pour la lutte sociale
BLOG COLLECTIF - L.N Chantereau, Olivier Delbeke, Robert Duguet, Alexis Mayet, Luigi Milo, Vincent Presumey ...
Publié le 20.11.2024 à 23:43
États-Unis – Une question décisive à résoudre : quelle issue pour le prolétariat ? Par l’Insurgé
aplutsoc
Publié le 20.11.2024 à 23:20
Ce gouvernement peut tomber ? Oui, ce gouvernement doit tomber. Editorial du 20 novembre 2024.
aplutsoc
Publié le 19.11.2024 à 19:37
La tectonique mondiale post-élection de Trump. 2ème partie : le monde.
aplutsoc
Publié le 18.11.2024 à 13:33
Le régime Trump à venir : chaos et répression, par OaklandSocialist. 1ère partie.
aplutsoc
Publié le 18.11.2024 à 12:08
La tectonique mondiale post-élection de Trump. 1° partie : aux États-Unis.
aplutsoc
Publié le 20.11.2024 à 23:43
États-Unis – Une question décisive à résoudre : quelle issue pour le prolétariat ? Par l’Insurgé
Présentation
La victoire de Trump est un événement de portée mondiale et constitue une défaite pour les travailleurs du monde entier car elle renforce la réaction la plus barbare partout sur la planète, bien au-delà des frontières des USA. Bon nombre des groupes d’extrême gauche ou de la gauche radicale ont minoré cet enjeu et appuyaient prioritairement voir uniquement dans le sens de « punir Genocide Joe ».
Aujourd’hui, pour préparer la riposte aux attaques que Trump annonce ouvertement (État d’exception dès le 21 janvier, ouverture de camps de concentration pour 20 millions d’immigrés en vue de leur déportation en masse hors des USA, mobilisation de la Garde Nationale à cet effet, installation d’une équipe gouvernementale prête à jeter par dessus bord toutes formes légales et constitutionnelles, remise en cause de l’IVG le plus largement possible, marginalisation voir élimination des syndicats, etc …), il est temps de discuter ouvertement du bilan de cette séquence.
A ce titre, nous publions la contribution des camarades du bulletin l’Insurgé. Nous précisons que cette discussion est entre camarades qui se situent du même côté de la barricade en commençant par la solidarité avec le peuple ukrainien en lutte contre la guerre d’agression de Poutine, comme par la solidarité avec le peuple syrien en butte à la répression féroce du boucher Assad.
Nous sommes en désaccord avec la position reproduite ci dessous. Et nous en apporterons une critique fraternelle dans les prochains jours.
Déclaration de l’Insurgé
Durant les semaines qui ont précédé les élections américaines du mardi 5 novembre 2024, l’image des deux principaux candidats à la présidence donnée par la majorité des médias français était quelque peu biaisée : d’un côté Donald Trump était présenté comme un « fasciste » (« Le péril fasciste » titre à la Une L’Humanité du 31 octobre), reprenant ainsi à son compte le qualificatif utilisé par la candidate démocrate à l’encontre de Trump. Et certes, tous les discours de Trump confortaient cette image ; de l’autre Kamala Harris, candidate du parti Démocrate, vice-présidente sortante, présentée comme intelligente, attachée à vouloir abroger la décision de la Cour suprême qui avait limité brutalement la liberté d’avortement, après que trois des membres de cette Cour aient été nommés par Trump.
Et jusqu’à la veille du scrutin, l’ensemble des sondages semblait incapable de départager les deux candidats. Au point que l’on prévoyait déjà des semaines de contestations judiciaires, des manifestations armées si Trump n’était pas désigné vainqueur, etc.
Le retour au réel fut brutal : quelques heures après la clôture du scrutin, Trump apparaissait sans contestation possible comme le grand vainqueur, tant l’écart était grand au niveau de l’élection présidentielle mais aussi des élections à la Chambre des représentants et au Sénat.
Débâcle du Parti démocrate
Avec 312 grands électeurs élus pour l’un, et 226 pour l’autre (à la date du 15 novembre), la victoire de Trump était écrasante. Pire : Trump remportait la majorité des voix, avec 78 386 705 voix (50,1 %).
Il est ainsi le premier Républicain à remporter le vote populaire présidentiel depuis George W. Bush en 2004, tandis que Kamala Harris recueillait 73 680 614 voix (48,3 %).
De son côté, Jill Stein (Green Party) obtenait 761 907 voix (0,5 %).
On estime le taux de participation global à environ 64,5%, contre un peu moins de 66% en 2020. Mais 2020 était exceptionnellement élevé, le plus élevé depuis 1900.
Par rapport à 2020, les Républicains progressent tandis que les Démocrates perdent 7 millions de voix, passant de 81 millions de voix à un peu plus de 73 millions de voix, pour une part au profit de l’abstention.
À cela s’ajoute le fait que désormais les Républicains conservent la Chambre des représentants et ont repris le contrôle du Sénat.
A la Chambre des représentants, les Démocrates ont 212 élus tandis que les Républicains en ont 218 (soit la majorité absolue, 5 sièges restant à attribuer). Au Sénat, les 100 sénateurs se répartissent entre 53 Républicains et 47 Démocrates.
Comment expliquer ces résultats ?
Pour une part, par les programmes respectifs des deux candidats.
Car si le programme de Trump était incontestablement réactionnaire, mettant au centre la lutte contre les migrants, celui des Démocrates et de Kamala Harris cherchait à courtiser les Républicains, faisant valoir par exemple leur opposition à l’immigration et la volonté de renforcer les contrôles à la frontière avec le Mexique.
De même, alors que les fusillades de masse sont un fléau, et qu’en 2018 la jeunesse américaine s’était massivement mobilisée (à la suite de la fusillade de Parkland) contre la prolifération des armes, Kamala Harris a tourné casaque, oubliant ses déclarations pour la limitation des armes et a préféré faire savoir quelle possédait un pistolet semi-automatique Glock, (« I have a Glock, and I’ve had it for quite some time »). Ce faisant, elle s’alignait sur Donald Trump connu pour son soutien au puissant lobby des armes, la National Rifle association of America (NRA).
La liberté de l’avortement ?
Ce fut l’axe majeur de la campagne de Kamala Harris, et ce droit démocratique revendiqué a manifestement pesé dans le fait que 54% des électrices ont voté pour la candidate Démocrate (contre 44% des hommes).
Mais ce sont donc 46% des femmes qui ont voté Trump, malgré la limitation du droit à l’avortement, confirmant qu’une campagne présidentielle ne pouvait se résumer à cette seule question. D’autant que nombre d’électeurs favorables à la liberté d’avortement ont en même temps voté pour Trump.
En témoigne le fait que dans un certain nombre d’États où des référendums pour le droit à l’avortement l’ont emporté, Trump a néanmoins gagné l’élection. Ainsi dans le Missouri, où les électeurs ont annulé l’interdiction de l’avortement, tout en votant majoritairement en faveur de Trump.
La xénophobie et le racisme sous tendaient la campagne menée par Trump contre les migrants sans papiers annonçant qu’il les expulserait par millions ?
Mais un grand nombre d’Afro-américains ont voté Trump malgré les appels (quelque peu tardifs) adressés explicitement à cette communauté par Michelle et Barack Obama. Et un grand nombre de « latinos » ont également voté Trump malgré les propos racistes tenus par Trump vis-à-vis des migrants originaires d’Amérique latine.
Car, en ce qui concernait Kamala Harris, si le discours était plus respectueux, les faits ne parlaient pas pour elle : certains rappelaient que, comme procureure, elle avait souvent eu la main lourde vis-à-vis des inculpés issus des couches paupérisées et que, comme vice-présidente, elle n’avait apporté aucune solution permettant de régulariser et d’intégrer les migrants : dans ces conditions, nombre d’électeurs d’immigration récente – phénomène assez classique – « retiraient l’échelle » derrière eux et se ralliaient aux discours de Trump brutalement hostiles aux nouveaux migrants.
Défendre l’industrie américaine en renforçant le protectionnisme ?
Certes, Biden et sa vice-présidente pouvaient se prévaloir du quasi plein emploi aux États-Unis et des investissements colossaux réalisés dans de nouveaux secteurs d’activité (voitures éclectiques, batteries, informatique…). Mais cela ne pouvait effacer ni la poussée inflationniste des années 2020-23, qui a durement (et durablement) réduit le pouvoir d’achat des salariés (dont nombre de latinos et d’afro-américains), ni compenser les destructions d’emplois industriels qui avaient touché des régions entières antérieurement, du fait notamment de la concurrence chinoise. Car ce ne sont souvent pas les mêmes couches de travailleurs qui ont perdu un emploi et qui sont aujourd’hui employés dans les nouvelles industries. Kamala Harris se contenta d’affirmer sa volonté de réduire les importations.
Et si Kamala Harris comme Biden avait affiché sa sympathie pour les syndicats, tandis que Trump était plus occupé à les dénigrer, néanmoins une fraction des Républicains s’affichait comme « pro-travail » (« pro-labor »), en prônant avec Trump une politique protectionniste, l’augmentation des droits de douane étant censée protéger l’emploi.
Pour une partie des travailleurs, ces promesses de Trump avaient le mérite de la clarté : « droits de douane est le plus beau mot du dictionnaire » déclarait Donald Trump au moment où Kamala Harris les jugeait contre productifs.
Le rôle des appareils syndicaux
Certes, la majorité des appareils syndicaux ont apporté leur soutien à Harris notamment l’AFL-CIO, confédération comptant près de 12,5 millions de membres ; la National Education Association avec trois millions de membres ; l’Union internationale des employés des services (deux millions de syndiqués) ; la Fédération américaine des enseignants (1,7 million), le « syndicat des métallos » United Steelworkers (1,2 million) ; ou le syndicat automobile United Auto Workers (400 000 membres).
Mais le 18 septembre, les Teamsters, le puissant syndicat des routiers américains, comptant près d’1,3 million de membres, annonçait que l’organisation cette fois-ci ne soutiendrait pas la candidature démocrate, n’apportant de soutien à personne.
Et surtout l’influence des syndicats sur le terrain électoral est limitée : d’abord parce que le nombre de syndiqués est faible : dans les années 1980 près de 20 % des travailleurs étaient syndiqués. Ce taux est descendu à 10%, et à seulement 6% dans le secteur privé. Ensuite parce que les syndiqués eux-mêmes ne suivent guère les consignes syndicales concernant le vote.
Le 4 novembre 2024, les sondages à la sortie des urnes indiquent que, parmi les syndiqués qui sont allés aux urnes, 53% ont voté pour Harris, 45% pour Trump. Parmi les non syndiqués : 50% ont voté Trump, 47% Harris.
Car si Biden avait déjà amorcé une politique à caractère protectionniste, que Kamala Harris entendait poursuivre de manière ciblée, le discours de Trump était particulièrement simple et agressif : des droits de douane de 60% sur les importations en provenance de Chine et de 10% pour le reste du monde.
Quant à la défense de l’environnement, si Trump manifeste sur ce plan le plus parfait cynisme, les électeurs américains durent aussi constater que Harris se ralliait à son tour à l’extraction par fracturation hydraulique, particulièrement nocive.
