Le blog de Tagrawla Ineqqiqi
Je laisse traîner ici mes notes. Notes pour mes prochains livres ou mes prochains spectacles, fiches de lecture, de visionnage de films ou de série et quelques exutoires, coups de gueule et coups de hache.
Publié le 21.11.2024 à 14:08
Blizzard of Souls – Film letton
Publié le 19.11.2024 à 11:30
Publié le 19.11.2024 à 09:28
Publié le 16.11.2024 à 11:22
Publié le 22.12.2023 à 10:43
Il est où le patron ? ou le féminisme contre-productif
Publié le 17.12.2023 à 10:33
Billy Elliot, film social, très social.
Publié le 21.11.2024 à 14:08
Blizzard of Souls – Film letton
Blizzard of souls en anglais, Dvēseļu putenis en letton, ce qui signifie Blizzard des âmes, mais parce qu’en France, on a un talent rare pour être à côté, le titre français est Tireur d’élite alors que ça n’est pas du tout l’histoire d’un tireur d’élite, est un film de guerre letton de 2019 et pour ma part, c’est la première fois que je vois un film letton.
Avec cette adaptation d’un roman très autobiographique de Aleksandrs Grīns, on va suivre le jeune Arturs qui, à peine âgé de 17 ans, s’engage en 1915 dans l’armée du Tsar pour combattre celle du Kaiser après qu’un soldat allemand a tué sa mère. Rien de follement original, certes, mais un traitement letton de la Première Guerre Mondiale, des tranchées à l’arrivée de Lénine, ça, ça l’est vu de chez nous. Ça m’a beaucoup rappelé l’excellent roman Le Don paisible : l’histoire est très proche, ce qui est historiquement très logique, même si les deux récits ne se déroulent pas dans la même zone géographique de ce qui est alors en train de devenir l’URSS. Ici, ces événements historiques se déroulent à la hauteur d’un très jeune homme. On n’atteint pas l’insoutenabilité de Requiem pour un massacre, ce qui rend ce film beaucoup plus facile d’accès. La photographie, très belle, tranche étrangement avec l’horreur de ce qu’elle montre, et si dans l’ensemble Blizzard des âmes (je me refuse à utiliser le titre français qui est un non-sens) n’est pas un chef d’œuvre, ça reste un bon film de guerre, ambitieux, avec un personnage attachant, un regard sur l’histoire qu’on aurait aimé plus fouillé mais c’est au moins une bonne entrée en matière pour qui voudrait ensuite aller plus loin et ça m’a donné envie de me pencher plus sérieusement sur la littérature et le cinéma letton ce qui est déjà pas si mal.
Outre le fait que c’est la première fois que je vois un film letton, c’est aussi la première fois que je vois le nom de tous les figurants- et il y en a beaucoup ! – au générique. A noter que le film n’est pas tourné en prise de son directe, ce qui peut être un peu perturbant pendant le premier quart d’heure, puis on s’y habitue sans problème.
Je recommande donc aux curieux de jeter un coup d’œil à ce film, et aussi une oreille, le letton n’étant pas une langue qu’on entend souvent.
Publié le 19.11.2024 à 11:30
Reprise par le Monde et le Courrier Internationale, l’information a d’abord paru dans la presse algérienne. Saâda Arbane, jeune femme algérienne vivant à Oran, a eu pour psychiatre l’épouse de Kamel Daoud, dont le dernier roman reprend beaucoup trop d’éléments de sa vie pour que ça puisse être fortuit : « les cicatrices sur son cou, l’appareil respiratoire fixé à sa gorge, les tatouages sur son corps, la tentative d’avortement, le salon de beauté, le lycée Lotfi, la nature de sa relation avec sa mère, l’opération qu’elle devait subir en France et la pension qu’elle reçoit. »
Aucun écrit ne sort de nulle part : l’imagination s’appuie toujours sur un minimum de réel et en soi, ça n’est pas un problème. Mais il y a tout de même une grosse différence entre remanier le réel et s’appuyer sur un récit fait dans le cadre d’une thérapie. On a là une rupture de confiance très grave, surtout dans un pays où appeler la guerre civile une guerre civile est interdit, et où il est dès lors extrêmement compliqué pour les victimes d’envisager de se confier.
Bien évidemment, le pouvoir algérien n’est que trop heureux de pouvoir taper sur Daoud – dans des termes assez lamentables d’ailleurs. Mais peut-on vraiment défendre quelqu’un qui use d’un procédé aussi abject ? On espère en tout cas que son épouse ne trouvera plus de patient.
