flux Ecologie

Engagés pour la nature et l'alimentation.

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10.04.2024 à 09:58
Patrick Le Hyaric
Texte intégral (1368 mots)

Le texte présenté lors du dernier Conseil des ministres sous l’intitulé ronflant « projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture » ne poursuit pas l’objectif qu’il prétend. Il constitue une amplification des choix anciens qui poussent les travailleurs paysans dans les difficultés et les souffrances tout en aggravant le recul de la souveraineté alimentaire. Les travailleurs paysans qui ont besoin de prix garantis à la production ne peuvent y trouver leur compte et le « droit à l’alimentation » en quantité comme en qualité est nié.

Ce texte – qui pourrait être soumis au débat de l’Assemblée nationale dès le 13 mai prochain – aurait également dû tirer les leçons des effets pervers et destructeurs de l’insertion à marche forcée de la production de nourriture dans le capitalisme puis dans la mondialisation capitaliste accélérée dès les années 1990. Il n’en est rien.

Alors que nous sommes entrés dans un dangereux carrefour ou le nombre d’agriculteurs diminue chaque jour au point qu’on peut penser qu’il n’en restera moins de 150 000 dans quelques années, que le mal être et la souffrance parcourt les champs et les fermes, que le modèle productiviste capitaliste épuise autant les travailleurs de la terre que la terre elle-même, qu’il est prouvé désormais que l’utilisation des cocktails chimiques pour traiter les cultures sont aussi néfaste aux paysans qu’à la nature le gouvernement propose d’accélérer, de poursuivre la concentration agraire et d’utiliser la production agricole pour produire plus de carburants et d’électricité.

Si elle était approuvée en l’état, cette loi d’orientation accentuerait à coup sûr tous les problèmes que nous connaissons aujourd’hui. 

Son orientation générale vise en effet à accélérer le productivisme capitaliste en faisant fi des conditions humaines et écologiques de la production, du développement des territoires, de la qualité alimentaire et de la lutte pour la vitalité de la biodiversité et pour enrayer les modifications climatiques.

Derrière un langage aguichant, l’article 1 du texte donne le ton ultra-libéral. « L’agriculture, la pêche, l’aquaculture et l’alimentation sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire ; qui contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la nation ». Le concept « d’intérêt général majeur » doit ici être compris comme l’impossibilité de contrarier une production agricole développée à n’importe quelle condition. La pêche industrielle et ses bateaux usines qui racle les fonds marins ne serait pourrait être contestée. C’est le moyen juridique permettant de placer la production au même niveau que l’environnement et le droit du travail pour s’affranchir de certaines contraintes réglementaires.

Dans le même ordre d’idées, et sous couvert de « simplification », d’autres articles ont pour objet de faciliter les projets d’extension d’élevages intensifs de poulets, de porc ou de vaches laitières et des fermes aquacoles. Le membre d’article visant à permettre « d’accélérer les prises de décisions des juridictions en cas de contentieux contre des projets d’ouvrages hydrauliques » dont les mégas bassines dont on sait qu’ils ne profitent qu’à une infime minorité de paysans et épuisent les nappes phréatiques font fi de la démocratie et de l’environnement. Il s’agit donc au nom de la compétitivité internationale, sans rapport avec nos besoins nationaux, d’accélérer et de promouvoir une agriculture de plus en plus industrialisée, insérée dans la guerre économique internationale. 

Derrière le prétendu projet de « la souveraineté alimentaire de La France » le primat revient à la concurrence au sein de l’Union européenne et le respect des traités de libre-échange comme le dit clairement le texte. Celui-ci n’expose que cette souveraineté « s’entend de sa capacité à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l’Union et de ses engagements internationaux ». Bref, le grand vent du large capitaliste ! 

Au travers de « groupements fonciers agricoles d’investissement, » c’est le grand saut visant à mettre de plus en plus de terre entre les mains du capital financier. Cette proposition vise à permettre aux capitaux privés extérieurs à la production agricole de s’accaparer des terres pour les louer à des agriculteurs. Ceux-ci seraient ainsi placés sous la coupe du capital vorace en dividendes à partir du travail et de la nature. Voilà la légalisation d’une exploitation encore plus grande des terres, des animaux et des travailleuses et travailleurs. C’est l’organisation de l’accaparement des terres par les forces de l’argent à l’opposé de l’usage des terres dans le cadre d’une multitude d’exploitations familiales à taille humaine pour une agriculture nourricière durable et une alimentation de qualité. Ainsi est préparée une nouvelle version de la rente foncière. Un débat sur la propriété des terres, la nature de leur utilisation ou exploitation serait bien utile. N’est-elle qu’un capital ou un outil de production à exploiter au risque de la rendre stérile ou est-elle un bien commun dont il faut prendre le plus grand soin ? Il conviendrait de revenir à une régulation de l’accès à la terre. De ce point de vue, la modernisation et la démocratisation des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) devraient être mises à l’ordre du jour afin de permettre à plus de jeunes de s’installer sous différents statuts y compris en leur donnant, pour un temps donné, un droit d’usage gratuit des terres nécessaires à une production agro-écologique. Ceci n’est possible qu’en changeant le rôle des banques dans l’installation des jeunes et pour l’annulation ou la renégociation des dettes qui enserrent nombre de paysans. Cela ne serait évidemment pas suffisant sans la création d’offices publics par filières de production qui veillerait à une rémunération du travail et des investissements par des prix de base garantis des productions à la ferme. Ceux-ci pourraient être d’ailleurs différenciés selon une quantité de production par exploitation afin de défendre l’agriculture paysanne et soutenir la nécessaire planification agro-écologique.

Une telle loi ne peut non plus faire abstraction des secteurs industriels, agro-chimiques et commerciaux qui profitent tant du travail paysan.

Le temps est court d’ici le début de la discussion parlementaire, mais l’intervention citoyenne auprès des députés est possible pour obtenir une loi permettant à la fois aux paysans de vivre mieux, de leur reconnaître un statut tout en engageant un processus faisant du droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tous un droit réel.

Le 9 avril 2024.

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04.04.2024 à 11:46
Fabrice Savel
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Au sommaire :

– Le cri de la terre, par Patrick Le Hyaric

– Reportage dans le Pas-de-Calais. La montée des eaux, ses dégâts, ses traumatismes et ses leçons

– Manon Pengam : « Les doléances révèlent la capacité des citoyens à dire ce qui doit changer »

– Mercosur. Multinationales de l’automobile contre multinationales de la viande

– Relever les défis de l’insécurité alimentaire avec l’Organisation Mondiale des Cités et Gouvernements locaux Unis (CGLU)

De Vitry à Barjac en passant par Villejuif et Nantes, les initiatives des collectivités et des territoires pour le droit à l’alimentation.

22.03.2024 à 11:31
La Terre
Texte intégral (1296 mots)

Le Rapport mondial 2024 des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, publié par l’UNESCO pour le compte d’ONU-Eau, souligne que les tensions liées à l’eau exacerbent les conflits à l’échelle mondiale. Pour préserver la paix, les États doivent renforcer la coopération internationale et les accords transfrontaliers.

Selon le nouveau rapport, publié par l’UNESCO pour le compte d’ONU-Eau, 2,2 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à des services d’eau potable gérés de manière sûre. Ce chiffre atteint 3,5 milliards de personnes s’agissant de l’accès aux services d’assainissement. L’objectif des Nations Unies de garantir cet accès à tous d’ici 2030 est donc très loin d’être atteint. Et il est même à craindre que les inégalités continuent de s’accroître dans ce domaine.

En effet, entre 2002 et 2021, les sécheresses ont touché plus de 1,4 milliard de personnes. En 2022, environ la moitié de la population mondiale a connu une grave pénurie d’eau pendant au moins une partie de l’année et un quart a été confronté à des niveaux « extrêmement élevés » de stress hydrique, utilisant plus de 80 % de son approvisionnement annuel total en eau douce renouvelable. Le dérèglement climatique menace d’augmenter encore la fréquence et la gravité de ces phénomènes avec des risques accrus sur la paix sociale.

Les filles et les femmes sont les premières victimes du manque d’eau

La première conséquence est la détérioration des conditions de vie des populations, avec une hausse de l’insécurité alimentaire et des risques sanitaires. La rareté de l’eau a également un impact sur le développement social, en particulier sur les filles et les femmes. Dans de nombreuses zones rurales, elles sont en première ligne pour la collecte de l’eau, consacrant jusqu’à plusieurs heures par jour à cette tâche. La réduction de l’approvisionnement en eau exacerbe ce fardeau, compromettant alors leur accès à l’éducation, leur participation à la vie économique et leur sécurité. Cela peut notamment contribuer à un taux d’abandon scolaire plus élevé chez les filles que chez les garçons.

