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Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

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10.05.2025 à 21:22

Erika Campelo

Texte intégral (5679 mots)
Temps de lecture : 14 minutes

Ce texte constitue le dernier chapitre du livre Multinationales : une histoire du monde contemporain, dirigé par Olivier Petitjean et Ivan du Roy, sorti en février 2025 aux éditions La Découverte.


Le 5 juin 2022, aux confins de l’Amazonie brésilienne, Dom Phillips, journaliste britannique, et Bruno Pereira, anthropologue et expert brésilien des peuples autochtones, sont assassinés alors qu’ils naviguent sur la rivière Itacoaí (État d’Amazonas), un affluent indirect de l’Amazone. Les deux hommes étaient en train de documenter les abus perpétrés contre les communautés autochtones et l’environnement dans le Val do Javari, l’une des plus grandes réserves autochtones du pays, d’une superficie équivalente à celle de l’Autriche et frontalière avec le Pérou. Les organisations de défense de la liberté de la presse déplorent régulièrement les lenteurs de l’enquête de la justice brésilienne. Celle‑ci a cependant permis l’arrestation de plusieurs suspects faisant partie d’un réseau criminel plus vaste, impliqué dans des activités économiques illégales dans cet écrin de biodiversité protégé, telles que la pêche, l’extraction minière et l’abattage de bois, avec des ramifications bien au‑delà des simples acteurs locaux.

Les noms de Dom Phillips et Bruno Pereira s’ajoutent à la longue liste des défenseurs de l’environnement — représentants de communautés locales, militants écologistes, chercheurs… — assassinés au Brésil. Entre 2012 et 2021, 342 des 1 733 meurtres de défenseurs de l’environnement recensés dans le monde par l’organisation Global Witness ont eu lieu au Brésil. Ces défenseurs, qu’ils soient membres de communautés locales, militants écologistes ou simples citoyens, mènent une lutte inégale pour protéger leur terre et leurs droits face à des menaces constantes. Elizeu Berçacola Alves est l’un d’entre eux. Ancien fonctionnaire du secrétariat d’État à l’environnement dans l’État amazonien de Rondônia (frontalier avec la Bolivie), il vit sous la protection du Programme fédéral de protection des défenseurs des droits humains depuis 2016 et a réchappé à plusieurs tentatives d’assassinat. En cause, ses enquêtes sur un homme d’affaires local, Chaules Volban Pozzebon — propriétaire de plusieurs entreprises dans l’industrie du bois, de holdings de gestion d’actifs, et relié à plusieurs sociétés de transport et de construction — impliqué dans la déforestation et le commerce illégal de bois, l’accaparement de terres protégées, la corruption d’élus locaux et le recours au travail forcé. Cet entrepreneur a depuis été condamné et purge une peine de soixante‑dix ans de prison.

Ces assassinats et menaces constituent la manifestation la plus brutale de l’intense pression économique qui s’exerce sur la forêt amazonienne et les communautés qui y vivent, pour y extraire les ressources naturelles ou transformer ces espaces en terres exploitables. En arrière‑plan de ces petites et moyennes entreprises qui opèrent dans l’illégalité, ou se rendent directement coupables d’activités criminelles se dessine l’ombre du puissant secteur brésilien de l’agrobusiness, très présent sur les marchés mondiaux, et dont ces sociétés sont souvent les fournisseurs.

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Viandes et soja

L’agrobusiness brésilien est l’un des principaux moteurs de la déforestation. Parmi les géants de ce secteur, on trouve la multinationale brésilienne JBS, le plus grand producteur de viande au monde, ainsi que les groupes étatsuniens Cargill et Bunge, des acteurs majeurs de la production de soja. JBS, qui porte le nom de son fondateur, José Batista Sobrinho, est créée en 1953 dans l’État de Goiás, au centre‑ouest du Brésil, avant d’installer son siège à São Paulo (la famille Batista possède 49 % des actions). Elle s’est spécialisée dans l’élevage, l’abattage et la vente de viandes bovine, porcine, ovine, de volaille ou de poisson. JBS emploie environ 250 000 personnes sur 500 sites dans plus de vingt pays, et fournit en viande de grands groupes de restauration rapide (McDonald’s, Burger King, KFC) ou des enseignes de la grande distribution (Carrefour, Lidl, Walmart). Les millions de têtes de bétail abattues par JBS chaque année nécessitent d’immenses pâturages, entrant en conflit avec la nécessité de préserver les zones protégées, notamment forestières. La multinationale est régulièrement accusée — par des enquêtes journalistiques (notamment le média indépendant Repórter Brasil) ou des rapports d’organisations non gouvernementales — de « blanchiment de bovins », une pratique consistant à acheter des milliers de bovins à des fermes illégales, participant à la déforestation, puis à « légaliser » ce bétail pour l’exporter, notamment dans l’Union européenne.

Des vaches au bord de la route dans le sud du Brésil, dans la région du Pantanal — Julie Daniel CC

Le gouvernement (centre gauche) du président Luiz Inácio Lula da Silva se félicite d’une réduction de 31 % de la déforestation en Amazonie entre janvier et mai 2023 comparée aux années précédentes, quand le pays était encore gouverné par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro, qui avait largement affaibli les législations environnementales et encouragé la déforestation. La tendance est cependant tout autre pour le Cerrado, où la destruction des écosystèmes atteint des niveaux records. Contrairement à la forêt amazonienne, la zone du Cerrado n’a pas été incluse dans les territoires concernés par la directive européenne interdisant l’importation de produits issus de la déforestation. Les géants agro‑industriels y ont donc intensifié leurs activités.

Travail esclave

En plus de constituer une menace pour les écosystèmes, l’agriculture intensive recourt au travail forcé. Celui‑ci s’appuie le plus souvent sur une forme de servitude par la dette, plaçant des travailleurs pauvres ou migrants (y compris pour des migrations internes au Brésil) à la merci de recruteurs travaillant pour des propriétaires terriens ou des fournisseurs de grandes marques. Recrutés dans les régions périphériques du bassin amazonien, ils sont envoyés à des centaines de kilomètres de leurs villes ou villages d’origine contre la promesse d’un emploi, sont sous‑payés, travaillent dans des conditions indignes et doivent s’endetter auprès de leur employeur pour leur logement et leur nourriture, ce qui les maintient sous leur emprise. Ces pratiques sont qualifiées de « conditions analogues à l’esclavage » et sont souvent désignées au Brésil par le terme « travail esclave », quand le travailleur est soumis à des conditions dégradantes, à un travail épuisant, à la servitude pour dettes, au travail forcé ou à la restriction de sa liberté de déplacement (l’esclavage a été aboli tardivement au Brésil, par une loi de 1888). Ces pratiques se retrouvent dans l’élevage, la déforestation ou l’extraction minière en Amazonie, mais concernent aussi d’autres secteurs comme la construction ou l’industrie du textile.

De même, le soja brésilien exporté vers l’Asie ou l’Europe — où il sert essentiellement à l’alimentation animale dans les élevages intensifs — constitue l’une des causes majeures de déforestation et d’appauvrissement des communautés locales. Cargill et Bunge, qui figurent parmi les géants mondiaux du négoce de matières premières, en particulier alimentaires, sont des acteurs incontournables de la culture et de l’exportation du soja brésilien. Bunge joue ainsi un rôle majeur dans la destruction du Cerrado, selon une étude menée par la fondation environnementale Mighty Earth (basée à Washington) publiée en juin 2023. Le Cerrado est une vaste savane tropicale, en périphérie de la forêt amazonienne, qui couvre près de 20 % du territoire brésilien. Reconnu comme l’un des écosystèmes les plus riches en biodiversité au monde, il abrite des milliers d’espèces végétales et animales, dont beaucoup sont endémiques. Le Cerrado contribue de manière cruciale à l’équilibre écologique continental, notamment en régulant le cycle de l’eau, et en stockant du carbone pour atténuer le changement climatique. Selon Mighty Earth, les fournisseurs de Bunge ont causé la déforestation de dizaines de milliers d’hectares dans la région de Matopiba, au centre du Brésil, entre 2021 et 2023, malgré l’engagement « zéro déforestation » de la multinationale de négoce.

Un travailleur brésilien dans un champ de cannes à sucre — Cícero R. C. Omena, 2005, CC

Pour lutter contre ce fléau, le Brésil a mis en place en 2003 la « lista suja » (liste noire), un registre public des employeurs reconnus coupables de travail esclave destiné aux entreprises qui s’approvisionnent en soja, sucre ou café et qui veulent éviter des fournisseurs recourant au travail esclave. La constitutionnalité de cette liste a été confirmée par la Cour suprême en 2020 malgré les tentatives de suppression par les lobbyistes de l’agrobusiness et de l’immobilier. L’inclusion d’une entreprise ou d’une marque sur cette liste peut entraîner la suspension de financements publics et de contrats commerciaux. « L’esclavage moderne persiste parce qu’il y a une logique économique derrière : générer plus de profit avec le moindre coût possible, sans aucun respect pour la dignité humaine », estime Leonardo Sakamoto, journaliste brésilien et activiste engagé dans la lutte contre le travail esclave, fondateur du média indépendant Repórter Brasil. Plusieurs grandes multinationales ont été accusées d’implication directe ou indirecte dans des pratiques de travail esclave : la découverte d’ateliers clandestins dans l’État de São Paulo qui confectionnait des vêtements pour Zara (groupe Inditex) fait scandale en 2011. En 2019 et 2020, des ranchs où est pratiqué le travail forcé vendent leur bétail à JBS. Des révélations régulières concernent des usines de bioéthanol ou de sucre (approvisionnant notamment la coopérative agricole française Tereos et sa marque Beghin‑Say).

Pollution minière

L’exploitation minière représente un autre vecteur de destruction en Amazonie, et dans d’autres régions du pays, comme l’État du Minas Gerais. Des multinationales telles que Vale et Anglo American dominent ce secteur, extrayant principalement du fer, de l’or et du cuivre. Les projets miniers nécessitent souvent la construction de barrages, de routes et d’infrastructures qui fragmentent l’habitat naturel et perturbent les modes de vie des communautés locales.

Vale est fondée au Brésil en 1942 sous le nom de Companhia Vale do Rio Doce (CVRD) par le régime de Getúlio Vargas pour exploiter les mines de fer d’Itabira (Minas Gerais). Elle devient ensuite l’une des plus grandes entreprises minières au monde et le premier producteur de minerai de fer ou de nickel. Elle est privatisée en 1997 puis simplifie son nom en 2009, pour « Vale ». Basée à Rio de Janeiro, la société opère dans quatorze États brésiliens et sur les cinq continents, et possède neuf terminaux portuaires. En 2006, elle acquiert le canadien Inco, plus grand producteur mondial de nickel. Derrière ce succès économique, ses pratiques environnementales et sociales sont très critiquées. Vale a été nommée « pire entreprise du monde » en 2012 par les ONG Greenpeace et Déclaration de Berne (Public Eye aujourd’hui).

