Think-tank citoyen et média indépendant
Publié le 21.11.2024 à 12:12
L’agriculture souffre du capitalisme, pas des normes écolos
Mr M.
Publié le 20.11.2024 à 05:00
Trump président : la violence qui s’annonce
Simon Verdiere
Publié le 19.11.2024 à 05:00
Danser pour guérir des traumas de la migration
Benjamin Remtoula
Publié le 18.11.2024 à 12:08
DEMETER : la gendarmerie va continuer sa chasse aux « éco-terroristes »
Mr M.
Publié le 15.11.2024 à 06:06
Mercure dans les conserves de thon : le vrai du faux
Mr Mondialisation
Publié le 14.11.2024 à 13:31
Des animaux découpés vivants dans un abattoir de Savoie
Mr Mondialisation
Publié le 13.11.2024 à 05:00
La lente descente aux enfers des prisons belges
Mr M.
Publié le 12.11.2024 à 13:22
La mangrove disparaît de 1% chaque année
Mr M.
Publié le 11.11.2024 à 18:04
En Italie, des féministes occupent un planning familial abandonné
Mr M.
Publié le 08.11.2024 à 10:47
Ahou Daryaei : des hommages qui divisent les femmes ?
Elena Meilune
Publié le 21.11.2024 à 12:12
L’agriculture souffre du capitalisme, pas des normes écolos
Elena Meilune
Déjà vive en janvier 2024, la colère agricole se réveille à nouveau partout en France. Si le poids des normes écologiques est largement pointé par les syndicats de l’agriculture industrielle comme responsable des maux, d’autres, comme la Confédération Paysanne, s’interrogent plutôt sur notre modèle économique. Décryptage.
Le constat social dans lequel est plongée la majorité des agriculteurs est sans appel. Tandis que les effectifs ne cessent de se réduire, il leur est demandé de travailler toujours plus en étant moins rémunéré.
Derrière cette réalité se cache une seule et même logique d’austérité destinée à enrichir une minorité, celle du capitalisme néolibéral.
Une colère légitime
Le courroux des agriculteurs ne date pas d’hier. En janvier dernier, une grande révolte avait même éclaté dans toute la France. Depuis plusieurs années, bon nombre d’entre eux alertent sur la dégradation des conditions de leur métier. Il est travaillé en moyenne 55 h par semaine dans le secteur, contre 37,1 pour l’ensemble de la population.
Il s’agit également d’un emploi physiquement pénible, avec de nombreuses heures passées à l’extérieur, et ce peu importe la météo. 32 % des agriculteurs ont par ailleurs été blessés durant l’exercice de leur profession. Un taux inférieur aux branches de la construction (42 %) ou du transport (34 %), mais nettement supérieur à celui de la moyenne des Français (25 %).
Un métier frappé de plein fouet par la précarité
Il est aussi souvent évoqué la situation de forte précarité du métier, et celle-ci existe bel et bien, mais pas pour tout le monde. Il demeure en effet des différences de revenus criantes entre les paysans les plus défavorisés et les très grands exploitants.
Il convient d’abord de noter que, comme dans le reste de la société, les femmes sont moins bien loties que leurs homologues masculins. Nous l’exposions récemment dans un article : Le sexisme est toujours aussi présent dans le milieu agricole. En outre, selon les statistiques établies par l’INSEE à partir de données récoltées en 2018 (la conjoncture s’est sans doute largement empirée depuis), 18,1 % des agriculteurs vivaient sous le seuil de pauvreté (soit 1063 € par mois à l’époque).
Une profession aux inégalités abyssales
En réalité, la plupart des paysans tirent les ressources de leur foyer d’autres sources que leur métier. C’est ainsi souvent le salaire du conjoint qui exerce dans un domaine différent qui permet de maintenir la famille à flot. Parmi les partenaires actifs, sept sur dix travaillent en effet à l’extérieur de la ferme. Pour un revenu moyen du ménage à 52 400 € annuels, seuls 17 700 proviennent réellement de l’agriculture.
En outre, si les 10 % des paysans les plus précaires engrangent uniquement 9830 € annuels (819 € par mois), les 10 % les plus aisés émergent, quant à eux, à 46 520 € par an (3876 € mensuels). L’écart entre les deux tranches est donc considérable puisque la seconde gagne 4,7 fois plus que la première. Le multiple peut même monter jusqu’à 7,2 si l’on compare les 10 % d’éleveurs de bovins les plus pauvres aux 10 % des grands cultivateurs les plus riches. Des chiffres qui soulignent aussi l’importante disparité de revenus en fonctions des secteurs d’activités.
Les marges titanesques des industriels
Ces inégalités sont par ailleurs à mettre en perspective avec les marges colossales effectuées par une minorité de profiteurs dans le secteur. On pense par exemple à de nombreux dirigeants de coopératives agricoles qui s’octroient des salaires très importants, allant jusqu’à 80 000 € mensuels.
Mais l’indécence de la situation est aussi largement visible dans les domaines de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Ceux-là sont d’ailleurs en grande partie responsables de l’inflation subie depuis plusieurs mois par les citoyens.
C’est en effet par opportunisme, afin de générer des superprofits, qu’ils ont décidé de faire exploser la valeur des marchandises. Ainsi, entre fin 2021 et début 2023, les taux de marges des industries agroalimentaires sont passés de 24 à 48 %, soit une hausse de 71 % en un an et demi.
Les distributeurs n’hésitent d’ailleurs pas à rejeter la faute sur leurs partenaires commerciaux. Et pourtant, eux aussi engrangent des bénéfices colossaux, comme il a pu être constaté sur de nombreux produits. Entre 2021 et 2022, on a par exemple observé un relèvement des prix de 57 % sur les pâtes et 12,7 % sur le panier de légumes. Les grosses sociétés ont, en outre, bien profité du côté du bio puisque les fruits et légumes issus de ce type de culture ont vu leurs tarifs augmenter de 75 % de plus que celui des conventionnels.
Pour faire face à ce constat, le MODEF et la confédération paysanne, deux syndicats militant pour une agriculture à taille humaine, réclament la mise en place de prix planchers imposés aux industriels, afin d’interdire l’achat de marchandises en dessous de leur coût de production.
Occupation de la Direction Départementale des Territoires de la Drôme par la Confédération Paysanne. WikimediaLes orientations délétères de la FNSEA
Dans un ballet qui rappelle curieusement celui orchestré par l’extrême droite sur le carburant (qui préfère réduire les impôts, et donc les services publics, plutôt que s’attaquer au portefeuille des plus riches), la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, les deux syndicats de l’agriculture industrielle, ont largement pointé du doigt les taxes et… les normes écologiques.
Des solutions simplistes qui ont l’avantage de séduire beaucoup de désespérés, mais qui ne remettent surtout pas en question le comportement des grandes entreprises qui accaparent le travail des petits agriculteurs. Et si Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA, n’est autre que le dirigeant du géant de l’agroalimentaire Avril, il ne faut sans doute y voir qu’un pur hasard.
Avec l’appui du gouvernement ?
Après les dégradations et blocages menés par certains manifestants en janvier dernier, beaucoup avaient pu être étonnés par l’inédit laisser-faire de l’État. En effet, au cours des grands mouvements sociaux survenus depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, que ce soit les Gilets Jaunes, les soulèvements écologistes ou les protestations contre diverses réformes, notamment celle des retraites, le maître mot a toujours été une violente répression.
Dans une interview lunaire, à l’époque, l’ex-ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’était même montré plein de compassion envers les agriculteurs, assurant qu’on « ne répond pas à la souffrance en envoyant les CRS ». Réfutant un deux poids deux mesures, il a argué que « les agriculteurs travaillent et quand ils ont envie de démontrer qu’ils ont des revendications, il faut les entendre ». Ainsi, la répression policière n’est plus soumise à l’État de droit mais à l’opinion du ministère de l’Intérieur.
Il était aisé de comprendre par là que selon Gérald Darmanin, les Gilets Jaunes, les écologistes ou les manifestants contre la réforme des retraites ne travaillent pas et que de ce fait il ne faudrait pas les écouter. Un discours qui semblait faire écho à ce qu’affirme la frange la plus à droite des agriculteurs indignés, à l’image de Serge Bousquet-Cassagne, idéologiquement proche du RN. Interrogé par CNEWS, il refusait avec véhémence d’être comparé aux Gilets Jaunes qu’il assimilait, de manière à peine voilée, à des personnes oisives.
En fin de compte, si l’exécutif se montre aussi clément avec le mouvement des agriculteurs, c’est sans aucun doute parce qu’il sait que la FNSEA orientera toujours la colère vers des revendications parfaitement compatibles avec le macronisme.
Après les annonces de Gabriel Attal l’hiver dernier, le gouvernement espérait d’ailleurs que les syndicats fassent cesser les révoltes. Mais en s’étant contenté d’insignifiantes mesures de simplification administratives, sans répondre à la détresse financière et sociale des paysans, il n’a pas réussi à convaincre. Ce n’est donc pas une surprise que la colère resurgisse près d’un an plus tard.
L’agriculture ne doit pas se niveler par le bas
De leur côté, les paysans continuent à juste titre à pointer du doigt la mise en concurrence avec leurs homologues étrangers qui ont la possibilité de produire avec des normes moins exigeantes et donc pour moins cher.
Or, en prônant la fin de ces normes pour s’aligner sur les paysans extérieurs à l’hexagone, les syndicats de l’agriculture industrielle prennent le problème à l’envers et organisent un nivellement par le bas.
En effet, en s’abaissant au niveau de la concurrence, la qualité de l’alimentation est dégradée de manière considérable, les sols et la biodiversité sont détruits et les réserves d’eau sont polluées et asséchées. Sur le long terme, l’espèce humaine continue d’être mise en péril, mais aussi la profession qui ne pourra plus être assurée dans de telles conditions.
Notre manière de produire représente également un enjeu de santé important, à la fois pour les agriculteurs eux-mêmes, mais aussi pour les consommateurs. L’impact des produits phytosanitaires, d’un excès d’antibiotiques ou encore des hormones sur notre organisme n’est en effet plus à démontrer.
Enfin, courir constamment après la « compétitivité » signifie, en outre, abaisser au maximum les coûts et les salaires. Or cette « mise à niveau » se fait nécessairement au prix d’un appauvrissement et d’une dégradation des conditions de travail. Prendre cette direction est d’autant plus dangereux que la concurrence ira toujours plus loin pour vendre moins cher.
Mettre fin au libre-échange
On l’aura compris, les normes écologiques et sociales servent avant tout à nous protéger et à préserver les agriculteurs ; les détricoter pour s’aligner sur la concurrence demeure un projet absurde qui ne profiterait qu’aux plus riches.
Dans ces conditions, la solution consiste plutôt à refuser la compétition, ou tout au moins à la réguler. Ainsi, lorsque les lois françaises interdisent de produire une marchandise d’une certaine manière, toutes les denrées fabriquées de cette façon hors de France devraient de même être proscrites sur le territoire. Les agriculteurs l’ont bien saisi puisque en janvier dernier plusieurs camions étrangers avaient été stoppés par les manifestants.
De plus, les accords de libre-échange qui permettent à des articles d’arriver sur le marché français sans aucun droit de douane posent également de gros problèmes. L’an passé, l’UE continuait d’ailleurs d’œuvrer dans ce sens en signant des alliances avec la Nouvelle-Zélande, le Chili, ou encore le Kenya. À l’inverse, la Confédération Paysanne assure que les agriculteurs français ont « besoin d’une forme de protectionnisme » pour protéger les produits locaux face à la concurrence dérégulée issue de l’étranger.
Aujourd’hui, la mise en place d’un traité de libre-échange avec le Mercosur (alliance de six pays sud-américains dont le Brésil) fait particulièrement polémique. Elle pourrait mettre en grande difficulté de nombreuses filières agricoles françaises.
Celui-ci, qui pourrait entrer en vigueur d’ici la fin de l’année, abaissera les droits de douane entre l’Union Européenne et cette alliance outre-Atlantique. En plus d’être un désastre environnemental, il permettra d’enrichir des grands groupes locaux (notamment automobiles et pharmaceutiques), mais il posera de gros problèmes aux paysans français qui seront soumis à une concurrence déloyale.
Tant socialement qu’écologiquement, il paraît aussi nécessaire de rediriger notre production vers une consommation locale, surtout lorsque l’on sait que 50 % de ce qui est mangé par les Français provient de l’étranger.
Pour ce faire, les denrées fabriquées dans l’hexagone doivent logiquement devenir moins chères que celles faites à l’extérieur. Évidemment, il ne s’agit pas de diminuer leurs prix (bien au contraire), mais plutôt d’augmenter les droits de douane des marchandises venues depuis l’autre côté des frontières.
L’agriculture menacée de délocalisation ?
Si l’on poursuit dans la voie de précarisation des agriculteurs et que l’on continue de soumettre le secteur de l’alimentation à un marché complètement fou, notre agriculture risque tout simplement de subir le même sort que notre industrie : la délocalisation.
Et c’est bien le chemin que nous prenons doucement, puisque les campagnes sont en train de disparaître, et que les paysans sont de moins en moins nombreux. Si on en comptait 2,5 millions dans l’hexagone en 1955, ils ne sont plus que 496 000 de nos jours. Depuis 1980, la France a également perdu pas moins de 800 000 exploitations.
Ces dernières sont d’ailleurs de plus en plus grandes, à l’image des machines qui ressemblent à des engins de guerre et qui obligent les agriculteurs à emprunter massivement. L’endettement moyen est ainsi passé de 5000 € en 1980 à plus de 200 000 € aujourd’hui. Dans certaines filières, ces créances peuvent même atteindre le demi-million d’euros aisément.
Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que les professionnels du secteur vieillissent d’année en année ; l’âge moyen dans le domaine est de 51,4 ans et à peine 20 % d’entre eux ont moins de 40 ans. Pire, un tiers de paysans partira à la retraite d’ici dix ans.
Avec la charge colossale de travail que représente le métier et les conditions de plus en plus difficiles, il est légitime de craindre que les effectifs continuent de s’effondrer et que les produits alimentaires soient de plus en plus importée.
Le 100 % bio est possible
Or, si l’on veut obtenir des aliments de qualité et écologiquement soutenables, il faudra, au contraire, largement augmenter les effectifs, ce qui n’est fondamentalement pas impossible, à condition de rendre le métier et le milieu rural plus attractifs.
Contrairement à ce qu’affirment sans cesse les partisans de l’agriculture intensive, une étude récente assurait d’ailleurs qu’il serait parfaitement envisageable de nourrir l’intégralité de l’humanité avec une production 100 % biologique, à condition de réduire le gaspillage et notre part de consommation de protéines carnées.
Évidemment, dans cette optique, il faudrait aussi sans doute que les ménages consacrent une plus grande portion de leur budget à l’alimentation pour pouvoir rémunérer les exploitants correctement. Un objectif qui ne pourrait être atteint sans une augmentation générale des salaires dans le pays et une diminution des contraintes financières dans d’autres secteurs, comme le logement, les transports, l’énergie.
Pour le moment, il ne s’agit cependant pas du tout de la direction adoptée par la France, puisque rien n’est fait pour favoriser le bio, ni par le gouvernement (dont l’une des premières mesures fut de supprimer des aides à ce secteur) ni par une bonne partie de ceux qui prétendent défendre l’agriculture.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Flickr
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Trump président : la violence qui s’annonce
Elena Meilune
Alors que de nombreux médias et sondages nous annonçaient un scrutin serré à l’occasion des présidentielles américaines, Donald Trump a finalement été largement réélu à la tête des États-Unis. Cet évènement pourrait bien avoir de lourdes conséquences, d’abord bien sûr pour les femmes et les personnes marginalisées : précaires, racisées, en situation de migration, LGBTQIA+, etc. mais également pour le reste de la planète.
L’influence des États-Unis dans le monde n’est plus à démontrer tant son interventionnisme dans les affaires internationales est prégnant. Lorsqu’un homme issu de l’extrême droite comme Donald Trump arrive au pouvoir, il paraît donc sensé de s’interroger sur son projet politique. Et celui-ci pourrait bien nous conduire à la catastrophe aussi bien au niveau social que démocratique, environnemental ou diplomatique.
Un programme volontairement concis et flou
À l’image de nombreux dirigeants populistes d’extrême droite, Donald Trump a tenu à ce que les Républicains proposent un programme court axé sur de grandes thématiques volontairement peu étayées. Ainsi, tout le projet du nouveau président élu était basé sur vingt points forts et une dizaine de chapitres à peine détaillés, le tout sur seulement seize pages.
Et l’expérience démontre aisément que lorsqu’une ligne politique est peu précise, c’est sans aucun doute parce que son auteur cherche à dissimuler certaines de ses idées (en particulier les moins populaires). En outre, cette méthode permet de ne pas avoir à expliquer comment on compte concrétiser de grandes promesses souvent faites en l’air. Le point trois qui annonce simplement « mettre fin à l’inflation et rendre l’Amérique à nouveau abordable » est à ce titre particulièrement illustratif.
De plus, on a pu voir qu’à travers ses discours, Donald Trump a bien évoqué d’autres perspectives à mettre en place qui n’apparaissent pourtant pas dans ce texte. D’autres enfin affirment qu’un document de plus de 900 pages intitulé Project 2025 et rédigé par Heritage fondation, un groupe extrêmement réactionnaire, mais influent au sein du parti Républicain, pourrait aussi peser sur la future mandature. Et ce, même si le candidat a tenté de s’en détacher. Ce qui sera réellement mis en place sera donc probablement à la jonction de tous ces éléments en adéquation avec la volonté de l’élite financière américaine.
Un projet de milliardaire
Car il faut bien garder à l’esprit que Donald Trump reste avant tout un milliardaire, lui-même supporté par de nombreux autres hommes affaires. 70 % des dons récoltés par le prétendant Républicain étaient d’ailleurs issus de riches soutiens, ce qui avait fait grimper sa cagnotte à 1,09 milliard de dollars. Un montant certes inférieur au 1,65 milliard reçu pour la candidature de Kamala Harris, mais qui provenait, lui, à plus de 40 % de petites contributions individuelles sous les 200 dollars.
Il y a donc toujours de quoi rester interloqué quand le vainqueur de l’élection se présente comme un politicien antisystème alors qu’il demeure justement un serviteur du capitalisme et qu’il s’attaque avec insistance aux idéologies alternatives comme le communisme, le féminisme ou le socialisme. Son premier mandat n’a d’ailleurs fait que confirmer l’évidence : Trump est avant tout pro business.
Une équipe gouvernementale digne d’un musée des horreurs
Et lorsque l’on observe les premiers noms donnés par le président pour composer son équipe, il n’y a guère de quoi se rassurer, bien au contraire. On y trouvera par exemple Elon Musk, l’un des hommes les plus riches au monde, grand défenseur du capitalisme et de l’ultralibéralisme. Le propriétaire de X (ex twitter) qui a fortement soutenu la campagne s’est vu attribuer une place de ministre pour « augmenter l’efficacité du gouvernement » — autrement dit, supprimer en masse des emplois dans la fonction publique. Le Sud-Africain d’origine a même évoqué un chiffre fantaisiste de 2 000 milliards de dollars d’économie.
En outre, c’est Robert Kennedy, neveu du célèbre président éponyme assassiné en 1963, qui prendra le poste de ministère de la Santé. Problème, en plus de n’avoir aucun diplôme dans le domaine, cet ancien avocat, antivax notoire, propage de nombreuses rumeurs complotistes qui pourraient se traduire en véritable catastrophe sanitaire.
On peut également noter d’autres arrivées contestables dans ce cercle. C’est le cas de celle de Matt Gaetz, suspecté d’infractions sexuelles, de consommation illégale de stupéfiants et détournement de fonds de campagne au ministère de la Justice. Mais aussi de celle de Pete Hegseth à la Défense, lui qui n’a pourtant aucune expérience de commandement et qui animait une émission sur Fox News (équivalent américain de CNEWS) où il s’en prenait régulièrement au « wokisme ».
Vers une nouvelle crise économique ?
À la lumière de tous ces éléments, il y a fort à parier que Trump, qui promettait de réduire le coût de la vie et d’en finir avec l’inflation risque d’en décevoir plus d’un. D’autant plus que comme tous les politiciens de droite et d’extrême droite, il a orienté son discours pour les classes populaires sur le rejet des impôts. Et dans une rhétorique traditionnelle libérale, il a bien volontairement évité de différencier ceux des mieux lotis et ceux des plus pauvres.
Or dans la lignée de ce qui a été fait aux États-Unis depuis les années 80, ce sont bien les plus riches qui vont de nouveau être épargnés par les taxes tandis que les plus précaires verront leurs ressources diminuer. Comme en France, Trump fera également des cadeaux faramineux aux entreprises. Le pourcentage d’imposition sur leurs bénéfices qu’il avait déjà réduit de 35 à 21 % en 2015 devrait cette fois-ci chuter jusqu’à 15 %.
Cette baisse conséquente des prélèvements entraînera donc nécessairement un plus gros endettement de l’État, ce qui dégradera bien sûr les services publics, mais qui engendrera l’explosion des taux d’intérêt et le coût du logement. Pire, l’endettement américain à venir pourrait se répercuter sur l’ensemble de la planète et causer une crise économique comparable à celle de 2008.
Vague chinoise sur l’Europe ?
Dans sa volonté de faire passer « l’Amérique d’abord », Trump veut également massivement augmenter les droits de douane des produits venus de l’étranger. Ceux-ci progresseront ainsi de 3 % à 10 % alors que la moyenne mondiale n’est que de 3,9 %. Mais plus loin encore, le leader des Républicains souhaite bien reprendre sa guerre commerciale contre la Chine en lui infligeant un taux monumental de 60 %.
Si cette mesure est appliquée, elle réduira sans aucun doute à néant une bonne partie des exportations entre les deux pays. On aurait pu saluer une volonté de vouloir relocaliser la production dans un objectif social et écologique.
Pour autant, ce n’est évidemment pas le but ici puisqu’il s’agit avant tout de damer le pion au principal concurrent des États-Unis sur la scène internationale. Mais sans politique d’augmentation des salaires, ce choix revient à faire payer les classes populaires américaines et à davantage creuser les inégalités. En outre, cette mesure risque d’accroître les échanges entre la Chine et l’Europe. De ce fait, le vieux continent pourrait bien être encore plus inondé de produits fabriqués dans l’Empire du Milieu.
« La plus grande opération de déportation de l’Histoire américaine »
Dans la lignée de ses multiples déclarations racistes et réactionnaires, le nouveau président des USA veut poursuivre sa croisade contre les immigrés. Il aspire ainsi non seulement à terminer son « mur » à la frontière du Mexique, commencé durant son dernier mandat, mais aussi expulser près de 12 millions de personnes (l’équivalent de la population entière de la Tunisie) en situation irrégulière sur le territoire pour alors mener « la plus grande opération de déportation de l’Histoire américaine », comme écrit noir sur blanc dans son programme.
Au-delà du caractère éminemment xénophobe de ces projets qui impliquera d’identifier et enfermer tous ces gens en vue de leur expulsion en attendant que leurs pays d’origine acceptent de les recevoir, de telles mesures représenteront un coût colossal pour le contribuable.
Fronde réactionnaire
En plus de sa politique raciste, Donald Trump devrait bien encourager des mesures contre tous les progrès de société, en particulier pour les minorités, mais également pour les femmes. Le président élu a d’ailleurs bien spécifié qu’il souhaitait interdire l’entrée sur le territoire « aux communistes étrangers qui détestent les chrétiens ».
La religion a de fait été au cœur de la campagne du candidat républicain pour séduire un électorat très puissant. Le milliardaire a par exemple défendu la liberté de prier à l’école, mais aussi plusieurs positions pour flatter les conservateurs, croyants et complotistes.
Ainsi, la nouvelle administration plaidera pour le port d’armes et contre l’enseignement de « la théorie critique de la race » (autrement dit l’apprentissage du caractère systémique des discriminations) et de « la théorie radicale du genre » (nom que l’extrême droite donne aux recherches sociologiques sur le genre). De plus, le programme attaque directement les personnes transgenres en martelant par exemple qu’il faudrait exclure « les hommes (comprendre ici les femmes transgenres) du sport féminin ».
Pour couronner le tout, il y a fort aussi à parier que cette victoire galvanise les militants d’extrême droite aux États-Unis, mais également dans le monde, et que ceux-ci se permettent d’aller toujours plus loin dans leurs discours et surtout dans leurs actes. Dans ce cadre, la multiplication d’agressions discriminatoires est bien à craindre.
L’Ukraine abandonnée, Israël en roue libre
Sur la scène internationale, Donald Trump a largement prévenu, il sera « le meilleur ami qu’Israël a jamais eu ». Durant son précédent mandat, il avait déjà déplacé l’ambassade américaine à Jérusalem, reconnaissant ainsi la ville comme capitale de l’État hébreu alors que la moitié de celle-ci est palestinienne. Avec ces déclarations, on peut donc s’attendre à ce que l’action génocidaire du Premier ministre d’extrême droite Benjamin Netanyahu soit encore plus soutenue par les États-Unis qu’avant.
Et si Donald Trump se vantait de vouloir « empêcher la troisième guerre mondiale », il pourrait au contraire conduire à embraser tout le Moyen-Orient, et en particulier l’Iran. Une chose est sûre, les massacres à Gaza et au Liban ne sont pas près de s’arrêter. On notera d’ailleurs qu’il compte encore renforcer et moderniser son armée, ce qui pourrait suggérer qu’il se prépare lui-même à entrer en conflit avec d’autres puissances.
Du côté de l’Ukraine, Donald Trump a promis de faire cesser le conflit en 24 heures. Même si on a du mal à l’imaginer, sa proximité avec Vladimir Poutine laisse néanmoins supposer que le soutien financier et militaire en Europe de l’Est pourrait très vite se tarir. De quoi accélérer la victoire de la Russie dans la région avec sans doute de lourdes pertes territoriales pour Kiev.
Un désastre écologique
Du point de vue de l’humanité entière, outre la possibilité d’un conflit généralisé, la catastrophe représentée par l’élection de Trump réside sans aucun doute dans son climatoscepticisme et les mesures qui vont avec.
Évidemment, il n’y aura pas de frein au capitalisme ni à la course à la sacro-sainte croissance. Mais pire, le dirigeant d’extrême droite entend faire des USA la plus grosse puissance énergétique au monde « et de loin ». Et pour cela, il ne compte pas s’appuyer sur les technologies renouvelables, mais bien sur le pétrole. « Drill, drill, drill » (forer en français) était même devenu l’un de ses slogans de campagne.
Comme il l’avait déjà fait en 2016 (mesure annulée par Joe Biden), il veut également ressortir des accords de Paris pour le climat. Il entend de même lever les restrictions sur le gaz, le pétrole et le charbon, ce qui entraînera une véritable catastrophe environnementale. À ce titre, les tentatives de coup d’État contre le Venezuela (plus grande réserve de pétrole au monde) pourraient bien repartir de plus belle.
