Think-tank citoyen et média indépendant
Publié le 02.10.2025 à 02:54
« J’accuse… » : tribune pour Gaza et notre humanité
Mr Mondialisation
Publié le 01.10.2025 à 06:00
Devoir de vigilance : une avancée européenne sous tension
Mr M.
Publié le 30.09.2025 à 06:00
Débattre sans se faire piéger : 7 techniques de manipulation à connaître
Mr M.
Publié le 29.09.2025 à 13:59
Les Républicains : un virage grossier à l’extrême droite
Mr M.
Publié le 28.09.2025 à 10:00
Coraux, ozone et post-partum : les 10 bonnes nouvelles de la semaine
Maureen Damman
Publié le 27.09.2025 à 10:00
Antifa, engagement citoyen et Népal : les 10 actualités de la semaine
Maureen Damman
Publié le 26.09.2025 à 02:00
Pourquoi parle-t-on (autant) de Gaza en France ?
Elena Meilune
Publié le 25.09.2025 à 02:20
Non, la dette ne vient pas d’un excès de bureaucratie
Simon Verdiere
Publié le 24.09.2025 à 06:00
La proportionnelle est-elle vraiment plus démocratique ?
Simon Verdiere
Publié le 23.09.2025 à 12:36
Bogotá : après la violence, la capitale colombienne renaît
Mr M.
Publié le 02.10.2025 à 02:54
« J’accuse… » : tribune pour Gaza et notre humanité
Mr M.
Mr Mondialisation diffuse une tribune vibrante d’une lectrice indignée par le génocide à Gaza. Un génocide qui nous concerne tous et toutes. Car à travers la situation en Palestine, c’est avant tout un capitalisme occidental aux racines anciennes que l’on voit à l’œuvre.
ASSEZ كفى
Trop longtemps, nos voix ont été étouffées, nos récits effacés, nos blessures niées. Trop longtemps, l’impunité a prospéré sur notre silence.
Aujourd’hui, je refuse le silence. Je refuse l’impunité.
Aujourd’hui j’accuse.
J’accuse les puissances occidentales, leurs gouvernements respectifs depuis 1948, de complicité active avec un génocide qu’elles savent organisé, savamment peaufiné et orchestré. J’accuse les puissances occidentales de financer et de légitimer ce génocide qui, jusqu’à aujourd’hui, sert leurs élites politiques et financières. J’accuse Emmanuel Macron et son annonce en août d’une reconnaissance par la France de l’État de Palestine… en septembre, de collusion assumée avec un État ouvertement raciste et colonial.
Deux questions au coupable : pourquoi pas aujourd’hui ? Pourquoi différer ce qui aurait déjà dû être ? Pourquoi remettre à demain ce qui est une évidence et une urgence sinon pour laisser aux bourreaux et à leurs complices le temps de poursuivre et achever l’extermination ?
Reconnaître plus tard, c’est déjà nier. Reconnaître sous condition c’est encore nier. Reconnaître quand les bombes pulvérisent chaque école, chaque hôpital, chaque maison c’est toujours nier.
Reconnaître, cela a-t-il encore un sens quand la terre est éventrée et que le peuple a presque déjà disparu ? De sens il n’y en a que dans le cadre de cette pratique à laquelle vous et vos complices excellez, le blanchiment moral. Il faut avouer qu’à ce jeu vous faîtes pâlir Ponce Pilate. Ajoutez donc l’insulte à l’horreur.
Aujourd’hui je mets des mots sur ce qui nous écrase.
Ce qui se joue aujourd’hui ce n’est pas seulement la tragédie palestinienne – soudanaise, congolaise, yéménite, syrienne, libanaise, birmane : c’est la réflexion d’un système plus vaste, où les proclamations de droits et de justice masquent la logique froide des intérêts marchands, stratégiques et impériaux.
Car il faut dire les choses. Le capitalisme n’est pas une simple organisation économique. Il est colonialisme. L’un alimente l’autre, l’autre justifie l’un. Deux visages, une matrice.
Cette alliance n’a cessé de transformer la vie en ressource, les vivants en marchandises, la terre en gisements. C’est la logique première du monde occidental : s’approprier, exploiter, effacer. L’Occident, esclavagiste, féminicide, impérialiste, suprémaciste, capitaliste, n’a pas surgi dans le vide, encore moins dans l’échange. Il est né dans le sang et la spoliation. Il a germé sur les cadavres de terres pillées, de langues effacées, de forêts abattues, d’océans violés, de peuples exterminés. Le capitalisme n’est pas né sur les places boursières. Il a commencé dans les cales des marchands d’esclaves, des forêts abattues, des fleuves détournés, des sols éventrés, des étoiles déjà promises à l’extraction future. Il n’existe que par l’aliénation, la capture, la mise en marché de la vie sous toutes ses formes. Il s’érige sur des ruines, son fondement est l’arrachement. Arracher la terre à celles et ceux qui la cultivent, arracher des enfants à leurs parents, arracher les mots aux lèvres de ceux qui les chantent. Le capitalisme n’est pas l’art de l’échange, il est celui de la prédation systématisée. Il est un colonialisme perpétué sous d’autres masques, colonialisme en costume-cravate, colonialisme algorithmique, colonialisme financiarisé. Il est une mécanique qui ne se soutient qu’en réduisant le vivant à l’inerte monnayable, en dévorant la vie – passée, présente et à venir – pour nourrir les marchés.
Les traites grecques, arabes et transsahariennes, romaines avaient déjà fait des corps une marchandise. Bientôt, l’esclavage transatlantique transforma des millions d’Africains en carburant de coton, de sucre et de tabac, tandis que l’annexion des Amériques anéantissait les civilisations autochtones des Andes jusqu’au pôle nord et celle de l’Australie spoliait les Aborigènes de leurs lieux sacrés. Au XIXe siècle, la logique s’intensifie : les terres sont extorquées, les langues interdites, les « générations volées », jetées dans des pensionnats afin de briser toute mémoire et velléité de résistance. En Inde, l’Empire britannique affame des millions de paysans en exportant les récoltes vers l’Europe. En Afrique, la conférence de Berlin trace à la règle des frontières coloniales, réduisant le continent à une carte de concessions. Au Congo de Léopold II, des mains sont tranchées pour assurer le caoutchouc des bicyclettes et des câbles télégraphiques. Les Hereros et Namas en Namibie sont massacrés par l’Allemagne dans l’un des premiers génocides modernes, prélude à d’autres exterminations.

Le XXe siècle ne rompt pas cette chaîne : il la perfectionne. Les bordels militaires coloniaux, où des femmes du Vietnam, d’Algérie ou du Maroc furent enrôlées de force pour servir les troupes, illustrent l’instrumentalisation des corps par l’impérialisme tout autant que la traite organisée des femmes en Europe. La colonisation française en Algérie, les guerres d’Indochine et d’Afrique, poursuivent l’exploitation sous couvert de mission civilisatrice. En Afrique du Sud, l’apartheid institutionnalise la dépossession et la ségrégation. Pardon, à ceux et celles que je ne peux nommer sans rendre ma mise en examen indigeste. Ils/Elles ne sont pas oublié.e.s.
Après 1945, les indépendances politiques n’abolissent pas le colonialisme : elles le transforment. Cette mécanique se pare d’autres oripeaux. L’annexion du Tibet par la Chine, les bases militaires américaines dans le Pacifique, ou l’occupation sioniste en Palestine démontrent que la logique de contrôle territorial persiste. Les guerres en Sierra Leone, au Congo, au Rwanda se nourrissent du diamant, de l’or, du coltan et du cobalt, indispensables aux téléphones et aux armes. L’Amazonie est brûlée pour le soja, le bétail et les mines, au prix du massacre des Yanomami et de peuples non contactés. En Bolivie et au Chili, l’exploitation du lithium assèche les salines millénaires pour fournir les batteries électriques du Nord. Au Mexique, les maquiladoras transforment la frontière en zone franche où la vie humaine est sacrifiée au profit. Au Bangladesh, les usines du textile imposent la fast fashion au prix de la misère et d’effondrements meurtriers. Dans les îles du Pacifique et des Caraïbes, le tourisme extractiviste dépossède les habitants de leurs terres et de leurs eaux au nom des loisirs mondialisés.
De la traite occidentale aux mines de cobalt, des pensionnats canadiens ou australiens aux guerres pour les diamants, des femmes autochtones disparues aux ouvrières du textile, une seule logique se répète : l’accumulation capitaliste justifie l’appropriation, la spoliation, la destruction de la vie. Partout, les visages changent et la mécanique demeure. Ce qui est colonialisme se nomme aujourd’hui développement, relance, transition énergétique ou libre-échange.
Aujourd’hui je brise l’édifice de la supercherie.
C’est la même matrice sourde aux contestations et oppositions qui détruit des forêts au Québec pour une usine de batteries dites « vertes », qui empoisonne des sols à Blainville sous prétexte de gestion des déchets, qui bétonne les rives du Saint-Laurent pour étendre un port, qui arrache des enfants à leurs parents, qui ignore ou protège la disparition des femmes autochtones, mères, sœurs, filles, et qui ferme les yeux sur les massacres à Gaza tant que les contrats d’armement et les alliances stratégiques se maintiennent. La colonisation ne meurt pas : elle change de nom, de visage, de géographie. Partout, le scénario se répète : pillage, répression, asservissement, accaparation, extraction, anéantissement des cultures et des vies.

Mais ce scénario ne tient que parce qu’il est soutenu par des idéologies qui fabriquent sa légitimation. La doctrine du Terra nullius, proclamant que les terres n’appartenaient à personne dès lors qu’elles échappaient aux critères européens d’occupation ; le mythe du « sauvage inculte » qu’il fallait redresser, civiliser, catéchiser ; celui de l’impureté et du déficit féminins ; les pseudo-théories raciales hiérarchisant les peuples et naturalisant l’esclavage et la colonisation ; la fable moderne de l’individu autosuffisant – fiction de l’autonomie individuelle – qui occulte les liens sociaux et écologiques pour mieux justifier la propriété privée absolue ; l’illusion d’un État neutre, alors même qu’il orchestre les inégalités, la violence et la répression ; le dogme d’une croissance « nécessaire », transmuant la destruction en horizon de prospérité pour quelques uns.
Chaque étape de la domination s’accompagne de récits, de doctrines, de discours qui rendent l’horreur pensable et acceptable. Chaque étape de la domination comprend l’anéantissement des savoirs autres et des savoirs des autres, des intelligences et génies qui la précède.
Aujourd’hui encore, en Palestine, les mêmes mécanismes idéologiques se rejouent. La rhétorique coloniale prend les habits d’un slogan cynique : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Elle brandit des accusations incessantes : « terroristes nés », « barbares », « décapiteurs d’enfants », « violeurs de femmes ». Toujours le même artifice, la même rhétorique : présenter les opprimés comme des monstres pour mieux effacer leur humanité et légitimer leur anéantissement. C’est l’éternel refrain de la démagogie coloniale : regardez-les, ces sauvages, ce sont eux les bourreaux, et nous, victimes, n’avons d’autre choix que de nous défendre.
Et, comme une ultime perversion, l’instrumentalisation d’un autre drame : l’Holocauste. Au lieu d’en tirer une responsabilité universelle contre toutes les oppressions, les élites sionistes, européennes et américaines en ont fait une industrie mémorielle, un capital politique qui justifie et finance l’oppression d’autres peuples.
