblerie naturaliste.

Marine, enfin, est directrice artistique : elle ne lit donc que des livres de typographie et sait à peine écrire et parler a une répartie corrosive. Elle est fan de Cyril Céline Dion et veut convertir le mouvement écolo au Beyoncisme. Elle engueule Philippe et Clément sur quelques à peu près tous les sujets pour accompagner leur déconstruction.

Merci de nous avoir lu jusqu’ici, et à très vite ! 

Philippe, Marine et Clément 

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22.02.2024 à 14:11
Fracas Media
Texte intégral (1614 mots)

Bonjour à toutes et à tous !

Ces derniers temps, une remarque nous a souvent été faite : qu’est-ce que Fracas va apporter de plus, en tant que média écolo ? On a donc décidé de vous raconter notre cheminement et de vous en dire plus sur cette voix unique que nous comptons porter.

Mais avant ça, si vous avez un petit moment à nous accorder, nous vous invitons à remplir ce questionnaire qui va nous permettre de comprendre au mieux vos besoins et attentes en tant que lecteur·ices.

Pour nous, une brèche s’est ouverte il y a un peu moins d’un an. Le 25 mars 2023, alors que la famille écologiste s’était donné rendez-vous au grand complet à Sainte-Soline, les manifestant·es présent·es ont pu faire l’expérience directe, dans leur chair, de la violence d’État.

Cet épisode marque selon nous un tournant :

Pour le mouvement écologiste dans sa grande diversité tout d’abord, qui a pu se rendre compte que la répression pouvait frapper ses membres indistinctement, de l’élue Europe Écologie-Les Verts au militant anticapitaliste. Sainte-Soline a rendu manifeste (pour ceux qui en doutaient encore) le jusqu’au-boutisme de l’État néolibéral et la brutalité dont il est capable lorsque les intérêts économiques auxquels il est inféodé lui apparaissent menacés ;

Pour notre rôle en tant que journalistes ensuite. Nous étions alors au magazine Socialter et nous y défendions une ligne éditoriale destinée à faire progresser l’écologie dans les consciences, à documenter patiemment les enjeux écologiques et à imaginer les contours de la bifurcation… Il y a eu aussi pour nous un avant et un après Sainte-Soline, car cet événement nous a amenés à reconsidérer notre position vis-à-vis du mouvement social et écologique auquel nous nous sentions appartenir, et à nous poser un certain nombre de questions.

Notamment celle-ci : à quoi ressemblerait un média utile aux combats écologiques ? Utile à celles et ceux qui attendent la poussée décisive pour se mobiliser ; à celles et ceux qui se sentent démunie·es face à l’ampleur de la tâche ; à celles et ceux qui se démènent déjà pour faire émerger, à leur échelle, une société plus écologique ; à celles et ceux qui prennent toujours plus de risques en s’opposant aux projets et aux politiques écocidaires ; utile à celles et ceux qui ont un plan, qui s’organisent, qui désertent leur emploi fossile et leur cage dorée de La Défense ? Bref : à quoi ressemblerait un média utile aux nôtres ? À quoi doit ressembler Fracas ?

Notre conviction est que notre média doit d’abord œuvrer à la diffusion d’idées et à la formation politique de ses lecteur·ices. Alors que la grande lessiveuse médiatique poursuit inlassablement son travail d’occultation des luttes passées et de neutralisation de celles en cours, nous pensons qu’il est plus que jamais nécessaire de faire connaître l’histoire de ces combats et propager les idées de celles et ceux qui les portent.

Faire front commun, c’est aussi partager un langage et des références. La pensée écologique est riche de trajectoires militantes, de débats philosophiques, de traditions politiques (écoféminismes, technocritiques, écosocialisme, municipalisme libertaire, écologies décoloniales, etc.) que nous nous proposons, en tant que journalistes écolo, de rendre accessible et de faire vivre. Ce travail, nous comptons le mener à travers des articles qui ne cèdent à aucun dogmatisme, et dont le but n’est pas de conforter les lecteur·ices dans leurs certitudes, mais de consolider leur esprit critique, de les armer intellectuellement et politiquement.

Chacune et chacun doit pouvoir trouver son chemin et sa place dans la lutte contre le capitalisme. Nous avons envie de proposer un aiguillage qui offre la possibilité de s’engager dans différentes voies, mais aussi un espace où les courants de l’écologie pourront se confronter et débattre. Nous pensons que la complémentarité des stratégies (résister, déserter, démanteler, saboter, détourner, etc.) est une force pour le mouvement écolo.

Nous avons pu constater sur le terrain la diversité des modes d’action, resquilles et tactiques pour organiser et faire connaître une lutte, déjouer ou se défendre face à la répression. Cet ensemble de savoirs forme une boîte à outils qu’il faut mettre à la portée du plus grand nombre afin que chacune et chacun puisse se l’approprier.

Nous publierons des articles illustrant cet esprit de débrouille, ces méthodes et ces faits d’arme qui aménagent des espaces de solidarité et forment aussi, il faut le dire, la partie attachante, collective et sensible des combats que nous souhaitons épauler.

Nous en avons conscience : s’informer peut user le moral – surtout en ce moment. Ce qui ne veut pas dire qu’un média doit s’efforcer de produire en continu de l’information « positive » et faire du « journalisme de solutions » pour couvrir le grincement des mauvaises nouvelles.

En fait, on a tout simplement besoin de se marrer, de faire rimer subversion avec joie. Nous pensons que l’allégresse arrachée par les temps qui courent est précieuse, et doit nous permettre de rêver la société et le monde autres qu’ils ne sont aujourd’hui. Que l’euphorie commune, le plaisir partagé sont les meilleurs remèdes à la démobilisation. Que le rire est une puissante arme politique : comme l’écrivait Umberto Eco, « le rire libère le vilain de la peur du diable […]. Quand il rit, tandis que le vin gargouille dans sa gorge, le vilain se sent le maître, car il a renversé le rapport de domination. »

Autant dire que dans Fracas, la satire, la vanne et le détournement seront aussi au rendez-vous.

C’est le média dont nous rêvons, et nous comptons sur vous pour l’aider à voir le jour. Donc n’oubliez pas de répondre à notre questionnaire (ça nous aide beaucoup) et à parler de Fracas autour de vous !

Merci de nous avoir lus jusqu’ici et à très vite ,

Philippe, Marine et Clément

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08.02.2024 à 10:50
Fracas Media
Texte intégral (2744 mots)

Chères lectrices, chers lecteurs,

Au programme de cette newsletter, on vous raconte pourquoi on a décidé de se constituer en coopérative, et on vous en dit plus sur ce modèle et pourquoi il assure notre indépendance. 

Mais d’abord, on voulait vous dire merci pour toutes les réponses et les encouragements à notre petit sondage (anonymisé, donc on ne pourra pas vous répondre !). Ce genre de retours est super important pour nous ! 

D’ailleurs, de quel sujet avez-vous envie qu’on parle dans la prochaine newsletter ? On a quelques propositions (et ça prend 30 secondes)

Les médias en coopérative, c’est comme les poissons volants : il en existe, mais ils ne constituent pas la majorité du genre. Alors, pourquoi cette idée de fonder une coopérative, plus précisément une « Scop » ? Parce que c’est un modèle auquel on croit à fond. Et parce qu’il faut bien, tant qu’on peut, essayer de mettre en œuvre les principes sociaux et politiques auxquels on aspire.

