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30.03.2023 à 08:55

Prêt à tuer pour un tas de terre

Christophe Bonneuil
Texte intégral (2718 mots)

Temps de lecture : 6 minutes

Les événements dramatiques de Sainte-Soline posent une question : comment est-il possible d’en être arrivé à plus de 200 blessés (des deux côtés) et deux personnes entre vie et mort (côté manifestants) pour « sécuriser » un monticule de terre et de granulat entourant un simple trou ?

Par le passé, dans les campagnes françaises, ce furent des chantiers de centrales nucléaires que l’État défendit de la sorte, becs et ongles, au prix du sang. La comparaison est d’ailleurs éclairante. Comme à Sainte-Soline ce samedi 25 mars 2023, la circulation était interdite sur une zone de 5 km autour du chantier de Creys-Malville le 31 juillet 1977 pour défendre le chantier de Superphénix. Et comme à Sainte-Soline, plusieurs milliers de policiers et militaires étaient en position, préalablement désinhibés par les déclarations et consignes guerrières de leur préfet et leur Ministre1. Avec le résultat que l’on sait : une centaine de blessés, dont deux mutilés, et la mort d’un jeune manifestant, Vital Michalon.

Pourquoi cette disproportion absolue entre le bien protégé et ce feu guerrier de 4000 grenades en deux heures, une toute les deux secondes ?

Christophe Bonneuil

Par-delà les similitudes, le contraste est frappant, à un demi-siècle d’intervalle, entre la nature des deux infrastructures défendues à feu nourri par l’État. Tuer pour le rayonnement nucléaire français et pour une centrale high-tech de 1 200 MW (croyait-on alors… avant le fiasco technologique de la « surgénération ») 2, on en saisit la (sinistre) raison d’État. À Sainte-Soline, par contre, il n’y avait dans ce monumental talus entourant un vaste trou nul fleuron technologique et rien à saboter qui puisse ralentir le chantier. Pas même une bâche en plastique à lacérer. C’est à quelques centaines de mètres plus loin que des pompes et tuyauteries ont été sabotées sans difficultés, sans d’ailleurs que les autorités ne se soient souciées de les protéger. Pourquoi donc 3200 « forces de l’ordre » pour défendre un simple cratère de terre et de granulat contre la visite en fanfare de quelques milliers de personnes un samedi de printemps ? Pourquoi cette disproportion absolue entre le bien protégé et ce feu guerrier de 4000 grenades en deux heures, une toute les deux secondes, une pour deux manifestants si l’on suit les chiffres du Ministère de l’intérieur ?

Twitter/Les Soulèvements de la Terre.

Bref, comment expliquer que le gouvernement ait été, par un dispositif aussi guerrier et par des obstructions avérées3 à la prise en charge hospitalière de blessés graves, prêt à tuer pour un tas de terre ? Une première réponse tient au contexte du bras de fer en cours sur la réforme des retraites. Comme le suggèrent les déclarations du Ministre de l’Intérieur lui-même avant samedi, la « fermeté » à Sainte-Soline devait donner un avertissement aux colères populaires montées d’un cran depuis le 49.3. Dans cette logique de mitraille des espoirs de justice sociale, la mise entre vie et mort de S. et de M. fait série avec la mutilation à la tête de 353 Gilets Jaunes. Ce qui a été « sécurisé » au prix de centaines de blessés samedi c’est une réforme qui vole deux ans de vie et pénalise particulièrement les plus pauvres qui ne vivront pas jusqu’à 64 ans, les femmes et les classes moyennes inférieures qui devront travailler plus.

Pour le pouvoir, il s’agit de défendre, contre toute critique, la course vers le mur d’une agriculture productiviste, surcapitalisée qui désertifie les campagnes.

Christophe Bonneuil

Une seconde explication tient aux choix agricoles du pouvoir. Depuis 2015, les gouvernements Macron 1 et Macron 2 ont autorisé le glyphosate et les néonicotinoïdes réduisant à néant l’ambition il y a 15 ans (plan écophyto) de réduire de moitié l’usage des pesticides, supprimé les aides au maintien à l’agriculture biologique, investit des milliards (Plan France 2030) dans une agriculture high-tech numérisée et robotisée qui pourrait dramatiquement accélérer la concentration foncière et accroître les impacts environnementaux. Dans cette logique, il s’agissait à Sainte-Soline de défendre, contre toute critique, la course vers le mur d’une agriculture productiviste, surcapitalisée qui désertifie les campagnes. Ce qui a été défendu au prix du sang, ce sont des infrastructures qui ne bénéficient qu’à 6 % des agriculteurs du département et étendent un type d’agriculture que notre milieu ne peut plus supporter, qui assèche les nappes et dépossède les autres usagers du commun qu’est l’eau. Comme à Sivens, où Rémi Fraisse perdit la vie en 2014, ce que la défense armée d’un monticule de terre « sécurise », ce sont les prises de terre des nouveaux seigneurs des campagnes : ceux qui s’accaparent la terre et l’eau, les intérêts agro-industriels qui dominent les marchés agro-alimentaires, contrôlent la FNSEA et dirigent la politique du ministère de l’agriculture4.

La démesure de l’époque se lit dans un chiffre : la masse des techno-objets de notre civilisation industrielle globalisée – des téléphones portables au béton – dépasse la masse des êtres vivants du globe.

Christophe Bonneuil

La disposition étatique à tuer ou mutiler pour un tas de terre prend enfin sens à la lumière de notre nouvelle époque géologique. Les scientifiques qui étudient l’altération en cours des conditions d’habitabilité de notre planète ont proposé le terme d’Anthropocène. Celui-ci nomme le fait que l’action humaine (plus exactement celle de minorités privilégiées de l’humanité) est devenue force tellurique, impactant le devenir géologique de la Terre. Or, à côté des bouleversements du climat ou de la biodiversité, le fait que les opérations humaines (grands barrages, mines, travaux de terrassement et d’aménagement, transports de matières premières…) déplacent plus de terre, de sédiments, de roches que toutes les forces naturelles des vents et des eaux réunies, est un des marqueurs de cette nouvelle époque qui nous a fait sortir de l’Holocène et donne à la crise écologique l’ampleur d’un déraillement géologique. De récentes recherches ont calculé que la masse des techno-objets de notre civilisation industrielle globalisée – des téléphones portables au béton – dépasse la masse des êtres vivants du globe, ou encore que la masse de terre déplacée en France en divers terrassements depuis 1945 s’élève à 10 giga m3 au minimum, soit plus de 4200 pyramides de Kheops. Remuer et déplacer massivement la terre se révèle comme une signature de notre époque5. Dès lors, ce qui a été défendu violemment par les « forces de l’ordre » à Sainte-Soline sous la figure d’un monticule de terre, c’est le pouvoir du capital, devenu force géologique, de continuer à remuer ciel et terre, et ce malgré la certitude désormais unanimement partagée du désastre planétaire qui en résultera.