Le prix du génocide nazi, ce ne sont pas les nations européennes qui l’assument – mais bien les peuples du Levant, en premier lieu les Palestiniens, écrasés au nom d’une dette historique qui ne leur appartient pas. L’horreur subie par les Juifs, les homosexuel.les, les communistes, les résistant.e.s, les Tsiganes, les esprits libres, les différent.e.s d’Europe est instrumentalisée pour en infliger une autre, transformée en légitimité pour la colonisation et le massacre.

Aujourd’hui j’arrache les masques.
Si les états occidentaux ne lèvent pas le petit doigt pour arrêter mais au contraire soutiennent activement ce génocide ouvertement déchaîné depuis le 7 octobre 2023 mais aussi tous les précédents et certainement les prochains c’est tout simplement parce qu’ils ne le peuvent pas sans se renier.
« Les génocidaires d’hier et d’aujourd’hui sont issus de la même matrice mercantile, exploiteuse, destructrice, aliénante ».
Les génocidaires d’hier et d’aujourd’hui sont issus de la même matrice mercantile, exploiteuse, destructrice, aliénante. Comment condamner l’État israélien pour ses politiques d’occupation et de nettoyage ethnique, quand l’Europe et l’Amérique se sont construites elles-mêmes par l’expropriation des terres autochtones, l’esclavage des peuples arrachés d’Afrique, et la mise en coupe réglée de continents entiers ? Comment dénoncer le mur en Cisjordanie quand les frontières militarisées de l’Occident, de la Méditerranée aux déserts du Sud-Ouest américain, sont elles aussi des tombeaux pour les réfugiés ?

Le Capital ne condamne pas parce qu’il y reconnaît son reflet. Ses institutions économiques, ses alliances militaires, son langage diplomatique sont imprégnés de cette logique coloniale : le droit du plus fort, la valeur du profit au-dessus de la vie, la marchandisation de la terre et des corps. Le capitalisme libéral ne s’oppose pas au colonialisme : il en est la continuation méthodique, l’habillage idéologique. Les pipelines, les mines de lithium, les déforestations massives et les guerres de ressources ne sont que des répétitions actualisées de ce qui fut jadis conquête et mission civilisatrice. Ce génocide n’est pas une aberration étrangère à l’histoire des puissances occidentales. Il est l’écho de leur propre genèse, la continuation de la logique qui les a fait naître et prospérer.
Car, et surtout, l’Occident en tire profit. Chaque bombe larguée est un contrat pour ses industries d’armement – Lockheed Martin, Dassault, BAE Systems, Thalès, Raytheon, Northrop Grumman (la liste est trop longue pour être exhaustive) engrangent des milliards. Chaque missile vendu, chaque char livré, chaque avion de chasse déployé gonfle leurs bilans financiers, avec la bénédiction des gouvernements actionnaires. Chaque embargo sélectif est une opportunité de marché ; chaque reconstruction promise est un chantier pour ses multinationales ; chaque terre volée alimente les circuits agricoles mondialisés. Le sang versé irrigue ses marchés financiers, ses flux énergétiques, ses chaînes de production.
Les technologies de surveillance et de contrôle développées sur le terrain – drones, systèmes biométriques, logiciels de reconnaissance faciale, techniques de « gestion » des foules – sont ensuite exportées vers les polices et les armées du monde entier. Gaza, comme les autres Terres et Peuples sacrifiés, constituent des laboratoires mondiaux de l’oppression. Et chaque victoire coloniale sur ce front devient une ressource à exporter, à rentabiliser, à intégrer dans l’économie globale.

Ainsi, le génocide n’est pas seulement toléré : il est rentable. Chaque mort devient dividende, chaque ruine un contrat, chaque effacement culturel un marché. Tel le fantasme obscène d’un Gaza-sur-mer où les ruines se muent en casinos et hôtels, vitrine clinquante du capitalisme le plus vulgaire. L’Occident ne se contente pas d’y voir son reflet. Il s’en nourrit, il en dépend, il y puise la sève qui alimente encore son empire chancelant. Car son système économique, son imaginaire politique, sa structure même demeurent coloniales : prospérer par, sur, à travers et grâce à la destruction de l’autre.
C’est là la vérité nue : le monde occidental ne soutient pas le gouvernement sioniste actuel malgré le génocide, mais parce qu’il y trouve sa continuité et son intérêt. L’horreur qui nous sidère est pour lui un modèle, une ressource, une rente, doctement maquillé en progrès, civilisation, universalité. Le capitalisme est colonialisme perpétué et étendu : il colonise les terres et le temps, les chairs et les semences, les eaux et les respirations, les esprits et les imaginaires.
Aujourd’hui je rejette leur marché de dupes.
Dans ce monde, la reconnaissance ne saurait être réduite à un geste diplomatique ou à l’octroi différé de droits. Et je vous récuse la possibilité même de l’évoquer en passant, comme une menace ou une échéance dans votre planification électorale. Je vous récuse le droit de vous en vêtir comme l’éclat d’une bienveillance qui vous honore. La reconnaissance n’est pas une concession, une faveur octroyée, encore moins un don. Elle ne peut servir de supplément d’âme au sein de votre ordre brutal, dans l’économie de votre domination. Elle n’est pas une identité tamponnée, ni un droit inscrit dans vos registres. Elle est une exigence ancrée en un principe ontologique.
Être, c’est être digne. Vivre, c’est déjà exiger. Elle est un fait premier, antérieur à vos institutions, antérieur à vos crimes. Et il n’appartient à personne d’accorder ce qui est déjà inscrit dans l’être. Qui êtes-vous, bourreaux, pour prétendre m’attribuer des droits, une dignité ou mon humanité ? Je n’ai pas à les recevoir. Ils sont en moi, tissés dans le simple fait d’exister.
Votre responsabilité, vous les héritiers du désastre, est en revanche tout autre. La reconnaissance dans votre ordre capitalo-colonial ne peut avoir de sens qu’en tant que l’aveu de vos crimes, de votre dette, de votre persistance à nier la vie des autres.
C’est vous obliger à restituer ce que vous avez volé : terres, eaux, air, langues, récits, savoirs, générations. La reconnaissance exige la reddition de comptes – restitution matérielle, réappropriation culturelle, renaissance linguistique. Mais pas que.
C’est vous dépouiller de la fiction de votre innocence. C’est affronter la violente vérité de votre histoire. Reconnaître, c’est nommer vos crimes. C’est comprendre que vos richesses sont faites de nos cadavres, que vos villes brillent du feu de nos villages, que vos musées sont des tombeaux volés, que vos nations prospèrent sur la négation de la vie des autres.

La reconnaissance vous est un devoir. Celui de vous admettre violeurs de terres, génocidaires de mondes, effaceurs de mémoire, tortionnaires de diversités, oppresseurs.
La reconnaissance n’est pas un discours mais une pratique. Elle n’engage pas seulement des mots mais des transformations structurelles au niveau des savoirs, des échanges, des relations. Elle est rupture avec l’ordre économique et juridique qui vous maintient dans une arrogance suicidaire. Elle est engagement ferme à rompre avec la logique capitalo-coloniale et à choisir la vie, sous toutes ses formes.
Dans ce monde fracturé, la reconnaissance est une dette, la vôtre. Vous la devez non seulement aux peuples et aux êtres que vous avez réduits au silence, mais à la Terre elle-même. Car votre monde est écocide. Il dévore les sols, étouffe les mers, assassine le climat et les vivants, la possibilité même d’habiter la planète.
Reconnaître n’est donc pas un apanage de puissant, ni un luxe moral : c’est votre devoir, et notre dû. Reconnaître, c’est restituer la vie à la vie.
Aujourd’hui, j’invite.
J’invite chacun.e à rompre le silence. À choisir le camp de la vie plutôt que celui de l’indifférence. À agir, chacun et chacune à la mesure de ses forces : par la parole, par la rue, par le refus, par l’organisation.
J’invite à faire de nos voix des armes. De nos gestes des foyers de résistance. De nos solidarités des remparts contre la destruction. J’invite à transformer l’indignation en actes. La douleur en luttes, l’espoir en mouvement.
Car résister, c’est déjà bâtir.
– Aube Frondeuse
Entête : Rassemblement à Nîmes contre le génocide en Palestine en décembre 2024 ; Source : Jeanne Menjoulet – flickr CC
The post « J’accuse… » : tribune pour Gaza et notre humanité first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 01.10.2025 à 06:00
Devoir de vigilance : une avancée européenne sous tension
Mr M.
Tout le monde se souvient du drame qui a touché le Bangladesh le 24 avril 2013 lors de l’effondrement du Rana Plaza, immeuble insalubre accueillant des ateliers de confection textile de grandes marques de vêtements européennes. Cette tragédie avait entraîné la mort de 1 134 ouvriers. Depuis, la demande d’une législation contraignante s’est heurtée à des résistances politiques et économiques importantes. En 2025, plusieurs États membres, dont la France, ont même tenté de faire capoter le texte ou d’en atténuer la portée.
C’est symboliquement 11 ans plus tard, le 24 avril 2024, que le Parlement européen a voté en faveur de l’adoption de la « Directive devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité » (en anglais Corporate Sustainability Due Diligence Directive ou CSDDD), au terme de nombreux mois de négociations. Elle a ensuite été approuvée le 23 mai 2025 par le Conseil.
Cependant, de nouvelles tentatives de modification du texte ont émergé dès juin 2025, dans le cadre d’un agenda européen de simplification réglementaire.
La CSDDD impose aux entreprises d’atténuer, de stopper et de prévenir leurs impacts négatifs sur les droits humains et l’environnement tout au long de leurs chaînes de valeur. Cela inclut notamment l’esclavage, le travail des enfants, l’exploitation par le travail, l’érosion de la biodiversité ou encore la pollution. Une directive qui adopte donc des mesures cruciales pour mettre fin à l’impunité des grandes entreprises, même si de sérieuses failles subsistent. Décryptage.

Le devoir de vigilance en résumé
Seront soumises à ces obligations toutes les entreprises opérant sur le marché européen, employant plus de 1 000 personnes et ayant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros, ainsi que leurs filiales et leurs partenaires commerciaux. Cependant, en juin 2025, le Conseil de l’Union européenne a proposé de relever ce seuil à 5 000 salariés et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, ce qui limiterait considérablement le nombre d’entreprises concernées (source : Conseil de l’UE)

Le cadre et les ambitions du texte
Les droits humains et libertés fondamentales sont ici entendus de manière exhaustive, reprenant les droits sociaux et fondamentaux liés au travail. Ainsi, la directive vise non seulement à interdire le travail forcé, l’esclavage ou le travail des enfants, mais aussi à assurer des conditions de travail justes et favorables, incluant un salaire équitable, la sécurité et l’hygiène au travail, ou encore la liberté de conscience et d’association.
Les effets néfastes sur l’environnement incluent toute dégradation mesurable de l’environnement, à savoir pollution de l’eau ou de l’air, émissions nocives, dégradation des terres et autres ressources naturelles.
La CSDDD protège également les droits des populations autochtones et locales en interdisant toute expropriation ou privation d’accès à l’eau ou aux moyens de subsistance, et en obligeant les entreprises à garantir leur santé et leur sécurité en préservant leur environnement. En parallèle, les entreprises devront mettre en œuvre un plan de transition climatique afin que leurs activités soient compatibles avec la limite de l’augmentation du réchauffement climatique de 1,5 °C prévue par l’Accord de Paris.
La directive est entrée officiellement en vigueur en juillet 2024. Les États membres disposent théoriquement de deux ans pour la transposer dans leur droit national, soit jusqu’à l’été 2026. Toutefois, le Conseil a proposé un mécanisme dit « Stop the Clock » qui permettrait de repousser la transposition à juillet 2027, avec une application progressive :
-
dès 2027 pour les plus grandes entreprises (5 000+ salariés),
-
2028 pour les sociétés intermédiaires,
-
et 2029 pour les autres entreprises concernées.
