Michaël Zemmour

Enseignant-chercheur à l’Université Paris 1 (Centre d'Economie de la Sorbonne) et chercheur associé à Sciences Po (LIEPP)

 

Publié le 07.03.2025 à 18:25

Brève note après la journée stand up for science (07/03/2025)

Aujourd'hui en écho avec la mobilisation aux USA, une journée de mobilisation a été organisée (en un temps record), par le collectif militant Stand up for science France (bravo à elles et eux!) . La mobilisation a été forte dans de nombreuses villes universitaires.

J'ai eu l'occasion de participer à une conférence à Jussieu organisée par le collectif. En style télégraphique et en reprenant des idées formulées par les intervenantes et intervenants (je m'excuse auprès d'elles et eux par avance, je synthétise et j'aurais du mal à réattribuer les propos aux unes et aux autres), voici ce que je retiens (subjectivement) des échanges durant la conférence (dont la vidéo ici) et dans la manifestation:

1) Les attaques aux Etats-Unis ne sont ni seulement symboliques ni étroitement ciblées. On a encore bien sûr du mal à comprendre quel sera l'état final des choses (des recours sont en cours, des hésitations), mais à cette date les échos des collègues sont que les attaques sont larges et massives, notamment au moyen de la suppression de financement fédéraux (suppression de poste, de crédits, en raison du thème de recherche réel ou supposé), de censure (mise hors ligne de document, de données), ou encore d'intimidations et de menaces.

2) L'attaque contre la science vise délibérément un des organes de la démocratie: le gouvernement Trump met en œuvre des politiques de dégradation délibérée du climat, de persécution des minorités, en ciblant tout particulièrement les personnes trans, de suppression de budget d'aide internationale. Pour affaiblir les résistances ou les oppositions potentielles, il éteint la lumière, en entravant la recherche sur le sujet.

Ce qui est visé c'est à la fois la capacité de la société à se connaître elle-même et à connaitre l'état du monde pour mieux en délibérer. C'est également un outil de résistance juridique, les études scientifiques étant souvent considérées comme un élément de preuve dans les recours en justice.

On sait déjà que les données médicales ou sur le changement climatiques sont compromises. On peut également être inquiet concernant les données objectivant par exemple les inégalités de conditions de vie, les inégalités femmes hommes ou les discriminations, lorsque celles-ci sont produites ou hébergées par des organismes publics.

3) Ce qui se passe aux USA (qui se passe et s'est déjà passé aussi dans d'autres pays ayant connu des basculement, l'Argentine était notamment citée) nous inquiète pour trois raisons:

i/ par solidarité avec la population et avec nos collègues

ii/ parce que la recherche US est un élément structurant et critique de la recherche mondiale (revues, données, financement). Les destructions à l'oeuvre ont des conséquences directes sur l'état des connaissances partout dans le monde. Certaines publications ou données sont déjà reproduites, pas toutes.

iii/ parce que nous avons la conviction, ayant l'exemple US sous les yeux, que nous ne sommes pas à l’abri de tels basculement.

La situation actuelle en France n'est bien sûr pas du même ordre, mais elle fait écho à des choses que nous observons, depuis longtemps de ce côté de l'atlantique.

D'une part la crise de financement de la recherche publique montre que cet outil de la vie démocratique est mal traitée (les diminutions budgétaire sont massives - moins 1 Md de crédit en 2024 -, une journée de mobilisation est d'ailleurs appelée par les organisations syndicales et au-delà le 11 mars prochain).

D'autre part dans la période récente des paroles politiques ou des responsables publics ont remis en cause, à plusieurs reprise non pas telle ou telle étude, mais des disciplines entière, des thèmes de recherche, ou sans motif valable, la crédibilité d'organismes publiques ou d'agence chargé d'établir des données ou de produire des études dont les résultats déplaisaient. Les universités sont également régulièrement la cible de discours politiques.

Enfin et surtout la situation aux Etats-Unis montre à quelle point les basculement peuvent être rapides et interroge sur la capacité de résistance de la société et des institutions, même face à des attaques outrancières et parfois manifestement illégales.

Pour finir sur une note volontaire, il semble que malgré la sidération (le mot est revenu souvent), la compréhension des enjeux est très claire parmi les collègues de l'ESR qui ont participé à cette journée. Il nous reste à la partager largement, avec l'ensemble de la société, mais en particulier avec les autres groupes sociaux dont la fonction sociale est notamment de participer à la vitalité démocratique (journalistes, juristes, associations, corps constitués, syndicats...). Il nous faut également soutenir, par tous les moyens à notre disposition, les résistances civiles et institutionnels qui s'organisent aux Etats-Unis.

 

Nb: Je reprend ici, plus ou moins fidèlement, des idées exprimées par notamment Florence Débarre, Johanna Siméant-Germanos,  Valérie Masson Delmotte, Dorian Guinard, Sébastien Barot et Marine de Gugliemo Weber qui intervenaient également, ainsi que et de nombreux autres collègues intervenus lors des échanges.

 

 

Publié le 20.02.2025 à 15:43

Rapport flash de la Cour des comptes : remise à plat (ou presque)

Au terme d’une « mission flash » la Cour des comptes vient de rendre un rapport sur l’état financier du système de retraite. J’ai d’ailleurs eu l’occasion, comme d’autres d’être reçu lors de la rédaction du rapport. Je livre ici quelques réactions à chaud à la lecture du document.

i)     Le diagnostic général était connu, il demeure inchangé, légèrement actualisé : les dépenses de retraites sont stabilisées, un déficit modéré est à prévoir si on diminue comme prévu les ressources. Les pensions futures risquent de se dégrader.

ii)    Le rapport a le grand mérite de prouver que la méthodologie du COR est robuste puisqu’il en suit l’ensemble des raisonnements, dissipant au passage utilement la fable de la dette cachée des retraites.

iii)    Dans le détail, la présentation des différents leviers de pilotage du système est franchement déséquilibrée, et méthodologiquement assez faible par rapport à ce qu’on sait par ailleurs. Et il est probable que ça ne sera pas une base très utile pour la négociation qui s’ouvre.

