flux Ecologie

Engagés pour la nature et l'alimentation.

▸ les 10 dernières parutions

13.12.2024 à 10:26
The Conversation
Texte intégral (2132 mots)

Par Jean-Baptiste Paranthoën, Chargé de recherche en sociologie à l’INRAE et membre du laboratoire IRISSO (PSL Dauphine, INRAE, CNRS), Université Paris Dauphine – PSL


Face à une profession vieillissante et des défis structurels majeurs, l’agriculture attire de plus en plus de candidats issus d’horizons divers. Mais qui sont-ils, et qu’est-ce qui les pousse à tenter l’aventure ?

Même s’il est loin d’être homogène, le monde agricole est l’un des plus touchés par la pauvreté, le taux de pauvreté monétaire y atteignant en effet 16,2 % contre 14,4 % pour l’ensemble de la population. Le monde agricole est aussi particulièrement touché par les risques psychosociaux. Et pourtant, malgré ces difficultés régulièrement mises à l’agenda médiatique lors des mobilisations spectaculaires, des personnes souhaitent encore aujourd’hui se reconvertir pour devenir agriculteurs. Comment expliquer cette envie de rejoindre un métier et un mode de vie aussi difficiles ?

La difficulté pour rendre compte de ces parcours tient au fait qu’ils sont la plupart du temps étudiés à partir de leur point d’arrivée. Afin de contourner cette difficulté, nous avons étudié ces parcours en nous concentrant sur une étape intermédiaire, celle de la formation continue. L’obtention d’un diplôme agricole ouvre une porte pour les prétendants à l’installation agricole qui ne peuvent pas bénéficier de la transmission du patrimoine productif familial.

Le diplôme agricole d’un niveau équivalent au baccalauréat comme le Brevet professionnel responsable d’entreprises agricoles (BPREA) constitue un critère essentiel pour obtenir la capacité professionnelle et bénéficier des aides publiques à l’installation. C’est donc un terrain privilégié pour étudier qui sont celles et ceux qui veulent devenir agriculteurs, d’autant que le centre de formation qui nous a servi de terrain propose un brevet professionnel en agriculture biologique, destiné à de nouveaux publics éloignés du monde agricole, bénéficiant des dispositifs d’accès à la formation continue pour les salariés et les demandeurs d’emploi.

Des origines sociologiques variées

Cette formation en maraîchage biologique est investie par des profils variés comme le montre l’origine professionnelle des 127 personnes passées par la formation entre 2015 et 2018 : 18 % d’entre elles sont issues des cadres et professions intellectuelles supérieures, 32 % des professions intermédiaires, 22 % sont des employés. Parmi les 23 % des ouvriers, seulement un tiers sont des ouvriers agricoles.

Les entretiens biographiques ainsi que l’analyse approfondie des dossiers de candidature des stagiaires que nous avons suivis permettent de restituer finement les trajectoires scolaires et professionnelles de ces candidats sélectionnés ainsi que leur rapport initial à l’agriculture. Nous les avons classés en trois groupes : les déclassés, les désenchantés et les détachés.

Les déclassés connaissent l’autoproduction

Plus jeunes que les stagiaires des deux autres groupes, les déclassés qui sont des hommes, ont connu un investissement familial important à l’école qu’ils ne sont pas parvenus à convertir. Ayant un baccalauréat, ils ont soit obtenu un diplôme dans l’enseignement supérieur qui n’est pas en adéquation avec leur emploi, soit abandonné leurs études supérieures, puis enchaîné les « petits boulots ». Bien que leur situation économique reste fragile au regard de leur revenu modeste, leur statut de salariés ou de demandeurs d’emploi leur permet d’intégrer la formation.

Ayant déjà une expérience pratique d’autoproduction en agriculture acquise au sein de jardins associatifs ou familiaux ou au sein de luttes d’occupation comme à Notre-Dame des Landes, ils ont également accumulé des connaissances liées à la commercialisation et à la gestion de la qualité des produits alimentaires au cours d’emplois occupés dans la distribution. En devenant agriculteur, il s’agit pour ces déclassés de trouver une voie de reclassement en valorisant professionnellement et économiquement leur pratique d’autoproduction et leur connaissance concernant les produits alimentaires grâce à l’obtention d’un nouveau diplôme :

« Je ne me sens pas dans un schéma classique, il m’aurait fallu des sous et des études. Aujourd’hui, j’ai envie de faire mon truc pour moi, comme ça je pourrais dire que si ça ne marche pas ça vient de moi. Je préfère me concentrer sur mon petit business, je suis à la recherche d’une autonomie. » (Igor, salarié d’une grande surface, 28 ans)

La sensibilité environnementale des désenchantés

Si les désenchantés partagent avec les déclassés un investissement relativement important dans le domaine scolaire, il s’est finalisé, dans leur cas, par l’obtention d’un diplôme qui a pu être rentabilisé dans la sphère professionnelle. Titulaires de diplômes allant de la licence, jusqu’au doctorat, ils ont eu accès à des emplois stables d’encadrement et de direction ou sont parvenus à intégrer la fonction publique et sont dans des situations financières avantageuses. Mais, leur engagement important au travail a engendré du surmenage ou un sentiment d’inutilité entraînant des crises professionnelles. L’accès au statut d’indépendant est notamment perçu pour ces désenchantés, parmi lesquels on trouve une forte proportion de femmes, comme un moyen de mieux conjuguer leur vie professionnelle et familiale tout en valorisant leurs compétences et/ou leur héritage familial.

Si on retrouve chez les désenchantés le profil des cadres cherchant à retrouver, au travail, un intérêt conforme à leurs aspirations personnelles (Jourdain, 2014), la distance à la nouvelle profession visée semble moins grande qu’elle ne peut s’observer au regard des seules catégories statistiques. Relativement proches des mondes agricoles – car enfants ou petits-enfants d’agriculteurs ou ayant une activité professionnelle au sein du secteur agricole (presse agricole, chantier d’insertion, vétérinaire)- , leur connaissance de la pratique agricole reste superficielle avant l’entrée dans la formation. Ayant une sensibilité environnementale, devenir agriculteur constitue pour eux le moyen d’accéder au statut d’indépendant et de réaliser une nouvelle activité professionnelle écologique valorisée socialement et symboliquement :

« Je ne veux plus de mon boulot. Ça fait 18 mois que je me dis j’arrête demain, le mois prochain… Je voulais un boulot utile et les vétérinaires n’ont aucune utilité sur l’urgence alimentaire qu’il va y avoir. C’est bien de soigner les animaux mais nourrir les gens, je trouve ça plus vital. » (Stéphanie, Salariée vétérinaire, 36 ans)

Le parcours parfois erratique des détachés

Âgés de plus de 40 ans et ne pouvant donc plus prétendre au dispositif d’aide public à l’installation, les détachés ont connu un parcours scolaire et professionnel moins favorable que les membres des deux autres groupes. En effet, leur titre scolaire a une plus faible valeur que celui des autres stagiaires soit parce qu’il est d’un niveau inférieur, soit parce qu’il a été dévalué par le temps. Tout au long de leur parcours professionnel, ils ont tenté de compenser ce faible niveau scolaire initial par le suivi de formations continues, ce qui leur a permis de changer plusieurs fois de secteurs dans des emplois qui restent peu qualifiés (facteur, tailleur de pierre, maçon, disquaire) et d’accéder à un emploi stable. Mais, la pénibilité de leur travail tout comme son intensification les ont conduits à se détacher vis-à-vis des enjeux professionnels.

