Le blog de Michel Goya
Michel Goya est un auteur spécialisé dans l'histoire militaire et l'analyse des conflitsPublié le 25.10.2025 à 09:17
Théorie du combattant : le making of
Maintenant,
posté devant ma machine, comment faire ? Comme pour Sous le feu, je décide
alors de commencer par un chapitre d’exposition le plus précis possible d’un
combat moderne et mettant en avant le courage de soldats français. Je choisis
celui de la vallée d’Uzbin en Afghanistan le 18 août 2008, en partie parce
qu’il est encore assez connu du public et surtout parce que, alors au cabinet
du chef d’état-major des armées, le général Georgelin, je l’avais étudié de
près. Je me suis donc efforcé de montrer ce que le combat de près voulait dire,
tout en rendant hommage à ceux qui l’avaient mené et surtout à ceux qui y
avaient été tués ou blessés, y compris dans leur âme. Je garde alors en tête la
nécessité de ne pas oublier tous ceux qui se sont battus dans d’autres combats
et cette fois nettement victorieusement en Afghanistan puis au Sahel.
Dans la foulée,
je décris les réactions de l’époque et le trouble qui m’a (re)saisi devant le
décalage entre l’émotion provoquée par la mort de dix soldats français au
combat et le relatif désintérêt habituel pour le sort de ces mêmes soldats. Ce
sont les combattants rapprochés — ceux qui vont dans les zones de mort pour y
affronter l’ennemi au contact — qui tombent le plus dans les opérations et,
quand ils sont plus de cinq à tomber, cela devient un événement national. Ces
gens-là devraient donc recevoir une attention nationale, mais pas seulement
lorsqu’ils meurent, et même si possible bien avant, pour éviter justement
qu’ils meurent ou, au moins, qu’ils meurent inutilement et qu’il n’y ait pas
des dizaines d’ennemis fauchés également pour chacun d’entre eux. Car,
contrairement à ce que me disait un jour une sénatrice jugeant les unités dites
« de mêlée » inutiles à l’époque des frappes de précision et des forces
spéciales, ce sont, dans l’immense majorité des cas, ces bataillons de mêlée
qui gagnent ou perdent vraiment les guerres. On peut bombarder tout ce que l’on
veut ; au bout du compte, il faut des soldats pour planter des drapeaux sur le
Reichstag ou sur le mont Suribachi. À la fin de la partie, on regarde qui tient
le terrain. Or les conquérants ou les défenseurs de terrain n’ont jamais été
aussi peu nombreux dans notre nation, peut-être 1 pour 2 000 Français, en
associant les sections et pelotons d’infanterie ou de blindé-cavalerie, les
sapeurs d’assaut et les forces spéciales. Et même si on considère simplement le
nombre de ceux que l’on peut déployer et soutenir au loin, le chiffre est
encore très inférieur. Cela fait au bilan assez peu de drapeaux à planter.
Après avoir
exposé des faits et quelques indignations, il fallait bien que j’expose plus
précisément de quoi il était question. Je décide donc de décrire les données du
problème en partant du haut vers le bas, c’est-à-dire en partant de toutes les
missions possibles pour nos soldats, pour me concentrer sur celles qui
impliquent des combats de près, c’est-à-dire un affrontement au sein d’une zone
de mort — que je définis comme l’endroit où l’on est certain d’être tué ou
blessé si l’on se balade toute la journée sans prendre de précaution — parfois
d’une zone de risque, où, placé dans les mêmes conditions, on ne sera «
probablement » pas frappé, mais aussi exceptionnellement dans les zones
normales, où l’on ne pense pas du tout à ce genre de choses. Je choisissais
même un exemple de combat inattendu, et donc terrifiant, au cœur de Paris en
janvier 2015 pour décrire aussi ce qui pouvait se passer dans le cœur et la
tête des gens surpris de se retrouver d’un seul coup dans une zone de mort.
Cela me permettait de montrer que, s’il peut peut-être y avoir un aspect noble
dans tout ce que sous-entend l’expérience du va-et-vient près de la mort, le
titre de « combattant » peut être porté aussi par d’infâmes salauds, et c’est
d’ailleurs souvent eux qu’il faut justement aller affronter les yeux dans les
yeux, ou presque.