Un rapport qui confirme ce qu’on savait déjà

Pour qui est familier des rapports du COR, ce rapport n’apprend pas grand-chose. En effet, sur le fond il reste très proche des publications annuelles du COR, dont il emprunte une bonne partie de la méthodologie.

En cela c’est à la fois une bonne réponse à la commande du premier ministre, mais également une démonstration supplémentaire (après notamment celles du COR) que sa commande n’était pas nécessaire ce dont on se doutait un peu : après presque cinq années passées à discuter du système de retraite (réforme Delevoye, Borne), on commence à en connaître la situation.

On sait que les dépenses, à législation inchangée, sont à peu près stables, mais que cela se fait au prix de retraites plus courtes pour les générations qui partent aujourd’hui ou dans cinq ans que pour celles parties il y a dix ans. On sait qu’un déficit est prévu (on pourrait presque dire planifié), non pas du fait d’une hausse des dépenses, mais d’une baisse programmée des ressources que l’Etat consacrera aux retraites, baisse qui n’est pour l’heure compensée par aucunes recettes de substitution. Ce déficit sans mettre en danger ni le système ni les finances publiques est de l’ordre de 0,5 point de PIB autour de 2035, un peu plus par la suite, et ça serait une bonne idée de le réduire, en programmant, dès maintenant une mobilisation des ressources pour le système. On sait que le niveau de vie relatif des retraités est comparable à celui des actifs (des ressources monétaires nettement plus faibles, compensées par des ménages plus réduits, et le plus souvent la propriété d’un logement entièrement payé).  On sait également, que la stabilisation du niveau des dépenses de retraite se fait au prix d’une baisse programmée marquée du niveau de vie des futurs retraités.

On sait que le décalage de deux ans de l’âge de la retraite à 64 ans maintiendra en emploi de l’ordre de 300 000 personnes supplémentaire par an en 2035, mais que cela se fera (le rapport reste discret sur ce point) au prix d’un période plus précaire et plus longue pour 100 000 à 200 000 personnes, en particuliers des ouvriers et des employés femmes et hommes qui ne sont déjà plus en emploi à 62 ans ou avant.

Tout cela on le sait, rapport du COR après rapport du COR. Ce nouveau rapport le confirme permet quelques actualisations (prise en compte d’une variation du taux de cotisation des collectivités locales - une hausse très raide), révision de l’hypothèse de taux de chômage de référence à 7% (et non 5% que prend le COR par « cohérence » avec les hypothèses de court terme du gouvernement qui s’imposent à lui).

Un rapport qui n’était pas nécessaire mais qui peut être utile à rétablir un peu de confiance

Ce rapport de la Cour n’était donc peut-être pas nécessaire car il n’y a pas grand-chose de nouveau dedans. Mais le rapport pourrait être utile s’il permet une fois pour toute de dissiper les soupçons fort désagréables répandus sur le COR par opportunisme politique. 

En effet depuis plusieurs années des paroles publiques, et singulièrement au gouvernement, laissent entendre que l’institution ne serait pas fiable (ce qui est largement repris, sans distance, par une partie de la presse).

Cette mise en cause de la fiabilité du COR a été portée par les gouvernements précédents dont on se souvient qu’ils reprochaient au COR de ne pas s’approprier sans distance leur discours alarmiste sur l’état du système et sur la nécessité de mettre en place précisément cette réforme avec ce calendrier.

Il a été porté une seconde fois par le geste du premier ministre, de de confier à la Cour des comptes une « mission flash » ce qui était clairement un geste de défiance. Le soupçon était notamment nourri par la fable d’un « déficit caché » des retraites, qui selon le premier ministre serait responsable de la moitié de l’augmentation de la dette au cours des dernières années. Il n’y a pas plus de déficit caché des retraites que de Zèbre en liberté dans le Béarn ce qui a une nouvelle fois été établi par le rapport de la Cour, et il serait temps que la chasse au Zèbre prenne fin. Plus généralement, il est très heureux que la Cour des comptes (après examen), rappelle que les productions du COR (évidemment toujours discutables et discutées), sont transparentes et dignes de confiance.

En effet, au-delà de la seule question des retraites, avoir confiance dans la production statistique (INSEE, DREES, DARES, COR ) ou dans les institutions indépendantes (la Cour), y compris comme outil pour instruire les désaccords de diagnostics (qui peuvent exister) ou les divergences d’options politiques sur la marche à suivre est une condition indispensable du débat démocratique.

Un regard outre atlantique rapide suffit à nous rappeler que nos appareils statistiques sont précieux, et que, si on peut discuter de tout - même des chiffres (les statisticiens le font toute la journée) – il faut préserver la confiance et le financement des administrations statistiques et ne pas jeter sur elle un discrédit qu’elles ne méritent pas.   

Un rapport de peu d’utilité pour la négociation à venir

Ensuite dans le détail, et après une première lecture un peu rapide de ma part, le rapport est sans doute fait un peu vite ou avec un biais très « Cour des comptes », qui considère parfois que la baisse de la dépense publique est un but intrinsèque. On pourrait presque parler d’un rapport « qualité flash » au sens où il contient de lourdes imprécisions, ou des raisonnements franchement déséquilibrés. Aussi, il sera plus prudent pour les négociateurs de repartir du diagnostic global que peuvent fournir à la demande les administrations (CNAV, DSS, DREES…) ou de rapports du COR existant.

Parmi quelques passages qui témoigne de ces approximations on peut noter :  

-          « La France consacre (…) quatre points de PIB de plus que l’Allemagne » dans la synthèse et page 19 du rapport.

C’est évidemment faux et c’est une erreur grossière : en France la retraite est essentiellement par répartition. En Allemagne il y a un système à plusieurs piliers, dont de la capitalisation qu’il faut inclure dans la comparaison. Le rapport ne le précise pas, mais il ne compare que les dépenses publiques ou assimilées de retraite ce qui conduit à l’écart de quatre points. En effet, la source citée par le rapport de la Cour (un rapport de la Commission européenne) compare seulement l’écart entre les dépenses publiques de retraites (ou assimilées). Or les retraites privées représentent en Allemagne une part bien plus importante qu’en France. Ainsi par exemple, la comparaison raisonnée de Lavigne et al. 2024 donne un écart en 2020 (l’année n’est pas idéale) de l’ordre d’un point seulement entre la France et l’Allemagne en dépense[1].  