(source : Conseil de l’UE)
En France, une loi sur le devoir de vigilance était déjà en vigueur depuis 2017. Cependant, elle devra être modifiée pour inclure les mesures plus strictes et détaillées de la CSDDD. Ce chantier de réforme est en cours, avec un calendrier encore flou.
En résumé, alors que les normes volontaires comme les principes directeurs de l’ONU existaient depuis longtemps, la directive européenne change la donne en les rendant juridiquement contraignantes. En cas de non-respect, les entreprises pourront recevoir des amendes allant jusqu’à 5 % de leur chiffre d’affaires mondial, voire être exclues des marchés publics européens.
Une responsabilisation accrue… mais encore fragile
Pour de nombreuses associations défenseuses de l’environnement et des droits humains, cette directive représente une avancée majeure dans la responsabilisation des entreprises sur leurs impacts sociétaux et environnementaux, tout au long de leurs chaînes de valeurs, de l’approvisionnement à la distribution.
En juin 2025, La Poste est devenue la première entreprise française condamnée pour manquement à son devoir de vigilance, sur la base de la loi nationale de 2017. Le tribunal a estimé que la cartographie des risques présentée en 2021 était trop vague. Cette condamnation, confirmée en appel, illustre que les obligations de vigilance peuvent déjà produire des effets concrets – avant même l’application complète de la directive européenne (source : Le Monde)
Désormais, les entreprises ne pourront plus se cacher derrière leurs sous-traitants étrangers, également tenus au devoir de vigilance. De plus, les sociétés mères auront l’obligation d’accompagner les petites et moyennes entreprises de leur réseau pour les aider à se conformer à ces nouvelles exigences.
Une avancée décisive est à souligner : les victimes d’atteintes aux droits humains ou à l’environnement pourront saisir les tribunaux européens contre les entreprises fautives. Toutefois, plusieurs ONG alertent sur les obstacles qui subsistent : frais de procédure, délais de prescription, difficultés à prouver les liens de causalité, etc. Il sera essentiel que les États garantissent un accès effectif à la justice.
De graves lacunes
La CSDDD, fruit d’un long processus de négociation depuis 2022, a vu son ambition sérieusement réduite. Initialement prévue pour s’appliquer aux entreprises de plus de 500 salariés et 150 millions d’euros de chiffre d’affaires, la version adoptée l’élève à 1 000 salariés et 450 millions d’euros.
Mais le Conseil européen va encore plus loin. En juin 2025, il propose d’augmenter les seuils à 5 000 salariés et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, ce qui exclurait près de 90 % des entreprises visées initialement. Un affaiblissement critiqué par de nombreuses ONG (source : Conseil de l’UE)
Par ailleurs, le secteur financier reste en grande partie exempté des obligations de diligence. Une anomalie, alors que les grandes institutions investissent massivement dans des entreprises polluantes ou controversées.
Les révisions successives du texte s’inscrivent dans une dynamique de recul plus large sur les normes environnementales et sociales. En mai 2025, lors du sommet Choose France, Macron a appelé à la suppression pure et simple de la directive sur le devoir de vigilance (CS3D / CSDDD), déclarant que cette directive et d’autres régulations « ne doivent pas être simplement repoussées d’un an mais écartées ».
Enfin, certaines faiblesses techniques subsistent. Le texte limite le devoir de vigilance aux fournisseurs « directs », laissant de côté les sous-traitants de second et troisième rang, pourtant souvent à l’origine des violations les plus graves. Cette faille compromet son efficacité sur les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Une avancée sous condition
Malgré ses lacunes, la directive sur le devoir de vigilance reste une avancée importante. Elle marque la fin d’une époque où les multinationales pouvaient impunément externaliser les abus sociaux et écologiques.
Mais son efficacité réelle dépendra :
-
du niveau d’ambition retenu dans les négociations finales entre le Parlement et le Conseil ;
-
de la transposition nationale dans chaque État membre ;
-
et de la capacité des juges, ONG et syndicats à faire vivre le texte dans la pratique.
Comme le rappelle Hannah Storey, responsable droits humains chez Amnesty International :
« C’est un moment décisif pour les droits humains et la responsabilisation des entreprises. L’UE établit une norme contraignante pour la conduite responsable des entreprises au sein du plus grand marché unique du monde. »
Reste à voir si cette norme survivra aux pressions économiques et politiques qui menacent de la vider de sa substance.
– Delphine de H.
Photo de couverture : Atelier de confection textile au Bangladesh, 2015. Source : Wikicommons
The post Devoir de vigilance : une avancée européenne sous tension first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 30.09.2025 à 06:00
Débattre sans se faire piéger : 7 techniques de manipulation à connaître
Mr M.
Dans un climat où l’art de « gagner le débat » tend à supplanter l’écoute, la remise en question et l’échange sincère, les discussions publiques ou privées se retrouvent fréquemment parasitées par des procédés rhétoriques malhonnêtes. Ces techniques permettent à certains interlocuteurs d’éviter le fond du sujet tout en donnant l’illusion d’un argumentaire solide. Décryptage.
Voici sept stratagèmes fréquemment utilisés, accompagnés d’exemples concrets, pour mieux les repérer et comprendre les mécanismes de manipulation qui les sous-tendent.
1. L’homme de paille
La technique de l’homme de paille consiste à déformer ou caricaturer les propos d’un interlocuteur en lui prêtant des intentions qu’il n’a jamais exprimées. Ce procédé permet de rendre l’opinion adverse plus facile à attaquer en éradiquant toute nuance.
Exemples courants : Présenter un écologiste comme un nostalgique de la lampe à huile, accuser les féministes de vouloir asservir les hommes, résumer les positions de la gauche à une volonté de voler les « travailleurs » pour subventionner les « assistés ».
2. Le whataboutisme
Le whataboutisme, issu de l’expression anglaise « what about? », détourne l’attention d’un sujet en évoquant un autre problème, souvent sans lien direct. L’objectif : esquiver une critique en pointant les incohérences ou fautes supposées d’autrui.
Le plus connu des whataboutismes demeure sans doute celui qui est régulièrement déclamé aux écologistes, déjà débunké dans un précédent article : « t’es écolo, mais t’as un smartphone ? ». Il convient de rappeler qu’une critique d’un système peut coexister avec le fait d’y être contraint.
Ce sophisme est également fréquemment mobilisé par les défenseurs du gouvernement d’extrême droite dirigé par Benjamin Netanyahu. Le massacre du 7 octobre est ainsi systématiquement invoqué pour relativiser ou détourner l’attention du génocide en cours à Gaza. Cette stratégie de diversion se retrouve aussi dans les discours environnementaux, où certains acteurs cherchent à éluder leur propre responsabilité en comparant la France à des pays fortement émetteurs comme la Chine.
3. L’attaque personelle
L’ad personam est une technique très simple qui relève de l’attaque personnelle. Au lieu de répondre sur le fond, cette technique attaque la personne sur ses traits, ses défauts ou son passé.
Ce processus est extrêmement utilisé dans le milieu politique français, en particulier en raison de l’hyper personnification de notre système électif où le candidat qui porte un projet devient plus important que les idées elles-mêmes. Une technique qui a régulièrement été employée à l’encontre de politiciens progressistes à qui on a souvent reproché leur tempérament (ou tout du moins l’image qu’en donnent les médias) au lieu de s’attarder sur la substance de leurs propositions.
Cette stratégie est également mobilisée pour minimiser la responsabilité d’auteurs de violences sexistes ou sexuelles. Les mises en cause et leurs complices stigmatisent la victime sur des aspects de sa personnalité, ce qui n’a rien à voir avec la violence commise par le mise en cause. C’est un croisement de whataboutisme et d’attaque ad personam.
4. Le mille-feuille argumentatif
Le mille-feuille argumentatif est une technique particulièrement efficace consistant à exposer une somme astronomique d’arguments fallacieux à la suite pour que l’adversaire n’ait pas le loisir d’y répondre.
Ainsi, il rejoint la loi de Brandolini, qui explique qu’il faut beaucoup plus d’efforts pour démentir de fausses informations que pour les énoncer. Ce procédé fonctionne à merveille dans notre système médiatique puisque la durée des débats est extrêmement réduite.
Face à un tel procédé, l’interlocuteur se retrouve contraint de choisir entre le silence, au risque d’être discrédité, ou la réfutation point par point qui lui fera perdre un temps précieux. Dans les deux cas, il sera en difficulté.
5. Le faux dilemme
Avec le faux dilemme, un débatteur peut mettre son adversaire dans un choix inconfortable en faisant comme s’il n’existait que deux solutions pour remédier à un problème. Certains pourraient par exemple dire « soit on augmente l’âge de départ à la retraite, soit notre système va s’effondrer ».
L’introduction d’une option volontairement inacceptable pousse implicitement à choisir la seconde, perçue comme un moindre mal. Et pourtant, on élude ainsi d’autres possibilités. Le faux dilemme ressemble d’ailleurs au « there is no alternative » de Margaret Thatcher qui assurait qu’il existait que le néolibéralisme comme solution viable.
6. L’appel abusif
L’appel abusif recouvre en réalité toute une série de sophismes qui consiste à invoquer un principe supérieur qui dispenserait de devoir avancer un véritable raisonnement rationnel. Parmi eux, on peut penser à l’argument d’autorité qui met en avant la position de quelqu’un comme seule justification de ses propos.
L’appel à l’émotion figure aussi parmi ces stratégies qui consistent à faire passer les émotions avant la raison, particulièrement utilisé sur les faits divers. On pensera aussi à l’appel à la tradition (« on a toujours fait comme ça »), l’appel à la loi (« c’est légal donc moral »), l’appel à la majorité (« la majorité pense comme ça, donc c’est juste ») ou encore l’appel à la nature (c’est naturel, donc c’est bon). Autant de processus qui ne reposent sur rien de rationnel.
7. L’inversion de la charge de la preuve
Très courant, ce sophisme consiste à exiger de l’autre qu’il démontre que notre position est invalide. Un croyant pourra par exemple dire « prouve-moi que Dieu n’existe pas ». Or, en agissant ainsi, il renverse la logique argumentative, puisque c’est à la personne qui expose quelque chose de prouver qu’elle dit vrai, et non l’inverse.
C’est d’ailleurs bien dans cette démarche que s’inscrit la justice ; si quelqu’un affirme qu’un individu a commis un délit, c’est à l’accusateur de le démontrer et pas à l’accusé. Dans le cas contraire, n’importe qui pourrait être inculpé pour n’importe quoi. De fait, il est impossible de prouver l’inexistence d’énormément de choses. Ce qui ne signifie pas qu’elles sont réelles pour autant.
– Simon Verdière
Photo de Timur Weber. Pexels.
The post Débattre sans se faire piéger : 7 techniques de manipulation à connaître first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 29.09.2025 à 13:59
Les Républicains : un virage grossier à l’extrême droite
Mr M.
À mesure que les idées du Rassemblement national se banalisent dans le débat public — un phénomène renforcé par la concentration des médias aux mains de quelques milliardaires soutenant ces thèses, les partis de droite traditionnels semblent eux aussi se déporter vers cette idéologie. À tel point que le mouvement « Les Républicains », censé être l’héritier du Gaullisme, se rapproche inexorablement du groupe dirigé par Jordan Bardella. Décryptage de cette alliance entre la bourgeoisie et le fascisme.