« Scop », ça veut dire « Société coopérative de production ». On est tous les trois pétris de cet idéal d’auto-organisation des travailleuses et travailleurs, notamment après avoir découvert l’histoire de Lip, lu des livres sur le vaste mouvement coopératif qui a parcouru le XXe siècle, défendu une écologie fondée les communs… C’est simple : la richesse est produite en commun, sa répartition doit être décidée en commun.

« Coopérative », ça veut dire que le pouvoir est partagé et pas concentré. Nous avons chacun et chacune été vaccinés par le modèle de l’entreprise classique, même la petite TPE/PME « familiale », dont les défauts sont largement documentés : des patrons-actionnaires paternalistes qui décident dans leur coin, sans aucune transparence, souvent contre les intérêts des salariés, parfois même contre les intérêts de leur propre boîte.

Ceci dit, on aurait pu vouloir devenir nous-mêmes des « patrons de gauche », mais on craignait que ce soit un mirage dangereux. Le patron de gauche finit en général par devenir un cauchemar managérial, s’aligner sur la logique capitaliste qu’il prétend combattre, exiger des salariés qu’ils s’auto-exploitent et acceptent des conditions de travail physiquement et psychiquement dégradées au nom de valeurs et de combats partagés, d’un « métier passion ». Bref, trouver des excuses à la violence du capital envers le travail.

En ce qui nous concerne, nous refusons de nous en remettre à la chance ou au hasard : comme pour l’écologie, c’est au niveau des structures que beaucoup de choses se jouent !

Alors OK, il y a aussi des coopératives qui n’ont de « coopératif » que le nom, et qui ont elles aussi de sacrés états de service en termes de pratiques répugnantes. Et il y a aussi des boîtes qui ne sont pas coopératives à proprement parler et qui réussissent à respecter leurs salarié·es – mais on ne va pas vous refaire la blague sur les poissons volants.

Chez Fracas, ce dont on ne voulait pas, ce n’est pas seulement d’un patron :aucun de nous ne voulait non plus être le patron des autres. En partie aussi parce qu’on veut pouvoir continuer à boire des coups ensemble sans se faire des sourires de faux-cul.

Notre but est donc de mettre en place des structures stables, saines, transparentes, pour partager la décision entre nos salariés, privilégier le développement d’un média au service de ses idées, et rendre des comptes à nos lectrices et lecteurs.

 Égalité. Dans une coopérative, chaque salarié·e peut, une fois acquise une certaine ancienneté (un ou deux ans généralement), devenir sociétaire et posséder une part de l’entreprise, participer aux décisions suivant le principe : une personne = une voix. Que vous ayez dix parts ou une, c’est toujours une seule voix. Ce qui ne veut pas dire que toute hiérarchie est abolie : les dirigeants sont juste des salariés comme les autres

 Indépendance. Une Scop est détenue par les travailleuses et travailleurs et, pour garantir cela, les actionnaires extérieurs sont autorisés (toujours selon le principe un actionnaire = une seule voix), mais ne peuvent détenir plus de 35% des droits de vote et 49% du capital social. En dernier ressort, les salarié·es décideront toujours de l’avenir du média.

 Transparence. C’est aussi un modèle qui garantit la transparence de la gestion de l’entreprise : l’assemblée de coopérateurs vote les comptes et décide de la répartition des bénéfices. La discussion y est permanente et ça, ça nous plaît beaucoup. Nous, on s’engage aussi à présenter nos résultats et nos choix stratégiques de manière pédagogique aux lectrices et lecteurs.

 Lucrativité limitée. C’est enfin une entreprise qui n’est pas fondée sur la recherche du profit individuel, mais sur une réussite économique collective. Ça veut par exemple dire qu’on ne peut pas pas faire de plus-value en cas de revente des parts, et nous avons fixé à 75% la part des bénéfices qui est réinvestie dans la coopérative (le maximum légal). Vous vous doutez bien qu’en fondant un média, le but ce n’était pas de nous en mettre plein les fouilles pour refourguer la boîte dans cinq ans à un grand groupe de presse, et acheter avec notre petit pactole une résidence secondaire au Touquet. Eh bien, avec la coopérative, vous n’avez pas à nous croire sur parole, parce que c’est juste impossible – une garantie de plus.

P.S. : Il faut savoir qu’au départ, on avait d’abord penché en faveur de la Société coopérative d’intérêt collectif (Scic), mais pour plein de raisons techniques, on a décidé d’y renoncer dans un premier temps. Si ça vous intéresse, écrivez-nous et on vous en dit plus : redaction@fracasmedia.fr !

Concrètement, on finalise en ce moment l’écriture des statuts de notre petite Scop qui compte (pour l’heure) trois associés, en espérant qu’elle s’enrichisse très vite de nouveaux sociétaires si notre lancement au printemps nous permet des embauches. Ça veut dire qu’on ne va pas tarder à aller voir la banque et lui demander de nous ouvrir un compte, avant de publier une annonce légale de création d’entreprise.

En réalité, ce n’est pas tant le modèle Scop qui est vraiment compliqué à maîtriser que le lancement d’une entreprise plus généralement. Le monde coopératif, qui est mine de rien très vivace en France, a plein d’outils et de structures pour conseiller, donner des formations, doter la structure d’outils de financements… (On est accompagné là-dessus par l’UR Scop.)

Et il y a aussi plein de gens de bonne volonté toujours prêts à partager leur expérience de média coopératif et à prendre une heure au téléphone ! Donc merci entre autres à Jérémy Dousson d’Alternatives Économiques (dont on vous recommande ce super entretien si le sujet vous intéresse), à David Eloy, directeur de l’Ecole des métiers de l’information (EMI) et à Nicolas Loubet de la Coop des Milieux !

Si vous voulez en savoir plus, lisez cet article qui vient d’être publié sur la newsletter de Médianes (le studio qui nous épaule dans la création de Fracas ! ). La journaliste Marine Slavitch nous a interrogé sur le modèle Scop et sur la manière dont on le met en place pas à pas.

Avant de conclure, on a un petit conseil de lecture !

À trop accepter comme évidence le constat des limites planétaires, les écologistes ne se sont-ils pas aveuglés sur les capacités du capitalisme à tirer parti de la situation ? Loin d’être une limite insurmontable, la catastrophe écologique peut être parfaitement planifiée par l’industrie fossile pour relancer la croissance des profits en organisant une décroissance des ressources, un sabotage économique à l’échelle planétaire. C’est ce que démontre l’économiste Vincent Ortiz, rédacteur en chef adjoint du média Le Vent se Lève, dans son ouvrage L’ère de la pénurie. Capitalisme de rente, sabotage et limites planétaires. Retrouvez quelques bonnes feuilles sur le site de Fracas !

On vous en recommande la lecture à bien des égards, mais surtout en ce qu’il rappelle que le capitalisme fossile ne sera pas abattu par une quelconque loi de l’histoire ou contradiction interne à son développement, mais bien par la lutte collective ! 

Allez, un dernier rappel de notre agenda hebdo et des prochains mois, puis on vous laisse filer !

Merci de nous avoir lus jusqu’ici, pensez à parler de Fracas autour de vous d’ici la campagne, et n’hésitez pas à nous écrire (redaction@fracasmedia.fr).

À très vite !

Philippe, Marine et Clément


Histoire de vous occuper un peu d’ici la campagne de préventes, voici un petit récap’ de nos rendez-vous chaque semaine.