On imagine bien qu’un pays qui a interdit le patron de l’ONU de séjour sur son sol et qui n’a jamais respecté la moindre résolution va immédiatement se plier à cette injonction à respecter des sites historiques. On se souvient de l’émotion internationale suscitée par la destruction de Palmyre par d’autres intégristes pour continuer à mesurer l’ampleur de l’impunité dont bénéficie le pays qu’on ne peut pas critiquer.
« Un débat au Parlement »
Non, en fait, rien.
Publié le 19.11.2024 à 09:28
Si vous n’avez jamais lu Jørn Riel, je ne peux que vous conseiller de commencer par le début de son œuvre et de vous précipiter d’abord sur La Vierge froide et autres racontars : c’est beaucoup plus amusant et autant commencer par le versant amusant de l’auteur.
Si vous le connaissez déjà, en voyant son nom vous avez immédiatement pensé froid polaire, traineaux et trappeurs. Remballez vous fourrures et laissez vos kamiks, optez plutôt pour un étui pénien ou une ceinture de fibres selon votre équipement personnel : l’auteur danois nous embarque cette fois dans la jungle de Nouvelle-Guinée, chez ceux que les blancs ont appelé les Papous.
En nous narrant l’histoire de Lalu, jeune femme métisse élevée loin des blancs qui se prennent pour de gens civilisés mais qui va se retrouver dans une petite ville, c’est bien de colonialisme et de choc culturel que Riel va nous parler. Et nous sommes très loin des ses amusants racontars. C’est un petit livre qui se lit très vite, mais je reste épatée de tout ce qu’il peut nous raconter le plus simplement du monde en si peu de pages. Sans réaliser une ethnographie complète, il nous donne suffisamment d’éléments pour qu’on puisse aborder les cultures de ces peuples, des multiples langues et des très nombreux tabous qu’on rencontre sur l’île. Et surtout, il parvient à éviter les principaux écueils de ce type de récits : il ne sombre absolument pas dans le mythe raciste du « bon sauvage », il ne romantise pas, il regarde en face ce que ces sociétés natives peuvent aussi avoir de problématique – sans surprise : la place des femmes est épouvantable – mais il ne les regarde pas non plus comme des sauvages sans culture, barbares, comme des êtres qu’il faudrait civiliser parce que certains pratiquent le cannibalisme rituel. Après tout, ceux qui prétendent les civiliser ne ritualisent pas moins un cannibalisme mal assumé tous les dimanches matins, ça n’est qu’un élément de culture parmi d’autres.
Au fond, Riel nous parle de la fin d’un monde, ce que les colonialismes – la Nouvelle-Guinée a été colonisée deux fois, d’abord par les Hollandais puis par les Indonésiens – n’ont pas détruit, le tourisme finira de s’en charger. La Faille n’est donc pas un de ces recueils de Riel qu’on (re)lit pour rire un bon coup, c’est une histoire profondément triste, profondément belle, mais ça reste une œuvre de Jørn Riel et comme telle, le besoin fondamental de liberté reste le thème sous-jacent à tout le reste.
Publié le 16.11.2024 à 11:22
Et voilà : je suis punie, je ne peux plus utiliser les réseaux sociaux. En fait, le seul que j’utilisais encore exige un selfie vidéo pour justifier de mon identité, et c’est absolument hors de question que je le fasse. Il est inutile que j’aille m’inscrire sur une autre plateforme : les gens que je connais ne s’y trouvent pas et n’iront pas parce que j’y suis.
La seule solution qu’il me reste pour continuer de diffuser mes revues de presse est donc ce blog : j’y publierai une revue de presse quotidienne et mes habituelles bêtises, en espérant, sans trop y croire néanmoins, que certains viendront commenter ici afin de rester en contact, et surtout comme seule façon de garder un endroit où l’on peut me joindre en ligne.
Je sens déjà que vous allez me manquer…
Publié le 22.12.2023 à 10:43
Il est où le patron ? ou le féminisme contre-productif
On m’a offert cette BD qui parle des femmes en agriculture et j’étais super-contente parce qu’il y a peu de BD qui parlent de l’agriculture, et encore moins des femmes du milieu. Et puis je l’ai lue et j’étais tout de suite vachement moins contente.
