La Voie de l'épée
Michel Goya est un auteur spécialisé dans l'histoire militaire et l'analyse des conflitsPublié le 14.12.2025 à 20:12
Les trumpettes de la renommée
Un
art trumpien de la guerre
La
première guerre a lieu, officiellement depuis janvier 2024, contre les Houthis
au Yémen, afin de rétablir la liberté de navigation en mer Rouge et dans le
golfe d’Aden. Malgré plus de 2 000
munitions lancées sur les Houthis, elle est toujours en
cours. La seconde, fragmentée et assez limitée,
a eu lieu contre l’Iran, d’abord en protégeant
les emprises américaines en Irak contre les tirs des
groupes Hashd al-Shaabi, puis en protégeant le ciel
lors des deux phases de la guerre entre Israël et l’Iran,
puis en frappant directement des cibles nucléaires iraniennes avec l’opération Midnight
Hammer du 21 juin dernier. Les effets ont été plus décisifs contre les
Iraniens que contre les Houthis, mais probablement temporaires.
Avec
les opérations du premier mandat — frappes limitées contre la Syrie et l’Iran,
et acceptation de la défaite en Afghanistan — on voit se dessiner un art
trumpien de la guerre, ne rechignant absolument pas à l’emploi de la force
pourvu que ce soit sans risque. Répugnant à toute opération de conquête et de
contrôle, qui implique une action dans les zones de morts terrestres et donc
l’acceptation de pertes, au profit de quelques raids clandestins et surtout de
spectaculaires frappes à distance, la Trump War est faite de coups
médiatisés, car l’effet perçu est aussi important pour lui que l’effet réel.
C’est coûteux financièrement — les seules munitions lancées sur les Houthis ont
coûté environ 5 milliards de dollars et Midnight Hammer a coûté 200
millions de dollars en une nuit — avec l’effet certain d’affaiblir l’ennemi et
de calmer ses ardeurs, mais sans être forcément définitifs.
Notons
qu’aucune de ces opérations n’a été approuvée préalablement par le Congrès.
Donald Trump s’appuie sur sa qualité de Commander in Chief (article II
de la Constitution), agissant pour protéger les forces américaines et la
liberté de navigation, et en vertu des Authorization for Use of Military
Force (AUMF) du Congrès de 2001 et 2002. Ces AUMF, sans limite de temps,
autorisent le président des États-Unis à utiliser la force contre Al-Qaïda et
les groupes affiliés partout dans le monde dans le premier cas, et à protéger
les intérêts américains en Irak dans le second. Cette base et la pratique qui a
suivi pendant vingt ans donnent de fait une très grande liberté au président
des États-Unis, qui se contente de notifier a posteriori le Congrès et de
l’informer des opérations afin d’éviter la violation formelle de la War
Powers Resolution de 1973. On aurait ainsi pu se demander sérieusement sur
quelle base juridique se fondait l’opération Midnight Hammer contre
l’Iran (légitime défense ? protection ? lutte contre
Al-Qaïda ou l’État islamique ?), tout comme l’élimination
de Qassem Soleimani en 2020, mais les débats ont tourné
court.
Nous
voilà maintenant dans les eaux des Caraïbes, avec la première application de la
nouvelle doctrine Monroe, que l’on ne manquera bientôt d’appeler « doctrine Trump »,
de reprise en main de la zone d’influence « naturelle »
des États-Unis, du Groenland à
la Terre de Feu. La méthode est originale puisqu’il
s’agit d’abord d’y
déployer une armada à
40 milliards de dollars, avec le groupe aéronaval le plus
puissant du monde, un groupe amphibie et son corps d’assaut
aéroterrestre des Marines (MEU), une
escadre de six bâtiments de surface et deux sous-marins d’attaque avec, entre
autres, une capacité de frappe de 250 missiles Tomahawk. Porto Rico a été
transformé en porte-avions terrestre avec une force de frappe aérienne de 15 F‑35
A et B, trois Poseidon, six drones Reaper, des tankers, de la guerre
électronique, des transporteurs lourds ou légers, plus deux « bomb wings »
de B‑52H et B‑1B disponibles en Louisiane et au Texas. Bien entendu, les forces
spéciales sont également
là en nombre, y compris sur le territoire
vénézuélien, représentant cependant, avec la MEU, les seuls moyens d’action au
sol.