« A mesure que le stress hydrique augmente, les risques de conflits locaux ou régionaux augmentent également. Le message de l’UNESCO est clair : si nous voulons préserver la paix, nous devons non seulement mieux préserver les ressources en eau mais aussi renforcer au plus vite la coopération régionale et mondiale dans ce domaine », déclare Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO.

Les pénuries d’eau sont également un facteur important de migrations. Or, ces déplacements de populations peuvent contribuer à leur tour à l’insécurité hydrique dans les zones d’accueil, en exerçant une pression supplémentaire sur les systèmes et les ressources en eau, alimentant alors de nouvelles tensions sociales. Une évaluation conduite en Somalie a par exemple fait état d’une augmentation de 200 % des violences sexistes contre des personnes déplacées.

Un besoin urgent d’accords transfrontaliers

La rareté de l’eau peut aussi augmenter le risque de conflits. Dans la région du Sahel, la dégradation des zones humides – souvent due à des projets inadaptés d’aménagement de l’eau– a exacerbé les tensions concernant l’accès à l’eau et aux terres cultivables, déclenchant des troubles locaux.

Alors que 40 % de la population mondiale vit dans des bassins fluviaux et lacustres transfrontaliers, seul un pays sur cinq a conclu des accords couvrant l’ensemble de ses eaux transfrontalières en vue de gérer cette ressource de façon partagée. De nombreux bassins transfrontaliers sont déjà situés dans des zones marquées par des tensions interétatiques actuelles ou passées. Dans la région arabe, sept pays étaient en conflit en 2021, parfois de longue date, avec de vastes implications pour l’approvisionnement en eau, les infrastructures et la coopération potentielle sur les questions liées à l’eau.

« L’eau, lorsqu’elle est gérée de manière durable et équitable, peut être une source de paix et de prospérité. C’est aussi l’élément vital de l’agriculture, le principal moteur socio-économique pour des milliards de personnes », souligne Alvaro Lario, Président du Fonds international de développement agricole (FIDA) et Président d’ONU-Eau.

L’Afrique demeure la plus exposée aux tensions interétatiques liées à l’eau : 19 États sur 22 étudiés souffrent d’une pénurie d’eau, alors même que deux tiers des ressources en eau douce sont transfrontalières. Or, sur les 106 aquifères transfrontaliers cartographiés en Afrique, seuls 7 d’entre eux font à ce jour l’objet d’une coopération formalisée entre pays.

Des progrès concrets dans la coopération dans plusieurs régions

Dans ce contexte, la coopération transfrontalière pour la gestion de l’eau apparait comme un levier puissant de maintien de la paix. En créant les conditions d’un dialogue régulier entre toutes les parties et en instaurant les cadres juridiques appropriés, elle est en capacité de résoudre la plupart des différends relatifs à l’eau, et donc de prévenir l’apparition ou l’exacerbation de conflits à plus grande échelle.

L’Accord-cadre pour le bassin de la Save, signé en 2002 par la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Serbie et la Slovénie, fut le premier accord multilatéral axé sur le développement en Europe du Sud-Est. Il a jeté avec succès les bases d’une gestion durable de la ressource en eau. Deux décennies après sa signature, il apparaît comme un élément clef de la stabilité régionale et est une source de bonnes pratiques pouvant inspirer d’autres régions du monde.
 

Alors que le lac Tchad a diminué de 90 % en 60 ans, générant de nombreux défis économiques et sécuritaires dans la région, le Cameroun, le Tchad, la République centrafricaine, la Libye, le Niger et le Nigeria ont réussi ces dernières années à donner un nouvel élan à la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT). Celle-ci a vu son mandat élargi pour à la fois assurer une utilisation efficace des eaux, coordonner le développement local et prévenir les tensions pouvant survenir entre les pays et les communautés locales. Elle est aujourd’hui l’institution la mieux à même de répondre aux besoins spécifiques du bassin, y compris les questions de développement socio-économique et de sécurité. Ces deux exemples soulignent que, y compris dans des situations complexes, les États sont en mesure de s’engager dans des politiques d’accès à l’eau et de gestion partagée de cette ressource à la fois justes et équitables grâce à la coopération internationale et au soutien du système des Nations Unies.

22.02.2024 à 12:03
The Conversation
Texte intégral (3086 mots)

Par Barbu Corentin, Aulagnier Alexis, Gallien Marc, Gouy-Boussada Véronique, Labeyrie Baptiste, Le Bellec Fabrice, Maugin Emilie, Ozier-Lafontaine Harry, Richard Freddie-Jeanne, Walker Anne-Sophie, Humbert Laura, Garnault Maxime, Omnès François, Aubertot JN.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Face aux manifestations des agriculteurs début 2024, le gouvernement français a annoncé une « mise à l’arrêt » du plan Ecophyto jusqu’au salon de l’Agriculture fin février. Cette pause devait permettre de revoir les indicateurs utilisés pour évaluer la baisse de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (pesticides appliqués sur les cultures) en France.

Certains indicateurs développés au niveau européen étaient fortement mis en avant avec le soutien de certains syndicats d’agriculteurs. À l’inverse, des organisations de défense de l’environnement et de la santé défendaient l’indicateur NoDU, indicateur actuel du plan Ecophyto. Le gouvernement a finalement tranché le 21 février, avec l’annonce par Gabriel Attal de l’abandon du NoDU, au profit de l’indicateur européen HRI-1.

Comment s’y retrouver dans cette jungle d’acronymes ?

En tant que membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto, comité indépendant des pilotes du plan, nous avons notamment pour mission de guider le choix des indicateurs. Dans ce texte, nous souhaitons préciser la nature de ces derniers et en clarifier les enjeux.

À l’origine des indicateurs, un besoin d’évaluation

La mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques publiques nécessitent la définition d’indicateurs quantitatifs. Mais pour construire des indicateurs pertinents, il faut faire des choix quant à la nature de ce que l’on mesure, et à la façon dont on le définit.

Du fait de ces choix, les indicateurs, y compris agro-environnementaux, sont par nature imparfaits. Une quantification des ventes décrira imparfaitement la toxicité et l’écotoxicité des produits, mais même un indicateur spécifique de la toxicité pose le problème de la définition des écosystèmes et espèces touchées : humains, insectes, faune du sol ou des cours d’eau… tous sont différents par leur exposition, mais surtout par leur sensibilité aux différentes substances actives.

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Face à cette complexité, il est utile de se rappeler qu’un indicateur doit éclairer une décision. Il faut trouver un compromis entre pertinence et accessibilité des données mobilisées pour le calculer.

Les ventes de produits phytopharmaceutiques en France comme prérequis

Devant la difficulté de connaître l’utilisation de produits dans les champs, il a été choisi, aux niveaux français comme européen, de mesurer les ventes au niveau des distributeurs, par année civile.

Il faut garder à l’esprit que la quantification des ventes ne permet pas de suivre les pratiques agricoles en temps réel, puisque les produits sont achetés à l’avance et que les agriculteurs adaptent leur utilisation au statut agronomique de leurs parcelles (mauvaises herbes, maladies, infestations par des insectes…).

En France, le suivi des ventes a été rendu possible par la création de la redevance pour pollutions diffuses (RPD) en 2008, qui est une taxe payée par les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques. Sa mise en œuvre a permis l’enregistrement de toutes les ventes de produits phytopharmaceutiques en France dans une base de données (BNVD).

À partir des données de vente, plusieurs indicateurs ont été proposés dans le débat public. Nous les présentons brièvement ci-après.

La quantité de substance active (QSA)

La QSA correspond à la masse totale de substances actives dans les produits vendus au cours d’une année civile. Sa simplicité d’utilisation apparente voile un travers majeur : elle cumule des substances ayant des doses d’application par hectare très différentes, ce qui revient à additionner des choux et des carottes.

Par analogie, c’est comme si l’industrie pharmaceutique additionnait les masses de médicaments ayant des posologies radicalement différentes. Or, pour les traitements phytopharmaceutiques, les « posologies » varient fréquemment d’un facteur 1 à 100. Des substances potentiellement très toxiques, mais actives à beaucoup plus faible dose peuvent ainsi se retrouver « masquées » par d’autres substances.