Un homme marche dans les décombres après la rupture du barrage de Bento Rodrigues dans le Minas Gerais — Romerito Pontes CC

La compagnie minière est tristement célèbre au Brésil pour deux catastrophes industrielles dans l’État du Minas Gerais, en 2015 puis en 2019, dans une zone où Vale possède de multiples concessions minières. À Mariana, la rupture d’un barrage minier du groupe Samarco (détenu par Vale avec le groupe australien BHP Billiton) provoque la mort de dix‑neuf personnes et le déversement de boues toxiques sur plusieurs centaines de kilomètres en aval, dans la rivière Rio Doce, celle‑là même qui a donné son nom à la multinationale. Trois ans plus tard, à Brumadinho, l’effondrement des bassins de rétention de boues toxiques cause la mort de plus de 300 personnes et une dévastation environnementale massive en aval sur plus de 500 km jusqu’à l’océan Atlantique. En mars 2024, le leader autochtone Merong Kamakã Mongoió est retrouvé mort à Brumadinho. Il aurait été victime de persécutions de la part de policiers militaires et de gardes de sécurité au service de la multinationale, selon des témoignages d’amis et de membres de sa famille. Bien que ces désastres écologiques et humains soient survenus en dehors de l’Amazonie, ils illustrent les risques que posent toujours les activités minières à grande échelle, tant pour l’environnement que pour les populations humaines. D’autant que Vale et d’autres compagnies possèdent plusieurs vastes concessions minières en Amazonie. Barcarena, un district industriel à proximité de Belém, en Amazonie brésilienne, abrite ainsi des installations industrielles telles que la plus grande fonderie d’aluminium au monde, opérée par Hydro Alunorte (filiale de la norvégienne Norsk Hydro), et une usine de kaolin appartenant à l’entreprise française Imerys. Ces installations provoquent des pollutions répétées depuis deux décennies, menaçant la santé des habitants, polluant les rivières et les nappes phréatiques, et altérant les écosystèmes locaux. En deux décennies, au moins vingt‑six accidents industriels et fuites de polluants ont été recensés, principalement liés aux bassins de décantation, contaminant les eaux locales, et rendant la pêche et l’accès à l’eau potable difficiles, voire impossibles.

Mariana (Minas Geraris) – Le barrage de Fundão, exploité par la compagnie minière Samarco, deux ans après la tragédie de l’effondrement de la structure de confinement des résidus – José Cruz/Agência Brasil CC

Norsk Hydro, avec sa fonderie d’aluminium Hydro Alunorte, est une source majeure de pollution. Les « boues rouges » issues de la transformation de bauxite en alumine contiennent des métaux lourds. En février 2018, après des pluies intenses, l’entreprise est accusée de déverser illégalement des effluents contaminés dans la forêt et les rivières. Les conséquences sont graves : acidification des eaux, mortalité des poissons, et risques sanitaires pour les habitants. Les actions juridiques menées par l’autorité fédérale contre les multinationales sont compliquées par un manque de moyens, les enquêtes en cas d’accidents ne sont pas systématiques. Les communautés affectées, principalement les quilombolas (descendants d’esclaves) et les caboclos (métis d’Amérindiens et d’Européens), résistent aux pressions pour quitter leurs terres. Elles revendiquent le droit de rester et demandent la dépollution des eaux et une compensation juste pour les dommages subis. En réponse, l’État du Pará envisage de les délocaliser pour « les protéger des pollutions chroniques », ce qui permettrait d’étendre la zone industrielle de ces deux multinationales. Ce projet de délocalisations forcées s’accompagne de menaces et d’intimidations, exacerbant les tensions locales.

« De la multitude de matières premières qui transitent par leur territoire, les habitants n’en supportent que les retombées négatives », constate au moment de ces pollutions Marcel Hazeu, professeur en sciences environnementales à l’université fédérale du Pará, dans un reportage réalisé par le média Basta !. En plus de supporter les destructions de leur environnement et les pollutions générées par les activités agricoles ou minières, les communautés locales ne bénéficient que très rarement des infrastructures mises en place pour les multinationales (réseau d’électricité, accès à l’eau courante…). Et ne profitent pas forcément des emplois directs ou indirects créés. Les 100 000 employés de JBS au Brésil, qui travaillent dans les abattoirs ou les usines de transformation, perçoivent un salaire moyen de 1 700 Réais (environ 300 euros), très légèrement au‑dessus du salaire minimum, qui demeure très faible au regard du coût de la vie. Dans onze des douze municipalités brésiliennes où JBS possède d’importants sites de production, une recherche menée par l’anthropologue Raísa Pina (université de Brasilia) montre que la pauvreté a progressé de 50 %. La chercheuse précise que son étude ne démontre pas une causalité directe entre les implantations de JBS et l’augmentation de la pauvreté mais met en lumière le paradoxe d’une « nation qui abrite la plus grande entreprise agroalimentaire au monde, avec un slogan “ nourrir le monde ”, tout en connaissant une augmentation de la faim ».

De l’Amazonie à Brasilia

Cette pression physique continue sur l’Amazonie et les communautés qui y vivent se double d’un important lobbying à Brasilia, au parlement fédéral, pour affaiblir ou entraver la moindre politique de protection de l’environnement ou de sanctuarisation de territoires au profit des populations autochtones. Des coalitions ad hoc rassemblant des députés ou des sénateurs de plusieurs partis y défendent spécifiquement les intérêts des groupes agro‑industriels et des grands propriétaires terriens. Ainsi, le FPA (Front parlementaire pour l’agriculture) rassemble en 2024 environ 300 députés (sur 513), issus des partis centristes, de droite libérale, conservateurs ou de droite extrême — également appelé la bancada ruralista (le banc rural) à l’Assemblée nationale — et une cinquantaine de sénateurs (sur 81). Les députés membres du FPA entretiennent un lien privilégié avec un think tank, l’Instituto Pensar Agro (IPA). Celui‑ci ébauche des projets d’amendements et des rapports à destination de ces députés lors de projets de loi, comme celui réautorisant plusieurs pesticides ou celui sur l’exploitation minière des terres indigènes. Or l’IPA est financé par les organisations professionnelles de l’agrobusiness, qui regroupent producteurs, entreprises et géants des secteurs agro‑industriels, comme JBS, Cargill, Bunge, Nestlé, ou de la chimie, tels BASF et Bayer.

Tereza Cristina, alors ministre de l’Agriculture du Brésil, au World Cotton Day organisé par l’OMC le 7 October 2019 — WTO/ Roxana Paraschiv

Lors du mandat du président Jair Bolsonaro (2019‑2023), les députés du FPA ont tenu pas moins de 160 rencontres officielles avec les délégués de l’IPA et des représentants du ministère de l’Agriculture, dont vingt réunions en présence de la ministre Tereza Cristina, elle‑même porte‑voix des intérêts agro‑industriels quand elle était députée. Cet intense lobbying a été documenté par l’Observatoire de l’agrobusiness au Brésil (De Olho nos Ruralistas), un média indépendant. À ces réunions s’ajoutent les rendez‑vous bilatéraux entre multinationales et membres du gouvernement. Syngenta, multinationale suisse désormais propriété de ChemChina, se distingue avec quatre‑vingt‑une réunions avec le ministère de l’Agriculture, suivie de JBS avec soixante‑quinze rencontres, puis Bayer, leader du marché brésilien des pesticides, avec soixante entrevues. Bayer a également tenu seize réunions en dehors des registres officiels, incluant une audience directe avec le président Bolsonaro et la participation de la ministre Tereza Cristina à une vidéo institutionnelle de la multinationale.

Pendant la présidence Bolsonaro, les députés membres de la bancada ruralista ont joué un rôle majeur dans le démantèlement des lois protégéant l’environnement. Le code forestier de 2012 a ainsi été modifié sous la pression des lobbyistes de l’agrobusiness pour faciliter la déforestation légale au profit de l’expansion des cultures de soja et des pâturages pour le bétail. La bancada ruralista a également soumis des projets de loi comme celui visant à reclasser des zones protégées en « zones d’occupation anthropique » en vue de les ouvrir à l’exploitation agricole, ou permettre l’extraction minière et la construction de barrages hydroélectriques au sein des territoires sanctuarisés pour les populations autochtones. La corruption et les soupçons d’implication dans des activités économiques criminelles, constatées au cœur de l’Amazonie, remontent aussi au plus haut niveau du pouvoir brésilien. Le ministre de l’Environnement du gouvernement Bolsonaro, Ricardo Salles, a dû démissionner de son poste en 2021 alors qu’il est ciblé par deux enquêtes de la Cour suprême fédérale pour commerce illégal de bois et… violation de la législation environnementale dans des espaces protégés. Ces enquêtes ne l’ont pas empêché d’être réélu député fédéral en 2023.

Le réseau d’influence tissé par la FPA et l’IPA met en lumière comment les intérêts économiques des multinationales pèsent lourdement sur les décisions politiques au Brésil, au détriment des régulations environnementales et des droits des peuples autochtones et communautés locales. Le cas brésilien illustre l’énorme pression économique qu’exercent de nombreux acteurs économiques, en premier lieu les multinationales de l’agroalimentaire et de l’extraction minière, sur de vastes zones naturelles comme l’Amazonie et le Cerrado. Les diverses formes que prend cette pression — des menaces qui pèsent sur les défenseurs de l’environnement et les communautés locales jusqu’à la déforestation massive, en passant par les pollutions industrielles, des conditions de travail indignes, ou la destruction de précieuses zones de biodiversité — se manifestent bien au‑delà du Brésil, que ce soit dans d’autres États amazoniens d’Amérique du Sud, dans les forêts tropicales d’Afrique équatoriale ou d’Asie du Sud‑Est, dans le vaste territoire canadien ou les steppes de Sibérie, et parfois même au nom de la transition écologique. Mettre en place et faire respecter de véritables politiques de préservation et de lutte contre le réchauffement climatique, quitte à contraindre l’appétit des multinationales, constitue l’un des défis majeurs du nouveau siècle.

Pour aller plus loin

Pour mieux comprendre le fonctionnement politique brésilien, l’Observatoire de la démocratie brésilienne propose un glossaire du vocabulaire politique brésilien.

Campelo  Erika  et du Roy Ivan, « Polluées, menacées, déplacées : ces communautés amazoniennes aux prises avec des multinationales européennes », Basta !, 25 septembre 2018.

De Olho nos Ruralistas, « Os Financiadores da Boiada: como as multinacionais do agronegócio sustentam a bancada ruralista e patrocinam o desmonte socioambiental », Rapport, juillet 2022

Mighty Earth, « Monitoring deforestation in Brazilian supply chains », Rapport, mars 2024.

Pina Raísa, « Alimentando a desigualdade : os custos ocultos do monopólio industrial da carne », Rapport, avril 2024.


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L’article Mines, bétail, soja : comment les multinationales saignent le Brésil est apparu en premier sur Terrestres.

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06.05.2025 à 11:26

Jean-Marc Ghitti

Texte intégral (4165 mots)
Temps de lecture : 10 minutes

À propos d’Histoire du sabotage, tome 2 : Neutraliser le système techno-industriel, de Victor Cachard, paru en 2025 aux Éditions Libre.