Ce
sont des moyens gigantesques que peu de nations pourraient réunir, même en
déployant la totalité de leurs forces armées, et tout cela pour quoi faire ? On ne le sait
pas trop, sinon exercer une pression stratégique à
destination du Venezuela, afin de dissuader le régime de Nicolás
Maduro de toute « aventure » et de montrer
au reste du monde qui est le patron dans la région.
Tropical
Sicario
À
un million de dollars par heure de fonctionnement, cela fait cependant un peu
cher la démonstration de force. Autant que cela serve à quelque chose, comme
par exemple détruire systématiquement toutes les embarcations de narcotrafic
qui passent dans la zone d’action de cette opération baptisée Lance du Sud
(Southern Spear), et non Bouclier du Sud. À ce jour, 23 de ces
petits bateaux ont été détruits, provoquant la mort de 87 personnes et deux
prisonniers, renvoyés chez eux par la suite.
En
soi, l’emploi de moyens militaires — forces spéciales, clandestines, ou
sociétés privées — contre les cartels de trafiquants de drogue n’est pas
nouveau. Les Américains font du Sicario, pour reprendre le titre du film
de Denis Villeneuve, depuis de nombreuses années, mais ne l’avouaient pas pour
une raison très simple : tuer des gens
sans procès et hors légitime
défense est illégal
en temps de paix.
La
police et la guerre sont les deux emplois légitimes du monopole de l’emploi de
la force, mais ce sont deux emplois qui obéissent à des règles de droit
différentes. La principale différence est que, dans la police, on emploie la
force contre des gens pour ce qu’ils font ou tentent de faire — des crimes ou
délits — avec de fortes limitations, alors que, dans la guerre, on l’emploie
pour ce qu’ils sont — des combattants au service d’une entité politique ennemie
— et sans limitation tant que cela ne touche pas des civils. Les cartels
n’étant pas des groupes politiques comme le sont les organisations djihadistes
ou, à plus forte raison, des États, mais de purs criminels, leur traitement ne
peut normalement pas relever de la guerre. On peut décider de faire comme à la
guerre et de tuer leurs membres simplement pour ce qu’ils sont, mais cela
devient mécaniquement des exécutions extrajudiciaires. Il faut donc le faire
clandestinement, même si cela est déjà en contradiction avec les Executive
Orders successifs des présidents Ford, Carter et Reagan interdisant
l’assassinat par les services de l’État.
La
nouveauté est que non seulement l’administration Trump ne se cache pas de tuer
des narcotrafiquants, mais s’en vante même, justifiant cela par l’urgence de la
lutte contre le fléau de la drogue, en particulier les ravages du fentanyl (qui
vient plutôt du Mexique), qui tue plusieurs dizaines de milliers d’Américains
chaque année. Bien évidemment, tous les JAG (juges-avocats généraux, qui jugent
de la légalité des actions militaires) de la Terre se sont insurgés contre
cette pratique, en particulier celui du Commandement Sud en charge de
l’opération, estimant qu’il s’agissait là de pures exécutions extrajudiciaires
pouvant amener devant des tribunaux tous les chefs militaires qui y auraient
participé. Son chef, l’amiral Alvin Halsey, l’a approuvé tacitement en prenant
prématurément sa retraite peu de temps après le déclenchement de l’opération.
Méprisant
allègrement tous ces avis, l’administration Trump a quand même été obligée
d’aller au-delà de l’excuse de l’urgence, peu crédible, en arguant de la
légitime défense et surtout — et c’est cela qui est le plus inquiétant — en
considérant qu’il s’agissait là d’une guerre. Déclarer la guerre, c’est
désigner un ennemi politique sur lequel on va taper très fort. Là, l’ennemi
désigné est le Cartel de los Soles, opportunément inscrit en novembre
sur la liste des organisations terroristes étrangères (FTO), avec le Tren de
Aragua, également vénézuélien, et le Sinaloa, mexicain. La
qualification de « terroriste »
est assez boiteuse en soi — une
organisation ou un État n’est pas
terroriste mais pratique éventuellement le terrorisme pour
atteindre ses fins politiques — mais elle est
assez forte pour diaboliser la cible et assez floue pour l’appliquer
à qui l’on veut. On
considère donc apparemment à
Washington qu’il suffit de la coller à
n’importe quoi pour en faire
automatiquement un ennemi et donc agir contre lui dans le cadre des pratiques
et du droit de la guerre. Et voici donc des criminels qualifiés de combattants
irréguliers ennemis, à l’instar de djihadistes, et donc susceptibles d’être
abattus à vue. On ne mesure pas encore bien tout ce que cette dérive peut
engendrer.