Malgré leur parcours professionnel parfois erratique, ces détachés peuvent toutefois s’appuyer sur des arrangements conjugaux afin de suivre une nouvelle formation. Si les détachés pratiquent, comme les_ désenchantés, _un_e culture ornementale de leur jardin et que leur appréhension de l’agriculture biologique s’est essentiellement construite sous l’angle de l’alimentation, l’accès à la formation constitue moins pour eux un enjeu professionnel qu’un instrument de développement personnel :

« J’ai 48 ans donc je ne me vois pas transmettre des terres à mes enfants. Ça, j’en suis complètement détaché. Et la formation m’aide à me dire que je ne ferais peut-être pas quelque chose de complètement about. » (Yann, salarié d’une Biocop, 48 ans)

Des accès inégaux au statut d’indépendant

Alors que le nombre d’échecs pour obtenir le diplôme est très faible, l’accès au métier d’agriculteur reste difficilement atteignable pour les stagiaires tant il reste marqué par l’importance de la transmission familiale du capital économique et du patrimoine. Les entretiens réalisés après la formation montrent que c’est surtout parmi le groupe des désenchantés que l’on retrouve les installations les plus rapides. Ayant des ressources économiques et parfois politiques importantes, ils peuvent obtenir des terres plus facilement soit en rachetant des exploitations soit en bénéficiant des terres mises à disposition par des collectivités locales.

Pour celles et ceux qui ne deviennent pas agriculteurs rapidement, il s’agit de continuer à accumuler de l’expérience en réalisant des stages ou en devenant ouvrier agricole. Ce type d’emploi marqué par une forte discontinuité du fait de la saisonnalité du travail agricole s’avère particulièrement éprouvant pour celles et ceux qui avaient auparavant des emplois stables.

750gr TV – 2024.

Les nouveaux agriculteurs, un enjeu majeur

Pour les autres comme les déclassés et les détachés qui avaient déjà connu cette instabilité professionnelle au cours de leur carrière, la discontinuité du travail agricole paraît beaucoup moins contraignante. Au contraire, elle constitue parfois même une opportunité pour connaître plusieurs modèles d’exploitation agricole et choisir celui qui leur correspond le mieux. Si cette expérience ainsi que leur nouveau diplôme leur permettent d’accéder rapidement à des postes d’encadrement comme chef de culture par exemple, elle n’offre pas de niveau de rémunération suffisant pour envisager à court et moyen terme l’achat d’une exploitation. Ils sont alors contraints de poursuivre leur carrière en agriculture comme salariés.

Alors que le renouvellement des générations en agriculture constitue un enjeu pour l’avenir de ce secteur (La population agricole est une des plus âgées : en 2020, 43 % des agriculteurs étaient concernés par l’ouverture des droits à la retraite ou le seront d’ici à 2030, les parcours de reconversion professionnelle vers l’agriculture sont encore peu connus en dehors des images idéalisées. L’étude de ces parcours en train de se faire montre pourtant que si la formation continue ouvre aujourd’hui des voies de passage vers l’agriculture, elle ne permet pas de lever un des principaux verrous à l’installation de nouveaux arrivants : l’accès à la terre.


Cet article (dans sa version intégrale) fait partie du dossier Territoires ruraux en mouvement : entre recomposition agricole, libéralisation des marchés et reproduction des inégalités publié par Dauphine Eclairages le média scientifique en ligne de l’Université Paris Dauphine – PSL.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

05.11.2024 à 16:16
Patrick Le Hyaric
Texte intégral (2884 mots)

Il se dit de plus en plus fortement que c’est dans les couloirs de la réunion des pays du G20* les 17 et 18 novembre prochain que nous pourrions assister à une résurrection : celle de l’un des plus vastes pactes de libéralisation du commerce au monde.

Le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays constituant le marché commun d’Amérique latine, le Mercosur** (ou Mercosul). Leur regroupement en fait la seconde zone commerciale du monde. Voilà l’objet des convoitises des conglomérats capitaliste européens qui ont sorti leur calculette, élaboré leurs courbes et tableaux prévisionnels de résultats et autre instruments pouvant mesurer les niveaux de profit correspondant au niveau d’extorsion de la plue value possible du travail en mettant encore plus en concurrence les travailleurs Uruguayen et Français, les ouvriers argentins et luxembourgeois, le grand propriétaire terrien Brésiliens avec le petit paysan du Limousin.  

Ne nous trompons pas en effet ! Un traité dit de « libre-échange » n’est pas un accord de coopération. Son objectif est d’accélérer la libre circulation du capital, des marchandises et des services lucratifs. Bref de jeter du charbon sur le feu des guerres économique.

Les institutions européennes et leurs dirigeants dévoilent ainsi leur vraie nature : A mesure qu’ils restreignent la liberté de circulation des êtres humains avec une pléiade de lois « immigration » et les contrôles aux frontières, ils organisent le dépassement du mur du son, au-dessus de toutes les frontières et de tous les océans pour le capital international portés par des rapaces qui n’ont que faire de la vie des êtres humains et de celle de la nature.

D’immenses défis communs pour les peuples latino-américains et européens.

Une Europe transformée, en une union des peuples et des nations associées, libre et souveraine aurait pourtant de beaux messages, de beaux actes à porter et à recevoir d’une communauté de peuples et de nations associés des pays du Mercosur. Cela pourrait commencer par la reconnaissance et les réparations du colonialisme et de l’exploitation de ces peuples. 