Souvent nous nous payons de mots. Par exemple lorsque nous expliquons les droits sociaux par « l’évolution de la société » ou par « l’idéal démocratique ou républicain ». Encore faut-il voir comment, dans l’histoire concrète des sociétés, l’évolution s’opère, alors que l’idéal des uns n’est pas l’idéal des autres. Elle s’opère forcément par des luttes à propos desquelles il faut se demander ce qui a pu les rendre efficaces. La société, en effet, est un champ de force dans lequel le nombre n’a jamais en soi assuré aucune victoire. L’histoire politique des sociétés montre, tout au contraire, que le petit nombre prend constamment le pouvoir sur le grand nombre. S’il en était besoin, l’imposition récente d’une réforme des retraites à une grande majorité qui n’en voulait pas vient rappeler aux générations montantes toujours aussi oublieuses cette vérité fondamentale de toute science politique. Et l’on voit clairement aujourd’hui comment les droits sociaux régressent lorsque les populations perdent le courage et le goût de la lutte pour se défendre. La simple parole, telle que la relaient bien mal les enquêtes d’opinion, n’est pas en soi une lutte. Les revendications ne sont que des paroles impuissantes, voire des exutoires, si elles ne se prolongent pas en combats politiques.

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C’est pourquoi nous avons besoin, plus que d’une histoire des idéologies, d’une histoire des luttes sociales, des stratégies d’opposition et de résistance. C’est à ce besoin que vient répondre l’Histoire du sabotage que Victor Cachard nous propose en deux tomes aux Éditions Libre. Intellectuel altiligérien, libraire engagé et très mobilisé dans le mouvement des Gilets jaunes à Lyon, Victor Cachard a certainement eu une bonne idée d’éclairer l’histoire des luttes par le sabotage. Celui-ci, en effet, représente une voie moyenne entre d’un côté la parole impuissante et, de l’autre, la violence terroriste.

Le sabotage est le refus de s’en prendre physiquement aux personnes, un refus non seulement du meurtre mais aussi de tout ce qui peut blesser. Bien qu’il soit généralement considéré comme une infraction à la loi, il repose sur le respect des droits de l’homme, de l’intégrité des personnes et il est fondé à se réclamer de l’humanisme tant par les causes qu’il défend que par les moyens qu’il emploie, du moins en règle générale. Mais le sabotage ne tombe pas dans les illusions du dialogue social et des paroles inutiles : il est un réalisme politique et prend acte que toute négociation repose sur un rapport de force. Il ne s’inscrit pas dans le dilemme, d’ailleurs obsolète, entre le réformisme et la révolution. Il sait que les réformes ne peuvent s’obtenir qu’à partir d’une pression sociale sur les élites gouvernementales et il pose que détruire ou abîmer des biens matériels ou nuire aux processus productifs est un moyen moralement acceptable et politiquement efficace pour pousser aux réformes.

Le sabotage représente une voie moyenne entre d’un côté la parole impuissante et, de l’autre, la violence terroriste. Il est un réalisme politique et prend acte que toute négociation repose sur un rapport de force.

Dans le premier tome, l’auteur avait fait la préhistoire du sabotage et en avait retracé les formes historiques dans le syndicalisme révolutionnaire et le mouvement anarchiste, notamment autour d’Émile Pouget dont Cachard a aussi publié une anthologie. Le deuxième tome de l’Histoire du sabotage commence au sortir de la Première Guerre mondiale, lorsque le syndicalisme délaisse ce mode d’action. Ce second tome déploie successivement trois chronologies : celle du sabotage de guérilla, celle du sabotage libertaire des militants autonomes et celle de l’écosabotage.

Le sabot, un soulier écolo. Wikimedia.

Le sabotage n’a pas sa place dans la guerre traditionnelle, codifiée comme affrontement entre armées. Mais les guerres du vingtième siècle échappent à l’art militaire et à ses règles : elles deviennent des guerres totales où les populations civiles sont impliquées. Deux situations ont été particulièrement favorables à l’émergence d’une guerre civile permanente : les situations coloniales et les luttes internes aux populations d’un même pays entre les factions fascistes et les militants antifascistes. Dans ces deux contextes, un sabotage de guérilla se développe. Du côté fasciste, il prend la forme de ce qu’ont été les ligues anti-ouvrières en Italie ou les milices paramilitaires nazies. Du côté des partisans et des résistants, il prend la forme, par exemple, d’attaques contre des infrastructures de communication. On le trouve déjà dans les bandes de résistants espagnols contre l’invasion napoléonienne, et on l’observe même jusque dans les camps de concentration où circulent entre prisonniers des consignes clandestines pour travailler plus lentement ou mal faire le travail. Il est également le recours du colonisé contre le colonisateur.

Cachard établit une continuité entre ces actions en contexte de guerre et celles qui, après les guerres, s’en prennent aux infrastructures de communication et de production, notamment à partir des années 1970 aux Etats-Unis, avec les débuts d’une écologie de sabotage des usines polluantes.

Les sociétés de la seconde moitié du vingtième siècle construisent leur essor économique, leur administration et leur maintien de l’ordre sur l’information et l’informatique. L’industrie, l’administration et l’armée se numérisant à grande vitesse, le manuel d’écodéfense que diffuse, dans les années 1980, une association comme Earth first donne une grande place au dérèglement des systèmes informatiques. Le sabotage n’est plus seulement celui des ouvriers contre leur outil de travail à l’intérieur de l’usine mais il peut devenir la pratique citoyenne de militants contre les bases matérielles de la production industrielle et de l’organisation militaire, notamment lorsque celle-ci projette des essais nucléaires.

Cachard propose ensuite une deuxième chronologie où le sabotage n’est pas une guérilla qui s’en prend aux infrastructures, mais plutôt une attaque de principe contre la société du travail en tant que telle. Dans le contexte pacifié des années 1970, elle commence, en France, avec les situationnistes comme Debord et Vaneigem, puis passe par la référence à Deleuze et Guattari. Il s’agit, en somme, du courant le plus intellectuel de l’histoire du sabotage. Cette mouvance qui critique la place du travail aliéné en société capitaliste passe par l’opéraïsme italien, et se réfère aussi aux organisations libertaires espagnoles et catalanes.

Citation de William Dudley Haywood, fondateur de Industrial Workers of the World (IWW). Wikimedia.

À la fin des années 1960, dans ces pays, s’approfondit le clivage entre le communisme qui valorise le travail et la figure de l’ouvrier, fidèle à l’URSS, et un anticapitalisme qui voit dans le travail contraint la racine de l’aliénation. Chacune de ses branches a sa propre lecture de Marx. La première condamne le sabotage, avec l’idée que les ouvriers doivent s’approprier les outils, mais non pas les détruire ; la seconde, au contraire, justifie et pratique le sabotage en lui donnant le sens d’une révolte contre l’ordre capitaliste, un peu à la manière des luddistes dont Cachard parle longuement dans le premier tome. Cette seconde attitude est également proche des courants américains autour de la revue Radical America, qui tente d’en répandre la pratique dans l’industrie automobile des États-Unis. C’est une semblable sensibilité qu’on regroupe sous l’appellation de « mouvement des Autonomes ». Elle s’exprime dans un grand nombre de petites revues. Cachard met notamment en avant la revue Archinoir, ou encore la revue Négation.

Ces partisans du sabotage ne se laisseront pas entraîner dans la violence politique, du type « Action directe ». Ils demeurent globalement pacifistes, et même antimilitaristes. C’est au nom de la non-violence qu’ils dénoncent ou qu’ils critiquent les dégâts du travail sur la santé des travailleurs. Ils donnent à leur pratique un caractère parfois esthétique, parfois ludique, toujours expressif. Ils distillent les signes d’une résistance au travail, par l’abstention à l’égard de celui-ci et choisissent des modes de vie marginaux. Le slogan bien connu de Guy Debord « ne travaillez jamais » est tout un programme. Ce mouvement dénonce la collusion entre l’industrie et les sciences mises sous tutelle dans l’ordre technocratique, le meilleur exemple en étant le grand mathématicien Alexandre Grothendieck et son groupe « Survivre et vivre ». Ce courant crée des revues, des radios-pirates ou des rassemblements dont le plus célèbre reste celui du Larzac.

À partir des années 1980, la pratique du sabotage peut s’appuyer sur un nouveau socle idéologique : celui de l’anti-industrialisme et de la techno-critique.

Cachard se risque à une périodisation dans l’ensemble confuse et contradictoire du mouvement des Autonomes. Celui-ci se développe en marge des organisations politiques et syndicales et il donne naissance à bien des revues (plus tard à des sites Internet) comme Marge ou Camarades. Avec le journal La Gueule ouverte, il investit l’écologie politique et y introduit l’appel au sabotage. C’est par exemple dans cette revue qu’Arthur (Henri Montant) écrit, au nom de l’efficacité nécessaire des luttes : « les ‘doux’ écologistes devraient étudier sérieusement la question du sabotage. Ils découvriront peut-être que la marchandise n’est pas sacrée, et que la détruire n’est pas un acte de violence mais un geste de légitime défense ».

La Une de la revue « La Gueule Ouverte, le journal qui annonce la fin du monde », 1972.

Avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981, on assiste à une institutionnalisation de ce mouvement. L’action légale et l’appel au droit gagnent du terrain. Le sabotage décline d’autant plus qu’il devient risqué, les outils répressifs s’étant renforcés. Comme on le voit souvent, beaucoup de militants s’intègrent à la gauche politicienne et Cachard fait remarquer qu’ils investissent la vie culturelle et la presse. C’est cependant dans les luttes écologistes que la pratique du sabotage se renouvelle, comme on l’a vu dans le combat contre les OGM ou contre le TGV Lyon-Turin, avec le procès médiatique d’Erri de Luca en 2015. La pratique du sabotage peut s’appuyer sur un nouveau socle idéologique : celui de l’anti-industrialisme et de la techno-critique.

Pour rendre compte de la rencontre entre l’écologie radicale et la voie du sabotage, Cachard propose une troisième chronologie : celle de l’écosabotage. Celui-ci est déjà à l’œuvre dans la guérilla contre les infrastructures et dans la sensibilité libertaire de La Gueule ouverte. Pourtant, pour l’historiciser, l’auteur nous transporte en Amérique. Là-bas, l’émergence de Greenpeace autour de Paul Watson en 1969 se fait en réaction contre les environnementalistes qui se contentent, à la suite du Sierra Club de John Muir, de protéger la nature au nom d’une culture conservationniste tournée vers la vie contemplative et l’esthétisation des paysages. Comment ne pas voir que la sauvegarde du sauvage dans certains parcs va de pair avec l’aménagement intensif des autres zones territoriales ?

Dès la fin des années 1950, Edward Abbey importe en Amérique la tradition anarchiste des militants européens incluant la critique du capitalisme en tant que tel parce qu’il est incompatible avec l’écologie. Dans la sensibilité américaine, le sauvetage des espèces animales menacées par le développement industriel et les essais nucléaires passe au premier plan. C’est d’ailleurs un savant biologiste amoureux de la faune et de la flore, James Philips Fox, qui va s’en prendre directement, en 1969, aux installations d’une usine polluante. La critique de l’exploitation des milieux naturels rencontre les luttes anticoloniales. Au constat de la mise en réserve des Indiens s’ajoutent les multiples témoignages de l’ethnologie. L’impérialisme industriel a détruit, dans le monde entier, les économies de subsistance que les peuples avaient su établir en harmonie avec les écosystèmes. Ce qui revient à justifier le recours au sabotage par les indépendantistes, surtout si, comme en Afrique du Sud, les colons construisent un régime d’apartheid. L’histoire de l’écosabotage aux États-Unis prend appui sur la sensibilité américaine, comme le culte des super-héros mis en œuvre, par exemple, dans le roman Le Gang de la clef à molette d’Abbey, paru en 1975 et qui raconte les actions de quatre activistes contre les industries polluantes. Elle coïncide avec ce qu’on a pu observer en France chez les indépendantistes régionalistes, que Cachard évoque assez peu. On songera, par exemple, le sabotage de l’antenne ORTF de Roc’h Trédudon en 1974, puis au mouvement contre la Centrale de Plogoff à partir de 1978.