Indéboulonnable allié du macronisme depuis 2022, LR parle et agit pourtant de plus en plus comme le Rassemblement National, ce qui laisse d’ailleurs songeur sur les passerelles en expansion entre le gouvernement et l’extrême droite.
Aux origines gaullistes de la droite française
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de retracer l’historique de ce mouvement qui découle directement de Charles de Gaulle. Après la guerre, ce dernier avait dans un premier temps refusé de créer un parti, mais, face à l’instauration de la quatrième république qu’il désapprouvait, il décida néanmoins en 1947 de lancer une organisation nommée Rassemblement du peuple français.
Réfutant l’étiquette de droite que les observateurs lui attribuent pourtant à raison, De Gaulle tente de s’établir comme « transpartisan, ni de droite ni de gauche » (une posture que reprendra Emmanuel Macron plusieurs décennies plus tard) qui accepterait la double appartenance venue de toutes les formations à l’exception des communistes.
Mais malgré un démarrage prometteur, l’initiative est un échec et le parti est mis en sommeil dès 1955. C’est finalement en 1958 que l’Assemblée nationale décide d’octroyer le pouvoir à De Gaulle pour résoudre la crise algérienne. Dans la foulée, il instaure la Cinquième République, encore en vigueur aujourd’hui, avant d’être élu président par un collège d’électeurs.
Vers la fondation du RPR
La même année, sur les cendres du RPF, naît l’Union pour la Nouvelle République, parti destiné à soutenir l’action du général, bien que celui-ci refuse de s’en revendiquer. En 1959, un autre parti, qui se réclame d’un Gaullisme plus à gauche, apparaît l’Union Démocratique du Travail. Deux groupes qui finiront par s’allier pour porter une seconde fois De Gaulle au pouvoir en 1965, cette fois-ci au suffrage universel. Finalement, en 1968, ce regroupement devient l’Union des démocrates pour la République.
Et, tandis que De Gaulle se retire de la vie politique en 1969 (puis décède quelques mois plus tard) après une défaite lors d’un référendum, cette coalition lui survit et emmène Georges Pompidou, ancien premier ministre de De Gaulle jusqu’à la fonction suprême.
Pourtant, en 1974, l’UDR n’atteint même pas le second tour et une volonté de se refonder naît peu à peu sous l’impulsion de Jacques Chirac. Celui-ci pousse ainsi pour que son mouvement prenne un nouveau nom et, en 1976, apparaît le Rassemblement pour la République (RPR).
De l’UMP à LR
Finalement, en 2002, sous l’impulsion du même Jacques Chirac qui se représente aux élections nationales de l’année, le RPR s’allie à d’autres formations de droite pour constituer l’Union pour la majorité présidentielle (UMP). Sigle qui sera conservé, mais dont la signification changera quelques semaines plus tard pour faire advenir l’Union pour un Mouvement Populaire.
Devenu l’une des formations de masse française, avec des figures comme Nicolas Sarkozy, le groupe se renomme « Les Républicains » en 2015 avant d’entamer un long déclin, à l’image du Parti Socialiste, suite à l’émergence du macronisme en 2017.
Des relents d’extrême droite dès les fondations
Officiellement, Les Républicains et ses prédécesseurs se sont systématiquement revendiqué du gaullisme et de la lutte contre l’extrême droite. En 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen accède pour la première fois au second tour des présidentielles, Jacques Chirac coalise d’ailleurs un grand « barrage républicain » et s’affiche comme un rempart contre cette idéologie.
Mais, dans les faits, il a cependant toujours existé des courants et des figures très proches de milieux identitaires dans ce mouvement, et ce, dès le départ. Dans le premier parti du général, on trouvait ainsi déjà des personnalités d’extrême droite, comme le monarchiste Pierre de Bénouville.
Longue histoire d’ambiguïté
Et, tout au long de l’histoire du parti, de nombreuses émanations n’ont rien eu à envier au RN d’aujourd’hui. De Gaulle, héros national et résistant au nazisme, a souvent été invoqué comme une caution morale, y compris par des courants très éloignés de son humanisme affiché. Cette référence permettrait, selon certains, de légitimer des positions réactionnaires sans assumer une filiation directe avec l’extrême droite.
Ainsi, pour certains, se revendiquer d’un résistant au nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale servirait de caution pour s’éviter toute accusation d’extrême droite. Un exemple parfait de la corruption du langage et de la réalité dont cette branche est si friande, allant jusqu’à repeindre le nazisme en courant de gauche ou à traiter les antifascistes de « collabos ». Mais pour autant, c’est bien dans le camp de cette droite dite « républicaine » et « gaulliste » qu’une multitude de propos racistes, homophobes, autoritaires, sécuritaires, réactionnaires ou sexistes a bien été tenue.
Le RN fait exploser la fenêtre d’Overton
De fait s’il a toujours existé une partie de la population adhérant aux thèses simplistes de l’extrême droite, c’est d’abord parce que ses doctrines prospèrent sur la misère sociale générée par les politiques de la droite dite de « gouvernement ». Et si les facteurs restent multiples, celui-ci demeure sans doute l’un des principaux.
La droite traditionnelle a donc décidé de reprendre à son compte plusieurs de ses idées pour continuer à faire parler d’elle et à conserver le pouvoir, élargissant de la sorte la fenêtre d’Overton du côté de l’extrême droite. La droite ayant constamment tenté d’entretenir une image de « rempart », adepte du raisonnable contre « l’extrémisme », elle a désormais déplacé le rempart contre l’extrême gauche, établissant une inversion de la dangerosité de l’extrême droite.
Une passerelle de plus en plus large
Et pourtant, les transfuges du parti vers des mouvements identitaires ont été légion, bien souvent avec des courants devenus autonomes. Dans les années 90, on se souvient particulièrement de Charles Pasqua d’abord représentant de la droite dure au sein du RPR avant de fonder son organisation indépendante aux côtés de Philippe De Villiers.
Dès 1983, le RPR avait d’ailleurs localement noué une alliance avec le FN à Dreux, sans que cela n’émeuve les instances nationales. Jacques Chirac déclare alors : « Je n’aurais pas du tout été gêné de voter au second tour pour la liste [RPR-FN]. Cela n’a aucune espèce d’importance d’avoir quatre pèlerins du FN à Dreux, comparé aux quatre ministres communistes au Conseil des ministres. ».
Le même Jacques Chirac, souvent présenté comme un rempart contre l’extrême droite, qui stigmatisait pourtant en 1991 des populations issues de l’immigration post-coloniale en parlant du « bruit » et de « l’odeur » qui auraient pu gêner les classes populaires occidentales.
Et si ce genre de rapprochement n’était pas si exceptionnel jusqu’à la fin des années 90, il s’est cependant raréfié après 2002. Ce qui n’a pas empêché certains membres du parti de tenir des propos dignes du FN. On pense particulièrement à Nicolas Sarkozy et sa « droite décomplexée » qui voulait « nettoyer la banlieue au Kärcher » ou Brice Hortefeux et sa célèbre phrase à propos des personnes d’origine arabe « quand il y en a un, ça va, c’est quand il y a en a beaucoup qu’il y a des problèmes ».
Une question de survie
Finalement, c’est bien après 2017, et l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, que Les Républicains ont pris un virage de plus en plus franc vers l’extrême droite. Déjà à ce moment-là, c’est le très conservateur François Fillon qui avait représenté le parti aux présidentielles et avait échoué de peu aux portes du second tour.
Mais face à la montée en puissance du RN de Marine Le Pen, LR n’a pas hésité à poursuivre sa chute en avant. Si la plupart des libéraux traditionnels ont quitté la formation à cette époque pour rejoindre Emmanuel Macron, les plus réactionnaires ont eux entamé une course effrénée avec le RN.
Vers une vague de transfuges ?
Dans les deux dernières décennies, les départs des Républicains vers l’extrême droite semblent se multiplier. Au rang des plus célèbres, on peut par exemple citer Nicolas Dupont-Aignan, fondateur de son propre mouvement, d’ailleurs associé au RN.
Mais on peut aussi évoquer d’autres noms, comme Sébastien Chenu, Thierry Mariani, ou Guillaume Pelletier, qui sont autant de transfuges de LR vers l’extrême droite. Et plus récemment, c’est bien le cas d’Eric Ciotti qui a sans doute le plus marqué les esprits.
Dirigeant des Républicains lors des dernières présidentielles, il n’a pas hésité à nouer une alliance avec le RN aux législatives, contrairement à l’avis du reste de son parti. Finalement exclu, il a tout de même emmené avec lui quelques figures de LR pour créer son propre mouvement d’extrême droite, inféodé au RN.
Blanc bonnet et bonnet blanc
Mais le plus ironique dans l’histoire reste sans doute le fait que les différences idéologiques entre Éric Ciotti et d’autres membres estomaqués par son attitude semblent complètement inexistantes.
En effet, on a pu entendre des individus comme Laurent Wauquiez qui souhaite créer des camps de détention pour les OQTF à Saint-Pierre et Miquelon, François-Xavier Bellamy et ses positions anti-avortement, ou encore David Lisnard appeler à « une aide tant psychologique que juridique à celles et ceux qui sont victimes de la tyrannie woke ». Et force est de constater que chacun d’entre eux ne ferait pas tache au sein du Rassemblement National.
Retailleau, la nouvelle star ?
Dans toutes ces nuances de bruns, c’est pourtant bien l’un des membres de l’actuel gouvernement qui a pris le pouvoir au sein du parti : Bruno Retailleau. Le ministre de l’Intérieur s’est lui aussi mis en avant avec des propos à faire pâlir de jalousie Éric Zemmour. En croisade contre les musulmans et les immigrés, il s’est illustré à divers moments par des déclarations xénophobes, allant même jusqu’à faire seins des discours nationalistes historiques sur les « Français de papier ».
Quoi qu’il en soit, au sein de LR, tous paraissent à présent valider les marottes de Marine Le Pen : théorie complotiste et raciste du grand remplacement, obsession sécuritaire, islamophobie pathologique, guerre contre le « wokisme », défense des plus riches et haine de la gauche. Absolument tout semble réunir LR et le Rassemblement National.
Vers une fusion inévitable ?
Depuis longtemps, certaines figures de l’extrême droite, comme Marion Maréchal, rêvent d’unir « toutes les droites », tel que cela s’est souvent fait dans d’autres pays, par exemple en Italie. Les déclarations de certains d’une violence inouïe à l’égard de la gauche, montre d’ailleurs que le « barrage républicain » s’inverse contre elle plutôt que contre le RN.
Un constat s’impose : à mesure que les différences idéologiques s’estompent, il devient de plus en plus difficile de distinguer LR du Rassemblement national. Reste à savoir si cette convergence relève d’une stratégie électorale ou d’une réelle mutation idéologique.
– Simon Verdière
Photo de couverture : De gauche à droite, Bruno Retailleau, Jean-François Copé, Othman Nasrou, Michel Barnier, François-Xavier Bellamy. Wikimedia.
The post Les Républicains : un virage grossier à l’extrême droite first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 28.09.2025 à 10:00
Coraux, ozone et post-partum : les 10 bonnes nouvelles de la semaine
Mr M.
Vous n’avez pas eu le temps de suivre l’actu ? Voici notre top 10 des bonnes nouvelles à ne pas manquer cette semaine.
