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 Michaël Zemmour

Enseignant-chercheur à l’Université Paris 1 (Centre d'Economie de la Sorbonne) et chercheur associé à Sciences Po (LIEPP)

 

Publié le 27.10.2025 à 19:08

Une réforme intacte, des questions qui persistent

Tribune parue initialement dans Le Monde le 25/10/2025 sous le titre "Les fondements de la réforme des retraites ne sont en rien remis en cause"

              Malgré les éléments de discours évoquant une « suspension », la réforme des retraites devrait s’appliquer intacte, avec une génération de décalage.

Ce décalage aura un effet réel : permettre un départ 3 mois plus tôt que prévu par la réforme de 2023 aux personnes nées de 1964 à 1968. Les personnes nées en 1967 pourraient par exemple partir à 63 ans et 6 mois au lieu de 63 ans et 9 mois.  De même les personnes des générations 1964 et 1965 pourront atteindre le taux plein un trimestre plus tôt que prévu. Ce n’est pas rien, mais c’est tout. En particulier les fondements de la réforme ne sont en rien remis en cause. La marche à 64 ans reste inscrite dans la loi, et toute les personnes âgées de moins de 60 ans aujourd’hui continueront de voir leur âge de départ progressivement décalé pour atteindre 64 ans à la génération 1969. Pour arrêter cette marche il faudrait une nouvelle loi.

Un succès historique mais des défis importants

Partant, toutes les questions qui se posent aujourd’hui à notre système restent ouvertes. Alors que la Sécurité sociale fête cette année ses 80 ans, le système de retraite français compte à son actif une belle réussite : la mise en sécurité sociale de tout un âge de la vie. Pour autant des défis importants restent à relever dans les décennies qui viennent. 

Le premier est celui de la situation des personnes dont la carrière s’arrête autour de la 60aine, sans pour autant pouvoir prétendre à la retraite. Cette situation due à l’usure professionnelle et au comportement des employeurs concerne plus d’un ouvrier sur trois, plus d’une employée sur quatre. Des travaux récents présentés cet automne[1] viennent encore confirmer que le report de l’âge de la retraite a pour effet de creuser les écarts de niveau de vie, avant et après la retraite entre les catégories modestes et les catégories aisées.

Le second défi est celui du niveau des pensions dans le futur. Les actifs d’aujourd’hui doivent s’attendre à une baisse plus marquée de leur niveau de vie à la retraite.  Il ne s’agit pas de « ne pas avoir de retraite » mais d’avoir un niveau de vie nettement plus faible : alors que la pension nette moyenne (moins de 1700€ en 2023[2]) est aujourd’hui de 60% du revenu d’activité moyen, elle serait à horizon 2050 proche de 50%, occasionnant ainsi un décrochage social plus marqué lors du passage à la retraite. Les pensions de l’AGIRC ARRCO et de la fonction publique seraient particulièrement concernées. Seule une programmation, mesurée mais régulière d’une hausse des recettes du système pourra l’enrayer pour partie.

A la liste des questions ouvertes on peut ajouter : la faiblesse persistante des pensions des femmes ayant eu des enfants du fait d’un calcul de montant de pension pensé pour des carrières masculines et sans accroc, calquées sur la norme des Trente Glorieuses. Les iniquités des personnes qui touchent des pensions dans différents régimes (« poly pensionnés »). Les âges bien trop avancés (respectivement 65 ans et 67 ans), pour prétendre au minimum vieillesse et à l’annulation de la décote, qui concernent prioritairement des personnes (le plus souvent des femmes) qui de toute façon ne peuvent prétendre qu’à des droits faibles. 

Une focalisation sur les aspects techniques qui esquive les questions de fond

Une conférence sociale sur le travail et les retraites est annoncée pour novembre. Si la discussion sur le travail en crise est bienvenue, et prend enfin le problème du bon côté, le volet retraite, nécessaire, ne s’annonce pas sous les meilleurs hospices : la recherche par les acteurs d’une solution « technique » parée de toutes les vertus (capitalisation, système à point, suppression de la notion d’âge …) évite soigneusement les questions substantielles : quel niveau de retraite voulons nous dans les décennies à venir ?  A quel âge et pour qui ?  Et quels moyens sommes-nous prêts à y consacrer alors que le nombre de retraités va augmenter ?  Voulons-nous d’une pension «de base », et à laquelle on n’a accès que lorsqu’on n’est plus en situation physique d’être en emploi ?  Ou souhaitons préserver l’invention des années 80, et qui n’existe pas dans tous les pays, d’un âge de la vie vécu en situation de sécurité sociale et au cours duquel l’activité sociale se fait en dehors de l’emploi ? 