-          Le raisonnement sur le rendement d’un point de cotisation est étrange

Il fait l’hypothèse qu’un point de cotisation supplémentaire sur les employeurs serait nécessairement inclus dans les exonérations de cotisation (et donc rapporterait beaucoup moins qu’un point de cotisation salarié !) or il n’y a aucune raison de faire cette hypothèse.

Plus grave, car ça n’est pas clairement précisé, le rendement d’un point de cotisation n’est calculé que sur les salariés du privé (ce qui amène à un chiffrage de l’ordre de 7,4 milliards). Or s’il s’agit de financer un retour à 62 ans ou 63 ans par une hausse de cotisation, on ne doute pas qu’il s’agira de le financer aussi bien côté public que côté privé ou dans les collectivités.

La convention du COR (avec laquelle on peut jouer sur le simulateur du COR) inclut l'ensemble des revenus d’activité, public et privé. Et dans ce cas le rendement d’un point de cotisation est plus proche de 10 milliards d’euros par an.

-          Les raisonnements économiques sur les différents leviers sont très déséquilibrés.

Le rapport évoque différents leviers possibles : âge, durée, taux de cotisation, indexation des pensions, mais il ne les présente pas pour les mêmes ordres de grandeur, de telle sorte que les leviers soient comparables (par exemple un point de PIB atteint par les différents leviers).

De plus l’estimation et la discussion des effets des différents leviers est franchement déséquilibrée :

Lorsqu’il s’agit de chiffrer les effets de la réforme de 2023 sur l’ensemble des finances publiques, le rapport indique qu’il y a 4 estimations disponibles : Mésange, e-mod, un modèle comptable du Trésor et celui de Rexecode. Ces modèles estiment le gain pour les finances publiques respectivement à 0,4, 0,1 0,9 et 0,6 point de PIB.  C’est finalement le modèle le plus favorable à un décalage de l’âge qui est retenu (le modèle « comptable » du Trésor. Or celui-ci est loin d’être le plus convaincant. Il fait l’hypothèse que tout salarié qui décale son départ d’un an crée dans l’économie un emploi en plus, sans aucun effet d’éviction, même à court terme. Les modèles macro, bien plus réalistes, estiment qu’une augmentation de la main d’œuvre très significative, si elle peut faire augmenter l’emploi fait également augmenter le chômage, au moins à court terme et que donc 1 retraité qui ne part pas ça n’est sans doute pas 1 emploi en plus mais un peu moins (par exemple 0,9 ou 0,8).

Lorsqu’il s’agit d’estimer les effets d’une hausse de cotisations, on convoque (sans grande discussion) le modèle Mésange, cette fois-ci réhabilité - pour décrire un tableau apocalyptique (57 000 destructions d’emploi, ce qui fait à peu près 0,2 points de chômage), dû à des effets cumulés d’offre et de demande. Le chiffrage est sans doute excessif, mais on peut aussi sourire en notant qu'à priori toute austérité (comme souvent recommandée par la Cour), ou tout relèvement de prélèvement obligatoire (comme ceux qui figurent au budget 2025) peuvent avoir des effets sur l’emploi, mais qu’on ne sort cet effet épouvantail que dans un seul cas : la hausse des recettes du système de retraite.

Pour preuve, lorsqu’il s’agit d’estimer un autre levier, la désindexation des pensions (c’est-à-dire une baisse réelle des dépenses publique dont n’importe quel macro économiste vous dira sans aucun doute qu’elle a des effets récessifs à court terme) on est prié de croire que ce n’est pas la peine de chiffrer, l’effet emploi sera très certainement faible (sic) :

« Sur le plan macroéconomique, l’effet d’une sous-indexation des pensions est une question débattue, les modèles utilisés (notamment le modèle Mésange utilisé par la direction générale du Trésor) distinguant mal les effets selon les prestations sociales. La propension moyenne à consommer des retraités est en effet plus faible que celle des autres bénéficiaires de transferts sociaux puisque leur taux d’épargne moyen est d’environ 25% de leur revenu disponible en 2024 et est plus élevé que celui des autres classes d’âge. L’impact sur l’économie d’une moindre revalorisation des pensions serait donc faible, dès lors qu’elles ne constituent qu’une partie du revenu disponible des retraités et que ceux-ci, en moyenne, en épargnent une fraction significative. »

 

Bref, si le rapport est globalement sérieux il est sans doute difficile de faire en trois semaine le même travail d’équilibre et de transparence qu’une administration dont c’est la spécialité et qui le fait une fois par an.  De ce fait il n’est pas sûr que le détail des chiffrages soit particulièrement utile aux négociations à venir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Par ailleurs la part des dépenses brutes de retraites dans le PIB n’est pas un juge de paix absolu : lorsqu’on augmente la CSG sur les retraites, cela revient à très peu de chose près à baisser les retraites, mais en apparence cela fait augmenter les prélèvements obligatoires sans baisser les dépenses de pension.

Publié le 15.01.2025 à 19:08

Sans suspension de la réforme de 2023 il ne restera qu'un an à négocier (63 ou 64 ans)

Le premier ministre a annoncé hier dans son discours de politique générale qu'il souhaitait remettre la question des retraitez en négociation, sans toutefois suspendre celle-ci. Un coup d'oeil au calendrier d'application de la réforme montre qu'il ne restera plus grand chose à négocier : le dernier tiers de la réforme ; celui qui porte l’âge limite de 63 ans à 64 ans, et qui n’aura des conséquences sensibles qu’après 2027. Le reste de la réforme (la montée jusqu’à 63 ans et l’allongement de la durée de cotisations) sera déjà (presque) entièrement appliqué.

On peut noter en propos tout d'abord que les termes de la négociation annoncée sont tout sauf favorables pour les syndicats opposés à la réforme:  le premier ministre a annoncé par avance qu'en l'absence d'accord la réforme resterait inchangée. On voit mal dans ces conditions pourquoi le patronat (pour qui le statut quo est sans doute la meilleure option pour le moment) s'engagerait dans la recherche d'un accord remettant en cause la réforme et mobilisant de nouvelles ressources pour le système de retraite. Ce n’est pas l’objet de ce billet de revenir sur ces points (développés en partie dans cette interview à Médiapart) mais je voudrais revenir ici sur un implicite contenu dans le calendrier annoncé par le premier ministre.