Par exemple, les insecticides sont généralement efficaces à très faibles doses. Par conséquent, ces derniers ne représentent que 1,8 % de la QSA moyenne annuelle sur la période 2012-2022, alors qu’ils représentent environ 15 % des traitements.

Par ailleurs, l’industrie phytopharmaceutique tend à produire des substances de plus en plus légères pour une efficacité donnée. Par conséquent, la QSA peut baisser au cours du temps sans que cela soit lié à une diminution du nombre de traitements, ou à une baisse de toxicité des substances utilisées.

Par exemple, un herbicide en cours d’homologation serait efficace à un gramme par hectare, soit plus de 1000 fois moins que le glyphosate, efficace à plus d’un kilogramme à l’hectare. Si cette substance venait à remplacer les herbicides actuels, et notamment le glyphosate, la QSA pourrait baisser soudainement d’un tiers, sans que les pratiques ni leur toxicité potentielle n’aient changé.

Le nombre de doses unité (NoDU)

Le NoDU agricole est l’indicateur de référence du plan Ecophyto depuis sa création en 2008. Historiquement, il a été construit par des scientifiques d’INRAE en lien avec les pouvoirs publics pour pallier les faiblesses de la QSA.

Sans rentrer dans les détails, on peut dire qu’il corrige le problème de la grande diversité des doses auxquelles sont utilisées les substances actives, en divisant chaque quantité de substance commercialisée par une dose de référence à l’hectare, appelée « dose unité » (DU).

Le NoDU correspond ainsi au cumul des surfaces (en hectares) qui seraient traitées à ces doses de référence. Cette surface théorique est supérieure à la surface agricole française, puisque les cultures sont généralement traitées plusieurs fois.

Le calcul de la dose unité, complexe et détaillé au paragraphe suivant, s’appuie sur les doses maximales autorisées lors d’un traitement (doses homologuées). Ces doses sont validées par l’Anses sur la base de l’efficacité et de la toxicité et écotoxicité de chaque produit.

Dans le NoDU, les substances appliquées à une dose inférieure à 100 g par hectare sont bien prises en compte : elles représentent la large majorité du NoDU. Dans la QSA au contraire, les quelques substances appliquées à plus de 100 g par hectare représentent la grande majorité de la QSA et invisibilisent les autres substances.

Le calcul de la dose unité, ou quand le diable est dans les détails

Bien que les indications données par le NoDU permettent de caractériser l’évolution du recours aux produits phytopharmaceutiques, il pose néanmoins des problèmes, liés notamment à la complexité du calcul des doses unités.

Commençons par préciser que lorsqu’une substance est présente dans plusieurs produits commercialisés, chaque produit va être homologué sur plusieurs cultures et pour différents usages, potentiellement à différentes doses.

La dose unité est définie, de manière complexe mais précise, comme la moyenne des maxima, par culture, des doses homologuées pour une substance une année civile donnée. Cette moyenne est pondérée par la surface relative de chaque culture en France.

Chaque année, le NoDU est calculé avec les doses unités de l’année et les NoDU des années précédentes sont recalculés avec ces doses unités pour éviter que les changements réglementaires affectent les tendances observées.

Le calcul des doses unités, tout à fait justifié du point de vue conceptuel, entraîne en pratique d’importantes difficultés :

  • la définition est difficile à comprendre, ce qui en soi est un problème pour un indicateur aussi important ;

  • l’utilisation des surfaces de culture implique d’attendre la publication de ces valeurs, ce qui retarde d’autant le calcul du NoDU. Pourtant, tenir compte des surfaces cultivées n’a qu’un impact très faible sur le résultat obtenu au niveau national. C’est également un frein à la généralisation du calcul à d’autres échelles géographiques ;

  • l’utilisation des maxima des doses homologuées augmente la sensibilité du calcul aux évolutions réglementaires, ainsi qu’aux erreurs potentiellement présentes dans les bases de données.

Cependant, et malgré les évolutions de surfaces de culture et de réglementation d’une année à l’autre, l’utilisation des doses unités d’une année ou d’une autre ne font varier la valeur du NoDU que de quelques pourcents au niveau national.

Notre proposition pour simplifier le NoDU

Pour faciliter la compréhension et le calcul du NoDU, tant au niveau régional qu’européen, nous recommandons de définir la dose unité d’une substance comme la médiane de toutes ses doses homologuées – plutôt que la moyenne des maxima des doses homologuées par culture, pondérée par la surface relative de chaque culture.

Cette modification ne remettrait pas en cause le principe général du NoDU pour caractériser les ventes des produits phytopharmaceutiques en tenant compte des doses homologuées.

Enfin, les variations du NoDU en fonction l’année de calcul des doses unités deviendraient indétectables. De plus, nous avons montré que l’indicateur résultant est extrêmement corrélé au NoDU actuel. De sorte que même si les valeurs absolues sont différentes, les évolutions restent identiques.

Bilan du plan Ecophyto à l’aune du NoDU

Depuis 2009, première année de collecte des données de vente, le NoDU a augmenté de 15 à 20 % jusqu’en 2014, puis s’est stabilisé jusqu’en 2017. S’en est suivi deux années exceptionnelles d’augmentation (stockage en 2018) puis de diminution (déstockage en 2019) liées à l’annonce, en 2018, de l’augmentation de la RPD au 1er janvier 2019. Depuis 2020, la valeur du NoDU s’est alors stabilisée à nouveau à un niveau proche de celui de 2009-2012.

Cette dernière baisse pourrait être liée à l’augmentation de la RPD en 2019 mais aussi à des conditions climatiques globalement défavorables aux pathogènes et aux ravageurs ces trois dernières années.

La relative stabilité du NoDU pour l’ensemble des substances entre 2009 et 2022 peut donner une impression d’immobilisme. Cependant, le plan Ecophyto prévoit aussi le calcul du NoDU sur la base plus restreinte des substances identifiées dans le code du travail comme cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) aux effets avérés ou supposés (CMR1) ou suspectés (CMR2). Ces substances particulièrement toxiques doivent en effet être éliminées en priorité.

Or, le NoDU pour les CMR1, les plus dangereuses, a baissé de 88 % entre 2009 et 2020 (voir graphe ci-dessous), avant d’approcher 0 % en 2022. Les CMR dans leur ensemble ont vu leur NoDU diminuer de 40 % entre 2009 et 2020. Cette baisse met en évidence les changements importants permis par l’évolution réglementaire d’une part, et par l’adaptation des agriculteurs à ces évolutions d’autre part.

Autrement dit, oui, le NoDU a été utile pour quantifier la limitation de l’usage des produits phytopharmaceutiques dangereux. De plus, et contrairement à ce qui aurait pu arriver, cette élimination des produits les plus dangereux, et potentiellement les plus efficaces, n’a pas entraîné une augmentation des traitements dans leur ensemble.

C’est d’autant plus remarquable que l’interdiction de traitements de semences (par exemple néonicotinoïdes sur colza), non inclus dans le NoDU, a sans doute entraîné l’utilisation de traitements en végétation (par exemple contre les altises à l’automne) qui eux sont comptabilisés dans le NoDU. Il faudrait donc profiter de la réflexion actuelle sur les indicateurs pour intégrer l’ensemble des substances actives utilisées pour les traitements de semences dans le calcul.

HRI, F2F… Les indicateurs européens

Au niveau européen, d’autres indicateurs ont été proposés : les HRI-1 et 2 (Harmonized Risk Indicator, prévu par la directive n°2009/128) et les F2F-1 et 2 (Farm to Fork, prévu dans la stratégie de la Ferme à la Table).

Les indicateurs HRI-1 et F2F-1 sont jumeaux, puisqu’ils ne diffèrent que par l’éventail des substances prises en compte et par les périodes de référence considérées. Tous deux prennent en compte la masse de substances actives, comme le fait la QSA, mais en les pondérant en fonction de leur appartenance à des groupes de « risque » : 1 pour les substances de faible risque, 8 pour les substances autorisées, 16 pour les substances dont l’interdiction est envisagée, et enfin 64 pour les substances interdites.

Ces indicateurs européens sont problématiques pour plusieurs raisons :

  • tout d’abord les masses ne sont pas rapportées à des doses d’usage ;

  • de surcroît, en France, environ 80 % des substances vendues sont par défaut classées dans le second groupe (substances « autorisées »), ce classement est donc peu discriminant ;

  • enfin, les valeurs de pondération utilisées pour le calcul de ces indicateurs sont arbitraires et ne sont étayées par aucun résultat scientifique.