Enfin, dans le cadre de sa réduction des dépenses et des régulations, notamment souhaitée par son ministre technosolutionniste et libertarien Elon Musk, le locataire de la maison blanche envisagerait de tout bonnement supprimer plusieurs agences fédérales dédiées à la protection de la planète.
Une dérive autoritaire ?
Certains pourraient sans doute se dire que le mandat de Trump ne durera « que » quatre ans, mais il faut cependant rappeler que le milliardaire aura tout de même la latitude pour causer de considérables dégâts en si peu de temps. D’autant plus qu’il disposera d’une majorité au sénat, à la chambre des représentants et à la Cour suprême. Tout au moins jusqu’en 2027, date à laquelle seront organisées des élections de mi-mandat.
D’autres s’inquiètent plutôt sur l’assentiment du président d’extrême droite à rendre le pouvoir en 2028. On se souvient qu’après sa défaite en 2020, ses partisans avaient assailli le capitole (les condamnés de cet évènement devraient d’ailleurs être amnistiés).
Plus récemment, des déclarations énigmatiques sur le fait que les Américains « n’aient plus à voter dans quatre ans » avaient également laissé éclater les spéculations. Reste à savoir si Trump mordra aussi fort qu’il aboie. Il y a en tout cas toutes les raisons d’être inquiet surtout en ignorant les effets que son grand âge (78 ans) pourrait avoir sur lui dans les mois à venir.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Wikimedia
The post Trump président : la violence qui s’annonce first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 19.11.2024 à 05:00
Danser pour guérir des traumas de la migration
Elena Meilune
Initiatives italiennes. Après un reportage sur un mouvement de soutien aux victimes palestiniennes et un autre sur une lutte transféministe d’occupation d’un ancien planning familial, les projecteurs sont braqués sur le Projet Passi, un espace de soin, de socialisation, d’inclusivité et de soutien aux populations les plus vulnérables.
Le projet Passi, né à Padoue en Italie, est une initiative imaginée par des psychologues visant à prendre soin de notre santé psychophysique par la socialisation et le mouvement corporel.
Le Projet Passi repose sur des bases fondamentales d’inclusivité et de soutien aux populations les plus vulnérables, en menant notamment des missions dans un camp de réfugiés à Corinthe en Grèce.
Session Passi en Grèce.Nous avons eu la chance de participer à deux sessions et d’échanger avec plusieurs membres du collectif. Présentation d’une initiative profondément politique.
Liberté de mouvement
Le mouvement est le maître mot du projet Passi, dont le sigle signifie précisément Parcours Alternatifs Soutien-psychologique, Socio et Interculturel. Passi signifie d’ailleurs « des pas » en italien. Un nom qui évoque à la fois la forme des activités que propose l’association, à savoir la mise en mouvement des corps, mais aussi le public ciblé : celui des réfugiés, des populations en mouvement, contraintes de fuir leur pays, leur culture et leur famille.
Une forme d’appel à la liberté de mouvement et de déplacement, pour des personnes souvent neutralisées par l’animosité d’un système européen hostile aux étrangers de cultures spécifiques. Les réfugiés en subissent les séquelles aussi bien physiques que psychologiques.
Le projet Passi vient avant tout compenser la défaillance d’un système, le déficit de soutien psychologique apporté aux personnes les plus vulnérables, mais aussi l’inadéquation des méthodes utilisées en psychologie traditionnelle, et la violence des politiques publiques vis-à-vis de ces personnes en déplacement.
Le projet se définit comme une équipe de jeunes psychologues qui met en place des “parcours pour les personnes en mouvement le long de la route des Balkans, dans le but de redonner la priorité au bien-être psychologique en partant du corps, du plaisir de se déplacer, de créer et de partager. »
Car selon les psychologues, « la santé mentale est un droit auquel toutes et tous devraient avoir accès librement et gratuitement. » Passi propose concrètement des sessions de « support psychologique alternatif, en allant au-delà des barrières linguistiques et culturelles, à travers le langage universel du corps et de l’art. »
Session Passi.Interdépendance du corps et de l’esprit
Le projet s’appuie sur une méthode, issue à la fois d’expériences pratiques par le développement d’activités dans les camps de réfugiés et au contact d’autres associations, mais aussi sur la base de contributions théoriques alternatives. La méthode repose avant tout sur la relation entre le corps et l’esprit, ou plutôt l’imbrication des deux, le corps en mouvement représente ainsi un accès au bien-être émotionnel ou à la guérison de traumatismes.
Chiara Destefanis, psychomotricienne qui anime les sessions du Passi, affirme que « chaque situation, événement, nouvelle que nous recevons dans notre quotidien se vivent à partir du corps ». Chaque type d’expérience, de la plus quotidienne à la plus dramatique, risque donc de développer soit un inconfort psychologique, soit une maladie vécue comme un symptôme sur le plan organique.
Chiara Pirani, stagiaire au sein de Passi, insiste elle aussi sur l’interconnexion entre le psychique et le physique. L’utilisation du corps peut conduire selon elle à l’évacuation du stress, qui est alors « somatisé dans le corps afin d’obtenir des sensations de bien-être psychologique ».
Quant à la psychologue doctorante Beatrice, elle définit Passi en premier lieu comme un espace de soin. Les activités que proposent le collectif lui offrent même une ouverture curative et de bien-être. Elle affirme ne pas connaître les mêmes effets à travers d’autres pratiques méditatives ou thérapeutiques par le langage verbal (accès à l’inconscient, prise de conscience de son corps, etc.).
« Le travail symbolique du corps et en groupe me permettent d’atteindre et de travailler sur certaines expériences auxquelles je n’avais pas accès dans la thérapie »
La doctorante regrette enfin que dans notre société actuelle, « soit nous donnons trop d’importance au corps (connotations totalisantes), soit nous le nions totalement ». On pense dans le premier cas à l’injonction (plus forte pour les femmes) du corps « parfait » dans la mode, la publicité ou encore sur les réseaux sociaux. Alors que dans le même temps, il semble que nous ayons perdu le réflexe, la faculté d’écouter son propre corps et ses besoins, probablement lié à un mode de vie sédentaire.
Session Passi.Blessures psychophysiques des personnes en déplacement
« Chaque partie du voyage migratoire reste ainsi inscrite dans le corps comme une trace, qui peut prendre la forme d’une blessure, même très profonde. »
Chiara ajoute qu’il est indispensable de parler du corps « lorsque l’on veut prendre en charge la difficulté psychologique des personnes ayant vécu des événements dramatiques. » Un soutien qui est totalement absent ou insuffisant en terre d’accueil européenne, pour des réfugiés pouvant subir des traumatismes avant (guerres, pauvreté, etc.), pendant (parcours dangereux) et après (choc culturel, éloignement familial, isolement) le déplacement migratoire.
La psychomotricienne évoque surtout les difficultés liées à l’éloignement relationnel : la famille, mais aussi la nouvelle communauté créée dans les camps de réfugiés. En effet, le camp de Corinthe en Grèce accueille des personnes pour des périodes plus longues que seulement transitoires. Elles peuvent alors vivre une nouvelle blessure, un second arrachement à leur communauté.
« Collectiviser » ses difficultés
« La santé mentale est un droit universel, et pourtant elle reste encore un privilège »
Chiara prend l’exemple d’une personne ayant exprimé son traumatisme de manière non verbale lors d’une session Passi (vidéo ci-dessous). Une personne choisi comme mouvement libre d’imiter des mouvements de nage avec ses bras, tout en étant porté par la musique. Ce mouvement a été partagé puis imité par les autres participants dans une forme de respect.
Après l’activité de mouvement, les personnes sont invitées à dessiner leurs ressentis. Une personne a dessiné la gendarmerie maritime et raconté l’histoire de son naufrage. La psychologue considère que les sessions Passi permettent d’avoir accès à leurs souvenirs et surtout de collectiviser leur expérience et leurs difficultés.
L’imitation est d’ailleurs une partie importante des sessions Passi d’après Chiara : les personnes prennent conscience d’avoir un corps qui occupe un espace et qui permet de faciliter la mise en relation avec les autres. Chiara déplore le vide institutionnel autour de la santé mentale des personnes en déplacement, ainsi que l’absence d’espaces de soin vis-à-vis de leurs souffrances.
Beatrice renchérit : « le support psychologique ne doit pas être un service élitiste ». Cela dit, elle réalise « toute la puissance d’un espace sûr au sein même d’un lieu instable », à travers son expérience de soutien psychologique aux réfugiés en Grèce, mais aussi toute la puissance des pratiques de soin « qui pensent l’individu au centre et qui l’accueillent. »
Session Passi.Effets positifs sur le bien-être des réfugiés
Un autre membre du collectif, Sebastanio, a découvert le projet Passi dans un centre communautaire de la ville de Corinthe en Grèce, un espace offert aux personnes résidentes dans les camps de réfugiés. Il perçoit cet espace comme une possibilité d’oublier quelque peu « les sentiments négatifs liés à la vie interne du camp, lieu où le temps ne s’écoule pas et la vie semble se tarir lentement ».
Passi permet de vivre cet espace à travers un langage quotidien certes abstrait, mais « plein de significations et avec une valeur de partage culturel très forte » selon le volontaire. Sebastiano voit un impact très fort des sessions Passi chez les réfugiés, à travers leur langage non verbal durant les sessions.
Ces personnes réfugiées proviennent de divers pays tels que l’Afghanistan, la Syrie, l’Iran, la République Démocratique du Congo, la Somalie, le Cameroun, entre autres. L’un des participants a écrit au sujet à l’issus d’une session Passi :
« Ici et aujourd’hui, avec les danses et les mouvements que nous avons fait, j’ai senti la paix de la rive de la mer sur le bateau, et la lumière du soleil qui brillait sur tout mon être »
Face au délaissement de la santé mentale des réfugiés en déplacement, les psychologues-activistes sentent que le projet Passi a une réelle influence positive sur le bien-être de ces personnes en situation de vulnérabilité.
Lucia, doctorante en psychologie à Turin et membre du collectif Passi, voit cet investissement de soutien psychologique aux réfugiés comme une évidence :
« c’est la seule chose que nous puissions faire ; nous avons entre nos mains des instruments et des connaissances nous permettant de venir en aide aux personnes vulnérables, et surtout le privilège de pouvoir les utiliser »
Injonction au bien-être
Le projet Passi propose par ses activités une vision alternative de notre rapport au corps et au bien-être. Comme nous l’avons vu dans un précédent article, nous vivons une époque de marchandisation et d’injonction au bien-être, notamment par le biais des influenceur.ses des réseaux sociaux.
Lucia l’affirme, Passi est un espace accessible à toutes et tous (gratuits et anti-élitistes), et surtout à tous types de corps, grâce à ses conditions d’inclusion et de non jugement. Elle voit l’ambition performative du corps comme de la « fioriture » :
« En s’éloignant d’une idée performative du mouvement visant la beauté, on se rapproche de l’intuition du corps suivant ses propres besoins et nécessités »
De la même manière, Sebastiano réalise à quel point il est parvenu à déconstruire l’image de son corps « comme moyen pour obtenir des résultats de performances sportives ». Grâce au projet Passi, il est parvenu à avoir davantage une image de son corps comme « objet » pour se mettre en relation avec lui-même et avec les autres.
Ce problème est principalement systémique pour Chiara Destefanis : un système qui « fait mal aux personnes, leur donne la sensation d’être inadaptées ou se structure délibérément pour leur barrer l’accès au bien-être ». Selon elle, s’adapter au système « nous a transformés en adultes malheureux et en colère ».
Mais face à l’isolement des individus et la quête de réalisation de nos ambitions personnelles, Passi veut au contraire être « la création d’une ambition commune, à poursuivre en tant que collectivité » : le mouvement pour le bien-être et la connexion sociale, plutôt que la recherche individuelle de performance.
Contre une pratique ethnocentrée de la psychologie
Composé de psychologues, le projet Passi rejette certaines normes trop ethnocentrées (à savoir occidentalisées) des pratiques de soin en psychologie. Celles-ci ne sont pas adaptées aux personnes issues d’autres cultures : « souvent la thérapie individuelle construite sur la base thérapeute/patient dans la culture occidentale n’est pas adaptée ou n’est pas efficace » selon Chiara Pirani, en particulier pour les personnes qui proviennent de cultures où « le soin a toujours été effectué en groupe ou en communauté de personnes ».
Une psychologie fondée sur des principes élitistes et non inclusifs en Europe occidentale, par un refus de s’intéresser aux cultures étrangères. Or les personnes qui traversent les frontières n’appartiennent pas à la culture occidentale, l’enseignement universitaire n’est donc pas adapté au contexte des réfugiés. Chiara Destefanis définit même la psychologie comme une « science blanche, créée par les Blancs destinée aux Blancs ».
Pour un accès au bien-être social
« Le bien-être individuel est étroitement lié au bien-être social. Or, on ne peut pas parler de bien-être social tout en excluant une tranche de la société. »
Pour la psychologue doctorante, la correspondance entre bien-être individuel et social est indéniable. D’une part, le malheur, la détresse et les souffrances ne peuvent pas incomber aux individus victimes de politiques et de normes sociales qui les excluent ; ce que voudrait nous faire croire l’injonction au bien-être.
D’autre part, le bien-être social trouve aussi sa source dans le soin individuel ou à petite échelle d’après Beatrice : « en partant du bien-être à la fois individuel et de la personne voisine, nous pouvons atteindre le bien-être social. »
Cela dit, il est nécessaire selon la doctorante de voir beaucoup plus loin que son propre jardin personnel, et de penser la société en termes de relations : « c’est cela qui définit les progrès d’une société, et non la quantité de productions. »
Session Passi à Padoue (Italie). Crédit photo : noemiriga.Passi, un espace profondément politique
Toujours selon Beatrice, Passi est un espace permettant la « déconstruction et la co-construction », en d’autres termes la refondation collective de la société et des normes sociales. Pour cela, il faut accepter d’être mis en difficulté, se questionner et se confronter aux limites et à ses propres limites, sans les nier.