Ainsi, le choix d’être prêt à tuer pour un monticule de terre à Sainte-Soline nous en dit long sur ce pour quoi militent ceux qui nous gouvernent aujourd’hui : un ordre social injuste, l’accaparement des terres et de notre subsistance par une agriculture toujours plus capitalisée et industrielle, un pouvoir géologique de dérégler la planète. On mesure dès lors l’urgence à cultiver les gestes capables d’interrompre le cours de ce désordre planétaire et de prendre soin des collectifs vivants.

Twitter/Les Soulèvements de la Terre.

Disparition des paysans, ravage du productivisme agricole…. lire sur Terrestres l’analyse approfondie de ces métamorphoses : 70 ans d’agriculture française au service de l’accumulation capitaliste

Christophe Bonneuil est historien, Directeur de Recherche au Cnrs, et dirige la collection Anthropocène aux Éd. du Seuil. Il était présent à la manifestation de Sainte-Soline.


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  1. Cf. la série de 5 reportages de France 3 Rhône-Alpes-Auvergne, La Bataille de Malville de Patrice Morel, 2007
  2. Claire Le Renard, Le prototype défait. Superphénix, des glissements de la promesse technoscientifique aux épreuves de la « démocratie technique », Thèse de sociologie, Univ. Paris-Marne-La-Vallée, 2021.
  3. https://www.mediapart.fr/journal/france/270323/sainte-soline-les-secours-ont-ete-bloques-apres-un-deluge-de-feu ; Sainte-Soline : l’enregistrement qui prouve que le SAMU n’a pas eu le droit d’intervenir, Le Monde, 28 mars 2022
  4. François Purseigle, Geneviève Nguyen et Pierre Blanc, Le nouveau capitalisme agricole : De la ferme à la firme, Presses de Sciences Po, 2017.
  5. Nelo Magalhães, « Accumuler de la matière, laisser des traces », Terrestres Revue des livres, des idées et des écologies, 2019. Cf. aussi la thèse de N. Magalhães soutenue en 2022.

L’article Prêt à tuer pour un tas de terre est apparu en premier sur Terrestres.

27.03.2023 à 17:33

Les polluants éternels ne sont pas intemporels

Thomas Le Roux
Texte intégral (6970 mots)

Temps de lecture : 15 minutes

Avec dix-sept autres médias européens, au sein de l’enquête internationale « Forever Project Pollution1 », le quotidien Le Monde a publié le 23 février 2023 la carte de la pollution de l’Europe par les per- et polyfluoroalkylées (PFAS) 2. Pour qui veut savoir, les PFAS sont connus depuis longtemps. Cette famille de substances d’origine anthropique comprend plus de 4000 molécules différentes et est originellement issue de la synthèse du polytétrafluoroéthylène (PTFE) en 1938, que l’entreprise chimique étasunienne DuPont de Nemours a commercialisé en 1949 sous le nom de Téflon pour les revêtements antiadhésifs des poêles de cuisine, et dont le film Dark Waters (Walter Salles, 2019) a retracé la toxicité et les affres d’un avocat lanceur d’alerte face aux lobbys industriels et aux pouvoirs publics.

Il faut dire que la Food and Drug Administration, l’organisme de régulation des substances chimiques étasunien, avait approuvé ces produits de synthèse en 1962. Comme pour l’amiante, les PFAS offrent, outre des sources de profits pour les producteurs, des qualités indéniables qui ont rejeté à l’arrière-plan des préoccupations les impacts pour la santé publique et l’altération des milieux. Résistants à l’eau et aux graisses, les PFAS sont également de puissants retardateurs de flammes, raisons pour lesquelles ils sont aujourd’hui ajoutés dans une quantité infinie d’objets et de substances (meubles, vêtements, ustensiles culinaires, peintures, mousses anti-incendie, emballages, gaines électriques, prothèses, etc.).

Les PFAS peuvent entraîner des problèmes vasculaires, des lésions hépatiques, des cancers, des maladies thyroïdiennes ; ce sont des perturbateurs endocriniens et ils diminuent la réponse immunitaire à la vaccination. Leur usage massif a entraîné une dissémination généralisée, au point qu’il n’existe plus aucun corps ni aucun milieu de la planète qui y échappe, y compris dans les zones inhabitées, ces molécules persistantes étant véhiculées par l’eau et le vent. C’est un empoisonnement universel dont le journaliste Fabrice Nicolino a déjà retracé les principaux éléments pour le grand public il y a dix ans3.

Source :  Forever Project Pollution

Qu’apporte donc cette cartographie au grand public ? Est-il possible de localiser les milieux contaminés, étant donné que la dissémination est universelle ? La cartographie peut-elle devenir un support pour l’action, militante ou publique ? La collecte, collaborative et étendue sur plusieurs années, est fondée sur une méthodologie scientifique employée pour cartographier les PFAS aux États-Unis. Inédite, elle révèle l’ampleur du problème en précisant notamment les sites les plus pollués – car bien qu’universelle, la contamination est plus ou moins forte selon les zones. Cette cartographie européenne localise la vingtaine d’usines de production de PFAS et plus de 200 établissements qui les emploient pour des fabrications diverses ; toutes sont des sources d’émission à forte concentration, que ce soit par les rejets dans l’air ou dans l’eau. Par ailleurs, au moins 17 000 sites européens sont positivement contaminés, un diagnostic effectué après des mesures de concentration des PFAS dans l’eau et les sols. Enfin, plus de 21 000 sites sont présumés l’être, par la nature des opérations qui y ont été faites, mais qui n’ont pas fait l’objet de mesures. Bien sûr, la carte n’indique pas l’ubiquité des pollutions diffuses à faible dose que l’on retrouve partout. Les enquêteurs précisent que les données recueillies sont un minimum, fondées sur des mesures ou des observations réelles, mais que de multiples autres sites pourraient être concernés : il suffirait d’y pointer le regard et des instruments de mesure.