 Mardi : une fiche de lecture sur Instagram et LinkedIn

 Jeudi (une semaine sur deux) : une newsletter sur nos coulisses

 Vendredi : notre débrief politique de la semaine sur Telegram.


Au printemps

Nous sommes en train de tout mettre en place pour démarrer une campagne de pré-abonnement et de préventes pour le mois d’avril. C’est beaucoup de travail : un site, une stratégie, des choses à dire et surtout des choses à vous montrer… Ce sera un moment très important pour le média, et la clef de sa réussite : on aura besoin de vous !

À l’été 

Si la campagne a répondu à nos attentes, ce sera le moment du montage du média : embauches, trouver des locaux, remplir les différents dossiers, régler les détails de la diffusion, de la gestion des stocks, trouver des financement supplémentaires… Et surtout : finir de concevoir, réaliser et boucler le premier numéro de 132 pages !

La rentrée de septembre 

Tadam, sortie du numéro en fanfare, invitations à la matinale de France Inter, apéro géant dans une mégabassine, combat de MMA avec Patrick Pouyanné… on ne rêve jamais assez grand !

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08.02.2024 à 08:21
Fracas Media
Texte intégral (2597 mots)

À trop accepter comme évidence le constat des limites planétaires, la pression toujours accrue sur les ressources et les milieux, ou les truismes théoriques du type « pas de croissance infinie dans un monde fini », les écologistes ne se sont-ils pas aveuglés ? N’en sont-ils pas arrivés à pécher par naïveté et ne plus voir que l’épuisement des ressources, loin d’être une limite insurmontable pour le capitalisme, peut être parfaitement organisé par lui, planifié, naturalisé ? Faut-il d’ailleurs parler de naïveté, ou bien d’un néo-malthusiannisme latent depuis les années 1970, qui prend corps aujourd’hui dans les divers courants « effondristes » mais aussi dans cette écologie technocratique qui se structure à bas bruit dans les cabinets gouvernementaux ?


L’ère de la pénurie, de l’économiste Vincent Ortiz, quoique polémique par certains aspects, a cet immense intérêt de nous rappeler que la croissance des profits peut parfaitement s’accommoder de la décroissance des ressources, et que le XXIe siècle pourrait être celui d’un « sabotage stratégique » planétaire organisé par le capitalisme du désastre.

Nous publions ici quelques bonnes feuilles extraites de l’introduction du livre.


« C’est la fin de l’abondance », « nous avons vécu au-dessus de nos moyens », « il faut revenir à un mode de vie plus austère » : l’espace médiatique est saturé de tels slogans. S’ils émanent généralement d’économistes libéraux, leurs affinités électives avec une fraction bien particulière de l’écologie ne cessent de s’accroître. Les deux ne vivant pas en vase clos, des hybridations multiples se sont produites. De ces accouplements contre nature, un embryon d’idéologie est né. Balbutiante, contradictoire, elle se limite souvent à des expressions creuses. Mais la montée des préoccupations environnementales aidant, elle a pris une importance croissante.

« Il faut que la population accepte de faire des efforts pour les générations futures », « il faut s’adapter aux limites (du marché ou de la planète) imposées à l’économie », « il faut que la volonté politique se plie à l’avis des experts et non au bon vouloir de l’opinion » : ces injonctions sont-elles écologistes ou néolibérales ? Imposition de sacrifices contre insouciance consumériste. Adaptation aux limites contre irrationalité économique. Expertise technocratique contre souveraineté sans bornes. La proximité des imaginaires interroge.

D’un certain point de vue, l’intérêt pour la finitude des ressources est tombé à point nommé. Il a émergé dans les années 1970, alors que le capitalisme entamait sa mue néolibérale. Les groupes économiques dominants retrouvaient leur puissance perdue, tandis que les pétroliers se livraient à un « sabotage » intense, restreignant leur production pour faire grimper les prix. Mais dans « l’esprit du temps », cette pénurie artificielle se confondait avec une autre : la raréfaction géologique du pétrole dont le pic de production commençait à être mis en évidence.

Plus largement, une fraction élitaire et médiatique de la mouvance écologiste, structurée autour du Club de Rome, soulevait la thématique des « limites de la croissance » : à trop piller la terre, on l’évidait de ses ressources. Ces « limites de la croissance », les sociétés occidentales allaient les expérimenter dans la douleur, sous la forme de la récession générée par leur conversion au néolibéralisme (1). Le Club de Rome portait une critique du consumérisme – que la stagnation du niveau de vie allait se charger de brider. Il portait une critique du productivisme – quand la désindustrialisation qui frappait le « premier monde » mettait à mal son appareil productif. Ruse de la raison néolibérale ? Une partie de la critique écologiste du capitalisme semblait justifier son évolution vers un régime plus favorable encore aux classes supérieures.

Le néolibéralisme face à l’écologie : répression, récupération, incorporation

Toute la mouvance écologiste ne se laissait pas instrumentaliser de cette manière. Lorsqu’elle émerge, elle représente une menace frontale pour les pouvoirs institués. L’ampleur de la dévastation des écosystèmes, de la déprédation des sols et de la dégradation climatique qu’elle met en évidence semble établir la nocivité du système dominant. En 1974, dans la ville mexicaine de Cocoyoc, une conférence de l’ONU condamne le libre-échange et l’impérialisme pour leur impact environnemental sous la pression des pays du Sud. Le Nord n’allait pas tarder à répondre. Mais au Nord même, l’écologie ouvrait la voie à des contestations multiformes.

Pour endiguer cette vague, deux stratégies étaient déployées par les élites dirigeantes : la répression et la récupération. D’importants moyens étaient alloués à la promotion de thèses climato-sceptiques et à la lutte policière et judiciaire contre les mouvements écologistes. Dans le même temps, on s’affairait à nuancer leur radicalité, à euphémiser leurs constats et à adoucir leurs revendications politiques ; en d’autres termes, on tentait de les récupérer pour faire exister une « écologie de marché », où le greenwashing était roi.

Non sans succès. Le contexte de la chute du Mur de Berlin aidant, les écologistes qui contestaient frontalement le cadre néolibéral étaient cantonnés à la marginalité. Ceux qui l’acceptaient et multipliaient les participations aux gouvernements étaient utilisés par ceux-ci pour ripoliner de vert leur inaction climatique. Les entreprises de répression et de récupération portaient leurs fruits.

Les mêmes multinationales pétrolières qui ont déployé des efforts colossaux pour nier leur rôle dans le réchauffement climatique ont pu contribuer à propager l’idée d’une pénurie imminente de pétrole.

C’est à une troisième réaction élitaire que l’on s’intéressera, plus diffuse que les deux précédentes, et largement inconsciente : l’incorporation de l’écologie politique. Elle a consisté non pas à édulcorer l’écologie pour l’acclimater à l’ordre néolibéral émergent, mais au contraire à utiliser sa radicalité comme matrice de transition vers ce nouveau régime. Non pas à minimiser les effets de la catastrophe environnementale, mais à les brandir pour s’attaquer au vieux modèle keynésien, étatiste, productiviste. Le néolibéralisme allait s’appuyer sur l’imaginaire de pénurie qu’il trouvait dans une certaine écologie pour naturaliser celle qu’il générait.