1. Force à la couche d’ozone !
Selon l’ONU, la couche d’ozone pourrait se reconstituer complètement aux alentours de 2050 grâce à l’interdiction mondiale des chlorofluorocarbones, limitant les rayons UV nocifs et contribuant aussi à freiner le réchauffement climatique. (UNEP)
2. Addictions : les ados de moins en moins touchés
En France et en Europe de l’Ouest, la consommation de tabac, cannabis et alcool chez les adolescents de 16 ans a fortement diminué en dix ans, avec une chute notable de l’expérimentation du cannabis de 31% à 8,4% entre 2015 et 2024. (Ouest-France)
3. Vers la fin de la grippe ?
Une nouvelle thérapie innovante à base d’anticorps a protégé des souris contre presque toutes les souches de la grippe, y compris des variants à risque pandémique, offrant un espoir de traitement universel contre la grippe saisonnière. (Futura)
4. Super-récifs : les Philippines protègent leurs trésors sous-marins
Les Philippines ont créé une zone marine protégée de 500 km² autour de l’île de Panaon pour préserver des récifs coralliens résilients au changement climatique, combinant conservation et soutien aux communautés locales. (Impactful Ninja)
5. Pauvreté infantile : des progrès mais aussi des défis
La pauvreté infantile a diminué au niveau mondial ces dix dernières années, avec une baisse importante en Asie du Sud et de l’Est, malgré une stagnation ou une augmentation dans certaines régions comme l’Afrique subsaharienne. (UN News)
6. Tampons gratuits à Munich
À Munich, la start-up LYFE.ads offre des tampons gratuits financés par la publicité sur les boîtes, facilitant l’accès aux protections périodiques et contribuant à la sensibilisation sur ce sujet. (Munich Startup)
7. Équateur : un corridor géant pour sauver la biodiversité amazonienne
L’Équateur a établi un corridor faunique amazonien de plus de 300 000 hectares reliant parcs et territoires indigènes, protégeant la biodiversité et soutenant les communautés locales. (WWF)
8. L’OMC frappe fort contre la pêche illégale avec un accord historique
L’accord Fish-1 de l’OMC visant à éliminer les subventions à la pêche illégale est entré en vigueur, imposant des règles pour soutenir des pratiques durables, une avancée saluée comme historique. (Actu-environnement)
9. Dépression post-partum : l’UE valide un médicament révolutionnaire
L’UE a approuvé le zuranolone, premier médicament spécifique contre la dépression post-partum, efficace en deux semaines, mais avec des précautions d’usage pendant grossesse et allaitement. (Représentation de France)
10. Hong Kong ouvre la voie : droits parentaux reconnus pour un couple lesbien
À Hong Kong, un juge a reconnu les droits parentaux d’un couple lesbien pour leur enfant né par fécondation in vitro réciproque, une avancée importante pour les droits LGBTQ dans la région. (Genethique)
– Maureen Damman
The post Coraux, ozone et post-partum : les 10 bonnes nouvelles de la semaine first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 27.09.2025 à 10:00
Antifa, engagement citoyen et Népal : les 10 actualités de la semaine
Mr M.
Vous n’avez pas eu le temps de suivre l’actu ? Voici notre top 10 des bonnes nouvelles à ne pas manquer cette semaine.
1. Plus de 150 pays reconnaissent l’État palestinien !
Plusieurs pays, dont le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et le Portugal, ont officiellement reconnu l’État palestinien, rejoignant ainsi plus de 150 pays. La France, la Belgique, Malte, le Luxembourg et Saint-Marin l’ont fait lors de l’Assemblée générale de l’ONU. Cette reconnaissance vise à relancer la solution à deux États au Proche-Orient malgré la forte opposition d’Israël et des États-Unis.(Courrier International)
2. « Antifa » = terroriste aux États-Unis
Aux États-Unis, certaines juridictions envisagent de classer les antifascistes (« antifa ») comme organisation terroriste, une mesure controversée accusée de viser à restreindre les mouvements de contestation politique.(Le Monde)
3. Remplacement du SNU
Le Service national universel (SNU), dispositif français d’engagement civique pour les jeunes, sera supprimé et remplacé par un nouveau « parcours d’engagement citoyen » visant à moderniser et diversifier les formes d’engagement des jeunes dans la société. (Le Monde)
4. Israël prépare des déportations massives à Gaza, une menace humanitaire majeure
En Israël, l’armée a annoncé son intention d’exercer une force sans précédent pour déporter des populations vers le sud de la bande de Gaza, dans le cadre de ses opérations militaires, ce qui suscite des inquiétudes humanitaires majeures.(Sud-Ouest)
5. Le Népal face à une crise politique et sociale profonde
Le Népal traverse une grave crise politique, marquée par des tensions entre les partis au pouvoir et opposition, ainsi que des troubles sociaux qui fragilisent la stabilité du pays. (France-Culture)
6. Drones et manifestations : la surveillance accrue qui fait polémique en France
En France, l’usage accru de drones pour la surveillance des manifestations soulève des controverses sur les libertés publiques, notamment à cause de l’autorisation tardive, voire rétroactive d’utilisation des drones lors de rassemblements, rendant les recours juridiques difficiles. (Libération)
7. Chasse aux sorcières pour Mamdani
À New York, Trump et les ultrariches réveillent le Maccarthysme pour éviter l’élection du démocrate Mamdani aux municipales, qu’il surnomme « mon petit communiste ». (Le Monde)
8. Des pesticides détectés jusque dans les nuages
Des études récentes ont détecté la présence de pesticides dans les nuages, ce qui pose de nouvelles questions sur la dissémination environnementale des produits chimiques et leurs impacts potentiels sur la santé et les écosystèmes. (Le Monde)
9. Une dinguerie supplémentaire de Trump !
Devant l’ONU, Trump a déclaré que le réchauffement climatique est “la plus grande arnaque jamais menée contre le monde” et le concept d’empreinte carbone est “une supercherie inventée par des gens aux intentions malveillantes”. (Science-et-vie)
10. 1 psychologue pour 1700 élèves
En France, un psychologue scolaire accompagne en moyenne 1 600 élèves, alors que les besoins psychologiques des jeunes explosent. Cette situation reflète une pénurie aiguë de professionnels, malgré les appels à la création de postes et les conditions de travail difficiles.(Basta!)
– Maureen Damman
The post Antifa, engagement citoyen et Népal : les 10 actualités de la semaine first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 26.09.2025 à 02:00
Pourquoi parle-t-on (autant) de Gaza en France ?
Mr M.
Peut-on vraiment « trop » parler d’un génocide ? C’est pourtant le reproche qui revient inlassablement, à voix haute ou non, dès qu’on évoque Gaza. Édito.
À Gaza, plus de 10 % de la population a été tuée ou blessée depuis 2023, tandis que les survivants sont plongés dans une famine critique. Dénoncer ce massacre n’est donc pas un excès, mais une nécessité. Toutefois, certains se demandent pourquoi cette injustice domine autant l’actualité en comparaison à d’autres drames géopolitiques.
Bien sûr, cet élan s’explique en grande partie par une donnée démographique majeure : la France abrite aujourd’hui les plus importantes communautés juive et musulmane d’Europe. De ce fait, un lien intime – quel qu’il soit – existe entre une part significative de la population française et les enjeux qui traversent les mondes arabo-musulman et juif.
Toutefois, si la mobilisation est si forte en France, c’est également parce que notre pays n’est pas extérieur à ce drame : il en est complice, par ses choix politiques, militaires et diplomatiques. Les déclarations symboliques n’y changent rien : le peuple palestinien continue de mourir sous les bombardements, le blocus, et le poids du silence.
Quelques rappels
Le 22 septembre 2025, la France est officiellement devenue le 148e pays à reconnaître l’État de Palestine lors d’un sommet de l’ONU. Un geste politique présenté comme historique, mais qui intervient après deux années de massacre à Gaza, où au moins 64 000 personnes ont été tuées et 163 000 blessées – dont des dizaines de milliers d’enfants – par les attaques israéliennes. La reconnaissance de la France n’efface pas les années de complicité silencieuse qui l’ont précédée : ventes d’armes, soutien diplomatique à Israël, répression des mobilisations pro-palestiniennes sur notre sol.
Et malgré ce symbole, la France reste passive face aux attaques israéliennes contre les flottilles humanitaires dans les eaux internationales, y compris lorsqu’elles mettent en danger ses propres ressortissants.
La Global Sumud Flotilla a été attaquée par des drones dans la nuit du 23 au 24 septembre, au large de la Crète. Des bateaux ont été endommagés. Tandis que l’Italie et l’Espagne ont envoyé des frégates pour protéger la flottille, le gouvernement français reste silencieux. Autrement dit, le décalage entre les déclarations officielles et la réalité des actes souligne la responsabilité persistante de l’Hexagone dans ce génocide en cours.
Parce que Gaza est un génocide en direct
Le rapport publié le mardi 16 septembre 2025 par la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU a confirmé qu’un génocide a bien lieu à Gaza, établissant que quatre des cinq critères de la Convention de 1948 sont remplis :
« meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ».
La situation à Gaza n’est donc pas une « guerre » entre deux armées, mais la destruction systématique d’un peuple enfermé sur un territoire minuscule.
« La bande de Gaza est l’endroit le plus dangereux au monde pour un enfant. Et jour après jour, cette réalité brutale est renforcée. » – James Elder, porte-parole de l’UNICEF
Le blocus terrestre, maritime et aérien imposé depuis 2007, renforcé depuis le 7 octobre 2023, prive la population de nourriture, d’eau potable, de soins médicaux, d’électricité et de carburant. En mai 2025, l’OMS signalait que 94 % des hôpitaux avaient été détruits ou endommagés. Selon l’ONU, au total, 78 % des immeubles ont été partiellement ou totalement ravagés. Et près de 99 % des terres agricoles ont été anéanties, dans un contexte de famine critique.
« Un enfant sur cinq à Gaza souffre de malnutrition aiguë sévère, la forme la plus mortelle de la maladie. » – Catherine Russell, directrice générale de l’UNICEF
Le caractère inédit et insoutenable de cette situation est qu’il s’agit d’un génocide diffusé en temps réel : bombardements d’écoles, de camps de réfugiés, d’hôpitaux, images de familles entières décimées, diffusées sur les réseaux sociaux et dans les médias internationaux. Pourtant, malgré cette visibilité, la réaction des gouvernements occidentaux reste largement limitée à des déclarations symboliques.
Chaque jour d’inaction internationale ajoute de nouvelles victimes à une liste déjà interminable. Parler de Gaza n’est pas une option militante parmi d’autres : c’est un devoir face à l’inhumanité.
Parce que la France est directement impliquée dans le génocide
La reconnaissance de l’État palestinien n’a eu aucun impact concret sur la politique française. En septembre 2024, plusieurs mairies avaient choisi d’hisser le drapeau palestinien, initiative à laquelle le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau, s’était fermement opposé.
Au-delà de l’inaction institutionnelle, l’opinion publique reste divisée : la défense de Gaza est encore fallacieusement assimilée par beaucoup à une forme de terrorisme ou d’antisémitisme. Et contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement, la France est complice du massacre à Gaza, non seulement par son silence, mais aussi par sa participation matérielle à celui-ci.
Mensonges d’État : vente d’armes et de matériel militaire avérées
Malgré ses dénégations répétées, la France a continué de livrer armes et équipements militaires à Israël en pleine offensive sur des civils à Gaza. Selon le Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, la France a vendu environ 200 millions d’euros d’armes à Israël ces dix dernières années.
En 2023, les exportations d’armes françaises vers Israël ont atteint 30 millions d’euros, soit le double de 2022. À cela s’ajoutent 192 millions d’euros de biens à double usage (civil et militaire), contre 34 millions en 2022. En 2024, Israël a passé pour 27,1 millions d’euros de commandes d’armes françaises, un niveau record depuis 2017. Les livraisons effectives se sont élevées à 16,1 millions d’euros. Autrement dit, malgré le discours officiel, les flux d’armement vers ce pays dirigé par un gouvernement génocidaire continuent.
