La santé des sols agricoles, forestiers et urbains se détériore dans le monde entier. Les causes du mal sont dans l’ensemble identifiées. Les changements de pratiques et des solutions pour inverser cette tendance mortifère sont connues et expérimentées. Il en va de la vie sur Terre.
L’affaire est sérieuse. Là, sous nos pieds, se joue la quasi-totalité des services et des fonctions écosystémiques qui permettent à la vie d’exister sur Terre. Par les sols, l’eau est nettoyée, filtrée, stockée… Tout en abritant près d’un quart des espèces animales, les sols sont aussi responsables du recyclage des nutriments, de la régulation du climat et des inondations, de l’élimination du dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre. Et, les sols fournissent 95 % des aliments que nous consommons.
Or, selon l’Atlas mondial de la désertification, publié en 2018 par le service scientifique de la Commission européenne, 75 % des sols de la planète sont dégradés, avec un impact direct sur 3,2 milliards d’individus. « Les sols jouent un rôle crucial dans le maintien de la vie sur Terre. Pourtant, ils sont encore bien souvent négligés ou mal gérés », alertait en langage diplomatique Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, lors de la Conférence internationale sur les sols qui s’est tenue, le 1er juillet dernier, à Agadir au Maroc. La dégradation des sols s’accélère dans le monde au point que 90 % des terres émergées de la planète pourraient être dégradées d’ici 2050, avec des risques majeurs pour la biodiversité et la vie humaine.
« Alors que la population mondiale continue d’augmenter, prévient Céline Basset, experte en régénération du microbiote du sol, que la demande alimentaire s’intensifie et que les chaînes d’approvisionnement se complexifient, l’importance de maintenir la santé des sols n’a jamais été aussi cruciale en termes de stratégies de sécurité nationale et internationale. »
Pour Ronald Vargas, ancien secrétaire du partenariat mondial des sols de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), « les sols sont devenus l’une des ressources les plus vulnérables dans le monde, Leur dégradation entraîne la pauvreté en déclenchant l’exode rural vers les villes. La sécurité alimentaire, l’adaptation au changement climatique et même le développement durable sont mis en péril lorsque les populations sont forcées de fuir, car elles ne peuvent pas cultiver leurs terres pour se nourrir et gagner leur vie ».
« Préserver la biodiversité des sols agricoles et forestiers, mais aussi réhabiliter les sols urbains aujourd’hui, c’est améliorer la capacité de nos sociétés à faire face à l’avenir. Cela implique en matière d’agriculture des changements de pratiques, notamment en “ré-alimentant” le sol en matières organiques et en diversifiant les cultures », expliquent trois chercheurs de l’Agence de la transition écologique (Ademe) Antoine Pierart, Cécile Grand et Thomas Eglin, dans une contribution publiée sur la plateforme The Conversation*.
« Hélas, s’élève, dans nos colonnes, le professeur au Muséum national d’histoire naturelle Marc-André Selosse, nos pratiques ignorent trop souvent la dynamique vivante des sols. C’est notamment le cas du labour (…) L’effet positif du labour est transitoire : après plusieurs siècles, tout est perdu. La pauvreté des sols méditerranéens, qui ont nourri tant de grandes civilisations, en témoigne. Inversement, des pratiques sans labour, connues dans l’Amérique précolombienne ou en agriculture dite de conservation, réduisent l’érosion. »
C’est donc un changement radical de pratiques, particulièrement agricoles, qu’il s’agit d’impulser. « Investir dans des sols durables présente de nombreux avantages, notamment pour le climat, propose Ronald Vargas. Cela permet d’augmenter la productivité, la production d’aliments plus sains, le stockage de l’eau et la conservation de la biodiversité, rendant les systèmes agroalimentaires plus durables et plus résilients. » Selon l’agronome, Paul Luu, secrétaire exécutif de l’Initiative internationale « 4 pour 1000 » des solutions existent avec « la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées aux conditions locales via l’agroécologie : agriculture de conservation, agriculture biologique, agriculture régénérative, pâturage dynamique tournant, agroforesterie, etc. »
L’accumulation de nano et microplastiques dans les organismes marins, notamment les poissons, s’accumule tout du long de la chaîne alimentaire. Au bout de celle-ci, elle se reflète également dans nos assiettes. Avec quels dangers pour la santé ?