Faut-il en finir avec le NoDU ?

Le NoDU n’est aujourd’hui utilisé qu’en France mais il suffirait de simplifier son calcul, tel que nous le proposons, pour le rendre utilisable à l’échelle européenne.

Les doses maximales autorisées par application peuvent varier entre pays européens, la dose unité pourrait donc correspondre à la médiane de toutes les doses homologuées en Europe. Le calcul serait simple, pertinent et applicable partout en Europe. Cette méthode pourrait aussi être utilisée pour calculer l’évolution des ventes pour chaque groupe de « risque » défini actuellement au niveau européen.

Une autre option acceptable pourrait être que les indicateurs européens soient modifiés pour utiliser, au sein de chaque groupe, un équivalent au NoDU et non une masse totale de substance. C’est fondamentalement ce que l’agence environnementale allemande propose dans son rapport de mai 2023 bien qu’elle critique aussi les coefficients de pondération du HRI-1.

Par ailleurs, il apparaît difficile d’embrasser la complexité de la question de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques avec un unique indicateur. Idéalement, il faudrait que le plan Ecophyto se dote d’un panel d’indicateurs complémentaires permettant de décrire :

  • l’intensité de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ;

  • les services agronomiques rendus par les produits phytopharmaceutiques ;

  • les risques pour la santé humaine ;

  • les risques pour la biodiversité.

Quelles que soient les options choisies, le comité alerte sur la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU. Cet indicateur doit continuer d’une part d’être appliqué à l’ensemble des ventes pour caractériser la quantité totale de traitement et d’autre part d’être appliqué aux substances les plus préoccupantes pour quantifier l’effort d’arrêt des substances les plus dangereuses.



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21.02.2024 à 12:25
La Terre
Texte intégral (518 mots)

Le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire a envoyé un extrait du Projet de Loi d’Orientation et d’Avenir Agricoles (PLOAA) au MODEF (Lire le document). Le MODEF refuse ce document de travail car il méprise les paysans !

Ce texte va détruire l’Agriculture Familiale et va mettre en péril la souveraineté alimentaire. C’est du blabla de technocrates ! Aucune mesure sur les prix agricoles et sur le revenu paysan ! Selon le dernier rapport institutionnel du Global Policy-Report – Food System Economics Commission (janvier 2024), le modèle agro-industriel fait peser des coûts cachés sur la santé, l’environnement, et la société s’élevant à 15 000 milliards de dollars par an soit 12 % du PIB mondial. Le gouvernement français prône ce modèle !

Le MODEF est scandalisé par cette orientation politique ! Le modèle Agriculture familiale à taille humaine et agroécologie rapporterait 10 000 milliards de dollars par an, selon le rapport des économistes. Le coût estimé de cette transition est de seulement 0,2 à 0,4 % du PIB mondial. Les libéraux français ont travaillé à vider la notion de souveraineté alimentaire de son objet fondamental.

Le MODEF demande la suppression de la définition écrite par le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire. Nous revendiquons la définition de la Via Campesina : « la souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement saines et durables, et leur droit de définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ». De plus, le MODEF exige la sortie du secteur agricole et de l’alimentation du cadre commercial de l’OMC. Le MODEF recommande au Gouvernement d’intégrer dans la définition de souveraineté alimentaire la capacité donnée aux peuples de construire démocratiquement leurs propres politiques agricoles et alimentaires !

Les paysans demandent au Premier Ministre de revoir sa copie en intégrant les 45 propositions du MODEF. Lire les 45 propositions du Modef



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20.02.2024 à 11:14
The Conversation
Texte intégral (1986 mots)

Par Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de Bordeaux.


Si l’on pense pauvreté, une réalité urbaine vient à l’esprit. La grande ville, la banlieue, le péri-urbain. Seule exception dans cet imaginaire de pauvreté de béton : les agriculteurs. Leur mobilisation contre leur précarité grandissante est actuellement très médiatisée. Lorsqu’ils ne sont pas sur le devant de la scène, ils restent observés avec intérêt par les chercheurs et les pouvoirs publics. Trois raisons à cela : ils sont particulièrement subventionnés, le maintien de leur profession joue un rôle déterminant pour les espaces ruraux et les enjeux de « souveraineté alimentaire » cristallisent l’attention.

Mais en dehors de ce corps de métier, la pauvreté des espaces ruraux à très faible densité de population est comme invisible. Les questions de précarité et d’exclusion sociale sont très peu médiatisées lorsque l’on parle de tous les autres habitants des campagnes.

Depuis une vingtaine d’années, la pauvreté monétaire sur le territoire national s’accentue (elle se définit par un revenu inférieur à 60 % du revenu médian. En 2023, ce seuil est fixé à un revenu disponible de 1 102 euros par mois pour une personne seule et de 2 314 euros pour un couple avec enfants). Alors qu’en 2004, 12,6 % de Français vivaient sous le seuil de pauvreté, en 2024, ils sont 14,5 %. La pauvreté monétaire est plus importante dans les grands centres-villes, c’est vrai.

Mais ensuite, c’est dans les communes rurales dites « isolées et hors de l’influence des villes » qu’elle est la plus forte. Celles-ci accueillent environ 5 % de la population métropolitaine. Que sait-on de cette pauvreté rurale ? Qu’en est-il notamment chez les jeunes ?

Que sait-on de la pauvreté des jeunes ruraux ?

Tout d’abord, pourquoi s’intéresser particulièrement aux jeunes ? Il y a environ 9 millions de personnes en situation de pauvreté en France. Les jeunes de moins de 30 ans représentent à eux seuls la moitié de cet échantillon. Ils sont deux fois plus susceptibles de se retrouver dans une situation de pauvreté que ne le sont les personnes de plus de 65 ans. Cela s’explique à la fois par un phénomène de reproduction sociale (qui exacerbe les inégalités au fil des générations) et par une redistribution des richesses et des places en défaveur des jeunes générations. La jeunesse est particulièrement hétérogène, mais elle fait face dans son ensemble à un contexte de marée montante de la précarité. Cependant, les choses ne sont pas les mêmes que l’on soit un jeune vivant en ville ou à la campagne.

Lorsqu’on s’intéresse aux chiffres, la pauvreté en milieu rural semble moins importante qu’en ville. Les ménages ruraux représentent un tiers de la population, mais un quart des ménages pauvres. Cela pourrait laisser penser que les espaces ruraux sont des espaces de « résistance » à la pauvreté, notamment chez les jeunes.

Ces chiffres sont trompeurs : ils dissimulent d’autres phénomènes. Le taux de pauvreté des urbains est supérieur à celui des ruraux, mais lorsque l’on s’intéresse aux actifs de moins de 30 ans, la pauvreté est très similaire. Les retraités, eux, sont même plus touchés par la pauvreté dans les campagnes que dans les villes. La sociologue Agnès Roche dénonce dans son ouvrage Des vies de pauvres les écrans de fumée qu’imposent les catégories administratives et notamment le découpage géographique de l’Insee qui homogénéise les différents espaces ruraux (périurbain, rural « profond », etc.) en un ensemble parfois incohérent. Difficile alors d’étudier les phénomènes de pauvreté dans un flou territorial.

Ainsi, là où les travaux statistiques tutoient parfois leurs limites, les enquêtes qualitatives réalisées auprès des jeunes ruraux permettent de mieux comprendre ces phénomènes. Elles se révèlent particulièrement éclairantes sur les questions de non-recours aux aides sociales et mettent à jour une pauvreté invisibilisée et stigmatisée dans les campagnes.

Un non-recours aux aides plus important

On observe un écart assez important en fonction des territoires lorsque l’on étudie les jeunes à l’aune des aides qu’ils reçoivent. Dans le modèle français, une grande partie de la solidarité qui permet aux jeunes d’accéder à l’indépendance repose sur l’aide parentale. Ce système « familialiste » crée une reproduction des inégalités importante puisqu’il fait reposer l’avenir socioprofessionnel des jeunes sur les ressources de leurs parents, ressources inégales entre les familles et souvent en défaveur des territoires ruraux. Pour autant, si la solidarité familiale est acceptée, les aides sociales sont en France particulièrement stigmatisées. Elles sont associées à l’hédonisme, à la fainéantise, à l’inaction, en bref, à l’imaginaire de l’assistanat.