Le nouveau Premier ministre français, Sébastien Lecornu, anciennement ministre des Armées, a tenté de démentir plusieurs fois et avec insistance toute relation d’armement de la France avec Israël : « La France ne vend pas d’armes à Israël. Point », a-t-il déclaré le 11 juin 2025. Les exportations françaises vers l’État génocidaire ne concerneraient que des composants destinés aux systèmes de défense ou des pièces destinées à une réexportation ultérieure. Pourtant, les rapports et les données douanières israéliennes prouvent le contraire.
Amnesty International France a demandé la suspension de ces licences d’exportation, sans succès. La demande a été rejetée par le Premier ministre et la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en octobre 2024.
En juin 2025, Disclose et le média irlandais The Ditch ont révélé que la France s’apprêtait à livrer secrètement des équipements pour mitrailleuses à destination d’Israël. Des dockers de Fos-sur-Mer ont d’ailleurs bloqué l’exportation de 14 tonnes de pièces détachées, fabriquées par la société française Eurolinks.
La France, en tant que signataire du Traité sur le commerce des armes, a l’obligation de ne pas exporter de matériel susceptible de contribuer à un génocide, des crimes contre l’humanité ou d’autres graves atteintes aux droits humains. Or, des équipements français ont été utilisés dans des frappes israéliennes à Gaza, comme le largage de bombes de 900 kg sur des zones civiles.
Reconnaître l’État palestinien, mais laisser attaquer les flottilles : l’hypocrisie française
La reconnaissance de l’État palestinien par la France se veut un geste historique, mais elle révèle toute son hypocrisie quand on la confronte à l’inaction face aux attaques répétées contre les flotilles de la liberté (Freedom flotilla) pour Gaza. Depuis 2008, ces navires civils, chargés d’aide humanitaire et animés par un engagement pacifique pour briser le blocus sont régulièrement interceptés ou attaqués par Israël, parfois dans les eaux internationales.
La dernière en date, la Global Sumud Flotilla, a été visée le 24 septembre 2025 par des explosions et des drones au large de la Crète, mettant en danger des ressortissants de 44 pays. Le ministre de la Défense italien Guido Crosetto n’a pas tardé à réagir et a annoncé l’envoi d’une frégate militaire pour « d’éventuelles opérations de secours », suivi par le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez.
La France, quant à elle, ne fait rien pour protéger ses ressortissants. Comment prétendre défendre le droit international et les droits humains tout en abandonnant celles et ceux qui risquent leur vie pour acheminer vivres et médicaments à une population assiégée, affamée ? Sans protection des missions humanitaires, la reconnaissance d’un État palestinien n’est qu’un symbole creux, qui ne change rien à l’impunité israélienne ni au drame humanitaire vécu par les Gazaouis sous blocus.
Répression des manifestations pro-palestiniennes en France : entre interdictions, arrestations et atteintes aux libertés
Depuis octobre 2023, les rassemblements de solidarité avec la Palestine ont fait l’objet d’une réponse de plus en plus marquée des autorités françaises, suscitant des critiques d’ONG et de défenseurs des droits humains. Amnesty International a dénoncé dès octobre 2023 le télégramme du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin demandant aux préfets d’interdire toutes les manifestations pro-palestiniennes, jugeant cette mesure « une atteinte grave et disproportionnée » au droit de manifester pacifiquement.
Dans plusieurs villes, les arrêtés préfectoraux ont effectivement bloqué des rassemblements pourtant déclarés, sous le prétexte de « risques de troubles à l’ordre public », et les gardes à vue se sont enchaînées. Mais malgré les interdictions fréquentes et les arrestations, les mobilisations ont continué durant ces deux dernières années à travers la France, réunissant des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes. Il est important de préciser qu’interdire systématiquement ces manifestations, ou les criminaliser, constitue une violation du droit international. Le droit de réunion pacifique est protégé même sans déclaration formelle préalable, et toute restriction doit être justifiée par un risque sérieux, prouvé, et proportionné.
Parce que les multinationales françaises participent aussi à la colonisation
La complicité française ne s’arrête pas à l’État : plusieurs multinationales hexagonales profitent directement de l’occupation et de la colonisation. Parmi elles, on retrouve notamment AXA, dénoncée pour ses investissements dans onze entreprises d’armement impliquées dans le génocide. Alstom a participé à la construction du tramway de Jérusalem, reliant des colonies illégales à Israël et consolidant leur implantation. Carrefour entretient des partenariats avec des sociétés israéliennes fortement impliquées dans la colonisation, dont l’entreprise Yenot Bitan, qui exploite des supermarchés dans des colonies de Cisjordanie. Des produits Carrefour y sont vendus, malgré le caractère illégal de ces colonies selon le droit international. BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, Banque Populaire Caisse d’Épargne, figurent également parmi les institutions françaises épinglées pour leurs investissements dans des entreprises israéliennes liées à l’armée et à la colonisation.
Ces partenariats et investissements ne sont pas neutres : ils contribuent à normaliser et financer un système de dépossession illégal. Tant que ces entreprises n’y mettent pas fin, leur responsabilité dans le génocide de Gaza reste engagée.
Parce que ce n’est pas le 7 octobre 2023 que tout a commencé
Une mécanique bien huilée s’est mise en place depuis le 7 octobre 2023 : chaque fois qu’Israël commet une attaque meurtrière contre des civils palestiniens, responsables politiques et médias dominants brandissent immédiatement cette date. Mais si l’attaque du Hamas est évidemment atroce et doit être condamnée, elle ne peut en aucun cas justifier le bombardement d’écoles, d’hôpitaux, et le massacre de milliers d’enfants.
Aucune violation du droit international humanitaire ne peut en justifier une autre. Utiliser le 7 octobre comme alibi permanent revient à légitimer des crimes de guerre et à invisibiliser les dizaines de milliers de victimes palestiniennes qui ont suivi.
Il est aussi crucial de replacer ces évènements dans leur contexte historique. Parce que le drame ne commence pas en 2023 : il plonge ses racines dans 1948 et la Nakba, quand plus de 700 000 Palestiniens ont été expulsés de leurs terres lors de la création de l’État d’Israël – une décision soutenue par des puissances occidentales qui distribuaient des terres qui n’étaient pas les leurs. Depuis, occupation, colonisation et blocus se succèdent, installant une crise humanitaire et politique permanente.
Bien sûr, il n’est pas question de rayer Israël de la carte et de commettre ainsi un énième exil de générations d’innocents, mais bien de penser ouvertement un processus de réparation nécessaire. Depuis 1947, les Nations Unies évoquent une solution à deux États via un Plan de Partage qui pourrait concrétiser le début d’un long cheminement vers plus de justice et de paix.
Dès lors, défendre la Palestine aujourd’hui ne signifie pas « soutenir le Hamas », mais bien dénoncer plus de 75 ans d’injustice et de dépossession et appeler à une reconnaissance humaine. Assimiler cette solidarité au terrorisme ou à l’antisémitisme, c’est interdire tout débat critique et rendre l’opinion publique complice du silence qui entoure ces crimes.
Parce que la défense de la Palestine n’est pas de l’antisémitisme
Depuis des décennies, la défense des droits des Palestiniens est régulièrement criminalisée, en France comme ailleurs. Les manifestations, tribunes et actions de solidarité sont souvent taxées de « soutien au terrorisme » ou d’« antisémitisme », amalgamant systématiquement critique de la politique du gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou et haine des Juifs.
Or, dénoncer les bombardements de Gaza, l’occupation militaire ou le blocus n’a rien à voir avec l’antisémitisme : c’est exiger le respect du droit international et des droits humains fondamentaux. De nombreuses associations juives antisionistes, en France comme à l’étranger, rappellent d’ailleurs que l’instrumentalisation de l’antisémitisme pour étouffer la critique d’Israël met en danger la véritable lutte contre la haine des Juifs. Pour aller plus loin, vous pouvez (re)lire l’éclairage de notre journaliste française juive : « Je suis juive de France et je ne voterai pas RN ».
Cependant, il est tout aussi vrai que certains, en marge des mobilisations, ont instrumentalisé la cause palestinienne pour exprimer un antisémitisme réel, et cela ne peut en aucun cas être toléré. Confondre la critique d’un État et la haine d’un peuple est non seulement dangereux, mais renforce précisément la propagande de ceux qui cherchent à délégitimer toute solidarité avec les Palestiniens. Défendre la Palestine doit toujours s’accompagner d’une condamnation claire et absolue de toute forme de racisme, y compris l’antisémitisme.
Parce qu’on oppose Gaza aux autres drames du monde pour faire taire
« Pourquoi parler de Gaza et pas du Soudan ? Et le Congo ? Et l’Ukraine ? Et le Yémen ? ». Cet argument ressurgit systématiquement, comme un réflexe conditionné, dès que l’on dénonce les crimes commis à Gaza. Il s’agit d’une arme rhétorique bien connue : le whataboutisme. Plutôt que de répondre sur le fond, il consiste à détourner le débat en opposant des luttes entre elles.
Oui, il existe d’autres drames atroces. Oui, chacun d’entre eux mérite une mobilisation internationale. Mais dénoncer un massacre ici n’ôte rien à l’indignation que l’on peut éprouver ailleurs. Les luttes ne s’annulent pas : elles se renforcent mutuellement. On peut être à la fois contre l’invasion russe en Ukraine, révolté par les massacres au Soudan, préoccupé par la catastrophe humanitaire au Yémen, et engagé contre le blocus meurtrier de Gaza. Ce n’est pas une question de hiérarchie de la douleur, mais de cohérence morale.
Ce qui est plus troublant, c’est que ce type d’arguments provient souvent de personnes qui ne s’engagent pour aucune cause. Celles et ceux qui n’ont jamais levé le petit doigt pour l’Ukraine, ni pour le Soudan, ni pour le Yémen, trouvent soudain opportun de dénoncer une prétendue partialité… uniquement lorsqu’il s’agit de Gaza. Ce double discours en dit long : il ne sert pas à défendre d’autres victimes, mais à délégitimer la solidarité palestinienne. En d’autres termes, c’est une manière commode de justifier l’inaction et d’attaquer celles et ceux qui refusent de détourner le regard.
Attaquer les militant·es qui tentent d’agir, de témoigner et de mobiliser contre le massacre d’enfants sous les bombes et la famine relève d’une indécence morale inqualifiable. Personne n’est tenu de manifester ou de prendre la parole : le silence est un droit. Mais celles et ceux qui choisissent le cynisme, attaquant les personnes qui tentent d’interrompre l’indifférence complice, se placent – consciemment ou non – du côté de l’oppression.
En outre, derrière cet argument se profile l’idée que ceux qui dénoncent la situation à Gaza nourriraient une obsession contre Israël, voire contre les Juifs. Or, comme évoqué plus haut, l’histoire nationale et les liens socio-culturels façonnent nécessairement le sentiment de proximité avec tel ou tel conflit. Par ailleurs, le conflit israélo-palestinien a également connu ses heures d’invisibilisation et n’émerge aujourd’hui que sous l’effet de l’extrême violence déployée. Plus un conflit est tristement spectaculaire, plus ses enjeux géopolitiques deviennent grossiers et lisibles pour le grand nombre. À l’inverse, les guerres civiles aux intérêts imbriqués demeurent plus opaques et difficiles à investir éthiquement. Gaza, en revanche, a dressé le tableau sans équivoque d’une destruction totale.