 Il n’y a pas de système qui réponde magiquement à ces questions par lui-même. La « liberté de partir à l’âge de son choix » ne vaut pas grand-chose si la pension ainsi obtenue ne permet pas de vivre décemment ou si la personne n’est pas en situation de poursuivre son activité professionnelle. La capitalisation, on le voit en Allemagne, ne protège pas intrinsèquement contre les pensions insuffisantes, et est associée le plus souvent à des inégalités plus importantes de pension. Pire, beaucoup des pistes envisagées ont en commun de faire porter prioritairement aux individus les risques inhérentes au système, par un « ajustement automatique » des paramètres d’âge ou de pension.

Pour un minimum de pension garanti

Quelle que soit l’option retenue, l’instauration d’une réelle pension minimum individuelle garantie, et accessible dès un âge précoce, 60 ans par exemple, serait de nature à régler plusieurs des problèmes actuels. Il donnerait l’accès à un statut protecteur, celui de retraité, à des salariés qui souvent ne sont souvent déjà plus en emploi, ont des retraites plus courtes, et qui parfois doivent attendre plusieurs années pour liquider leur pension d’un montant de toute façon faible. De plus un tel système ne risque pas de dissuader les personnes aux revenus les plus élevés – qui ne se satisferont pas de cette retraite minimum - de poursuivre leur activité pour prétendre à une pension à taux plein.

 

[1] Impact of a Retirement Age’s Rise on Labour Market Status and Living Standards. Patrick Aubert (IPP), Antoine Bozio (IPP, EHESS), Maïlys Pedrono (IPP) et Maxime Tô (IPP), Communication au colloque « Retraite et vieillissement 2025».

[2] Pension nette moyenne, y compris réversion et majoration, DREES.

Publié le 14.10.2025 à 22:41

Analyse à chaud: l'annonce du Premier ministre concernant la réforme des retraites

L'annonce du Premier Ministre laisse prévoir un décalage du calendrier de la réforme de 2023, d'environ 3 mois pour les générations 1964 à 1968 (3,5 m de personnes). La cible des 64 ans et 172 annuité continuerait d'être poursuivie au même rythme, décalé d'une année de naissance. 

Le Premier Ministre a annoncé « C’est pourquoi, je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu’à l’élection présidentielle. Aucun relèvement de l’âge n’interviendra à partir de maintenant jusqu’à janvier 2028, comme l’avait précisément demandé la CFDT. En complément, la durée d’assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu’à janvier 2028. » Lors de son discours de politique générale du 14 octobre 2025.

Sous un jeu d’hypothèse raisonnables, et sous réserve de voir comment l’amendement gouvernemental sera rédigé voici ce qu’on peut comprendre :

  • Il s’agit d’un décalage du calendrier de la réforme qui fait en sorte que le prochain « pas » d’âge et de durée qui devait être franchi en 2026 soit franchi au cours de l’année 2028.
  • Il maintient par la suite l’avancée de la réforme menant l’âge à 64 ans et la durée de cotisation à 172 trimestres à un rythme accéléré (nous faisons l’hypothèse qu’il le maintien au même rythme mais cela pourrait être plus rapide).  
  • Les générations 1964 à 1968 (3,5 m de personnes) gagneraient 3 mois d’âge et les générations 1964 à 1965 3 mois de durée. Les suivantes seront intégralement touchées par la réforme de 2023, en l’absence de toute nouvelle loi.
  • Il ne s’agit pas d’un gel de la réforme (« suspension ») au sens où la réforme n’est pas arrêtée au point qu’elle a atteint en 2025 :  l’âge cible de 64 ans reste inscrit dans la loi et serait atteint en 2033 au lieu de 2032. La durée cible de 172 trimestres serait atteinte en 2029 au lieu de 2028.
  • Un scénario alternatif gel (« suspension » ) serait différent budgétairement et pour les personnes concernées à partir de 2028. La différence est qu’en l’absence de toute intervention, il bloque l’avancée de la réforme après 2027 (en vert sur le graphique).
  • En effet la loi ne peut pas « ne rien dire » pour les générations 1966 et suivante. Ce qu’elle dit est important car c’est ce qui arrivera par défaut en l’absence de nouvelle loi.