La doctorante a choisi deux mots-clefs, non au hasard, pour exprimer la base du changement : « la colère et la frustration », comme « signes d’humanité et de normalité, et source de changement ». Elle croit dans l’inclusion du politique dans le champ du soutien psychologique et dans la création d’un espace sûr, accueillant, ouvert. Mais aussi dans une forme de « radicalité » du soin comme fondement politique.
Chiara voit dans le projet Passi un espace qui dépasse la recherche du bien-être psychophysique, et qui est profondément politique. Passi permet selon elle de « réagir au système et de lutter pour un changement de direction politique qui agisse en protection du bien-être des personnes ».
En effet, c’est par la reconnaissance mutuelle dans « les colères, les peurs et les plaisirs partagés » que l’on peut ensuite « laisser se sédimenter et se créer des espaces politiques où les porter”, que ce soit dans des assemblées, des places ou des confrontations politiques.
Nous remercions chaleureusement les personnes qui font vivre le projet Passi et qui ont accepté de répondre à nos questions. Pour plus d’informations, nous vous invitons à suivre le projet sur les réseaux sociaux.
– Benjamin Remtoula (Fsociété)
Photo de couverture : Session Passi.
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DEMETER : la gendarmerie va continuer sa chasse aux « éco-terroristes »
Elena Meilune
Le jeudi 7 novembre, le Conseil d’État a rendu sa décision concernant la cellule de renseignement Déméter : il ne juge pas illégales les missions de « suivi […] des actions idéologiques » confiées à cette cellule de la gendarmerie. Pour L214, Pollinis et Générations Futures, cette décision est alarmante et traduit un climat toujours plus répressif à l’égard des lanceurs d’alerte.
Les missions de la cellule de renseignement Déméter consistent à « évaluer les risques d’atteinte imputables aux mouvances animalistes, antispécistes et environnementalistes (…) y compris les atteintes non délictuelles telles que les atteintes à l’e-réputation (…) et de caractériser les manifestations du phénomène d’agribashing ». Autrement dit, des actions qui ne sont pas répréhensibles.
Une décision qui contredit le jugement du tribunal administratif de Paris rendu en 2022, qui considérait ces missions illégales.
Une cellule de renseignement en étroite collaboration avec la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs
La cellule nationale de suivi des « atteintes au monde agricole », appelée Déméter, a été créée au sein de la Gendarmerie nationale en octobre 2019, via une convention de partenariat entre le ministre de l’Intérieur, la FNSEA (syndicat agricole majoritaire) et les Jeunes Agriculteurs (syndicat dédié aux agriculteurs de moins de 35 ans).
Sous couvert de répondre à un prétendu phénomène d’« agribashing », la cellule a pour mission aussi bien la prévention et le suivi des infractions pénales, que le suivi des « actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques ».
Selon le Conseil d’État, la « mission de renseignement et d’information des autorités publiques [de la cellule Déméter] ne saurait légalement porter atteinte à la liberté d’expression ou à la liberté de réunion », de sorte que sa mise en oeuvre ne peut pas « viser à intimider ou à dissuader l’expression ou le partage d’opinions ».
Mais comment ne pas se sentir intimidé en étant potentiellement sous surveillance de la gendarmerie en permanence parce qu’on agit pour la défense des animaux ou de l’environnement, même si ce n’est pas le but recherché par la gendarmerie ?
De toute évidence, la cellule Déméter, dont la FNSEA a reconnu être à l’origine, a précisément été conçue dans le but d’intimider les associations de protection animale et environnementale et ainsi d’empêcher l’expression d’opinions critiques envers le modèle agricole dominant.
Les gendarmes qui la composent ont même assisté à des réunions d’associations locales œuvrant pour la préservation de l’environnement, interrogé des responsables associatifs sur la teneur de leurs activités, convoqué un porte parole associatif dans le cadre d’une enquête pour violation de domicile après qu’il ait donné une interview pour France 3 Limousin, etc.
2022 : une partie des activités de la cellule Déméter jugée illégale
Face à la contrariété manifeste de la cellule Déméter avec les principes fondamentaux de notre État de droit, L214 a sollicité sa dissolution auprès du ministre de l’Intérieur, qui a refusé.
L’association a ensuite saisi le tribunal administratif de Paris qui, le 1er février 2022, a reconnu l’illégalité des missions de prévention et de suivi des actions de nature idéologique de la cellule Déméter et a enjoint au ministre d’y mettre fin.
Comme l’a rappelé le tribunal, d’un point de vue légal, les activités de la gendarmerie nationale ne peuvent avoir pour but que de préserver l’ordre et la sécurité publique et de prévenir les infractions pénales.
L’État a fait appel et le litige a été confié au Conseil d’État.
Une décision qui s’inscrit dans un contexte inquiétant pour les libertés fondamentales
Les associations L214, Pollinis et Générations Futures déplorent la décision du Conseil d’État, dont les conséquences pourraient être graves pour la liberté d’expression et la liberté d’informer.
Cette décision s’inscrit dans un contexte toujours plus répressif à l’égard des associations et lanceurs d’alerte qui osent s’opposer au modèle intensif de l’agriculture : les procédures-bâillons se multiplient, se diversifient et aboutissent davantage ; les plaintes déposées par les associations de défense des animaux ou de l’environnement se heurtent de plus en plus à des classements sans suite…
Fin octobre, un amendement visant à asphyxier financièrement les associations comme L214 a été adopté pendant l’examen du projet de loi de finances.
Malgré tout, les associations L214, Pollinis et Générations Futures sont déterminées à se battre pour les libertés d’expression et d’information, des outils indispensables pour faire connaître les dérives de l’agriculture intensive et participer à l’émergence d’un autre modèle, plus respectueux des animaux et de l’environnement.
Pour les associations L214, Pollinis et Générations Futures : « Les conséquences de cette décision pourraient être dramatiques pour les lanceurs d’alerte et pour toutes les personnes et associations qui questionnent notre modèle agricole : de simples réunions associatives ou interviews données aux médias pourraient faire l’objet d’un suivi ou d’une convocation en gendarmerie, comme cela s’est déjà produit ces dernières années. […] L’État, avec cette cellule de renseignement téléguidée par la FNSEA, se met au service de ce modèle agricole délétère. Il choisit de surveiller et réprimer plutôt que de favoriser la transition vers un modèle agricole plus vertueux pour les animaux, la santé humaine, l’environnement et la souveraineté alimentaire. »
– L214
Photo de couverture : @paysdesalternatives
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Mercure dans les conserves de thon : le vrai du faux
Elena Meilune
Du poison dans le poisson ? Dans une vaste enquête, deux organisations révèlent des teneurs alarmantes en mercure dans plus de la moitié des conserves de thon européennes. Près de 150 conserves ont été examinées à travers cinq pays européens et toutes contenaient du mercure, un métal lourd hautement toxique. Auteurs de l’étude, Bloom et Food Watch dénoncent « un véritable scandale sanitaire » et appellent les distributeurs et les autorités européennes à agir pour « la protection de la santé publique ».
Alors que certains intervenants sur les plateaux télé assurent que ce n’est pas dramatique, « Laisser croire aux gens que consommer du thon est sûr d’un point de vue sanitaire est un mensonge impardonnable aux conséquences dramatiques », estiment les ONG Bloom et Food Watch à la sortie de leur dernier rapport le 24 octobre dernier.
Un métal lourd qui s’accumule tout au long de la chaîne alimentaire
Les risques sanitaires d’une exposition au mercure sont pourtant bien réels. Omniprésent dans l’environnement, le mercure est un métal lourd, émis naturellement lors des éruptions volcaniques, de l’érosion de certains sols ou encore lors de feux de forêts. Ces dernières décennies, sa concentration a augmenté à cause des activités anthropiques, du fait de la combustion de charbon, de mines d’or artisanales ou de certains processus industriels notamment.
« Très volatile, il peut rapidement passer en forme gazeuse à température ambiante, se disperser dans l’atmosphère et se propager très facilement sur l’ensemble du globe. Une partie de ce mercure se dépose ensuite dans l’océan », note le rapport. Là, il entre en contact avec des bactéries qui le transforment sous sa forme la plus toxique : le méthylmercure.
Consommée, la molécule très résistante s’accumule dans les chairs des petits organismes marins qui seront ensuite eux-mêmes mangés par des poissons prédateurs plus gros, comme le thon, qui vont à leur tour en accumuler des quantités plus importantes encore. « Le méthylmercure est ainsi « bio-amplifié » au fil de la chaîne alimentaire, et les poissons prédateurs en concentrent environ mille fois plus que les zooplanctons ».
Problème ? Notre trop forte consommation mondiale de ces poissons prédateurs boostée par les lobbys avec la complicité des institutions régulatrices qui ne fixent pas les normes préventives acceptables.
Près de 150 conserves de thon contaminées
Après avoir confié l’analyse de 149 boites de conserve de thon à un laboratoire indépendant, les deux associations constatent avec effroi que la totalité d’entre elles contient du mercure.
Puissant neurotoxique, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) le considère comme l’une des dix substances chimiques les plus préoccupantes pour la santé publique mondiale, au même titre que l’amiante ou l’arsenic. En Europe, le poisson demeure le préféré des consommateurs, avec plus de 3 kilos consommé chaque année par personne.
« Un niveau 13 fois supérieur à la norme la plus restrictive de 0,3 mg/kg pour les produits de la mer ».
En Allemagne, en Espagne, en Italie, en Angleterre et en France, plusieurs grandes marques de production et de distribution sont pointées du doigt par le rapport. Une boite de conserve Petit Navire achetée dans un Carrefour City parisien présente le taux de contamination le plus élevé, avec 3,85mg/kg. Un niveau 13 fois supérieur à la norme la plus restrictive de 0,3 mg/kg pour les produits de la mer.
Le lobby thonier aux commandes
Comment expliquer cette contamination généralisée ? « Depuis les années 1970, les autorités publiques et le puissant lobby thonier ont sciemment choisi de privilégier les intérêts économiques de la pêche industrielle thonière au détriment de la santé de centaines de millions de consommateurs et consommatrices de thon en Europe », expliquent les auteurs du rapport dans un communiqué.
Pour la plupart des espèces consommées, comme le cabillaud, les sardines ou les anchois, les teneurs maximales autorisées par les directives européennes sont de l’ordre de 0,5 mg/kg. Les gros prédateurs comme le thon, l’espadon ou le requin bénéficient d’un régime plus favorable, admettant jusqu’à 1mg/kg dans un poisson frais.
Or, lorsque le poisson est cuit puis déshydraté pour être mis en conserve, les concentrations augmentent, sans qu’aucun nouveau seuil ne soit à ce jour déterminé par les autorités nationales. « Ce double standard sans aucune justification sanitaire », estiment les deux ONG.
Seuils de contamination autorisés par les autorités européennes en fonction des espèces. – Crédits : DU POISON DANS LE POISSON : CHRONIQUE D’UN SCANDALE DE SANTÉ PUBLIQUE, Bloom et Food Watch, octobre 2024Pour comprendre cette différence de traitement, les organisations ont décortiqué des décennies de négociations politiques des normes en la matière. Ces dernières ont notamment été émises par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’OMS ou encore la Commission européenne sur les plantes, animaux, denrées alimentaires et aliments pour animaux (SCoPAFF).
Entre manque de transparence, conflits d’intérêts et pression de lobbys, les pouvoirs publics semblent opter pour une « approche en complète opposition avec le devoir de protection de la santé publique ».
Un objectif économique loin des considérations sanitaires
Plusieurs documents officiels mentionnent un objectif clair : maintenir sur le marché plus de 95 % des prises de thon. Et pour cause, le thon est aujourd’hui l’industrie de la pêche la plus lucrative au monde, avec un total des ventes de plus de 40 milliards de dollars par an.
L’Union européenne se positionne comme leader du secteur, 39 des 50 plus grands navires thoniers de l’océan Indien, zone cruciale pour la pêche au thon, appartenant à des sociétés du Vieux Continent. « Ce lobbying cynique s’est traduit par la fixation d’un seuil “acceptable” de mercure trois fois plus élevé pour le thon que pour d’autres espèces de poissons telles que le cabillaud. », regrette le rapport.
En parallèle, les contrôles semblent quasiment inexistants sur la chaîne de production et de commercialisation du thon. « Aux Seychelles, centre névralgique de la pêche thonière pour le marché européen, les autorités sanitaires se contentent d’une dizaine de tests chaque année pour garantir la conformité de millions de kilos de thon envoyés en Europe ! », déplorent les associations.
Quels risques pour la santé ?
Les êtres humains sont particulièrement touchés : en consommant des produits contaminés, la plupart du méthylmercure ingéré passe dans le sang avant d’être redistribué aux organes, notamment le cerveau. « L’accumulation de ce métal sur le long terme peut entraîner de nombreux problèmes neuronaux, cardiovasculaires ou immunitaires… Il peut également compromettre le bon développement neuronal des fœtus et jeunes enfants. Le mercure est aussi classé possiblement cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ».