Par Amélie Châtel, Professeur en Ecotoxicologie aquatique, Université catholique de l’Ouest
Ce n’est un secret pour personne. Lorsque nous nous délectons d’un excellent morceau de poisson ou d’un plateau de fruits de mer, nous ne fournissons pas seulement de précieux oméga-3 et de la vitamine D à notre organisme. Nous ingérons aussi par la même occasion des substances bien moins propres à la consommation humaine : une multitude de micro- et de nanoplastiques.
Par le biais de nos déchets, ces particules de plastiques de moins de 5 millimètres envahissent nos océans et s’immiscent dans la chaîne alimentaire. Une étude de l’Ifremer estimait ainsi à 24 400 milliards le nombre de microplastiques flottant à la surface des océans. Tous les organismes marins contiennent des microplastiques, des microalgues aux maillons plus hauts de la chaîne alimentaire comme les poissons. Un phénomène qui menace non seulement les écosystèmes marins mais peut-être aussi notre santé humaine.
Que sait-on exactement de l’accumulation de ces polluants dans les organismes marins et des risques qu’ils représentent pour l’humain ?
Depuis les années 1950, la production de plastique a connu une croissance exponentielle (58 millions de tonnes en Europe en 2022), générant des quantités importantes de déchets.
Sous l’effet du vent, des vagues, du soleil, des microorganismes, ces déchets se fragmentent en microplastiques (taille comprise entre 1 et 5 mm) voire en nanoplastiques (taille inférieure à 100 nm), que l’on retrouve aujourd’hui dans tous les compartiments environnementaux (air, sol, eau).
Le processus par lequel des substances, comme les plastiques, s’accumulent dans les organismes de différents niveaux trophiques et interagissent avec eux, est appelé « bioaccumulation ».
Les travaux scientifiques que nous avons menés au laboratoire révèlent que dans le cas aquatique, les micro- et nanoplastiques sont ingérés par une large variété d’espèces, depuis les microalgues, à la base de la chaîne alimentaire, jusqu’aux prédateurs supérieurs comme les anguilles.
Ces ingestions ne sont pas sans conséquence. Des recherches révèlent ainsi que les microplastiques sont à même de provoquer chez les animaux marins des effets toxiques.
Non seulement ils bloquent les systèmes digestifs des moules marines, mais les micro- et nanoplastiques activent également leur système immunitaire, engendrent des cassures de l’ADN ou encore affectent l’expression d’un grand nombre de gènes impliqués dans de nombreuses fonctions cellulaires essentielles pour les organismes.
Ces effets sont dépendants de nombreux paramètres propres aux plastiques tels que leur taille, leur composition, leur état de vieillissement, mais également leur teneur éventuelle en additifs chimiques dangereux.
À titre d’exemple, les plastiques contiennent parfois des quantités importantes de phtalates, notamment considérés comme perturbateurs endocriniens, qui pour rappel sont des composés susceptibles d’interagir avec le système hormonal.
Or les plastiques accumulés dans la faune marine finissent inévitablement dans notre chaîne alimentaire.
Il est ainsi estimé que les consommateurs réguliers de fruits de mer ingèrent plusieurs milliers de particules de microplastiques chaque année. Les recherches sur les risques exacts pour la santé humaine sont encore en cours, mais plusieurs hypothèses préoccupantes émergent.
Une fois ingérés par les humains, les microorganismes en pénétrant dans l’organisme causent potentiellement des dommages similaires à ceux observés chez les poissons, puisque les molécules sont identiques.
À l’heure actuelle, des recherches sur cellules humaines ont souligné un effet des micro- et nanoplastiques sur les mêmes fonctions cellulaires que celles évoquées chez les organismes marins. Les scientifiques s’inquiètent là encore surtout des impacts toxiques des additifs plastiques.
Par ailleurs, les micro- et nanoplastiques posent également problème par leur capacité à transporter des pathogènes ou des bactéries à travers l’environnement et potentiellement jusqu’à notre organisme – présentant peut-être un risque supplémentaire de faire émerger des maladies infectieuses.