Tout cela étant
écrit, j’avais la possibilité de me consacrer uniquement à la situation
actuelle, mais je décide, par goût et presque par principe, de faire un peu
d’histoire en décrivant justement comment le combat rapproché moderne avait pu
s’établir. Pourquoi combat-on de cette façon ?
Je décide donc
de décrire ce qu’a pu être la révolution militaire parallèle à la révolution
industrielle avec ces trois grandes phases techniques : le temps de la
puissance de feu jusqu’à la Première Guerre mondiale, le temps de la
mécanisation et enfin, presque associé au précédent, le temps des
communications. Une masse immense que je survolais en cinq chapitres jusqu’à la
description précise du combat de la 2e division blindée de Leclerc à
Dompaire en septembre 1944, que je considérais un peu comme le sommet de toute cette
évolution. Cette description en était d’ailleurs d’autant plus parlante que, 40
ans plus tard, faisant partie de la 7e division blindée, les
exercices que l’on menait dans la même région étaient pratiquement identiques
aux combats de l’époque, avec simplement des moyens un peu plus modernes.
Je poursuivais
en décrivant deux grands enseignements de tous ces affrontements. En premier
lieu, la qualité des hommes — leur solidité sous la pression du feu, la somme
de leurs compétences, leur structure de commandement — prime sur tous les
autres facteurs numériques ou matériels. Entre deux unités à peu près
comparables en volume et en moyens, celle qui a le meilleur niveau de qualité
tactique l’emportera systématiquement. Le problème, et c’est le second
enseignement, est que l’atteinte de ce haut niveau de qualité est très délicate
avant la guerre, justement parce qu’on ne la fait pas, et son maintien tout
aussi difficile pendant la guerre, justement parce qu’on la fait et qu’on y
meurt.
Le combat
rapproché moderne, à pied ou en véhicules, était donc à peu près établi à la
fin de la Seconde Guerre mondiale et ce jusqu’à l’année 2024, mais pour le
combat que l’on baptisait alors « classique » en Europe, entre armées
blindées-mécanisées, l’invasion de l’Ukraine en 2022 constitue peut-être (je
dis bien « peut-être ») le dernier exemple.
Entre-temps, il
y a eu quelques anomalies dans le paysage, avec en haut de l’échelle de la
violence l’apparition et la massification de l’arme nucléaire, et en bas celle
des groupes politiques armés, avec cette situation où l’existence des premières
a rendu plus probable le combat contre les seconds que les affrontements
conventionnels en Europe. C’est là que je décidais de parler un peu de ces
petits combats contre des groupes armés, qui ont en fait été la norme des
soldats français depuis 1945. À peu près 100 000 soldats sont morts au combat
en servant le drapeau français depuis cette époque, mais moins de 1 % en
luttant contre des armées étatiques. Devant la masse des expériences, je
choisis de limiter mon propos aux conflits dits de « contre-insurrection »
menés par la France depuis 1963, c’est-à-dire essentiellement au Sahel et en
Afrique centrale d’abord, puis en Afghanistan, puis à nouveau au Sahel, en
essayant de ne pas trop répéter Le temps des guépards.
Je termine
forcément en parlant des combats au sol dans les conflits en cours. À nouveau
contre des organisations armées, dans le cas des guerres d’Israël contre des
organisations armées voisines, en particulier à Gaza, ne serait-ce que parce
que — on tend à l’oublier — la guerre de la France contre les organisations
djihadistes, ou éventuellement autres, continue. On serait d’ailleurs en grande
difficulté s’il fallait affronter seuls des groupes comme le Hamas ou l’État
islamique dans de vastes ensembles peuplés et urbanisés. Et puis il y a
évidemment la guerre en Ukraine, que je décris en deux chapitres avec ce
constat : le combat rapproché s’est profondément transformé avec la dronisation
massive et, plus largement, la robotisation, et il sera sans doute impossible
de revenir en arrière, de la même façon qu’il était impossible après 1918 de
revenir aux méthodes et structures de 1914. Cela me laisse d’ailleurs dans le
constat amer que tout ce que j’ai pu apprendre dans ma carrière sur le combat
de l’infanterie, à pied ou à partir de véhicules divers — roulants, flottants
ou volants — était largement obsolète.