En effet, un des points clés est que la réforme n’est ni suspendue ni arrêtée, et que le premier ministre envisage en cas d’accord (à ce stade relativement peu probable), de le mettre en œuvre par une loi prise au second semestre 2025 (à l’été ou dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2026).

Or on sait que le temps joue pour la réforme : d’une part à mesure que le temps avance la réforme s’applique à de nouvelles générations et les paramètres effectifs avancent, d’autre part les caisses de retraites disent et redisent qu’il faut près de 6 mois pour mettre en œuvre un changement législatif ou réglementaire).

Ces deux éléments nous donnent une bonne indication sur ce qu’il restera à discuter de la réforme des retraites : l’âge de 63 ou de 64 ans…et c’est (presque) tout. En effet l’âge de 63 ans et la durée de cotisations de 43 annuités seront déjà (presque) entièrement effectif à l’issue de la négociation.

En admettant le scénario d’une loi votée à l’été ou à l’automne, celle-ci ne pourra s’appliquer qu’en 2026. A cette date, il sera déjà trop tard pour la génération 1963 dont l’âge aura été porté à 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation à 42 ans et demi. Si on « ne revient pas en arrière », le mieux qui pourra alors être fait c’est d’arrêter les compteurs pour la génération 1964 à ces deux paramètres : 62 ans et 9 mois, et 42 ans et demi. Sans trop d’imagination (je force à peine le trait) on peut penser que ces paramètres seraient arrondis … soit 63 ans et 43 annuités.

Un graphique montre l'avancée de la durée de cotisation requise (axe de droite) et de l'âge légal (axe de gauche). L'axe des abscisse indique l'année de mise en oeuvre. Des étiquettes sur les axes indiquent les générations concernées. A l'année 2026, l'age minimal de la retraite dépasse 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation 42 ans et demi. La génération 1963 a déjà commencé à faire valoir ses droits

Lecture: En 2026, la génération 1963 aura déjà commencé à partir en retraite, l'âge minimal de la retraite sera déjà de 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation requise de 42 ans et demi.

Autrement dit dans ce scénario (fictionnel) ce qui pourrait faire l’objet des discussions c’est la question de fixer comme âge minimal 63 ou 64 ans. La réforme « Touraine accélérée » (c’est-à-dire le passage à 43 annuités de cotisations à un rythme très rapide) et le retour à l’âge de départ à 62 ans seraient presque mécaniquement exclus de la discussion.

Si c’est bien cela, les modifications ne concerneront que les générations 1966 et suivantes (les seules dont l’âge minimal prévu dépassait 63 ans). Et elle se verront bien applique la durée de cotisation de 43 ans. Ce qu’il restera à négocier représente donc en gros financièrement un tiers de la réforme de 2023.

Autre remarque d’importance : aucune modification de la réforme n’aura de conséquence financière sensible avant la présidentielle 2027… C’est sans doute avant tout pour cela d’ailleurs que l’hypothèse d’un arrêt de la réforme a été écarté. Pour mémoire, cet artifice avait déjà été utilisé par Emmanuel Macron quand il avait ramené l’âge cible de la réforme de 65 à 64 ans : il était prêt à revenir sur la partie de la réforme qui n’avait pas de conséquence budgétaire à l’horizon de son mandat.  

Bien sûr il sera toujours possible de « revenir en arrière » sur les paramètres (en 1981 l’âge minimal de départ à taux plein a été abaissé), mais il est tout de même politiquement plus fréquent d’arrêter une réforme avant qu’elle ne s’applique qu’une fois mise en œuvre. La négociation s’annonce déjà difficile, le plus probable n’est pas vu d’ici qu’elle aboutisse à un abaissement des paramètres qui seront déjà effectifs.

 

 

Publié le 04.01.2025 à 01:11

Jalons pour une analyse de la réforme du RSA

Il est difficile de savoir à l’avance toute l’étendue des conséquences de la réforme qui entre en vigueur. Je livre ici quelques éléments de réflexion, mais cette interprétation reste très incertaine. La réforme ne va vraisemblablement pas obliger la plupart des allocataires du RSA à travailler gratuitement (même si le cas n’est pas exclu), mais elle va faire par défaut considérer tout allocataire du RSA comme un chômeur, inscrit à France travail, et passible de sanction s’il ne se conforme pas aux injonctions qui lui seront faite. Il existait par le passé déjà des « droits et devoirs » et des sanctions, mais toute personne au RSA n’étaient pas considérée par défaut comme relevant du contrôle des chômeurs, en cela c’est une rupture qui peut avoir des conséquences sociales graves. Cette réforme parachève une évolution d’une décennie au cours de laquelle les objectifs de réduction et d’atténuation de la pauvreté pour elle-même ont été délaissés, au point de subordonner toute la politique sociale à la politique de l’emploi à tout prix. L’application de la réforme risque de plus d’être très hétérogène selon les départements.

La réforme du RSA entre en vigueur en janvier 2025[1]. Si celle-ci est très certainement porteuse de dangers pour les allocataires, j’ai encore du mal à saisir comment elle va être appliquée et je pense surtout que son application n’est pas encore complètement déterminée, dépendant fortement de ce qu’en feront les département (ce qui en fait en partie le danger pour les allocataires).

Je prends donc ici des notes, comme jalons pour des analyses à venir de la réforme, à la fois pour partager mes réflexions et questions, mais aussi pour recevoir des éclairages et des précisions et surtout correction d’éventuelles lectrices ou lecteurs mieux informés.