Il apparaît donc urgent de s’attaquer à la bioaccumulation dans la chaîne alimentaire : en agissant rapidement pour limiter l’utilisation du plastique en amont et améliorer les techniques de recyclage en aval, cette progression pourrait être freinée.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Dévoiement du mouvement paysan de l’hiver dernier, le projet d’orientation sur la souveraineté agricole adopté par les députés, fin mai, renforce l’intégration du secteur agricole national dans la guerre économique mondiale. Il fait le choix de la baisse des prix à la production contre celui de la sécurisation des revenus paysans.
Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, présenté par le gouvernement, a été voté le 28 mai 2024 à une courte majorité de 272 voix contre 232 par l’Assemblée nationale. Ce texte n’a rien d’une loi d’orientation. Il est une juxtaposition de réponses aux revendications des grands céréaliers et des firmes de l’agrobusiness. Il ne traite pas des maux profonds, dont souffrent notre agriculture et les paysans-travailleurs, ni des prix agricoles et du nécessaire désendettement, ni du coût des machines et des intrants, ni de l’accès au foncier et de l’installation des jeunes, ni de nouvelles répartitions des aides de la politique agricole commune.
Accélération du productivisme capitaliste
Les groupes du parti présidentiel, des Républicains et de l’extrême droite se sont alliés pour faciliter l’agriculture intensive au détriment de l’agroécologie, de la santé des paysans-travailleurs et de la biodiversité. Le pouvoir et les syndicats majoritaires ont sciemment entretenu une confusion entre la nécessité de réduire les charges administratives et la suppression des normes sociales et environnementales. Aucune disposition n’a été votée pour aller vers des prix garantis à la production, ni pour faire progresser le « droit à l’alimentation », en quantité comme en qualité, pour toutes et tous.
L’orientation générale de ce texte vise à accélérer le productivisme capitaliste en faisant fi des conditions humaines, géographiques et écologiques de la production, du développement des territoires, de la qualité alimentaire, de la lutte pour la vitalité de la biodiversité et de celle pour enrayer les modifications climatiques.
Derrière des mots savants, l’article 1 constitue à lui seul une bombe, qui va aggraver tous les maux. Il donne le ton ultralibéral du texte : « L’agriculture, la pêche, l’aquaculture et l’alimentation sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire, qui contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la nation. »
Légaliser le « libéralisme économique agricole »
Le concept « d’intérêt général majeur » est l’outil juridique permettant d’impulser la production agricole à n’importe quelle condition. La pêche industrielle et ses bateaux usines, qui raclent les fonds marins, ne pourront pas être contestés. C’est la légalisation d’un « libéralisme économique agricole », placé au même niveau que l’environnement et le droit du travail pour s’affranchir de certaines contraintes réglementaires. Les soucis de paperasserie ne diminueront pas, mais le droit à l’environnement est durement entaillé.
Au nom de cet « intérêt général majeur », les procédures pour la construction de bâtiments d’élevages industrialisés de poulets, de porcs ou de vaches laitières, de fermes aquacoles ou de mégabassines privatisant l’eau seront facilitées.
Le Code de l’environnement se voit fracturé, afin de dépénaliser les atteintes aux espèces protégées ou aux habitats naturels. Ces atteintes seraient couvertes par la notion de « non-intentionnalité ». Pourtant, dans son avis rendu au mois d’avril, le Conseil d’État avait mis en garde le gouvernement en relevant que ces dispositions, qui « sont susceptibles de présenter des risques de constitutionnalité au regard notamment du principe d’égalité devant la justice, comportent des inconvénients importants en termes de sécurité juridique pour les justiciables et, plus généralement, pour la bonne administration de la justice ».
Cette libéralisation générale, au détriment de la nature et de la santé des paysans, vise à insérer plus encore la production agricole française dans la guerre économique mondiale, souvent baptisée, pudiquement, « compétitivité internationale ». C’est la raison pour laquelle les fondés de pouvoir des grandes multinationales de l’agroalimentaire et des fonds financiers continuent de défendre les traités de libre-échange et un marché unique capitaliste européen.