De part et d’autre, on pourrait débattre et agir autour de nos causes communes d’intérêt général humain : les conséquences des catastrophes liées aux modifications climatiques, les contraintes de la dette et le rôle du Fond monétaire international, la dé-dollarisation des économies, la folie de la course aux armements qui soustrait tant d’argent aux œuvres de vie, les enjeux de la biodiversité et de la protection de la forêt amazonienne, dont le plan présenté par le président Lula. Nous pourrions reprendre la proposition de la Bolivie pour la création d’un tribunal international contre les crimes écologiques et l’inscription du droit à l’eau comme droit humain fondamental. Reprendre la proposition commune de L’Equateur et de L’Afrique du Sud de mise au point d’un mandat contraignant visant à obliger les grandes sociétés multinationales à respecter les droits sociaux et environnementaux. 

Or, les dogmes glacés de la compétitivité, de la concurrence libre, des courbes de croissance exponentielle, les tableaux des « avantages comparatifs »  étouffent toutes discussions et actions visant la production d’humanité. 

Tout débat est interdit sur la dette historique, économique, sociale et culturelle à laquelle s’ajoute désormais la dette écologique et climatique que plusieurs pays européens ont creusée envers ces peuples.

Au contraire, il est envisagé d’aggraver cette prédation sous de nouvelles formes, adaptée aux conditions du 21e siècle, dans le cadre des contradictions de plus en plus destructrices du capitalisme mondialisé et financiarisé.

Accord de coopération contre traités de libre –échange

Voilà, la seule et unique boussole du capital international alors que la situation exige aujourd’hui, à l’inverse d’un traité de libre-échange capitaliste, des accords de coopération et de solidarité entre les peuples, les travailleuses et les travailleurs des deux continents, en leur redonnant le pouvoir sur leur travail et la production comme enjeu de progrès humain et environnemental.

Aucune inflexion n’est donnée au contenu de ce traité alors que depuis 1999 date du son élaboration, le monde est en proie à de violents spasmes : crise climatique, effondrement de la biodiversité, aggravation des inégalités mondiales, développement de la pauvreté et du chômage en Europe et en Amérique Latine, pandémie, éclatement des bulles spéculatives et financières, guerres.

Autant de défis pour l’humanité à relever ensemble. Or, depuis vingt ans, les négociations se poursuivent comme si de rien n’était, à l’abri des regards et des délibérations des peuples de part et d’autre de l’Atlantique.

L’intérêt général humain aurait pourtant voulu que la Commission européenne et les gouvernements appréhendent les nouveautés de la situation, consulte le Parlement européen, les Parlements nationaux, les syndicats, les organisations non-gouvernementales européennes et latino-américaines regroupées en collectif international. Rien de cela. Pour réussir, ils ont besoin d’une totale opacité. 

On comprend pourquoi ! Avec ce traité de libre-échange, il ne s’agit pas de répondre aux intérêts populaires et environnementaux. Il s’agit de restaurer les taux de profits par la croissance économique et le commerce au service des multinationales de l’automobile, de la chimie, de l’énergie, de l’agrobusiness. 

C’est le sens d’une lettre du chancelier Olaf Scholz à la Commission européenne dans laquelle il se plaint que les entreprises européennes ont perdu 15 % de part de marché dans la région sud-américaine. Aux yeux des gérants des intérêts des puissances industrielles et financières, l’inquiétude s’ajoute à une nouvelle configuration géopolitique dont ils sont partie prenante sous la houlette et la domination des États-Unis.

Les sanctions contre la Russie, les guerres menées par le vassal israélien pour le compte des États-Unis et leurs firmes énergétiques, les pressions continues pour limiter les échanges avec la Chine ajoutés aux politiques d’austérité en Europe, restreignent les débouchés des firmes européennes, poussent l’Union européenne vers « une lente agonie » comme le déplore Mario Draghi dans un récent et copieux rapport pour la Commission européenne.

 Marchés contre l’altérité et la sororité.

Dans ce contexte, le grand capital européen cherche les voies d’un sursaut dans la guerre économique intra-capitaliste. Cela le conduit à réclamer de toutes ses forces « l’ouverture » d’un « marché » de 273 millions d’habitants tout en accélérant le pillage de leurs ressources naturelles. Notons que pour ces gens, 273 millions d’habitants ne sont qu’un « froid marché » avec des sujets-consommateurs. Voilà notre irréductible différence : Les mandataires du capital choisissent toujours le marché. Nous prônons l’altérité, la sororité et la fraternité entre les peuples.

Le capitalisme allemand, enferré dans une inquiétante crise depuis les sanctions contre la Russie, doit se soumettre au capitalisme nord-américain pour son approvisionnement en énergies carbonées -ce qui ne cesse d’affaiblir son industrie-, augmente la  pression pour la signature du traité. Il aurait l’avantage de lui fournir de nouveaux débouchés notamment pour son industrie automobile plongée dans une inédite crise tout comme celle de La France et les produits de l’agrochimie de la firme Bayer-Monsanto. 

Rappelons que le Brésil est le plus grand utilisateur de pesticides au monde, devant les États-Unis, avec 809 000 tonnes en 2019. Ceux-ci sont épandus pour cultiver soja, maïs et canne à sucre génétiquement modifiés, réexportés en Europe.

L’Union européenne compte aussi augmenter ses exportations dans le machinisme, les technologies de l’information et de la communication. L’acharnement à réduire les coopérations avec la Chine conduit le capitalisme européen à amplifier l’exploitation des matières premières critiques de la zone latino-américaine, dont le cuivre, le lithium, l’importation d’hydrogène et d’Éthanol produits par des méga-fermes industrielles implantées sur les décombres de la déforestation. Et l’augmentation des flux commerciaux généré par un tel accord contribuera à augmenter les émissions de gaz à effet de serre (GES) et donc à intensifier les dérèglements climatiques.

L’incitation à accroître les importations en Europe de produits tels que la viande, l’éthanol, le soja donnera de la vitalité aux grands propriétaires terriens, criminels acteurs de la déforestation en Amazonie, dans le Cerrado ou encore des zones tropicales sèches du Chaco, pour développer une monoculture agricole mortifère pour les sols, la biodiversité et la stabilisation du climat mondial. Pendant ce temps, des millions de petits paysans sont « sans terre ».

Avec une plus forte dépendance des économies des pays du Mercosur aux marchés mondiaux, à partir d’exportations majoritairement portées par des entreprises multinationales étrangères, la rémunération du travail salarié sera toujours plus compressée ici et là-bas, les prix agricoles à la production abaissés, les richesses naturelles et du sous-sol toujours plus pillées. Cette stratégie répond aux demandes du Fonds monétaire international et des fonds financiers qui réclament à ces pays notamment l’Argentine et le Brésil de rembourser la totalité de leurs dettes grossis des colossaux intérêts des dettes. Ils ont trouvé un formidable allié avec le président d’extrême droite argentin qui détruit les services publics et les sécurités sociales « à la tronçonneuse ». Notons que les mêmes rhétoriques autour de « la dette » sont utilisées pour les mêmes objectifs en Europe avec l’objectif de privatiser les services publics et la sécurité sociale. 