Aussi les gagnants de cette nouvelle donne économique ont-ils entretenu un rapport ambivalent à l’écologie. Les mêmes multinationales pétrolières qui ont déployé des efforts colossaux pour nier leur rôle dans le réchauffement climatique ont pu contribuer à propager l’idée d’une pénurie imminente de pétrole. Les pouvoirs économiques, qui ferment les yeux sur le franchissement des frontières planétaires (accroissement des émissions de CO2, acidification des océans, destruction de la biodiversité, etc.), ne rechignent pas à alerter sur le dépassement des limites planétaires (c’est-à-dire sur l’épuisement du stock disponible de matières premières). Répression et incorporation des revendications écologistes pouvaient parfaitement coexister.

Pour comprendre ce dernier processus, il faut se pencher sur cette frange de l’écologie politique issue du Club de Rome. Influente dans les années 1970, elle devient plus souterraine par la suite, avant de connaître un retour en force plus récent – via la « collapsologie », certains courants « décroissants » ou du simple fait de la sensibilité accrue à l’épuisement des ressources.

Sans volonté polémique, on qualifiera cette frange de néo-malthusienne en ce qu’elle est l’héritière lointaine de Thomas Malthus (1766‑1834) et de sa conception de la finitude des ressources, supposée se heurter au mirage d’une croissance infinie, tant économique que démographique (2). Ses présupposés sont physicalistes : prenant pour acquis que tous les acteurs cherchent à maximiser la production, celle-ci est réduite à un ensemble de caractéristiques énergétiques et physiques, dont les limites naturelles sont pointées du doigt. Les limites artificielles de la production, imposées par le « sabotage » veblénien [créer délibérément de la rareté au sein de l’abondance pour préserver l’accumulation des profits, ndlr], d’ordre économique et social, sont ignorées. Pourtant crucial, le degré intermédiaire entre la disponibilité physique des ressources et leur mise sur le marché est déconsidéré. L’environnement se substitue aux rapports sociaux comme acteur central. Ainsi, la hausse du prix des matières premières est interprétée à travers le prisme de leur raréfaction physique, et non du rationnement imposé par ses détenteurs.

Sensibles aux limites physiques de la planète, ils sont aveugles aux limites que le système économique dominant impose à la production.

Les implications de cette écologie néo-malthusienne sont adaptationnistes : confrontée à une nouvelle donne environnementale, la société doit s’y adapter en bloc – sa survie en dépend. Les antagonismes qui la fracturent sont gommés ou édulcorés, lorsqu’ils ne sont pas interprétés de travers : tout le monde n’est-il pas concerné par la crise écologique ? Que certains groupes puissent profiter de la dévastation environnementale et générer des pénuries artificielles est étranger à l’écologie néo-malthusienne.

Aussi la radicalité théorique de cette frange de l’écologie ne se double-t-elle pas nécessairement d’une radicalité politique à due proportion. Bien au contraire. Et c’est ce paradoxe que l’on cherchera à élucider.

Limites planétaires et limites du système productif

Comprendre la fonction idéologique de cette écologie néo-malthusienne implique de garder à l’esprit l’appartenance sociale de ses promoteurs et de ses destinataires. La « classe professionnelle », constituée de la frange supérieure du salariat, y est surreprésentée (3). Plus diplômés que la moyenne, ses membres mesurent toute l’ampleur de la crise environnementale. Mais à l’écart des moyens de production et du travail collectif – cantonnés à des rôles de gestion, de supervision ou de conception –, étrangers aux moyens d’action syndicaux, ils sont peu enclins à un bouleversement des structures productives. Du fait de leur capital économique élevé et de leur train de vie dispendieux, ils sont au contraire disposés à penser les enjeux écologiques par le prisme éthique de la (sur)consommation. Et du fait de leur capital culturel, à les penser par le prisme de la connaissance, estimant que l’inaction climatique découle d’une mauvaise appréhension des enjeux par la société ou ses dirigeants.

Sensibles aux limites physiques de la planète, ils sont aveugles aux limites que le système économique dominant impose à la production. Or, la fraction la plus modeste de la population souffre autant des secondes que des premières. Et, par principe, les secondes sont toujours atteintes avant les premières. Si la critique du « consumérisme », du « productivisme » et de la « croissance » vise souvent juste, elle est muette quant aux implications sociales d’un capitalisme où la consommation est bridée et où la production tourne au ralenti avec une croissance en berne. Ce qui est refoulé, avec cette écologie néo-malthusienne, c’est la question des rapports de pouvoir entre groupes sociaux. 

Aussi la radicalisation écologique de la « classe professionnelle » ne la conduit-elle pas nécessairement à prendre pour cible le système responsable de la crise climatique. L’effroi que ses membres ressentent face aux désastres environnementaux les mène à formuler des demandes de conservation, de restriction, de limitation, de sobriété. Celles-ci ne rencontrent que trop spontanément les promesses du néolibéralisme : celle d’une gestion raisonnée de ressources rares. Et elles ne font que trop écho au néolibéralisme réellement existant, dont le « sabotage » constitue la matrice. Ce livre a pour objet ce paradoxe, et cet impensé.

(1) On entendra par « néolibéralisme » un régime d’accumulation reposant sur trois piliers : compression salariale, libéralisation des prix et austérité budgétaire ciblée. Il implique une intervention politique et juridique constante, visant supposément à instituer une économie concurrentielle de marché – et accouchant en réalité, nous le verrons, d’un capitalisme de rente.

(2) Nulle volonté de disqualification dans la mobilisation de l’adjectif « néo-malthusien » : l’auteur de l’Essai sur le principe de population était prisé par les chercheurs du Club de Rome et de nombreux représentants contemporains de cette frange de l’écologie. Comme nous le verrons, le néo-malthusianisme ne renvoie pas uniquement à une hantise de l’accroissement démographique mais à une certaine conception de la finitude des ressources.

(3) Matthew T. Huber, Climate Change as Class War. Building Socialism on a Warming Planet, Londres, Éd. Verso, 2022. Introduction.

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25.01.2024 à 11:27
Fracas Media
Texte intégral (1494 mots)

Chères lectrices, chers lecteurs,

Au programme de cette newsletter, comme promis, on vous en dit un peu plus sur l’équipe de Fracas. Mais avant ça: vous avez été des dizaines après l’envoi de notre newsletter manifeste à insister pour qu’on en dise plus sur notre programme des prochains mois, mais aussi à nous demander comment nous prêter main forte. Voici donc quelques réponses!

Première annonce: notre grosse échéance est prévue dans deux mois, avec le lancement en avril de notre campagne de financement. Ce moment sera vraiment décisif, car vous allez pouvoir pré-commander le premier numéro de Fracas et, surtout, vous abonner. Quant à nous, elle nous permettra d’estimer rapidement si notre projet éditorial rencontre le succès escompté. Plus la campagne sera réussie, mieux nous pourrons relever le défi de monter un média écolo qui ait un vrai impact. Les mois qui viennent vont donc être consacrés à se préparer au mieux à ce rendez-vous important, mais aussi à poursuivre la structuration du média – et on a encore tellement de questions à trancher!