Chez les jeunes ruraux, on observe un phénomène de rejet plus prononcé des aides sociales que chez les urbains. Le fait de vivre en milieu rural diminue d’ailleurs la probabilité de connaître de manière précise le RSA de 11,2 points. Une opposition assez flagrante entre deux domaines symboliques se dessine dans le discours des jeunes avec lesquels nous nous sommes entretenus : d’une part, la figure du travailleur pauvre, et de l’autre, celle de l’assisté. Dans cette manière très manichéenne de percevoir son rapport à ces revenus, on tente de se placer du côté de ceux qui maîtrisent leurs expériences de vie par le travail. Être ou devenir « un assisté » devient une crainte telle qu’elle détourne souvent les jeunes d’aides auxquelles ils peuvent pourtant prétendre.

Plus que craindre pour l’image que l’on se fait de soi, c’est surtout le risque de stigmatisation que l’on craint. Être perçu comme un « assisté », c’est être localement « mal vu » et donc souffrir d’une mauvaise réputation. Dans des espaces où les réputations se font et se défont rapidement, le fait d’être perçu comme « vivant aux crochets » des aides peut notamment limiter l’employabilité des jeunes. Ce non-recours aggrave la précarité des jeunes dans les campagnes. Il participe à une pauvreté plus silencieuse.

Les jeunes femmes plus durement touchées

Les jeunes ruraux sont plus souvent en situation d’emploi que les urbains mais ils sont également sujets à des phénomènes d’exploitation dans le travail de manière récurrente. Travailler sans contrat, être sous-payé, voire pas rémunéré du tout, est fréquent dans les parcours de vie de jeunes ruraux, en particulier chez les plus précaires. Parallèlement, les jeunes qui ne sont ni en emploi, étude ou stage (NEET) sont particulièrement nombreux dans les espaces ruraux. Ils représentent un quart des 18-24 ans, contre un cinquième en ville.

Les écarts entre hommes et femmes sont bien plus importants dans les campagnes. Si les territoires ruraux sont hétérogènes, on peut trouver chez les 15-24 ans, 32 % des femmes sont en activité contre 47 % des hommes. En ville, c’est 33 % des femmes de 15-24 ans et 40 % des hommes. Le chômage féminin peut être jusqu’à deux fois supérieur à celui des hommes dans certaines zones rurales.

Les inégalités territoriales, des politiques inadaptées et le manque d’intérêt jouent le jeu d’une pauvreté invisible et parfois trop silencieuse des jeunes en milieu rural. Leurs aspirations et leurs besoins semblent rarement pris en considération. Les politiques publiques à destination des jeunes sont urbanocentrées, et lorsque l’on s’intéresse aux habitants des territoires ruraux, il s’agit plus de « bricolage » administratif que de grands plans d’action adaptés et construits. On omet souvent la très grande hétérogénéité de ces espaces, et donc, de leurs besoins. Si la pauvreté semble numériquement plus faible dans les campagnes, elle cache d’autres phénomènes : « […] de stigmatisation, d’assignation territoriale et enferme dans une pauvreté silencieuse » comme le souligne Amélie Appéré De Sousa, qui a collaboré avec l’Observatoire Régional de Santé Bourgogne. Il est nécessaire de ne plus penser les espaces ruraux comme en périphérie ou à la marge des réalités contemporaines. Ces espaces représentent plus des deux tiers du territoire français.


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.



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19.02.2024 à 11:33
The Conversation
Texte intégral (3251 mots)

Par Pierre Lebailly, Maître de Conférences en Santé publique, membre de l’Unité de recherche Interdisciplinaire pour la prévention et le traitement des cancers – ANTICIPE, chercheur en épidémiologie au Centre de Lutte Contre le Cancer François Baclesse à Caen, Université de Caen Normandie et Isabelle Baldi, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier, co-directrice de l’équipe EPICENE ( Epidémiologie du cancer et des expositions environnementales) – Centre de Recherche INSERM U 1219, Université de Bordeaux


Jeudi 1er février 2024, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a annoncé la mise en pause du plan Écophyto II+, qui visait à « réduire les usages de produits phytopharmaceutiques de 50 % d’ici 2025 ». Cette décision visait à satisfaire les demandes d’une partie des agriculteurs, dans le contexte des négociations destinées à mettre un terme à la crise débutée en janvier.

Les effets délétères de ces substances sur la santé, et en particulier celle des exploitants agricoles des pays occidentaux et de leurs familles, sont pourtant de mieux en mieux documentés. Plusieurs types de cancers sont notamment plus répandus dans les populations d’agriculteurs que dans la population générale. C’est aussi le cas de diverses maladies neurodégénératives et respiratoires.

Voici ce que l’on en sait à l’heure actuelle, et les questions qui restent posées.

Qu’est-ce qu’un « pesticide » ?

Sous l’appellation de « pesticides » sont regroupés un ensemble de produits de synthèse ou naturels visant à lutter, le plus souvent en les détruisant, contre les organismes jugés nuisibles pour l’être humain ou ses activités, notamment en agriculture.

Ces substances répondent à quatre usages : il peut s’agir de produits phytopharmaceutiques (les plus connus des pesticides, ceux qui sont utilisés sur les cultures), de certains biocides (utilisés dans les bâtiments d’élevage ou en salle de traite, pour traiter le bois afin de le protéger des insectes et des moisissures…), de certains médicaments vétérinaires (antiparasitaires externes ou antifongiques) et enfin de certains médicaments destinés à la santé humaine (anti-poux, anti-gale, anti-mycoses…).

Les pesticides ont donc par nature une activité toxique vis-à-vis du vivant. Ils sont de ce fait soumis à une réglementation plus ancienne et plus contraignante que la plupart des autres produits chimiques. Cette réglementation, établie au niveau européen, est complexe, car elle vise à encadrer le quadruple usage de ces substances.

Des effets sur la santé connus de longue date

L’histoire des pesticides commence à la fin du XIXe siècle. En France, dès les années 1880, certaines substances (arsenicaux, dérivés du cuivre et du soufre) ont été employées dans les régions où l’agriculture s’intensifiait, notamment en viticulture et en arboriculture. Déjà à cette époque, des médecins hygiénistes notèrent chez les travailleurs agricoles l’émergence de nouvelles maladies liées à leur emploi.

Mais c’est après la Seconde Guerre mondiale que l’usage des pesticides prend véritablement son essor, avec le passage à une production industrielle en quantité et en variété des familles chimiques. Conséquence : dès les années 1950-1970, plusieurs constats préoccupants sont faits.

Par

Des intoxications aiguës se produisent, dans les vergers en Californie, chez les applicateurs d’organophosphorés, ainsi que chez d’autres travailleurs en contact avec les végétaux après les traitements. Des contaminations alarmantes de l’environnement sont détectées, et des travaux révèlent que le lait humain est lui aussi contaminé, notamment par certains insecticides de la famille des organochlorés (tels que le DDT ou le lindane).

Dès les années 1960, en France, certains médecins du travail agricole se préoccupent des effets des pesticides sur la santé des travailleurs agricoles. Aux États-Unis, les critiques associées à leur utilisation ont alimenté dès cette époque d’importantes mobilisations protestataires, dénonçant leurs effets délétères sur la santé des saisonniers agricoles, des consommateurs ou de la faune sauvage.

Après plus de cinquante ans d’études épidémiologiques (1970-2020), il est maintenant admis que les populations agricoles des pays à forts revenus, dans lesquels la plupart des études ont été conduites, présentent des particularités en matière de risque de cancer.

Trois cancers clairement plus fréquents chez les agriculteurs

Dans les pays occidentaux, on observe un excès de certains cancers dans les populations agricoles, par rapport à la population générale.

Il s’agit principalement des cancers de la prostate (cancer masculin le plus fréquent en France, il touche chaque année près de 60 000 hommes, entraînant le décès de près de 9 000 d’entre eux), des lymphomes non hodgkiniens et des myélomes multiples.

Pour les cancers de la prostate, au moins 5 méta-analyses ont été conduites sur le lien avec l’exposition professionnelle aux pesticides et elles ont conclu pour quatre d’entre elles à une augmentation de risque variant de 13 à 33 %. Quelques méta-analyses ont porté sur le lien avec des familles chimiques spécifiques de pesticides comme celle sur les insecticides organochlorés qui a conclu à une augmentation de risque variant de 30 à 56 % selon les molécules étudiées. Pour les lymphomes, une méta-analyse datant de 2014 montrait une augmentation de risque variant de 30 à 70 % pour les 7 familles chimiques étudiées.