L’absurdité agricole.

Pour servir la rentabilité du capital, le sort fait à l’agriculture est ubuesque. Ainsi, l’Union européenne, qui doit déjà exporter ses surplus de production de viande de porc, accorde un quota supplémentaire d’importation de porc aux États du Mercosur.

À quoi répond cette logique en apparence illogique ? Tout simplement au dogme de la mise en concurrence des producteurs de porc pour abaisser sans cesse les prix à la production. L’objectif attendu est une baisse des prix à la consommation pour ne pas avoir à augmenter les salaires ouvriers. 

De même, alors que les pays du Mercosur représentent déjà près de 80 % des importations de viande de bœuf en Europe – pour un total de près de 270 000 tonnes – les 99 000 tonnes de bœuf supplémentaires, importées avec des droits de douane abaissés, prévus par l’accord ont pour objectif de déstabiliser les marchés européens et ruiner des régions entières comme le Limousin ou le Charolais.

Il en est de même de l’importation de 180 000 tonnes de viande de volaille supplémentaires. Déjà, des firmes européennes s’installent dans les pays du marché commun latino-américain pour exploiter là-bas les travailleuses, travailleurs et les ressources naturelles pour réexporter les productions en Europe à bas prix, détruisant ici la vie de territoires et de centaines de milliers de familles populaires.

Voilà où il faut chercher la raison fondamentale de la décision de la firme laitière Lactalis, basée à Laval, de réduire la collecte du lait des paysans français alors qu’elle s’implante fortement au Brésil.

Notre acte d’accusation contre le libre-échange ne vaut pas profession de foi en faveur d’un quelconque protectionnisme ou d’un droitier souverainisme. 

Plaidoyer pour une association des travailleurs et des peuples. 

Nous plaidons pour vivifier le débat et l’amplification d’actions avec les travailleurs des deux côtés de l’Atlantique pour ouvrir la voie à des relations nouvelles non plus fondées sur l’exploitation et la domination, mais sur la solidarité et la coopération. 

Nous plaidons pour la création de liens de qualité nouvelle, d’échanges équitables, tournant le dos à la dure loi du capital international et de ses tribunaux privés*** et pour la réalisation de projets écologiques et culturels commun. 

Nous plaidons pour des partenariats de type nouveau visant des échanges commerciaux équitables, des investissements communs, des transferts de technologie, des partages des connaissances sans droit de propriété intellectuelle pour les firmes transnationales, des partages de cultures, auxquels il convient d’ajouter la reconnaissance des dettes et les réparations liées à la colonisation et des mesures de décolonisation. 

Nous plaidons le développement des droits humains, ceux des travailleurs, des populations autochtones, des paysans ainsi que la protection de la biodiversité du climat ​​et le bien-être animal. 

Nous plaidons pour un accord  contribuant à un processus de changement vers des méthodes de productions soutenables, fondées sur des principes de sécurité humaine globale : sécurité alimentaire et droit à l’alimentation pour toutes et tous, sécurité sociale et l’accès aux soins garantis, sécurité environnementale et solidarité dans les urgences face aux modifications climatiques, harmonisation des droits sociaux vers le haut et l’égalité femmes/hommes effective notamment dans le travail ainsi que la reconnaissance des droits des minorités. 

 Autant d’objectifs qui ne peuvent être atteint sans progresser vers un dépassement-abolition d’un système économique fondé sur l’appropriation des fruits du travail de l’immense majorité, la discrimination envers les femmes et les immigrés. Partout, se posent désormais de plus en plus les questions, d’une appropriation sociale et citoyenne des grands moyens de production et d’échanges, celles de la souveraineté des travailleurs sur leurs activités et sur leurs productions comme condition pour garantir des salaires, permettant de vivre et de se cultiver, tout en engageant une bifurcation écologique des productions et des activités.

Les enjeux pour les travailleurs et les peuples des deux côtés de l’Atlantique sont énormes. Ils concernent la planète entière. Avec leurs organisations syndicales, sociales, les organisations non-gouvernementales, ils doivent amplifier encore leurs rencontres et l’élaboration de projets communs humains. Le traité avec le Mercosur ne doit pas être scellé les 17 et 18 novembre prochains dans les sombres couloirs de la réunion du G20. 

Visons l’association des travailleurs et des peuples contre la domination des multinationales. De l’Amérique latine au continent européen, mettons le post-capitalisme à l’ordre du jour.

Patrick Le Hyaric

28 octobre 2024 

_____________*Le G20 est composé des pays suivants : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Espagne, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume –Uni, Russie, République de Corée, Turquie et de deux entités régionales l’Union européenne et L’Union Africaine.

**                Mercosur (ou Mercosul) Marché commun du sud créé en 1991 avec le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, la Bolivie. Des pays sans en être membre sont associés : le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Guyana, le Suriname. Mercosur est l’abréviation en espagnol de « Mercado commun del sud. »

***                  Les traités de libre –échange comportent un volet « règlement des différends » avec l’installation de tribunaux arbitraux privés qui en général donne raison aux multinationales contre les États au nom de la liberté de circulation du capital, des marchandises et des services. Voir les explications complètes dans deux de mes livres : « Le grand marché transatlantique : Dracula contre les peuples » et « CETA : le traité avec le Canada mis à nu. »


Image par WikiImages de Pixabay.

29.10.2024 à 09:50
Fabrice Savel
Lire plus (449 mots)

Les conditions climatiques et la répétition des épisodes pluvieux ont entraîné une baisse des productions en céréales, en viticulture et en noisettes. La France connaît sa pire récolte de blé depuis quarante ans ! Les semis d’hiver commencent à prendre du retard !

Depuis plusieurs mois, les élevages ovins, bovins et volailles sont touchés par la FCO, la MHE et la grippe aviaire. Vient s’ajouter, l’annonce de Lactalis de réduire sa collecte de lait et la signature prochaine de l’accord de libre-échange UE-MERCOSUR. Cet accord permettra également à Lactalis d’exporter depuis le Brésil, où le gérant industriel a annoncé être devenu le numéro 1.

Le MODEF appelle à se mobiliser devant les préfectures à partir du 8 novembre pour dénoncer le plan social agricole du gouvernement ! En effet, il est prévu une baisse du budget 2025 alors qu’il devrait augmenter ! Le gouvernement agit contre les paysan.nes en acceptant le traité de libre-échange avec le MERCOSUR et en refusant de garantir une rémunération digne ! Il est temps que l’humain prime plutôt que les logiques de profit !