Deuxième annonce: si on dit «premier numéro», c’est que oui, il y aura bien un magazine! Entre nos devis et bilans prévisionnels pour voir si notre modèle était tenable, l’impression en rotatives ou en offset, quel prix allait nous permettre de rester accessible pour le plus grand nombre sans pour autant prendre des risques inutiles et voir le projet se crasher aussi vite que la crédibilité d’Amélie Oudéa-Castéra… il nous a fallu apprendre beaucoup de choses en très peu de temps et maîtriser de nombreux paramètres. Et si vous vous demandez quelle tête le magazine aura, nous aussi, car on commence tout juste à concevoir avec nos journalistes cet objet qui doit fracasser sur tous les plans: graphisme, édito, formats… Ce qu’on peut vous dire à ce stade, c’est que ce sera un trimestriel de 132 pages à un prix qu’on voudrait le plus raisonnable possible tout en imprimant en France (on essaie de viser 15 euros pour l’instant).

Dernière annonce: ce numéro arrivera dans vos boîtes aux lettres pour la rentrée de septembre, deuxième moment important de l’année, qui sera l’aboutissement de plusieurs mois de conception éditoriale, d’exploration graphique, d’échanges, de rencontres et de recherches pour étoffer notre équipe et trouver nos futurs locaux.

Bon, vous l’avez compris: on trépigne d’impatience, et on aura du mal d’ici cet automne à ne pas vous parler de l’actu, des luttes en cours ou des lectures qui nous ont stimulés… Pour vous faire patienter, on a donc décidé de poser peu à peu la ligne éditoriale à travers de petits rendez-vous hebdo:

Des fiches de lectures (sur Instagram), où on vous fera (re)découvrir des ouvrages classiques, des essais plus récents et des livres sur le point de sortir en librairie, qui nous ont semblé importants et nous permettent de nous organiser, de nous armer intellectuellement et politiquement.

Un débrief hebdomadaire (sur Telegram) à retrouver tous les vendredis, où on analysera avec vous l’actu de la semaine, les grands événements comme ceux qui sont passés inaperçus, en tentant à chaque fois de dégager les lignes de forces des bouleversements en cours et d’imaginer les perspectives stratégiques qui s’offrent au camp de l’écologie.

Une newsletter quinzomadaire, dont le premier rôle sera de vous tenir au courant de l’avancée du projet, revenir sur nos choix, partager nos doutes et vous demander votre avis. Car ce chantier, nous avons vraiment l’intention de le mener avec vous, pour que vous puissiez nous dire, pas à pas, à quoi ressemblerait le média écolo de vos rêves… D’ailleurs on vous a préparé un petit questionnaire (promis, ça ne prend qu’une minute!).


C’est vrai qu’on en oublierait presque de se présenter ! Nous nous sommes tous les trois rencontrés à Socialter, média où nous avons mené des projets exigeants et engagés, qui nous ont rendu super fiers. Après nos départs respectifs à l’automne 2023, nous nous sommes tous les trois rattrapés par la manche et avons décidé de monter ensemble un média utile, consacré aux combats écologiques, où nous pourrions nous épanouir, sans actionnaire ni pub ou patron: bref, le média de nos rêves.

Et voilà à quoi on ressemble (quand une photographe talentueuse comme Marie Rouge prend les choses en main) !

Clément Quintard (le binoclard à gauche) a 34 ans et est originaire des Ardennes. Il a été pendant six ans journaliste au magazine Sciences Humaines puis, en septembre 2020, rédacteur en chef adjoint de Socialter. Il est également depuis une dizaine d’années infographiste et illustrateur indépendant pour la presse et a cofondé, en 2015, L’Intérêt général, la revue de formation du Parti de gauche.

Marine Benz (la blonde avec le collier Titanic) a 34 ans et vient d’Alsace. Elle est directrice artistique, diplômée de l’École européenne supérieure d’art de Rennes (EESAB). En 2018, elle s’installe à Paris pour officier en tant que free-lance puis devient, en 2018, directrice artistique du magazine Usbek & Rica, qu’elle quitte en 2021 avant de rejoindre Socialter, magazine dont elle refonde entièrement l’identité graphique.


Philippe Vion-Dury (le barbu à droite) a 33 ans a grandi en Isère. Journaliste depuis 12 ans, il a fait ses débuts à Rue89 puis, après quelques années en indépendant, il a rejoint en 2017 le magazine Socialter pour en prendre la rédaction en chef. En cours de route, il a trouvé le temps de publier plusieurs essais: La Nouvelle servitude volontaire (Fyp, 2016), Les idées nouvelles pour comprendre le XXIe siècle (Allary, 2018), et Face aux chocs écologiques (Marabout, 2020).

Pour terminer, on ne voulait pas vous laisser partir les mains vides. Comme la collection Anthropocène des éditions du Seuil fête ses 10 ans et fait peau neuve pour devenir Écocène, on vous a déniché les bonnes feuilles du dernier livre de Jean-Baptiste Fressoz, Sans transition.

Un ouvrage qui remet les pendules à l’heure sur bien des fantasmes associés à la transition énergétique, mais qui a aussi déclenché discussions et polémiques au sein du camp écolo. Mais on vous reparle de tout ça très vite!

Merci de nous avoir lus jusque-là!
À dans deux semaines,

Philippe, Marine et Clément

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25.01.2024 à 07:00
Fracas Media
Texte intégral (3800 mots)

Depuis plusieurs années, l’historien Jean-Baptiste Fressoz s’attache à déconstruire certains mythes qui façonnent nos représentations des enjeux écologiques. Non, nous n’avons pas «découvert» l’importance du climat et les impacts de nos modes de production sur lui à la fin du XXe siècle, montrait-il dans Les Révoltes du ciel avec Fabien Locher. Non, il n’y a jamais eu de «transition» énergétique dans l’histoire moderne, au sens qu’une source d’énergie en aurait, comme par une loi d’airain de l’histoire humaine, remplacé une autre.

Si certains, y compris au sein des milieux écologistes, accusent Jean-Baptiste Fressoz de saper les efforts d’une sortie des fossiles, lui affirme le contraire: supposer qu’il y a eu des transitions énergétiques auparavant, c’est laisser croire que la prochaine n’est qu’une affaire de temps. Croire au mythe de la substitution, c’est prendre le risque d’une nouvelle addition (les énergies renouvelables venant juste s’ajouter aux fossiles pour booster une fois encore le capitalisme). Faire face à la symbiose des énergies entre elles, affronter le fait que le développement d’énergies renouvelables prises dans des logiques de gigantisme ne nous fera pas mécaniquement sortir du charbon et du pétrole, c’est au contraire se poser la seule question qui compte: de quel système énergétique voulons-nous ?


Nous publions ici quelques bonnes feuilles extraites de l’introduction de son ouvrage paru le 12 janvier.


Ce livre n’est certainement pas une «critique» des énergies renouvelables. Il explique en revanche pourquoi la transition énergétique nous empêche de penser convenablement le défi climatique. Depuis un demi-siècle qu’on l’invoque, cette notion a produit plus de confusion scientifique et de procrastination politique qu’autre chose. La transition projette un passé qui n’existe pas sur un futur qui reste fantomatique. Pour espérer construire une politique climatique un tant soit peu rigoureuse, il est indispensable d’avoir une compréhension renouvelée des dynamiques énergétiques et matérielles. C’est le but de cet ouvrage.