Avant de rentrer dans le détail des mesures, il faut noter que cette réforme est symptomatique d’une transformation de la politique sociale qui date d’au moins 2017[2] : la politique sociale n’est plus une politique autonome avec ses objectifs propre (réduire la prévalence et l’intensité de la pauvreté par exemple), mais celle-ci est entièrement subordonnée à la politique du marché du travail : s’il faut choisir, on dégradera les conditions sociales en espérant forcer une reprise rapide d’emploi. C’était déjà manifeste lorsqu’en 2018 le relèvement de la prime d’activité a relevé le revenu des travailleurs pauvres sans améliorer la situation des allocataires du RSA sans emploi ; c’était encore évident lorsque les réformes de l’assurance chômage ont délibérément diminué le montant mensuel des allocations chômage de 20% en moyenne, au nom d’un effet (non probant) sur la reprise d’emploi. La loi plein emploi parachève cette évolution, en faisant que tout personne recevant le RSA est considérée par défaut comme demandeuse d’emploi soumise à un contrôle de son comportement de recherche d’emploi, passible de sanction dont on mesure encore mal le caractère arbitraire.

Listons maintenant les principales mesures contenues dans la réforme :

  1. Le changement sans doute le plus important de la réforme est l’inscription automatique de tout allocataire à France travail, par défaut.

Ce changement est le plus important au sens où il est le plus susceptible d’affecter massivement un grand nombre d’allocataires.

Auparavant, la privation de ressource donnait droit par défaut au RSA, et ce droit au RSA était assorti d’obligations (les « droits et devoirs »), qui pouvaient (ou non) être associée à la recherche d’emploi[3].  Jusqu’en 2024, il était de la responsabilité des départements d’orienter les allocataires du RSA, vers un parcours d’accompagnement personnalisé, qui pouvait être opéré par France travail (c’est le cas de 41% des allocataires[4]), ou par différents services sociaux au niveau des collectivités. Et tant que l’allocataire n’avait pas bénéficié d’une orientation vers un accompagnement, sa situation de demandeur d’emploi ou non n’était pas préjugée (ce qui parait plutôt normal, il existe bien des situations ou des personnes sans ressources ne relèvent pas immédiatement de la recherche d’emploi).

Demain, l’attribution du RSA déclenchera automatiquement une inscription administrative à France travail. Autrement dit, tout allocataire du RSA sera considéré par défaut comme demandeur d’emploi, jusqu’à preuve du contraire.

L’inscription automatique de 59% des allocataires qui ne l’étaient pas auparavant (+1,8millions de personnes) à France travail a plusieurs conséquences prévisibles :

  • Une réorganisation (ou désorganisation ?) de France travail qui va voir arriver un nombre de nouveaux inscrits sans précédent.
  • Pour une partie des nouveaux inscrits, cette inscription à France travail sera en grande partie « transparente » : pour ne pas saturer les conseillers France travail, et parce que nombre des allocataires ne sont pas en situation immédiate de chercher un emploi (pour des raisons sociales, de santé…), ces allocataires seront immédiatement redirigés (sur décision ou par des algorithmes) vers les services sociaux départementaux, locaux ou les structures d’accompagnement (par exemple les missions locales), qui était précédemment chargés de leur suivi. Les allocataires seront donc administrativement inscrits à France travail, mais suivis ailleurs.

Pourtant cette inscription obligatoire pourrait changer beaucoup de chose : la procédure pour savoir qui va être suivi en pratique par quel organisme va être modifiée dans chaque département ; certains départements vont sans doute tenter de rester au plus près de ce qui se faisait par le passé ; d’autres, à l’occasion de la réforme, changer leur dispositif d’orientation, en revoir les critères (qui doit aller où…). Or ce choix d’orientation, sans doute en grande partie guidé par des critères automatisés (des algorithmes), sont lourds de conséquences pour les allocataires.

Il est donc a priori difficile à ce stade de savoir d’une part quels vont être les critères effectifs qui seront appliqués, et d’autre part, si le fait d’avoir un opérateur commun (France travail) va conduire à une harmonisation de l’orientation (dans une version sans doute très mécanique), ou au contraire si l’hétérogénéité des pratiques va être exacerbée par les décisions que prendront les départements. 

  1. L’obligation de quinze heures d’activité

Cette obligation, très médiatisée, y compris par les promoteurs de la réforme a sans doute été mal interprétée, même si elle comporte des dangers réels. Il ne s’agit pas, au moins pas nécessairement d’obliger les allocataires à travailler gratuitement[5].

Cette obligation est la nouvelle forme d’obligation de recherche d’emploi de tous les demandeurs d’emploi inscrits à France travail[6] et pas uniquement les allocataires du RSA. Autrement dit c’est la (nouvelle) façon dont le législateur définit l’obligation, pour toute personne inscrite à France travail de chercher activement un emploi, sous peine de sanction. Ce que la réforme change, c’est donc i) la forme que prend l’obligation de recherche d’emploi des inscrits à France travail ii) qu’elle soumet tous les allocataires du RSA par défaut aux obligations des demandeurs d’emploi.

Mais aucun organisme aujourd’hui n’est en mesure d’encadrer pendant 15h hebdomadaire les 6 et bientôt 8 millions de personnes inscrites à France travail. Il n’y a tout simplement pas assez de ressources pour cela.

On peut donc penser (mais je n’ai pas de certitude, et la situation peut être très variable d’un allocataire à l’autre et d’un département à l’autre), que dans la plupart des cas, cette obligation va se prendre la forme suivante :

  • Le plus souvent des « feuilles de temps », c’est-à-dire que les personnes devront justifier (ou être en mesure de justifier en cas de contrôle) qu’elles ont recherché des offres, envoyé des CV, etc. en quantité suffisante.
  • La participation obligatoire à certaines activités, des plus utiles aux plus coercitives (suivi sanitaire et social, formation, bilan de compétence, atelier de rédaction de CV, suivi individuel, groupe de motivation…)

On ne peut pas exclure que dans certains cas, des départements, particulièrement mal inspirés, tentent d’interpréter la loi pour imposer des activités qui s’apparenteraient à du travail (gratuit), dans des structures publiques associatives ou privées ; il restera à voir si la justice jugera ce comportement légal au regard du droit français et international du travail. Dans un futur proche il n’est pas pensable que cela (le travail obligatoire gratuit) s’applique massivement : faire travailler des personnes de manière contrainte, qui plus est en grande difficulté sociale, demande des moyens, une organisation, un encadrement. Mais le fait que cela ne soit pas le cas général ne rend pas le danger moins réel et moins grave, à la fois pour les personnes concernées et parce qu’il créerait un précédent.