Au moins 17 000 sites européens sont positivement contaminés (eau et sols), plus de 21 000 sites sont présumés l’être.

Thomas Le Roux

Pour des questions de santé publique et d’information, il est toujours utile de cartographier les sites à risque ; utile mais sensible, dans la mesure où la révélation de points noirs a des conséquences sur le prix du foncier, la recherche des responsabilités, l’urgence de mesures d’assainissement à réaliser et à financer. À ce titre, les chercheurs, lanceurs d’alerte, journalistes, ou militants qui ont tenté de rendre public des données que les industriels ou les pouvoirs publics en charge des régulations sont rétifs à divulguer se sont souvent heurtés au dénigrement ou à l’obstruction. C’est ainsi le cas de Frédéric Ogé, chercheur au CNRS, qui a brisé le tabou des sols pollués en France au début des années 2000, après une enquête réalisée par le ministère de l’Environnement en 1998 qui était restée secrète4. De nos jours, les autorités donnent accès à certaines données publiques collectées. En Suisse et en Belgique, l’analyse de la contamination du sol est même obligatoire pour tout acte de vente du foncier, et il y existe des cadastres des sols pollués5. En France, des inventaires historiques régionaux sont la source de diffusion de données de la Base des anciens sites industriels et activités de service (BASIAS). Depuis 2021, un référencement géographique de ces données par SIG (système d’information géographique) est accessible par le portail Géorisques6. Néanmoins, elles sont incomplètes et leur exhaustivité dépend aussi des pressions et des investigations indépendantes.

À l’heure où l’Europe réfléchit à une refonte de la réglementation et de la surveillance des PFAS, pouvant mener à leur interdiction7, l’enquête internationale des journalistes tombe à pic. Sera-t-elle suffisante pour engager une action publique énergique et définitive ? L’histoire apporte quelques éléments de réponse, en mettant en perspective la généalogie des produits de synthèse tout comme la lutte contre les pollutions au regard de l’évolution et des trajectoires industrielles de nos sociétés.

Les sociétés anciennes recourraient souvent, sans tabou, au principe de l’interdiction, même quand il n’existait pas de substituts.

Thomas Le Roux

Éternels pour le futur, les PFAS ne le sont pas dans le passé : ils ont une date de naissance. Si cette famille de composés synthétiques apparaît en 1938, elle est issue d’une lignée de molécules chimiques créées par l’homme au XXe siècle. Jusqu’alors, toutes les molécules manipulées par les sociétés humaines sont d’origine naturelle. « Naturel » ne signifie pas forcément compatible avec la vie : certaines d’entre elles sont évidemment nocives, comme les métaux lourds (cadmium, plomb, mercure, arsenic, etc.), et depuis Paracelse, médecin et alchimiste du XXe siècle, pour l’administration de ces substances, ou leur contact, c’est la dose qui fait le poison. En dépit de cette maxime, menant au principe de seuils d’acceptabilité, les sociétés anciennes recourraient souvent, sans tabou, au principe de l’interdiction, même quand il n’existait pas de substituts. Ces principes fermes, dont l’application était dans les mains d’une police des nuisances particulièrement sévère, découlaient de la nécessité d’assurer la survie de communautés humaines particulièrement vulnérables et ne disposant pas d’autres moyens de subvenir à leurs besoins que par un approvisionnement local, en eau, aliments et matières : d’où l’absolue obligation de préserver à l’échelle locale les conditions propres à la perpétuation de la vie, c’est-à-dire la non altération des milieux.

Tout change au XIXe siècle. Non seulement la mise en marché d’un grand nombre de produits et la concurrence internationale aboutissent, sous la pression des industriels, au moins-disant environnemental et à des niveaux de pollutions inenvisageables précédemment – c’est alors une véritable acculturation aux nuisances qui s’opère8 –, mais la révolution des transports permet alors de s’approvisionner hors des milieux locaux – ce qui permet de rendre tolérable les pollutions de proximité –, tandis que l’innovation technique et la révolution chimique donnent naissance à des molécules nouvelles et artificielles, certaines étant incompatibles avec les formes de vie existant sur Terre9.

En 1828, s’opère ce qui est considéré comme un tournant historique : l’Allemand Friedrich Wöhler parvient, à partir d’urine, à la création d’urée de synthèse, utilisée pour les engrais. Puis, les recherches du chimiste français Marcellin Berthelot concourent au développement de la chimie de synthèse : de 1850 à 1865, il reconstitue le méthane, le méthanol ou le benzène à partir de leurs éléments, avant de publier en 1860 l’une des bibles de la nouvelle discipline, La chimie organique fondée sur la synthèse. La seconde moitié du siècle voit la floraison des traités de chimie, des chaires d’enseignement et des laboratoires.

Il faut dire que la chimie du charbon, matériau roi du XXe siècle, a associé la science, les intérêts industriels et commerciaux et les politiques étatiques dans l’avènement d’un secteur stratégique, la carbochimie, à la base de la plupart des produits de synthèse10. Ce contexte explique l’extraordinaire développement de la chimie industrielle, notamment du charbon, ce minerai ayant des compositions variées et un potentiel valorisable, et en premier lieu dans le secteur de la teinturerie11. Le premier colorant de synthèse – la mauvéine – est fabriqué dans les années 1850 par l’action de l’acide sulfurique sur l’aniline tirée du goudron de houille. Ce qui entraîne très vite une pollution du Rhin à grande échelle dès 1863, le long duquel la nouvelle et très puissante chimie industrielle allemande (Bayer, Hoechst, BASF) s’est implantée ; en 1875, ses rives accueillent plus de 500 usines, aucun autre fleuve dans le monde n’a jusqu’alors été colonisé à une telle échelle par l’industrie chimique12. La gamme des produits synthétiques s’étoffe alors : nitrocellulose (1846), benzène (1868), celluloïd (1870), caoutchouc (1909), ou encore l’azote (procédé Haber-Bosch, 1909-1913), qui ouvre la voie aux engrais chimiques industriels13. Dans les années 1900, les États-Unis prennent le leadership de la chimie industrielle de synthèse, avec DuPont de Nemours, fondé en 1802 pour l’industrie des explosifs, qui s’oriente vers la chimie industrielle, Dow Chemical (1889) et Monsanto (1901) 14.