La transition énergétique parvient à faire passer pour anodin un futur radicalement étrange. Or, c’est de l’histoire, d’une histoire fausse, qu’elle tire sa force de conviction et son apparence de plausibilité. Comme en écho aux transitions du passé – du bois au charbon, puis du charbon au pétrole – il nous faudrait maintenant, face au réchauffement, en accomplir une troisième vers le nucléaire et les renouvelables. La crise climatique commanderait de poursuivre l’histoire du capitalisme et de l’innovation, de l’accélérer même, pour hâter l’avènement d’une économie libérée du carbone. Grâce à la transition, le changement climatique appelle un changement de technologie et non de civilisation. L’histoire de l’énergie, ses routines chronologiques, ses récits phasistes du passé – âge du bois, âge du charbon, âge du pétrole, économie organique et économie minérale, première et seconde révolution industrielle – ont joué un rôle idéologique discret mais central dans la construction de ce futur réconfortant (1).

Malgré sa dynamique fondamentale d’accumulation, l’histoire de l’énergie est généralement racontée comme une suite de transitions ou même de basculements de systèmes énergétiques, à l’échelle de nations, de continents ou du monde entier. Dans ce qui est devenu un genre en soi, celui de la fresque énergétique, on retrouve en général le même plan chronologique: des chapitres initiaux traitent de la force musculaire, du bois et de l’hydraulique à l’époque préindustrielle ; les chapitres centraux s’occupent de charbon et de vapeur au XIXe siècle ; s’ensuivent des chapitres sur le pétrole, l’électricité et le nucléaire (le gaz est souvent moins étudié) ; et enfin des propos conclusifs sur la transition en cours ou à venir. Comme chaque époque est définie par le nouveau – un biais commun avec l’histoire des techniques justement souligné par l’historien David Edgerton –, des phénomènes massifs sont éludés comme l’essor des renouvelables au XIXe siècle, de la biomasse et de la force musculaire au XXe siècle ou encore celui récent du charbon (2). «Le charbon a régné pendant soixante‑quinze ans avant de céder son trône au pétrole autour de 1965», écrivait récemment une figure de proue de l’histoire environnementale américaine (3). Le schéma transitionniste est si profondément ancré que même l’ouvrage de référence récent Power to the People contient des affirmations discutables. Par exemple, le pétrole et l’électricité sont présentés comme deux «transitions énergétiques», alors que l’électricité accroît la consommation de charbon et que le pétrole ne la réduit pas nécessairement (4). Le cas de Vaclav Smil est également révélateur. Grand spécialiste des questions énergétiques, il est actuellement une des voix influentes alertant sur l’énormité du défi que représenterait une sortie des fossiles en trente ans. Mais son scepticisme quant à la transition en cours ne l’empêche pas de reconduire dans ses fresques historiques sur l’énergie le récit classique d’une modernité faite à coups de transitions (5).

« On ne comprend pas grand‑chose à l’histoire du charbon sans étudier celle du bois qui permet de l’extraire. De même, l’ascension du pétrole au XXe siècle est inexplicable sans le béton, l’acier et donc le charbon. »

Bien entendu, il existe d’autres manières de raconter l’histoire de l’énergie. Les historiens préfèrent généralement se concentrer sur une source d’énergie particulière. On dispose ainsi de très riches historiographies sur le charbon, sur le pétrole, d’autres ouvrages encore sur le bois ou sur l’hydraulique et plus récemment sur l’éolien et le solaire. Le problème de ces approches est qu’elles sont «mono-énergétiques». Elles étudient une énergie en la séparant des autres et des matières en général. Pourtant, on ne comprend pas grand‑chose à l’histoire du charbon sans étudier celle du

bois qui permet de l’extraire. De même, l’ascension du pétrole au XXe siècle est inexplicable sans le béton, l’acier et donc le charbon. Ce livre montre l’importance d’une foule d’objets et de techniques – étais de mine, traverses de chemins de fer, tubes pétroliers, créosote, panneaux de contreplaqués, bétonnières, camions‑bennes, cartons d’emballage, palettes, etc. – absents des récits standards et qui sont pourtant clés pour comprendre l’histoire matérielle de l’énergie (6).


Depuis les années 2010, certains historiens de l’énergie ont cherché à renouveler le genre en contestant le primat de l’économie, des coûts relatifs et de la disponibilité des ressources pour insister sur les déterminants politiques des «transitions énergétiques». Par exemple dans Fossil Capital, Andreas Malm explique la diffusion de la machine à vapeur dans l’Angleterre des années 1830 par la volonté des capitalistes d’échapper à la contrainte de la localisation qu’imposait l’énergie hydraulique. La vapeur leur aurait permis de déplacer la production en ville afin de mieux exploiter l’abondante force de travail qui y résidait (7). Dans Carbon Democracy, un livre qui a fait date et sur lequel nous reviendrons en détail au chapitre 6, Timothy Mitchell propose aussi un récit politique du basculement du charbon au pétrole: la fluidité de ce dernier aurait permis aux capitalistes de contourner le pouvoir et les revendications des mineurs européens de la fin du XIXe siècle (8).


Si la volonté d’injecter du politique dans les récits un peu lisses de l’histoire économique de l’énergie est louable, il faut souligner que ces auteurs reconduisent le schéma transitionniste standard, et l’exacerbent même, en plaquant des récits politiques phasistes sur une histoire énergétique qui s’y prête mal. Concernant la thèse de Malm, les historiens ont montré combien la machine à vapeur des années 1830 est davantage le symbole que le déclencheur du «capitalisme fossile». Au XIXe siècle, en Angleterre, le charbon était davantage brûlé pour produire de la chaleur, domestique et

industrielle, que de la force mécanique. Dès le XVIIe siècle, la demande en chauffage avait conduit à une augmentation progressive du prix du bois de feu et corrélativement de l’extraction charbonnière. Il faut ajouter que la vapeur ne remplace pas l’énergie hydraulique. Les industriels qui le pouvaient utilisaient à la fois une turbine à eau et une machine à vapeur. En ce qui concerne la France, pour laquelle on dispose de statistiques administratives précises, en 1860, la moitié des entreprises utilisant la vapeur disposait d’un autre moteur, le plus souvent hydraulique (9). Quant à l’hypothèse d’une appétence particulière des capitalistes pour les foules urbaines, elle semble contradictoire avec de nombreux projets de relocalisation industrielle à la campagne, synonyme de calme social relatif. Par exemple, aux États‑Unis, dans le Massachusetts, les capitalistes de l’industrie textile n’eurent aucune difficulté à prospérer grâce à l’énergie hydraulique, en transformant entièrement la rivière Merrimack (10).


Le livre de Timothy Mitchell se heurte au même écueil: le pétrole ne contourne pas les mineurs tout simplement parce qu’il ne remplace pas le charbon. Le pétrole sert avant tout à faire avancer des voitures qui, à leur tour, nécessitent beaucoup de charbon pour être fabriquées. En outre, au XXe siècle, l’électricité donne une centralité économique nouvelle au charbon et le nombre de mineurs diminue non pas à cause du pétrole mais grâce aux gains de productivité dans les mines. L’attrait de l’histoire «politique» de l’énergie, qui est aussi son défaut, est qu’elle tend à présenter le changement climatique comme résultant des manigances de quelques intérêts économiques. Cette histoire, apparemment radicale mais finalement rassurante, sous‑estime l’énormité du défi climatique. Sortir du carbone sera autrement plus difficile que sortir du capitalisme, une condition aussi nécessaire qu’insuffisante.