Si l’on prend ainsi, sujet après sujet, les questions sur lesquelles se jouait la campagne électorale, on se heurte très vite à une première réalité. Le Parti démocrate n’a rien d’un parti progressiste, rien de réformiste, c’est l’un des deux grands partis bourgeois américains, et si le programme du Parti républicain témoigne d’une inflexion réactionnaire prononcée, le programme du Parti démocrate n’était pas plus à même de rassembler l’électorat ouvrier ; tout au plus pouvait-il répondre plus aisément aux attentes d’un électorat urbain plus jeune et plus aisé. Kamala Harris a ainsi remporté la victoire parmi les électeurs gagnant au moins 100 000 dollars par an.
Absence de parti « ouvrier »
De fait, l’axe de la campagne de la candidate Harris fut une sorte de « républicanisme soft » censé gagner des électeurs républicains.
Cet axe du compromis ne lui rapporta rien. Il est d’ailleurs peu probable qu’avec un programme plus « radical », plus en rupture avec Trump, les résultats eussent été différents, car Kamala Harris était, pour les électeurs américains, d’abord la vice-présidente sortante dont le bilan était inséparable de celui de Biden. Or le système américain ne laisse guère le choix aux électeurs dans la mesure où il est dominé par deux partis qui ont le quasi-monopole des postes d’élus. Quand les électeurs sont mécontents de la situation, ils n’ont guère qu’une solution : chasser le parti au pouvoir et voter pour l’autre parti. C’est ce qui s’était déjà passé en 2016 et en 2020. Cette fois-ci c’était au tour des Démocrates, de Biden, et donc de Kamal Harris, de faire les frais du mécontentement provoqué par la baisse du pouvoir d’achat d’une grande partie des électeurs, lesquels ont voté Trump, ou se sont abstenus.
Un profond sentiment d’insécurité et de déclassement
Les résultats économiques sont trompeurs.
En apparence, la situation économique laissée par Biden aurait dû être favorable à Kamala Harris : l’économie est florissante, le taux de chômage est faible (4,1% en moyenne).
Mais cela cache une réalité bien plus sombre, marquée en particulier par la baisse du pouvoir d’achat consécutive à l’inflation des années 2020 -2023, la plus forte des quatre dernières décennies.
Sur cette toile de fond se greffent un certain nombre de problèmes qui nourrissent le sentiment d’insécurité et de déclassement.
En premier lieu, le coût exorbitant de la santé. En 2022, un Américain dépensait en moyenne 12 555 dollars en frais de santé par an, soit deux fois plus qu’un Français, trois fois plus qu’un Espagnol. Et près d’un Américain sur deux considère qu’il n’est pas en mesure de faire face à des dépenses médicales imprévues.
Corrélativement, l’espérance de vie y demeure plus faible que dans les autres pays ayant un niveau de vie comparable, situation liée notamment aux ravages de la « malbouffe » provoquant une épidémie d’obésité, aux dégâts dus aux opioïdes synthétiques (dont l’usage a été encouragé par les trusts pharmaceutiques), aux homicides dont le taux est en moyenne sept fois plus élevé que dans les principaux pays européens.
Le mécontentement dû à cette situation a poussé nombre d’électeurs à sanctionner les « sortants » et donc à voter Trump.
C’est ainsi qu’a pu peser de manière décisive le fait qu’il n’existe pas aux États-Unis (et ce n’est pas nouveau) de « parti ouvrier » (d’origine ouvrière) à même d’offrir une issue politique et économique au prolétariat.
Pire : des candidats « progressistes » tels Benny Sanders (réélu dans l’État du Vermont) ou membres du groupe Socialistes démocrates d’Amérique (DSA-Democratic Socialists of America) ont mené campagne pour Harris, quitte à la critiquer ensuite : Sanders et la représentante Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), ont fait la tournée des États fédérés pour Harris. Et celle-ci a offert à Sanders et à AOC de prendre la parole à la Convention nationale du Parti démocrate (tout en refusant qu’il y ait un seul orateur propalestinien).
Faute d’un tel parti du « Labor », chaque travailleur voulant voter (beaucoup ne votent pas) est réduit à sa condition d’individu exploité et vote pour le mieux disant (le moins mal disant) : une situation favorable à la candidature de Trump.
Au service de l’impérialisme américain
Sur le plan international enfin, la situation est analogue. Depuis octobre 2023, une solidarité manifeste s’est exprimée dans la jeunesse, dans les universités, en défense du peuple palestinien impitoyablement écrasé à Gaza par l’armée d’Israël, et pourchassé par les colons en Cisjordanie. Mais Biden et Harris, en dépit de quelques critiques orales, ont prouvé leur soutien inconditionnel à la politique conduite par le gouvernement de Tel Aviv. Cela a coûté nombre de voix à Kamala Harris.
Mais ce seul point témoigne une fois encore que le parti Démocrate comme le parti Républicain ne sont pas seulement deux partis bourgeois : ce sont les deux grands partis de l’impérialisme américain.
Quant à l’Ukraine, le projet de Trump de régler la question « en 24 heures » passe par un deal avec Poutine, au détriment de l’Ukraine.
Cette menace incontestable n’efface pas pour autant le fait que le soutien de Biden (et de sa vice-présidente) à l’Ukraine fut soigneusement calibré, donnant à l’Ukraine de quoi résister mais non de quoi vaincre Poutine. Et la discrétion d’Harris sur cette question a laissé le terrain libre à Trump.
Nécessité d’une alternative de classe.
Nul ne peut prédire aujourd’hui ce qui résultera de la politique que Trump va mettre en œuvre, notamment des mobilisations qui peuvent surgir contre cette politique. D’autant que si Trump dispose d’immenses pouvoirs, contrôlant le Sénat, la Chambre des représentants et, de facto, la Cour suprême, il ne peut faire disparaître comme par magie les difficultés et les contradictions de la bourgeoisie américaine.
Ainsi, lors de l’élection à bulletin secret, par les sénateurs Républicains du chef de la majorité sénatoriale, le 13 novembre, le candidat soutenu par Trump et Elon Musk a été battu, de même qu’un autre fervent supporter de Donald Trump. Et c’est John Thune, un sénateur Républicain « classique » qui a été élu. Or, d’une manière générale, les très grandes entreprises américaines ne sont ni isolationnistes ni protectionnistes, et ont besoin de la main d’œuvre immigrée… On ne peut donc exclure que le Sénat manifeste des réticences vis-à-vis des exigences de Trump.
Mais une fois encore se pose la question de la nécessaire construction d’une organisation indépendante, qui ne soit pas inféodée à l’impérialisme, donc soit indépendante du Parti démocrate tout autant que du Parti républicain.
17 novembre 2024
Source :
Publié le 20.11.2024 à 23:20
Ce gouvernement peut tomber ? Oui, ce gouvernement doit tomber. Editorial du 20 novembre 2024.
Rappel : Barnier représente la force politique qui a le plus perdu aux législatives, la plus minoritaire ; il a été nommé par Macron ; il est parrainé par Le Pen. Et d’une.
Et de deux : ce gouvernement est organisé autour d’un budget de guerre sociale. Quelques chiffres suffiront : 4035 postes d’enseignants seraient supprimés dont 3155 dans les écoles primaires, et les collectivités locales doivent fournir 5 milliards, et plus en réalité, au gouvernement.
Donc, cette guerre sociale, il l’engage : Kasbarian attaque les salaires et les droits à congés maladie rémunérés de tous les agents publics (fonctionnaires, contractuels, CDI), Retailleau veut une nouvelle loi Immigration, l’un et l’autre avec le soutien du RN. Et en même temps, le grand patronat déclenche de grands plans de licenciements.
Ce même Kasbarian a donné le pot-aux-roses en annonçant vouloir suivre les recommandations d’Elon Musk, l’âme damnée de Donald Trump !
Mais en même temps, lorsqu’il a « reçu » à la va-vite les fédérations syndicales, il a annoncé laisser tomber la suppression des catégories de fonctionnaires fondées par leur statut qu’il déteste tant : cette manœuvre a permis à la CFDT d’imaginer un « premier recul », mais qu’un tel agité doive la faire montre sa fragilité réelle, et celle de tout ce gouvernement.
Aujourd’hui, mercredi 20 novembre, deux faits institutionnels confirment et aggravent cette fragilité et cette instabilité.
Peut-on vraiment tabler sur une telle issue parlementaire ?A la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, la proposition de loi censée abroger la réforme des retraites, par un texte ramenant l’âge légal à 62 ans et le nombre d’annuités à 42, déposé par le groupe LFI en vue de la seconde niche parlementaire qui lui revient, après celle du RN, le 28 novembre prochain, a été adoptée, le vote Pour du RN faisant envisager son adoption par l’Assemblée le 28 novembre. Dans ce cas, elle serait soumise au Sénat lors d’une niche du groupe communiste le 23 janvier, et reviendrait à l’Assemblée à la faveur d’une niche du groupe écologiste le 6 février.
Le fait politique marquant ici n’est pas que la possibilité d’abrogation par la seule voie parlementaire soit évidente : elle ne l’est pas du tout et elle dépend du RN, et en outre le texte proposé « oublie » le volet de la loi Macron contre les retraites qui a mis en extinction les régimes dits spéciaux.
Le fait politique marquant est bien sûr que le choix du RN vaut avertissement lorsque viendra le 49-3 sur le budget de Macron-Barnier.
En outre, le vote de la proposition LFI est attaqué de l’intérieur du groupe PS par François Hollande parce que, de fait, elle revient aussi sur la loi Touraine de 2014, qui instaure une décote avec les 42 annuités. C’est une évidence : revenir sur la contre-réforme Macron oblige à revenir sur la contre-réforme Hollande-Touraine qui l’avait préparée. Le groupe PS en commission a voté pour l’abrogation, et Olivier Faure défend cette position. Ce ne sont donc pas « les socialistes », comme le dit LFI, qui risqueraient de ne plus suivre l’unité pour l’abrogation, mais les « hollandais », qu’il convient donc d’isoler en cessant de les amalgamer à l’ensemble du PS.
Le second fait institutionnel intéressant survenu ce mercredi 20 novembre est le suivant.
Le rapporteur du Conseil d’État, que plusieurs syndicats (SNES-FSU, SE-UNSA, CFDT) et la FCPE avaient saisi, demande au Conseil d’État d’annuler l’article du décret ministériel du précédent gouvernement instaurant les « groupes de besoins », en fait les groupes de niveaux, en collèges. Ces saisines, et sans doute l’argumentaire du rapporteur, inconnu à cette heure, reposaient sur une vraie contradiction juridique entre le décret de Belloubet et le Code de l’éducation concernant l’autonomie des établissements. Mais cette raison juridique, incontournable, est surdéterminée par le désordre et la gabegie des moyens produits par la demi-application de cette contre-réforme clef. L’avis du Conseil d’État qui, s’il confirme cette recommandation, devrait atténuer sa portée en demandant cette abrogation pour l’année prochaine (alors que la ministre vient d’annoncer vouloir étendre ce système en 4° et en 3° !), est annoncé pour dans 3 semaines …
La décomposition du « choc des savoirs », dont personnels, parents et jeunes exigeront l’abrogation totale immédiate, serait ainsi à l’ordre-du-jour.