Oubliés, les prix plancher
Il convient de lire avec attention le texte qui proclame que la souveraineté alimentaire de la France « s’entend de sa capacité à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l’Union et de ses engagements internationaux ». Pourtant, ce sont ces deux orientations qui font le mal de l’agriculture et les souffrances des paysans-travailleurs. La mise en concurrence est le moyen d’abaisser les prix à la production partout dans le monde.
La loi, telle qu’elle a été votée, ne retire rien du boulet des dettes qui assaillent les paysans. Pas question pour les groupes de droite et d’extrême droite, qui ont voté cette loi, de débattre du rôle et de la responsabilité des banques dans un projet nouveau de développement agricole, pour faciliter l’installation des jeunes ou pour l’annulation et la renégociation des dettes qui enserrent nombre de paysans.
La question fondamentale de la rémunération du travail et « les prix plancher », dont avait parlé le président de la République lors du Salon de l’agriculture, s’est également évanouie dans la nature. Et pour cause. Le pouvoir comme le complexe agroalimentaire y sont fermement opposés.
Pour des offices publics par filière
Pourtant, la création d’offices publics par filière de production, qui veilleraient à une rémunération du travail et à des investissements par des prix de base garantis des productions à la ferme, permettrait d’assurer une sécurité de revenus aux paysans. Elle serait aussi un atout pour améliorer l’attractivité du métier et lancer un plan audacieux d’installation de jeunes.
Compte tenu de la diversité des conditions de production, ces prix de base devraient d’ailleurs être différenciés, à partir d’une quantité moyenne de production par exploitation, afin de défendre l’agriculture paysanne et de soutenir la nécessaire planification agroécologique. Cela devrait faire l’objet de négociations semestrielles au sein de l’ensemble de la chaîne de production, de distribution et de commercialisation.
Le tout serait conjugué à une réforme profonde de la politique agricole commune, qui soutiendrait d’abord le travail, ainsi qu’une bifurcation écologique et la qualité alimentaire.
Une récupération du mouvement paysan
Une loi d’orientation agricole ne peut non plus absoudre les secteurs industriels, agrochimiques et commerciaux, qui profitent tant du travail paysan, de leur responsabilité envers la société.
Cette loi n’est que la récupération des justes demandes du mouvement paysan du début de l’année par les syndicats représentant les grandes exploitations et les secteurs industriels en amont et en aval de l’agriculture.
Une alliance des paysans-travailleurs, des consommateurs, des chercheurs, des associations doit se construire pour obtenir une autre « orientation » progressiste et environnementale permettant à la fois aux paysans de vivre mieux, de leur reconnaître un statut, tout en engageant un processus faisant du droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tous un droit réel. C’est l’objet, la raison d’être de la revue La Terre.
Claudia Sheinbaum, nouvelle présidente du Mexique, débutera son mandat en octobre. L’enseignante-chercheuse reconnue est co-récipiendaire du prix Nobel de la paix, en qualité de membre du GIEC. Ce profil atypique à plusieurs égards, ainsi que la composition de son gouvernement et son programme, donnent à voir des conceptions politiques, peu communes sous nos latitudes, en matière d’interactions entre politiques nationale et internationale.
Il est assez rare qu’une ou un Prix Nobel accède à la tête d’un pays. C’est pourtant ce qui va se produire ce 1er octobre au Mexique. Claudia Sheinbaum, élue en juin dernier avec près de 60 % des voix, à la présidence de la République, prendra ses fonctions au début de l’automne. Ancienne ministre puis gouverneure de la capitale Mexico, la nouvelle et première femme cheffe de l’État mexicain est climatologue, physicienne, spécialiste de l’efficacité énergétique, et a participé à ce titre aux rédactions des quatrième (2007) et cinquième (2013) rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), récipiendaire du prix Nobel de la paix en 2007. Fille et petite-fille de réfugiés juifs d’Europe centrale, militante de gauche dès le plus jeune âge, co-fondatrice de la formation (Morena(1)) du président sortant Andres Manuel Lopez Obrador (dit « AMLO »), Claudia Sheinbaum a mené une carrière scientifique dans la recherche et l’enseignement qui l’a notamment conduite à siéger au comité des politiques de développement de l’ONU. Elle a alterné l’exercice de trois mandats ou postes ministériels et ses activités professionnelles ; à chaque fin de cycle politique, elle est retournée à ses recherches scientifiques.