 

Graphique indiquant la progression de l'âge en fonction de l'année de naissance. Lecture : Dans le cadre de la réforme 2023 le passage à 63 ans se ferait en janvier 2027 pour la génération 1964. Dans le cadre des annonces du PM il se ferait en avril 2028 pour la génération 1965. Dans le cadre d’un gel de la réforme il ne serait pas programmé.

 

Graphique indiquant la durée de cotisation en fonction de l'année de naissance. Dans le cadre de la réforme 2023 le passage à 171 trimestres se ferait en janvier 2027 pour la génération 1964. Dans le cadre des annonces du PM il se ferait en avril 2028 pour la génération 1965. Dans le cadre d’un gel de la réforme il se ferait au rythme de la réforme Touraine pour la génération 1970.

 

Détail des calculs :

Actuellement l’âge de départ est de 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation de 170 trimestres.

Pas d’augmentation avant janvier 2028, veut dire a priori, que toutes les générations qui partirons entre aujourd’hui et 2027 partiront à 62 ans et 9 mois et 170 trimestres.

Les personnes qui auront 62 ans et 9 mois en décembre 2027, les dernières qui seront concernées par cette mesure, sont nées en mars 1965. On peut en déduire que les personnes nées en avril 1965 partiront à 63 ans et 171 trimestres. Puis la réforme poursuivra son cours ordinaire (on peut même imaginer que ça aille plus vite).

Au total, les générations 1964, 1965, 1966, 1967 et 1968 (3,5 millions de personnes) gagnent probablement un trimestre d’âge et un trimestre de durée (et même peut être 6 mois pour les personnes nées en début d’année 65. Les autres générations ne gagnent rien et voient l’âge de 64 ans et l’accélération de la réforme Touraine toujours inscrits dans la loi.

 

 

Analyse faite en peu de temps, remarques, et amendements bienvenus. 

Publié le 07.03.2025 à 18:25

Brève note après la journée stand up for science (07/03/2025)

Aujourd'hui en écho avec la mobilisation aux USA, une journée de mobilisation a été organisée (en un temps record), par le collectif militant Stand up for science France (bravo à elles et eux!) . La mobilisation a été forte dans de nombreuses villes universitaires.

J'ai eu l'occasion de participer à une conférence à Jussieu organisée par le collectif. En style télégraphique et en reprenant des idées formulées par les intervenantes et intervenants (je m'excuse auprès d'elles et eux par avance, je synthétise et j'aurais du mal à réattribuer les propos aux unes et aux autres), voici ce que je retiens (subjectivement) des échanges durant la conférence (dont la vidéo ici) et dans la manifestation:

1) Les attaques aux Etats-Unis ne sont ni seulement symboliques ni étroitement ciblées. On a encore bien sûr du mal à comprendre quel sera l'état final des choses (des recours sont en cours, des hésitations), mais à cette date les échos des collègues sont que les attaques sont larges et massives, notamment au moyen de la suppression de financement fédéraux (suppression de poste, de crédits, en raison du thème de recherche réel ou supposé), de censure (mise hors ligne de document, de données), ou encore d'intimidations et de menaces.

2) L'attaque contre la science vise délibérément un des organes de la démocratie: le gouvernement Trump met en œuvre des politiques de dégradation délibérée du climat, de persécution des minorités, en ciblant tout particulièrement les personnes trans, de suppression de budget d'aide internationale. Pour affaiblir les résistances ou les oppositions potentielles, il éteint la lumière, en entravant la recherche sur le sujet.