Il ne s’agit pas ici de débats théoriques ni de statistiques désincarnées, mais de vies humaines, de familles anéanties, d’enfants ensevelis sous les décombres. Ces dizaines de milliers de victimes innocentes, que des médias-poubelles s’acharnent à déshumaniser jour après jour, méritent que l’on porte haut leur voix, que l’on expose l’horreur de ce qu’elles subissent. Railler ou mépriser les personnes qui se battent pour ces innocents ne dit rien de leur combat – mais tout de la lâcheté de celles et ceux qui se cachent derrière la critique facile.
– Elena Meilune
Photographie de couverture : @Ehimetalor Akhere Unuabona/Unsplash
The post Pourquoi parle-t-on (autant) de Gaza en France ? first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 25.09.2025 à 02:20
Non, la dette ne vient pas d’un excès de bureaucratie
Mr M.
Si la question de la dette préoccupe de plus en plus le champ politico-médiatique, les causes de cette situation ne sont cependant pas les mêmes, selon les observateurs. Là où la gauche pointe un déficit des recettes de l’État dû à des cadeaux aux plus riches, la droite et l’extrême droite remettent, elles, souvent la faute sur un surplus bureaucratique.
Puisqu’elle ne souhaite pas augmenter la fiscalité des plus fortunés, la frange libérale du milieu politique préfère détourner l’attention de ce sujet en accusant un excès d’administration en France. De la même manière qu’elle critique en permanence les fonctionnaires, elle tente ainsi de jeter l’opprobre sur l’intégralité du système public français, avec en ligne de mire, la privatisation massive et la dérégulation des normes.
Des coupables volontairement obscurs
Parler d’administration et de bureaucratie est déjà un concept suffisamment flou pour semer la confusion. Tous les fonctionnaires sont en effet loin d’exercer dans ce type de branche. Difficile par exemple, de coller cette étiquette à des professeurs, des infirmières ou encore des pompiers dont la France manque cruellement.
« il est assez facile et démagogue de taper sur un employé au rôle obscur qui passerait ses journées dans un bureau à produire une tâche inutile »
Et c’est d’ailleurs bien pour cette raison que les libéraux restent volontairement ambigus sur le sujet. S’il est assez facile et démagogue de taper sur un employé au rôle obscur qui passerait ses journées dans un bureau à produire une tâche inutile, il est, en revanche, bien moins populaire d’affirmer qu’il y aurait trop d’agents dans l’éducation, la santé, ou d’autres services publics.
Alors que la droite souhaite bien réduire l’ensemble des fonctionnaires dans tous les domaines, elle préfère cependant pointer du doigt une petite partie d’entre eux qui n’aurait aucune raison d’exister et qui pèserait beaucoup trop sur le budget de la France.
L’administration coûte-t-elle vraiment un « pognon de dingue » ?
Étant donné que cette catégorie de « bureaucrate » n’a pas vraiment de réalité aux contours précis, il demeure difficile de mesurer son implication financière. Certains ont par exemple dénoncé le « millefeuille administratif » avec des compétences qui seraient redondantes au sein de l’État et des collectivités avec un coût estimé à 7,5 milliards.
S’il existe sans doute des lourdeurs administratives et des postes à simplifier, il reste cependant très compliqué de l’évaluer avec exactitude. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il est faux de laisser penser que la bureaucratie ne serait qu’un ramassis de gens payés à rien à faire dont le travail n’aurait aucune espèce d’importance.
Un rôle indispensable
À l’instar des attaques permanentes contre les fonctionnaires, ce genre de poncif repose sur un anti-intellectualisme qui voudrait que seuls les emplois manuels soient un « vrai travail » et que les individus exerçant dans un bureau passent leurs journées à ne rien faire.
Pourtant, toute société moderne a besoin d’une administration pour de nombreuses tâches indispensables. Ainsi, le respect des lois et des règles (et en conséquence la démocratie), la structuration et le financement des services publics, la planification de l’avenir collectif, la redistribution des richesses, la protection des citoyens, ou encore la transparence et la conservation sont autant de missions nécessaires remplies par la bureaucratie.
Retour aux pouvoirs privés ?
Or, s’attaquer à cette frange du pays, par exemple, en réduisant le nombre d’individus au service de l’État, c’est inévitablement dégrader la qualité des services publics. Si une certaine bureaucratie est souvent pointée du doigt, ce n’est sans doute pas parce qu’elle « paie des gens à ne rien faire », mais au contraire en raison d’un manque de moyens et donc d’efficacité.
« Qui pourrait ainsi souhaiter que des sociétés à but lucratif soient aux manettes concernant nos prestations nationales ? »
De plus, si ces tâches indispensables ne sont plus assumées par la France, elles le seront par des organismes privés, ce qui pourrait poser de multiples problèmes à un niveau démocratique. La privatisation massive de la bureaucratie consiste, en effet, en un retour au système médiéval féodal où des seigneurs avaient la responsabilité d’administrer un territoire sous leur contrôle. Qui pourrait ainsi souhaiter que des sociétés à but lucratif soient aux manettes concernant nos prestations nationales ?
À l’inverse, l’administration publique, établie avec des règles communes, permet de conserver un rôle de protection et de transparence face aux entreprises dont le profit reste la principale boussole. De fait, la bureaucratie, au même degré que tous les autres services publics, mériterait d’être améliorée pour devenir plus efficace, et non pas d’être déconstruite pour revenir moins cher. Par conséquent, la solution de la droite de « faire mieux avec moins » apparaît encore et toujours comme contre-productive.
Un coût indirect pour les entreprises ?
Par ailleurs, on a aussi souvent pu entendre, dans la bouche des libéraux, que l’administration déposséderait le pays de 3 et 4 % de son PIB. Or ces calculs, réalisés au sein d’une étude de la non moins libérale OCDE, sont basés sur le manque à gagner que les sociétés privées subiraient à cause de l’administration et non pas sur son poids budgétaire pour la France.
Pour obtenir ce chiffre, on s’est ainsi contenté de multiplier le temps nécessaire pour faire une tâche administrative par le coût horaire des employés dédiés à cet effort. Ces données n’ont donc d’abord rien à voir avec l’administration publique et permettent d’entretenir une confusion dans la tête des observateurs les moins avisés.
On peut de surcroît remettre en cause sa pertinence, puisqu’une affaire administrative n’est pas forcément négative pour une entreprise, y compris d’un point de vue financier. Remplir par exemple des demandes d’aides aux sociétés ou d’indemnisation rapporte, au contraire, de l’argent.
Objectif démolition des normes
De fait, lorsque les libéraux réclament moins d’administration, ce n’est en aucun cas pour acquitter l’État d’une charge financière, mais bien pour affranchir les sociétés et le patronat de contraintes qui les empêchent de générer plus de bénéfices.
De cette façon, derrière une diatribe populiste « anti-bureaucratie » et anti-fonctionnaires, se cache une gigantesque « chasse aux normes ». Pour « simplifier » ou « libérer les énergies », il faudrait ainsi renoncer à tout un tas de lois qui existent pourtant souvent pour de bonnes raisons, comme protéger les salariés, l’environnement ou les consommateurs. Autant de marqueurs du bien commun qui sont assimilés à des freins aux profits par certains entrepreneurs.
Les plus riches, toujours les grands gagnants
Que ce soit par la privatisation, la destruction des normes, la stigmatisation des « bureaucrates » ou des fonctionnaires, l’objectif est toujours le même : enrichir les plus fortunés. C’est d’ailleurs précisément pour ce motif que les raisons réelles de l’augmentation de la dette française ne sont jamais pointées du doigt.
Quand le macronisme préfère s’attaquer aux services publics, aux retraites, à l’assurance maladie, aux chômeurs ou aux immigrés, c’est bien pour ne pas désigner l’éléphant présent au milieu du couloir : la diminution constante des recettes de l’État.
Des centaines de milliards qui partent en fumée
Ainsi, depuis l’accès au pouvoir d’Emmanuel Macron, les allègements d’impôts pour les plus grandes fortunes ainsi que les aides et exonérations pour les sociétés n’ont cessé de se multiplier. Attac estime même le préjudice à 450 milliards de recettes en moins depuis l’arrivée du fondateur d’En Marche à l’Élysée. Quant aux soutiens aux entreprises sans aucune contrepartie, ils forment un trou de pas moins de 211 milliards par an. Un état de fait auquel les libéraux n’ont aucun autre argument à opposer que le sempiternel « la France est déjà championne des prélèvements obligatoires », prétexte démonté par un précédent article de Mr Mondialisation.
À ce tableau consternant, on peut ajouter les chiffres de l’évasion fiscale qui est estimée en France entre 80 et 120 milliards d’euros par an. Un phénomène contre lequel les partisans du capitalisme ne font pas grand-chose, au contraire, puisqu’ils ont même réduit l’administration de contrôle dans le domaine (il s’agit ici sans doute de la fameuse lutte contre la « bureaucrate inutile »…). Et c’est sans compter l’optimisation fiscale qui reste, elle, légale, mais contre laquelle le gouvernement ne fait rien non plus.
Une dette nécessaire
On l’aura compris, face à ces chiffres colossaux, le poids de la « bureaucratie » ne représente pas grand-chose. Et si cette comparaison met au jour la malhonnêteté de l’argumentation libérale, elle peut aussi permettre de saisir que les dépenses publiques restent essentielles et qu’elles pourraient être financées sans problème, à condition que chacun contribue réellement à hauteur de ses moyens.
En outre, la dette en soi n’est pas forcément néfaste, tant qu’elle demeure en dessous d’un certain seuil (ce qui est largement le cas actuellement, puisque les actifs de l’État français sont bien supérieurs). Plus encore, elle est même nécessaire pour entretenir nos services publics.
Par ailleurs, au-delà des absurdes parallèles entre dette nationale et PIB dont nous abreuvent les éditorialistes des médias de masse, l’emprunt, au contraire de l’austérité budgétaire, est sans aucun doute une façon d’investir dans des besoins indispensables et sur l’avenir des citoyens français (notamment écologique). Et le procédé n’a rien d’insoutenable, seulement si les plus fortunés rendent enfin une part de la richesse obtenue sur le dos des salariés.
– Simon Verdière
Image d’entête @Pavel Danilyuk/pexels
The post Non, la dette ne vient pas d’un excès de bureaucratie first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 24.09.2025 à 06:00
La proportionnelle est-elle vraiment plus démocratique ?
Mr M.
L’idée du retour du scrutin proportionnel revient souvent sur le devant de la scène pour élire les députés français. Or, si ce mode de désignation peut séduire sur le papier, il reste encore à préciser sa structure exacte et à entamer une réflexion plus globale autour de sa mise en place.
L’Assemblée nationale n’est sociologiquement et politiquement pas représentative du peuple français. Pour remédier à ce problème, il peut être plébiscité un retour au vote à la proportionnelle pour les élections dites « législatives ». Décryptage des avantages et inconvénients de cette solution qui peut avoir plusieurs formes.
Comment marche notre système actuel ?
Dans le fonctionnement présent, les députés français, chargés de créer les lois, sont élus au sein de circonscriptions, morceaux de territoires français découpés arbitrairement par l’État. En fonction de sa population, un département peut comporter plus ou moins de circonscriptions. Dans le pays, il en existe ainsi 577, correspondant à autant d’élus.
Pour chacune d’entre elles, plusieurs binômes se présentent devant les Français, l’un postulant pour une place de député titulaire et l’autre de suppléant. Le second est alors chargé de remplacer le premier en cas d’incapacité.