Le MODEF revendique :

  • Des prix minimums garantis par l’État,
  • Un encadrement des marges notamment de la grande distribution par le coefficient multiplicateur,
  • La sortie de l’Agriculture de l’OMC,
  • La fin des accords de libre-échange : non au MERCOSUR,
  • Un calendrier d’importations pour favoriser les productions françaises,
  • La prise en charge de la vaccination pour la FCO3, FCO 8, MHE, grippe aviaire, fièvre charbonneuse à 100 %,
  • La prise en charge des cotisations MSA pour les productions céréalières, fruits, légumes, arboricoles,
  • L’annulation de la réforme de l’assurance multirisque climatique des récoltes (MRC),
  • La mise en place d’une caisse mutualiste publique climatique et sanitaire.

Photo Binyamin Mellish

23.10.2024 à 14:25
Fabrice Savel
Texte intégral (872 mots)

La santé des sols agricoles, forestiers et urbains se détériore dans le monde entier. Les causes du mal sont dans l’ensemble identifiées. Les changements de pratiques et des solutions pour inverser cette tendance mortifère sont connues et expérimentées. Il en va de la vie sur Terre.

L’affaire est sérieuse. Là, sous nos pieds, se joue la quasi-totalité des services et des fonctions écosystémiques qui permettent à la vie d’exister sur Terre. Par les sols, l’eau est nettoyée, filtrée, stockée… Tout en abritant près d’un quart des espèces animales, les sols sont aussi responsables du recyclage des nutriments, de la régulation du climat et des inondations, de l’élimination du dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre. Et, les sols fournissent 95 % des aliments que nous consommons.

Or, selon l’Atlas mondial de la désertification, publié en 2018 par le service scientifique de la Commission européenne, 75 % des sols de la planète sont dégradés, avec un impact direct sur 3,2 milliards d’individus. « Les sols jouent un rôle crucial dans le maintien de la vie sur Terre. Pourtant, ils sont encore bien souvent négligés ou mal gérés », alertait en langage diplomatique Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, lors de la Conférence internationale sur les sols qui s’est tenue, le 1er juillet dernier, à Agadir au Maroc. La dégradation des sols s’accélère dans le monde au point que 90 % des terres émergées de la planète pourraient être dégradées d’ici 2050, avec des risques majeurs pour la biodiversité et la vie humaine.

« Alors que la population mondiale continue d’augmenter, prévient Céline Basset, experte en régénération du microbiote du sol, que la demande alimentaire s’intensifie et que les chaînes d’approvisionnement se complexifient, l’importance de maintenir la santé des sols n’a jamais été aussi cruciale en termes de stratégies de sécurité nationale et internationale. »

Pour Ronald Vargas, ancien secrétaire du partenariat mondial des sols de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), « les sols sont devenus l’une des ressources les plus vulnérables dans le monde, Leur dégradation entraîne la pauvreté en déclenchant l’exode rural vers les villes. La sécurité alimentaire, l’adaptation au changement climatique et même le développement durable sont mis en péril lorsque les populations sont forcées de fuir, car elles ne peuvent pas cultiver leurs terres pour se nourrir et gagner leur vie ».

« Préserver la biodiversité des sols agricoles et forestiers, mais aussi réhabiliter les sols urbains aujourd’hui, c’est améliorer la capacité de nos sociétés à faire face à l’avenir. Cela implique en matière d’agriculture des changements de pratiques, notamment en “ré-alimentant” le sol en matières organiques et en diversifiant les cultures », expliquent trois chercheurs de l’Agence de la transition écologique (Ademe) Antoine Pierart, Cécile Grand et Thomas Eglin, dans une contribution publiée sur la plateforme The Conversation*.
« Hélas, s’élève, dans nos colonnes, le professeur au Muséum national d’histoire naturelle Marc-André Selosse, nos pratiques ignorent trop souvent la dynamique vivante des sols. C’est notamment le cas du labour (…) L’effet positif du labour est transitoire : après plusieurs siècles, tout est perdu. La pauvreté des sols méditerranéens, qui ont nourri tant de grandes civilisations, en témoigne. Inversement, des pratiques sans labour, connues dans l’Amérique précolombienne ou en agriculture dite de conservation, réduisent l’érosion. »

C’est donc un changement radical de pratiques, particulièrement agricoles, qu’il s’agit d’impulser. « Investir dans des sols durables présente de nombreux avantages, notamment pour le climat, propose Ronald Vargas. Cela permet d’augmenter la productivité, la production d’aliments plus sains, le stockage de l’eau et la conservation de la biodiversité, rendant les systèmes agroalimentaires plus durables et plus résilients. » Selon l’agronome, Paul Luu, secrétaire exécutif de l’Initiative internationale « 4 pour 1000 » des solutions existent avec « la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées aux conditions locales via l’agroécologie : agriculture de conservation, agriculture biologique, agriculture régénérative, pâturage dynamique tournant, agroforesterie, etc. »

11.10.2024 à 16:02
The Conversation
Texte intégral (1321 mots)

L’accumulation de nano et microplastiques dans les organismes marins, notamment les poissons, s’accumule tout du long de la chaîne alimentaire. Au bout de celle-ci, elle se reflète également dans nos assiettes. Avec quels dangers pour la santé ?


Par Amélie Châtel, Professeur en Ecotoxicologie aquatique, Université catholique de l’Ouest


Ce n’est un secret pour personne. Lorsque nous nous délectons d’un excellent morceau de poisson ou d’un plateau de fruits de mer, nous ne fournissons pas seulement de précieux oméga-3 et de la vitamine D à notre organisme. Nous ingérons aussi par la même occasion des substances bien moins propres à la consommation humaine : une multitude de micro- et de nanoplastiques.

Par le biais de nos déchets, ces particules de plastiques de moins de 5 millimètres envahissent nos océans et s’immiscent dans la chaîne alimentaire. Une étude de l’Ifremer estimait ainsi à 24 400 milliards le nombre de microplastiques flottant à la surface des océans. Tous les organismes marins contiennent des microplastiques, des microalgues aux maillons plus hauts de la chaîne alimentaire comme les poissons. Un phénomène qui menace non seulement les écosystèmes marins mais peut-être aussi notre santé humaine.

Que sait-on exactement de l’accumulation de ces polluants dans les organismes marins et des risques qu’ils représentent pour l’humain ?

Micro et nanoplastiques, une menace invisible

Depuis les années 1950, la production de plastique a connu une croissance exponentielle (58 millions de tonnes en Europe en 2022), générant des quantités importantes de déchets.

Sous l’effet du vent, des vagues, du soleil, des microorganismes, ces déchets se fragmentent en microplastiques (taille comprise entre 1 et 5 mm) voire en nanoplastiques (taille inférieure à 100 nm), que l’on retrouve aujourd’hui dans tous les compartiments environnementaux (air, sol, eau).