Les agents publics vont faire grève le jeudi 5 décembre. S’ouvrira alors une série d’affrontements sociaux et politiques entre les larges masses et ce gouvernement. Abrogation de la réforme des retraites, du « choc des savoirs » et de la « loi Immigration », blocage des plans de licenciements, hausse des salaires et défense des services publics vont opposer la grande majorité à ce gouvernement minoritaire et illégitime. Là se trouve la force par laquelle il peut tomber, par laquelle il doit tomber, ouvrant la voie au départ de Macron et à l’affrontement social pour changer de régime.
Le 20/11/2024.
Publié le 19.11.2024 à 21:17
Cette importante interview de Maksym Butkevych est parue en ukrainien dans Zmina, (« Changement ») site de l’organisation de défense des droits humains du même nom, dont il fut l’un des fondateurs. C’est avec émotion, et avec la fierté d’avoir participé, à notre échelle, au combat pour sauver Maksym Butkevych, et qui, comme il le dit lui-même, doit continuer pour toutes et tous les autres, que nous reproduisons cette traduction, effectuée dans le cadre du RESU par Anne Le Huérou – qu’ils en soient remerciés.
C’est un document de valeur, de valeur humaine, et par là de haute valeur politique. Pour avoir suivi les tout premiers témoignages et commentaires à propos de Maksym depuis sa mise en liberté, nous pouvons dire qu’il est pudique sur lui-même et préoccupé des autres, et laisse entendre ou ne dit pas tout ce qu’il a subi, mais que son récit en a plus de force. Démocrate radical, nationaliste libertaire, chrétien libre-penseur … n’essayons pas de cataloguer ce camarade : il est Maksym Butkevych et il est en liberté, c’est une belle victoire pour l’émancipation humaine que nous n’osions espérer !
L’interview est suivie d’un court résumé des actions de Maksym Butkevych, également traduit et reproduit ici. Nous avons parfois remplacé le mot « réhabilitation, », qui peut prêter à contresens en français, par « réadaptation ».
La rédaction d’Aplutsoc.
« Pour moi, c’est quelque chose d’essentiellement humain. C’est vraiment ce qui fait qu’une personne est humaine : la liberté, la conscience de sa liberté et le sens que cette liberté apporte.
J’ai parfaitement compris que si les Russes l’emportaient, il n’y aurait plus de protection des droits de l’homme sur ce territoire. «
» Le plus grand danger en captivité, c’est de perdre une partie de soi-même » : le défenseur des droits humains Maksym Butkevytch à propos de son engagement sur le front, de sa détention et de son retour.
Toute l’équipe du centre de défense des droits humains ZMINA attendait cette conversation après avoir reçu la bonne nouvelle de la libération du militant des droits de l’homme, cofondateur de l’organisation, journaliste et prisonnier de guerre Maksym Butkevych. Cette libération a eu lieu le 18 octobre de cette année, lors du 58e échange de prisonniers de guerre. Le militant des droits de l’homme a passé plus de deux ans en détention.
ZMINA a rencontré Maksym dans une gare, lors d’une étape entre deux lieux de son parcours de « réhabilitation », pour évoquer sa participation à la guerre sur le terrain, ses plus de deux ans de captivité, le sens qu’il a pu y trouver, mais aussi le déroulement de la réhabilitation des militaires après leur retour de captivité et les difficultés du retour à la vie civile.
Maksym, cela fait plus de 20 ans que tu t’occupes de défense des droits et au début de l’invasion à grande échelle, tu as décidé de rejoindre les forces armées ukrainiennes. Qu’est-ce qui a guidé ton choix de changer d’activité pour aller à l’armée ?
C’est une question très importante. Je viens de découvrir que beaucoup de choses ont été dites et écrites sur moi dans les médias pendant mon absence. Et certains de ces textes disaient que j’étais pacifiste. Mais je ne suis pas pacifiste. En revanche, je ne suis en effet pas un partisan de la violence en tant que méthode, et l’engagement militaire, d’une manière ou d’une autre, implique de tuer des gens. C’est pour moi un problème et un dilemme moral et éthique.
La situation dans laquelle nous nous sommes trouvés le 24 février 2022 nous a placés devant un choix : soit laisser notre liberté être détruite, soit nous battre. Sinon, nous aurions été contraints de renoncer à notre activité, contraints d’obéir, de simplement manger, boire, dormir, avoir peur et faire ce qu’on nous disait. Telle aurait été notre perspective. Nous avons donc dû résister pour sauver notre liberté. Pour moi, c’est quelque chose d’essentiellement humain. C’est vraiment ce qui fait qu’une personne est humaine : la liberté, la conscience de sa liberté et le sens que cette liberté apporte.
J’ai parfaitement compris que si les Russes l’emportaient, il n’y aurait plus de protection des droits de l’homme sur ce territoire. Ce serait impossible. Nous nous sommes battus pendant très longtemps pour les droits que nous avons aujourd’hui. Nous avons réussi certaines choses, nous avons échoué dans d’autres, mais s’ils occupaient ces territoires, tout serait détruit. En fin de compte, si je raisonne égoïstement, il s’agit de nombreuses années de ma vie, en fait, la principale chose que j’ai faites ces dernières années, toutes les réalisations, toutes les réussites, auraient été détruites.
Comment t’es-tu retrouvé à l’armée en particulier dans le bataillon spécial numéro 210 Berlingo ?
J’avais effectué la préparation militaire à l’université alors de mes études et j’étais officier. Dans l’armée on appelle ce genre de personne des « veston » c’est-à-dire des gens qui ont un grade d’officier mais qui n’ont aucune expérience de l’armée et encore moins des opérations de combat.
Je me suis présenté au bureau d’enregistrement et d’enrôlement militaire dans la soirée du 24 février pour trouver une unité de défense territoriale et la rejoindre. Ils m’ont demandé mon grade militaire, et j’ai dit que j’avais le grade de lieutenant du fait de la préparation militaire universitaire mais que je ne me souvenais plus de rien. Mais j’étais prêt à prendre une pelle et à creuser ce qu’il fallait.
A cette époque, les combats commençaient près de Kiev et les Russes étaient déjà visibles à la périphérie. J’avais préparé un sac à dos à l’avance, acheté quelques affaires et une Bible de voyage et j’étais prêt à m’engager. D’ailleurs, pendant mon séjour dans la colonie, ma foi a été l’un des piliers qui m’a permis de tenir le coup. Je n’en parlais pas auparavant, c’était avant tout une affaire intime. Je n’accepte pas que l’on impose quoi que ce soit, y compris dans le domaine religieux. En même temps, il ne faut pas confondre imposer et prêcher. Beaucoup de gens, y compris mes ami.e.s, ne connaissaient pas mes convictions religieuses. Aujourd’hui, j’y pense plus souvent, car quelque chose a changé – en moi et dans le monde.
« Nous ne nous attendions pas à être fait prisonnier nous nous pensions à être des « 200 » (tués) ou des « 300 » (blessés) [nom de code donné dans l’armée soviétique aux soldats morts ou blessés à rapatrier NdT] ».
Tu as le sentiment que des forces supérieures ont aidé à dépasser l’épisode de ta captivité ou bien s’agissait-il de ta force intérieure ?
Oui, j’ai ce sentiment. Mais à mon sens la foi et les forces intérieures sont liées. J’ai le sentiment qu’il y a un sens, indissociable du sens de la vie. Pour le dire autrement c’est le sentiment que les choses ne sont pas « juste comme ça ».
Lors de l’un des interrogatoires on a essayé de prendre les mots de passe de mon compte Facebook et de ma boîte mail. À ce moment-là je ne savais pas encore que mon compte Facebook avait heureusement été désactivé par des amis mais de toute façon j’avais une double authentification… Je leur ai dit que de toute façon ils ne pourraient pas rentrer sur mon compte puisque ils avaient eux-mêmes perdu mon téléphone. J’ai ajouté que le mot de passe avait probablement été changé et que si je leur donnais maintenant un vieux mot de passe ils allaient dire que je les trompais. Ils ont demandé qui les avaient changé et j’ai répondu : « des amis à qui j’ai laissé mes mots de passe ».
En effet, je les avais laissés au cas où je finirai « 200 » pour que ces amis aillent sur ma page et l’annoncent et qu’il puisse entrer sur mon compte mail et écrivent une réponse automatique du genre « malheureusement la personne ne peut lire votre message car elle est morte ». C’est toujours triste lorsque l’on commente les postes d’une personne qui a disparu… L’enquêteur m’a regardé avec des yeux ronds et m’a demandé si j’avais vraiment pensé à l’avance que je pouvais devenir un « 200 ». Je lui ai répondu que c’était la guerre, que nous étions partis la faire et qu’il y avait en effet des situations où je pouvais devenir un « 200 » et que donc bien sûr j’y avais pensé comme toute personne qui se retrouve sur la ligne de front.
Vous avez donc admis la possibilité de mourir à la guerre ?
Je pense que tous ceux qui vont en première ligne réfléchissent intérieurement – consciemment ou inconsciemment – à ce qui se passera quand il sera « 300 » ou « 200 ». Cependant, je n’ai vu pratiquement personne réfléchir à ce qui se passerait s’il était capturé. Nous n’étions pas préparés à cela. Par conséquent, lorsque nous avons été capturés, nous avons été surpris.
Nous nous créons nous-mêmes en faisant différents choix dans la vie. Les choix que nous faisons maintenant déterminent qui nous serons plus tard. Plus tard, à de nombreuses reprises en prison, à la fois dans le centre de détention provisoire et ensuite dans la colonie pénitentiaire, les gars et moi avons discuté de ce qui s’était passé et de la raison pour laquelle cela s’était passé. J’avais 20 hommes. Sous mes ordres, j’étais commandant de peloton dans le 210e bataillon spécial « Berlingo » des forces terrestres de l’armée ukrainienne. Mais en captivité, mes codétenus me disaient régulièrement : nous ne savons pas quel genre de commandant tu étais – je ne le sais pas moi-même, pour être honnête, seuls mes hommes pourraient me le dire – mais vous auriez mieux fait de travailler dans le domaine des médias, ou aider les gens, puisque c’est en effet des choses que je sais faire, et cela aurait été plus utile pour nous tous que mon séjour au dans le centre de détention provisoire (SIZO) de Luhansk. De fait, tout est plus utile que d’être enfermé dans le SIZO de Luhansk.
Mais je dois dire que je ne considère pas ce temps comme perdu. Parfois, les gars étaient tellement déprimés qu’ils pensaient que leur temps de captivité avait été perdu, tout simplement rayé de leur vie. Mais je n’ai pas eu ce sentiment. Et lorsque j’ai examiné ce que j’avais fait de mal depuis le début de l’invasion, les mauvais choix que j’avais faits, je suis arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas de mauvais choix. Il y a des choses que je regrette dans ma vie, mais pas dans cette chaîne d’actions. J’ai fait tout ce qu’il fallait.