  1. Cette inscription obligatoire va créer un levier très arbitraire pour intimider, ou priver de ressources les allocataires

En effet, en considérant par défaut, avant même leur premier entretien avec un travailleur social, tout allocataire du RSA comme une personne en recherche d’emploi, devant justifier de 15h d’activité, on crée une base pour des sanctions nombreuses, par suspension ou réduction (on dit « modulation ») de l’allocation pour toute personne qui ne se sera pas présentée à l’heure dite, n’aura pas participé au bon atelier, ou n’aura pas le bon jour convaincu son vis-à-vis de la bonne foi de ses démarches[7]. Ce type de sanction existe bien sûr déjà, leur pratique pourrait s’intensifier.

Tous les départements n’auront pas la même attitude, mais on peut déjà pointer au moins trois écueils.

  • Le premier est d’ordre social : priver une personne effectivement sans ressource monétaire d’une aide minimale, est un acte de maltraitance grave, dangereux pour elle et sa famille (oui les enfants subissent directement les conséquences de ces sanctions, de l'ordre de 800 000 ménages allocataires ont au moins un enfant à charge).
  • Le second est budgétaire : le budget du RSA représente une charge financière importante pour les départements. Dans un contexte particulièrement contraint, le risque que certains départements voient dans la politique de sanction des allocataires une source d’économie potentielle est évident.
  • Le troisième encore une fois est l’hétérogénéité du traitement selon les départements. En particulier, comme les sanctions aux allocataires sont présentées comme des outils de « remobilisation » des allocataires, on imagine bien que certains départements n’utiliseront pas cet outil tandis que d’autres y verront un « levier » pour leur politique d’accompagnement et d’insertion. 

En conclusion, la réforme qui entre en vigueur porte évidemment pour les allocataires beaucoup plus de dangers que de promesses d’amélioration. Les éventuels aspects positifs pourraient venir d’un raccourcissement des délais d’orientation vers l’accompagnement ou de moyens supplémentaires mis sur cet accompagnement, mais ceux-ci semblent faibles et risquent d’être au mieux neutralisés par les autres aspects de la réforme. Par ailleurs les résultats de la littérature [8], comme le travail plus récent d'Arthur Heim soulignent qu'il ne faut pas attendre de miracle d'un accompagnement renforcé assorti de menace de sanction.

La dénonciation de cette réforme est légitime et nécessaire : ce n’est pas parce qu’on ne sait pas à l’avance quelle sera l’étendu de ses effets qu’il est acceptable de durcir encore le sort fait aux allocataires du RSA, ni souhaitable de créer de nouvelles inégalités de traitement entre l’allocataire du Bas-Rhin et celui du Rhône. Pour autant ce n’est sans doute pas exactement la réforme qui a été présentée politiquement comme la réforme instaurant des travaux gratuits pour les allocataires du RSA. C’est d’abord une réforme qui dégrade le droit à un secours minimal pour le subordonner toujours davantage à des opérations de contrôle et de sanction sur le marché du travail, dans la lignée de réformes précédentes en France et de ce qui peut exister de peu enviable en Angleterre ou en Allemagne.

 

PS: malgré une communication abondante, la diversité des formes prise par les "expérimentations" de la réforme dans les territoires pilotes ne permettront sans doute pas de comprendre par avance, quelles seront les conséquences de la réforme au niveau national. 

 

Merci à Ulysse Lojkine et Arthur Heim pour leur relecture et remarques (les erreurs restantes sont de mon fait).

 

[1] Un descriptif et un commentaire sont donnés dans cet article du Monde.

[2] Voir Le système français de protection sociale, Repères, La Découverte, co-écrit avec J. C. Barbier et B. Théret.

[3] Voir par exemple cette publication DREES : Aurélien Boyer (DREES, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) (2023, décembre). Un bénéficiaire du RSA sur cinq reste les dix années suivantes dans la prestation. Études et résultats, 1287. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse-jeux-de-donnees/etudes-et-resultats/un-beneficiaire-du-rsa-sur

[4] Voir Pierre-Yves Cabannes et Opale Echegu (dir.) (DREES) (2024, juillet). Minima sociaux et prestations sociales - Ménages aux revenus modestes et redistribution - Édition 2024. Panoramas de la DREES. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/241022_Minima_Sociaux_2024

[5] Il est difficile de ne pas se dire que l’interprétation sans doute fallacieuse (« la réforme va obliger les allocataires du RSA a du travail gratuit ») a été entretenue sciemment par une partie du camp présidentiel – dans un discours de stigmatisation des allocataires déjà utilisés par Nicolas Sarkozy du temps de la création du RSA. Et qu’elle n’a pas été démentie par une opposition sans doute inattentive qui a par simplicité préféré dénoncer ce risque réel, mais peut-être pas aussi central, que d’envisager tous les enjeux du texte.  

[6] Merci à Aurélien Boyer qui le premier m’a alerté sur ce point il y a plusieurs mois.

[7] A ce sujet vous pouvez lire « Chômeurs vos papiers » , de Claire Vivès, Luc Sigalo Santos, Jean-Marie Pillon, Vincent Dubois, Hadrien Clouet, aux éditions Raisons d’agir ! qui souligne, notamment qu’un des effets de la multiplication des contrôles (ciblés sur certain publics de Pôle emploi) est de faire perdre la confiance des usagers envers les travailleurs de l’institution : quand vous n’avez pas les codes et que vous êtes effrayés, vous confondez vite (à tort ou à raison), la personne chargée de vous conseiller et celle qui vous contrôle, et donnez la réponse que vous croyez qu’on attend de vous, plutôt que de partager les informations qui seraient utiles.

[8] La menace de sanction augmente la participation et l'inscription aux dispositifs et diminue le nombre de bénéficiaire, sans que l'on sache dire s'il s'agit de non recours accru ou de retour à l'emploi. Chareyron, S., Le Gall, R et L’Horty, Y. (2022) . Droits et devoirs du RSA : l’impact des contrôles sur la participation des bénéficiaires. Revue économique, Vol. 73(5), 735-759. https://doi.org/10.3917/reco.735.0735.