« Pour le bien de tous, les pauvres d’abord »
La république fédérale du Mexique s’étend sur près de 2 millions de km2, compte environ 130 millions d’habitants et fait partie des vingt premières puissances économiques mondiales. Nation d’Amérique du Nord, le Mexique souffre encore de sa proximité avec les États-Unis auxquels il a déjà dû céder par le passé, après la sécession du Texas et deux ans de guerre au milieu du xixe siècle, 50 % de son territoire (soit 2 millions de km2 supplémentaires qui incluaient, entre autres, la Californie, le Nouveau-Mexique ou encore une partie du Wyoming). Son encombrant voisin, prétendument leader du « monde libre », n’a eu de cesse de chercher à lui dicter sa politique. Après trois siècles de colonisation espagnole (du xvie au xixe siècle), ouverts par le massacre de la population aztèque et l’élimination de sa civilisation séculaire et de son empire), le Mexique a longtemps été en butte aux ingérences étasuniennes et à celles des grandes puissances européennes, notamment la France, et de leurs banques, entravant le plein développement du pays et de son peuple.
Aujourd’hui, le Mexique est l’un des principaux pays producteurs de pétrole (le troisième fournisseur des États-Unis en la matière), le premier producteur mondial d’argent. Grand pays de cultivateurs, dont les revendications ont nourri les élans de la révolution de 1910-1917 et de la réforme agraire de 1964 mettant fin à la concentration des terres, le Mexique a vu son agriculture réduite à 4 % du PIB sous les effets des accords de libre-échange qui le lient aux États-Unis et au Canada. D’« abyssales inégalités sociales » continuent de grever la société mexicaine. Le chercheur Christophe Ventura relevait, en 2018, qu’« 1 % des plus riches concentre 36 % de la richesse nationale. La pauvreté, elle, touche 46 % de la population ». Et, selon les estimations, le travail informel concernerait de 25 % à 50 % de la population active. Claudia Sheinbaum, qui succède à AMLO, dont elle reste proche même si elle n’en revendique pas tout le bilan, a d’ailleurs placé sa campagne électorale sous le slogan, « Pour le bien de tous, les pauvres d’abord ». Peut-elle réellement y parvenir en maintenant une part des politiques de rigueur, dites d’austérité républicaine, qui touchent la recherche scientifique par exemple, justement reprochées à son prédécesseur ? Rien n’est moins sûr. Mais ce qui est certain, c’est qu’après le retour au pouvoir de Lula au Brésil, celui de la gauche coalisée (et malgré quelques désillusions depuis sa victoire) au Chili, l’élection de Claudia Sheinbaum à la suite d’AMLO n’est pas faite pour satisfaire Oncle Sam qui agite déjà les épouvantails, car la présidente semble déterminée à mettre en œuvre son programme électoral.
Paysans et villageois rackettés et tués par les cartels
La Nobel de la paix prend la tête de l’un des pays les plus violents au monde, déstabilisé par une corruption systémique, une extraordinaire criminalité et les centaines d’assassinats de paysans et villageois rackettés par les cartels, de militantes et militants des droits humains et environnementaux, de candidats aux élections locales, de journalistes, de fonctionnaires de justice et de police. Les activités des narcotrafiquants ont ainsi fait plusieurs centaines de milliers de morts en vingt ans (le New York Times évoque le nombre de 180 000 décès pour les seules années de présidence d’AMLO). Ajoutées à la pauvreté, les effroyables guerres intestines des gangs mafieux poussent aussi des milliers de Mexicains, souvent ruraux, à fuir, à leurs risques et périls, aux États-Unis en espérant trouver un avenir meilleur et envoyer un soutien financier à leur famille restée en arrière. Le Mexique est aussi une terre de féminicides, un fléau endémique que la présidente, jugée encore sur la retenue quant à la lutte contre le patriarcat ou pour le droit à l’avortement, dit vouloir éradiquer autant que la grande pauvreté. Cette lutte, comme la lutte contre la corruption, passe notamment par des réformes constitutionnelles et une réforme du pouvoir judiciaire que la Maison-Blanche dénonce, toute honte bue, comme une « menace contre la démocratie »(2).