Il
est possible, heureusement, de relier le Cartel de los Soles au pouvoir
à Caracas, les fameux soleils du cartel représentant les étoiles des généraux
corrompus de la glorieuse Garde nationale bolivarienne. Nicolás Maduro lui-même
a été inculpé pour trafic de drogue, « narco‑terrorisme »
et conspiration en mars 2020 par le ministère de la Justice
de la première administration Trump. On ne sait pas
trop quels sont les liens réels du pouvoir
avec le trafic de cocaïne, l’armée
vénézuélienne
ayant combattu activement le redoutable cartel Tren de Aragua, également
sur la liste des organisations narco‑terroristes ennemies des États-Unis, et
dont Donald Trump prétend que Maduro est le chef. Notons que la simple
accusation d’appartenir au Tren de Aragua suffit pour arrêter, détenir
et expulser des centaines de citoyens vénézuéliens, sans avoir à fournir de
preuve de cette affiliation. Encore un phénomène inédit.
Le
pouvoir est au bout du fusil
On
a peu de mal maintenant à déterminer l’avenir de l’étrange opération Southern
Spear. Il est clair que cette opération à un million de dollars de l’heure
lorsque rien ne se passe — et bien plus dès que l’on commence à s’activer et à
tirer — ne peut pas durer éternellement, d’autant plus que ses effets sont
faibles. La destruction à grand frais de quelques embarcations ne changera pas
grand-chose au fléau de la drogue, d’autant plus qu’en les médiatisant pour se
valoriser, on risque aussi les faux pas. Le général Tracqui, paix à son âme,
avait imaginé en 1993 le concept de « caporal stratégique »,
l’idée que, dans un
environnement médiatisé, la connerie d’un
seul caporal pouvait mettre dans l’embarras toute
une opération militaire. On connaît
aussi le « ministre tactique »,
qui se mêle de donner des ordres aux unités
au contact, avec le risque, là encore, de la
connerie, comme lorsqu’on apprend que Pete Hegseth a ordonné
une deuxième frappe pour tuer les survivants
impuissants d’une première frappe,
incontestable crime au sein d’un combat lui-même
très contestable. On commence à
comprendre pourquoi les combats contestables doivent rester clandestins.
Et
puis, les cibles ont une fâcheuse tendance à s’adapter. Que se passera-t-il
lorsque les go-fast ou les lanchas auront systématiquement des
innocents otages à bord ? Pourra-t-on
les réduire en miettes de la même
façon ? Que se passera-t-il surtout lorsque
les trafiquants utiliseront d’autres routes ? Le combat à
distance a les mêmes avantages et les mêmes
limites dans ce contexte que, par exemple, dans la lutte contre les Houthis : on peut
affaiblir l’adversaire en se félicitant
de ne pas avoir de pertes, mais jusqu’à ce qu’on
s’aperçoive que cela coûte
aussi des milliards de dollars sans obtenir de résultat décisif.
À cet égard, l’action des soldats clandestins sur le terrain, comme dans le
roman Danger immédiat de Tom Clancy (1989), est encore une fois sans
doute plus risquée mais sans doute plus efficace, sans être suffisante. Mais
peut-être que Southern Spear est avant tout une opération spectacle à
destination du public américain.
Si
la cible est en fait plutôt le régime de Nicolás Maduro, en espérant sa fin, on
ne voit pas très bien cette fois en quoi ces ronds dans l’eau de gros navires
et ces explosions de petites embarcations peuvent l’accélérer. Les Américains
imposent des sanctions économiques croissantes au Venezuela depuis 2015, en
particulier sur le commerce du pétrole depuis 2019. Ils s’attaquent maintenant
aux navires fantômes qui permettent au Venezuela de continuer ses exportations
discrètement. On espère peut-être que l’étranglement économique provoquera une
révolution. C’est un vœu pieux pour l’instant. Les sanctions économiques n’ont
jamais suffi, en soi, à provoquer une révolution.