Dans sa première expertise collective publiée en 2013, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) concluait à une présomption forte d’un lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la survenue de ces trois cancers. Cette conclusion a été maintenue lors de la mise à jour de cette expertise collective, en 2021.

En raison de ces données scientifiques, ces trois cancers font l’objet de tableaux de maladies professionnelles en France (tableau 59 du régime agricole pour les lymphomes non hodgkiniens incluant les myélomes multiples et, tableaux 61 (régime agricole) et 102 (régime général) pour les cancers de la prostate).

D’autres cancers ayant fait l’objet de moins d’études (leucémies, tumeurs du système nerveux central, sarcomes, cancers du rein et de la vessie), seraient aussi plus fréquents chez les utilisateurs professionnels de pesticides. L’expertise collective Inserm de 2021 a conclu à une présomption moyenne de lien pour ces cancers.

Enfin, de nombreux autres cancers ont été très peu étudiés et n’ont d’ailleurs pas pu faire l’objet d’une analyse détaillée par les expertises de l’Inserm de 2013 et 2021 par manque de moyens humains et/ou de données disponibles. Il s’agit des cancers broncho-pulmonaires, des cancers digestifs (colorectaux, estomac, pancréas, foie, œsophage), des cancers gynécologiques (sein, ovaires, corps et col de l’utérus), des cancers ORL ou des lèvres et des cancers de la thyroïde.

Les données manquent pour étudier tous les pesticides utilisés

Il faut noter que peu d’études épidémiologiques ont analysé les liens entre la survenue de cancers ou de maladies chroniques et l’exposition à des familles ou des molécules pesticides spécifiques. En effet, la plupart des études conduites portaient sur des effectifs réduits, ne permettant pas d’explorer la diversité des molécules.

On considère que plus de 1000 molécules à activité pesticide ont été homologuées en Europe, et ont été présentes pour une utilisation agricole à un moment ou un autre. Certaines molécules étant retirées tandis que de nouvelles sont homologuées, aujourd’hui, on considère que le nombre de molécules autorisées est plus proche de 400.

Cependant, il est important de considérer également les molécules retirées du marché, en raison des effets retardés qu’elles peuvent avoir (comme dans le cas du lindane, interdit en France depuis 1998 pour les usages agricoles et assimilés – mais seulement en 2006 dans les produits anti-poux, qui persiste encore néanmoins dans l’environnement).

Ainsi, dans le meilleur des cas, pour des cancers très étudiés et pour des familles chimiques de pesticides très anciennes (herbicides tels que le 2,4D ou insecticides organochlorés comme le DDT, utilisés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale), il n’existe pas plus d’une dizaine d’études disponibles permettant de documenter un lien.

Dans la méta-analyse de 2015 qui a conclu à une augmentation de risque de cancer de la prostate de plus de 50 % pour les expositions professionnelles au lindane, faute de données, les auteurs n’ont pu analyser que 5 organochlorés parmi la vingtaine qui ont été utilisés massivement dans le monde depuis les années 1950…

Les auteurs de la méta-analyse de 2014 qui a établi un lien entre lymphomes non hodgkiniens et expositions à des pesticides spécifiques (21 familles chimiques et plus de 80 matières actives rapportées) n’ont identifié que 12 études fournissant des données sur les phénoxy-herbicides (2,4D, MCPA…).

En 2017, d’autres auteurs se sont focalisés sur le lien entre ces lymphomes non hodgkiniens et l’exposition au 2,4D à partir de 12 études cas-témoins et d’une cohorte historique dans une usine de production de cet herbicide. Cette méta-analyse a pu conclure à une augmentation du risque de 70 % chez les professionnels les plus exposés.

D’autres maladies que le cancer sont aussi concernées

Au-delà des cancers, des données de plus en plus nombreuses et convergentes indiquent que l’exposition aux pesticides a pour conséquences d’autres effets sur la santé. Les effets sur le cerveau, par exemple, sont de mieux en mieux documentés.

D’après les expertises collectives de 2013 et de 2021 de l’Inserm, le niveau de présomption du lien entre l’exposition aux pesticides et le développement d’une maladie de Parkinson est fort. Les connaissances sur ce lien se sont constituées au cours du temps à partir de la survenue de quelques cas observés chez de personnes ayant été exposées à des substances proches de certains herbicides (des toxicomanes ayant consommé des drogues contenant une substance, le MPTP, très proche chimiquement du paraquat et du diquat, deux herbicides largement utilisés).

Ces constats ont été renforcés par des études géographiques montrant une plus forte prévalence de la maladie dans certaines zones agricoles, puis des études cas-témoins et quelques données de cohorte. Au final, les nombreuses études publiées mettent en évidence un risque de maladie de Parkinson quasiment doublé chez les personnes ayant été exposées aux pesticides.

Les données toxicologiques renforcent la compréhension de ce lien : chez des animaux exposés en laboratoire à certains pesticides (notamment la roténone, une molécule dérivée d’une plante et considérée comme un insecticide biologique), des atteintes neurodégénératives ont été mises en évidence.

Par ailleurs, plus d’une cinquantaine d’études ont également révélé des altérations des performances cognitives (capacités du cerveau à traiter les informations) chez les personnes exposées de manière chronique aux pesticides, ce qui a également conduit l’expertise collective de l’Inserm à conclure à un niveau de présomption fort pour ces troubles.

Ces résultats interrogent sur un possible lien avec la maladie d’Alzheimer, pour laquelle les troubles cognitifs peuvent représenter des symptômes précurseurs. Cependant, le nombre d’études sur cette maladie reste aujourd’hui encore limité. De ce fait, le niveau de présomption du lien est considéré comme « moyen ».

Il faut enfin souligner que certaines altérations respiratoires chroniques ont donné lieu à un grand nombre d’études probantes au cours des dix dernières années, amenant l’Inserm à la conclusion d’un niveau de présomption fort entre l’exposition aux pesticides et le risque de développer une bronchopneumopathie chronique obstructive, une grave maladie inflammatoire des bronches.

Accumuler et croiser les données grâce à des cohortes de grande taille

La difficulté à documenter l’effet de molécules pesticides spécifiques a été en partie résolue dans certaines études récentes, qui se sont essentiellement appuyées sur de grandes cohortes prospectives.

C’est par exemple le cas de l’Agricultural Health Study aux USA, qui porte sur plus de 50 000 agriculteurs utilisateurs de pesticides inclus à la fin des années 1990 (les questionnaires initiaux interrogeaient les agriculteurs sur l’usage d’une cinquantaine de molécules spécifiques).

En France, depuis le milieu des années 2000, la cohorte AGRIculture & CANcer (AGRICAN) suit plus de 182 000 affiliés agricoles dans 11 départements français métropolitains, dont près de 70 % d’agriculteurs/éleveurs. Ces participants sont utilisateurs de pesticides pour plus de 70 % des hommes et plus de 20 % des femmes.

Les cohortes Agricultural Health Study et AGRICAN sont en outre associées avec des données du recensement agricole norvégien au sein d’un consortium international de cohortes agricoles nommé AGRICOH.

Parallèlement, la plupart des études cas-témoins plus récentes permettent d’analyser le lien avec des pesticides spécifiques. De plus, certaines de ces études cas-témoins – les plus anciennes – sont réunies en consortium internationaux portant sur des maladies ciblées, généralement peu fréquentes, et bénéficiant du regroupement de cas à l’échelle internationale.

C’est le cas du consortium INTERLYMPH : regroupant plus de 20 études cas-témoins conduites dans une dizaine de pays différents, dont la France, il porte sur plus de 17 000 patients atteints de lymphomes.

Une nocivité confirmée

À l’heure actuelle, AGRICAN a permis d’obtenir des résultats concernant les effets d’expositions professionnelles agricoles – incluant les pesticides – sur les cancers de la prostate, de la vessie, du côlon et du rectum, du système nerveux central, des ovaires ainsi que pour les myélomes multiples ou les sarcomes.