Comment as-tu pris conscience que le temps passé en captivité n’avait pas été perdu ?
C’est bien sur une période de perte. C’est une période de manque, de privation de quelque chose de très humain et de très personnel. Le plus grand danger de la captivité est de perdre une partie de soi-même. En ce qui me concerne, j’ai essayé de comprendre ce que je pouvais apprendre de cette expérience, ce qui pourrait m’aider plus tard, si quelque chose pouvait m’aider à mieux aider les autres.
En captivité, j’ai appris à mieux connaître les gens, le monde et, bien sûr, les violations des droits de l’homme. En somme je peux dire que j’ai fait deux ans et demi de recherche de terrain. Je ne m’étais jamais spécialisée dans le système pénitentiaire et les violations des droits de l’homme qui y sont commises, mais en captivité, j’ai appris à le connaître très bien et à comprendre les choses fondamentales de manière plus approfondie et plus large.
J’ai également eu l’occasion d’organiser mes pensées et mes croyances, de comprendre comment elles sont liées entre elles, dans quelle mesure mes positions sont fondées, mon attitude à l’égard de certaines choses, si j’ai suffisamment de raisons de penser ce que je pense et de dire ce que je dis. Et surtout, quelles devraient être les priorités dans mes activités, dans ma vie.
« En captivité, je pensais constamment à ce à quoi je n’avais pas le temps de penser dans la vie civile »
En tant que défenseur des droits de l’homme, tu as été façonné par des valeurs fondamentales liées aux droits humains. Ont-elles changé d’une manière ou d’une autre en prison ?
Je pense que mes valeurs n’ont fait que se renforcer. Dans notre vie quotidienne, nous sommes constamment immergés dans un flux d’événements, d’informations, d’activités, et parfois nous n’avons tout simplement pas le temps d’examiner certaines choses d’un point de vue différent – plus large ou plus élevé.
En captivité, j’ai très vite, littéralement dès les premiers jours, pensé que j’avais maintenant une chance de le faire. J’ai essayé de faire intérieurement des choses que je n’avais pas eu le temps de faire pendant des années. En captivité, je pensais constamment à ceux à qui je n’avais pas eu le temps de penser correctement dans la vie civile. Et ce n’est pas tout. J’ai aussi prié. D’ailleurs, c’était probablement la seule chose que je pouvais faire pour de nombreuses personnes formidables.
Après un an et demi de captivité, lorsque j’ai eu la possibilité de lire, j’ai commencé à lire beaucoup de livres, comme je le faisais auparavant. En plus des livres en russe et en ukrainien, j’ai mis la main sur quelques livres en anglais que quelqu’un d’autre possédait, et grâce à eux et à la compilation de textes dans ma tête, j’ai essayé de conserver la langue autant que possible. Tous les livres que je lisais étaient notés dans mon carnet.
Qu’avez-vous lu exactement ? Quels sont les livres dont vous vous souvenez le plus ?
Dans la colonie pénitentiaire, il y avait une bibliothèque, et on pouvait y trouver les choses les plus inattendues. J’ai été enchanté par le livre « Theoretical and Applied Linguistics » du professeur Zvegintsev, publié en 1968, que j’ai lu une fois et demi. J’ai découvert de nombreux livres différents – sur la zoopsychologie, la philosophie, la théologie et la fiction. Par exemple, j’ai lu Tchekhov, que je n’avais pas eu le temps de lire depuis longtemps. J’ai relu beaucoup de choses que j’avais lues auparavant, mais je les ai lues d’une nouvelle manière. On pouvait également trouver dans cette bibliothèque des livres en ukrainien, qu’il s’agisse d’œuvres ukrainiennes ou de traductions de grands auteurs étrangers, jusqu’à ce qu’ils soient finalement retirés au printemps et au début de l’été de cette année.
De retour au centre de détention provisoire, le premier livre qui mérite ce nom est le Nouveau Testament et les Psaumes, qui, par une étrange coïncidence, sont arrivés dans notre cellule et que j’ai dû lire 15 fois. D’ailleurs, nous lisions parfois à haute voix, car tous les membres de la cellule ne savaient pas lire. Un camarade, prisonnier de guerre, était blessé et avait presque perdu la vue, et un autre prisonnier ne pouvait pas le faire à cause de son âge. En général, pendant ma détention, j’ai lu plus des dizaines de livres, 50, je crois, au moins. Dans la colonie, lorsque je travaillais, le moment privilégié pour moi était 40 minutes avant le couvre-feu. Je m’allongeais sur mon « palmier » – un lit situé au deuxième niveau des couchettes – et je lisais pendant les 40 minutes précédant l’extinction des feux.
Nous pratiquions également l’anglais au SIZO et dans la colonie. Je l’ai enseigné pour la première fois de ma vie. L’un de mes « élèves » faisait d’assez bons progrès. Il a insisté pour que je brevette cette méthodologie, car nous apprenions la langue sans texte, sans stylo, sans papier, en mémorisant les mots selon un certain système et en utilisant les outils à notre disposition.
Par exemple, nous avions un filtre de cigarette, une allumette brûlée, un morceau de paquet de cigarettes, et c’est ainsi que j’expliquais la structure d’une phrase – où se trouve le verbe auxiliaire, etc. Nous avons appris l’anglais à travers les paroles de chansons. J’ai soudain découvert que je me souvenais de paroles tout à fait inattendues, bien que très peu nombreuses. Il s’est avéré que les paroles d’une célèbre chanson anglaise dont je me souvenais étaient parfaites pour apprendre le présent continu.
Revenons à ton engagement dans l’armée. Quelle est la tâche ou la bataille dont tu te souviens le plus ?
Il y a eu deux étapes dans mon engagement : la première fois c’est vers Irpin-Vorzel, dans la région de Zhytomyr, près de l’autoroute de Zhytomyr, et la seconde dans l’est de l’Ukraine. Mon unité était chargée de renforcer la Garde nationale dans une certaine zone de la région de Kiev. Nous nous sommes rendus au poste de contrôle avec nos véhicules et avons constaté qu’il ne s’agissait pas d’un poste de contrôle, mais de la ligne de front : les Russes se tenaient à quelques centaines de mètres. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés en première ligne dans la région de Kiev.
Au bout de la rue où nous étions stationnés il y avait une pharmacie, une agence postale et et plusieurs maisons détruites par les tirs des chars russes. Il y avait le corps d’un civil qui avait fui les bombardements et n’avait pas réussi à s’en sortir ; sa jambe tenait debout toute seule. Quelques minutes après notre arrivée, avant même que nous ayons eu le temps de prendre nos lance-grenades, un véhicule blindé de transport de troupes a déboulé à grande vitesse du côté russe et, se plaçant devant nous, a commencé à nous tirer dessus avec une mitrailleuse de gros calibre, à travers la rue. Je me souviens très bien de cet épisode, le premier contact direct. Je me souviens également de notre entrée à Mykhailivka-Rubezhivka lors de la libération de ces villages. Les habitants nous ont accueillis les larmes aux yeux, nous ont apporté des fleurs, des boîtes de jus de tomate – tout ce qu’ils avaient après un mois d’occupation. Bref, c’était absolument incroyable. On sentait que les gens nous attendaient.
La deuxième expérience est liée à un voyage dans l’Est. Nous avons reçu l’ordre de nous déplacer pour renforcer nos unités qui tenaient la défense dans le Donbass. C’était une expérience complètement différente, car nous étions dans la steppe, où certaines de nos armes étaient tout simplement inefficaces. Par exemple, ce qui constituait notre avantage dans les combats urbains a été complètement réduit à néant là-bas. Nous avons rempli la fonction de troupes terrestres conventionnelles, accomplissant les tâches qui nous étaient assignées.
D’abord, nous avons perdu le contact radio, puis au matin nous avons compris que nous étions pratiquement encerclés
Peux-tu nous dire quand et dans quelles circonstances tu as été capturé ?
Nous avions reçu l’ordre de nous rendre dans le village de Myrna Dolyna, dans la région de Louhansk. Près du village, il y a des forêts et un terrain assez difficile, c’est-à-dire pas de la steppe, mais des ravins. À notre arrivée dans la soirée, nous avons immédiatement essuyé des tirs de mortier nourris. Le feu a duré toute la nuit.
Le matin, le village était complètement différent de la veille au soir. Il n’en restait plus grand-chose. Lors d’une pause nous avons reçu l’ordre de nous déplacer et de prendre des postes d’observation, le long de la route qui allait de Lysychansk au nord à Zolote au sud. C’était une route stratégiquement importante pour nous. Notre tâche consistait à observer et, s’il y avait des forces ennemies, de les signaler. Cependant, nous ne devions pas engager le combat sans en avoir reçu l’ordre. Pendant que l’ordre nous était transmis, une autre attaque au mortier a commencé, et c’est ainsi accompagnés que nous nous sommes rendus à notre poste d’observation.
À un moment donné, nous avons eu des problèmes de communication. Les radios que nous avions n’étaient pas assez bonnes, il n’y en avait pas assez, et de toute évidence, le matériel électronique de l’ennemi fonctionnait. De plus, nous avons rapidement manqué d’eau sur le chemin du poste, c’était un mois de juin très chaud. En quelques heures, nous avons perdu toute communication. Même les talkies-walkies qu’on nous avait donnés ne captaient personne. Au matin, nous avions remarqué qu’un grand nombre de personnes et de véhicules ennemis avaient pénétré dans le terrain voisin.
Alors que nous nous dirigions déjà vers Myrna Dolyna, il était clair que nous étions presque encerclés par l’ennemi. Tu vois c’est comme une sorte de bouteille dans laquelle on entre par le goulot, et il y avait déjà un territoire contrôlé par l’ennemi autour de cette bouteille. Nous comprenions que cela n’augurait rien de bon, mais nous avions des ordres et nous devions les exécuter. Plus tard, arrivés au poste, lorsque nous avons vu les marques sur les véhicules « O », nous avons compris qu’il s’agissait de l’ennemi. Mais à ce moment-là, nous ne pouvions plus exécuter l’ordre de rendre compte de la présence de forces ennemis, il n’y avait plus de communication, il n’y avait pas non plus d’ordre d’engager le combat et cela n’avait pas de sens, étant donné la différence de nombre nous et nos ennemis, et il était clair que nous devions nous retirer.
C’est alors que l’un des soldats de l’unité voisine a pris contact avec nous et nous a amenés au poste d’observation. Il nous a dit que toute la zone était encerclée, mais que l’anneau n’était pas encore fermé. Par conséquent, nous devions essayer de partir en utilisant ses points de repère. C’est ce que nous avons fait. Pour être honnête, nous avions le sentiment que quelque chose n’allait pas, mais nous n’avions pas le temps d’y réfléchir et nous n’avions pas d’autres options. Nous n’avions pratiquement pas dormi depuis plusieurs jours, nous étions sans eau depuis presque 24 heures, nous étions fatigués, et certain de mes hommes n’allaient pas bien. Alors ce soldat a tiré une fusée éclairante, ce qui était très étrange dans ces conditions de quasi-encerclement. Nous avons dû courir à travers le champ jusqu’à la ceinture forestière d’où provenait la fusée. Lorsque nous avons été à quelques dizaines de mètres, il nous a dit qu’il était désolé, mais qu’il était prisonnier depuis la nuit dernière, que nous étions maintenant dans le collimateur et que si nous ne déposions pas les armes, ils nous tueraient.