Une antenne moderne. Wikimedia.

La multitude des exemples concrets que ce livre nous donne invite le lecteur à se demander si l’on peut ranger sous le même concept, celui de sabotage, tous les actes et comportements ici évoqués. La différence est grande entre des actions spectaculaires et d’autres qui peuvent passer inaperçues. Certaines sont résolument illégales et d’autres sont si discrètes qu’elles peuvent ne pas même être repérées comme par exemple lorsqu’un ouvrier travaille lentement ou fait exprès de rater une pièce. Certaines sont revendiquées et d’autres restent cachées. Il existe un fossé entre la tricherie à l’égard d’un employeur et la détérioration d’une voie ferrée. Un fossé selon la valeur marchande de ce qui est détruit, mais aussi selon le sens qu’on lui donne. Un acte isolé comme ceux de Fox n’a sans doute pas la même portée qu’un fauchage d’OGM revendiqué par un groupe organisé à visage découvert. Et puis il y a aussi des enjeux très différents selon les contextes : agir en pleine guérilla au risque de sa vie n’est pas la même chose que la destruction d’un engin de chantier.

Ce qui est sûr, c’est qu’il existe, entre la passivité servile et la violence politique, une infinité de nuances dans les comportements de résistance. La parole, qu’elle soit directe sur le mode de la plainte ou de la récrimination, ou qu’elle soit déléguée à des organisations représentatives supposées la faire entendre dans des instances instituées, reste en-deçà de la véritable lutte sociale. Orale ou formulée dans des écrits, la parole ne peut recevoir de réponse que sous la forme d’une autre parole, celle des promesses fallacieuses des gouvernements. En répertoriant par une démarche historique la variété des modes d’action ou d’abstention, Victor Cachard a-t-il eu aussi le projet de donner certaines idées à des militants qui parfois pourraient en manquer ?

Image d’accueil : photo de Oluwaseun Sanni sur Unsplash.

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L’article Cent ans de sabotage : résister à l’oppression politique et technologique est apparu en premier sur Terrestres.

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02.05.2025 à 12:41

Léna Silberzahn

Texte intégral (15007 mots)
Temps de lecture : 32 minutes

Août 2021. « La France coloniale doit réparation aux Polynésien·nes et aux Algérien·nes ». Accrochée au tracteur, la banderole flotte au vent, prête à partir en manifestation avec nous. Plusieurs centaines de personnes participent à ces journées d’actions et d’ateliers « contre le nucléaire et son monde » à la gare de Luméville, un des sites principaux de lutte contre le projet d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure. Plus tôt dans la semaine, des militant·es décoloniales ont réalisé une fresque murale des atolls polynésiens et du désert algérien sur la façade du bâtiment principal, et écrit : « décolonisons les luttes anti-nuk ». Grâce à leur présence, la jonction entre luttes contre la domination coloniale et contre la poubelle nucléaire prend corps, et les questions de race sont enfin mises en avant lors d’un évènement antinucléaire meusien1.

J’assiste à certains de ces échanges, je répète et reprends ces phrases. Joie – de prendre enfin à bras le corps ces questions. Gratitude – pour les personnes qui donnent de leur énergie à ce travail important. Pourtant, quelques semaines plus tard, une fois les barnums démontés et de retour au quotidien parisien, je n’arrive pas à me défaire de l’impression désagréable d’avoir gesticulé dans le vide. « Lutter contre un système énergétique et militaire qui repose sur le secret, l’extractivisme, la contamination des terres du Sud global, et l’exploitation des sous-traitant·es nécessite d’élaborer une perspective anticoloniale, féministe, anti-autoritaire et anticapitaliste ». C’est comme si nous avions dit les bons mots, rappelé les bons faits, mais sans être réellement traversé·es par leurs implications, ni parvenir à les traduire en stratégies politiques.

Photo : compte flickr Les Rayonnantes

La décolonisation n’est pas une métaphore2, rappellent justement Eve Tuck et K. Wayne Yang, et tout le monde à ces journées aurait approuvé. Certes, nous étions une vaste majorité de blanc·hes, mais personne à ce rassemblement à l’est de l’hexagone français ne pensait que la décolonisation ne puisse être réduite à une question de bonne posture (même très militante). C’est pourtant exactement ce à quoi j’avais eu l’impression de participer, malgré moi, en me contentant de saupoudrer quelques mots-clés ici et là, en dénonçant scrupuleusement les violences impériales dans nos manifestes, et en écrivant des mots certes nécessaires mais largement incantatoires sur des pancartes. Impression désagréable de reproduire cette fameuse « sympathie-sans-lien » entre hexagone et colonies départementalisées ou régionalisées (les « Outre-mer »), décrite par Malcom Ferdinand dans sa critique des mouvements écologistes hexagonaux, « où les soucis des autres là-bas sont admis sans pour autant en reconnaître les liens matériels, économiques et politiques3 ».

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Que mettre concrètement derrière des mots aussi immenses que « décoloniser » et « réparer », au-delà des postures et des bonnes étiquettes ? Et quels ponts construire entre luttes contre la poubelle nucléaire hexagonales et luttes de survivant·es irradiées par les expérimentations impériales de la France ? Lorsqu’on prend la mesure de l’insuffisance des politiques de reconnaissance actuelles (1), et face à l’ampleur dévastatrice du péril nucléaire, il peut être difficile de savoir par où commencer (2). Cependant, des luttes contemporaines et passées esquissent les fondements essentiels de la réparation : restituer, au-delà des simples chiffres et des indemnités individuelles (3), restaurer les terres, au-delà des seules existences humaines (4), reprendre ses déchets (5), reconnaître l’intégralité des faits (6), faire circuler les récits des survivantes (7), et construire des solidarités transnationales au-delà de l’État (8).

L’échec de la politique publique de reconnaissance et de réparation des conséquences des essais nucléaires

« Si vous me plantez un couteau dans le dos de 20 cm et que vous le retirez de 15 cm, il n’y a pas de progrès. Si vous le retirez complètement, ce n’est pas un progrès. Le progrès, c’est de guérir la blessure que le coup a causée. »

Malcom X

Entre 1960 et 1996, l’État Français a fait exploser plus de 200 bombes nucléaires à des fins expérimentales dans ses colonies. Lorsque la campagne d’essais algérienne prend fin après à la guerre d’indépendance4, et tandis que les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni se sont engagés à arrêter les essais atmosphériques5, la France poursuit ses expérimentations en Ma’ohi Nui6, au-dessus des atolls de Moruroa et de Fangataufa, puis dans les sous-sols et sous les lagons des mêmes atolls.

Conséquences de ces 193 « essais » dans le Pacifique : des enfants mort-nés, des leucémies, lymphomes, cancers de la thyroïde, du poumon, du sein, et de l’estomac « inexpliqués », une nourriture impropre à la consommation sur des dizaines d’années7, et une partie de l’île de Moruroa qui menace de s’effondrer à cause de forages et de crevasses dans le basalte.

Illustration : HTJ @htjdesigns

Aujourd’hui, la pression des associations et des lanceurs et lanceuses d’alerte fait craqueler cinquante ans de mensonges d’État au sujet de l’ampleur du dispositif d’expérimentation8. Grâce au bras de fer judiciaire mené par les associations comme Moruroa e tatou et celle des Vétérans des Essais Nucléaires (AVEN), des centaines de documents ont été déclassifiés ces vingt dernières années. Depuis la loi Morin de 2011, un Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) est censé indemniser les personnes ayant développé une des 23 maladies radio-induites reconnues.

En 2023, alors que 171 pays ont voté pour la résolution d’aide aux victimes intitulée « Le lourd héritage des armes nucléaires », seuls quatre l’ont rejetée : la Corée du Nord, la Russie, le Royaume-Uni et la France.

Tandis que son principal instigateur présente cette loi comme une « solution transparente, juste et rigoureuse pour que notre pays puisse tourner la page et être en paix avec lui-même9 », divers militant·es Maohi relèvent au contraire « l’échec de la politique publique de reconnaissance et de réparation des conséquences des essais nucléaires10 ». À titre comparatif, aux États-Unis, un tel dispositif existe depuis le Radiation Exposure Compensation Act de 1990 (RECA), qui reconnaît 29 maladies – même s’il demeure lui aussi largement insuffisant au regard des dommages subis11.

En 2023, alors que 171 pays ont voté pour la résolution d’aide aux victimes intitulée « Le lourd héritage des armes nucléaires », seuls quatre l’ont rejetée : la Corée du Nord, la Russie, le Royaume-Uni et la France. C’est d’ailleurs pour faire la lumière sur les réparations promises et le manque de volonté politique et scientifique qu’a été ouverte une commission d’enquête parlementaire (dont les auditions ont repris en janvier 2025). Force est de constater : les indemnités de la loi Morin ne sont pas à la hauteur des conséquences coloniales de l’atome en Ma’ohi nui. Mais quel dispositif le serait ?

« Réparer »

Dans le dictionnaire, le mot « réparation » renvoie au fait de « remettre en l’état initial, rétablir », « faire disparaître, corriger »12. Pris en ce sens, « réparer » les conséquences du nucléaire est évidemment impossible : le sol et les vies ont été contaminés pour des dizaines de milliers d’années – à des échelles si vastes et complexes que même les technologies les plus avancées ne peuvent les mesurer ou en prévoir les conséquences à long terme. Dans ces contextes, la notion même de « réparation » peut sonner comme une imposture solutionniste, à la manière du lexique désormais courant de l’« adaptation » et de la « résilience »13 qui exhortent les populations à vivre avec les catastrophes et leurs innombrables contaminations. Prétendre que la France puisse « réparer » quoi que ce soit après le colonialisme nucléaire, n’est-ce pas déjà contribuer à une forme de déni, motivé par la volonté de « tourner la page » et de « faire la paix avec nous-mêmes », pour reprendre les mots de Morin ?

Œuvre de Bobby Holcomb, ©tous droits réservés

De toute évidence, une discussion sérieuse sur la réparation commence par la reconnaissance de l’irréparable, c’est-à-dire l’impossibilité de « solutionner » ou de gérer le désastre nucléaire comme un simple paramètre de plus dans l’administration des choses. Parmi les principes fondamentaux de l’ONU concernant le droit à la réparation figure la garantie de non-répétition14 : réparer le passé, c’est déjà garantir que des faits similaires ne se produiront plus dans le futur. Considérant que l’industrie nucléaire, tant civile que militaire, repose sur une chaîne de production et de contaminations coloniales irréversibles, il est antithétique de proclamer une « paix » sans avoir préalablement procédé à une dénucléarisation et à une décolonisation totales des sociétés française et maohi. Ni déni, ni résignation : c’est dès lors le difficile pari affectif à relever quand on veut faire exister la possibilité d’une justice – forcément non idéale, lacunaire, et jamais achevée – après les violences.