Pour chacun de ces cancers, plusieurs secteurs de production ont été associés à des effets délétères, ainsi que certaines tâches associées soit à une exposition directe, lors de l’application des pesticides sur les cultures ou en traitement de semences, soit à l’exposition indirecte : réentrée (autrement dit, le fait de revenir dans les cultures juste après les traitements, ce qui conduit à un contact avec des surfaces traitées et un transfert de résidu de la plante vers la peau des travailleurs), contact avec des semences enrobées, récoltes…

Pour permettre aux personnes ayant travaillé en agriculture d’estimer leurs expositions à certains pesticides, en fonction des cultures sur lesquelles elles sont intervenues, un outil épidémiologique (PESTIMAT) a été élaboré. Celui-ci a permis d’évaluer l’influence, dans la survenue de tumeurs du système nerveux central, de molécules pesticides spécifiques, telles que les herbicides, insecticides et fongicides carbamates.

Par ailleurs, en 2019, AGRICOH a permis de conclure à une association entre l’exposition au glyphosate et la survenue d’un type de lymphome particulier, le lymphome diffus à grandes cellules B. Cette analyse a également permis de détecter une association entre l’exposition à un insecticide de la famille des pyréthrinoïdes, la deltaméthrine, et la survenue d’une autre hémopathie lymphoïde (les leucémies lymphoïdes chroniques).

Enfin, en 2021, les travaux d’INTERLYMPH ont montré (en s’appuyant sur 9 études cas-témoins pour 8 000 patients atteints de lymphomes), que l’exposition des agriculteurs à deux insecticides, le carbaryl et le diazinon, était associée à un doublement du risque de certains lymphomes. L’année suivante, d’autres travaux menés dans le cadre d’INTERLYMPH ont révélé que chez les personnes ayant utilisé pendant de nombreuses années des phénoxy-herbicides comme le 2,4 D, les risques de survenue de plusieurs lymphomes spécifiques étaient doublés.

Des questions encore en suspens qui concernent aussi d’autres professions

L’impact de l’exposition professionnelle aux pesticides sur la santé humaine, notamment en termes de cancers et de certaines maladies neurodégénératives, ne fait guère de doute aujourd’hui, en raison d’une littérature scientifique nombreuse et convergente. Les arguments en faveur d’un lien entre cette exposition et d’autres maladies, en particulier respiratoires et endocriniennes, sont aussi de plus en plus nombreux au fil des ans.

Cependant, les connaissances nécessitent d’être encore renforcées. En effet, des zones d’ombre persistent notamment quant aux fenêtres d’exposition les plus critiques. L’impact des expositions aux pesticides pendant la vie fœtale et l’enfance est aussi une source de préoccupations.

Par ailleurs, si l’agriculture est le secteur professionnel utilisant les plus grandes quantités de pesticides, de nombreux autres secteurs d’activité sont également concernés, mais nettement moins étudiés (espaces verts, industrie du bois, hygiène publique, pompiers, industries agroalimentaires…).


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.



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17.02.2024 à 09:27
La Terre
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Lors de cet échange, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’étudier un dispositif des prix minimums garantis au niveau de l’Union Européenne et sa mise en œuvre pour l’ensemble des pays de l’U.E.

Le Modef qui se bat pour des prix minimums garantis par l’État pour assurer des prix et un revenu aux agriculteurs de puis 1959 a pris acte de cette position présidentielle. Le syndicat reste mobiliser pour que le prix retenu soit rémunérateur pour les agriculteurs familiaux de France afin qu’ils puissent enfin avoir la garantie d’un revenu décent. Sur ce point précis, le Modef attend des actes forts et sera vigilant à la mise en œuvre « des prix minimums » à l’échelle européenne !

Dans un communiqué le Modef rappelle que les députés de la majorité ont rejeté le 30 novembre 2023 la proposition de loi « visant à lutter contre l’inflation par l’encadrement des marges des industries agroalimentaires, du raffinage et de la grande distribution et établissant un prix d’achat plancher des matières premières agricoles ».

Le syndicat revendique une Agriculture familiale à taille humaine faite d’un million de paysans ! Le Président de la République s’est clairement exprimé contre ce modèle. Pire lorsque nous avons évoqué les difficultés des producteurs bio, il nous a répondu que « les smicards préfèrent téléphones et abonnements VOD plutôt qu’une alimentation plus saine. »

Néanmoins certaines propositions portées par le Modef ont progressé : le carburant agricole non taxé, le contrôle des importations abusives, l’inscription dans le projet de loi d’orientation agricole (PJLOA) la notion de souveraineté alimentaire, le relèvement des plafonds d’exonérations dans les cas de transmission à un nouvel agriculteur, le droit à l’eau d’irrigation pour les exploitations avec une priorité au stockage par le biais des retenues collinaires plutôt que des bassines et le contrôle des marges abusives pour les GMS.

À cette heure, le Modef reste déterminé à se battre pour des prix planchers, rémunérateurs garantis par l’État, l’encadrement des marges par le coefficient multiplicateur …


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08.02.2024 à 13:26
The Conversation
Texte intégral (2597 mots)

Par Giovanni Prete, Maître de conférence en sociologie, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux et Lisis (délégation Inrae), Université Sorbonne Paris Nord; Elodie Haraux, Service de chirurgie de l’enfant, CHU Amiens Picardie Laboratoire Peritox UMI-01, CURS Université Jules Verne Picardie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV); Jean-Noël Jouzel, Chercheur CNRS, sociologie, science politique, Sciences Po et Sylvain Chamot, MD, PhD student Péritox (UMR_I 01) ; UPJV/INERIS , Université de Picardie Jules Vernes & CHU Amiens Picardie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV).


Le 1er février dernier, pour répondre à la colère des agriculteurs, Gabriel Attal, le premier ministre, a pris un certain nombre de mesures, parmi lesquelles la « mise à l’arrêt » du plan Écophyto. Pour rappel, ce plan avait pour but de réduire progressivement de 50 % l’utilisation des pesticides sur le territoire français, d’ici à 2025.

Suspension du plan Écophyto, à rebours des engagements de l’État

Cette annonce s’inscrit à rebours des engagements pris par l’État, des objectifs du plan Écophyto et des attentes de la population. « La réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques (c’est-à-dire les pesticides dans le langage courant, ndlr) constitue une attente citoyenne forte et une nécessité pour préserver notre santé et la biodiversité », peut-on ainsi lire sur la page dédiée du ministère de l’agriculture.

Les organisations non gouvernementales (ONG) de défense de l’environnement déplorent, de leur côté, « le signal désastreux » envoyé par la suspension du plan Écophyto

Nombre d’ONG et d’associations militent, en particulier, pour la reconnaissance des effets sanitaires liés à l’exposition aux pesticides chez les agriculteurs et au sein de leurs familles.

C’est le cas, par exemple, du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest. Le 4 décembre 2023, à Rennes, l’association organisait une conférence de presse pour demander la création d’un nouveau tableau des maladies professionnelles spécifique aux tumeurs cérébrales dont le risque serait accru par l’exposition aux pesticides.

Ce tableau s’appuierait notamment sur l’expertise scientifique collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) « Pesticides et santé, nouvelles données » rendue en 2021.

Présomption de lien entre tumeurs au cerveau et exposition aux pesticides

Par rapport à son précédent rapport sur le sujet qui datait de 2013, l’Inserm a fait passer de « faible » à « moyen » la « présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et de tumeurs du système nerveux central » pour les populations agricoles. Cela concerne deux catégories de tumeurs du cerveau en particulier : les gliomes et les méningiomes.

En épidémiologie, la « présomption d’un lien » signifie qu’on observe une association entre un facteur particulier – ici, une exposition aux pesticides – et un effet sur la santé – ici, la survenue de tumeurs du cerveau.

Néanmoins, il convient de préciser que la présomption d’un lien ne constitue pas une preuve définitive de causalité. On parle de « présomption de lien moyenne » quand il existe au moins une étude de bonne qualité qui montre une association statistiquement significative.

La demande du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest a pour objectif de faciliter l’obtention d’une réparation financière pour les personnes ayant été exposées, du fait de leur travail, à des pesticides et qui ont développé une pathologie de ce type.

Un long parcours pour obtenir une reconnaissance et une réparation

De nombreux rapports publics ou travaux de sciences sociales décrivent les obstacles auxquels doivent faire face les victimes du travail pour obtenir une telle réparation. Nous avons récemment publié un livre intitulé « L’agriculture empoisonnée, le combat des victimes des pesticides » (aux éditions des Presses de Sciences Po), dans lequel nous analysons en particulier les difficultés que rencontrent les travailleuses et travailleurs agricoles exposés aux pesticides.