Ce qui est visé c'est à la fois la capacité de la société à se connaître elle-même et à connaitre l'état du monde pour mieux en délibérer. C'est également un outil de résistance juridique, les études scientifiques étant souvent considérées comme un élément de preuve dans les recours en justice.

On sait déjà que les données médicales ou sur le changement climatiques sont compromises. On peut également être inquiet concernant les données objectivant par exemple les inégalités de conditions de vie, les inégalités femmes hommes ou les discriminations, lorsque celles-ci sont produites ou hébergées par des organismes publics.

3) Ce qui se passe aux USA (qui se passe et s'est déjà passé aussi dans d'autres pays ayant connu des basculement, l'Argentine était notamment citée) nous inquiète pour trois raisons:

i/ par solidarité avec la population et avec nos collègues

ii/ parce que la recherche US est un élément structurant et critique de la recherche mondiale (revues, données, financement). Les destructions à l'oeuvre ont des conséquences directes sur l'état des connaissances partout dans le monde. Certaines publications ou données sont déjà reproduites, pas toutes.

iii/ parce que nous avons la conviction, ayant l'exemple US sous les yeux, que nous ne sommes pas à l’abri de tels basculement.

La situation actuelle en France n'est bien sûr pas du même ordre, mais elle fait écho à des choses que nous observons, depuis longtemps de ce côté de l'atlantique.

D'une part la crise de financement de la recherche publique montre que cet outil de la vie démocratique est mal traitée (les diminutions budgétaire sont massives - moins 1 Md de crédit en 2024 -, une journée de mobilisation est d'ailleurs appelée par les organisations syndicales et au-delà le 11 mars prochain).

D'autre part dans la période récente des paroles politiques ou des responsables publics ont remis en cause, à plusieurs reprise non pas telle ou telle étude, mais des disciplines entière, des thèmes de recherche, ou sans motif valable, la crédibilité d'organismes publiques ou d'agence chargé d'établir des données ou de produire des études dont les résultats déplaisaient. Les universités sont également régulièrement la cible de discours politiques.

Enfin et surtout la situation aux Etats-Unis montre à quelle point les basculement peuvent être rapides et interroge sur la capacité de résistance de la société et des institutions, même face à des attaques outrancières et parfois manifestement illégales.

Pour finir sur une note volontaire, il semble que malgré la sidération (le mot est revenu souvent), la compréhension des enjeux est très claire parmi les collègues de l'ESR qui ont participé à cette journée. Il nous reste à la partager largement, avec l'ensemble de la société, mais en particulier avec les autres groupes sociaux dont la fonction sociale est notamment de participer à la vitalité démocratique (journalistes, juristes, associations, corps constitués, syndicats...). Il nous faut également soutenir, par tous les moyens à notre disposition, les résistances civiles et institutionnels qui s'organisent aux Etats-Unis.

 

Nb: Je reprend ici, plus ou moins fidèlement, des idées exprimées par notamment Florence Débarre, Johanna Siméant-Germanos,  Valérie Masson Delmotte, Dorian Guinard, Sébastien Barot et Marine de Gugliemo Weber qui intervenaient également, ainsi que et de nombreux autres collègues intervenus lors des échanges.

 

 

Publié le 20.02.2025 à 15:43

Rapport flash de la Cour des comptes : remise à plat (ou presque)

Au terme d’une « mission flash » la Cour des comptes vient de rendre un rapport sur l’état financier du système de retraite. J’ai d’ailleurs eu l’occasion, comme d’autres d’être reçu lors de la rédaction du rapport. Je livre ici quelques réactions à chaud à la lecture du document.

i)     Le diagnostic général était connu, il demeure inchangé, légèrement actualisé : les dépenses de retraites sont stabilisées, un déficit modéré est à prévoir si on diminue comme prévu les ressources. Les pensions futures risquent de se dégrader.

ii)    Le rapport a le grand mérite de prouver que la méthodologie du COR est robuste puisqu’il en suit l’ensemble des raisonnements, dissipant au passage utilement la fable de la dette cachée des retraites.

iii)    Dans le détail, la présentation des différents leviers de pilotage du système est franchement déséquilibrée, et méthodologiquement assez faible par rapport à ce qu’on sait par ailleurs. Et il est probable que ça ne sera pas une base très utile pour la négociation qui s’ouvre.