Les deux guerres mondiales sont des accélérateurs de la chimie industrielle étasunienne, qui s’impose sur les marchés internationaux après 1945. En quelques décennies, des dizaines de milliers de substances sont mises sur le marché, pour des produits parfois très populaires, comme le nylon ou le Téflon, et envahissent le quotidien des populations, sans évaluation préalable de leur dangerosité ni véritable contrôle de l’administration15.

Après 1945, en quelques décennies, des dizaines de milliers de substances sont mises sur le marché, sans évaluation préalable de leur dangerosité ni véritable contrôle de l’administration.

Thomas Le Roux

Avec la pétrochimie, ce sont de toutes nouvelles molécules qui apparaissent. Certaines sont particulièrement célèbres pour leur nocivité. C’est ainsi le cas du dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), substance synthétisée dès les années 1870 mais restée simple exploit de laboratoire avant que le Suisse Paul Hermann Müller ne découvre en 1939 son efficacité comme insecticide (il reçoit le prix Nobel de médecine en 1948 pour cette découverte !) ; il est alors massivement employé dans l’agriculture avant son interdiction après 1972 dans les pays de l’OCDE à cause de sa toxicité16.

La pétrochimie aboutit surtout à la production de monomère et de polymères au fondement de l’industrie des plastiques, aux propriétés jugées miraculeuses. Après la première synthèse d’un polymère issu des hydrocarbures en 1910 (la bakélite, premier plastique), l’entre-deux-guerres connaît une explosion de brevets sur les matières plastiques synthétiques dans l’Allemagne hitlérienne comme aux États-Unis et en URSS. Ainsi se répand le polychlorure de vinyle (PVC), dont l’entreprise allemande IG Farben industrialise la production dès les années 1930, le nylon (DuPont de Nemours), les polyuréthanes (1937, pour les peintures et les vernis) ; le polystyrène (BASF, Dow Chemical), le plexiglas (1948), le polypropylène (1954, employé par exemples pour les parechocs et tableaux de bord de voiture). C’est dans cette série qu’est synthétisé en 1938 le polytétrafluoroéthylène, ancêtre des PFAS17.

Le PCB, jugé inoffensif par les producteurs malgré la découverte rapide de ses effets toxiques dès 1937, peut être considéré comme un antécédent semblable aux PFAS pour sa toxicité, sa rémanence et sa régulation.

Thomas Le Roux

Quant au polychlorobiphényle (PCB), assimilé aux plastiques, jugé inoffensif par les producteurs malgré la découverte rapide de ses effets toxiques, dès 1937, il est synthétisé et utilisé pour ses propriétés diélectriques et sa conduction thermique comme isolant électrique dans les transformateurs, mais aussi dans les condensateurs, les fluides hydrauliques, les peintures, les adhésifs, etc. Il peut être considéré comme un antécédent semblable aux PFAS pour sa toxicité, sa rémanence et sa régulation ; Monsanto en devient le principal producteur après 1929, polluant la ville d’Anniston dans l’Alabama, principal site de production. Les PCB sont massivement utilisés jusque dans les années 1980, avant leur interdiction progressive18. Leur concentration particulièrement élevée dans les zones de production provoquent une surmortalité localisée, d’où le nom Cancer Alleys, par exemple le long du fleuve Mississippi aux États-Unis19 – ou à moindre échelle dans le « couloir de la chimie » pétrochimique au sud de Lyon en France. C’est actuellement une zone également très touchée par les PFAS20.

Dix millions de composés chimiques auraient été synthétisés au cours du XXe siècle, parmi lesquels 150 000 ont reçu des applications commerciales21. Même si beaucoup de ces substances de synthèse échappent à une évaluation environnementale sérieuse, nous ne sommes pas dans un monde totalement ignorant des effets néfastes de ces molécules pour la santé humaine et la préservation d’un environnement propice à la vie. Dès le tournant des années 1970, la question des plastiques avait déjà été requalifiée comme un enjeu de santé publique et une source de pollutions rémanentes majeures22. Cela fait aussi près de trente ans, au moins depuis l’ouvrage de Theo Colborn, Our Stolen Future (1996), que l’on connaît leur rôle comme perturbateurs endocriniens et métaboliques, qui touche à des degrés divers les êtres vivants23. Leur dissémination est souvent le résultat de l’encouragement à l’innovation, puis des stratégies entrepreneuriales pour minimiser leurs impacts sanitaires – parfois même le mensonge et la dissimulation, comme cela a été démontré pour la céruse, ou plus récemment pour le tabac ou l’amiante par exemple : une démarche de fabrique du doute ou de production d’ignorance, autrement dit l’agnotologie24.

Un autre obstacle à la suppression des polluants éternels, c’est qu’ils sont considérés comme nécessaires à la vie moderne, qu’ils sont indispensables, et leur interdiction est la plupart du temps conditionnée à la possibilité de produire et commercialiser des substituts – ceci sans mettre en péril la viabilité des entreprises concernées, ou en les indemnisant. Par exemple, dans les années 1970, le DDT est interdit en Europe et aux États-Unis comme pesticide parce que d’autres substances apparaissent : les pyréthrinoïdes, puis l’atrazine (finalement interdite en France en 2002) ou encore les néonicotinoïdes, qui affectent le système nerveux central des insectes (ainsi le Gaucho, produit par Bayer, interdit partiellement en France en 2009), ainsi que des herbicides systémiques (ou « totaux ») dont la substance active est le glyphosate, puis plus récemment encore la famille des fongicides SDHI25.