Le processus par lequel des substances, comme les plastiques, s’accumulent dans les organismes de différents niveaux trophiques et interagissent avec eux, est appelé « bioaccumulation ».

Les travaux scientifiques que nous avons menés au laboratoire révèlent que dans le cas aquatique, les micro- et nanoplastiques sont ingérés par une large variété d’espèces, depuis les microalgues, à la base de la chaîne alimentaire, jusqu’aux prédateurs supérieurs comme les anguilles.

La santé de la faune marine menacée

Ces ingestions ne sont pas sans conséquence. Des recherches révèlent ainsi que les microplastiques sont à même de provoquer chez les animaux marins des effets toxiques.

Non seulement ils bloquent les systèmes digestifs des moules marines, mais les micro- et nanoplastiques activent également leur système immunitaire, engendrent des cassures de l’ADN ou encore affectent l’expression d’un grand nombre de gènes impliqués dans de nombreuses fonctions cellulaires essentielles pour les organismes.

Ces effets sont dépendants de nombreux paramètres propres aux plastiques tels que leur taille, leur composition, leur état de vieillissement, mais également leur teneur éventuelle en additifs chimiques dangereux.

À titre d’exemple, les plastiques contiennent parfois des quantités importantes de phtalates, notamment considérés comme perturbateurs endocriniens, qui pour rappel sont des composés susceptibles d’interagir avec le système hormonal.

Toxicité pour la santé humaine

Or les plastiques accumulés dans la faune marine finissent inévitablement dans notre chaîne alimentaire.

Il est ainsi estimé que les consommateurs réguliers de fruits de mer ingèrent plusieurs milliers de particules de microplastiques chaque année. Les recherches sur les risques exacts pour la santé humaine sont encore en cours, mais plusieurs hypothèses préoccupantes émergent.

Une fois ingérés par les humains, les microorganismes en pénétrant dans l’organisme causent potentiellement des dommages similaires à ceux observés chez les poissons, puisque les molécules sont identiques.

À l’heure actuelle, des recherches sur cellules humaines ont souligné un effet des micro- et nanoplastiques sur les mêmes fonctions cellulaires que celles évoquées chez les organismes marins. Les scientifiques s’inquiètent là encore surtout des impacts toxiques des additifs plastiques.

Par ailleurs, les micro- et nanoplastiques posent également problème par leur capacité à transporter des pathogènes ou des bactéries à travers l’environnement et potentiellement jusqu’à notre organisme – présentant peut-être un risque supplémentaire de faire émerger des maladies infectieuses.

Il apparaît donc urgent de s’attaquer à la bioaccumulation dans la chaîne alimentaire : en agissant rapidement pour limiter l’utilisation du plastique en amont et améliorer les techniques de recyclage en aval, cette progression pourrait être freinée.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

11.10.2024 à 16:01
Patrick Le Hyaric
Texte intégral (1473 mots)

Dévoiement du mouvement paysan de l’hiver dernier, le projet d’orientation sur la souveraineté agricole adopté par les députés, fin mai, renforce l’intégration du secteur agricole national dans la guerre économique mondiale. Il fait le choix de la baisse des prix à la production contre celui de la sécurisation des revenus paysans.

Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, présenté par le gouvernement, a été voté le 28 mai 2024 à une courte majorité de 272 voix contre 232 par l’Assemblée nationale. Ce texte n’a rien d’une loi d’orientation. Il est une juxtaposition de réponses aux revendications des grands céréaliers et des firmes de l’agrobusiness. Il ne traite pas des maux profonds, dont souffrent notre agriculture et les paysans-travailleurs, ni des prix agricoles et du nécessaire désendettement, ni du coût des machines et des intrants, ni de l’accès au foncier et de l’installation des jeunes, ni de nouvelles répartitions des aides de la politique agricole commune.

Accélération du productivisme capitaliste

Les groupes du parti présidentiel, des Républicains et de l’extrême droite se sont alliés pour faciliter l’agriculture intensive au détriment de l’agroécologie, de la santé des paysans-travailleurs et de la biodiversité. Le pouvoir et les syndicats majoritaires ont sciemment entretenu une confusion entre la nécessité de réduire les charges administratives et la suppression des normes sociales et environnementales. Aucune disposition n’a été votée pour aller vers des prix garantis à la production, ni pour faire progresser le « droit à l’alimentation », en quantité comme en qualité, pour toutes et tous. 

L’orientation générale de ce texte vise à accélérer le productivisme capitaliste en faisant fi des conditions humaines, géographiques et écologiques de la production, du développement des territoires, de la qualité alimentaire, de la lutte pour la vitalité de la biodiversité et de celle pour enrayer les modifications climatiques.

Derrière des mots savants, l’article 1 constitue à lui seul une bombe, qui va aggraver tous les maux. Il donne le ton ultralibéral du texte : « L’agriculture, la pêche, l’aquaculture et l’alimentation sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire, qui contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la nation. »

Légaliser le « libéralisme économique agricole »

Le concept « d’intérêt général majeur » est l’outil juridique permettant d’impulser la production agricole à n’importe quelle condition. La pêche industrielle et ses bateaux usines, qui raclent les fonds marins, ne pourront pas être contestés. C’est la légalisation d’un « libéralisme économique agricole », placé au même niveau que l’environnement et le droit du travail pour s’affranchir de certaines contraintes réglementaires. Les soucis de paperasserie ne diminueront pas, mais le droit à l’environnement est durement entaillé.

Au nom de cet « intérêt général majeur », les procédures pour la construction de bâtiments d’élevages industrialisés de poulets, de porcs ou de vaches laitières, de fermes aquacoles ou de mégabassines privatisant l’eau seront facilitées.

Le Code de l’environnement se voit fracturé, afin de dépénaliser les atteintes aux espèces protégées ou aux habitats naturels. Ces atteintes seraient couvertes par la notion de « non-intentionnalité ». Pourtant, dans son avis rendu au mois d’avril, le Conseil d’État avait mis en garde le gouvernement en relevant que ces dispositions, qui « sont susceptibles de présenter des risques de constitutionnalité au regard notamment du principe d’égalité devant la justice, comportent des inconvénients importants en termes de sécurité juridique pour les justiciables et, plus généralement, pour la bonne administration de la justice ». 

Cette libéralisation générale, au détriment de la nature et de la santé des paysans, vise à insérer plus encore la production agricole française dans la guerre économique mondiale, souvent baptisée, pudiquement, « compétitivité internationale ». C’est la raison pour laquelle les fondés de pouvoir des grandes multinationales de l’agroalimentaire et des fonds financiers continuent de défendre les traités de libre-échange et un marché unique capitaliste européen.