Un rapport qui confirme ce qu’on savait déjà

Pour qui est familier des rapports du COR, ce rapport n’apprend pas grand-chose. En effet, sur le fond il reste très proche des publications annuelles du COR, dont il emprunte une bonne partie de la méthodologie.

En cela c’est à la fois une bonne réponse à la commande du premier ministre, mais également une démonstration supplémentaire (après notamment celles du COR) que sa commande n’était pas nécessaire ce dont on se doutait un peu : après presque cinq années passées à discuter du système de retraite (réforme Delevoye, Borne), on commence à en connaître la situation.

On sait que les dépenses, à législation inchangée, sont à peu près stables, mais que cela se fait au prix de retraites plus courtes pour les générations qui partent aujourd’hui ou dans cinq ans que pour celles parties il y a dix ans. On sait qu’un déficit est prévu (on pourrait presque dire planifié), non pas du fait d’une hausse des dépenses, mais d’une baisse programmée des ressources que l’Etat consacrera aux retraites, baisse qui n’est pour l’heure compensée par aucunes recettes de substitution. Ce déficit sans mettre en danger ni le système ni les finances publiques est de l’ordre de 0,5 point de PIB autour de 2035, un peu plus par la suite, et ça serait une bonne idée de le réduire, en programmant, dès maintenant une mobilisation des ressources pour le système. On sait que le niveau de vie relatif des retraités est comparable à celui des actifs (des ressources monétaires nettement plus faibles, compensées par des ménages plus réduits, et le plus souvent la propriété d’un logement entièrement payé).  On sait également, que la stabilisation du niveau des dépenses de retraite se fait au prix d’une baisse programmée marquée du niveau de vie des futurs retraités.

On sait que le décalage de deux ans de l’âge de la retraite à 64 ans maintiendra en emploi de l’ordre de 300 000 personnes supplémentaire par an en 2035, mais que cela se fera (le rapport reste discret sur ce point) au prix d’un période plus précaire et plus longue pour 100 000 à 200 000 personnes, en particuliers des ouvriers et des employés femmes et hommes qui ne sont déjà plus en emploi à 62 ans ou avant.

Tout cela on le sait, rapport du COR après rapport du COR. Ce nouveau rapport le confirme permet quelques actualisations (prise en compte d’une variation du taux de cotisation des collectivités locales - une hausse très raide), révision de l’hypothèse de taux de chômage de référence à 7% (et non 5% que prend le COR par « cohérence » avec les hypothèses de court terme du gouvernement qui s’imposent à lui).

Un rapport qui n’était pas nécessaire mais qui peut être utile à rétablir un peu de confiance

Ce rapport de la Cour n’était donc peut-être pas nécessaire car il n’y a pas grand-chose de nouveau dedans. Mais le rapport pourrait être utile s’il permet une fois pour toute de dissiper les soupçons fort désagréables répandus sur le COR par opportunisme politique. 

En effet depuis plusieurs années des paroles publiques, et singulièrement au gouvernement, laissent entendre que l’institution ne serait pas fiable (ce qui est largement repris, sans distance, par une partie de la presse).

Cette mise en cause de la fiabilité du COR a été portée par les gouvernements précédents dont on se souvient qu’ils reprochaient au COR de ne pas s’approprier sans distance leur discours alarmiste sur l’état du système et sur la nécessité de mettre en place précisément cette réforme avec ce calendrier.

Il a été porté une seconde fois par le geste du premier ministre, de de confier à la Cour des comptes une « mission flash » ce qui était clairement un geste de défiance. Le soupçon était notamment nourri par la fable d’un « déficit caché » des retraites, qui selon le premier ministre serait responsable de la moitié de l’augmentation de la dette au cours des dernières années. Il n’y a pas plus de déficit caché des retraites que de Zèbre en liberté dans le Béarn ce qui a une nouvelle fois été établi par le rapport de la Cour, et il serait temps que la chasse au Zèbre prenne fin. Plus généralement, il est très heureux que la Cour des comptes (après examen), rappelle que les productions du COR (évidemment toujours discutables et discutées), sont transparentes et dignes de confiance.