Taux de contamination enregistrés dans les 148 boites de thon analysées. – Crédits : DU POISON DANS LE POISSON : CHRONIQUE D’UN SCANDALE DE SANTÉ PUBLIQUE, Bloom et Food Watch, octobre 2024« La dose fait le poison ? » Pour les auteurs du rapport, même une exposition chronique à faibles doses, plus représentative des consommateurs européens, n’est pas sans risque. « Elle peut également avoir des effets irréversibles sur le système neuromoteur, augmenter le risque de maladies neurodégénératives et de sénilité précoce, augmenter le risque de maladies cardiovasculaires ou encore avoir des effets délétères sur le système immunitaire, reproducteur ou rénal ». Un cocktail aux effets explosifs… Le mercure n’étant pas le seul élément neurotoxique que nous ingérons au quotidien.
Protéger en priorité les populations les plus vulnérables
Les associations appellent à prendre des mesures d’urgence pour protéger la santé des citoyens européens, et souhaitent mettre un terme à l’impunité de l’industrie du thon. Afin de protéger les publics les plus vulnérables, l’État Français et les collectivités sont exhortées à bannir des cantines scolaires, des crèches, des maisons de retraite, des maternités et des hôpitaux tous les produits contenant du thon.
A moyen terme, les auteurs de l’étude espèrent une reconsidération à la baisse des normes sanitaires en vigueur, et un meilleur contrôle des boites de thon en circulation.
Quant à elle, l’industrie de la pêche, déjà épinglée par l’association dans d’autres rapports, continue de prodiguer ses propres conseils… Dans de récents articles, le média Atuna expliquait ainsi « pourquoi les bébés devaient manger plus de thon » ou encore « comment le thon aidait les femmes enceintes à éviter la dépression ».
– L.A.
Crédits de l’image de couverture : Rapport DU POISON DANS LE POISSON : CHRONIQUE D’UN SCANDALE DE SANTÉ PUBLIQUE, Bloom et Food Watch, octobre 2024
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Des animaux découpés vivants dans un abattoir de Savoie
Elena Meilune
L214 publie ce jeudi 14 novembre des images provenant de l’abattoir de Maurienne à Saint-Étienne-de-Cuines (Savoie), dirigé notamment par le président d’Interbev Auvergne-Rhône-Alpes. Reportage.
L214 porte plainte pour actes de cruauté et mauvais traitements sur 10 manquements graves identifiés au cours des 10 jours d’abattage filmés entre le 29 août et le 1er octobre 2024.
L214 demande à Annie Genevard, nouvelle ministre de l’Agriculture, de fermer l’établissement et de réaliser un audit généralisé des abattoirs en France.
À l’abattoir de Maurienne, des moutons (béliers, brebis et agneaux) et des bovins (bœufs, vaches et veaux) sont abattus encore sensibles et conscients, et certains sont découpés alors qu’ils sont encore vivants.
À l’affalage (sortie de la contention après l’étourdissement) ou après la saignée, les animaux présentent des signes de conscience caractéristiques dont des mouvements de redressement une fois suspendus. La plupart se débattent violemment.
« S’ensuit une découpe primaire au couteau sur des animaux encore vivants, alors qu’à ce stade ils devraient être morts ».
S’ensuit une découpe primaire au couteau sur des animaux encore vivants (mouvements de la patte arrière), alors qu’à ce stade ils devraient être morts.
D’autres graves infractions ont été relevées dans cette enquête :
@L214- il n’est procédé à aucun contrôle de l’état d’inconscience après l’étourdissement ;
- il n’y a jamais recours à l’étourdissement d’urgence ;
- les moutons voient leurs congénères se faire tuer ;
- des moutons sont manipulés avec brutalité (torsion de la queue, moutons retournés sur le dos dans le restrainer…) ;
- le box de contention pour les veaux et le restrainer pour les moutons ne permettent pas une contention suffisante.
Cet abattoir fournit des magasins Super U, Intermarché et E.Leclerc du département, et des boucheries locales. La viande est aussi vendue en direct dans les élevages où ont été élevés les animaux tués dans cet abattoir.
L’établissement appartient au Syndicat du pays de Maurienne regroupant 5 communautés de communes. Il est géré par la profession agricole (coopératives et éleveurs) et des bouchers. On compte parmi ses dirigeants Lionel Rittaud, président d’Interbev Auvergne-Rhône-Alpes (interprofession de la viande) et artisan-boucher propriétaire de la boucherie Rittaud.
« « Ces agneaux là-bas, ils sont trop mignons, […] vaut mieux pas trop les regarder ». Ces mots entendus à l’abattoir de Maurienne, rapporte Bérénice Riaux, chargée des enquêtes de L214, ont été prononcés par la vétérinaire en charge de la protection animale, et rattachée à la préfecture de Savoie. Ils révèlent à quel point nos pratiques sont en opposition avec nos valeurs.
@L214Cet abattoir est le quatrième que nous épinglons en l’espace d’un an. À chaque fois, nous constatons des animaux en grande souffrance, et à chaque fois, nous relevons des infractions ayant de graves conséquences sur eux. Des images qui indignent la plupart des citoyens et des consommateurs. La souffrance des animaux dans les abattoirs ne devrait plus être sujet à débat. Il est grand temps que le gouvernement établisse un plan d’action visant une réduction du nombre d’animaux tués. »
L214 interpelle la nouvelle ministre de l’Agriculture
L214 demande à Annie Genevard de conduire un audit interne dans les établissements français d’abattage d’animaux pour faire un état des lieux des conditions d’abattage. L’association demande à ce que les rapports d’inspection issus de cet audit soient rendus publics.
Par ailleurs, L214 demande à la ministre et à François Ravier, préfet de la Savoie, la fermeture immédiate de l’abattoir de Maurienne.
L214 appelle les éleveurs à se porter partie civile
@L214L214 porte plainte pour actes de cruauté et mauvais traitements commis par un professionnel auprès de la procureure de la République du tribunal judiciaire d’Albertville. Ce mercredi 13 novembre, l’association lui a remis 3 h 30 d’images de preuves.
Les éleveurs clients de l’abattoir, qui ne pourront qu’être choqués par ces méthodes d’abattage, peuvent se porter partie civile. Pour toute question sur cette affaire ou sur la procédure en justice entamée par L214, ils peuvent contacter l’association à l’adresse abattoir-maurienne@L214.com.
Que dit la réglementation ?
@L214Un animal doit être inconscient au moment de la saignée.
Article 4 du règlement 1099/2009
« L’animal est maintenu dans un état d’inconscience et d’insensibilité jusqu’à sa mort. »
Article R 214-71 du Code rural et de la pêche maritime
« La saignée doit commencer le plus tôt possible après l’étourdissement et en tout état de cause avant que l’animal ne reprenne conscience. »
Un animal doit être mort au moment de la découpe.
Annexe III du règlement 1099/2009
« 3.2 L’habillage ou l’échaudage ne sont pratiqués qu’après vérification de l’absence de signe de vie de l’animal. »
– L214
The post Des animaux découpés vivants dans un abattoir de Savoie first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 13.11.2024 à 05:00
La lente descente aux enfers des prisons belges
Elena Meilune
Prisons surpeuplées et délabrées, manquements graves aux normes d’hygiène, accès insuffisant aux services de base et aux soins médicaux,… Amnesty International dénonce une fois de plus les conditions de vie déplorables des détenus en Belgique. Alors que les membres du personnel carcéral et les syndicats se mobilisent en faveur d’une réforme majeure du système pénitentiaire, les autorités tardent à prendre des mesures pour améliorer leurs conditions de détention.
« Ils sont parfois trois, enfermés toute la journée dans une cellule prévue pour deux, d’à peine 2,50 m sur 3,50 m », relate Philippe Hensmans, ancien directeur de la section belge francophone d’Amnesty International et bénévole au sein d’un comité de surveillance du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire (CCSP). Loin de l’image populaire de « l’hôtel cinq étoiles », le quotidien au sein des prisons belges est marqué par le manque de personnel, un surpeuplement carcéral, le manque d’hygiène et des actes de violence récurrents.
En 2008, un méga plan de construction de sept nouvelles prisons était lancé pour remédier à la surpopulation. La prison de Haren (1200 places), ayant vu le jour en 2022, est déjà surpeuplée.Quand les prisons débordent
Le territoire belge compte à ce jour 39 établissements pénitentiaires, « soit 10 773 places pour les 12 130 détenus, selon les données du SPF Justice au 15 mai 2024 », explique Guylaine Germain dans un article du Fil, la revue trimestrielle publiée par Amnesty International Belgique Francophone (AIBF).
Au printemps 2023, le taux de surpopulation était encore supérieur pour atteindre les 17%. 250 détenus dormaient alors sur des matelas posés à même le sol. À ce jour, plus de 280 « lits » supplémentaires sont encore installés dans les cellules du pays, rapporte Amnesty.
Parmi les détenus, « 30% sont des prévenus (soit des personnes qui n’ont pas encore été définitivement jugées et donc présumées innocentes, ndlr.), qui peuvent attendre longtemps avant de passer en jugement. Cela illustre le retard que la justice a pu accumuler dans le traitement des dossiers », assène encore Philippe Hensmans.
Une politique d’incarcération stricte
L’ancienne politique pénale, qui permettait aux condamnés à des peines de moins de trois ans de les purger sous bracelet électronique, a été révisée sous l’impulsion de Vincent Van Quickenborne, ancien ministre de la Justice. Désormais, même les courtes peines doivent être exécutées en prison, ce qui accroît considérablement le nombre de détenus. Didier Breulheid, délégué permanent à la CSC, explique dans une interview accordée à RTL :
« Le gouvernement actuel a décidé de mettre en place la loi d’application des courtes peines, donc on a beaucoup plus de détenus dans nos prisons qui n’y étaient pas avant »
Il précise que cette loi devait être accompagnée de la création de 15 maisons de détention, des établissements à petite échelle où les détenus bénéficieraient d’un accompagnement personnalisé et de plus de libertés. À ce jour, seuls 2 centres de ce type sont en activité, un chiffre bien loin des promesses initiales.
« La prison est infestée de punaises de lit »
Favorisée par cette politique pénitentiaire stricte, la surpopulation carcérale conduit à de nombreux problèmes : « À Mons, la prison est infestée de punaises de lit », explique Bastien, avocat, qui s’y rend fréquemment pour rendre visite à ses clients. « À cause de la surpopulation, il y a des matelas au sol dans les cellules. Il y a des rats, des souris. À la prison de Forest, les détenus faisaient leurs besoins dans des seaux hygiéniques », illustre encore Eliott, un confrère, dans les pages de la RTBF.
« Ce sont des situations anormales ! », s’alarme Pierre Sculier, président d’avocats.be. « Il y a aussi le problème des toilettes sans paravent pour protéger l’intimité, ce qui entraîne des problèmes intestinaux ou même de constipation ».
D’autres risques sanitaires sont à déplorer : les épidémies de gales et de tuberculose font souvent leur apparition au sein des prisons. Durant les fortes chaleurs estivales, l’aération est loin d’être suffisante. « De nombreuses prisons du pays développent ainsi des soucis de salubrité: champignons, moisissures, humidité… », relève Amnesty.
Les gardiens de prison à bout
Une situation difficile à supporter pour le personnel pénitentiaire, qui se trouve dans l’impossibilité de prendre en charge chaque détenu dignement, donnant lieu à davantage de conflits entre les prisonniers et envers les gardiens. En 2023, plusieurs grèves se succèdent au sein des prisons du pays pour dénoncer une « situation intenable ». Philippe Hensmans assène :
« En avril 2023 à Nivelles, on m’a déclaré 8 gardiens pour 250 détenus. Impossible d’accéder aux services minimums ».
Selon l’Institut fédéral des droits humains, des traitements inhumains, assimilés à de la torture, en ont découlé.
Crédit : Center on Religion and GeopoliticsEn octobre de la même année, le Conseil de l’Europe a réitéré ses critiques au sujet des problèmes structurels du système carcéral belge et de l’absence de recours efficaces. « Il a exhorté les autorités à prendre des mesures rapides et durables pour réduire le nombre de personnes détenues et améliorer les conditions de détention », rappelle le rapport d’Amnesty.
Changer de regard sur le rôle de la prison
Entre temps, peu de choses ont changé. Avocats, syndicats et défenseurs des droits des détenus militent pour une autre politique carcérale : incarcérer le moins possible, si ce n’est pas du tout pour certains. « Les solutions sont connues, mais on ne les applique pas », regrette Marc Nève, directeur du CCSP, qui cite notamment les travaux d’intérêt général, la surveillance électronique ou par un assistant de justice, la liberté conditionnelle, les quotas pour la préventive ou des mécanismes de justice restaurative tels qu’exposés dans le film Je verrai toujours vos visages.
« Dans l’imaginaire collectif, on professe que seule la prison est une vraie peine. La Belgique annonce toujours ouvrir de nouveaux établissements mais cette course à toujours plus ne va pas. La prison ne sert à rien, elle aggrave même la situation. Il faut d’autres initiatives pour diminuer la détention, mais il n’y a aucune réflexion au niveau politique », regrette l’avocat.
– L.A.
Photo de couverture de Ron Lach
The post La lente descente aux enfers des prisons belges first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 12.11.2024 à 13:22
La mangrove disparaît de 1% chaque année
Elena Meilune
La mangrove, forêt entre terre et mer bordant les littoraux tropicaux, abrite une biodiversité précieuse et unique. Grignotée par la crevetticulture, les coupes de bois, la pollution et le dérèglement climatique, elle est désormais en danger. François Fromard, chercheur au Laboratoire Écologie fonctionnelle et environnement (ECOLAB), contribue à mettre en lumière ce maillon de l’équilibre planétaire.
Une mangrove est une forêt composée d’espèces ligneuses : les palétuviers, capables de prospérer les pieds dans l’eau salée. Elle se développe le long des littoraux de régions tropicales et intertropicales, globalement entre les latitudes + 30 et – 30, et se forme au niveau de l’estran, la partie du littoral située entre les limites des plus hautes et des plus basses marées.