Cela m’a amené à
la conclusion simple de ce livre, qui reprend ce que je disais au début : il
est urgent pour la France de disposer à nouveau d’unités de « combat de mêlée »
(le rugbyman que je suis adore cette expression), de « choc » ou simplement de
« contact », à la fois beaucoup plus nombreuses que celles dont nous disposons
et avec un très haut niveau de qualité. Pour un soldat français qui tombe, il
doit y avoir de nombreux ennemis éliminés, et ce sans forcément avoir à faire
appel à de puissants appuis extérieurs, aériens ou d’artillerie (même si l’on
est toujours heureux de les avoir). Avoir un corps de mêlée puissant, et pas
seulement, est mon sens aussi important que de disposer d’un arsenal nucléaire.
L’écriture de ce livre en temps contraint a été difficile, j’aurais aimé le peaufiner un peu plus, mais j’espère que ces centaines de pages d’histoires d’hommes et de femmes qui se battent de près vous intéresseront et inciteront la nation à les regarder avec l’attention qu’ils méritent.
Publié le 20.10.2025 à 22:20
Ô Tomahawk suspend ton vol
En
réalité, le premier public visé n’était sans doute pas ukrainien, à qui il
fallait donner espoir, mais russe, à qui il fallait faire croire que la
politique américaine pouvait devenir plus hostile. La séquence intervenait
d’ailleurs juste au moment où Donald Trump annonçait que, sous la pression des
tarifs douaniers (« mon mot préféré », Donald Trump), l’Inde allait cesser
d’importer du pétrole brut. C’était alors le seul véritable coup porté à la
Russie dont Trump pouvait se vanter (à tort semble-t-il puisque l’Inde a
démenti) et la « perspective Tomahawk » se présentait comme le second, destinée
à obliger Vladimir Poutine à négocier une forme de paix en Ukraine. De fait,
l’onde a porté aussi jusqu’à Moscou puisque le porte-parole du Kremlin, Dmitri
Peskov, l’ancien président Dmitri Medvedev ou le président de la commission de
Défense de la Douma ont été obligés d’y répondre pour dénoncer, comme
d’habitude et sans craindre la contradiction, une très dangereuse escalade et
un pétard mouillé.
Sur
le papier, ces fameux missiles de croisière Tomahawk paraissent effectivement
être une arme formidable. Conçus dans les années 1970 comme un des premiers
instruments du Second Offset — ce nouvel arsenal américain de haute technologie
destiné à combattre la supériorité numérique du Pacte de Varsovie — les
missiles de croisière aéroportés et navals se distinguaient par leur extrême
précision à grande distance avec cette double capacité de voler en vitesse
subsonique mais au ras du sol afin d’échapper au radar, et de porter soit de
petites charges nucléaires, soit plusieurs centaines de kilos d’explosif
conventionnel. Si la version aéroportée a finalement peu servi, mais reste
conservée dans sa capacité nucléaire, le missile naval — le BGM-109 Tomahawk — a
été dénucléarisé mais surutilisé conventionnellement depuis les premiers tirs contre l’Irak de Saddam Hussein en 1991
jusqu’aux sites nucléaires iraniens de Natanz et d’Ispahan en juin 2025. Avec
plus de 2 000 exemplaires déjà utilisés, le Tomahawk est même devenu
symboliquement le « pistolet du shérif américain » dans la police du monde. Et
c’est bien là le sujet : le Tomahawk est un symbole.
Dans
les faits et malgré leur qualité, l’introduction de ces missiles Tomahawk ne
changerait cependant pas de manière décisive le cours de la guerre en Ukraine.
Les Ukrainiens disposent déjà d’une force de frappe à moyenne portée, jusqu’à
500 km, grâce à leurs propres projectiles comme les Neptune ou les Hrim-2, ou à
ceux fournis par les Américains, les Britanniques ou les Français — ATACMS et
GLSDB tirés depuis le sol ou missiles aéroportés Storm Shadow et Scalp. Tous
ces engins ont des performances proches de celles du Tomahawk et notamment la
capacité de frapper des cibles dites « durcies », c’est-à-dire protégées ou
faiblement enterrées, mais ils ne portent qu’à quelques centaines de kilomètres
contrairement au Tomahawk qui peut frapper de 1 600 km à 2 500 km selon
l’évolution des versions (gageons que ce seront les plus anciennes qui seraient
fournies).