En effet, au-delà de la seule question des retraites, avoir confiance dans la production statistique (INSEE, DREES, DARES, COR ) ou dans les institutions indépendantes (la Cour), y compris comme outil pour instruire les désaccords de diagnostics (qui peuvent exister) ou les divergences d’options politiques sur la marche à suivre est une condition indispensable du débat démocratique.

Un regard outre atlantique rapide suffit à nous rappeler que nos appareils statistiques sont précieux, et que, si on peut discuter de tout - même des chiffres (les statisticiens le font toute la journée) – il faut préserver la confiance et le financement des administrations statistiques et ne pas jeter sur elle un discrédit qu’elles ne méritent pas.   

Un rapport de peu d’utilité pour la négociation à venir

Ensuite dans le détail, et après une première lecture un peu rapide de ma part, le rapport est sans doute fait un peu vite ou avec un biais très « Cour des comptes », qui considère parfois que la baisse de la dépense publique est un but intrinsèque. On pourrait presque parler d’un rapport « qualité flash » au sens où il contient de lourdes imprécisions, ou des raisonnements franchement déséquilibrés. Aussi, il sera plus prudent pour les négociateurs de repartir du diagnostic global que peuvent fournir à la demande les administrations (CNAV, DSS, DREES…) ou de rapports du COR existant.

Parmi quelques passages qui témoigne de ces approximations on peut noter :  

-          « La France consacre (…) quatre points de PIB de plus que l’Allemagne » dans la synthèse et page 19 du rapport.

C’est évidemment faux et c’est une erreur grossière : en France la retraite est essentiellement par répartition. En Allemagne il y a un système à plusieurs piliers, dont de la capitalisation qu’il faut inclure dans la comparaison. Le rapport ne le précise pas, mais il ne compare que les dépenses publiques ou assimilées de retraite ce qui conduit à l’écart de quatre points. En effet, la source citée par le rapport de la Cour (un rapport de la Commission européenne) compare seulement l’écart entre les dépenses publiques de retraites (ou assimilées). Or les retraites privées représentent en Allemagne une part bien plus importante qu’en France. Ainsi par exemple, la comparaison raisonnée de Lavigne et al. 2024 donne un écart en 2020 (l’année n’est pas idéale) de l’ordre d’un point seulement entre la France et l’Allemagne en dépense[1].  

-          Le raisonnement sur le rendement d’un point de cotisation est étrange

Il fait l’hypothèse qu’un point de cotisation supplémentaire sur les employeurs serait nécessairement inclus dans les exonérations de cotisation (et donc rapporterait beaucoup moins qu’un point de cotisation salarié !) or il n’y a aucune raison de faire cette hypothèse.

Plus grave, car ça n’est pas clairement précisé, le rendement d’un point de cotisation n’est calculé que sur les salariés du privé (ce qui amène à un chiffrage de l’ordre de 7,4 milliards). Or s’il s’agit de financer un retour à 62 ans ou 63 ans par une hausse de cotisation, on ne doute pas qu’il s’agira de le financer aussi bien côté public que côté privé ou dans les collectivités.

La convention du COR (avec laquelle on peut jouer sur le simulateur du COR) inclut l'ensemble des revenus d’activité, public et privé. Et dans ce cas le rendement d’un point de cotisation est plus proche de 10 milliards d’euros par an.

-          Les raisonnements économiques sur les différents leviers sont très déséquilibrés.

Le rapport évoque différents leviers possibles : âge, durée, taux de cotisation, indexation des pensions, mais il ne les présente pas pour les mêmes ordres de grandeur, de telle sorte que les leviers soient comparables (par exemple un point de PIB atteint par les différents leviers).