« Il existe tout un tas d’autres conditions environnementales qui expliquent sa formation, mais ce sont les modalités générales nécessaires à son développement », explique François Fromard, l’un des 43 chercheurs et spécialistes mobilisés pour la réalisation du livre Mangrove, une forêt dans la mer.
Une mangrove. Flickr.Une biodiversité singulière
La mangrove est l’un des 14 grands biomes terrestres définis par WWF. « Quand on observe les littoraux tropicaux et intertropicaux, indique François Fromard, on se rend compte que 75 % sont couverts de mangroves. Elles constituent une zone d’interface entre les milieux maritimes et terrestres. » La mangrove est au carrefour d’échanges divers, d’énergie, de nutriments, et le berceau d’une biodiversité bien particulière : des poissons « gros yeux » pouvant respirer hors de l’eau, des crabes ingénieurs et une multitude de bactéries indispensables au recyclage de la matière organique.
« Peu d’espèces, au fil de l’évolution, se sont adaptées aux contraintes fortes propres aux mangroves, notamment aux grandes variations de salinité, poursuit le chercheur. Ce qui les caractérise, c’est donc à la fois une faible biodiversité végétale mais, en même temps, une capacité d’adaptation extrême de ces espèces. »
Les mangroves jouent aussi un grand rôle nourricier et représentent des sources de revenus essentielles pour un certain nombre de populations humaines, dépendante notamment de sa richesse en poissons, en crabes, en crevettes. Les êtres humains font aussi feu de son bois, en use pour bâtir ses habitations ou ses embarcations.
Mangrove. Flickr.Un rempart face aux aléas climatiques
Confrontées aux vents et aux vagues, les mangroves remplissent à merveille leur rôle de rempart côtier. « Lorsqu’elles sont intactes, c’est-à-dire pas détériorées par des coupes de bois ou des constructions humaines, elles sont comme des écrans qui permettent de casser l’énergie des vents, des vagues et protègent en partie les habitations qui se trouvent derrière », remarque le scientifique. Une mangrove adulte, en bon état, atténue de près de 20 % l’énergie des vagues et des vents.
« Dans certaines régions d’Indonésie, affectées par de puissants cyclones dans les années 90, des chercheurs ont observé que les zones où les dégâts étaient les moins importants correspondaient à celles où les mangroves étaient restées intactes », illustre François Fromard. Une mangrove ne protège pas intégralement des évènements extrêmes, mais elle offre donc une certaine résistance face à leurs ravages potentiels.
La mangrove constitue également un moyen efficace d’atténuer la présence de carbone dans l’atmosphère. Elle a la capacité d’absorber et de stocker une quantité importante de CO2 et contribue ainsi à la lutte contre le changement climatique. Elle permet aussi, par ailleurs, de filtrer et retenir un certain nombre de polluants organiques, azotés, phosphorés…
« Dans une certaine mesure, elle fonctionne un peu comme une éponge et contribue à dépolluer les eaux qu’elle borde »
Un imaginaire puissant
Les sociétés humaines éprouvent à la fois un attrait et une répulsion pour les mangroves. « L’aspect même de la mangrove est un peu mystérieux. Elle n’est pas forcément facile d’accès, son eau est turbide, vaseuse, boueuse, les moustiques sont légion. Dans certaines régions, elles inquiètent, représentent un lieu hostile, à éviter. Dans d’autres, elles sont considérées comme un lieu de culte, un endroit protecteur, un écosystème qui offre d’importantes ressources. »
À Mayotte, une légende raconte même que les Moina Issa, des esprits à l’apparence de petites femmes, vivent dans les mangroves et les protègent. Elles ont une main plus petite que l’autre, se déplacent en bondissant et peuvent exaucer les vœux de quiconque leur apporte des offrandes. A contrario, elles peuvent abattre le malheur sur tout individu irrespectueux envers la mangrove.
lohasteru. FlickrTrésor en péril
Cet écosystème, source d’inspiration et riche en services rendus, semble pourtant moins étudié et exposé à la lumière médiatique que le récif corallien. « La mangrove fait moins parler d’elle, c’est vrai, reconnaît François Fromard. D’un point de vue scientifique, les recherches sur les récifs coralliens sont beaucoup plus anciennes et avancées. Pourtant, quand on s’intéresse à la répartition mondiale des coraux et à celle des mangroves, elles se superposent presque parfaitement, de façon assez étonnante. Elles ont, dans les grandes lignes, les mêmes exigences climatiques : elles demandent des régions chaudes, des eaux plutôt calmes. »
Surtout, comme les coraux, elles sont en péril. Chaque année, près d’1 % de la surface mondiale occupée par la mangrove disparaît. La principale raison de ce recul des mangroves est le développement tentaculaire de la crevetticulture, surtout en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud. Des mangroves y sont défrichées et troquées contre des bassins où sont élevées des crevettes.
La crevetticulture. Flickr« L’élevage fonctionne pendant trois, quatre ou cinq ans, puis les rendements baissent, explique François Fromard. Le bassin est alors abandonné et un autre est créé à côté. Ainsi de suite. Peu à peu, la mangrove perd du terrain. » Au niveau du Delta du Mékong, au sud du Vietnam, elles ont quasiment intégralement disparu sous l’effet du développement de la crevetticulture.
« L’urbanisation et les coupes de bois ont aussi un effet désastreux pour les mangroves. À Madagascar, où l’essentiel des forêts primaires a été détruit, c’est désormais la mangrove qui est utilisée pour produire du charbon de bois. »
Les pertes sont considérables, notamment en matière de biodiversité, d’équilibre des littoraux côtiers, de stockage de carbone. Les services écosystémiques rendus par la mangrove disparaissent avec elle, et les côtes qui en sont dépourvues se retrouvent à la merci de l’érosion.
Préserver les mangroves, maillon de l’équilibre planétaire, apparaît alors comme un enjeu de gouvernance essentiel. « Il arrive que des pays décrètent qu’une mangrove est protégée, observe François Fromard. Parfois, cela fonctionne, mais dans certains États, les protections sont très théoriques et ne fonctionnent pas. Bien souvent, aussi, le statut des mangroves n’est pas très clair : relèvent-elles du domaine publique ? Du domaine privé ? Doivent-elles être gérées par des forestiers ? » Ce flou juridique et administratif les rendent vulnérables, car plus difficiles à protéger ou restaurer.
« L’information, l’éducation et la compréhension du fonctionnement et du rôle des mangroves pourraient également contribuer à leur sauvegarde, tout comme le développement de structures, de mesures de gestion, de protection des mangroves existantes et le reboisement, la replantation de mangroves détruites », souffle François Fromard.
Trésor des littoraux, la mangrove doit garder les pieds dans l’eau.
– Alexandre-Reza Kokabi
Photo de couverture de Aristedes Carrera sur Unsplash
The post La mangrove disparaît de 1% chaque année first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 11.11.2024 à 18:04
En Italie, des féministes occupent un planning familial abandonné
Elena Meilune
Dans l’Italie de Giorgia Meloni, les droits des femmes sont sérieusement menacés, particulièrement en ce qui concerne l’accès à l’avortement. Un rétropédalage inquiétant qui s’oppose à l’autodétermination des femmes. Face aux violences de genre et aux politiques réactionnaires, le mouvement féministe et transféministe italien tente de reprendre la main par l’occupation d’un planning familial.
Difficultés d’accès à l’IVG
Si la loi de 1978 ayant assuré la dépénalisation de l’avortement n’est pas directement remise en cause, la plupart des régions rendent de plus en plus difficile l’accès à l’IVG, du fait de la prise de pouvoir de celles-ci par la coalition des droites (Forza Italia) et des extrême-droites (Fratelli d’Italia et Lega). Les régions sont en effet « autonomes et compétentes en matière de santé publique » en Italie d’après Politis.
Une aubaine pour le gouvernement Meloni qui met progressivement et concrètement en péril les droits des femmes. Selon la gynécologue Marina Toschi, les gouvernants « ne peuvent pas supprimer la loi, alors ils rendent l’avortement impossible ». De plus, les structures publiques des consultori (équivalent du pluriel italien de planning familial, consultorio au singulier) sont en net déclin dans le pays, contraintes de fermer une à une faute de financement par les pouvoirs publics.
En Vénétie, où l’on retrouve les villes de Venise et Padoue, les fonds monétaires sont prioritairement attribués aux familles anti-choix (terme plus révélateur de son impact social par rapport à celui de « pro-vie ») selon Politis, plutôt que de financer des politiques de soutien aux familles.
À Padoue, on ne retrouve plus que 4 espaces de planning familial, soit 1 pour 52 000 habitants. La loi de 1975 stipule pourtant qu’un consultorio doit recouvrir une population de 20 000 habitants.
Pour Marina Toschi, ce soutien financier aux femmes enceintes « n’est pas pour l’enfant, c’est pour empêcher l’avortement » ; dans un pays où l’éducation et les informations sur l’IVG sont presque inexistantes, où beaucoup d’hôpitaux ne proposent pas cette pratique, où les procédures pour avorter sont complexes, et où conséquemment de nombreuses femmes avortent illégalement. En Vénétie, 70% des gynécologue invoquent la clause de conscience et refusent d’administrer des services d’avortement, selon Non Una Di Meno. Un pays où l’IVG est légal n’est pas synonyme d’accès sûr et libre à ce droit, l’Italie en est la preuve.
Avortons le patriarcat. Photo : Luca Profenna.En France, l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution représente une protection supplémentaire. Mais la formation du nouveau gouvernement Barnier vient menacer à nouveau sérieusement ce droit. Au-delà d’être illégitime démocratiquement après la victoire du NFP aux élections législatives, ce gouvernement voulu par Emmanuel Macron est composé d’au moins 5 ministres anti-IVG et homophobes selon Caroline De Haas, militante féministe et fondatrice de NousToutes.
Occupation d’un consultorio abandonné
Dans ce contexte, l’occupation d’un ancien planning familial (fermé en 2019) par le mouvement féministe Non Una Di Meno à Padoue, est plus que symbolique. En effet, ce type d’espace représentait autrefois une grande avancée pour le féminisme, mais aussi un lieu de soutien, de solidarité, et d’accompagnement médical pour les femmes.
Cette occupation souligne la volonté de reprise de contrôle sur les droits des femmes et l’accès aux soins, alors que l’extrême-droite et les injonctions néolibérales mènent à bien leur projet d’écrasement des minorités et la destruction des services publics au nom de la sacro-sainte croissance.
Selon Alessia, que nous avons interviewée aux côtés d’Eva (toutes deux militantes féministes à Padoue), le planning familial accueillait des personnes de zones très amples et populaires, ne se limitant pas à son seul quartier. C’était un lieu « où l’on pouvait exercer son propre droit, avant tout celui de la santé ». Elle précise que la – bonne – santé ne signifie pas seulement l’absence de maladie, mais englobe aussi l’accès au bien-être, aussi bien individuel que collectif et relationnel.
Création de la Consultoria
L’ancien planning familial a été occupé le 8 mars 2024 par Non Una Di Meno Padoue lors de la grève transféministe. Le mouvement italien a alors expliqué ce choix :
« Cela fait des années que cet espace a été abandonné par les institutions, laissant un vide dans le quartier et dans toutes la zone sud-ouest de Padoue. Les conséquences de la casse sanitaire se reflètent aujourd’hui sur nos corps de manière violente, nous laissant sans prévention ni soins médicaux. »
« Consultoria libérée ». Crédit : Luca Profenna.Elles ajoutent qu’au-delà de la désertification strictement médicale, « les femmes se voient priver de lieux de discussion et d’écoute, de confrontation et d’auto-formation sur la sexualité, le consentement et l’affectivité ». Les consultori devraient donc être des lieux sûrs ouverts à tous·tes, où l’on pourrait parler d’avortement, d’autodétermination et de liberté de choix, d’après le mouvement.
Autre symbole important, c’est l’extension féministe de l’espace du planning familial, sur le fond comme sur la forme. En effet, le nom choisi pour ce lieu féministe : La Consultoria est en réalité la renomination au féminin (comme symbole de l’activisme féministe) du mot consultorio.
D’après Eva, l’objectif de la Consultoria n’est pas de se substituer aux consultori, mais de s’en inspirer, les relancer et les faire évoluer. Le but est de « créer un espace alternatif, une conception alternative du féminin et des femmes », mais encore un lieu d’expérimentation et de confrontation. Pour Alessia, la création de la Consultoria et sa déclinaison féministe entrent dans une logique de « réappropriation d’un récit sur la santé publique », de dénonciation des conditions des femmes, mais aussi de politisation :
« qui mieux que nous [les femmes] pour connaître notre propre corps ? »
La puissance de l’occupation de l’espace public
Un espace physique était devenu nécessaire pour l’un des mouvements sociaux les plus importants de la ville, n’ayant pas eu de siège fixe durant plusieurs années. Dans un précédent article, nous parlions de l’importance de l’occupation de l’espace public. Cette forme d’action est en effet un excellent moyen de faire de la politique, de propager une forme de réalité divergente par rapport à celle imposée – et par ailleurs abstraite – par le contrôle de l’administration.
« Sorella facciamoci spazio » (Sœur faisons-nous un espace)
Cette phrase résonnait comme une évidence au sein du mouvement. Si la création de la Consultoria est un grand pas en avant, Alessia met en garde sur le risque de s’enfermer à l’intérieur de cet espace : les activités au nouveau siège de Non Una Di Meno doit s’ajouter à l’occupation des places et de la rue, et non s’y substituer ; comme une plus-value aux forces déjà présentes.