« Réparer » les conséquences du nucléaire est évidemment impossible : le sol et les vies ont été contaminés pour des dizaines de milliers d’années.

Si en découvrant le corpus de la pensée écologique, l’écoféminisme a directement résonné en moi, c’est qu’il nourrit une attention particulière aux blessures, au passé et à l’inestimable, au-delà des illusions comptables de la compensation et du recouvrement. Les titres des recueils et articles écoféministes sont à cet égard sans appel : Healing the wounds15 (Guérir les blessures), Reweawing the world16 (Retisser la Terre)… à rebours des yeux rivés sur « la » catastrophe à venir et sa temporalité de l’urgence, les pensées de l’écologie issues des rangs féministes et décoloniaux ont ceci en commun de penser la question écologique d’emblée comme une question d’héritage et de guérison. Cela ne veut pas dire qu’elles sont obnubilées par le passé et une hypothétique restauration d’un état antérieur aux préjudices : elles participent plutôt d’une forme d’écologie post-apocalyptique17 en offrant un lieu à partir duquel nous pouvons nous regarder et agir sous un nouvel angle. Leurs présupposés : l’émancipation passe par une exhumation des expériences des violences et des moyens d’y résister. L’invisibilisation de ces violences et les fantasmes de table rase sont une impasse. La révolution est aussi une question de guérison, qui implique cet art complexe et paradoxal de faire exister les blessures tout en voulant faire disparaître leurs origines.

Nous ne sommes pas les premièr·es à nous interroger ainsi : les personnes et les luttes traversées par la question de comment réparer l’irréparable face à des injustices vécues et innommables, sont nombreuses. La confrontation au passé esclavagiste étatsunien, notamment, a posé de nombreux jalons concernant les pensées et pratiques de la restitution, de la mémoire, de la reconnaissance historique qu’exige la « réparation ». Que pouvons nous apprendre de luttes anticoloniales, qui, dans le Pacifique et ailleurs, mobilisent le terme de réparation pour avancer leur cause ?

Oscar Temaru en tête de la manifestation contre la reprises des essais de Moruroa à Papeete en 1995. Photo : ©Moruroa. Mémorial des essais nucléaires français

Restituer (au-delà des procédures d’indemnisation individuelles)

La discussion autour des réparations a le mérite de mettre la restitution, et non la rétribution, au cœur des processus de justice. Mais le propre du fait nucléaire est de tuer, de contaminer, et de détruire irréversiblement – de rendre la restitution précisément impossible.

Dans un tel contexte, il est courant de conclure que la réparation implique d’établir des équivalences, notamment monétaires. La procédure d’indemnisation prévue par le CIVEN a le mérite d’exister, et remplit partiellement cette fonction. En ce qu’elle applique le « principe de présomption de causalité », elle représente certes une avancée majeure pour les associations de victimes : il « suffit » de remplir un certain nombre de conditions afin qu’un lien entre la maladie et les explosions soit admis, sans avoir à établir scientifiquement une causalité entre la pathologie et l’exposition aux radiations. On compte néanmoins 98% de refus dans la période 2011-2017, et seules 385 personnes ont été reconnues victimes (sur 1061 demandes reçues) après la réforme du comité sur la période 2018–2023. À titre indicatif, les modélisations récentes estiment qu’au moins 150 000 personnes seraient éligibles18… Quand on sait la difficulté de constituer un dossier (au vu des barrières linguistiques, géographiques ou encore administratives), et le découragement qui découle des nombreux refus dans les premières années, force est de constater qu’« inversion de la charge de la preuve » il n’y a pas vraiment eu.

On peut, tout d’abord, interroger le conditionnement de l’indemnisation au remplissage de longs dossiers. Tous·tes les Maohis, ne sont-ils et elles pas victimes – même celles et ceux qui ne sont pas directement touché·es par une maladie radio-induite – du fait de l’irradiation de leur environnement, des maladies de leurs proches, ou la crainte de tomber malade soi-même ? La justice française a déjà par le passé forcé des employeurs à verser des indemnités aux travailleurs de l’amiante pour compenser ce qu’elle qualifie de « préjudice d’anxiété »19. Dans la même veine, on pourrait argumenter que le fait de vivre toute sa vie avec la crainte de développer une maladie radio-induite constitue un préjudice en tant que tel. L’automaticité de l’indemnisation pour tous les habitant·es des archipels, défendue par plusieurs personnes de cette lutte, permettrait de reconnaître que tous ceux qui vivaient dans les îles au moment des essais sont victimes.

On pourrait argumenter que le fait de vivre toute sa vie avec la crainte de développer une maladie radio-induite constitue un préjudice en tant que tel.

Par ailleurs, à un niveau plus fondamental, le calcul pour « indemniser » un cancer n’est-il pas toujours périlleux ? Certains vont jusqu’à refuser de faire les démarches administratives, précisément car ils les perçoivent comme une manière de postuler une forme d’équivalence entre une maladie mortelle et une somme d’argent. À l’instar du projet de loi de 2021 porté par le député indépendantiste Moetai Brotherson Brotherson (devenu président de la Polynésie depuis), on pourrait envisager de passer du registre de « l’indemnisation » à celui de la complète prise en charge de la maladie (prise en charge qui comprend également les soins, accompagnements, et compensations d’éventuelles pertes de revenus)20. En l’état, certain·es malades ont certes obtenu une indemnisation du Civen, mais la prise en charge des frais médicaux engagés pour le traitement de maladies radio-induites reste à charge des Polynésiennes : soit à titre individuel pour les frais non remboursés, soit au travers de la caisse de prévoyance sociale (CPS). L’ex-président du Conseil d’Administration de la CPS Patrick Galenon estime ainsi qu’entre 1985 et 2023, les maladies radio-induites en Ma’ohi nui ont couté près de 900 millions d’euros, dont 89% ont été payés par le régime de santé ma’ohi. Il souhaite le remboursement de ces dépenses par l’État français.

Manifestation de Hiti Tau contre la reprise des essais à Papeete en juillet 1995. Photo : ©Mururoa, Mémorial des essais nucléaires français

Comme le rappelle le penseur Olúfẹ́mi O. Táíwò, la réparation ne saurait se réduire à un mécanisme matériel ou symbolique de réparation des torts passés : depuis des siècles, les diverses luttes le voient comme un acte de construction d’un monde plus juste (worldmaking). Développant cette vision « constructive » de la réparation, il rappelle que les revendications de réparation des mouvements noirs se concentrent moins sur des paiements individuels que sur l’obtention de fonds pour construire des institutions noires autonomes et améliorer leur vie communautaire21. Or, en faisant le « cadeau » du statut de territoire autonome à la Polynésie, l’État français s’est désengagé des frais de santé, tout en s’assurant de garder la mainmise sur les fonctions régaliennes comme la défense. La construction, à minima, d’un centre spécialisé dans le traitement des cancers, et plus largement, de centres de santé communautaires paraît dans ce contexte essentielle. On pourrait s’inspirer ici de la lutte contre les injustices historiques et les impacts durables de la traite transatlantique des esclaves : « la composante financière des réparations n’a de sens que si elle s’inscrit dans une visée holistique et renforce l’intégralité de notre processus d’autoréparation22 ».

Restaurer (au-delà de l’humain)

À l’instar de celui qui a abouti à bombarder le « désert » algérien, le processus du choix des atolls polynésiens doit beaucoup à l’image de ces vastes espaces comme espaces« vides ». L’image des atolls de Moruroa et la région de Reggane comme Terra Nullus est symptomatique d’une longue histoire raciste d’invisibilisation des formes de vie autochtones23. Elle reflète également une vision éminemment anthropocentrée : la rhétorique insistante concernant la « faible densité de population » trahit la conviction que les non-humains et l’environnement n’ont jamais été ne serait-ce que perçus comme étant dignes de considération. Les récits des conséquences des explosions sont pourtant accablants : poissons morts par milliers, diminution par deux de certaines populations d’oiseaux (allant jusqu’à la disparition pour certaines), coraux et habitats détruits, arbres vaporisés et sectionnés. À Moruroa, il est toujours interdit aux militaires de se baigner et de consommer du poisson24. La gestion de l’après ne fait que confirmer l’absence totale de considération pour l’environnement et la santé de celleux qui en dépendent : deux puits ont été creusés afin de stocker 570 tonnes de déchets radioactifs, des endroits qui « présentent une instabilité géomécanique avérée25 » selon la CRIAAD. Quant aux sols, une des techniques de « nettoyage » consiste à gratter au bulldozer les zones contaminées, pour regrouper les déblais et recouvrir le tout de béton. En complément de cette bétonisation partielle des atolls, 3 200 tonnes de déchets radioactifs, dont des fusées, avions, et autres engins lourds ont été immergées dans l’océan26.

L’image des atolls de Moruroa et la région de Reggane comme Terra Nullus est symptomatique d’une longue histoire raciste d’invisibilisation des formes de vie autochtones.

Contre la politique du ministère des Armées et du CEA qui n’effectuent ou ne prévoient aucun traitement d’ampleur des conséquences environnementales des expérimentations excepté la surveillance du site27, le Conseil économique, social, environnemental et culturel local préconise à minima une dépollution en profondeur, ainsi que « la mise en place d’une redevance (que l’on pourrait estimer à 150 Francs pacifique/m2/mois), au titre de la location des laboratoires vivants que sont Moruroa et Fangataufa, transformés en dépotoirs nucléaires28 ».

Les femmes autochtones du Canada désignent par « rematriement29 », la réhabilitation des relations des peuples autochtones avec leurs terres ancestrales. Contre la marchandisation et l’exploitation des territoires, la rematriation vise à honorer les connexions spirituelles et culturelles des populations à leurs terres et à réhabiliter les pratiques de soin propres aux systèmes matrilinéaires autochtones. Le contexte et les pratiques ne sont évidement pas comparables en Maohi Nui, mais le mouvement autour de la rematriation rappelle que le vol de terres ou d’objets ne peut être traité comme simple atteinte à une « propriété privée » qu’on peut se contenter de rapatrier ou de restituer. Réparer le vol d’une terre implique de restaurer les traditions, les tissus de relations interspécifiques, ainsi que les cultures qui étaient attachés à ces terres – des éléments pour l’instant absents des discussions.

Illustration de Margaux Bigou (sa page Instagram).

Reprendre ses déchets

En contexte de réparation décoloniale, il est souvent question de restitution. Sachant que l’impérialisme écologique repose non pas seulement sur le pillage des ressources et savoirs, mais également sur l’utilisation de terres du Sud global comme décharges30, il pourrait être pertinent de se mettre en chantier sur des démarches de rapatriement vers le Nord global : libérer les terres Mao’hi n’impliquerait-il pas de reprendre certains des déchets les plus polluants pour les traiter dans l’Hexagone ?

Qui est ce « nous » implicitement désigné par les communs négatifs ?