De plus l’estimation et la discussion des effets des différents leviers est franchement déséquilibrée :

Lorsqu’il s’agit de chiffrer les effets de la réforme de 2023 sur l’ensemble des finances publiques, le rapport indique qu’il y a 4 estimations disponibles : Mésange, e-mod, un modèle comptable du Trésor et celui de Rexecode. Ces modèles estiment le gain pour les finances publiques respectivement à 0,4, 0,1 0,9 et 0,6 point de PIB.  C’est finalement le modèle le plus favorable à un décalage de l’âge qui est retenu (le modèle « comptable » du Trésor. Or celui-ci est loin d’être le plus convaincant. Il fait l’hypothèse que tout salarié qui décale son départ d’un an crée dans l’économie un emploi en plus, sans aucun effet d’éviction, même à court terme. Les modèles macro, bien plus réalistes, estiment qu’une augmentation de la main d’œuvre très significative, si elle peut faire augmenter l’emploi fait également augmenter le chômage, au moins à court terme et que donc 1 retraité qui ne part pas ça n’est sans doute pas 1 emploi en plus mais un peu moins (par exemple 0,9 ou 0,8).

Lorsqu’il s’agit d’estimer les effets d’une hausse de cotisations, on convoque (sans grande discussion) le modèle Mésange, cette fois-ci réhabilité - pour décrire un tableau apocalyptique (57 000 destructions d’emploi, ce qui fait à peu près 0,2 points de chômage), dû à des effets cumulés d’offre et de demande. Le chiffrage est sans doute excessif, mais on peut aussi sourire en notant qu'à priori toute austérité (comme souvent recommandée par la Cour), ou tout relèvement de prélèvement obligatoire (comme ceux qui figurent au budget 2025) peuvent avoir des effets sur l’emploi, mais qu’on ne sort cet effet épouvantail que dans un seul cas : la hausse des recettes du système de retraite.

Pour preuve, lorsqu’il s’agit d’estimer un autre levier, la désindexation des pensions (c’est-à-dire une baisse réelle des dépenses publique dont n’importe quel macro économiste vous dira sans aucun doute qu’elle a des effets récessifs à court terme) on est prié de croire que ce n’est pas la peine de chiffrer, l’effet emploi sera très certainement faible (sic) :

« Sur le plan macroéconomique, l’effet d’une sous-indexation des pensions est une question débattue, les modèles utilisés (notamment le modèle Mésange utilisé par la direction générale du Trésor) distinguant mal les effets selon les prestations sociales. La propension moyenne à consommer des retraités est en effet plus faible que celle des autres bénéficiaires de transferts sociaux puisque leur taux d’épargne moyen est d’environ 25% de leur revenu disponible en 2024 et est plus élevé que celui des autres classes d’âge. L’impact sur l’économie d’une moindre revalorisation des pensions serait donc faible, dès lors qu’elles ne constituent qu’une partie du revenu disponible des retraités et que ceux-ci, en moyenne, en épargnent une fraction significative. »

 

Bref, si le rapport est globalement sérieux il est sans doute difficile de faire en trois semaine le même travail d’équilibre et de transparence qu’une administration dont c’est la spécialité et qui le fait une fois par an.  De ce fait il n’est pas sûr que le détail des chiffrages soit particulièrement utile aux négociations à venir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Par ailleurs la part des dépenses brutes de retraites dans le PIB n’est pas un juge de paix absolu : lorsqu’on augmente la CSG sur les retraites, cela revient à très peu de chose près à baisser les retraites, mais en apparence cela fait augmenter les prélèvements obligatoires sans baisser les dépenses de pension.

Publié le 15.01.2025 à 19:08

Sans suspension de la réforme de 2023 il ne restera qu'un an à négocier (63 ou 64 ans)

Le premier ministre a annoncé hier dans son discours de politique générale qu'il souhaitait remettre la question des retraitez en négociation, sans toutefois suspendre celle-ci. Un coup d'oeil au calendrier d'application de la réforme montre qu'il ne restera plus grand chose à négocier : le dernier tiers de la réforme ; celui qui porte l’âge limite de 63 ans à 64 ans, et qui n’aura des conséquences sensibles qu’après 2027. Le reste de la réforme (la montée jusqu’à 63 ans et l’allongement de la durée de cotisations) sera déjà (presque) entièrement appliqué.