Pendant les « législatives », les citoyens peuvent choisir un duo durant le premier tour. À l’issue de celui-ci, si personne n’est directement désigné, tous les candidats ayant obtenu au moins 12,5 % des votes des Français inscrits ont le droit de se présenter au second tour. Si aucun d’entre eux n’y parvient, alors seuls les deux premiers binômes sont qualifiés d’office.
Les petits partis lésés
Or, en procédant ainsi, hormis certains particularismes locaux, en particulier en outre-mer, les gros partis raflent la quasi-intégralité des sièges. De ce fait, les citoyens qui optent au premier tour pour des petits mouvements ou des indépendants se trouvent obligés de trancher entre les postulants du second tour et peuvent ne pas se sentir représentés.
L’impression de voir sa voix « se perdre » peut ensuite frustrer les électeurs, ou les conduire à des choix de raisons, notamment le fameux « vote utile » consistant à ne pas retenir son concurrent préféré, mais plutôt un autre moins proche de ses idées, mais qui a plus de chance de l’emporter selon les sondages.
La proportionnelle en solution miracle ?
Avec la proportionnelle, ce problème n’existe plus vraiment, au premier abord, puisqu’il s’agit tout bonnement de soutenir une liste de 577 candidats. Si cette liste obtient 10 % des suffrages, alors 10 % des députés en seront issus. C’est aussi simple que cela. Tout au moins sur le papier.
Car l’organisation décrite ici repose sur une proportionnelle nationale intégrale. Or, non seulement ce n’est pas la seule proportionnelle possible, mais elle n’offre pas que des avantages. D’abord parce qu’elle met fin aux représentations locales. En effet, avec le système actuel, les députés doivent être issus d’un département. Avec une proportionnelle à l’échelle du pays, rien n’empêche un parti de choisir 577 postulants parisiens. De plus, cette manière de faire éliminerait tout mouvement incapable de trouver 577 candidats. Un coup fatal aux indépendants et aux micros-partis.
Des mécanismes parfois peu représentatifs
En outre, certains mécanismes plus discutables peuvent être mis en place. Aux élections européennes, par exemple, ce type de scrutin existe déjà, mais, en France, toutes les listes ayant récolté moins de 5 % des voix sont disqualifiées, ce qui, de fait, favorise une nouvelle fois les gros partis.
Par ailleurs, certains mouvements, comme le Rassemblement National, réclament la création d’une prime majoritaire pour construire des majorités solides. Ainsi le groupe qui arriverait en tête décrocherait un nombre bonus de députés afin d’obtenir 50 % de l’hémicycle et pouvoir diriger le pays sans entrave.
Une prime à la politique molle ?
Il est vrai que dans l’état actuel des choses, personne n’est capable de conquérir 50 % des sièges du Palais Bourbon à lui seul, ce qui constitue un obstacle certain pour gouverner. Si l’on se fie aux forces en présence, ce mode de scrutin obligerait donc les partis à former de grandes coalitions avec d’autres qui ne partagent pas du tout les mêmes idées.
De fait, il devient alors presque impossible de voir émerger des politiques radicales de rupture avec le système présent. À l’inverse, on se dirigerait plutôt vers une ligne tiède qui conduirait sans doute à une certaine forme d’immobilisme. Une situation qui pourrait aussi inciter la droite à s’allier avec l’extrême droite, comme on a pu le constater à de multiples reprises.
Une proportionnelle plus fragmentée ?
François Bayrou, ancien premier ministre, souhaitait, quant à lui, voir revenir un processus déjà testé en 1986, celui de la proportionnelle départementale.
Ainsi, chaque département élirait un nombre de députés correspondant à la masse de sa population. Or, en utilisant une échelle aussi faible, on retrouverait certes une représentativité locale, mais on éloignerait à nouveau les petits partis de l’assemblée.
Il y aurait, de plus, une prime certaine aux mouvements solides dans les zones avec peu d’habitants, comme le Rassemblement National. Ainsi un département comptant un seul député serait représenté uniquement par le candidat arrivé en tête. À l’inverse, un département très peuplé, et donc avec beaucoup d’élus, aurait plus de parlementaires de différentes couleurs.
De nouvelles circonscriptions ?
D’autres mouvements, comme la France Insoumise, préconisent des échelles plus grandes, comme celle de la région, ce qui permettrait de conserver une certaine représentativité géographique, mais aussi de la nature du vote. Pour autant, là encore, il existe une disparité démographique forte entre les régions administratives.
La proportionnelle s’appliquerait ainsi de manière très différente entre l’île de France et ses 12 millions d’habitants et la Corse qui n’en compte que 300 000. Dans le premier cas, on élirait, en effet, 97 députés, quand dans le second on en aurait seulement 4. Un contraste qui pourrait engendrer un nouveau « vote utile » dans certains cas puisque les petites listes n’émergeront plus.
La solution pourrait en réalité venir, comme le préconisent certains chercheurs, dans la création de circonscriptions inédites à populations équivalentes avec une échelle suffisamment importante pour qu’il puisse exister une certaine proportionnalité. Pour ce faire, il deviendrait nécessaire d’ignorer le découpage administratif actuel tant il comporte une forte disparité démographique.
Et si la solution n’était pas dans la proportionnelle ?
On l’aura compris, le scrutin proportionnel est loin d’être un aboutissement démocratique miracle au manque de représentativité à l’Assemblée nationale. D’un point de vue sociologique, elle ne construit par exemple pas un parlement à l’image du peuple français que ce soit en matière de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle ou encore de minorités.
En outre, même si elle aurait l’avantage de ne plus confier le pouvoir à un seul parti, la culture du compromis qu’elle impose aurait cependant une fâcheuse tendance à figer la société actuelle à l’opposé des aspirations de changements radicaux d’une bonne partie de la population.
Vers une démocratie plus directe ?
En somme, la proportionnelle conserve les mêmes défauts que comporte tout système de démocratie dite « représentative ». D’autres processus ont pourtant déjà été imaginés et mériteraient sans doute d’être étudiés.
On peut ainsi penser à la démocratie liquide qui consiste à laisser le choix à un citoyen de voter lui-même les lois ou bien de s’en remettre à un délégué. Ce délégué décide alors de voter lui-même ou d’offrir sa voix à un autre délégué. En bout de chaîne, les délégués qui ont reçu le plus de confiance bénéficient d’un poids supérieur aux autres dans la construction de la loi.
Un système qui demanderait sans aucun doute une organisation distincte que celle des délibérations en hémicycle physique, puisqu’à l’instar d’un référendum, il pourrait potentiellement regrouper des millions de Français.
L’une des solutions les plus crédibles, démocratiques et simples à mettre en place résiderait peut-être dans le tirage au sort ciblé. Un pourcentage de citoyens sociologiquement proches du peuple français serait désigné pour bâtir une assemblée la plus fidèle possible.
Une idée, cependant, encore loin d’être à l’ordre du jour même si l’expérimentation de la Convention citoyenne pour le climat avait fait ses preuves, avant d’être balayée par le pouvoir en place.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Panorama de l’hémicycle de l’Assemblée nationale réalisé avec des photos prises en septembre 2009. Wikimedia.
The post La proportionnelle est-elle vraiment plus démocratique ? first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 23.09.2025 à 12:36
Bogotá : après la violence, la capitale colombienne renaît
Mr M.
Si la capitale colombienne peut évoquer la criminalité, l’engagement de ses habitant·es démontre à quel point Bogotá s’engage sur la voie d’un avenir plus serein qu’hier. La photo-journaliste Pascale Sury y a rencontré Andrea Defrancisco et Cristian Jean Pierre Melo, deux colombien·nes décidé·es à y faire vivre des initiatives collectives culturelles. Reportage.
À Bogotá, la prudence reste de mise : les habitant·es rappellent volontiers aux visiteur·euses de rester vigilants, d’éviter certaines rues ou de ne pas exhiber d’objets de valeur. Pourtant, derrière cette réalité persistante, la capitale colombienne révèle aussi un visage en mutation. Tandis que les violences les plus graves et le sentiment d’insécurité reculent, des initiatives culturelles et inclusives émergent avec force. Rencontres avec des acteur·ices locaux qui réinventent le lien social, en misant sur l’art, l’écologie et l’accessibilité.
Latin Latas : mettre les déchets en musique
La maison Latin Latas est un petit centre culturel de quartier qui a vu le jour grâce au dynamisme d’Andrea Defrancisco. Andrea, 45 ans, a décidé de conjuguer sa passion (la musique) et ses convictions socio-politiques pour en faire un métier.
Au contact de jeunes défavorisés de la capitale, elle a voulu donner du sens à son talent musical en recyclant les déchets des poubelles de Bogotá et en construisant des instruments de musique à partir de ceux-ci.

Plus qu’un lieu culturel, Latin Latas mène un travail communautaire et social auprès des publics fragilisés. C’est aussi devenu un vrai groupe de musique de quatre personnes qui parcourent le monde pour sensibiliser sur des thèmes comme la consommation responsable, la défense des droits des animaux, les semences, l’eau, le vélo…
Avec l’art et la musique, le message qu’ils veulent faire passer au monde est : « Prendre soin de la vie » ! et d’éloigner un maximum de jeunes du recours à la criminalité.
Sin palabras : Un café pour personnes malentendantes.
Quelques rues plus loin, se trouve un café à destination de personnes sourdes et muettes. C’est une première en Colombie et le sixième dans le monde (après l’Angleterre, l’Espagne, la France, le Canada et le Nicaragua). Selon l’Institut national pour sourds, 1% de la population colombienne est atteinte de surdité, soit environ 495 880 personnes.

Cristian Jean Pierre Melo a décidé de se lancer dans l’aventure en 2017, et le succès fut dès le début au rendez-vous :
« il y a énormément de personnes sourdes qui viennent, mais également beaucoup de gens valides qui sont heureux d’en apprendre plus sur la vie des personnes malentendantes. Et, cette fois, ce sont les personnes valides qui doivent s’adapter au monde de la surdité et pas l’inverse ! »
Dans ce café nommé Sin palabras (en français « sans paroles »), il y a un interrupteur à côté de chaque table pour signaler au serveur que l’on est prêt à passer sa commande. Un vrai bol d’air pour les personnes qui peinent souvent à bénéficier de structures adaptées.

À Bogotá, de nombreuses initiatives témoignent d’une transformation sociale portée par un dynamisme culturel, collectif et inclusif. Des projets comme Latin Latas et Sin Palabras illustrent cette volonté de recréer du lien à partir de l’art, de l’écoute et du soin apporté à l’autre. Ce mouvement s’inscrit dans un contexte plus large : des programmes comme Es Cultura Local soutiennent des centaines d’initiatives de quartier, tandis que la Biennale BOG25 annonce un dialogue ambitieux entre art et espace urbain.
Ce renouvellement culturel prend également forme dans des lieux accessibles et ouverts comme le Centro Felicidad Chapinero, ou dans des appels à projets citoyens comme le Prix de la culture citoyenne 2025, qui valorise l’engagement local autour des droits, de l’écologie ou du vivre-ensemble. Malgré les tensions et inégalités encore présentes, ces dynamiques offrent des points d’appui concrets pour penser une ville plus inclusive et participative. Loin d’être anecdotiques, elles peuvent inspirer d’autres lieux en quête de résilience et de justice sociale.
– Pascale Sury & Mr Mondialisation
Photo de couverture : Pascale Sury / Mr Mondialisation
The post Bogotá : après la violence, la capitale colombienne renaît first appeared on Mr Mondialisation.