Les recherches autours des « communs négatifs » soulignent la nécessité de prendre soin collectivement des nuisances et des déchets, à défaut de pouvoir en faire table rase. Il semble en effet essentiel de reconnaître les limites de la centralisation étatique pour « permettre à des collectifs de se réapproprier démocratiquement des sujets qui leur échappaient jusqu’à présent31 ». Néanmoins, qui est ce « nous » implicitement désigné par les communs négatifs ? La gestion démocratique de nuisances imposées de l’extérieur constitue-t-elle véritablement un horizon désirable ? Ne devrions-nous pas plutôt tenir les véritables responsables pour coupables et les contraindre à rendre des comptes et à traiter leurs nuisances ? « Vous, vous proposez quoi ?32 » est la première question systématiquement adressée par l’industrie nucléaire aux militant·es contre l’enfouissement des déchets, souvent formulée d’un ton supérieur et autosatisfait. Comme si la gestion de leurs déchets nous incombait. Comme si l’absence de solution viable pour les résidus des activités nucléaires justifiait leur maintien, alors qu’elle ne constitue en réalité qu’un argument supplémentaire en faveur du démantèlement de cette industrie. Les Maohis devraient évidement être décisionnaires en matière des déchets nucléaires. Mais ce n’est pas que « leur » problème. Cela devrait être aussi, voire surtout, celui des Français·es de l’Hexagone.

Reconnaître (sans preuves « irréprochables »)

« En Polynésie, certains disent qu’il faut tourner la page. Mais comment tourner une page si elle n’est pas écrite ? Comment la tourner avant de l’avoir lu ? »

Mereana Reid Arbelot, députée et membre du parti indépendantiste Polynésien

« Sans la Polynésie, la France ne se serait pas dotée de la force nucléaire et donc de la force de dissuasion (…). Cette contribution que vous avez apportée, je veux la reconnaître solennellement aujourd’hui devant vous ». Pour le gouvernement français, la « reconnaissance du fait nucléaire » a eu lieu avec la prise de parole de François Hollande en 2016, et cinq ans plus tard, avec celle d’Emmanuel Macron, lorsqu’il affirme que « la nation a une dette à l’égard de la Polynésie française » du « fait d’avoir abrité ces essais (…) dont on ne peut absolument pas dire qu’ils étaient propres ». De véritables excuses officielles se font encore attendre, et les mots sont encore en décalage avec les faits : contre l’imaginaire contractuel du sacrifice consenti invoqué à travers les concepts de « contribution » et de « dette », il convient de rappeler que les expérimentations nucléaires ne sont pas le fruit d’un commun accord, mais une démonstration des violences coloniales et racistes.

Par ailleurs, certaines associations revendiquent depuis de nombreuses années la reconnaissance de nombreuses victimes oubliées et indirectes des essais nucléaires, c’est-à-dire des ascendant·es, des conjoint·es, ou des descendant·es des malades. Elles soulignent d’abord le préjudice que constitue le fait de devoir prendre soin d’un proche très malade ou de l’accompagner jusqu’à la mort, et revendiquent l’indemnisation à la mesure des souffrances endurées par les patient·es et aidant·es (sur les victimes par ricochet, voir l’article de Naïké Desquesnes, « La bombe, ses femmes et ses enfants »). Elles soulignent également le cynisme inhérent au fait d’élargir les critères d’indemnisation lorsqu’il est question d’une génération qui disparaît lentement, tout en refusant de reconnaître les descendant·es, encore bien vivant·es, atteint·es de maladies transgénérationnelles.

Poster « Oppose French Terrorism », Nouvelle Zélande, 1989. ©Museum of New Zeland Te Papa Tongareva

Sur ce sujet, l’action politique patine sur un océan de controverses opposant, d’un côté, les conclusions épidémiologiques de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)33, et de l’autre, des expertises de pédopsychiatres34 et des études indépendantes35 dénonçant une science asservie au lobby nucléaire et soulignant l’absence de véritables registres des malformations ou des accidents périnataux. Interrogé à ce sujet lors de la commission d’enquête de 2024, Florent de Vathaire, directeur de recherche à l’INSERM, affirme qu’« étudier les pathologies pour comprendre ces effets est totalement impossible. Il existe tellement d’autres facteurs en jeu que la puissance statistique reste insuffisante pour de telles études, sauf dans des populations très vastes et dans le cas d’expositions très importantes. » Au lieu de déduire qu’il faut donc avancer en s’appuyant sur d’autres choix méthodologiques et politiques, il conclut : « or, nous voulons des résultats irréprochables36 ».

Comme le savent les victimes des désastres difficilement quantifiables et mesurables du dit Anthropocène « l’irréprochabilité » des démonstrations scientifiques a souvent pour effet de préserver le statu quo, et le « fétichisme des mesures37 » peut rapidement devenir un moyen d’écarter la vérité telle que la formulent les non-expert·es. Les recherches en histoire des sciences qui étudient la production sociale de l’ignorance ont d’ailleurs parfaitement détaillé les mécanismes par lesquels le « doute » scientifique a été instrumentalisé pour faire obstacle à la vérité ou à l’action politique38. Les producteurs de pesticides n’ont-ils pas frénétiquement commandé des recherches sur les menaces alternatives qui planaient sur les abeilles pour détourner l’attention de la toxicité des néonicotinoïdes39 ?

Le propre des maladies « anthropocéniques » est de ne pas avoir de cause unique et facilement identifiable. Cela fait d’ailleurs longtemps que le contentieux des maladies professionnelles l’admet.

Le propre des maladies et contaminations « anthropocéniques » est de ne pas avoir de cause unique et facilement identifiable40, et cela fait d’ailleurs longtemps que le contentieux des maladies professionnelles l’admet : refusant de faire peser sur les épaules des victimes la charge de la preuve d’une causalité spécifique par un seul agent toxique, la lutte des syndicats contre les maladies professionnelles a systématiquement consisté à établir une « présomption d’origine ». Dans le cas de l’amiante par exemple, la justice distingue la causalité juridique de la causalité scientifique (entendue au sens strict)41.

Ces exemples sont autant d’éléments qui soulignent les limites d’une procédure de justice et de reconnaissance qui dépend exclusivement de mesures de laboratoire, soulevant des questions profondes sur les potentiels, les limites et la prétention des sciences à garder le monopole sur la production du savoir et à trancher des questions de réparation. Il se pourrait que rendre compte des conséquences coloniales de l’atome implique d’élargir les méthodes et le groupe de personnes considérés comme étant dignes de contribuer à la compréhension du réel.

Tandis que le système onusien vante depuis longtemps les mérites des savoirs autochtones et des « traditional ecological knowledges » (TEK), force est de constater que les populations concernées ne sont pas considérées comme étant détentrices de savoirs au sujet de leurs propres expériences. Comme le note Auguste Uebe-Carlson, président de l’Association 193, fondée en 2014 pour obtenir la vérité et des indemnisations au sujet des expérimentations nucléaires : alors même que les prêtres qui vivaient sur les îles Gambier avaient fait d’importantes observations concernant la natalité des enfants grâce à leurs registres de baptême, il a fallu « des écrits de chercheurs et de journalistes pour que le sujet cesse d’être qualifié de passionnel42 ».

Œuvre de Bobby Holcomb, ©tous droits réservés

La reconnaissance implique certainement de faire un travail de recherche et de mémoire. À cet égard, la construction d’un Institut du Cancer de Polynésie française en 2021, et le projet de construction d’un mémorial à long terme semblent être d’importantes avancées. Encore faut-il que ces différentes institutions ne deviennent pas « le lieu d’une seule parole43 » médicale et étatique, voire « un outil de propagande de l’État44 ». De manière similaire, il importe de continuer à lutter pour l’ouverture complète des archives, mais leur déclassification ne remédiera pas au problème d’une histoire racontée du point de vue des administrations, écrite « de l’encre du vainqueur », qui « nie l’histoire des vaincus (…) comme des crachats sur nos intelligences45 ».

« Reconnaître le fait nucléaire obligerait l’État à reconnaître le fait colonial »

Chantal Spitz

En effet, au-delà de l’accès aux documents labellisés secret défense par le gouvernement, l’injustice épistémique des cinquante dernières années consistant à systématiquement tourner en dérision les paroles maohi constitue un enjeu central de la réparation. Continuer le travail d’histoire orale et d’exhumation de témoignages des premier·es concerné·es déjà débuté par des personnes comme la militante lesbienne féministe et antinucléaire Zohl dé Ishtar46 ou encore Bruno Barillot, militant antimilitariste de l’Observatoire des Armements47, irait en ce sens.

« Un souvenir de quelqu’un qui a vécu les choses, c’est quand même mieux qu’un souvenir d’historien. Je le dis sans méchanceté, mais ça arrange bien l’État d’avoir de moins en moins de témoins vivants », nous glisse Mereana Reid Arbelot, députée et rapporteuse de la commission d’enquête parlementaire sur les essais nucléaires en Ma’ohi nui. Comme le note Chantal Spitz, « reconnaître le fait nucléaire obligerait l’État à reconnaître le fait colonial48 ». Elle souligne ici le paradoxe inhérent au fait de trop attendre de la part de dispositifs mis en place par un État ayant commis des atrocités coloniales en premier lieu… et la nécessité, qui en découle, de faire avancer la question des réparations en deçà et au-delà de l’État.

Raconter

« Il importe les pensées avec lesquelles nous pensons d’autres pensées.
Il importe les histoires avec lesquelles nous racontons d’autres histoires.
Il importe quelles histoires font les mondes et quels mondes font des histoires. »

Donna Haraway49

Même de l’autre côté de la barricade, quand on lutte contre le nucléaire, on se trouve souvent confronté·e au côté supposément anonyme, abstrait et insaisissable de cette menace. De manière symptomatique, Günther Anders, un des pionniers de l’écologie politique et de la lutte antinucléaire continentales, développe sa notion de supraliminarité – ce qui est trop grand pour être perceptible et imaginable – dans le contexte de son engagement contre la bombe atomique. Certains parlent même d’aphénoménalité des dangers modernes, et a fortiori du nucléaire : les pires menaces contemporaines, à savoir la radioactivité, la pollution atmosphérique, ou encore l’IA, sont imperceptibles pour beaucoup de gens.

Le voilier Le Fri en 1975. Photo : ©Mururoa, Mémorial des essais nucléaires français

Mais cette imperceptibilité du danger ne concerne pas tout le monde. Certes, les expérimentations nucléaires participent d’une violence lente, « une violence qui se produit progressivement et hors de vue, une violence de destruction retardée qui est dispersée dans le temps et dans l’espace, une violence qui n’est généralement pas du tout considérée comme de la violence50 ». Pourtant, les nuisances ne sont pas « inimaginables » ou invisibles, mais bien plutôt externalisées, et invisibilisées. Pour le dire plus simplement, les témoignages, les images et les récits sont là – nous ne leur accordons juste pas assez d’attention. Les appels anciens et récents autour du déploiement d’une « imagination » pour se figurer les catastrophes restent pertinents51 – mais peut-être faudrait-il avant tout commencer par écouter les survivant·es et exhumer les archives post-apocalyptiques déjà existantes.