Pour
les frappes en profondeur, les Ukrainiens disposent d’une panoplie de drones de
longue portée dont les FP-1, qui ont la capacité de porter, en fonction de la
distance, de 60 à 120 kg d’explosif, et qui sont l’arme première utilisée
contre les raffineries russes, ou, beaucoup plus puissants, les missiles FP-5
Flamingo. Ces projectiles sont de relativement faible coût — pour le prix d’une
Tomahawk d’occasion on peut se payer une trentaine de FP-1, soit environ huit
fois plus de charge d’explosif — mais avec sans doute une plus grande
vulnérabilité et surtout une moindre capacité à frapper des cibles durcies.
C’est là la véritable plus-value qu’apporteraient les Tomahawk, à condition
bien sûr d’être livrés en grand nombre. Les Russes ont sans doute lancé plus
d’un millier de missiles 3M-14 Kalibr, l’équivalent du Tomahawk, sur l’Ukraine
sans pour autant avoir obtenu un effet décisif.
C’est
là que surgit le premier problème. Les Américains disposeraient, semble-t-il,
encore d’un stock d’environ 4 000 Tomahawk, complété au compte-gouttes de
quelques dizaines d’unités par an. On n’imagine pas qu’ils acceptent d’en
vendre des milliers, même s’il y a une bonne affaire à réaliser, alors qu’il
s’agit là de l’un de leurs atouts compétitifs contre la Chine et qu’il faut
déjà honorer un certain nombre de contrats d’exportation, avec le Japon ou
l’Australie notamment pour rester dans le théâtre asiatique.
Enfin
— et on aurait dû en réalité commencer par cela pour montrer combien cette
proposition était peu sérieuse — il faudrait surtout savoir comment tirer des
Tomahawk depuis le sol, puisque ce missile, comme le Kalibr, est un missile
naval tiré depuis des destroyers ou des sous-marins, ce dont l’Ukraine est
dépourvue. Il existe bien, depuis peu, au sein de l’US Army et des Marines le
système Typhon qui permet effectivement de tirer depuis le sol, mais ces
batteries sont pour l’instant tellement rares et précieuses qu’il est hors de
question de les céder.
En
résumé, sans même évoquer les délais que prendrait le processus d’exportation,
car il faudrait trouver aussi des acheteurs, on n’est pas près de voir des
Tomahawk décoller depuis l’Ukraine en direction de la Russie, ce qui d’ailleurs
aurait été en contradiction avec la nouvelle restriction d’emploi des munitions
américaines fournies aux Ukrainiens. Donald Trump n’a jamais voulu renforcer
l’Ukraine avec une arme puissante, mais a simplement cru pouvoir exercer une
pression sur Poutine. Ce dernier a compris le message en prenant l’initiative
d’un appel téléphonique suivi d’une promesse de rencontre à Budapest. Avec
l’ajout de quelques flatteries, il n’en fallait pas plus pour dégonfler cette
idée, y compris devant Volodymyr Zelensky, piégé dans une conférence de presse
surréaliste de pré-déjeuner, et obligé d’avaler en entrée les élucubrations de
Trump (« l’armée russe a été vaincue par la boue et les missiles Javelin que
j’avais fournis »), aussi insultantes que la cravate aux couleurs du drapeau
russe de Pete Hegseth jusqu’au : « J’espère que la guerre se terminera avant
que j’aie à envoyer des missiles Tomahawk ». Dans l’entretien qui a suivi,
houleux semble-t-il, Trump s’est ensuite fait le porte-parole de Poutine
exigeant l’abandon de la province de Donetsk par les Ukrainiens.
En lançant l’idée de la vente de Tomahawk, Donald Trump s’est sans doute cru, comme toujours, extrêmement intelligent, sans se rendre compte que ce missile serait saisi en vol par Vladimir Poutine pour frapper un coup beaucoup plus habile. Trump se vante d’avoir mis fin à huit guerres, il pourrait se vanter d’avoir été roulé dans la farine à peu près autant de fois par le maître du Kremlin, mais visiblement il aime ça.