Oubliés, les prix plancher

Il convient de lire avec attention le texte qui proclame que la souveraineté alimentaire de la France « s’entend de sa capacité à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l’Union et de ses engagements internationaux ». Pourtant, ce sont ces deux orientations qui font le mal de l’agriculture et les souffrances des paysans-travailleurs. La mise en concurrence est le moyen d’abaisser les prix à la production partout dans le monde. 

La loi, telle qu’elle a été votée, ne retire rien du boulet des dettes qui assaillent les paysans. Pas question pour les groupes de droite et d’extrême droite, qui ont voté cette loi, de débattre du rôle et de la responsabilité des banques dans un projet nouveau de développement agricole, pour faciliter l’installation des jeunes ou pour l’annulation et la renégociation des dettes qui enserrent nombre de paysans. 

La question fondamentale de la rémunération du travail et « les prix plancher », dont avait parlé le président de la République lors du Salon de l’agriculture, s’est également évanouie dans la nature. Et pour cause. Le pouvoir comme le complexe agroalimentaire y sont fermement opposés. 

Pour des offices publics par filière

Pourtant, la création d’offices publics par filière de production, qui veilleraient à une rémunération du travail et à des investissements par des prix de base garantis des productions à la ferme, permettrait d’assurer une sécurité de revenus aux paysans. Elle serait aussi un atout pour améliorer l’attractivité du métier et lancer un plan audacieux d’installation de jeunes.

Compte tenu de la diversité des conditions de production, ces prix de base devraient d’ailleurs être différenciés, à partir d’une quantité moyenne de production par exploitation, afin de défendre l’agriculture paysanne et de soutenir la nécessaire planification agroécologique. Cela devrait faire l’objet de négociations semestrielles au sein de l’ensemble de la chaîne de production, de distribution et de commercialisation. 

Le tout serait conjugué à une réforme profonde de la politique agricole commune, qui soutiendrait d’abord le travail, ainsi qu’une bifurcation écologique et la qualité alimentaire.

Une récupération du mouvement paysan

Une loi d’orientation agricole ne peut non plus absoudre les secteurs industriels, agrochimiques et commerciaux, qui profitent tant du travail paysan, de leur responsabilité envers la société.

Cette loi n’est que la récupération des justes demandes du mouvement paysan du début de l’année par les syndicats représentant les grandes exploitations et les secteurs industriels en amont et en aval de l’agriculture.

Une alliance des paysans-travailleurs, des consommateurs, des chercheurs, des associations doit se construire pour obtenir une autre « orientation » progressiste et environnementale permettant à la fois aux paysans de vivre mieux, de leur reconnaître un statut, tout en engageant un processus faisant du droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tous un droit réel. C’est l’objet, la raison d’être de la revue La Terre.


Image by Freddy from Pixabay.


01.10.2024 à 11:12
Lydia Samarbakhsh
Texte intégral (1863 mots)

Claudia Sheinbaum, nouvelle présidente du Mexique, débutera son mandat en octobre. L’enseignante-chercheuse reconnue est co-récipiendaire du prix Nobel de la paix, en qualité de membre du GIEC. Ce profil atypique à plusieurs égards, ainsi que la composition de son gouvernement et son programme, donnent à voir des conceptions politiques, peu communes sous nos latitudes, en matière d’interactions entre politiques nationale et internationale.

Il est assez rare qu’une ou un Prix Nobel accède à la tête d’un pays. C’est pourtant ce qui va se produire ce 1er octobre au Mexique. Claudia Sheinbaum, élue en juin dernier avec près de 60 % des voix, à la présidence de la République, prendra ses fonctions au début de l’automne. Ancienne ministre puis gouverneure de la capitale Mexico, la nouvelle et première femme cheffe de l’État mexicain est climatologue, physicienne, spécialiste de l’efficacité énergétique, et a participé à ce titre aux rédactions des quatrième (2007) et cinquième (2013) rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), récipiendaire du prix Nobel de la paix en 2007. Fille et petite-fille de réfugiés juifs d’Europe centrale, militante de gauche dès le plus jeune âge, co-fondatrice de la formation (Morena(1)) du président sortant Andres Manuel Lopez Obrador (dit « AMLO »), Claudia Sheinbaum a mené une carrière scientifique dans la recherche et l’enseignement qui l’a notamment conduite à siéger au comité des politiques de développement de l’ONU. Elle a alterné l’exercice de trois mandats ou postes ministériels et ses activités professionnelles ; à chaque fin de cycle politique, elle est retournée à ses recherches scientifiques. 

« Pour le bien de tous, les pauvres d’abord »

La république fédérale du Mexique s’étend sur près de 2 millions de km2, compte environ 130 millions d’habitants et fait partie des vingt premières puissances économiques mondiales. Nation d’Amérique du Nord, le Mexique souffre encore de sa proximité avec les États-Unis auxquels il a déjà dû céder par le passé, après la sécession du Texas et deux ans de guerre au milieu du xixe siècle, 50 % de son territoire (soit 2 millions de km2 supplémentaires qui incluaient, entre autres, la Californie, le Nouveau-Mexique ou encore une partie du Wyoming). Son encombrant voisin, prétendument leader du « monde libre », n’a eu de cesse de chercher à lui dicter sa politique. Après trois siècles de colonisation espagnole (du xvie au xixsiècle), ouverts par le massacre de la population aztèque et l’élimination de sa civilisation séculaire et de son empire), le Mexique a longtemps été en butte aux ingérences étasuniennes et à celles des grandes puissances européennes, notamment la France, et de leurs banques, entravant le plein développement du pays et de son peuple. 

Aujourd’hui, le Mexique est l’un des principaux pays producteurs de pétrole (le troisième fournisseur des États-Unis en la matière), le premier producteur mondial d’argent. Grand pays de cultivateurs, dont les revendications ont nourri les élans de la révolution de 1910-1917 et de la réforme agraire de 1964 mettant fin à la concentration des terres, le Mexique a vu son agriculture réduite à 4 % du PIB sous les effets des accords de libre-échange qui le lient aux États-Unis et au Canada. D’« abyssales inégalités sociales » continuent de grever la société mexicaine. Le chercheur Christophe Ventura relevait, en 2018, qu’« 1 % des plus riches concentre 36 % de la richesse nationale. La pauvreté, elle, touche 46 % de la population ». Et, selon les estimations, le travail informel concernerait de 25 % à 50 % de la population active. Claudia Sheinbaum, qui succède à AMLO, dont elle reste proche même si elle n’en revendique pas tout le bilan, a d’ailleurs placé sa campagne électorale sous le slogan, « Pour le bien de tous, les pauvres d’abord ». Peut-elle réellement y parvenir en maintenant une part des politiques de rigueur, dites d’austérité républicaine, qui touchent la recherche scientifique par exemple, justement reprochées à son prédécesseur ? Rien n’est moins sûr. Mais ce qui est certain, c’est qu’après le retour au pouvoir de Lula au Brésil, celui de la gauche coalisée (et malgré quelques désillusions depuis sa victoire) au Chili, l’élection de Claudia Sheinbaum à la suite d’AMLO n’est pas faite pour satisfaire Oncle Sam qui agite déjà les épouvantails, car la présidente semble déterminée à mettre en œuvre son programme électoral. 