Qu’as-tu ressenti à ce moment-là ?
Il y avait un champ ouvert autour de nous. Il n’y avait aucune possibilité de se jeter à terre, de se cacher ou de s’enfuir. Nous n’accomplissions plus aucune mission de combat – nous ne couvrions plus personne, nous ne défendions plus rien. J’avais huit hommes et j’étais responsable d’eux. J’ai donc donné l’ordre de déposer les armes.
Le type qui nous a fait sortir était dans la même cellule que nous. Il a été contraint de le faire sous la pression physique et la violence. Mais surtout, il croyait qu’en nous forçant à nous rendre, il nous avait sauvé la vie – c’est ce que les Russes lui ont dit. C’était peut-être vrai, il m’est difficile d’en juger.
Comment les Russes t’ont-ils traité ?
Ils ont immédiatement pris nos documents, nos téléphones et certains objets de valeur. Par exemple, ils ont pris mes écouteurs sans fil, la montre l’un, un objet à un autre … L’un des soldats russes a demandé à qui appartenaient ces écouteurs. J’ai répondu que c’était les miens. Il m’a demandé si je les lui donnais.
C’est vrai que quand on est à genoux, qu’on a les mains attachées et qu’une mitrailleuse est pointée sur vous, on est prêt à donner n’importe quoi, en principe. Mais j’ai dit non. Il a été très surpris, même un peu troublé. Je lui ai dit que c’était un cadeau d’un proche, et que « on ne redonne pas des cadeaux ». Il était d’accord, mais il ne comprenait pas ce qu’il devait faire.
Manifestement, ils essayaient d’éviter de comprendre qu’ils volaient des choses aux prisonniers. Je lui ai dit qu’il devrait probablement appeler cela un « trophée » ou quelque chose de plus beau que ce que c’était réellement. Plus tard, à un autre moment, un autre soldat a pris ce qui restait, par exemple une montre tactique chinoise neuve, bien que bon marché. Il n’a pas pris la peine de nommer quoi que ce soit, il a simplement tout pris. Un autre soldat qui avait encore son gilet pare-balles a été emmené, en lui demandant de ne pas en parler à ses commandants. Comme nous l’avons compris, ils en avaient de pires à l’époque. Ils nous ont également retiré nos chaussures – nous avons passé les mois suivants en chaussettes.
Les Russes savaient-ils qui tu étais et ce que tu faisais dans la vie civile ? Tes activités dans le domaine des droits de l’homme et du journalisme ont-elles eu un impact sur ton séjour en captivité ?
Après quelques jours dans le centre de détention, j’ai commencé à faire l’objet d’une attention particulière. Mais ensuite, pendant le reste de la captivité, l’attitude était tout à fait normale. Sur le chemin du point de transfert, les Russes m’ont demandé lequel d’entre nous était un officier, et j’ai répondu. Ils voulaient faire une vidéo de moi en train de gronder le commandement. J’ai refusé de le faire. Je leur ai dit qu’ils pouvaient bien sûr me forcer à le faire, mais qu’il serait visible et clair que cela avait été fait sous la contrainte physique.
Où avez-vous été emmenés pour la première fois lorsque vous avez été capturés ?
À la fin de la journée, nous avons été emmenés dans un bâtiment délabré où nous avons passé la nuit sur le sol en béton. À un moment donné, un officier cagoulé est apparu, un officier supérieur, et tout le monde lui a obéi. Il nous a mis à genoux, les mains attachées, et nous a parlé, provoquant chez les gars des réactions émotionnelles fortes, nous agressant verbalement pour démontrer sa prétendue « supériorité ».
Il demandait par exemple qui avait des épouses à l’étranger, en Pologne, en Allemagne ou en Turquie. Il commençait ensuite à raconter aux gars ses fantasmes sexuels pathologiques sur ce que les hommes devaient leur faire là-bas, en ce moment même, avec des détails. Il leur dessinait des images de rapports sexuels collectifs, oraux et anaux forcés. Il était clair que cet homme avait des problèmes de pathologie sexuelle. Il nous a menacés de nous condamner à une peine de 10 à 15 ans et de nous envoyer dans une colonie pénitentiaire pour « plaisirs sexuels », et de nous faire arriver à Kiev sans nos dents de devant. En expliquant pourquoi nous n’aurions plus de dents de devant.
Ensuite, ils nous ont apporté des rations militaires et ne nous ont délié les mains que lorsque nous sommes allés un par un, sous la menace d’une arme, déféquer dans un tonneau en plastique transparent, coupé par le haut, qui se trouvait dans un coin.
Il faut dire que par la suite, nous avons été traités plus calmement, sans humiliation. Pour être honnête, j’ai essayé de ne pas trop insister. J’ai tout de suite choisi la ligne de conduite suivante : je n’ai rien à cacher, mais je ne dois pas non plus me faire passer pour quelqu’un d’autre. J’ai essayé de prendre sur moi les conversations risquées et provocatrices afin que les gars ne s’y laissent pas entraîner.
Est-ce que vous ou vos hommes avez subi des violences de la part de l’armée russe ?
Plus tard, lorsque de nouveaux soldats en uniforme sont arrivés, ils nous ont emmenés un par un dans des pièces voisines, nous ont posé des questions sur notre service et ont enregistré des vidéos de nous. C’était un peu comme un interrogatoire. Ainsi, lorsqu’un des soldats a été amené pour être interrogé, il a dit qu’il ne se souvenait pas des indicatifs de ses commandants. Il a donc été frappé à plusieurs reprises avec un crochet en bois. J’ai immédiatement dit aux gars que puisque nous n’avions pas d’informations confidentielles, nous devions tout dire pendant l’interrogatoire pour sauver notre peau.
Ils m’ont intimidé ensuite en me montrant une fosse dans l’arrière-cour, menaçant de m’y jeter et de me montrer ceux qui « ne comprenaient pas comment se comporter ».
Il y a eu un moment intéressant lorsqu’ils ont enregistré une vidéo avec moi. L’un d’eux a dit à l’autre : « Regarde, c’est vraiment un journaliste, parce qu’il a dit ce qu’il voulait, pas ce dont nous avions besoin ». Plus tard, l’officier cagoulé mentionné plus haut nous a lu des extraits du message de Poutine du 22 février 2022, je crois, où il parle de l’Ukraine, et ceux qui étaient pointés du doigt par l’officier devaient réciter ces extraits mot pour mot, et si quelqu’un faisait une erreur ou bégayait, je serai battu avec un bâton. Parce que j’étais le seul officier, le commandant, et que je ce « connaisseur de l’histoire de Poutine » avait une dent contre moi. J’ai pensé qu’il valait mieux qu’ils me battent moi plutôt que mes hommes.
Ensuite, on nous a emmenés ailleurs et on nous a jetés sur un sol en béton. Là, ils nous ont enlevé les bandeaux des yeux, nous ont délié les mains et nous avons vu que nous étions dans une cellule. Ils ont ensuite apporté de vieux matelas déchirés et des serviettes. Certains d’entre eux portaient le cachet du SIZO de Luhansk. C’est ainsi que nous avons su où nous étions. Au total, j’ai passé un an et trois mois dans le centre de détention, jusqu’en septembre 2023.
Le 6 mars 2023, le tribunal d’occupation de la région de Louhansk vous a condamné à 13 ans de prison et vous a accusé de « traitement cruel de civils et d’utilisation de méthodes interdites dans un conflit armé ». Comment cet article a-t-il vu le jour ?
Dans le SIZO de Luhansk, nous avons été activement interrogés par diverses structures : des personnes en uniforme militaire et en civil. On nous posait des questions sur les mouvements de notre unité, sur l’endroit où nous nous trouvions et sur notre nombre. Le 16 juillet, j’ai été interrogé par deux personnes, l’une en civil et l’autre dans une sorte de camouflage non réglementaire. L’un des enquêteurs s’intéressait aux activités de la Fondation Soros en Ukraine et voulait que je donne une interview à un « média international réputé » non nommé pour en parler. Je lui ai dit que je ne voulais pas donner d’interview, mais que s’ils me forçaient à le faire, je pourrais lui dire ce que je savais : que la branche ukrainienne de la fondation soutenait des projets sur la décentralisation, le gouvernement local, l’aide juridique et les publications universitaires.
Il n’a pas beaucoup apprécié la conversation et c’est à ce moment-là que j’ai entendu pour la première fois : « Nous allons te mettre en prison ». Cette promesse s’est concrétisée un mois plus tard, le 13 août. J’ai été emmené pour un interrogatoire, où des personnes en uniforme, le visage couvert, m’ont assis de telle sorte que je ne pouvais voir que le sol, c’était inconfortable, ils m’ont déséquilibré de diverses manières, ils m’ont intimidé. Puis ils m’ont dit qu’il y avait trois options : la première était de signer tout ce qu’ils me donnaient sans le lire, ce serait un aveu de crime de guerre, je serais condamné et ensuite échangé ; la deuxième était de refuser de signer les documents, et je serais alors emmené pour une «enquête expérimentale» à savoir que je serai tué en ayant soi-disant essayer de m’échapper ; la troisième option était de rester en prison sans aucun échange pour on ne sait combien de temps, ou plutôt, aussi longtemps qu’ils le voulaient. Ainsi, si je ne coopérais pas et ne signais rien, je ne sortirais pas indemne, ni physiquement ni psychologiquement. Ils m’ont dit qu’à 45 ans, on pouvait mettre fin à sa vie. Si j’acceptais, ils m’emmèneraient dans l’arrière-cour, me donneraient une cigarette, me laisseraient appeler chez moi, puis ils me tireraient dessus.
L’un des interrogateurs m’a demandé si je voulais vivre et j’ai répondu que oui, si Dieu me le permettait. Il s’est accroché à cette réponse et, lorsqu’il a appris que j’étais chrétien, il a dit : « Eh bien, nous ne sommes pas chrétiens, cela ne nous concerne pas. » Ils ont ensuite imprimé le rapport d’interrogatoire, en se trompant sur l’endroit où j’avais « commis le crime ». Plus tard, j’ai appris qu’il s’agissait du fait que j’avais prétendument tiré avec un lance-grenades sur un immeuble résidentiel où il y avait des gens, et que deux femmes avaient été blessées. De toute façon, selon eux, peu importe ce qui était écrit sur les papiers, ils pouvaient me condamner sans mon témoignage. Ils m’ont dit que si je signais rapidement les documents, ils seraient envoyés au procureur puis au tribunal, et que je pourrais rentrer chez moi en octobre – je serais échangé.