Finalement, chaque nouvelle génération de produits chimiques apporte son lot d’empoisonnement. Les contaminations, aux effets cumulatifs mal connus en raison de la grande persistance des molécules, tendent à croître : non seulement celles d’hier sont encore largement présentes dans l’environnement, mais de nouvelles continuent d’être mises sur le marché par centaines de milliers, innombrables molécules complexes, aux doses infimes et aux effets incertains, difficiles à repérer mais source d’un « scandale invisible des maladies chroniques26 ».

La course à l’innovation, sous-tendue par une rhétorique du progrès et de la promesse technologique salvatrice, n’a pour le moment fait que substituer des poisons les uns aux autres.

Thomas Le Roux

La lutte contre les PFAS (élimination, atténuation de l’exposition, interdiction, etc.) est donc fortement contrainte et enchâssée dans cette histoire qui montre que le monde actuel est littéralement sous l’emprise de ces molécules synthétiques, ne serait-ce que par leur accumulation dans les milieux, sans réelle solution pour les détruire, les liaisons entre les atomes de carbone et de fluor ne pouvant être détruites que si on les chauffe à plus de 1200 dégrés. Par ailleurs, et c’est une récurrence de l’histoire, la course à l’innovation, sous-tendue par une rhétorique du progrès et de la promesse technologique salvatrice, n’a pour le moment fait que substituer des poisons les uns aux autres, dans un cadre aux frontières précises : il s’agit surtout de ne pas édicter de régulations contraires à l’intérêt économique des firmes ou à la compétitivité des nations, sous l’argument de la création d’emplois et de valeur-ajoutée. Un paradigme mortifère qui empêche d’appliquer le principe de précaution et qui ralentit l’interdiction rapide des produits nocifs.

Cette récurrence de l’histoire n’est pourtant pas une fatalité, car ce paradigme n’est pas anthropologique, il est politique, économique et social, l’histoire montrant que les sociétés préindustrielles se donnaient les moyens de bannir les agents destructeurs de l’environnement et des corps. L’action publique étant le fruit de décisions et de rapports de forces, et d’un arbitrage entre des intérêts divergents, et la connaissance étant un élément de l’équation, cette enquête qui se double d’une figuration cartographique précise contribuera, sans nul doute, à faire bouger les lignes. De même, l’action militante peut s’en saisir pour informer, alerter et agir sur des sites maintenant bien identifiés.


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  1. Voir la présentation de l’enquête
  2. Gary Dagorn, Raphaëlle Aubert, Stéphane Horel, Luc Martinon et Thomas Steffen « “Polluants éternels” : explorez la carte d’Europe de la contamination par les PFAS », Le Monde, 23 février 2023. Pour l’enquête en elle-même : Stéphane Horel, « Révélations sur la contamination massive de l’Europe par les PFAS, ces polluants éternels », Le Monde, 23 février 2023. Ces polluants sont qualifiés d’ « éternels » dans la mesure où, nocifs pour le vivant, ils ne se dégradent pas à l’échelle de l’histoire humaine : leur durée de vie est de plusieurs centaines voire milliers d’années à cause des liaisons chimiques presque inaltérables entre les chaînes d’atomes de carbone et de fluor que la chimie de synthèse a créées.
  3. Fabrice Nicolino, Un empoisonnement universel. Comment les produits chimiques ont envahi la planète, Paris, Les Liens qui libèrent, 2014.
  4. Frédéric Ogé et Pierre Simon, Sites pollués en France, enquête sur un scandale sanitaire, Librio, 2004.
  5. Par exemple, pour le territoire de Genève et pour le canton du Valais : Pour la Belgique : en Wallonie, et pour Bruxelles
  6. https://www.data.gouv.fr/fr/reuses/pollution-des-sols-la-carte-de-france-interactive/ ; https://www.georisques.gouv.fr/risques/pollutions-sols-sis-anciens-sites-industriels
  7. L’Union européenne a révisé en 2022 les normes de présence des PFAS dans l’alimentation en abaissant les seuils tolérables (Règlement 2022/2400 du Parlement européen et du Conseil de l’Europe du 23 novembre 2022). Pour une mise au point efficace et documentée : Cathy Morales Frénoy et Jean-Pascal Bus, « PFAS : ces substances chimiques qui inquiètent », Les Échos, 13 juin 2022. Par ailleurs, l’Agence européenne des produits chimiques a rendu publique, mardi 7 février 2023, une proposition déposée par l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Norvège pour interdire les PFAS. Elle annonce une consultation publique à partir du 22 mars 2023.) et où le gouvernement met en place un plan d’action 2023-2027 sur ces substances((Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Plan d’action ministériel sur les PFAS, janvier 2023.
  8. Thomas Le Roux, Le laboratoire des pollutions industrielles. Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011.
  9. François Jarrige et Thomas Le Roux, La contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Le Seuil, 2020 (2017).
  10. Bernadette Bensaude-Vincent et Isabelle Stengers, Histoire de la chimie, Paris, La Découverte, 1993 ; Sacha Tomic, Comment la chimie a transformé le monde, Paris, Le Square éditeur, 2013.
  11. Ernst Homburg, Anthony S. Travis et Harm G. Schröter (dir.), The Chemical Industry in Europe (1850-1914) : Industrial Growth, Pollution and Professionalization, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1998.
  12. Mark Cioc, The Rhine : An Eco-Biography (1815-2000), Seattle, University of Washington Press, 2002.
  13. Vaclav Smil, Enriching the Earth : Fritz Haber, Carl Bosch and the Transformation of World Food Production, Cambridge (MA), MIT Press, 2001.
  14. Benjamin Ross et Steven Amter, The Polluters : The Making of Our Chemically Altered Environment, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 18-19.
  15. Pap Ndiaye, Du nylon et des bombes. Du Pont de Nemours, le marché et l’État américain (1900-1970), Paris, Belin, 2001.
  16. James E. McWilliams, American Pests : The Losing War on Insects from Colonial Times to DDT, New York / Chisester, Columbia University Press, 2008.
  17. Fabrice Nicolino, Un empoisonnement universel, op. cit., chap. 8.
  18. Aurélien Féron, Persistance biochimique et récalcitrance politique. Enquête socio-historique sur les résurgences multiscalaires d’un problème environnemental et sanitaire, thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2018.
  19. Brian C. Black, Crude Reality : Petroleum in World History, Lanham, Rowman & Littlefield, 2012.
  20. François Duchêne et Léa Marchand, Lyon, vallée de la chimie. Traversée d’un paysage industriel, Lyon, Libel, 2016.
  21. Nathalie Jas, « Gouverner les substances chimiques dangereuses dans les espaces internationaux », in Dominique Pestre (dir.), Le gouvernement des technosciences. Gouverner le progrès et ses dégâts depuis 1945, Paris, La Découverte, 2014, p. 31-63, p. 37.
  22. Baptiste Monsaingeon, « Plastiques : ce continent qui cache nos déchets », in « Où va l’homo détritus ? », numéro spécial de Mouvements, nº 87, 2016, p. 48-58.
  23. Traduit en français l’année suivante : Theo Colborn, Dianne Dumanoski et John Peterson Myers, L’Homme en voie de disparition ?, Mens, Terre vivante, 1997 [1996] ; Stéphane Horel, Intoxication. Perturbateurs endocriniens, lobbyistes et eurocrates : une bataille d’influence contre la santé, Paris, La Découverte, 2015 ; Marine Jobert et François Veillerette, Perturbateurs endocriniens. La menace invisible, Paris, Buchet-Chastel, 2015.
  24. Judith Rainhorn, Blanc de plomb. Histoire d’un poison légal, Paris, Presses de Sciences Po, 2019 ; Stéphane Foucart, La Fabrique du mensonge. Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger, Paris, Denoël, 2013 ; Robert N. Proctor, Londa Schiebinger, Agnotology. The Making and Unmaking of Ignorance, Stanford, Stanford University Press, 2008 ; Gerald Markovitz, David Rosner, Deceit and Denial. The Deadly Politics of Industrial Pollution, Berkeley, University of California Press, 2002 ; Jock McCulloch, Geoffrey Tweedale, Defending the Indefensible. The Global Asbestos Industry and its Fight for Survival, Oxford, Oxford University Press, 2008.
  25. Edwige Charbonnier, Aïcha Ronceux, Anne-Sophie Carpentier, Hélène Soubelet et Enrique Barriuso (dir.), Pesticides. Des impacts aux changements de pratiques, Paris, Quae, 2015 ; Fabrice Nicolino, Le crime est presque parfait. L’enquête choc sur les pesticides et les SDHI, Paris, Les Liens qui libèrent, 2019.
  26. André Cicolella, Toxique planète. Le scandale invisible des maladies chroniques, Paris, Le Seuil, 2013 ; Frédéric Denhez, Les Nouvelles Pollutions invisibles. Ces poisons qui nous entourent, Paris, Delachaux & Niestlé, 2011.