Crédit : Luca Profenna.L’espace de la Consultoria permet aussi au mouvement d’être plus accessible, visible et permet de proposer plus d’activités qu’auparavant, en plus de la théorie et de l’auto-formation.
La Consultoria propose aujourd’hui des assemblées, des formations, des moments de socialisation, d’information, d’accompagnement ; elle accueille aussi des personnes expertes : une gynécologue et une thérapeute du plancher pelvien sont récemment passées pour transmettre des outils. Pour Alessia, ce sont des instruments d’autodétermination, qui permettent aux femmes de pouvoir rétorquer leur expertise lorsqu’un médecin les infantilise.
De même, pour Eva, la Consultoria est un « laboratoire de construction ». Bien que les militantes ne cherchent pas à se substituer aux pratiques médicales et ne prennent pas d’initiatives gynécologiques par exemple, elles considèrent que le partage de savoirs est toujours un cercle vertueux.
Histoire Non Una Di Meno
Non Una Di Meno (« Pas une de moins » en italien) est un mouvement féministe, transféministe et intersectionnel, dont la branche italienne est née en 2016. Celui-ci se bat contre toutes les formes de violence de genre, et contre tous les visages qui assument le maintien du patriarcat dans la société dans laquelle nous vivons.
Le mouvement reprend la forme de Ni Una Menos né en Argentine en 2015, et qui s’est élargi à l’international. À l’origine, la poètesse mexicaine Susana Chávez déclarait : « Pas une femme de moins, ni une morte de plus » ; dénonçant les féminicides survenus dans sa ville natale de Ciudad Juárez, où la poétesse est morte pour la même raison : être une femme.
Les mobilisations féministes de mai 2015 font suite à divers épisodes de violences patriarcales et au féminicide de l’adolescente de 14 ans, Chiara Paez, dans la province argentine de Santa Fe. Ces crimes ont conduit quelques semaines plus tard à la création de Ni Una Menos.
À bas le patriarcat !
Pour Alessia, la naissance de Non Una di Meno est la conséquence de la violence patriarcale que subissent les femmes et les minorités de genre, y compris à l’intérieur des mouvements sociaux : centres sociaux, espaces multisports, associations de la société civile, etc.
Même lorsque ces espaces défendent des valeurs antifascistes et féministes, des comportements machistes et misogynes se produisent ; avec peu de réactions, autocritiques ou visibilité donnée à ces agissements de la part des camarades. Pour Alessia, ces phénomènes surviennent à cause des normes sociales qui nous ont habitués à ces types de comportement.
« Pas tous les hommes = toujours trop nombreux », pancarte à l’intérieur de la Consultoria. Photo : Fsociété.Nommer et rendre visible les violences produites par les hommes est indispensable pour dénoncer un système patriarcal intégré par tous les hommes. Les violences sexistes et sexuelles (VSS) touchent absolument tous les milieux, toutes les classes sociales, tous les secteurs d’activité, tous les partis politiques, et sont commises en grande majorité par des hommes.
Le patriarcat est donc un phénomène total et un système inculqué à chaque homme (mais aussi intégré par les femmes). Seul un processus continu de déconstruction peut remédier à cela.
En France, des VSS existent également au sein de partis de gauche, des groupes militants et associatifs. Par exemple, les violences sexuelles commises par l’Abbé Pierre, d’après 20 témoignages. Ce personnage a été idéalisé au vu de ses combats pour défendre les personnes marginalisées. Pourtant, l’homme a abusé de personnes dans le besoin, mineurs inclus. Il a profité de sa position de force, selon la journaliste Isabelle De Gaulmin, mais aussi de la complicité de l’Église restée silencieuse.
Féminicide de Giulia
La ville de Padoue a particulièrement été secouée par le féminicide de Giulia Cecchettin le 11 novembre 2023, à l’âge de 22 ans, commis par son ancien compagnon. La jeune fille était portée disparue avant que son corps ne soit retrouvé dans un ravin une semaine plus tard.
« D’amour on ne meurt pas. Sœur, moi je te crois ». Photo : Luca Profenna.Selon Eva, l’assassinat de l’étudiante de l’Université de Padoue a littéralement changé le cadre de l’activisme féministe et le discours des citoyen·nes : « Nous somme passées de petites assemblées à de grandes assemblées au sein de l’Université », constate-t-elle.
Dès l’annonce du féminicide du Giulia, de nombreuses manifestations se sont succédés à Padoue, dont une réunissant 15 000 personnes selon Il Manifesto). Puis, le 25 novembre 2023, lors de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, un demi-million de manifestant·es à Rome a été dénombré.
« Quand Giulia a disparu, avant même de retrouver son corps, nous savions, nous avions toutes le pressentiment de ce qu’il s’était passé »
Ce pressentiment n’est pas anodin : Cela révèle les peurs que vivent les femmes au quotidien du fait que ces violences se succèdent.
Le féminicide de trop
Pour Alessia, le meurtre de Giulia est la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien trop plein (120 féminicides recensés en Italie en 2023) : « Giulia était potentiellement la proche de n’importe qui d’entre nous ». Surtout, l’auteur du crime, Filippo, lui aussi jeune étudiant à l’Université de Padoue, pouvait être le proche de n’importe qui.
« Plus jamais seul.e. Plus jamais silencieux.se. » Photo : Luca Profenna.Selon Alessia, les médias mainstream définissent les vies du meurtrier et de la victime comme « normales », un adjectif que n’utilise pas les militantes. Mais leur profil de jeunes étudiants blancs issus des classes moyennes, montre que les violences de genre peuvent arriver à n’importe qui et être commise par tout profil d’homme, pas seulement à la marginalité, comme voudraient le faire croire les idées reçues et les discours racistes. Aucune femme n’est à l’abri des violences du patriarcat.
Fait inédit : le père et la sœur de Giulia ont de suite communiqué de manière claire et lucide, en invitant à la mobilisation et en dénonçant ce féminicide comme le fruit du patriarcat et de la possessivité masculine.
Alessia salut par ailleurs le courage d’Elena Cecchettin, sœur de la défunte, pour son passage en direct sur Rete 4 (chaîne de télé privée italienne présentant une ligne éditoriale favorable à l’extrême-droite) et le ciblage de son discours à l’encontre des dominations patriarcales. Les attaques des forces d’extrême-droite, dont la Lega, ne se sont pas faites attendre, d’après Alessia.
De plus, Eva considère que les massives mobilisations pour Giulia permettent aux femmes de ne plus être vues comme « l’habituelle fille qui exagère », comme une « folle » ou bien une « hystérique », lorsqu’elles disent avoir peur qu’un garçon les violente. La militante ajoute :
« Ce féminicide nous a profondément touché, dans nos cœurs, en particulier dans la communauté universitaire. […] Cela nous touche tous·tes, nous réalisons que nous pouvons perdre ainsi la vie à padouE, ce féminicide est la réalité de nos vies. »
Eva raconte s’être mise à penser à toutes ses copines qui ont eu des problèmes de jalousie avec leurs compagnons : « Giulia était n’importe laquelle de mes copines, ou moi-même, c’est une camarade. Il ne s’agit plus d’une nouvelle du téléjournal que l’on regarderait de loin », dit-elle avec effroi et responsabilité.
Créer un langage féministe
« Pro-Vie ? Non, Anti-Choix » ; au sujet des personnes opposées au droit à l’avortement. Photo : Luca Profenna.D’après Alessia, « les camarades qui ont organisé Non Una Di Meno ont été d’emblée très claires sur les concepts comme le consentement, le respect, l’éducation et les différences ». Elle ajoute que l’une des forces du mouvement est sa capacité à nommer les choses par la diffusion d’un langage spécifique. En effet, c’est en nommant et en donnant un cadre aux violences de genre, que l’on parvient à les inscrire dans les consciences collectives : « si nous ne pensons pas une forme de domination introspectivement, alors celle-ci n’existe pas ».
D’ailleurs, la militante insiste sur l’importance de l’infusion du vocabulaire féministe dans la progression du mouvement : « Non Una Di Meno n’a pas surgit le 25 novembre dernier (2023), c’est le fruit de huit années où tant de femmes et de personnes queer ont commencé à nommer dans l’espace public ces types de violences ».
Cela a permis à ces personnes de mettre en lumière les violences patriarcales, dans une société qui voudrait les rendre coupables. À peine quelques années en arrière, il aurait été reproché aux victimes de féminicide de l’avoir « bien cherché » . Mais la donne semble avoir progressivement changé selon Alessia :
« Le travail de Non Una Di Meno a été celui de démanteler tous ces stéréotypes en créant un langage qui parvient à créer un imaginaire de libération vis-à-vis du système patriarcal. »
Pour Eva, le vocabulaire féministe atteint même le discours mainstream ; une terminologie que l’on commence à voir apparaître dans les médias de masse. Non Una Di Meno parvient à concilier son discours radical avec sa pénétration dans les discours de masse, malgré le risque de récupération par le système capitaliste.
Le revers de la médaille de l’occupation de l’espace public par les féministes, mais encore par les communautés LGBTQI+, est la recrudescence d’une onde de misogynie et d’homophobie en opposition :
« Les forces fascistes se veulent de plus en plus féroces parce qu’elles ont peur de l’avancée de notre discours politique. »
Alessia reste d’ailleurs attentive sur le fait que combattre le fascisme ne suffit pas à gagner sur les questions du féminisme, de l’avortement, de la santé ou encore des droits humains. En effet, des partis politiques, prétendument proches des idées de gauche, votent en faveur de l’effort de guerre, selon la militante. Ces partis ont, par exemple, attendu de longs mois avant de prendre position contre le génocide en Palestine. L’impérialisme et le féminisme ne font pas bon ménage.
Dégradation du système de santé
« Nous faisons grève contre la violence patriarcale ». Sur les panneaux de gauche à droite : « Avec les sœurs palestiniennes » / « Pas de pays libre sans les femmes libres » / « Pas de 8 mars sans une Palestine libre ». Photo : Luca Profenna.Ce qui nous a marqué en premier lieu lors de notre rencontre avec les militantes de la Consultoria, c’est leur capacité et leur volonté de penser l’intersectionnalité des luttes, de comprendre l’imbrication entre les violences de genre, de classes sociales ou encore de race. Par exemple, si la dégradation du secteur de la santé touche avant tout les femmes, notamment en ce qui concerne les difficultés d’accès à l’avortement, Alessia critique en amont les logiques néolibérales qui affecte les populations les plus vulnérables.
Selon la militante, les logiques criminelles de casse de la santé publique s’aggravent progressivement depuis plus de 20 ans. La logique du profit conduit à la privatisation du secteur, aux listes d’attente interminables, au renvoi du patient le plus tôt possible chez lui (parce qu’il est coût pour l’hôpital qui fonctionne désormais comme une entreprise), à la fermeture des consultori (4 sur les 12 dernières années à Padoue), ou encore à des coupes budgétaires, etc.
Le consultorio, né sur les ondes féministes des années 70, représentait ainsi une institution avant-gardiste très différente de la santé publique, avec une vision collective et une prospective non seulement sanitaire, mais aussi psychologique et sociale. Des espaces centrés sur la santé de genre, la logopédie pour les enfants, la parentalité, des services de psychologie ou encore de gynécologie.
Désormais, ces lieux d’entraide sont directement attaqués par les politiques gouvernementales, lorsqu’ils ne sont pas abandonnés. En effet, le gouvernement Meloni a adopté le 23 avril 2024 une mesure autorisant les organisations anti-avortement à accéder aux consultori, une stratégie qui vient contrer idéologiquement l’autodétermination des femmes.
« Nous voulons un Consultorio (équivalent du planning familial) pour chaque 20 000 habitants ». Photo : Luca Profenna.Pour Eva, le consultorio devrait être un espace d’aide pour tous types de problèmes, comme un premier point d’accès. Quant à Alessia, elle s’inquiète des conséquences de la centralisation de la santé. En Vénétie par exemple, les grands hôpitaux centralisent la santé alors que les petites présences territoriales ferment peu à peu. Cela représente une double peine pour les personnes vivant en périphéries et délaissés par le système.
Conclusion
En somme, la Consultoria occupée par Non Una Di Meno est révélatrice de la volonté d’autodétermination des femmes et des minorités. La progression du mouvement et des valeurs transféministes sont le fruit d’un travail de longue haleine, et de la diffusion d’un langage permettant de révéler l’existence des violences de genre dans les consciences. Les mobilisations suite au féminicide de Giulia sont à la fois l’expression d’un trop plein et d’une menace constante et quotidienne pour les femmes.
L’occupation de l’espace public est d’autant plus cruciale que le gouvernement néo-fasciste italien oppose une force tout à fait contraire aux droits des femmes et des minorités de genre. Les espaces de santé publique se dégradent voire disparaissent, en particulier les consultori ; alors que l’accès à l’IVG est peu à peu piétiné par les décideurs politiques, et ce dans l’irrespect de la loi de 1978 garantissant – en théorie – le droit à l’avortement.
– Benjamin Remtoula (Fsociété)
Photo de couverture de Luca Profenna.
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Ahou Daryaei : des hommages qui divisent les femmes ?
Elena Meilune
Récemment, nous avons publié une vidéo artistique sur nos réseaux sociaux, un hommage, parmi tant d’autres, au geste d’Ahou Daryaei. Cette étudiante iranienne de 30 ans s’est en effet montrée en sous-vêtements dans l’espace public pour protester contre « l’application abusive du port obligatoire du voile ». Mais l’angle de ce type d’illustrations a fini par nous questionner en interne… Pourquoi ? L’une de nos rédactrices vous partage son malaise. Édito.