Une critique importante des fresques transitionnistes est venue d’historiens fins connaisseurs des modes de production du XIXe siècle et par conséquent moins impressionnés par le charbon et la vapeur que leurs collègues spécialistes d’énergie. Ils ont montré l’importance pour l’industrialisation d’énergies considérées à tort comme traditionnelles: qu’il s’agisse du muscle humain, de l’hydraulique dans les usines, du bois dans la sidérurgie, des animaux dans les transports, les travaux agricoles ou comme force mécanique industrielle (11). Mais en tant que critique de la transition, cette histoire des persistances reste au milieu du gué (12). L’idée selon laquelle les énergies traditionnelles «résisteraient» face aux fossiles prend encore trop au sérieux le récit transitionniste. Pour comprendre l’histoire de l’énergie, il faut se défaire à la fois du darwinisme schumpéterien, de l’idée simpliste de «destruction créatrice», mais aussi de la dialectique des vainqueurs et des vaincus. Aux XIXe et XXe siècles, les renouvelables ne font pas de la résistance, elles ne font pas face aux fossiles, mais progressent et se développent grâce à ces dernières. Nous verrons que charbon et pétrole ont

énormément accru la production de bois et donc sa disponibilité pour des usages énergétiques. Les renouvelables se modernisent grâce à l’acier et au ciment, deux matériaux étroitement dépendant du charbon, qui leur permettent de capter bien plus efficacement des énergies diffuses. En France, les turbines en acier des années 1900 produisent trois fois plus d’énergie que les moulins en bois de 1800, à un coût bien moindre, et cela avant même l’essor des grands barrages hydroélectriques évidemment tributaires du pétrole et du charbon pour leur construction (13). De même, le pétrole et le gaz ont permis d’accroître la production agricole et donc la disponibilité du muscle humain. Pour ces raisons et bien d’autres encore, l’histoire que nous raconterons dans ce livre n’est ni celle de résistances, ni même celle d’additions, c’est l’histoire de l’intrication et de l’expansion symbiotique de toutes les énergies (14).


Notes :

(1) C’est parce que l’historiographie des techniques est phasiste que le livre clé de David Edgerton, Quoi de neuf ? Une histoire globale des techniques au XXe siècle, Paris, Seuil, [2006] 2012 a été perçu comme « iconoclaste », alors qu’il soulignait à raison un biais très généralement répandu en histoire des techniques consistant à assimiler les techniques utilisées à une époque aux techniques nouvelles apparaissant à cette époque.

(2) Bruce Podobnik,
Global Energy Shifts. Fostering Sustainability in a Turbulent Age, Philadelphie, Temple University Press, 2005 ; Alfred W. Crosby, Children of the Sun. A History of Humanity’s Unappeasable Appetite for Energy, New York, Norton, 2006 ; Manfred Weissenbacher, Sources of Power : How Energy Forges Human History, Praeger, 2009 ; Bent Sorensen, A History of Energy :
Northern Europe from the Stone Age to the Present Day, Londres, Routledege, 2012 ; Jean-Claude Debeir, Jean-Paul Deléage et Daniel Hémery, Une histoire de l’énergie. Les servitudes de la puissance, Paris Flammarion, 2013 ; Richard Rhodes, Energy. A Human History, New York, Simon & Schuster, 2018 ; Anthony N. Penna, A History of Energy Flows. From Human Labor to Renewable Power, Londres, Routledge, 2021 ; Brian C. Black, To Have and Have not : Energy in World History, Londres, Rowman, 2022 ; Brian C. Black, Energy Revolutions : A History, Wiley, 2023. Notons que les ouvrages d’avant 1970 sont moins centrés sur le récit des transitions : cf. Fred Cottrell, Energy and Society. The Relation Between Energy, Social Change and Economic Development, McGraw-Hill, 1955 ; Sam H. Schurr et Bruce C. Netschert, Energy in the American Economy, 1850‑1975, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1960.

(3) John McNeill et Peter Engelke,
The Great Acceleration. An Environmental History of the Anthropocene since 1945, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2014, p. 9.

(4) Astrid Kander, Paolo Malanima et Paul Warde,
Power to the People. Energy in Europe over the Last Five Centuries, Princeton, Princeton University Press, 2013, p. 251‑256.


(5) Vaclav Smil,
Energy Transitions. History, Requirements, Prospects, Santa Barbara, Praeger, 2010. Dans son dernier ouvrage sur le sujet, Energy and Civilization. A History, Cambridge (MA), MIT Press, 2017, Smil mentionne brièvement le phénomène qui est central dans cet ouvrage : «toute transition vers une nouvelle source d’énergie a été alimentée par les énergies existantes : la transition du bois vers le charbon a dû être énergisée par les muscles humains» (p. 230). Mais cette relation symbiotique que Smil mentionne à propos du travail des enfants dans les mines n’est limitée ni à la phase «victorienne» de la transition vers les fossiles ni à la force humaine.


(6) Dans une bibliographie immense voir : Daniel Yergin, Prize : T
he Epic Quest for Oil, Money & Power, New York, Simon & Schuster Ltd, 2009 ; John Hatcher, Michael Flinn, Roy Church, Barry Supple, William Ashworth et al., The History of the British Coal Industry, Oxford, Oxford University Press, 5 volumes, 1986‑1993 ; Joachim Radkau, Wood : A History, New York, Polity, 2012 ; Charles-François Mathis, La Civilisation du charbon, Paris, Vendémiaire, 2021 ; Jean-Marie Martin-mouroux, Charbon, les métamorphoses d’une industrie. La nouvelle géopolitique du XXIe siècle, Paris, Éditions Technip, 2008.


(7) Andreas Malm,
Fossil Capital. The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming, Londres, Verso, 2016.


(8) Timothy Mitchell,
Carbon Democracy. Political Power in the Age of Oil, Londres, Verso, 2011.


(9) Patrick Ruhemann, « Vapeur motrice et industrie au XIXe siècle », thèse de l’université de Paris 10-Nanterre, 2007, p. 428 et 430.


(10) Theodore Steinberg,
Nature Incorporated. Industrialization and the Waters of New England, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.


(11) Raphael Samuel, « Workshop of the world : Steam power and hand technology in mid-Victorian Britain », History Workshop Journal, vol. 3, n° 1, 1977, p. 6‑72 ; Richard H. Schallenberg, « Evolution, adaptation and survival : The very slow death of the American charcoal iron industry », Annals of Science, vol. 32, n° 4, 1975, p. 341‑358 ; Louis C. Hunter,
History of Industrial Power in the United States, 1750‑1930. Waterpower in the Century of Steam, Charlottesville, University Press of Virginia, 1979 ; Serge Benoit, D’eau et de feu : forges et énergie hydraulique, XVIIIe-XXe siècle. Une histoire singulière de l’industrialisation française, Rennes, PUR, 2020 ; Chris Evans et Göran Rydén, The Industrial Revolution in Iron : The Impact of British Coal Technology in Nineteenth-Century Europe, Londres, Routledge, 2005 ; Éric Baratay, Bêtes de somme. Des animaux au service des hommes, Paris, Seuil, 2010 ; Joel Tarr, The Horse in the City. Living Machines in the Nineteenth Century, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2007 ; Sabine Barle, L’Invention des déchets urbains, 1790‑1970, Seyssel, Champ Vallon, 2005 ; François Jarrige et Mohamed Kasdi, « Moteurs animés des filatures », in François Jarrige et Alexis Vrignon (dir.), Face à la puissance. Une histoire des énergies alternatives à l’âge industriel, Paris, La Découverte, 2020 ; François Jarrige, La Ronde des bêtes. Le moteur animal et la fabrique de la modernité, Paris, La Découverte, 2023.