En réalité, c’est surtout une BD qui parle des hommes qui sont dans leur intégralité des salauds dont l’unique but sur terre est d’empêcher les femmes d’exister et d’apprendre. Et j’insiste autant que la BD : l’intégralité. Tous les personnages masculins sont d’horribles machos qui ne comprennent rien à rien, qui retirent les outils des mains des femmes pour qu’elles n’apprennent pas à s’en servir, qui ne se réservent que les tâches supposées valorisantes, qui n’interviennent jamais sur les mises bas parce que « c’est un travail de femme », qui ne savent pas débarrasser une table, qui ne s’occupent jamais des enfants et qui font sans arrêt d’insupportables remarques sexistes. Tous. Et la seule solution, d’après cette BD, c’est de faire sécession et de ne plus travailler qu’en non-mixité.
Des boulots, j’en ai fait plein, de plusieurs sortes. En bureau, dans le social, dans la grande distribution, liste non-exhaustive, et partout, j’ai dû me bagarrer en tant que femme. C’est sans doute d’ailleurs ce qui a participé à ce que je ne trouve jamais tout à fait ma place dans ces milieux. Et puis j’ai atterri en élevage. Et c’est là que je suis restée le plus longtemps, parce que j’adorais ça et aussi parce qu’enfin j’ai pu cesser de me bagarrer. Certes, à l’occasion, j’ai pu voir des individus archaïques qui faisaient des remarques déplaisantes. Je les rembarrais et on ne les y reprenait plus. D’autant qu’en général les patrons en rajoutaient une couche : un bon patron n’aime pas qu’on fasse chier sa salariée et quasi tous les éleveurs pour qui j’ai bossé auraient été horrifiés qu’on dise d’eux qu’ils étaient de mauvais patrons. C’était une question d’honneur pour eux. Dans l’ensemble, j’ai surtout eu des patrons mâles qui m’ont collé dans les mains des outils dont je ne savais absolument pas me servir et qui insistaient : tant pis si je faisais des conneries, c’est comme ça qu’on apprend. Et avec mes deux mains gauches, des conneries, j’en ai fait. Plein. Et le lendemain on me recollait le même outil dans les mains. En se moquant un peu, mais pas parce que je suis une femme, juste parce que je faisais des conneries. J’ai vu des grands-pères apprendre à leurs petites-filles à labourer, je vois encore un paquet de pères aller chercher les mômes à l’école, quitte à y aller en tracteur, et des maris débarrasser la table après le casse-croûte. Quant aux vêlages sur lesquels il fallait intervenir, c’était souvent les hommes qui le faisaient. La BD ne parle que d’éleveurs et éleveuses de chèvres et de moutons, l’écart peut venir de là sur ce point : c’est une réalité, les bovins sont de bien plus grosses bestioles, et s’il faut intervenir vite, si on n’a pas le temps d’aller chercher la vêleuse (un outil qui aide à démultiplier la force) alors oui, effectivement, j’ai beau être costaude, je n’avais pas forcément assez de force, pas plus que mes patronnes, et mieux valait qu’un mâle plus balaise s’en charge.
Je pourrais lister sur des pages les exemples d’une féminisation de l’élevage qui avance bien. Les vétérinaires rurales ici sont toutes des femmes. Je n’ai jamais entendu personne s’en plaindre. J’ai bossé pour un groupement d’employeurs agricole dirigé par une femme qui a imposé par statut la parité dans le conseil d’administration. Jamais entendu de récrimination à ce sujet. Récemment, j’ai vu un agriculteur qui a poussé la presse locale à faire un article sur une (très) jeune femme mécanicienne agricole parce qu’il trouvait ça important de montrer que ça change. Salaud.
Alors oui, en effet, les agriculteurs du coin ont une tendance marquée au paternalisme. C’est même pour ça qu’ils aiment bien nous apprendre à nous servir de ceci ou cela. Sauf qu’ils font exactement la même chose avec leurs jeunes salariés masculins. Le plus macho des patrons que j’ai eu s’est pavané le jour où il a dû se faire remplacer suite à une opération : il était fier de dire partout qu’il avait laissé son exploitation entre les mains d’une jeune femme. Si sa réaction est quelque peu discutable, on voit qu’au fond il avait bien compris qu’il était temps de laisser la place aux femmes.
Je ne doute pas une seconde qu’il y ait des femmes en agriculture qui ont pu en chier plus que moi : il y a des abrutis partout, c’est même sans doute la seule chose bien répartie sur la planète. Il est très possible qu’une femme qui souhaite s’installer seule se confronte à des vieux relents sexistes moisis. Ça n’a rien de spécifique à l’agriculture, j’ai vu la même chose dans des formations organisées par une Chambre des Métiers. Que les choses n’avancent pas assez vite, c’est un fait, mais ça n’a absolument rien à voir avec le monde agricole spécifiquement. Que tous les hommes soient des salauds incapables de réfléchir à ces questions, non. Juste non. Ou alors, c’est que j’ai passé ces dix dernières années sur une autre planète. Et certes la Bretagne a ses spécificités, mais je ne crois pas qu’elle soit particulièrement plus progressiste que la moyenne, et jusqu’à preuve du contraire, elle est bien sur terre.