Reste l’action militaire, mais là on bute sur le modèle trumpien de la guerre. Quand on n’a qu’un marteau comme outil, et qu’on ne veut pas utiliser autre chose, on ne voit que des clous. Si l’on peut modifier un comportement politique ennemi uniquement par une campagne aérienne, on ne sait pas comment mettre à bas un régime uniquement de cette façon. Le pouvoir est au bout du fusil, pour reprendre une formule célèbre, pas au bout des bombes guidées. Il faudra des hommes armés pour marcher sur le Palacio de Miraflores, si possible vénézuéliens. À défaut, Américains, comme lors de l’opération Just Cause en décembre 1989 à Panama City, pour mettre hors d’état de nuire le président Manuel Noriega, avec des chefs d’accusation assez proches de ceux à l’encontre de Nicolás Maduro, et laisser le déroulement démocratique bloqué du pays reprendre normalement. Il faudrait cependant prendre des risques humains, or Donald Trump ne prend pas beaucoup de risques.
Publié le 03.12.2025 à 14:52
Le service militaire « en même temps » volontaire
Tout le monde prenait soin, à l’époque et dans tous
les camps politiques, d’éviter de rappeler que le service militaire, même
baptisé « national », était d’abord destiné à préparer et à faire
éventuellement la guerre. Cela tombait bien : on n’y croyait plus, ou plus
exactement on ne se rendait pas compte qu’on la faisait en permanence. La «
vraie guerre », c’est quand le pays est attaqué et envahi par un pays voisin et
défendu par une armée de conscrits mobilisés. Le reste, les 19 petites guerres
que l’on a menées depuis 1961 contre des États lointains ou, plus souvent
encore, contre des organisations armées, ce n’était pas la vraie guerre, ce
n’étaient que de petites expéditions lointaines. Quant aux autres missions sans
ennemis, de stabilisation, d’interposition, d’évacuation, etc., c’était encore
moins la vraie guerre puisqu’il y avait souvent le mot « paix » dedans. Peu
importe que des soldats français y soient tués ou blessés par milliers,
c’étaient des professionnels ou des « volontaires service long » prolongeant
leur service national de quelques mois. Les « familles pouvaient se rassurer »,
pour reprendre l’expression d’un ministre un jour de 1970 après la mort de 12
d’entre eux au Tchad : « ce n’étaient pas des appelés », pas de vrais enfants
de la France et pas tombés dans une vraie guerre.
Et puis, la Russie a décidé d’attaquer pour la
cinquième fois un pays voisin en quatorze ans, dont l’Ukraine pour la quatrième
fois après l’invasion de la Crimée en février 2014 et les deux offensives
totalement méconnues car habilement camouflées d’août 2014 et février 2015 dans
le Donbass. Il était difficile de ne pas le voir cette fois, car l’attaque
était menée à très grande échelle, avec tous les critères de la « vraie guerre
». L’Ukraine y résistait en grande partie grâce à son armée de conscription et
à ses nombreux réservistes, seuls moyens de disposer de la masse nécessaire
pour faire face à l’armée russe.
Plusieurs États le long du nouveau rideau de fer se
sont alors dit qu’un dirigeant qui avait déjà attaqué cinq fois ses voisins,
plus la répression de la Tchétchénie et quelques autres interventions en Syrie
ou en Afrique, pouvait envisager de le faire une sixième fois. Ils ont alors
redécouvert l’utilité militaire du service national, seul moyen pour ces petits
pays de se transformer de grenouilles en taureaux en cas de menace.
L’idée du service national est donc aussi revenue à
la charge dans la tête d’Emmanuel Macron, comme en Allemagne d’ailleurs,
toujours dans l’optique d’accroître la résilience de la nation, mais cette fois
de renforcer aussi les armées. Fini l’action civique, place à un service
militaire pur, ce qui aura au moins le mérite de le voir géré par le seul
ministère des Armées et donc d’être sûr que les ordres du chef de l’État seront
suivis d’effets.
Emmanuel Macron a cependant reculé devant deux
écueils : le service universel obligatoire et l’engagement des appelés au loin.
Dans le premier cas, et au passage le seul moyen d’avoir peut-être le brassage
social tant vanté, l’investissement était colossal puisque l’on parle d’une
population de 600 à 700 000 jeunes hommes et femmes d’une classe d’âge à gérer,
c’est-à-dire loger, nourrir, former, entraîner et peut-être surtout encadrer et
équiper, sans avoir jamais anticipé un jour qu’on aurait peut-être à le faire.
À cet investissement énorme, peu compatible avec les temps budgétaires qui
courent, et les contestations probables, peu compatibles avec l’état politique
du pays, le président de la République a préféré le principe du volontariat,
infiniment plus acceptable à tous points de vue.