Une revue de littérature bien plus détaillée peut être trouvée dans la thèse récemment soutenue d'Arthur Heim.

 

Publié le 27.10.2024 à 22:08

En novembre, l'Etat va augmenter le SMIC en baissant les exonérations...ou l'inverse

Il y a quelques temps j'avais fait un billet pour souligner un problème concernant le lien entre SMIC et exonération de cotisations employeur:

Quand l'Etat augmente le SMIC, le barème des exonérations augmente, et les employeurs de salariés au-dessus du SMIC (dont les salaires n'ont pas augmenté autant que le SMIC voient leur cotisations sociales baisser).

Comme je le soulignais, un des problème de ce système est qu'il constitue une forte désincitation pour l'Etat à augmenter le SMIC: en effet augmenter le SMIC lui coûte, non seulement en tant qu'employeur, mais également et surtout en exonérations de cotisations (dont la facture augmente).

Il semble que cet effet pervers appartienne désormais au passé:

En novembre, le SMIC va être (faiblement) revalorisé de 2%, grosso modo l'inflation, c'est à dire quasiment le minimum obligatoire ( si quelqu'un sait pourquoi en novembre cette année, plutôt qu'au 1er janvier...) .

Mais les exonérations vont continuer à être calculées sur le montant du SMIC au 1er janvier 2024. Autrement dit, le barème des exonérations va être sous-indexé. On peut ainsi lire dans le PLFSS (p.28-29) que dès le premier novembre le "point de sortie" des allègements généraux sera désormais à 1,57 SMIC et non à 1,6 SMIC.

Selon le PLFSS le gain réalisé en baisse d'exonérations permet juste de compenser le fait que le montant en euros des exonérations au niveau du SMIC va augmenter (le taux d'exonération baisse légèrement, mais le montant exonéré est quand même plus élevé du fait de la hausse du SMIC). [Si quelqu'un a le détail du calcul (du gain et de la dépense), je suis intéressé car les différents effets ne me semblent pas si clairs]

Autrement dit pour la première fois depuis longtemps, l'Etat va revaloriser le SMIC, sans en supporter un surcoût indirect via les exonérations (il supportera tout de même le coût en tant qu'employeur).

Ajoutons à cela que depuis le 10 octobre, les sommes versées sous forme de "Prime de partage de la valeur" sont inclues dans l'assiette du calcul des exonération (autrement dit un employeur ne peut plus augmenter le volume des exonérations auquel il a le droit en versant de la PPV plutôt que du salaire - même si il continue de profiter d'autres niches sociales liées à la PPV). Mise en oeuvre d'une des pistes avancées notamment dans le rapport Gautié Lerais pour l'IRES, commandé par la CFDT.

Tout ceci reste relativement marginal, par rapport à la petite révolution que constitue la refonte (et à la diminution ) des exonérations de cotisations employeur prévue pour 2025 et 2026, dans la foulée de l'important rapport Bozio Wasmer, mais c'est une autre histoire.

 

 

Publié le 20.06.2024 à 18:29

Politique économique : le Nouveau Front populaire dessine un changement de cap

Texte acceptée par Le Monde le 15/06, qui a finalement décidé ne pas le publier, je le pose donc ici un peu tard.

Le programme du Nouveau Front Populaire publié ces jours ci indique une direction de politique économique claire : il s’agit de reprendre le chemin d’une politique sociale et d’investissement (public et privé), articulée à une politique fiscale qui vise à (re) remplir les caisses d’une part et à instaurer davantage de justice fiscale d’autre part. C’est une réorientation marquée par rapport à la politique actuelle.  Est-ce que les mesures sont crédibles : oui, les pistes de financement aussi. Est-ce que tout pourra être mis en œuvre et selon quel calendrier, on verra bien. Dans tous les cas, la situation économique est incertaine et ce, quel que soit le gouvernement qui sera nommé.

La bonne question n’est pas celle du « sérieux » – la politique actuelle à maints égards n’est pas sérieuse ni socialement, ni économiquement, ni budgétairement - mais de savoir quel est le cap de politique économique que nous choisissons pour faire face aux incertitudes et répondre aux questions écologiques et sociales qui se posent. Car oui, il y a le choix.

Le débat sur le réalisme est à côté du sujet

On pourrait résumer le programme du NFP ainsi: suspendre l’application des réformes anti-sociales, redonner du pouvoir d’achat aux ménages, renforcer les services publics, récupérer de l’argent sur le patrimoine, et générer en retour des effets économiques vertueux. Cette politique tourne le dos à celle mise en œuvre depuis 2017 dont l’orientation principale, revendiquée par Bruno Le Maire, est la baisse des prélèvements obligatoires et l’horizon la réduction du rôle de la protection sociale et des services publics dans l’économie ; politique menée à un rythme rapide, comme une fuite en avant à la recherche vaine d’un retour de la croissance et qui ne récolte qu’une baisse de la productivité.

Une large partie des critiques sur le sérieux du programme du NFP provient de commentateurs pour qui le seul débat économique valable est de savoir s’il faut d’abord définancer les retraites, l’école, les deux en même temps, ou si on n’ajouterait pas encore un peu de baisse de prélèvements sur les entreprises, pour la route. Et lorsque ces réformes sont évaluées scientifiquement, qu’on en démontre le coût social ou le peu d'efficacité économique, le plus souvent ces personnes haussent les épaules et passent à la suivante. Évidemment, une autre politique économique est possible.

Des mesures sociales tout à fait à portée de main

Si on considère les principales mesures proposées par le Nouveau Front Populaire, elles apparaissent tout à fait envisageables, sans doute d’ailleurs un peu plus modérées que le programme de la NUPES en 2022, pour tenir compte de la dégradation depuis des comptes publics.