On peut noter en propos tout d'abord que les termes de la négociation annoncée sont tout sauf favorables pour les syndicats opposés à la réforme:  le premier ministre a annoncé par avance qu'en l'absence d'accord la réforme resterait inchangée. On voit mal dans ces conditions pourquoi le patronat (pour qui le statut quo est sans doute la meilleure option pour le moment) s'engagerait dans la recherche d'un accord remettant en cause la réforme et mobilisant de nouvelles ressources pour le système de retraite. Ce n’est pas l’objet de ce billet de revenir sur ces points (développés en partie dans cette interview à Médiapart) mais je voudrais revenir ici sur un implicite contenu dans le calendrier annoncé par le premier ministre.

En effet, un des points clés est que la réforme n’est ni suspendue ni arrêtée, et que le premier ministre envisage en cas d’accord (à ce stade relativement peu probable), de le mettre en œuvre par une loi prise au second semestre 2025 (à l’été ou dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2026).

Or on sait que le temps joue pour la réforme : d’une part à mesure que le temps avance la réforme s’applique à de nouvelles générations et les paramètres effectifs avancent, d’autre part les caisses de retraites disent et redisent qu’il faut près de 6 mois pour mettre en œuvre un changement législatif ou réglementaire).

Ces deux éléments nous donnent une bonne indication sur ce qu’il restera à discuter de la réforme des retraites : l’âge de 63 ou de 64 ans…et c’est (presque) tout. En effet l’âge de 63 ans et la durée de cotisations de 43 annuités seront déjà (presque) entièrement effectif à l’issue de la négociation.

En admettant le scénario d’une loi votée à l’été ou à l’automne, celle-ci ne pourra s’appliquer qu’en 2026. A cette date, il sera déjà trop tard pour la génération 1963 dont l’âge aura été porté à 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation à 42 ans et demi. Si on « ne revient pas en arrière », le mieux qui pourra alors être fait c’est d’arrêter les compteurs pour la génération 1964 à ces deux paramètres : 62 ans et 9 mois, et 42 ans et demi. Sans trop d’imagination (je force à peine le trait) on peut penser que ces paramètres seraient arrondis … soit 63 ans et 43 annuités.

Un graphique montre l'avancée de la durée de cotisation requise (axe de droite) et de l'âge légal (axe de gauche). L'axe des abscisse indique l'année de mise en oeuvre. Des étiquettes sur les axes indiquent les générations concernées. A l'année 2026, l'age minimal de la retraite dépasse 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation 42 ans et demi. La génération 1963 a déjà commencé à faire valoir ses droits

Lecture: En 2026, la génération 1963 aura déjà commencé à partir en retraite, l'âge minimal de la retraite sera déjà de 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation requise de 42 ans et demi.

Autrement dit dans ce scénario (fictionnel) ce qui pourrait faire l’objet des discussions c’est la question de fixer comme âge minimal 63 ou 64 ans. La réforme « Touraine accélérée » (c’est-à-dire le passage à 43 annuités de cotisations à un rythme très rapide) et le retour à l’âge de départ à 62 ans seraient presque mécaniquement exclus de la discussion.

Si c’est bien cela, les modifications ne concerneront que les générations 1966 et suivantes (les seules dont l’âge minimal prévu dépassait 63 ans). Et elle se verront bien applique la durée de cotisation de 43 ans. Ce qu’il restera à négocier représente donc en gros financièrement un tiers de la réforme de 2023.

Autre remarque d’importance : aucune modification de la réforme n’aura de conséquence financière sensible avant la présidentielle 2027… C’est sans doute avant tout pour cela d’ailleurs que l’hypothèse d’un arrêt de la réforme a été écarté. Pour mémoire, cet artifice avait déjà été utilisé par Emmanuel Macron quand il avait ramené l’âge cible de la réforme de 65 à 64 ans : il était prêt à revenir sur la partie de la réforme qui n’avait pas de conséquence budgétaire à l’horizon de son mandat.  

Bien sûr il sera toujours possible de « revenir en arrière » sur les paramètres (en 1981 l’âge minimal de départ à taux plein a été abaissé), mais il est tout de même politiquement plus fréquent d’arrêter une réforme avant qu’elle ne s’applique qu’une fois mise en œuvre. La négociation s’annonce déjà difficile, le plus probable n’est pas vu d’ici qu’elle aboutisse à un abaissement des paramètres qui seront déjà effectifs.

 

 

 

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