Publié le 15.10.2025 à 18:47
La CPIMa au Tchad (1969-1972)
La
6e Compagnie Parachutiste d’Infanterie de Marine (CPIMa) a participé
à onze combats importants au Tchad de septembre 1969 à février 1972, y
déplorant 26 tués et 56 blessés, pour 540 combattants ennemis mis hors de
combat. Elle reste à ce jour l’unité élémentaire française ayant le plus
combattu depuis la fin de la guerre d’Algérie et constitue toujours un modèle
d’emploi de l’infanterie légère.
Constitution
d’une unité originale
Le
Groupe colonial de commandos parachutistes d'Afrique Équatoriale Française
(GCCP AEF) a été formé en 1948 et basé à Brazzaville. Elle a ensuite évolué à
travers plusieurs dénominations, dont la Compagnie parachutiste d'infanterie de
marine d'AEF (CPIMa), avant de devenir la CAPIMa en 1963 pour devenir la première
unité d’intervention française dans la région. Elle est formée un temps d’un
mélange de soldats français et de soldats volontaires de plusieurs armées
africaines, puis uniquement de Français, des Volontaires service long Outre-mer
(VSLOM) pour l’essentiel.
L’action
principale de ces années a lieu le 19 février 1964 à Libreville lors du
renversement du Président gabonais Léon M’Ba par une mutinerie militaire. Associé
à une compagnie du 7e RPIMa (régiment de parachutistes d’infanterie
de marine) venu de Dakar, la CAPIMa, commandée par le Capitaine Dominique,
s’empare de l’aéroport de Libreville par un poser d’assaut de deux Dakota-DC3. La
compagnie s’infiltre ensuite de nuit jusqu’au camp Baraka où le président M’Ba
est tenu prisonnier et donne l’assaut au matin. Le combat est très violent, un marsouin-parachutiste est tué mais les mutins subissent une sévère défaite et
le président gabonais est libéré. En octobre 1964, la compagnie redevient 6e
CPIMa et s’installe à Bouar, en Centre Afrique, où elle est rattachée au 6e
Régiment interarmes d’outre-mer (RIAOM) avec le 6e escadron blindé
(léger). En mars 1965, le 6e RIAOM rejoint Fort-Lamy (N’Djamena, Tchad).
où il sert à la fois d’unité d’intervention immédiate et de cadre pour
l’engagement du dispositif d’alerte Guépard, avec un équipement
prépositionné pour 390 hommes supplémentaires venus de France.
En
août 1968, devant le développement rapide de la menace du Front de libération
du Tchad (Frolinat), soutenu par le Soudan et surtout la Libye, le Tchad fait
appel une première fois à la France pour dégager le poste de Zouar, menacé par
des rebelles Toubous dans le Tibesti. La CPIMa est ainsi engagée après un
aérotransport à Bardaï, au nord de Zouar. Le poste est dégagé sans combat et
l’opération est rapidement démontée.
La situation continue cependant à se dégrader rapidement, et le Frolinat s’implante solidement à la fois dans les provinces peuplées du sud-est du pays et dans les trois provinces désertiques du Nord : Borkou, Ennedi, Tibesti (BET). Au bord de l’effondrement, le gouvernement tchadien fait de nouveau appel à la France, qui décide d’engager le 2eRégiment étranger de parachutistes (REP). Le 2e REP est déployé dans le sud, tandis que le 6e RIAOM devient l’unité d’intervention pour l’ensemble du théâtre. On décide cette fois de ne plus engager de VSL au combat et de professionnaliser, à partir de septembre 1969, tout le RIAOM grâce à des engagements de VSLOM sur place et surtout des mutations individuelles de marsouins et de cadres venus de métropole. Le 3e Régiment d’infanterie de marine (RIMa) sera également professionnalisé quelques mois plus tard pour relever le 2e REP. C’est le début de la réextension des unités de métier dans l’armée de Terre.
La
CPIMa est alors formée d’une section de commandement (avec un groupe d’appui
armé de deux mortiers de 81 mm et d’un canon de 57 mm sans recul de l’armée
tchadienne) et de trois, puis quatre sections d’infanterie légère à partir du
début de 1970, baptisées commandos. L’ensemble représente 180 hommes au
maximum.