Paysans et villageois rackettés et tués par les cartels

La Nobel de la paix prend la tête de l’un des pays les plus violents au monde, déstabilisé par une corruption systémique, une extraordinaire criminalité et les centaines d’assassinats de paysans et villageois rackettés par les cartels, de militantes et militants des droits humains et environnementaux, de candidats aux élections locales, de journalistes, de fonctionnaires de justice et de police. Les activités des narcotrafiquants ont ainsi fait plusieurs centaines de milliers de morts en vingt ans (le New York Times évoque le nombre de 180 000 décès pour les seules années de présidence d’AMLO). Ajoutées à la pauvreté, les effroyables guerres intestines des gangs mafieux poussent aussi des milliers de Mexicains, souvent ruraux, à fuir, à leurs risques et périls, aux États-Unis en espérant trouver un avenir meilleur et envoyer un soutien financier à leur famille restée en arrière. Le Mexique est aussi une terre de féminicides, un fléau endémique que la présidente, jugée encore sur la retenue quant à la lutte contre le patriarcat ou pour le droit à l’avortement, dit vouloir éradiquer autant que la grande pauvreté. Cette lutte, comme la lutte contre la corruption, passe notamment par des réformes constitutionnelles et une réforme du pouvoir judiciaire que la Maison-Blanche dénonce, toute honte bue, comme une « menace contre la démocratie »(2)

Enfin, parties prenantes d’une politique de développement durable et de paix, de lutte contre les cartels de narcotrafiquants et contre la pauvreté, de soutien à l’agriculture et aux communautés paysannes, la transition écologique et la préservation de la biodiversité s’inviteront nécessairement dans l’agenda de la nouvelle cheffe de l’État mexicain qui devra résoudre de grandes contradictions. Le Mexique abrite 10 % de la biodiversité mondiale, « dont la richesse la place au 4e rang mondial » selon le WWF, et fait partie des 17 pays « méga divers » présentant la plus grande biodiversité au plan international. Pour Novethic(3), celle qui « a fait de la question de l’eau un enjeu fort de son programme, en proposant un plan national qui devrait permettre de moderniser les infrastructures de gestion de l’eau du pays » maintient « en matière énergétique, [une] position (…) encore assez ambiguë, malgré son expertise sur les sujets climatiques ». « Elle a ainsi annoncé des investissements de plus de 13 milliards de dollars dans le développement des énergies renouvelables. Tout en promettant de poursuivre l’héritage d’Andrés Manuel López Obrador, qui a largement poussé le développement des énergies fossiles dans le pays depuis 2018. »

En dévoilant, fin juin une partie de la composition de son gouvernement, la présidente a annoncé la nomination au poste de ministre-secrétaire d’État à l’agriculture et au développement rural l’agronome Julio Antonio Berdegué Sacristan, ancien représentant régional de l’Amérique latine à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Aussi bien son parcours et sa personnalité que ceux des ministres qu’elle a choisis devraient donner à réfléchir à quiconque s’imagine en vizir. Expérimentés et compétents sur le plan professionnel, elles et ils ont aussi représenté leur pays dans des instances intergouvernementales et internationales où s’élaborent les politiques de coopération, où se livrent aussi des bras-de-fer avec les super-puissances, notamment financières, et où se traitent une part des grands enjeux globaux de notre époque. Sous leur conduite, le Mexique, puissance dite émergente est une puissance mondialisée, au sens que lui donne le politologue Bertrand Badie. C’est-à-dire que, sous l’impulsion de Sheinbaum et dans la continuité du mandat d’AMLO, ce pays entend bouger les lignes sur le plan international autant qu’il envisage de se servir des atouts de la coopération (je dis bien, coopération et non mondialisation) internationale pour garantir son propre développement. 

Ce n’est pas une vision largement répandue, mais c’est la seule qui cherche à articuler les dimensions nationales et internationales de manière dialectique. Elle demeure le plus souvent le fait de pays du « Sud Global », dirigés par des forces de sensibilité progressiste. À l’instar d’autres nations (Cuba ou l’Afrique du Sud, pour citer deux exemples bien différents), la politique internationale du Mexique n’est pas fondée de nos jours sur la puissance militaire ou des logiques de domination mais, explicitement, sur la « non intervention ». Aussi la diplomatie et la participation mexicaines aux espaces régionaux et multilatéraux revêtent-elles une dimension importante de sa politique nationale. Elles en sont même indissociables pour résoudre les grands problèmes du pays, et contribuer à changer le monde. L’avenir nous dira si la présidence Sheinbaum aura réellement travaillé dans cette voie et obtenu des résultats. Toujours est-il que cette conception fait cruellement défaut aux dirigeants des pays occidentaux qui refusent l’avènement d’un nouvel ordre international, plus juste, solidaire et pacifié, mais surtout dont les puissances dites du Nord ne seraient plus les seules maîtresses ni exclusives bénéficiaires.


(1) En espagnol, Mouvement pour la régénération nationale, créé en 2011.

(2) Lire l’Humanité du 30 août 2024.

(3) Novethic, fondé en 2001 par la Caisse des dépôts dont il est une filiale, est « un média en ligne spécialisé dans la finance durable et l’économie socialement responsable » qui s’adresse aux acteurs financiers et dirigeants d’entreprise.


10 / 10

  Bon Pote
Actu-Environnement
Amis de la Terre
Aspas
Biodiversité-sous-nos-pieds

 Bloom
Canopée
Décroissance (la)
Deep Green Resistance
Déroute des routes
Faîte et Racines
 Fracas
France Nature Environnement AR-A
Greenpeace Fr
JNE

 La Relève et la Peste
La Terre
Le Lierre
Le Sauvage
Low-Tech Mag.
Motus & Langue pendue
Mountain Wilderness
Negawatt
Observatoire de l'Anthropocène

 Reporterre
Présages
Reclaim Finance
Réseau Action Climat
Résilience Montagne
SOS Forêt France
Stop Croisières

  Terrestres

  350.org
Vert.eco
Vous n'êtes pas seuls

 Bérénice Gagne