Ils ne connaissent pas toujours leurs droits et sont confrontés à des professions médicales souvent mal formées aux enjeux médico-administratifs des maladies professionnelles. De plus, il peut être compliqué pour eux de se revendiquer victimes de produits qu’ils ont volontairement utilisés en tant qu’exploitants et chefs d’entreprises, même sous l’incitation de nombre d’organismes agricoles.

Leurs parcours de reconnaissance est un long combat qui bénéficie du soutien de leurs familles, de journalistes, d’avocats et d’associations environnementales ou de victimes (le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, Phyto-victimes notamment).

S’il est difficile d’obtenir une réparation pour des victimes d’expositions toxiques professionnelles, cela est quasiment impossible pour les victimes d’expositions environnementales.

En effet, les maladies environnementales sont souvent multifactorielles, à délai de latence long. Et comme il n’existe pas de système de réparation basé sur la présomption d’origine comme pour les maladies professionnelles, les victimes doivent engager des procédures juridiques civiles où les exigences de preuves de causalité qui leur sont demandées sont insurmontables.

Une première avancée avec le Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides

Les données scientifiques mettant en cause le rôle des pesticides dans l’apparition de certaines maladies chez l’adulte mais aussi chez l’enfant sont de plus en plus nombreuses.

Face à ce constat, les autorités ont décidé en 2020 la création d’un Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (FIVP).

La principale innovation de ce fonds est d’ouvrir la possibilité d’une indemnisation facilitée pour les enfants atteints d’une pathologie parce qu’au moins un de leurs parents a été exposé aux pesticides en raison de son activité professionnelle. On parle d’ « enfants exposés aux pesticides pendant la période prénatale » parce que l’exposition du père ou de la mère pourrait être associée à un risque accru de maladie de l’enfant.

La présomption d’un lien entre ces expositions et une augmentation de risque existe pour les tumeurs cérébrales et pour les leucémies. Les experts du Fonds considèrent également que les fentes labio-palatines et les hypospadias (les hypospadias sont des anomalies génitales qui touchent les garçons) font partie des maladies pour lesquelles une présomption de lien existe.

La création du FIVP est une véritable avancée dans l’ouverture des droits pour les victimes d’expositions environnementales. Cependant, comme le montrent les travaux en sciences sociales sur les victimes du travail et plus largement sur les droits sociaux, il ne suffit pas que des droits soient ouverts pour qu’ils soient saisis et activés par leurs bénéficiaires potentiels.

Entre 2021 et 2022, le Fonds n’a ainsi reçu que douze demandes d’indemnisation pour des pathologies pédiatriques d’enfants exposés durant la période prénatale. (Précisément, son rapport d’activité 2021 fait état de sept premières demandes. Selon le rapport 2022, trois dossiers d’enfants ont été traités dans l’année et cinq nouveaux dossiers sont parvenus en 2022).

Pour les familles, les obstacles pour faire reconnaître la maladie de leur enfant et son origine sont très nombreux. De plus, les pathologies pédiatriques lourdes déclenchent souvent un besoin de comprendre l’origine du mal – « pourquoi moi ? pourquoi mon enfant ? » – Les parents font face à des savoirs épars et loin d’être maîtrisés par l’ensemble des pédiatres.

Surtout, les parents peuvent hésiter à explorer plus avant cette question de la causalité du fait des enjeux de responsabilité morale qu’elle soulève : pour un parent, incriminer sa propre exposition toxique comme cause de la maladie de son enfant peut entraîner un sentiment fort de culpabilité.

Au CHU d’Amiens, une première consultation pour les familles concernées

Pour aider les familles concernées par ces enjeux médico-administratifs, scientifiques et moraux, le Centre régional de pathologies professionnelles et environnementales des Hauts-de-France (CRPPE HDF) du Centre Hospitalo-Universitaire Amiens Picardie a mis en place une consultation dédiée en octobre 2023.

Les CRPPE sont des structures hospitalières expertes dans l’évaluation des expositions environnementales et professionnelles et l’établissement de leur imputabilité dans la genèse des maladies. En d’autres termes, les spécialistes tentent d’établir si l’exposition à certaines substances présentes dans l’environnement de vie des patients a pu augmenter le risque de survenue de leur maladie.

La consultation du CRPPE HDF – site d’Amiens repose sur un dispositif de repérage et d’accompagnement des familles dont un enfant est atteint d’une des pathologies susceptibles d’ouvrir droit à une réparation via le Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides.

Cela implique une collaboration avec les praticiens spécialisés en chirurgie et oncologie pédiatrique du CHU d’Amiens de manière à identifier les familles concernées. Ces dernières ont accès à une consultation durant laquelle le responsable du CRPPE évalue les expositions professionnelles et environnementales des parents, et émet un avis expert consultatif sur l’imputabilité de celles-ci dans la genèse de la pathologie de leur enfant.

L’accent est mis sur les multiples facteurs à l’origine de la maladie, parmi lesquels l’exposition aux pesticides peut, ou non, avoir joué un rôle. Le cas échéant, le responsable du CRPPE présente les possibilités de réparation et aide la famille à constituer son dossier médico-administratif.

Affranchir les parents du sentiment de culpabilité

La consultation est aussi le moyen d’aider les familles à s’affranchir du sentiment de culpabilité qui les habite, en insistant sur la responsabilité collective de notre société dans l’utilisation des pesticides qui a été reconnue par la création du Fonds.

Cette consultation est également l’occasion d’expliquer aux familles les grands principes de la prévention du risque chimique. Le responsable insiste aussi sur le fait que supprimer ou contrôler collectivement le danger – en l’occurrence les pesticides à risque – est, de très loin, bien plus efficace que modifier les équipements de protection ou les comportements individuels.

Première de son genre en France, on peut espérer que cette consultation fera des émules dans d’autres régions grâce au CRPPE, et contribuera, comme d’autres dispositifs (par exemple l’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale) à une meilleure reconnaissance des dégâts induits par les pesticides sur la santé des humains et, en particulier, celle des enfants.

Pour l’heure, ce type de consultation reste centré sur les cas d’expositions périnatales professionnelles, faute de dispositifs d’indemnisation prévus pour d’autres expositions périnatales potentiellement favorisées par l’utilisation de pesticides, par exemple pour des foyers qui vivent à proximité de cultures sur lesquelles ces produits sont épandus.

Les (rares) données épidémiologiques sur les effets de ces expositions sur la santé des enfants, citées notamment dans le rapport de l’Inserm, incitent à ne pas écarter ces pathologies de la réflexion sur la prise en charge collective des dégâts causés par le recours massif à la chimie de synthèse en agriculture. Il s’agit là d’un enjeu de santé publique et d’équité entre les victimes des pesticides.The Conversation



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The Conversation
07.02.2024 à 10:06
La Terre
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«

Quel que soit le modèle agricole choisi, durable ou Agriculture Biologique (AB), le revenu des paysans continue de se dégrader. Les annonces faites par le Premier Ministre et le Président de la République sont insuffisantes. La loi EGALIM est inefficace ! Les coûts de production ne sont pas pris en compte pour fixer le prix et surtout rien pour encadrer les marges de la grande distribution et l’agroalimentaire !

En 2017, le gouvernement actuel a décidé de supprimer l’aide au maintien à l’Agriculture Biologique. L’AB connaît de grandes difficultés depuis deux ans, on observe un ralentissement des conversions (- 32 % sur un an en 2022) et le nombre de déconversions a augmenté de 35 %. Aujourd’hui, l’AB stagne à 10,7 % de la surface agricole totale, alors que le Gouvernement s’était fixé un objectif de 15 % pour 2022, puis 18 % pour 2027.

Le Premier Ministre a annoncé vendredi dernier une enveloppe de 50 millions d’euros pour la prise en charge des pertes Bio en 2023 soit une aide de 833 euros par ferme Biologique. Le MODEF déplore cette annonce et regrette le désengagement du gouvernement vers l’Agriculture Biologique et Familiale.

Régulation des prix, maîtrise des productions, encadrement des marges de la grande distribution, plafonnement des aides de la PAC, autonomie des exploitations agricoles sont autant de propositions qui permettraient un autre développement agricole.

Le MODEF demande :

  • La fixation des prix planchers rémunérateurs garantis par l’État pour les produits agricoles y compris l’Agriculture Biologique,
  • L’application du coefficient multiplicateur,
  • Un soutien renforcé à l’Agriculture Biologique de 271 millions d’euros,
  • Une revalorisation des éco régimes des fermes Bios à 145 €/hectare/an.


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