Plus tard, alors qu’ils finalisaient mon dossier, ils m’ont emmené à Sievierodonetsk, dans la maison sur laquelle j’aurais tiré. Ils m’ont demandé de lever la main, de montrer une fenêtre spécifique, m’ont pris en photo, m’ont dit de montrer la fosse et de me souvenir de l’adresse. Lorsque j’ai demandé de quoi il s’agissait, ils m’ont répondu que je le saurais plus tard. La seule chose sur laquelle j’ai insisté à ce moment-là, dans la mesure où il était possible d’insister dans cette situation, c’est que je ne témoignerais contre personne, mais seulement contre moi-même, et que l’affaire devait se dérouler en l’absence de cadavres.
Comment avez-vous réagi à la condamnation à 13 ans de prison ?
Je m’y attendais. Les gars de la cellule et moi-même réfléchissions à la durée de ma peine. Ils étaient plus optimistes. Je m’attendais à 12-15 ans, c’est donc ce qu’ils m’ont donné. Mais j’espérais qu’il y aurait bientôt un échange et que je serais échangé. Quoi qu’il en soit, je savais que je ne resterai pas en prison aussi longtemps. Je n’avais aucun doute sur le fait que je ne purgerai pas la totalité de la peine.
Au cours de l’une des actions dites d’enquête, un officier du comité d’enquête de la Fédération de Russie a déclaré que la partie ukrainienne emprisonnait les Russes pour de longues périodes sous l’accusation de « franchissement illégal de la frontière de l’État par un groupe organisé de personnes armées afin de prendre une partie du territoire en faveur d’un autre État ». En d’autres termes, de longues peines sont prononcées pour ces faits et pour les crimes de guerre, et par conséquent, pour que leurs militaires soient échangés, disent-ils, ils ont dû nous condamner à des peines tout aussi longues.
Sais-tu ce qu’il est advenu de tes compagnons d’armes avec lesquels tu as été capturé ?
Deux d’entre eux ont été échangés à la fin de l’année 2022, et l’un d’eux est malheureusement décédé plus tard, en défendant notre pays et notre liberté. Deux autres ont été échangés cette année. Les autres sont toujours en captivité. Aucun d’entre eux n’a été condamné. Ils ont le statut de prisonniers de guerre.
D’après ton expérience, qu’est-ce qui t’a aidé à survivre à la captivité et à rentrer ?
Je n’avais aucun doute sur le fait que l’on se souvenait de moi, que l’on essayait de tout faire pour me libérer, que l’on pensait à moi, que l’on priait pour moi. J’essayais constamment de m’occuper l’esprit. J’ai essayé de résumer mes expériences antérieures, d’établir des liens internes entre ce en quoi je crois, ce dont je suis convaincu et ce que je fais.
J’analysais ma vie, j’essayais de la comprendre. J’ai réfléchi à la manière de mieux faire les choses, j’ai travaillé sur mes erreurs, j’ai donné la priorité aux choses vraiment importantes dans ma vie, j’ai essayé de ne pas oublier l’anglais et l’ukrainien, j’ai écrit des chroniques ou des discours dans ma tête, je me les suis lus, j’ai formulé des pensées et je me suis souvenu des personnes que j’avais rencontrées dans ma vie.
Tu suis actuellement une rééducation après votre captivité. Comment se déroule-t-elle, en quoi consiste-t-elle et quelle est son efficacité ?
C’est un processus intéressant. Pour être honnête, je pensais qu’il serait plus rapide et plus formel. Le processus de réhabilitation peut être divisé en quatre types d’activités : la première est la réhabilitation médicale, l’examen, le diagnostic pour comprendre ce que la personne a rapporté avec elle de captivité en termes de pathologies éventuelles ; la deuxième est psychologique, des psychologues travaillent avec vous et tentent de vous ramener à la vie dans un contexte plus libre ; la troisième est administrative, elle est liée à la récupération de documents volés, à toutes sortes de choses administratives ; et la quatrième est, bien sûr, la collaboration avec les forces de l’ordre et l’établissement des circonstances de la captivité. Ils essaient de faire tenir ces quatre sujets dans un laps de temps assez court, de sorte que le calendrier est en fait assez serré.
J’essaie maintenant de déterminer où je peux être le plus utile.
Que comptes-tu faire après la réadaptation ?
J’ai encore le temps d’y réfléchir. Après la captivité et la période de soins, une personne a droit à un congé de 30 jours pour se rétablir. Pendant cette période, je réfléchirai à ce que je veux accomplir à court terme, ou plutôt à la manière d’y parvenir mieux et plus efficacement. J’essaie de déterminer où je serai le plus utile et dans quel statut.
Je ne vais pas quitter la protection des droits de l’homme. Elle m’accompagnera longtemps, probablement jusqu’à la fin de ma vie. C’est vraiment une partie intégrante de ma vie, et c’est pourquoi je vais continuer à le faire. Bien sûr, je n’abandonnerai pas les sujets liés à la migration forcée, aux réfugiés, aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, à la discrimination, à la xénophobie et à la haine. Je me rends compte aujourd’hui qu’il faudrait accorder plus d’attention à l’analyse de la propagande et au travail sur l’information, à la pensée critique et à la perception de la réalité. Mais ma priorité dans un avenir proche sera la libération de nos militaires et de nos civils de la captivité.
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Maksym Butkevych milite pour les droits humains depuis près de 20 ans. Il a été coordinateur du projet No Borders et cofondateur du centre des droits de l’homme ZMINA et deHromadske Radio. Depuis de nombreuses années, il est l’un des organisateurs et des hôtes des projections et des événements du festival international de films documentaires sur les droits de l’homme Docudays UA.
Ce militant des droits de l’homme a donné des conférences sur les droits de l’homme, les discours haineux et les réfugiés à des journalistes, des militants et des représentants du gouvernement en Ukraine et dans d’autres pays. Il a travaillé au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Ukraine.
Après le déclenchement de la guerre à grande échelle en mars 2022, M. Butkevych a rejoint les forces armées ukrainiennes et a été fait prisonnier par la Russie en juin de la même année.
Une affaire criminelle a été montée de toutes pièces contre Maksym Butkevych. Le 6 mars 2023, un « tribunal » illégal de la partie temporairement occupée de la région de Luhansk a condamné le militant des droits de l’homme et officier militaire à 13 ans de prison pour avoir prétendument blessé deux femmes en tirant un lance-grenades dans l’entrée d’un immeuble résidentiel alors qu’il se trouvait à Sievierodonetsk.
La cour d’appel de Moscou a confirmé la peine, mais a décidé qu’une partie de la période de détention – à partir du 19 août 2022 – devait être prise en compte dans le calcul de la peine.
En mars 2024, la Cour suprême de la Fédération de Russie a confirmé la condamnation à 13 ans de prison d’un militant des droits de l’homme et soldat capturé. Lors de l’audience, il a déclaré qu’il avait été contraint de s’incriminer sous la menace de la torture. Les juges russes ont refusé d’inclure dans le dossier la preuve que Butkevich n’était pas du tout sur le lieu du crime présumé, ni à Sievierodonetsk, ni le jour indiqué dans le « dossier », ni aucun autre jour de la guerre. La déclaration des activistes des droits de l’homme selon laquelle il s’est incriminé lui-même en raison de promesses d’échange rapide et de menaces de torture n’a pas été prise en compte.
Le procès de Maksim Butkevich a été condamné par les organisations ukrainiennes de défense des droits de l’homme, Amnesty International, Human Rights Watch,Memorial, les membres de l’APCE et d’autres organisations.
L’association russe Mémorial a reconnu Maksym Butkevych comme prisonnier politique.
En novembre 2022, Maksym Butkevych reçoit le prix tchèque de l’histoire de l’injustice : son père, Alexander, reçoit le prix à Prague à la place de son fils. En 2023, Maksym Butkevych a reçu le prix Anne Frank pour la dignité humaine et la tolérance, décerné par l’ambassade des Pays-Bas aux États-Unis, ainsi que le prix national des droits de l’homme, décerné par la plateforme ukrainienne Human Rights Agenda
Publié le 19.11.2024 à 19:37
La tectonique mondiale post-élection de Trump. 2ème partie : le monde.
Les commentateurs glosent à l’infini sur « l’imprévisibilité » de Trump. Mais, comme il a été dit plus haut, Trump, Musk et Poutine ont bien pris le temps de discuter, ne nous leurrons pas. La ligne internationale générale de Trump est parfaitement définie. Son imprévisibilité caractérielle, de gosse narcissique de riche, est en adéquation avec le caractère inévitablement erratique de l’orientation étatsunienne aujourd’hui, puissance impérialiste n°1 mais en grave crise, devant préserver et renégocier par le rapport de force son rôle mondial.
Cette ligne, exprimée d’ailleurs avec plus de clarté par celui qui est devenu l’un de ses hommes quand il était candidat à l’investiture républicaine, Ramaswamy, est la suivante : isoler la Chine en se réconciliant avec la Russie, en lui sacrifiant l’Ukraine ; en renforçant l’axe États-Unis/Inde ; affaiblir les puissances européennes par rapport à la Russie et aux États-Unis (ce qui implique maintien mais refonte de l’OTAN).
A quoi s’ajoute une compulsion particulière qui, elle, n’est pas coordonnée avec Poutine, mais que celui-ci laisse faire : une alliance forcenée (et non gênée et traînarde comme c’était le cas pour Biden) avec l’extrême-droite sioniste israélienne, pouvant aller jusqu’à sacrifier tout ce qui reste des gages donnés à l’Iran sous Obama pour son rôle contre-révolutionnaire régional. L’Iran étant par ailleurs un allié clef et un fournisseur d’armes de la Russie, mais Netanyahou étant lui aussi relié à Poutine, ce dernier, sans pouvoir tirer toutes les ficelles pour autant, joue sur les deux tableaux avec les contradictions que cela entraîne.
L’élection de Trump entraîne une embardée radicale des États-Unis vers cette politique internationale là, qui était déjà présente et sous-jacente comme une option fondamentale pour l’impérialisme nord-américain dans la multipolarité impérialiste présente.
Fait caractéristique et décisif, cette embardée se produit immédiatement et n’attend pas le 20 janvier 2025. Les autres puissances tiennent Trump pour le président, la marge de manœuvre de Biden étant réduite. Ce constat est également important d’un point de vue interne aux États-Unis : les démonstrations trumpistes de politique extérieure préparent les attaques intérieures dont il a été question dans la première partie de cet article.
Ukraine.
Les commentateurs divers glosent là aussi à l’infini sur les développements possibles, alors qu’en fait tout le monde sait très bien le minima que Trump a promis à Poutine : désarmer l’Ukraine de façon à la contraindre à accepter, au moins dans un « provisoire » visant à être définitif, l’annexion de la Crimée, et l’occupation du Donbass.
Les exigences immédiates de Poutine sont connues : j’avais signalé en juillet dernier la fuite du quotidien K’yiv Independant sur le plan transmis par le ministre russe Kolokovstev à New York les 26-27 juin : échange de la totalité du Donbass contre le Sud entre mer et Dnipro (on a donc là une zone de fluctuation pour négociation, ainsi que pour la petite zone occupée en Russie au Sud de Koursk) sous condition de démilitarisation et d’interdiction faite à l’Ukraine de vouloir entrer dans l’OTAN – elle pourrait par contre entrer dans l’UE, les pays de l’UE étant même sommés de fournir des forces d’interposition pour la « zone tampon » entre Ukraine et territoires occupés.