Pour ne prendre que quelques mesures sur les sujets que je connais le mieux : suspendre la réforme des retraites de 2023 pour revenir à 62 ans immédiatement est tout à fait faisable, d’autant que la réforme a à peine commencé d’être appliquée (cela représente environ 0,8 point de PIB en 2032 pour le système de retraite et c’est en grande partie financé par la hausse prévue des cotisations de 0,6 points pour les employeurs et 0,6 points pour les salariés[1]). Il est prudent de ne pas s’engager trop avant sur le droit à la retraite à 60 ans pour toutes et tous, même s’il apparaît évident que pour certaines personnes et certains métiers pénibles aujourd’hui quasiment pas reconnus, la baisse de l’âge de départ devrait être appliquée rapidement. 

Annuler les réformes de l’assurance chômage est également très facilement faisable, la précédente n’étant même pas encore complètement montée en charge et la prochaine n’étant pas encore appliquée.

Revaloriser le point d’indice de la fonction publique de 10% est un choix budgétaire non négligeable dont il s’agit de prendre conscience de l’ampleur, à hauteur de 0,8 points de PIB selon certaines estimations. Cette priorité constitue bien une partie de la réponse aux graves difficultés de recrutement que connaissent actuellement les services publics, en particulier les deux plus importants que sont la santé et l’éducation, dont les concours ne font plus, du tout, le plein. Cela sera sans doute plus utile pour l’avenir que la baisse de la fiscalité pour les ménages les plus aisés.

L’indexation des salaires, elle, existe sous une certaine forme chez nos voisins Belges, qui ne s’en plaignent pas, et cela mériterait qu’on s’y penche pour en affiner les caractéristiques techniques.

Côté recettes on peut voir plus loin

Côté recettes, là aussi les pistes sont claires : récupérer des moyens sur les patrimoines des millionnaires et milliardaires par le retour à un impôt sur la fortune et l’instauration d’un impôt élevé sur les très hautes successions. Il est également urgent de revenir sur certaines niches fiscales ayant peu d’effet positif et très coûteuses.

C’est peut-être de ce côté-là d’ailleurs que le programme mériterait d’être approfondi. Un passage en revue systématique de la politique fiscale depuis 2017 pourrait donner des pistes de financement utiles.  En effet, depuis 2017, les baisses de prélèvements obligatoires décidées par les différents gouvernements s’élèvent à près de 70 milliards d’euros par an. Ces 70 milliards ont eu deux contreparties : une baisse (ou un ralentissement du financement) des protections collectives (retraite, chômage, services publics), mais également un creusement du déficit public. Selon l’OFCE, de l’ordre de 40 Mds d’euros de baisse de recettes depuis 2017 n’ont jamais été compensés. Alors que le déficit est en 2023 à 5,5% du PIB ces mesures non compensées représentent environ 1,4 point de PIB[2], ce qui n’est budgétairement pas très sérieux.

Selon la même logique, revenir sur le CICE et le pacte de responsabilité, mis en place sous François Hollande, ou sur la baisse de la CVAE plus récente pourrait donner davantage de marge de manœuvre. Certes, ce n’est pas parce ces mesures fiscales étaient contestables, qu’on peut les supprimer toutes, et d’un coup :  les entreprises, même si elles n’en avaient pas besoin, s’y sont accoutumées. Mais il y a de la marge pour commencer tout de suite, et récupérer des montants conséquents.

C’est pour cela qu’une revue paraît opportune pour savoir jusqu’où et à quel rythme on peut remonter la pente dévalée au cours des dernières années. De manière intéressante, certains amendements aux dernières lois de finance de la majorité présidentielle, le rapport Bozio-Wasmer en cours de rédaction, ou encore la Cour des comptes esquissent déjà des pistes en ce sens.  

N’esquivons pas le débat démocratique sur la politique à mener

Ce qui serait “sérieux”, et démocratique, c’est que les médias d’information utilisent le temps de cette élection pour mettre en perspective les visions de politiques économiques alternatives des trois pôles : la baisse des prélèvements et des dépenses sociales de LREM, espérant faire revenir de la croissance, sa version amplifiée par le RN assortie d’une politique économique xénophobe motivée par des orientations racistes, et le changement de cap proposé par le Nouveau Front Populaire qui fait le pari d’une réorientation écologique et sociale, appuyée par la fiscalité et dans une perspective keynésienne.

Si le front populaire gagne, il aura alors à sa disposition tous les moyens de l’Etat pour calibrer, orchestrer, séquencer les mesures de son programme, et proposer des décisions à arbitrer. La feuille de route est suffisamment claire pour que cela démarre vite, l’administration sait faire. Un programme est là pour définir un cap, le début du chemin et un horizon, en l’espèce celui du NFP trace des perspectives claires et enthousiasmantes.

 

 

[1] Chiffrage auteur d’après simulateur du COR.

[2] OFCE : https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/les-crises-expliquent-elles-la-hausse-de-la-dette-publique-en-france/

 

 Persos A à L
Mona CHOLLET
Anna COLIN-LEBEDEV
Julien DEVAUREIX
Cory DOCTOROW
EDUC.POP.FR
Marc ENDEWELD
Michel GOYA
Hubert GUILLAUD
Gérard FILOCHE
Alain GRANDJEAN
Hacking-Social
Samuel HAYAT
Dana HILLIOT
François HOUSTE
Tagrawla INEQQIQI
Infiltrés (les)
Clément JEANNEAU
Paul JORION
Michel LEPESANT
Frédéric LORDON
Blogs persos du Diplo
LePartisan.info
 
 Persos M à Z
Henri MALER
Christophe MASUTTI
Romain MIELCAREK
Richard MONVOISIN
Corinne MOREL-DARLEUX
Timothée PARRIQUE
Thomas PIKETTY
PLOUM
VisionsCarto
Yannis YOULOUNTAS
Michaël ZEMMOUR
 
  Numérique
Christophe DESCHAMPS
Louis DERRAC
Olivier ERTZSCHEID
Olivier EZRATY
Framablog
Francis PISANI
Pixel de Tracking
Irénée RÉGNAULD
Nicolas VIVANT
 
  Collectifs
Arguments
Bondy Blog
Dérivation
Dissidences
Mr Mondialisation
Palim Psao
Paris-Luttes.info
ROJAVA Info
 
  Créatifs / Art / Fiction
Nicole ESTEROLLE
Julien HERVIEUX
Alessandro PIGNOCCHI
XKCD
🌞