Enfin, parties prenantes d’une politique de développement durable et de paix, de lutte contre les cartels de narcotrafiquants et contre la pauvreté, de soutien à l’agriculture et aux communautés paysannes, la transition écologique et la préservation de la biodiversité s’inviteront nécessairement dans l’agenda de la nouvelle cheffe de l’État mexicain qui devra résoudre de grandes contradictions. Le Mexique abrite 10 % de la biodiversité mondiale, « dont la richesse la place au 4e rang mondial » selon le WWF, et fait partie des 17 pays « méga divers » présentant la plus grande biodiversité au plan international. Pour Novethic(3), celle qui « a fait de la question de l’eau un enjeu fort de son programme, en proposant un plan national qui devrait permettre de moderniser les infrastructures de gestion de l’eau du pays » maintient « en matière énergétique, [une] position (…) encore assez ambiguë, malgré son expertise sur les sujets climatiques ». « Elle a ainsi annoncé des investissements de plus de 13 milliards de dollars dans le développement des énergies renouvelables. Tout en promettant de poursuivre l’héritage d’Andrés Manuel López Obrador, qui a largement poussé le développement des énergies fossiles dans le pays depuis 2018. »
En dévoilant, fin juin une partie de la composition de son gouvernement, la présidente a annoncé la nomination au poste de ministre-secrétaire d’État à l’agriculture et au développement rural l’agronome Julio Antonio Berdegué Sacristan, ancien représentant régional de l’Amérique latine à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Aussi bien son parcours et sa personnalité que ceux des ministres qu’elle a choisis devraient donner à réfléchir à quiconque s’imagine en vizir. Expérimentés et compétents sur le plan professionnel, elles et ils ont aussi représenté leur pays dans des instances intergouvernementales et internationales où s’élaborent les politiques de coopération, où se livrent aussi des bras-de-fer avec les super-puissances, notamment financières, et où se traitent une part des grands enjeux globaux de notre époque. Sous leur conduite, le Mexique, puissance dite émergente est une puissance mondialisée, au sens que lui donne le politologue Bertrand Badie. C’est-à-dire que, sous l’impulsion de Sheinbaum et dans la continuité du mandat d’AMLO, ce pays entend bouger les lignes sur le plan international autant qu’il envisage de se servir des atouts de la coopération (je dis bien, coopération et non mondialisation) internationale pour garantir son propre développement.
Ce n’est pas une vision largement répandue, mais c’est la seule qui cherche à articuler les dimensions nationales et internationales de manière dialectique. Elle demeure le plus souvent le fait de pays du « Sud Global », dirigés par des forces de sensibilité progressiste. À l’instar d’autres nations (Cuba ou l’Afrique du Sud, pour citer deux exemples bien différents), la politique internationale du Mexique n’est pas fondée de nos jours sur la puissance militaire ou des logiques de domination mais, explicitement, sur la « non intervention ». Aussi la diplomatie et la participation mexicaines aux espaces régionaux et multilatéraux revêtent-elles une dimension importante de sa politique nationale. Elles en sont même indissociables pour résoudre les grands problèmes du pays, et contribuer à changer le monde. L’avenir nous dira si la présidence Sheinbaum aura réellement travaillé dans cette voie et obtenu des résultats. Toujours est-il que cette conception fait cruellement défaut aux dirigeants des pays occidentaux qui refusent l’avènement d’un nouvel ordre international, plus juste, solidaire et pacifié, mais surtout dont les puissances dites du Nord ne seraient plus les seules maîtresses ni exclusives bénéficiaires.
(1) En espagnol, Mouvement pour la régénération nationale, créé en 2011.
(2) Lire l’Humanité du 30 août 2024.
(3) Novethic, fondé en 2001 par la Caisse des dépôts dont il est une filiale, est « un média en ligne spécialisé dans la finance durable et l’économie socialement responsable » qui s’adresse aux acteurs financiers et dirigeants d’entreprise.
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