Pour conclure, si vous voulez dégoûter à jamais les femmes de l’agriculture, offrez-leur cette BD. Comme ça c’est sûr, ça restera un milieu d’hommes. Mais si vous êtes une femme qui veut se lancer dans le milieu : juste, allez-y. Rembarrez et fuyez les cons là comme ailleurs et rassurez-vous : des alliés, vous y en trouverez de tous les genres.
Publié le 17.12.2023 à 10:33
Billy Elliot, film social, très social.
Billy Elliot est un film qui a plus de vingt ans, mais je viens seulement de le découvrir.
Sur le papier, c’est l’histoire d’un fils de mineur qui veut apprendre la danse, mais son père veut qu’il fasse de la boxe, et pas ce truc de fille. Mais en réalité, c’est un film qui parle de la brutalité de la politique de Thatcher, de la désindustrialisation, de la misère, des représentation de genre, de la répression syndicale et de la violence policière qui l’accompagne, de la conscience de classe, de la lutte qui va avec et de l’extrême difficulté à s’extraire de son milieu social. Mais rien ne sera dit de tout ça. Pas de discours grandiloquent, pas de leçon de morale, juste l’histoire d’un fils de mineur qui veut apprendre la danse, mais son père veut qu’il fasse de la boxe, au milieu d’une grève, de l’omniprésence policière et des frigos vides. Tout est montré, mais en finesse.
Quand le film s’est terminé, que j’ai retiré la poussière que j’avais dans l’œil et que mon cerveau s’est remis en mode émission après réception, je me suis demandée : mais bordel, qu’est-ce qu’on branle, en France ?
On a la même histoire de désindustrialisation, les mêmes quartiers ouvriers pourris, les mêmes luttes qui ont mal fini, les Anglais en ont fait une flopée de films dont les excellents Pride et, donc, Billie Elliot. Et nous ? Rien. Ou pire que rien, du misérabilisme juste bon à donner bonne conscience aux bourgeois.
Les Anglais font un film dans un bassin minier ? Tous les comédiens ont l’accent du coin – mettez les sous-titres, c’est encore plus raide à comprendre que les Texans. Chez nous, un accent de bassin minier n’est utilisé que pour un ressort comique. On ne sait pas juste faire parler les gens comme ils parlent sans se moquer. Les Anglais veulent parler de ce que la gauche qui se secoue la nouille appelle intersectionnalité ? Eh bien ils font Pride et Billy Elliot, et à aucun moment on a cette désagréable sensation qu’on a cherché à cocher les cases de la diversité. Quelqu’un avait des trucs à dire, et il l’a dit avec suffisamment de réalisme et de tact pour nous embarquer dans son histoire et qu’elle nous touche. En France, on fait une resucée de Germinal et on colle un acteur arabe dans le rôle du porion* à une époque où c’était absolument impensable. On coche une case « diversité » et on pense qu’on a fait le job. On a juste fait celui de la ré-écriture de l’histoire.
Le plus dingue, c’est que peu de pays ont une haine historique des pauvres comme l’Angleterre. Qu’on lise Dans la Dèche à Londres de Orwell ou qu’on trouve la longue liste de lois répressives contre les pauvres pour s’en convaincre. Et c’est dans ce pays-là qu’on met de l’argent public – car la BBC est co-productrice de Billy Elliot – pour réaliser des films sociaux qui ne sont pas condescendants. Pendant que la France, qui fait encore semblant d’être une république sociale, produit à la chaine des films bourgeois.
Peut-être qu’un jour un Anglais tombera sur l’histoire de Radio Lorraine Cœur d’Acier, ou sur celle de ce wagon plein de billes de roulements que les sidérurgistes du Nord avaient détourné pour jouer au lance-pierre contre les CRS, ou sur une de nos innombrables histoires de lutte, et qu’il saura en faire le décor d’un film social qui met des poussières dans l’œil pas tant pour le pathos que pour la beauté de ce qu’il peut en tirer.
Ou qu’un Français se sortira les doigts du cul, mais ça, c’est beaucoup plus improbable.
*porion, dans les mines du Nord, désigne à la fois le poireau et le contremaître, en général perçu comme un traitre à sa classe.