L’entrée dans « l’Anthropocène » inverse la flèche temporelle de la modernité : les peuples opprimés sont les premiers à vivre l’avenir qui attend l’Europe continentale. Comme l’écrit la militante Hinewirangi Kohu, membre du Nuclear Free and Independent Pacific Movement, « Nous, les peuples autochtones de l’océan Pacifique, (…) nous sommes les premiers témoins de la destruction, car la plupart d’entre nous vivons sur la ligne de front du nucléaire – mais vous la verrez bientôt52 ». Les militantes et militants Maohi nui nous livrent des récits depuis des dizaines d’années. Souvent relégués au rang de « littérature » ou de poésie, leurs témoignages cassent les statuts, font compter d’autres mémoires, et offrent des descriptions précieuses du ravage environnemental et colonial.

Peut-être faudrait-il avant tout commencer par écouter les survivant·es et exhumer les archives post-apocalyptiques déjà existantes.

Dans un contexte où le militantisme de femmes antinucléaires a récemment fait l’objet d’une attention particulière en France53, nous gagnerions à nous intéresser à la riche littérature antinucléaire et anticoloniale du Pacifique, largement issue d’autrices comme Déwé Gorodé en Kanaky ou Grace Molisa au Vanouatu.

En Maohi Nui, les représentantes antinucléaires de l’Océanitude54 ne manquent pas. Pour ne citer que quelques exemples, l’île des rêves écrasés de Chantal Spitz55 retrace la généalogie d’une famille depuis la venue des premiers navigateurs français jusqu’à l’installation d’une base de missiles nucléaires dans l’île fictive de Ruahine. À l’instar de nombreuses œuvres de la littérature océanienne, le recueil de Rai Chaze, Vai : La rivière au ciel sans nuages56, narre plusieurs vécus de cancer. Plus récemment, Mutismes, publié en 2002 par Titaua Peu57 met en lumière les violences sociales et culturelles produites par la colonisation avant de terminer par un récit des révoltes de 1995 (voir l’encadré sur ce sujet dans l’entretien avec Hinamoeura Morgant-Cross).

Comme l’écrit Magali Bessone, « la réparation ne modifie pas le passé, mais elle peut modifier le récit que l’on fait sur le passé : réparer, c’est d’abord établir un récit historique sans failles ni silences où les crimes et les morts retrouvent leur place58 ». À partir de quelles voix et par quels moyens façonne-t-on une mémoire commune ? Comment construire un rapport de force à travers le foisonnement de contre-histoires ? À nous de les lire, de les faire circuler et de leur faire de la place dans nos généalogies politiques.

Couverture du livre « Pacific women speak : why haven’t you known?  » du WWNFIP (Women Working for a Nuclear Free and Independent Pacific), 1987, Green Line.

Se relier (au-delà de l’État)

Comment cet héritage nous oblige-il nous, en tant que militant·es antinucléaires de l’hexagone qui refusons la contamination de nos territoires par 17 km de galeries radioactives sous le sol meusien au 21ème siècle ? Cette question mériterait évidemment qu’on s’y penche plus longuement que ne le fait cet essai, et surtout, collectivement. Les archives de militant·es écologistes allié·es des luttes contre le colonialisme nucléaire fournissent néanmoins une première source d’inspiration.

Dans les années 1970 et 1980, les réseaux de solidarité transnationaux entre les nations du Pacifique sont foisonnants59. Bien avant la célèbre affaire du Rainbow Warrior en 1985, où les services secrets français coulèrent le navire de Greenpeace mobilisé pour protester contre les essais nucléaires de la France aux alentours de Moruroa, des équipes internationales organisent déjà des « croisières contestataires » pour sensibiliser et ralentir les expérimentations à partir de 1972. Revendiquant la souveraineté des peuples autochtones, et refusant la militarisation de leurs terres par des puissances nucléaires, diverses associations, partis politiques indépendantistes, syndicats et Églises océaniennes forment ainsi en 1975 le mouvement pour un Pacifique libre et dénucléarisé (Nuclear Free and Independent Pacific) à Fidji, alors indépendante depuis cinq ans.

Plusieurs comités locaux solidaires se forment en Europe, dont celui des femmes œuvrant à un Pacifique libre et dénucléarisé au Royaume Uni (WWNFIP : Women Working for a Nuclear Free and Independent Pacific). Le WWNFIP publie 43 numéros de 1985 à 1999 pour informer ses lectrices et lecteurs des événements dans la région du Pacifique. Les militantes organisent également plusieurs tournées de témoignages de femmes du Pacifique de 1985 à 1996, les invitant au camp de paix de Greenham Common, à une conférence féministe à Brighton, et dans divers groupes locaux anti-nucléaires à travers le pays. Elles publient les discours de ces tournées dans un recueil intitulé Pacific Women Speak – Why Haven’t you Known60, et le résultat de leur travail d’enquête dans le pacifique dans Daughters of the Pacific61. Si les initiatives françaises sont moins institutionnalisées, et prennent plus de temps à se former62, elles existent, et les instances gouvernementales de l’époque craignent d’ailleurs le rapprochement entre indépendantistes, écologistes et instances religieuses63. Parmi l’équipe internationale du navire contestataire Le Fri, on compte un pasteur français.

L’arraisonnement du voilier contestataire Le Fri aux abords de Moruroa. Photo : ©Moruroa, Mémorial des essais nucléaires français

Par ailleurs, plusieurs députés et représentants des Églises manifestent en 1973 dans les rues de Papeete en tant que « Français contre la bombe ». La lutte du Larzac a été particulièrement active dans le tissage de liens, invitant des militants anticoloniaux sur leur occupation, organisant une visite de paysan·nes à Tahiti pour rencontrer des femmes de la coopérative de Hiti Tau et échanger autour de pratiques agricoles. Quatre militants originaires du Larzac sont d’ailleurs mis en examen pendant les révoltes de 1995 à Tahiti.

Que « la France doive réparation aux Polynésien·nes et aux Algérien·nes », cela semble une évidence. Mais qui, de « la France », doit œuvrer pour cette réparation ? Les ex-présidents, puisque ce sont eux qui ont délibérément choisi les atolls de Moruroa et Fangataufa pour leurs expérimentations funestes ? Toute la population de l’hexagone, qui profite aujourd’hui de la « sécurité » assurée par le statut de puissance nucléaire obtenu sur le dos des peuples colonisés ? Quelle responsabilité attribuer aux Français·es blanc·hes, descendant·es de cette histoire coloniale, sachant que les Maohis doivent vivre avec l’héritage du colonialisme nucléaire ?

Que « la France doive réparation aux Polynésien·nes et aux Algérien·nes », cela semble une évidence. Mais qui, de « la France », doit œuvrer pour cette réparation ?

Comme le souligne Taiwo, les descendant·es des colons doivent assumer leurs responsabilités dans la construction d’un système plus juste, non pas parce qu’ils sont individuellement « responsables » des injustices du passé, mais parce qu’ils bénéficient de privilèges en lien avec cette héritage historique. La responsabilité éthique et politique qu’il invoque n’est pas aussi nette et linéaire qu’une responsabilité au sens juridique du terme – dont la définition n’est d’ailleurs plus adaptée aux possibilités de destruction sur plusieurs générations.

Quiconque a déjà pris part à une lutte contre un grand Projet Inutile et Imposé sait toute l’importance de s’y prendre tôt. Si possible avant que les déclarations d’utilité publique ne soient proclamées et les expropriations ordonnées. Et au plus tard avant le début des travaux. « C’est plus dur de mobiliser après », comme on dit. Pourtant, la vie dans les ruines du capitalisme racial ne peut pas être (seulement) une affaire de débrouille affinitaire. La réparation est un pilier essentiel de la justice environnementale, et les luttes écologistes hexagonales ont encore beaucoup à apprendre lorsqu’il s’agit de mobiliser sur des lieux de défaite. Dans la continuité des éthiques du care féministes, du travail des comités « vérité et justice » ou des luttes syndicales pour les maladies professionnelles, il nous faut collectivement envisager des institutions de solidarité, des transferts de fonds et des pratiques de « rematriement » qui s’occupent des vivant·es, après que la violence se soit abattue sur eux, et à échelle transnationale.


L’illustration de couverture est une œuvre de l’artiste HTJ. Son compte Instagram : @htjdesigns