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24.03.2023 à 15:15

Sainte Soline priez pour nous !

Société des frères et sœurs de Soline
Texte intégral (4723 mots)

Temps de lecture : 10 minutes

29 octobre dernier. Partout en France résonne le fracas d’une bataille historique dans la guerre de l’eau. Et c’est ainsi que le nom du petit village de Sainte Soline s’étale à la une des journaux. Mais qui donc – aujourd’hui- connaît Sainte Soline, cette martyre Chrétienne du pays Mellois ?

Un article lapidaire de Wikipédia prétend qu’il “n’existe aucune information précise ou fiable sur la vie de Sainte Soline.” Mais si notre sombre époque croule sous les “informations”, elle manque en revanche cruellement de légendes. Et paradoxalement, à mesure que s’entassent les rapports du GIEC, les informations scientifiques rejoignent de manière inattendue la prose religieuse. Elles sont annonciatrices d’un avenir qui ressemble à s’y méprendre aux Septs Plaies d’Égypte, au Déluge, à l’Apocalypse selon Saint Jean, ou encore aux sourates coraniques de la Secousse, de la Déchirure et du Ciel fendu.

« Quand le ciel se fendra, et que les étoiles se disperseront, et que les mers
confondront leurs eaux, et que les tombeaux seront bouleversés, tout âme saura
alors ce qu’elle a accompli et ce qu’elle a remis à plus tard.
 »
Le Saint Coran, Sourate 82, Le ciel fendu

Si nous ne sommes pas de ceux qui croient que la vérité du monde réside dans un texte unique, révélé pour des siècles et des siècles ; nous ne sommes pas pour autant insensibles aux signes mystiques, aux intuitions et aux puissances magiques. Nous savons la force extraordinaire des légendes, des mythes et des prophéties. L’Esprit et la détermination qui nous animent n’ont rien d’étranger à la foi.

A la veille de la prochaine bataille qui s’annonce ; A l’heure où des milliers de personnes s’apprêtent à confluer “à Mauzé-sur-le-Mignon et-ou à Sainte Soline” le 25 mars prochain pour en finir avec les méga-bassines ; Alors que les petits soldats de l’Empire macronien échafaudent leurs plans de répression et que galopent les rumeurs cavalières d’une présence de la garde montée ; Le temps est venu de faire toute la lumière sur Sainte Soline.

Vitrail de l’Abbaye de Saint Père, Sainte Soline tenant une plante, source : David Crochet

La vie de Sainte Soline

La légende de Sainte Soline fut consignée par l’Abbé Loriot dans un ouvrage oublié : Sainte Soline ou les premiers martyrs de l’Eglise de Chartres. Nous sommes au IIIe siècle après Jésus Christ et Rome règne sans partage sur l’Occident. Le pays Mellois garde encore la trace de cette époque lointaine. En témoignent les vielles pierres de la cité de Rom (Rauranum) jalonnée de ruines et marquée à jamais par ses thermes antiques aux colonnes toscanes. En témoigne le vestige d’un pont en bois exhumé à Sainte Soline par les archéologues. En témoigne l’empreinte du sillage des voies romaines à travers les champs alentours, trace du réseau sur lequel reposait la puissance de l’un des tous premiers empires.

Dans ce livre, l’abbé Loriot nous raconte l’histoire de Santa Sulina, une jeune femme de noble et riche famille qui se convertit à la foi Chrétienne. Elle fait le serment de conserver sa chasteté et de réserver son amour à Jésus-Christ. Assaillie de sollicitations – tant pour la beauté de ses traits que pour la noblesse de ses titres – elle les décline toutes avec obstination. Alors que ces parents la maltraitent pour la forcer à prendre époux et que ses prétendants se font chaque jour plus insistants, elle décide de prendre la fuite.