Le
dispositif français est si léger et son engagement si intense — on compte 40
opérations différentes pour l’année 1970 seulement — que la CPIMa est employée
de manière quasi permanente pendant deux ans, le plus souvent dans le BET, dans
des missions de dégagement des postes de l’armée nationale tchadienne (ANT) ou
de recherche des bandes rebelles dans les palmeraies.
Les
opérations dans le BET, dont la première a lieu le 7 septembre 1969, sont
presque toujours lancées à partir de la base de Faya-Largeau, qui accueille un
État-major tactique, un détachement d’intervention héliporté (DIH) et une ou
deux patrouilles de Skyraider AD4. Les avions de transport tactique, Nord 2501
et Transall, peuvent également se poser dans cinq autres aérodromes aménagés
(Bardaï, Ounianga-Kébir, Zouar) ou sur des surfaces « naturelles » (grandes
plaques de basalte) servant de bases avancées. Tous les postes de l’ANT
disposent par ailleurs d’une piste sommaire pour avions légers et hélicoptères,
servant de plots de ravitaillement en carburant.
À
partir de ce maillage, le mode d’action privilégié consiste en l’aérotransport
de la compagnie jusqu’à Faya-Largeau ou une base avancée, suivi d’un raid
héliporté ou motorisé (camions Dodge 6 × 6 ou parfois camions civils
réquisitionnés). L’objectif est alors bouclé et pris d’assaut, toujours avec
l’appui d’un hélicoptère H34 Pirate et d’au moins deux AD4. Le bouclage, même
par héliportage, prend de deux à trois heures et la réduction de la résistance
au moins le double. Si le combat n’est pas terminé avant la tombée de la nuit
(vers 18 h), une mission d’éclairement par fusées N2501 Luciole doit
permettre de fixer l’ennemi avant sa destruction finale le lendemain. Le pion
d’emploi dans le BET est la compagnie complète, ce qui correspond au volume
moyen de l’ennemi rencontré. L’armement est sensiblement équivalent des deux
côtés, avec un léger avantage du trinôme FSA 49/56–AA52–PM sur les fusils
Enfield 303, les carabines Stati et les quelques mitrailleuses
légères Bren ou Lewis des rebelles. Si les parachutistes savent bien manœuvrer,
les rebelles toubous connaissent le terrain et sont des rudes combattants, qui
ne s’enfuient pas et se constituent rarement prisonniers. Grâce à l’appui
aérien, l’écart de gamme tactique en faveur des Français sur les points de
contact est de l’ordre de deux dans le nord et de trois dans le sud.
Les
premières opérations dans le BET et l’embuscade de Bedo
Les
opérations de recherche et destruction dans le BET s’étalent de septembre 1969
à juin 1971. Parmi les plus importantes, on peut citer Ephémère,
dont l’objectif est de reprendre le poste d’Ounianga-Kébir dans le Borkou et
d’y détruire les bandes rebelles ainsi que celle de Gourou. La CPIMa est
aérotransportée par Nord 2501 à Gouro et, le 24 mars 1970, rejoint
Ounianga-Kébir en véhicules, en même temps qu’une compagnie du REP. L’assaut de
la cuvette est donné avec un très fort appui aérien. Les rebelles se replient,
mais sont à nouveau accrochés par la CPIMa le 27 mars. Le poste est repris : 84
rebelles sont tués et 28 faits prisonniers, au prix de cinq parachutistes tués
et neuf blessés.
En
octobre 1970, la CPIMa est engagée dans le nettoyage de la ligne de palmeraies
situées entre 50 et 120 km au nord de Faya-Largeau, zones servant fréquemment
de refuges aux bandes rebelles. Le 9 octobre, la compagnie, forte de trois
commandos, d’une section de l’ANT et d’une section de commandement et d’appui,
portée sur 15 camions Dodge 6 × 6, reconnaît l’axe Kirdimi–Tagui. Après une
nuit passée en embuscade dans les environs, l’unité se replie sur Faya-Largeau,
n’ayant toujours pas rencontré l’ennemi.