Nul doute que Trump va faire en sorte d’imposer cela à l’Ukraine. Dans cette situation, Zelenski manœuvre en combinant des offres de vente – matières premières offertes aux États-Unis, lithium, etc., et la valorisation du savoir faire et du début rapide de production militaire ukrainiens, et même menace de réactiver un programme nucléaire qui, de toute façon, demanderait des années. Les réformes néolibérales, la casse des services publics et la corruption lassent la population qui, pour autant, rejette la pérennisation à l’infini de l’occupation et de la russification d’une partie du pays.
Voila donc la paix de Trump, qu’il entend offrir à Poutine « en une journée », n’est-ce pas. Problème : ceci ne satisfait pas du tout la Russie, et c’est logique. Expliquons cela.
Le 11 novembre, Nicolai Patrushev, n°2 officieux du régime russe, expliquait ceci en démarrant une interview au journal Kommersant :
« Pour gagner les élections, Donald Trump s’est appuyé sur certaines forces envers lesquelles il a des obligations. Et comme personne responsable, il sera obligé de les tenir.
Au cours de la campagne, il a fait de nombreuses déclarations pour gagner les électeurs, qui ont voté au final contre les politiques étrangères et intérieures destructrices de l’actuelle administration présidentielle américaine. Mais la campagne est finie et, en janvier 2025, il sera temps pour le président élu de se mettre au travail. On sait qu’aux États-Unis les promesses électorales peuvent souvent s’écarter des actes qui s’ensuivent. »
Si vous n’avez pas compris, traduction : Trump est redevable aux forces qui l’ont aidé et maintenant, il va falloir qu’il renvoie la balle, et il a intérêt. Langage de parrain mafieux à peine dissimulé.
Douguine, idéologue clef du régime russe, a de son côté écrit le 11 novembre un texte largement traduit depuis par la fachosphère « eurasienne » :
« L’état actuel de l’Ukraine est incompatible avec l’existence même de la Russie. Et si cette question est gelée une fois de plus, même si nous incluons tous nos nouveaux territoires dans des frontières administratives, cela ne résoudra rien.
(…) Il est regrettable d’entamer un dialogue avec la nouvelle administration américaine, généralement opposée au mondialisme et aux valeurs anti-traditionnelles, sur une note aussi dure. Mais il s’agit là d’un autre piège tendu par les mondialistes. Peut-être que Trump ne le comprend pas. Et nous, tout en manœuvrant diplomatiquement, nous hésitons à appeler les choses par leur nom. Il vaut mieux être direct avec Trump. L’Ukraine est à nous (toute l’Ukraine), et cela ne se discute pas.
(…) Encore une fois, il n’y a pas d’extrémisme ici – juste les lois froides de la géopolitique, clairement décrites des deux côtés : par nous et par Brzezinski. Le détachement de l’Ukraine de la Russie a été et reste un impératif de toute l’école atlantiste (…). Pour l’école eurasienne, l’axiome inverse est vrai : soit l’Ukraine sera russe, soit il n’y aura ni Ukraine, ni Russie, ni personne d’autre. »
Les « lois froides de la géopolitiques » sont les calembredaines pédantes de rigueur ici. Mais ce qu’écrit Douguine est vrai : un empire russe, tsariste, stalinien ou poutinien, ne peut tolérer qu’existe une Ukraine, c’est pour lui existentiel. Inversement, l’existence d’une Ukraine libre, souveraine et indépendante, est la condition d’existence d’une nation russe démocratique. L’impérialisme capitaliste russe a pour axe l’expansion militaire en Ukraine, non pour conquérir, de son point de vue, un pays extérieur, mais pour se constituer enfin en empire russe reconstitué – et, sur cette base, envahir ou vassaliser l’« extérieur » centre-européen et centre-asiatique.
Donc, au-delà de la première étape, celle de la garantie de maintien des troupes russes dans les territoires qu’elles ont envahis, n’est du point de vue impérialiste russe que la base pour anéantir tout de suite, ou vassaliser à nouveau puis anéantir, l’Ukraine, et pousser l’avantage vers la Baltique, les Balkans et le Caucase.
Donc, la « paix en un jour » de Trump est le plus court chemin vers la poursuite des guerres. La seule voie de la paix est celle de la défaite de l’État russe et de la chute de Poutine. Certes, ceci est plus dur aujourd’hui, fin 2024, que cela avait pu le sembler à certains moments en 2022 ou 2023. Mais le peuple ukrainien étant menacé dans sa vie, collective et celle de chacune et chacun des individus qui le forment, résistera.
Europe.
L’avènement de Trump soulève immédiatement en Europe la perspective de l’abandon américain et d’une crise de l’OTAN que Trump tentera d’aligner contre les intérêts des vieux impérialismes européens.
En France, Macron a tenté d’exister un peu à nouveau en tentant de porter au niveau européen la ligne supposée de genèse d’une défense européenne, dans laquelle la dissuasion nucléaire française aurait une place centrale. Sa position intérieure est très affaiblie et la crise de régime française ne peut qu’être accrue par la crise diplomatique globale qui s’amorce. La déclaration d’amour à Elon Musk d’un Kasbarian est un signe avant-coureur de ce qui s’annonce.
Mais de façon immédiate, la plus grande combinaison entre crise intérieure et crise des relations internationales se produit en Allemagne. En même temps que l’élection américaine, la coalition entre le SPD et les Grünen, d’une part, les libéraux du FDP, d’autre part, éclatait avec la démission du ministre libéral des Finances, Christian Lindner. La crise couvait et, comme en France, tournait autour du budget : c’est une tentative de forcing de C. Lindner pour faire passer sa ligne dans le gouvernement au motif de l’annonce de la victoire de Trump qui l’a précipitée.
Le conflit budgétaire prend racine dans la contrainte faite par le Tribunal constitutionnel fédéral, gardien de l’ordolibéralisme, fin 2023, de ne pas affecter une partie de la dette « publique » de la période Covid à la lutte contre la crise climatique. Le ministre Vert de l’Économie et du Climat tentait, depuis octobre 2024, de relâcher l’endettement public pour « aider les entreprises ». Lindner voulait l’interdire, « baisser les impôts » et pour finir, amputer les dépenses dites climatiques.
Ce conflit interne au pouvoir s’est élargi en crise existentielle sur la place de l’Allemagne en Europe, les 5-7 novembre dernier. Les États-Unis s’apprêtent à retirer le tapis et le parapluie. L’Allemagne doit-elle s’engager dans un réarmement avec défense européenne en alliance conflictuelle avec la France ? Ou repartir dans un partenariat structurel avec la Russie ? Donc partager avec elle l’influence en Europe centrale et orientale.
Olaf Scholz a basculé dans ce sens à en téléphonant à Poutine. Peu importe ce qu’ils se sont dit : il a ainsi, volontairement, créé un précédent mettant fin à l’absence de discussion bilatérales officielles des grands États européens avec la Russie.
La « réponse » russe a été le bombardement massif des infrastructures ukrainiennes dans la nuit du 16 au 17 novembre, le pire depuis le début de la guerre. Les pays baltes et la Pologne frémissent sur ce qu’une entente Berlin-Moscou signifie pour eux – faut-il rappeler qu’ils en ont déjà subi une, il y a 85 ans ?
Dans cette situation, Biden a fait son premier geste fort – le dernier ? nous verrons – depuis l’élection présidentielle : il a « autorisé » l’Ukraine à utiliser des missiles américains à longue portée en territoire russe. Les dynamiques s’accélèrent …
Palestine.
La victoire de Trump permet, premièrement, à Netanyahou de s’asseoir définitivement, espère-t-il, sur Gaza. Environ 100 000 morts, deux millions trois cent mille personnes ballottées d’un champ de ruines à un autre champ de ruines depuis un an, soumis aux traumatismes et à la famine, le territoire étant encerclé et cisaillé par Tsahal, sans que la population palestinienne n’ait cessé de maudire les occupants coloniaux, que le Hamas ait disparu, et que les otages, qui meurent les uns après les autres dans la souffrance, aient été libérés. Que faire de ce territoire ? Avec Trump, le pouvoir israélien est autorisé à tenter d’en faire ce qu’il veut, en poursuivant la réduction meurtrière du nombre de ses habitants. Nous entrons, maintenant, dans la réalité du génocide. Nous devrons donc reparler, nous, de Genocide Donald.
Le programme de l’extrême-droite du sionisme est donné par le ministre Bezalel Smotrich, en charge de la « gestion civile » de la Cisjordanie, dans des termes qui sont ceux que les rashistes poutiniens utilisent contre les Ukrainiens, apparentement non fortuit :
« Les nouveaux nazis [les Palestiniens, pas seulement le Hamas auquel ils les amalgame] doivent payer un prix sur le territoire qui leur sera enlevé pour toujours, à la fois à Gaza et en Judée-Samarie. »
« L’année 2025 sera, avec l’aide de Dieu [et de Trump] l’année de la souveraineté en Judée et en Samarie. »
Il s’agit d’annexer officiellement à Israël la Cisjordanie (appelée « Judée-Samarie » par Smotrich comme par Myke Hukabee), en expulsant sa population palestinienne. La raison fondamentale n’est ni religieuse, ni de satisfaire les colons : elle est « d’éliminer le danger existentiel d’un État palestinien ».
La symétrie de l’extrême-droite sioniste avec l’impérialisme russe est parfaite. L’existence ne serait-ce que d’une caricature impuissante, corrompue et non souveraine d’État palestinien est une menace jugée existentielle pour la « nation » judéo-israélienne définie comme coloniale, impériale et raciste. Inversement, l’existence d’une Palestine souveraine, libre et indépendante est la condition d’existence d’une nation, sans guillemets, judéo-israélienne démocratique.
Trump et Hukabee, c’est la dynamique génocidaire à Gaza et en Cisjordanie débridée. Elle ne conduira à aucune stabilisation ni à aucune sécurité pour les judéo-israéliens, bien au contraire.
Asie.
Le but global des manœuvres poutiniennes de Washington avec Trump sera de détacher Russie et Chine pour isoler la Chine. C’est un but qui peut être atteint, mais l’intérêt du régime chinois est bien entendu de faire monter les enchères avec tout le monde.
Or, il y a un joker : la Corée du Nord, sortie de son légendaire isolement comme fournisseur essentiel d’armes à la Russie, puissance nucléaire ayant maintenant des moyens de lancement, et envoyant des troupes contre l’Ukraine, chargées de pousser contre la zone occupée par l’Ukraine au Sud de Koursk, avec mission de la reprendre, on l’aura compris, avant le 20 janvier – au minimum : ces troupes « fraîches » peuvent aussi être utilisée pour tenter d’enfoncer plus gravement le Donbass, mais leur efficacité pour l’instant n’a pas été prouvée.
La Corée du Nord veut sa place dans l’ordre-désordre de la multipolarité impérialiste : elle est candidate aux BRICS+.