Elle renonce à toutes les richesses de sa famille, à tous les privilèges de son rang pour gagner liberté et indépendance. Elle prend la route pour un long périple. Sa courageuse fugue la mène jusque dans la cité carnute où elle trouve refuge dans une grotte fameuse où les chrétiens primitifs vouaient alors un culte à la Vierge-Marie. Elle s’y établit pour mener une vie de recueillement et de prières.

Mais Quirinus, gouverneur de la cité, décide de faire arrêter cette femme prosélyte qui chaque jour convainc d’autres femmes de se soustraire au mariage et de vivre leur foi en communauté de soeurs. Elle est jetée au cachot. Quirinus s’efforce de la faire renoncer à sa croyance, usant tour à tour des douces promesses et des supplices, de la séduction et de la torture. Elle persiste dans sa foi et sa sérénité et ne se laisse ébranler ni par les menaces, ni par les caresses. Elle est alors livrée au bourreau pour être décapitée puis immolée.

Des fidèles parviennent dans le plus grand secret à récupérer et inhumer son corps en un tombeau parfumé. Des reliques sont alors précieusement conservées dans une châsse dorée. Elles sont encore accessibles aujourd’hui auprès de la personne qui détient les clefs de l’Église du village Sainte Soline… Depuis sa mort jusqu’au XIXe siècle, elle est vénérée dans les temps de calamités publiques et de sécheresse.

« Sainte Soline était invoquée de manière toute spéciale dans les grandes calamités
publiques (…) pour les biens de la terre en souffrance et contre les intempéries de
l’air. Ses reliques étaient alors portées aux processions générales. Quand une
sécheresse trop continue menaçait les récoltes, on exposait à la cathédrale de
Chartres la châsse de Saint Taurin, évêque d’Évreux, et à l’Église abbatiale de Saint
Père la châsse de Sainte Soline, et les nombreux et irrécusables miracles obtenus à
la suite de cet acte de pieuse confiance dans l’intercession des saints autorisaient les
populations reconnaissantes à traduire leur pensée par l’épithète naïve et bien
significative qu’elles donnaient à ces châsses vénérées : elles les appelaient les deux
aqueducs du pays chartrain.
 »
Les Vies des Saints du Poitou, par Ch. de Chergé, 1856

Vitrail de l’église de Sainte Soline, Sainte Soline face au gouverneur Quirinus

Que soient chassés les marchands pour conjurer la sécheresse

Nous traversons une sécheresse pluri-annuelle historique et sans précédent. Le réchauffement climatique dont elle procède n’a rien d’une punition divine. Il est la conséquence des agissements d’une minorité d’hommes assoiffés d’or. Aveuglés par l’appât du gain, ils ne savent plus prendre soin ni du monde, ni de leur prochain. Ils sont en train de tout ravager. Le temps est venu de les en empêcher.

« Car l’amour de l’argent est racine de toutes sortes de maux. Pour s’y être
abandonnés, certains se sont égarés très loin de la foi, et se sont infligés beaucoup
de tourments.
 »
La Sainte Bible, Timothée 6:10

« La course aux richesses vous distrait, jusqu’à ce que vous trouviez votre tombe.
Mais non ! Vous saurez bientôt… Vous saurez bientôt ! Sûrement. Si vous saviez de
science certaine. Vous verrez, certes, la Fournaise. Puis vous la verrez avec l’oeil de
certitude. Puis, assurément, vous serez interrogés, ce jour là, sur les délices.
 »
Le Saint Coran, Sourate 102, La course aux richesses

Désormais c’est le monde qui ploie sous les tourments causés par les riches, et ce sont les pauvres du monde qui récoltent les premiers les fléaux que sème partout le mode de vie capitaliste. Parmi ces innombrables fléaux, il y a la sécheresse. Que ferons-nous quand il n’y aura plus d’eau ? Jusqu’où alors iront les hommes dans leur lutte sans merci pour la survie ? Quel visage aura le monde quand l’eau potable aura le prix de l’or ? C’est donc maintenant – tant qu’il est encore temps – qu’il nous faut mener corps et âme cette guerre de l’eau. Maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.

L’eau, ce bien commun, ce don de la providence, est ce qui rend possible la vie même. En s’attaquant aux méga-bassines, nous luttons non seulement contre l’accaparement de l’eau par un complexe ago-industriel mortifère, mais aussi pour une prise de conscience. La guerre de l’eau ne fait que commencer. L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage. L’écologie sans spiritualité, c’est du charabia d’ingénieur du plan. La lutte écologique sans l’action déterminée, c’est un martyr superflu, un vain sacrifice. Contrairement aux idées reçues du catéchisme de la nonviolence, Jésus n’a pas fait que tendre l’autre joue, loin de là, il a d’abord semé le trouble.

« Ils arrivèrent à Jérusalem, et Jésus entra dans le temple. Il se mit à chasser
ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple ; il renversa les tables des
changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons ; et il ne laissait personne
transporter aucun objet à travers le temple. Et il enseignait et disait : “N’est-il
pas écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les
nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs !”.
 »
La Sainte Bible, Marc, 15:17

« Il trouva dans le temple les vendeurs de boeufs, de brebis et de pigeons, et les
changeurs assis. Ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du
temple, ainsi que les brebis et les boeufs ; il dispersa la monnaie des changeurs,
et renversa les tables ; et il dit aux vendeurs de pigeons : “Ôtez cela d’ici, ne
faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic !”
 »
La Sainte Bible, Jean, 14:16

Un disciple de Bosch, Jésus chassant les marchands du temple. Longtemps attribué à Brueghel, ce tableau représente Jésus se livrant au vandalisme et à la fustigation. Il faut ici entendre le mot fustigation au sens propre puisque Jésus brandit une sorte de fouet-martinet pour battre les marchands.

Notre combat pour la terre et les formes de vie qui la peuplent, est juste. Notre âme est notre temple. La Terre est notre temple. Pour notre salut et celui de nos prochains, le temps est venu d’en chasser pour toujours et à jamais les marchands. Les chasser de la terre et de notre âme. Pour comprendre ces paroles dans toute leur profondeur, peut-être faudrait-il prendre le temps de relire attentivement le premier sermon du mystique Maître Eckhart : « la vérité n’a pas besoin de marchands ».