À
16 h 30, à mi-chemin entre Bedo et Kirdimi, la compagnie longe un terrain
sablonneux et rocheux lorsqu’un feu nourri stoppe la section de tête et fige
l’unité sur un kilomètre de long. L’unité est surprise, car le terrain ne se
prête pas à une embuscade. Elle est à nouveau choquée par la puissance de feu
de l’ennemi, estimé à un peu plus d’une centaine de combattants, équipé de
plusieurs mitrailleuses légères Bren et Lewis. Les forces sont équilibrées,
mais les rebelles bénéficient de l’initiative et de la position. La section de
commandement ne parvient pas à établir le contact avec Faya-Largeau pour
obtenir un appui aérien.
La
situation est finalement renversée par le 4e commando, en queue de
colonne et hors de la nasse. Le commando remonte le terrain où sont postés les
rebelles et dégage le 3e commando, puis la section de commandement qui peut
mettre en batterie son canon de 57 mm SR. Il leur faut deux heures pour dégager
le commando de tête, ayant subi la majorité des pertes.
La
nuit tombe et un vent de sable se lève. La CPIMa, craignant une nouvelle
attaque, s’installe en position défensive, éclairée par les fusées larguées
pendant des heures par un Nord 2501. Un équipage d’Alouette II (sous-lieutenant
Koszela) brave le sable et la nuit à plusieurs reprises pour évacuer onze
blessés graves sur douze. Au lever du jour, la compagnie nettoie les environs
et retrouve 30 cadavres. Les tombes relevées dans le secteur et les
interrogatoires de prisonniers permettent de déterminer que la bande rebelle a
été presque entièrement détruite.
Les
pertes françaises s’élèvent à 11 morts et 25 blessés, dont un décédera par la
suite. Deux heures de combat ont suffi pour provoquer presque un tiers des
pertes françaises des trois années de guerre. L’événement provoque une grande
émotion en France et un violent débat politique. Preuve est ainsi faite qu’une
erreur tactique ennemie peut constituer pour lui un succès stratégique dès lors
qu’il a tué plus de cinq hommes dans un seul engagement. Dans l’absolu, seize
ans après la bataille de Diên Biên Phu, les pertes du combat de Bedo restent
faibles, représentant même les pertes moyennes d’une seule journée des huit ans
de la guerre d’Algérie. Elles suffisent néanmoins à attirer l’attention des
médias sur un engagement que l’on souhaitait garder discret, suscitant un vif
débat politique influençant la suite des opérations.
L’échec
de Bison et la sécurisation du sud
L’opération Bison,
lancée en janvier 1971, est la plus ambitieuse du BET, puisqu’elle mobilise
l’ensemble du 6e RIAOM, renforcé d’une compagnie du 3e RIMa,
pour deux mois. La base de Faya-Largeau reçoit pour l’occasion le renfort d’une
deuxième patrouille de Skyraider AD4 et de l’escadrille 33F de l’aéronavale,
forte de 12 H34 (transportés à Douala par porte-avions). L’opération se déroule
en trois phases du 10 janvier au 15 mars. La première, Bison Alpha,
vise à nettoyer la région de Bedo. La CPIMa reconnaît la zone du 11 au 18
janvier mais n’y rencontre pas l’ennemi. La troisième, Bison Charlie,
se déroule du 9 février au 10 mars (interrompue du 12 au 19 février pour
faciliter des négociations) dans la région de Bardaï. L’escadron y est
principalement engagé mais ne rencontre pas non plus l’ennemi.
Bison
Bravo,
du 21 au 27 janvier dans la région de Gouro, est la seule phase à occasionner
un combat. Elle est déclenchée à la suite d’un renseignement fourni par un
rebelle rallié et confirmé par photo aérienne, signalant la présence d’une
bande rebelle d’une cinquantaine d’hommes à Moyounga, entre les palmeraies de
Bini Erda et Bini Drosso, à 70 km au nord-ouest de Gouro.
La
première étape consiste à établir une base avancée sur une vaste plaque de
basalte au sud de Gouro, sécurisée dans la nuit du 21 au 22 janvier par une
section de l’ANT, puis par un commando héliporté après un arrêt et
ravitaillement à Ounianga-Kébir. À 7 h, deux Transall se posent avec quatre
commandos, un H34 Pirate et un cargo à vide à 8 h 34 (pour atteindre
directement Gouro). Les Transall retournent à Faya-Largeau pour récupérer deux
sections du 3e RIMa et du carburant. Une fois les pleins effectués,
l’Alouette II, servant de PC volant, et les H34 avec deux commandos à bord
partent vers l’objectif, première d’une série de trois rotations toutes les
deux heures.