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Notes

  1. Pour les discussions, conseils, et relectures, j’adresse mes sincères remerciements à C., M., Pia, Marie, Naïké, Renda Belmallem, Emilie, Geneviève, Quentin, François, et plus généralement, à tous les camarades contre le nucléaire et son monde.
  2. Eve Tuck, K. Wayne Yang, La décolonisation n’est pas une métaphore, Sète, Rot-Bo-Krik, 2022, trad. de Jean-Baptiste Naudy.
  3. Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, Le Seuil, 2019, p. 24 ; également cité dans Émilie Hache, De la génération : Enquête sur sa disparition et son remplacement par la production, Les Empêcheurs de penser en rond, 2024, p. 224.
  4. Un article des accords d’indépendance de 1962 permettait à la France d’utiliser les sites du Sahara jusqu’en 1967, malgré la libération du pays.
  5. Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires du 5 août 1963, signé à Moscou.
  6. En cohérence avec les appellations et pratiques militant·es anticoloniales locales, ce texte utilise le terme Ma’ohi Nui pour désigner la Polynésie Française, et « Maohis » pour décrire les Polynésiens et Polynésiennes. Sur un tel choix, voir notamment Smith, Linda Tuhiwai. Decolonizing Methodologies : Research and Indigenous Peoples, Zed Books, 2012.
  7. Sebastien Philippe, Tomas Statius, Toxique : enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie, PUF, 2021.
  8. Bruno Barillot parle de négationisme nucléaire. Cf. Bruno Barrillot, « Human rights and the casualties of nuclear testing », Journal of Genocide Research, vol. 9, n°3, Routledge, 2007. Voir aussi Thomas Fraise, « Comment cacher un nuage ? L’organisation du secret des essais atmosphériques français (1957-1974) », Relations internationales, vol. 194, n°2, Presses Universitaires de France, 2023 ; Renaud Meltz, « Associer et dissimuler. Les essais nucléaires en Polynésie française, un “deuxième contact” entre secret et mensonge », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 70‑3, n°3, Belin, 2023.
  9. Déclaration de M. Hervé Morin. Journal officiel des débats à l’Assemblée nationale, 26 juin 2009, p.5661 cité dans : Yannick Barthe, Les retombées du passé : le paradoxe de la victime, Éditions du Seuil, 2017, p. 193.
  10. Moetai Brotherson, « Rapport sur la proposition de loi de M. Moetai Brotherson et plusieurs de ses collègues visant à la prise en charge et à la réparation des conséquences des essais nucléaires français (3966), n°4237, déposé le mercredi 9 juin 2021 », 2021, p. 28.
  11. Kylie M. Allen, « Indigenous Nuclear Injuries and the Radiation Exposure Compensation Act (RECA) : Reframing Compensation toward Indigenous-Led Environmental Reparations », Arizona Journal of Environmental Law and Policy, vol. 10, n°2, 2019 ; Marie I. Boutté, « Compensating for Health : The Acts and Outcomes of Atomic Testing », Human Organization, vol. 61, n°1, 2005.
  12. Sur le site du Centre de ressources textuelles et lexicales, en ligne, consulté en octobre 2024.
  13. À ce sujet, voir Thierry Ribault, Contre la résilience. À Fukushima et ailleurs, 1e édition, L’Échappée, 2021.
  14. Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, consulté le 21 mars 2025.
  15. Ynestra King, « Healing the wounds : feminism, ecology, and the nature / culture dualism », dans Alison M. Jaggar et Susan R. Bordo (éds.), Gender/body/knowledge: feminist reconstructions of being and knowing, New Brunswick, Rutgers University Press, 1989 ; Petra Kelly, Healing the wounds: the promise of ecofeminism, Philadelphia, New Society Publishers, 1989. Irene Diamond, « Artists as Healers : Envisionning Life-giving Culture », dans Gloria Orenstein (éd.), Reweaving the World: The Emergence of Ecofeminism, 2nd edition, San Francisco, Sierra Club Books, 1990.
  16. Irene Diamond, Reweaving the World: The Emergence of Ecofeminism, 2nd edition, San Francisco, Sierra Club Books, 1990.
  17. Carl Cassegård, Håkan Thörn, « Toward a postapocalyptic environmentalism ? Responses to loss and visions of the future in climate activism », Environment and Planning E : Nature and Space, vol. 1, n°4, 2018, p. 574.
  18. Sébastien Philippe, Sonya Schoenberger, Nabil Ahmed, « Radiation Exposures and Compensation of Victims of French Atmospheric Nuclear Tests in Polynesia », Science & Global Security, vol. 30, n°2, Routledge, 2022.
  19. Ce préjudice connait récemment un élargissement à d’autres substances. Le 11 septembre 2019, la Cour de cassation a rendu un arrêt considérant que « tout salarié exposé à une substance nocive ou toxique pourra demander réparation à son employeur, du fait des obligations de sécurité de ce dernier ».
  20. En outre, la proposition de loi introduit de nouveaux concepts, tel celui de la « prise en charge » et non plus uniquement de l’« indemnisation » du préjudice. « En l’état actuel du droit, la reconnaissance d’un lien entre la maladie et l’exposition aux rayonnements ionisants donne lieu au versement d’une indemnisation, dont le montant peut varier de quelques milliers à quelques centaines de milliers d’euros, sans que ne soit toujours prise en compte les soins du quotidien, directement ou indirectement liés au traitement de la maladie – c’est ainsi le cas, par exemple, des soins associés au traitement d’un cancer cutané. »
  21. Olúfẹmi O. Táíwò, Reconsidering Reparations, Oxford University Press, 2022.
  22. International Consultative Preparatory Forum (ICPF) for the Pacific Alliance Gathering of Colonised Peoples & Sovereign Peoples Union for Global Justice through Decolonisation and Reparations (document pdf).
  23. Un biais qu’on retrouve d’ailleurs chez certains pionniers de la protection de la nature, et notamment dans le mouvement de conservation de la wilderness étatsunienne. Voir par exemple William M. Denevan, « The Pristine Myth : The Landscape of the Americas in 1492 », Annals of the Association of American Geographers, vol. 82, n°3, Routledge, 1992.
  24. Bablet JP Gout B. Goutière G, Les atolls de Mururoa et de Fangataufa Polynésie française. Tome III – Le milieu vivant et son évolution, Commissariat à l’énergie atomique CEA DIRCEN, 1995.Cité dans Sebastien Philippe, Tomas Statius, Toxique : enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie, op. cit.
  25. Rapport sur la proposition de loi de M. Moetai Brotherson et plusieurs de ses collègues visant à la prise en charge et à la réparation des conséquences des essais nucléaires français (3966), n° 4237, déposé le mercredi 9 juin 2021.
  26. La Convention de Londres sur la prévention de la population des mers résultant de l’immersion des déchets était ratifiée par 37 pays, dont la France (qui s’est réservé le droit de ne pas appliquer les dispositions de cette convention « si celle-ci était interprétée comme faisant obstacle à des activités estimées nécessaires à la défense nationale ». « Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets » (document pdf), consulté le 30 octobre 2024.
  27. Moetai Brotherson, « Rapport sur la proposition de loi de M. Moetai Brotherson et plusieurs de ses collègues visant à la prise en charge et à la réparation des conséquences des essais nucléaires français (3966), n° 4237, déposé le mercredi 9 juin 2021 », op. cit.
  28. CESEC, « Vœu relatif au fait nucléaire » (document pdf), 2020.
  29. Le terme a été introduit par l’auteure Stó:lō Lee Maracle Lee Maracle, I Am Woman : A Native Perspective on Sociology and Feminism, Raincoast Books, Press Gang Publishers, 2002. Il est mobilisé par de nombreuses luttes et autorise une diversité de définitions. Voir par exemple Cyndi Suarez Dempsey Donald Soctomah, Darren Ranco, Mali Obomsawin, Gabriela Alcalde, Kate, « Land Rematriation : A Conversation with Cyndi Suarez, Donald Soctomah, Darren Ranco, Mali Obomsawin, Gabriela Alcalde, and Kate Dempsey », Non Profit News | Nonprofit Quarterly, 2024, consulté le 23 mars 2025.
  30. Max Liboiron, Polluer, c’est coloniser, Éditions Amsterdam, 2024, trad. de Valentine Leÿs.
  31. « Entretien avec Alexandre Monnin enregistré à la Ferme de la Mhotte par Rieul Techer et Sylvia Fredriksson », 2017, consulté le 9 avril 2025.
  32. « « Mais vous, vous proposez quoi ? » Luttes contre le nucléaire et sa gestion des déchets », 2016, infokiosques.net, consulté le 9 avril 2025.
  33. « Essais nucléaires et santé – Conséquences en Polynésie française », Inserm, consulté le 15 octobre 2024.
  34. « Conséquences génétiques des essais nucléaires : l’étude accablante du docteur Christian Sueur en Polynésie », Observatoire des armements/CDRPC, consulté le 8 novembre 2024.
  35. « Les atteintes aux enfants », Observatoire des armements/CDRPC, consulté le 8 novembre 2024.
  36. « Compte rendu n°10. Audition de M. Florent de Vathaire. 29 mai 2024 », Assemblée Nationale.
  37. René Riesel, Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2008.
  38. Naomi Oreskes, « The fact of uncertainty, the uncertainty of facts and the cultural resonance of doubt », Philosophical Transactions of the Royal Society A : Mathematical, Physical and Engineering Sciences, vol. 373, n°2055, Royal Society, 2015.
  39. Stéphane Foucart, La fabrique du mensonge : comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger, Gallimard, coll. « Folio », 2014.
  40. Celia Izoard, « Cancer : l’art de ne pas regarder une épidémie », Terrestres, 2020.
  41. Marion Bary, « L’indemnisation des victimes de l’amiante en droit français », JURIS-Revista da Faculdade de Direito, vol. 19, 2013.
  42. « Compte rendu n°2. Audition du Père Auguste Uebe-Carlson, président de l’Association 193, et Mme Léna Normand, première vice‑présidente de l’association », Assemblée Nationale, 2024.
  43. « Compte rendu n°2. Audition du Père Auguste Uebe-Carlson, président de l’Association 193, et Mme Léna Normand, première vice‑présidente de l’association », op. cit.
  44. L’association 193 a d’ores et déjà annoncé son retrait du projet de mémorial, « qui finalement n’est autre qu’un outil de propagande de l’État ». Cité dans Caroline Perdrix, « L’association 193 se retire du projet de centre de mémoire des essais nucléaires – Radio1 Tahiti », 2019 (consulté le 9 avril 2025).
  45. Chantal Spitz, « Lettre ouverte de Polynésie », Multitudes, n°1, 2018, p. 18.
  46. Zohl Dé Ishtar, Daughters of the Pacific, Spinifex Press, 1994.
  47. Bruno Barillot, Victimes des essais nucléaires : histoire d’un combat, Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits, 2010.
  48. Chantal Spitz, « Lettre ouverte de Polynésie », Multitudes, op. cit.
  49. Donna J. Haraway, Vivre avec le trouble, Les éditions des mondes à faire, 2020, trad. de Vivien Garcia.
  50. Rob Nixon, Slow violence and the environmentalism of the poor, Harvard University Press, 2011, p. 2.
  51. Sur « l’impensabilité » du dérèglement climatique, et l’importance de l’imagination pour y faire face, voir par exemple Amitav Ghosh, Le Grand Dérangement : d’autres récits à l’épreuve du changement climatique, Wildproject, 2021, trad. de Morgane Iserte et Nicolas Haeringer. Günther Anders, et dans sa lignée, Hans Jonas et Jean-Pierre Dupuy, creusent également cette hypothèse.
  52. Hinewirangi Kohu, « Foreword I », dans Zohl Dé Ishtar (éd.), Daughters of the Pacific, Spinifex Press, 1994, p. vii.
  53. Renée Conan, Anne Laurent, Femmes de plogoff, Éditions la Digitale, 2010 ; Starhawk, Rêver l’obscur : femmes, magie et politique, Cambourakis, 2015, trad. de Morbic ; Gwyn Kirk, Alice Cook, Des femmes contre des missiles : rêves, idées et actions à Greenham Common, Cambourakis, 2016, trad. de Cécile Potier ; Xavière Gauthier, Isabelle Cambourakis et Sophie Houdart, Retour à La Hague : Féminisme et nucléaire, Cambourakis, 2022.
  54. L’auteur Paul Tavo (originaire du Vanuatou) propose de désigner les pensées décoloniales du Pacifique par « océanitude », en réponse à la négritude. Pour une étude plus poussée de ce courant, voir Anaïs Maurer, « Océanitude », Francosphères, vol. 8, n°2, Liverpool University Press, 2019. Audrey Ogès, Violences coloniales et écriture de la transgression : Étude des oeuvres de Déwé Görödé et Chantal Spitz, Éditions L’Harmattan, 2016.
  55. Chantal Spitz, L’île des rêves écrasés, Au vent des îles, 2008.
  56. Rai Chaze, Vai : La rivière au ciel sans nuages, Creat Space, 2013.
  57. Titaua Peu, Mutismes, Au Vent des Iles, 2021.
  58. Magali Bessone, « Reconnaître, réparer, restituer », dans Racismes de France, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2020.
  59. Clémence Maillochon, Les réseaux de militants contre les essais nucléaires français (1959 – 1996), thèse de doctorat, Université de Mulhouse, 2023.
  60. Women Working for a Nuclear Free and Independent Pacific (ed.). Pacific Women Speak, Green Line, 1987.
  61. Ishtar, Zohl Dé. Daughters of the Pacific, Spinifex Press, 1994.
  62. Bruno Barrillot témoigne ainsi des premières réticences de Greenpeace France : « Il se trouvait que Greenpeace Nouvelle-Zélande avait publié une brochure avec des témoignages de Polynésiens en anglais. A Paris, même à Greenpeace, on disait “C’est encore un coup des anglophones qui attaquent la France”… En effet, les témoignages étaient effarants sur les maladies et sur le déroulement des essais à Moruroa. Donc, le directeur de Greenpeace France, avait demandé que le centre de recherche de Lyon puisse aller vérifier ces témoignages sur place. Comme j’étais le seul disponible à l’époque, on m’a envoyé à Tahiti. » Voir Jean-Marie Collin, « Bruno BARRILLOT, “Vérité et Justice” pour les victimes des essais nucléaires », 2018.
  63. Clémence Maillochon, Les réseaux de militants contre les essais nucléaires français (1959 – 1996), op. cit., p. 193.

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