Que l’esprit de Sainte Soline soulève la terre

Dans cet affrontement contre les marchands qui assèchent et ravagent le monde, nous avons à nos côtés l’esprit de Sainte Soline. Et cela nous le percevons par des signes. Il y a en nous et avec nous des forces qui nous excèdent et nous agissent. Elles commencent tout juste à se manifester. Elles appuient notre résistance, prolongent et amplifient nos gestes.

Vitrail de l’Église de Sainte Soulle, Sainte Soline accoudée sur le manche d’une hache de guerre et tenant dans l’autre main une tige verte.

Jeudi 2 mars 2023, vers midi, les sapeurs-pompiers sont intervenus rue de Verdun après l’apparition soudaine de fissures sur le bâtiment qui abrite les bureaux de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres et de Charente-Maritime et de la Cuma des Deux-Sèvres. Il s’agit (divin hasard !) de deux acteurs majeurs du projet de mégabassines dans le département. Une dizaine de salariés travaillaient à l’intérieur au moment des faits. « On a entendu un gros clac et le carrelage s’est soulevé au niveau de l’accueil. On a immédiatement évacué le bâtiment ». Les pompiers ont constaté le surgissement de trous et des fissures. Il n’y a eu aucun blessé. Le bâtiment a été évacué. Le maire a pris un arrêté de péril et prononcé sa fermeture administrative. Il est inaccessible jusqu’à nouvel ordre. Les gendarmes de Parthenay, présents sur site, se sont retrouvés, une fois de plus, impuissants face à ce nouveau soulèvement de la terre, au sens littéral.

Depuis une quinzaine de jours maintenant, le petit monde des irrigants de la commune de Sainte Soline bruisse d’une rumeur angoissée. Au café, dans les couloirs de la Cuma, sous les silos d’Ocealia et dans les réunions de la Coop de l’eau, l’inquiétude et l’anxiété suintent de toutes parts. Les fuites partout se propagent. Les travaux sont interrompus. La cause première est l’action résolue des opposants. Le cratère est désormais creusé. Il est cerné de digues en terres, de barrières et de grillages consolidés. Le calendrier initial est mis à mal par la détermination des opposants.

En effet, il serait absolument imprudent de bâcher la méga-bassine maintenant. Le risque est trop important qu’elle soit rapidement détruite, pendant, avant ou après la manif du 25 mars. La phase entre le bâchage et le remplissage constituera le moment de vulnérabilité maximale de l’édifice. Un coup de cutter où une petite flamme suffiraient alors à neutraliser le chantier et leur faire perdre des sommes astronomiques.

Mais en plus de notre résistance farouche, une autre menace plane au-dessus du chantier. Une menace bien plus mystérieuse et profonde. “Une contrainte technique” qui inquiète au plus haut point la Coop de l’eau. Un lac s’est formé dans la mégabassine. Mais ne croyez pas – comme cet imbécile heureux de Marc Fesnau ! – que cette apparition serait un effet fond de cuve lié au retour de la pluie. C’est encore une fois aux forces telluriques que l’on doit cet étrange phénomène. Il s’agirait bien plutôt d’une remontée de nappe. Normalement les concepteurs ont anticipé un tel phénomène en prévoyant de laisser au fond de la bassine un seuil minimal en guise de lestage, pour empêcher que la nappe phréatique ne perce la bâche et ne ruine l’édifice. Mais si les concepteurs ont sous-estimé la puissance et le débit de cette poussée, alors la bassine de Saint Soline est un édifice mort-né !

De plus, l’absence d’études hydro-géologiques préalables sur la nature des sols sous la méga-bassine laisse planer un autre risque tellurique, et non des moindres. Les concepteurs se sont affranchis des obligations préconisées par la loi sur l’eau. Ils se sont dispensés de faire réaliser un diagnostic par des géologues professionnels. Ils n’ont fait ni tests hydrauliques de forage, ni sondages carottés, ni descriptions lithologiques des affleurements ou autres études structurales. Pour le dire simplement, ils ignorent tout de la nature et de la texture du sous-sol de la bassine et construisent à l’aveugle. Or sous le calme apparent des plaines de Sainte Soline, le sous-sol est jalonné de gouffres et traversé de failles. Ainsi, au risque de poussée de nappe, vient donc s’ajouter celui d’un possible effondrement de l’édifice sur lui-même.

Les maîtres d’œuvre des méga-bassines ont déjà fait preuve de cette négligence coupable par le passé. C’était à Vivonne, au début des années 2000. Le fond de la bassine n’était en réalité que le mince plafond d’une rivière souterraine. La bassine une fois remplie s’était littéralement effondrée sur elle-même. La puissance des eaux et de la terre avaient balayé l’édifice, répandant des lambeaux de bâches à des kilomètres à la ronde. La chambre d’agriculture commanditaire des travaux avait fait faillite, licencié une dizaine de salariés, pour être finalement placée sous tutelle. Aujourd’hui, le sol se soulève et se dérobe sous la chambre d’agriculture du 79. Les irrigants cauchemardent du fiasco de Vivonne. Le 25 mars prochain, nous porterons un nouveau coup de butoir contre ce projet absurde. Ô Sainte Soline, puisses-tu accompagner notre effort, soulever la terre pour leur porter le coup de grâce !


Prière pour Sainte Soline

Ô Sainte Soline,
Toi qui a fugué pour échapper aux contraintes patriarcales,
Toi qui a défié l’Empire Romain et résisté au gouverneur,
Aide-nous à affronter la sécheresse et les calamités de notre temps.


Ô Sainte Soline,
Déterre ta hache de la guerre pour que verdissent les blés,
Soulève terre et eau pour bassine effondrer,
Aide-nous à déferler pour enterrer projet.

Ô Sainte Soline,
Nous t’implorons, guettons tes moindres signes,
Puisses-tu faire de nous foule fluide comme l’eau pour déborder leurs lignes,
Qu’ainsi à tout jamais, il n’y ait plus de bassines.

Amen

Société des frères et sœurs de Soline,
Ordre mystique et ésotérique pour un soulèvement de la Terre


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