Le deuxième écueil est celui de l’engagement au
loin. Depuis la désastreuse expédition de Madagascar en 1895, où des milliers
de conscrits français étaient morts de maladies (inspirant peut-être la fin de La
Guerre des mondes d’H. G. Wells), on n’envoie plus d’appelés en «
opérations extérieures », hors conflits mondiaux et guerre d’Algérie. Le
problème est que, depuis 1990 et la guerre contre l’Irak, on a compris que tout
engagement majeur à haute intensité se ferait, pour la première fois de notre
histoire et sans doute pour longtemps, uniquement loin de nos frontières. À
l’époque, François Mitterrand avait tranché en faveur du « protocole Madagascar
» : pas d’appelés en Arabie Saoudite. On avait donc fait feu de tout bois pour
réunir 16 000 soldats professionnels, soit trois fois moins que les
Britanniques et trente fois moins que les Américains.
C’est fondamentalement pour résoudre ce problème
tout en respectant le « protocole Madagascar » que Jacques Chirac a décidé de
la professionnalisation complète des armées en 1995 et, par voie de
conséquence, de la suspension du service national. On estimait à l’époque que,
pour être sérieuse, la France devait être capable de déployer 60 000 soldats en
2015. Mais, comme la France n’était pas sérieuse et n’hésitait pas à réduire
ses moyens militaires sans anticiper une seule seconde qu’il faudrait peut-être
un jour remonter en puissance, on se retrouvait en 2015 avec une capacité de
projection de 15 000 soldats, soit un retour au point de départ. Ce n’est
d’ailleurs pas tant un problème d’hommes et de femmes disponibles que
d’équipements. Dans un monde normal, les sept brigades (dont une
franco-allemande) interarmes et la brigade d’aérocombat (hélicoptères)
devraient être capables de partir immédiatement complètes et toutes équipées au
combat, comme c’était le cas jusqu’à la fin des années 1980. Ce n’est plus le
cas, puisqu’on ne peut plus toutes les équiper complètement et simultanément.
Au mieux, deux brigades pourraient être déployées en permanence en renfort en
Europe orientale. On est très loin du corps d’armée que l’on avait en
permanence en République fédérale allemande, renforçable très vite par deux
autres et par la Force d’action rapide. Même si l’armée russe n’est pas l’armée
soviétique, on est très loin d’avoir la masse critique suffisante pour
contribuer à la dissuader d’attaquer un pays allié ou simplement pour être à la
hauteur du « rang de la France ». Quand on joue à la grande puissance, il faut
avoir des moyens de grande puissance.
Emmanuel Macron a tranché : les appelés volontaires
ne seront pas engagés à l’étranger. Ils ne pourront même pas, et c’est dommage
pour eux, servir sur des bâtiments de la Marine nationale puisque ceux-ci
doivent faire escale à l’étranger. Dès lors, on ne voit plus très bien
l’intérêt du projet. S’il s’agit de faire participer la jeunesse de France à la
défense de sa nation, faut-il rappeler qu’un peu plus de 20 000 jeunes
s’engagent déjà chaque année dans les forces armées, auxquels il faut ajouter
environ 7 500 volontaires – déjà – pour le service militaire volontaire ou
adapté, et bien sûr ceux qui souscrivent un contrat de réserviste opérationnel.
On ne voit d’ailleurs pas très bien ce qui va différencier un jeune volontaire
pour le service militaire de dix mois d’un jeune volontaire à l’engagement, par
exemple pour un contrat minimum de deux ans dans l’armée de Terre. Ce dernier
sera mieux payé et pourra partir en opérations extérieures, ce qui n’est pas
considéré comme une punition mais souvent l’intérêt premier du métier. Il aura
même la possibilité, si cela ne l’intéresse finalement pas, de se rétracter
dans les six premiers mois de contrat, ce qui n’est pas sûr pour un appelé
volontaire qui se découvrirait finalement moins volontaire pendant les difficultés
de la formation initiale. L’engagé volontaire devra certes assurer un contrat
de service plus long, mais si l’on décidait de réduire les contrats à un
minimum d’un an, on ne voit définitivement plus pourquoi un jeune intéressé par
le service des armes de la France choisirait plutôt d’être volontaire appelé
plutôt que volontaire engagé.