En effet, le 6 novembre, nous avons relayé une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux. Elle représentait la jeune étudiante iranienne en sous-vêtements, marchant au milieu d’une foule de femmes voilées. Cette dernière nous a paru dans un premier temps inoffensive et bienveillante, un soutien parmi d’autres à l’acte politique courageux de la jeune femme iranienne dans un contexte oppressif envers les femmes.
Toutefois, l’art est aussi le fruit subjectif de nos biais, un support d’interprétations non-neutre, source de débats précieux qu’il ne faut pas négliger. Sur la base de cet esprit critique essentiel, voici l’éclairage de notre rédactrice Elena Meilune sur ce type de représentations qui semblent opposer deux types de femmes tout en occultant les fondements du système répressif en place et la responsabilité des hommes dans cette situation.
Billet d’opinion
« J’ai ressenti un profond malaise en découvrant certaines illustrations d’Ahou Daryaei »
J’ai ressenti un profond malaise en découvrant certaines illustrations d’Ahou Daryaei, réalisées par des artistes et partagées en ligne. On y voit souvent Ahou représentée comme une figure imposante au centre d’une foule de femmes voilées, leurs regards exprimant la stupeur, la sidération, voire un jugement ou une condamnation.
Bien que l’intention des artistes soit louable, certaines de ces images peuvent être, selon moi, contre-productives dans le cadre de la lutte pour les droits des femmes. L’art, dans toute sa subjectivité, a le pouvoir de transmettre des messages d’une profonde résonance. Évidemment, le but n’est aucunement de le censurer, mais plutôt de suggérer que l’on prête davantage attention aux symboles qu’il véhicule, car ses représentations influencent notre perception des réalités complexes qu’il dépeint.
Commençons par rappeler le contexte : la semaine dernière, Ahou Daryaei, doctorante iranienne en littérature française à l’université Azad de Téhéran, a été harcelée par les miliciens des gardiens de la révolution pour « port incorrect » du hijab et l’un d’entre eux a déchiré son vêtement. En signe de protestation, elle s’est dévêtue et a transformé son corps en une manifestation vivante, marchant en sous-vêtements devant l’université, sous les regards passifs et parfois sidérés des femmes et des hommes présents.
Elle a rapidement été arrêtée puis transférée de force dans un hôpital psychiatrique (selon le Centre pour les droits humains en Iran), une procédure couramment employée par le régime iranien pour discréditer les opposantes. De fait, elle a probablement déjà subi et risque de subir davantage de violences abjectes.
Par ce geste extrêmement courageux, Ahou Daryaei est aussitôt devenue une des figures symboliques de la lutte pour les droits des femmes en Iran, deux ans après la mort de Mahsa Amini, elle aussi arrêtée, puis violemment battue par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés ».
Cet événement avait à l’époque déclenché un soulèvement sans précédent en Iran, porté par le slogan « Femme, Vie, Liberté », réclamant non seulement l’égalité des sexes, mais aussi un changement de régime. Ces manifestations ont été marquantes par leur radicalité et leur persistance, durant près d’un an malgré une répression intense, ayant causé la mort de centaines de manifestant.e.s et l’arrestation de milliers d’autres.
Une vision occidentale biaisée et déshumanisante des femmes iraniennes ?
Revenons maintenant aux illustrations qui circulent actuellement. Nombre d’entre elles semblent créer, à mes yeux, une dichotomie entre Ahou Daryaei et les autres femmes, tandis que les hommes, pourtant présents lors des événements, sont globalement absents des représentations. Ces œuvres montrent une passivité et une soumission massive des femmes iraniennes, alors qu’en réalité, la résistance contre le régime autoritaire continue depuis des années, avec un grand nombre de femmes engagées dans cette lutte.
Ces images pourraient suggérer à tort que le problème vient des femmes qui portent le voile et qu’elles en seraient responsables ou complices parce qu’elles ne se révoltent pas, ce qui constitue une simplification excessive, injuste, voire fausse, étant donné que le mouvement pour la liberté se poursuit activement en Iran. Ces illustrations pourraient ainsi encourager des stéréotypes erronés mais bien ancrés, tout en rejetant la culpabilité sur les victimes (mécanisme omniprésent au sein des structures patriarcales).
Certes, les femmes présentes lors de l’arrestation d’Ahou Daryaei n’ont pas réagi. Mais il est légitime de penser que la peur de se faire arrêter, tabasser, violer, voire tuer, a pesé dans leur absence de réaction, le tout alors que les précédentes révoltes ont été étouffées dans une extrême violence. Par ailleurs, aucun homme n’a non plus tenté de s’interposer, et pourtant cette inaction masculine n’est pas représentée dans les illustrations. Ni l’oppression exercée par les tyrans du régime.
Au lieu de cela, c’est la passivité des femmes qui est mise en avant, opposée au courage d’Ahou Daryaei, leur responsabilité semblant réduite au port ou non du voile. Au-delà du simplisme de cette vision, on peut être certain qu’en France et ailleurs en Europe, l’extrême droite va s’emparer de ces images, les sortant de leur contexte iranien pour alimenter la persécution des femmes voilées en Occident, question par ailleurs différente en bien des points de celle des iraniennes. Pourtant, la vraie liberté consisterait à laisser les femmes choisir librement de porter ou non un vêtement, sans contrainte ni interdiction d’aucune part.
Je trouve que ce type de représentation offre une vision biaisée de la situation, réduisant les femmes iraniennes voilées à des figures désincarnées, passives et opprimées, comme si leur identité se limitait à ce voile qu’elles portent. Cela ne fait qu’alimenter un regard déshumanisant et paternaliste souvent adopté dans les représentations occidentales des femmes du Moyen-Orient.
Dans un monde où l’on cherche à saisir la diversité des vécus féminins, cette vision binaire – entre femmes voilées oppressées et femmes dévoilées « libérées » – ne reflète ni la complexité des choix individuels ni la diversité des expériences des femmes iraniennes. Ces illustrations finissent par nier les luttes et les aspirations réelles des femmes iraniennes en imposant une grille de lecture réductrice, à travers laquelle elles deviennent des symboles d’oppression sans voix, des figures que l’on plaint sans jamais écouter.
De fait, s’opposer au port obligatoire du voile pour les femmes iraniennes d’une part ne doit pas servir de prétexte binaire à les blâmer, voire les diaboliser, si elles le portent, ni à leur imposer de se dévoiler par la contrainte, mais plutôt d’occasion de remettre au centre des décisions leur parole et leurs sensibilités multiples.
Dessin de Fargol Ghadimi : https://www.instagram.com/p/DB4XvRXti0R/Un contexte de peur omniprésent
Il est vrai que la vidéo d’origine d’Ahou Daryaei montre une scène troublante. Elle donne effectivement une impression de solitude et d’isolement d’Ahou.
Dans ce contexte, il est important toutefois de rappeler que les personnes présentes ce jour-là vivent dans un cadre répressif extrême qui peut expliquer la prudence de celles et ceux qui l’ont vue, qui ne se sont pas approché.e.s, par peur des conséquences. Dans une telle situation, même si on fait face à un acte très courageux, l’effroi peut paralyser. Ce n’est donc pas tant la marque d’un manque d’empathie ou de solidarité que l’indice d’un réflexe de survie plus ou moins conscient sous un régime où les actes de rébellion sont sévèrement punis (par des arrestations, des violences physiques, sexuelles, voire la mort).
Dans de telles situations, il est courant que le soutien se manifeste de manière plus discrète et non immédiate, par des mots ou des gestes en privé ou par des actions plus petites et individuelles, pour éviter d’attirer l’attention.
De notre point de vue occidental, il peut en effet être plus facile d’admirer le courage d’Ahou Daryaei, car nous ne vivons pas dans cette peur quotidienne. Mais cela ne diminue en rien le combat des femmes qui luttent pour leurs droits dans des environnements où le simple fait d’exprimer leur mécontentement peut mettre leur vie en danger.
Ce genre de situation montre précisément pourquoi il est important de rester vigilant.e.s quant aux interprétations occidentales des actes de résistance dans des contextes culturels et politiques très différents des nôtres. Plutôt que de chercher une réaction unanime d’une seule admiration, il peut être pertinent d’analyser également ce qui provoque ce silence et cette distance : la peur, les répressions passées, et le climat d’oppression qui pèse sur chaque femme en Iran.
La bravoure d’Ahou Daryaei reste indéniable et admirable en tout point, mais elle n’annule pas les réactions humaines et compréhensibles des autres femmes, et elle ne doit pas non plus servir à juger ou culpabiliser celles qui, elles, ont encore peur de s’exprimer ou de résister ouvertement.
L’héroïsation qui isole et hiérarchise
L’héroïsation est un phénomène très prégnant à travers l’histoire, en partie en raison de la manière dont nos sociétés valorisent l’individualisme et les récits de réussite personnelle. Depuis des siècles, nos cultures sont marquées par des récits particulièrement héroïsés, qu’il s’agisse de personnages historiques, de figures politiques ou même de célébrités et d’entrepreneurs pour notre époque.
Ce besoin de désigner des « héros » vient du désir de donner un visage symbolique aux luttes ou aux idées, mais il peut aussi simplifier des réalités complexes en les concentrant sur des individus plutôt que sur des mouvements collectifs. Cette tendance à l’héroïsation est aujourd’hui renforcée par les réseaux sociaux, où des images frappantes ou des actions spectaculaires d’individus peuvent captiver l’attention d’un large public et devenir virales, parfois à la limite du culte de la personnalité.
Pourtant, présenter des individus comme des icônes de mouvements bien plus vastes peut parfois réduire ces luttes aux actes de quelques figures et conduire à ignorer l’effort collectif qui les soutient. L’héroïsation d’une figure comme Ahou Daryaei, bien qu’inspirante par son incroyable bravoure, peut également conduire à la création d’une hiérarchie implicite qui oppose d’emblée son courage à la prétendue passivité des autres.
Cette approche fait abstraction des dynamiques de peur, de répression, et des multiples formes de résistance qui existent à d’autres échelles moins spectaculaires. Or, une lutte collective comme celle des femmes iraniennes se nourrit de multiples actes, de gestes de solidarité discrets, d’une résilience quotidienne.
« En plaçant Ahou sur un piédestal, bien qu’honorer son geste reste légitime, certaines illustrations peuvent donner l’impression que seule une poignée de femmes exceptionnelles s’opposent au régime, occultant ainsi l’engagement et les sacrifices de milliers d’autres qui luttent aussi à leur manière, parfois même en silence. »
En plaçant Ahou sur un piédestal, certaines illustrations peuvent donner l’impression que seule une poignée de femmes exceptionnelles s’opposent au régime, occultant ainsi l’engagement et les sacrifices de milliers d’autres qui luttent aussi à leur manière, parfois même en silence.
Ainsi, une représentation plus nuancée permettrait de rendre hommage à toutes ces femmes et de souligner l’ampleur d’un mouvement de résistance qui appartient à tout un peuple et ne se limite pas à des figures héroïques seules. Elles ne sont pas seules.
La pression sur les femmes et la déresponsabilisation des hommes
Il est également important de souligner que certaines femmes peuvent, par intériorisation des valeurs patriarcales ou par peur, jouer un rôle de soutien auprès d’un système oppressif. Cela ne signifie pas qu’elles sont elles-mêmes la source de cette oppression, mais qu’elles subissent des pressions profondes qui les conditionnent à agir dans le sens de leur propre oppression, parfois en participant directement aux structures de pouvoir.
Ce système impose des valeurs et des normes si profondément ancrées qu’elles finissent par se transmettre et se perpétuer, même involontairement, à travers les comportements de celles et ceux qui en sont pourtant les victimes.
Source : https://www.leprogres.fr/societe/2024/11/04/ahou-daryaei-l-etudiante-qui-defie-les-mollahs-en-iran-inspire-les-artistesCependant, pointer du doigt uniquement ces femmes, sans évoquer l’origine de ces comportements – les structures patriarcales et autoritaires héritées et en place, les pressions familiales, sociales, et souvent économiques – risque de renforcer un discours culpabilisant à leur encontre, plutôt que de se concentrer sur les racines de l’oppression et leur déconstruction.
Dans les illustrations d’Ahou Daryaei, ces choix artistiques peuvent renvoyer une image de passivité généralisée qui pourrait être mal interprétée, voire utilisée pour alimenter des stéréotypes et des discours de stigmatisation, en Occident comme ailleurs. Ce qui est essentiel, c’est de s’assurer que ces représentations montrent que l’oppression n’est pas une question de « bonne » ou de « mauvaise » attitude des femmes, mais bien d’un système qui impose ses valeurs par la force, la peur, et la manipulation.
On pourrait croire que seules les femmes ont la responsabilité de se soulever pour mettre fin à cette situation et qu’il n’y a rien à attendre des hommes, ce qui est, selon moi, encore une fois, une idée erronée. Cela met une pression démesurée sur les femmes et déresponsabilise la moitié de la population.
La responsabilité de cette situation incombe en premier lieu aux institutions répressives, et non aux personnes qui subissent cette violence. Dire simplement que les opprimé.e.s devraient se révolter s’ils/elles ne veulent plus être opprimé.e.s est une vision simpliste et dangereuse qui nie les rouages de l’aliénation et du conditionnement. En réalité, l’immense majorité de la population iranienne est opposée au régime en place, femmes et hommes confondu.e.s. Et si le soulèvement massif de 2022 a été violemment réprimé, des actions de résistance continuent d’avoir lieu pour lutter contre ce régime à chaque instant, y compris en dehors des moments forts qui surgissent.
– Elena Meilune
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