(12) Le titre du livre classique de Louis C. Hunter,
Waterpower in the Century of the Steam Engine 1780‑1930, en est un bon indice : il aurait fallu intervertir les termes.


(13) Charles Dupin évalue le travail produit par les 66 000 moulins que compterait la France dans les années 1820 au travail de 1,5 million d’hommes. Cf. Charles Dupin,
Forces productives et commerciales de la France, Paris, Bachelier, vol. 1, 1827. La statistique industrielle de 1899 indique 47 000 moteurs hydrauliques produisant 574 000 chevaux-vapeur soit, si l’on prend l’équivalence généralement retenue de 7 hommes pour 1 CV : 4,02 millions d’hommes. Cf. Répartition des forces motrices à vapeur et hydrauliques en 1899, Paris, Imprimerie nationale, 1900, tableau A, p. 1.


(14) Que l’histoire de l’énergie soit celle d’une accumulation est une évidence commentée par les économistes depuis les années 1930. L’historien des techniques David Nye mentionne à plusieurs reprises ce phénomène tout en envisageant une histoire de six « systèmes énergétiques » successifs et en présentant son travail comme une reconceptualisation de Lewis Mumford. Voir : David Nye,
Consuming Power. A Social History of American Energies, Cambridge MIT Press, 1998, p. 249‑264. En 2013, j’insistais sur le fait qu’il faudrait parler d’additions énergétiques plutôt que de transitions : voir Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013. Ce point a été repris à l’identique par Richard York et Shannon Elizabeth Bell, « Energy transitions or additions ? Why a transition from fossil fuels requires more than the growth of renewable energy », Energy Research & Social Science, n° 51, 2019 p. 40‑43.

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11.01.2024 à 10:24
Fracas Media
Texte intégral (1336 mots)

Chères lectrices, chers lecteurs,

Si vous lisez ces lignes, c’est que vous comptez parmi les plus de 1000 personnes à avoir suivi Fracas avant même son lancement. On ne vous attendait pas si nombreux·ses, donc avant toute chose: un grand merci!

On a bossé d’arrache-pied ces trois derniers mois pour poser les murs porteurs du projet. On a exploré plein de pistes, échafaudé des plans diaboliques, discuté pendant de longues heures entre nous mais aussi avec notre entourage militant, intellectuel, journalistique pour préciser ce que devrait être le rôle d’un média écolo aujourd’hui.

Vous l’avez compris, on ne voulait surtout pas faire un «média écolo de plus» mais bien construire celui qui n’existait pas encore: un média qui contribue à radicaliser et politiser l’écologie!

Il reste encore un grooos bout de chemin à parcourir avant que vous n’ayez le magazine entre vos mains. Cette newsletter sera donc l’occasion, toutes les deux semaines, de faire un point d’étape et de vous raconter où nous en sommes, mais aussi de vous proposer très vite des analyses sur l’actu, des exclus de livres, un point sur l’agenda des luttes et des chroniques cinglantes.

Pour tout lancement de média, il est coutume de dévoiler la ligne édito. Alors voici venu le moment solennel du manifeste…


Fracas est un média papier, numérique et audiovisuel consacré à l’écologie, ses enjeux, ses luttes, ses courants de pensée. Nous n’avons pas choisi comme slogan «le média des combats écologiques» par hasard.

Combat parce que nous défendons un journalisme engagé qui ne se pare pas d’une prétendue objectivité, et qui entend entretenir un rapport véritablement politique au monde. Notre priorité est d’armer intellectuellement nos lectrices et nos lecteurs pour prendre part aux luttes présentes et à venir.

Combat, parce que nous devons saboter les tentatives de détournement de l’écologie par ses adversaires. Alors qu’historiquement elle est largement le fruit des courants socialistes, libertaires, humanistes, l’écologie est aujourd’hui vidée de sa substance révolutionnaire. Contre les écofascismes en germe, le carbonationalisme en plein essor, le greenwashing du capitalisme fossile et le techno-solutionnisme rampant, le camp de la justice sociale et de l’émancipation doit plus que jamais batailler pour imposer sa définition d’une écologie radicale.

Combat parce que nous devons résister à la montée des forces réactionnaires et à la radicalisation du néolibéralisme. L’extrême-centre comme l’extrême-droite, en France et ailleurs, sont entrés dans une phase de criminalisation et de répression inédite des mouvements écologistes, au point que l’espace qu’il restait pour que puisse s’exprimer une critique radicale et le désir d’une alternative au capitalisme est en train de disparaître.

Combats au pluriel, parce que nous ne devons pas perdre de vue que le camp de l’écologie sociale et politique n’est pas homogène: écosocialisme, écoféminismes, municipalisme libertaire, pensées du vivant, écologies décoloniales, écomarxisme, non-violence ou désarmement, désertion ou entrisme…

Nous voulons offrir un espace de convergence et d’échange pour l’écologie et donner voix au chapitre à ses différentes sensibilités, faire dialoguer ses traditions, raconter ses trajectoires historiques et intellectuelles, amplifier certaines dynamiques locales et militantes.

La publicité est le bras armé du système productiviste et lui permet d’écouler ses surplus de marchandises au prix de gaspillages et de destructions toujours plus importants. Elle doit en permanence créer de nouveaux besoins, de nouveaux luxes et de nouvelles pauvretés.

Fracas est un média à la fois indépendant et écologiste : il nous paraît inconcevable de proposer autre chose qu’une production éditoriale sans publicité.

Quand est venu le moment de réfléchir à la forme juridique de Fracas, il est vite apparu qu’aucun·e de nous n’avait envie d’avoir un patron, mais plus encore d’être le patron de quelqu’un d’autre. Il nous tenait à cœur d’expérimenter une autre voie et tenter d’incarner le monde auquel nous aspirons.

Nous avons donc décidé de constituer Fracas en Société coopérative de production (Scop). Ce mode de gouvernance historique et éprouvé permet l’auto-organisation des travailleuses et des travailleurs sans intervention de détenteurs de capitaux, et assure ainsi l’indépendance éditoriale du titre.

Cette gouvernance permettra l’entrée progressive de tous les salarié·es au capital, et de les inclure dans les instances de décision. Elle assure aussi une grande transparence dans la comptabilité et les orientations de l’entreprise.

Les prochains mois seront décisifs quant aux ambitions que peut porter Fracas. Notre premier objectif sera de vous proposer un magazine papier de belle facture, radical dans ses dossiers comme dans son parti pris graphique.

Si nous parvenons à fédérer suffisamment autour de ce projet et réunir assez de fonds, nous pourrons mettre en place un authentique bimédia : un studio de production de vidéos pour diffuser rapidement des contenus de vulgarisation et de débat.


Pour y arriver, nous aurons besoin de vous ! Pour l’heure, vous pouvez parler du média autour de vous, partager cette newsletter et nous donner votre avis sur cette première édition en nous écrivant à redaction@fracasmedia.fr.

Dans la prochaine édition de cette newsletter, on vous parlera de l’équipe, de ce qu’on a fait avant, pourquoi Marine aime Beyoncé , Philippe les plantes carnivores et Clément la tarte au Maroilles – mais surtout pourquoi on a décidé de fonder Fracas.

Merci d’avoir lu jusqu’ici, et faites du bruit pour Fracas !

Philippe, Marine et Clément

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