En
cours de vol, le rebelle rallié désigne un emplacement ennemi différent de
l’objectif initial. Le commandant de l’opération modifie le plan de vol, mais
la saturation du réseau radio empêche tous les groupes de recevoir
l’information. L’un d’eux est ainsi surpris par le feu ennemi et le
sergent-chef Cortadellas, fils du général COMANFOR, est tué. Les AD4, en
attente à 30 km au sud, interviennent. À 13 h 30, le bouclage est terminé avec
l’arrivée des deux sections du 3e RIMa. L’ennemi, fortement
retranché, résiste toute la journée. Un deuxième marsouin-parachutiste est tué,
et l’hélicoptère Pirate est touché et contraint de se poser. Le bouclage est
maintenu pendant la nuit, mais le Nord 2501 Luciole, chargé
d’éclairer la zone, arrive après la tombée de la nuit, laissant le temps à
l’ennemi de se replier dans le relief. Au matin du 23, 11 cadavres ennemis sont
découverts et trois prisonniers faits. Le dispositif est replié sur
Faya-Largeau en fin de journée.
L’opération
Bison est un échec : quatre soldats tués (dont deux par accident) et 37
blessés, dont dix évacués sur Fort-Lamy, avec un effet limité sur l’ennemi.
La
dernière grande opération dans le BET et la concentration sur le sud
La
dernière grande opération de recherche et destruction dans le BET a lieu du 17
au 19 juin 1971 à Kouroudi, à 100 km au nord de Faya-Largeau. La CPIMa se
déplace jusqu’à Bedo en véhicules, où elle est récupérée par des H34 et
héliportée en bouclage autour d’une bande rebelle de 150 hommes. L’opération
est parfaitement coordonnée jusqu’à la tombée de la nuit. Cependant, le retard
de la mission Luciole permet aux rebelles de s’exfiltrer,
laissant néanmoins 55 morts sur place pour deux pertes françaises.
Le
commandement français décide alors de renoncer à ces opérations de recherche et
destruction dans le BET, jugées peu efficaces, pour se concentrer sur le « Tchad utile »,
au sud du 15e parallèle. La CPIMa n’y est plus engagée
dans le Nord qu’en protection des grandes missions logistiques
ravitaillant les postes de l’ANT par voie
routière (opérations Morvan en octobre
1971 et Ratier en février 1972).
La
compagnie est ensuite employée dans le sud et l’est du pays, zones plus
peuplées, où elle mène, en liaison avec l’ANT et le 3e RIMa, des opérations de
nomadisation plus longues et décentralisées. En février 1972, l’opération Languedoc dure
plus d’un mois et permet à la CPIMa d’éliminer une bande rebelle de 200 hommes
venue du Soudan, infligeant 49 morts et 7 prisonniers pour aucune perte
française. Il s’agit de la dernière grande opération de la compagnie et même des
forces françaises au Tchad jusqu’en 1978.
D’un
commun accord avec le gouvernement tchadien, de plus en plus impatient de voir
les Français quitter le territoire, le président Pompidou met fin à l’intervention
sur un succès relatif mais suffisant. Le 6e RIAOM reste néanmoins à
N’Djamena en unité d’intervention.
En
avril 1975, un coup d’Etat militaire dirigé par le général Malloum renverse et assassine
le président Tombalbaye puis exige le départ des forces françaises. Le 6e
RIAOM devient le 6e Bataillon d'Infanterie de Marine (6e BIMa)
à Libreville au Gabon. La 6e CPIMa est rapatrié à Toulon où elle est
dissoute en décembre 1975.
De septembre 1969 à septembre 1972, la CPIMa aura mis hors de combat plus de 500 rebelles, fait 47 prisonniers. Elle aura perdu au combat 26 tués et au moins 56 blessés. À une époque où les interventions en Afrique sont vues comme néocoloniales et honteuses, la CPIMa n’est récompensée que par un simple « Témoignage de Satisfaction » du ministre de la Défense.