Au bout du compte, il est probable malgré tout que
l’on trouvera les quelques milliers de volontaires que l’on espère dans les
années à venir. Ces volontaires ne nécessiteront pas un investissement majeur
de la part des armées et seront finalement intégrés dans les bases et les
régiments. Ils contribueront aux missions de soutien des corps de troupe, dans
les cuisines par exemple, à l’opération Sentinelle et aux missions de garde des
enceintes militaires, pas forcément les missions les plus exaltantes. Certains
experts, comme des interprètes ou des programmeurs informatiques, pourront
rejoindre certains organismes spécialisés. Tout cela n’est pas inutile mais
d’un apport assez marginal, en dessous d’un seuil critique disons de 20 000
volontaires. Avec toutes les formules de volontariat déjà existantes – engagés,
réservistes opérationnels (RO 1), apprentis, aspirants –, on a déjà 30 000
Français qui acceptent volontairement chaque année de porter l’uniforme pour
des durées variables. On entend parfois comme argument que le nouveau service
militaire serait l’occasion de servir la défense de la France pour les jeunes
qui le souhaitent, mais les 30 000 qui deviennent volontairement soldats chaque
année viennent d’où alors ? S’il s’agit de tester la jeunesse, eh bien le test
a déjà lieu tous les ans, et il est réussi. Pourquoi, d’un seul coup, y en
aurait-il 20 000 de plus – sans parler des 42 000 que l’on ambitionne (hors
apprentis SMV/SMA) dans dix ans – pour finalement faire quelque chose de moins
intéressant pour eux ? Autant augmenter directement le nombre d’engagés
volontaires ou de réservistes opérationnels, ce sera plus directement utile.
À l’issue de leur service de dix mois, ceux qui
n’auront pas décidé de continuer l’aventure en s’engageant ou en rejoignant la
réserve opérationnelle n° 1 rejoindront automatiquement la réserve
opérationnelle n° 2. Le principe de la RO2 est que tous ceux qui ont porté
l’uniforme peuvent être rappelés en cas de besoin pendant cinq ans après leur
fin de service. Sur le papier, cela permet une réserve massive et passive
d’environ 100 000 hommes et femmes (environ 20 000 quittent l’institution
militaire chaque année), auxquels s’ajouteront donc les nouveaux appelés. Dans
les faits, comme rien n’est organisé, cette réserve ne sert pas à grand-chose.
Au bilan, pour augmenter cette capacité de projection, il faut donc d’abord se rééquiper, puis augmenter le nombre de nos soldats professionnels, puisque l’on ne veut pas en envoyer d’autres, et enfin ne pas hésiter, comme dans d’autres nations, à engager en opération extérieure nos réservistes opérationnels 1, y compris dans de véritables unités de combat, ce qui suppose là encore un investissement matériel et quelques ruptures psychologiques. L’apport des quelques milliers d’appelés, a priori sans équipements lourds et qui ne bougeront pas du territoire national, ne contribuera que très indirectement, et en fait très peu, à renforcer cette capacité de projection, de la même façon que cela ne contribuera « en même temps » que très peu à la cohésion nationale. Finalement, beaucoup de bruit pour probablement peu d’effets.
Publié le 12.11.2025 à 20:25
Le jour d’après la grande attaque
C’est donc à peu près entendu, la guerre de la France contre les organisations djihadistes qui dure déjà depuis vingt ans durera encore sans doute au moins autant. Dans le cadre de cette lutte, il est à peu près certain aussi que la foudre, la grande, celle qui fend les montagnes, ne nous épargnera pas éternellement. Les attaques de mars 2012 et janvier 2015 ont été dures et surprenantes, en fait surtout dures parce que nous, et nos dirigeants en premier lieu, avons été surpris alors que de nombreux éléments indiquaient que cela surviendrait. On ne peut introduire la notion de résilience dans le Livre blanc de la Défense de 2008 et n’en tenir aucun compte, se féliciter régulièrement de déjouer des attentats et ne pas assumer que nous ne pourrons jamais tous les éviter. Ces attaques, et même celles de janvier dernier, qui ont provoqué beaucoup d’émotion, ne sont pourtant encore que peu par rapport aux dizaines d’attentats massifs et d’attaques dynamiques qui ont frappé diverses nations du monde depuis 2001. La première des responsabilités serait d’expliquer que cela arrivera très probablement sur notre sol dans les semaines, mois ou années à venir.