Cette partie s’est montée entre Poutine et Kim : Xi n’y est pour rien, même s’il s’agit pour Moscou de verrouiller l’alliance militaro-stratégique eurasiatique. Aux dernières rumeurs, la Corée du Nord devrait envoyer encore de nouvelles troupes. Tout le monde se dit qu’il y a, forcément, une contrepartie : garantie russe de soutien en cas d’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord ? Cette éventualité déplaît à Beijing et suscite, à Séoul, Tokyo et Taipei, des débats sur une aide militaire à l’Ukraine venant d’Extrême-Orient au moment où les États-Unis vont la lâcher !
Contre la Chine, Trump a su également être ambivalent. La défense du droit des taïwanais à l’autodétermination n’est absolument pas un principe pour lui : il n’a pas de principes, et encore moins de principes démocratiques. Si les États-Unis améliorent, comme ils y travaillent, leur approvisionnement en semi-conducteurs, actuellement dépendant stratégiquement des usines TSMC à Taïwan, et en terres rares, actuellement dominées par la Chine (d’où l’importance de la question de l’emprise US sur le Groenland), ils peuvent laisser Xi ou son successeur faire main basse sur Taïwan, à condition de verrouiller l’espace océanique situé au-delà, avec la collaboration des Philippines, de la Malaisie, et de l’ancien ennemi vietnamien. Mais nous n’en sommes pas là ; et la guerre mondiale demeurerait, là encore, à l’horizon.
* * *
Ce cursif tour d’horizon montre deux choses :
1°) le rapport de force dans les affrontements sociaux qui s’annoncent aux États-Unis va être impacté par les évènements internationaux d’ici maintenant au 20 janvier. Toute défaite supplémentaire des peuples ukrainien et palestinien aura des répercussions négatives sur ce rapport de force.
2°) toute victoire de Trump sur la « voie de la paix » sera un pas vers la guerre, même si le jeu des alliances dans la guerre qui vient reste ouvert.
VP, le 17/11/2024.
Publié le 18.11.2024 à 13:33
Le régime Trump à venir : chaos et répression, par OaklandSocialist. 1ère partie.
Présentation
Face à l’événement mondial et historique que constitue la deuxième accession de Donald Trump à la présidence des USA, première puissance au sein du système mondial impérialiste, il est temps de fournir l’analyse par la discussion et les publications. En parallèle à la série que nous avons débuté aujourd’hui ( La tectonique mondiale post-élection de Trump ), nous entreprenons de mettre à disposition les réflexions de nos camarades du blog OaklandSocialist qui, comme nous, ont pris position pour s’opposer au retour de Trump au pouvoir, notamment en menant une campagne indépendante pour le vote Harris.
1er partie de la contribution d’Oakland Socialist
« Chaos et répression » sont les mots qui peuvent le mieux résumer le futur régime de Trump. C’est l’environnement dans lequel le fascisme prospère.
Face à cela, tout adulte réfléchi aura éprouvé de la colère, du chagrin, voire de la dépression après l’élection. Après avoir traversé ces sentiments, nous devons prendre du recul et analyser les perspectives de la prochaine présidence de Trump. Ces perspectives doivent être très provisoires car toute la situation est sans précédent.
Ces perspectives incluent les suivantes :
1. Quelques nominations majeures de Trump et leur importance.
2. Quelles sections de la classe capitaliste américaine soutiennent Trump et pourquoi.
3. Quelles sections de la classe capitaliste américaine s’opposent à Trump et pourquoi.
4. La domination de Trump sur la classe capitaliste et ses partis en général.
5. Tensions et divisions possibles au sein de l’administration Trump et au sein du Parti républicain.
6. Possibilités d’un mouvement d’en bas contre Trump.
7. Quelques conclusions générales.
Dans cette première partie de cet article, nous aborderons les points 1 à 3.
« Le personnel, c’est la politique » n’a jamais été aussi vrai que dans les nominations annoncées par Trump. Les nominations clés sont :
• Tout d’abord Matt Gaetz au poste de procureur général.
• Tulsi Gabbard au poste de directrice de la sécurité nationale.
• Peter Hegseth au poste de secrétaire à la Défense.
• Susie Wiles au poste de chef de cabinet de Trump.
• Stephen Miller au poste de chef de cabinet adjoint chargé de la politique.
Commençons par Hegseth. Il a un tatouage « Deus Vult », qui signifie « Dieu le veut » en latin. Cette devise trouve son origine dans les croisades européennes et est utilisée aujourd’hui par les fascistes nationalistes blancs aux États-Unis. Hegseth, qui était dans la Garde nationale au moment de l’investiture de Biden, s’est vu interdire de servir comme agent de sécurité car il était considéré à l’époque comme un risque pour la sécurité. Je n’ai pas vu de preuve des liens de Hegseth avec les fascistes nationalistes blancs aujourd’hui, mais tous ses commentaires publics seraient bien accueillis par eux. C’est la personne nommée qui sera au sommet du commandement civil de l’armée. Lui et son patron, Trump, ne manqueront pas de promouvoir les officiers en fonction de leurs opinions politiques. En fait, le magazine The Atlantic a rapporté que « Trump a promis à plusieurs reprises de ramener le général à la retraite Mike Flynn au gouvernement. » Flynn est un nationaliste chrétien déclaré et un fasciste.
Tulsi Gabbard a toujours été associée à la dictature d’Assad en Syrie et l’a soutenue. En 2017, elle s’est rendue en Syrie et a eu une réunion privée avec Assad. Ce voyage a été financé en partie par le Parti social nationaliste syrien fasciste, qui fait partie du gouvernement Assad. Gabbard est également proche de Poutine. Lui et Assad sont tous deux soutenus par l’extrême droite internationale et par des fascistes purs et durs, c’est pourquoi la nomination de Gabbard est soutenue par des personnalités d’extrême droite telles que Mike Cernovich, le fasciste Daily Stormer, l’ancien chef du KKK David Duke et d’autres.
Gabbard sera un lien direct avec Poutine et Assad. Un article du magazine The Atlantic a exprimé le problème : « Le fait que Gabbard soutienne Assad est un mystère, mais elle est encore plus déterminée à faire le porteur d’eau pour Poutine. »
Elle partagera des informations de renseignement avec Poutine et Assad (et probablement Khameini en Iran également). Il en sera de même pour Elon Musk, qui n’a pas obtenu de poste officiel au gouvernement mais qui dispose d’une habilitation de sécurité de haut niveau et avec qui Trump partagera tous les secrets que Musk souhaite. Non seulement Musk a eu des discussions régulières avec Poutine au fil des ans, il possède également une « giga-usine » à Shanghai, et la Chine représente 22,5 % du chiffre d’affaires total de Tesla. Il y a aussi la nouvelle cheffe de cabinet de Trump, Susie Wiles, qui était la coprésidente du groupe de lobbying Mercury Public Affairs. Mercury a fait du lobbying au nom d’une série d’entreprises chinoises.
La nomination qui suscite le plus de tollé est celle de Matt Gaetz au poste de procureur général. Gaetz a résumé son approche ainsi : « Nous devrions exercer une pression de tous les instants contre ce gouvernement ARMÉ qui s’est retourné contre notre peuple. Et si cela signifie abolir chacune des agences à trois lettres [dans l’acronyme], du FBI à l’ATF, je suis prêt à m’y mettre ! »
Avant même d’entrer en fonction, la nomination de Gaetz crée des ravages au sein du DOJ. Le NY Times a rapporté : « Dans un cabinet d’avocats de Washington, un administrateur a estimé que les associés avaient reçu deux douzaines de CV d’avocats du département depuis le jour de l’élection, puis a rapidement rappelé pour dire qu’il en était plus proche de trois douzaines. Un ancien procureur travaillant dans un autre cabinet a déclaré avoir reçu trois appels mercredi après-midi de fonctionnaires actuels espérant partir rapidement. » (Le même article du NYT rapporte que les personnes nommées par Trump refusent de signer un protocole d’accord les obligeant à se soumettre aux vérifications d’antécédents du FBI.)
La nomination de Gaetz doit être considérée à la lumière du projet de Trump d’imposer le « Schedule F », qu’il a tenté d’imposer peu avant de quitter ses fonctions en 2020. Le Schedule F transférerait des dizaines de milliers d’employés fédéraux, depuis des fonctionnaires jusqu’à des personnes nommées politiquement, ce qui permettrait à Trump de licencier ceux qu’il souhaite. En tête de liste se trouveraient les employés du DOJ [Department Of Justice – Ministère de la Justice] – avocats et autres – qui sont réticents à mettre en œuvre les mesures répressives ordonnées par Trump.
Stephen Miller ne sera pas à la tête d’un département gouvernemental particulier, mais son rôle de « chef de cabinet pour la politique » signifie que ses politiques fascisantes, ethno-nationalistes et racistes auront une forte influence sur le régime Trump en général.
Le soutien de Trump parmi les capitalistes américains
Il existe une aile de la classe capitaliste américaine qui soutient Trump. Cette aile est composée de toute une couche de capital-risqueurs de la Silicon Valley. En tête de liste se trouvent Peter Thiel et Elon Musk. Ils se sont fait connaître en détruisant l’industrie de la communication et du divertissement et en la reconstruisant dans un format très différent (streaming en direct, réseaux sociaux, etc.). De plus, dirigés par le capitaliste qui a réellement contribué à créer quelque chose – Steve Jobs d’Apple – et aussi par d’autres comme Larry Page de Google, les PDG de la Silicon Valley ont élaboré et mis en œuvre un plan systématique pour écraser toute tentative de syndicalisation des travailleurs de la Silicon Valley.
Ayant réussi si largement dans ces deux tâches – restructurer l’industrie de la communication/du divertissement et écraser toute tentative de syndicalisation des travailleurs – ils prévoient maintenant d’accomplir la même chose dans tout le pays. Il existe également divers capitalistes dont les politiques s’alignent sur celles de Trump. Parmi eux figurent la grande majorité des propriétaires d’équipes de la NFL. (La propriété d’une franchise de sport professionnel est également directement liée au développement immobilier.)
Le futur régime de Trump ne sera pas une aventure sans heurts. Il y aura des tensions et des conflits à la fois internes et externes au régime. Dans la deuxième partie de cette série, nous examinerons ces tensions et ces conflits et déterminerons si Trump sera en mesure de les surmonter.
Le 18/11/2024.
Source : https://oaklandsocialist.com/2024/11/18/the-coming-trump-regime-chaos-and-repression/
Publié le 18.11.2024 à 12:08
La tectonique mondiale post-élection de Trump. 1° partie : aux États-Unis.
Pandemonium.
Depuis la victoire de Trump, la plupart des nominations gouvernementales qu’il annonce et le tableau d’ensemble que cela compose, suscitent une sidération des commentateurs mondiaux, qui s’étend jusqu’à une partie des élus républicains aux États-Unis. Il n’est pas encore investi président qu’il en est déjà à un coup d’État, grand ou petit, par jour.
Nous pouvons nous accorder avec l’historien et commentateur Timothy Snyder, partisan américano-polonais du libéralisme politique, pour poser que si « chaque nomination annoncée par Trump suscite la surprise », il « est illusoire de penser qu’il n’est qu’un vieil homme vindicatif, qui s’en prend à tout le monde ainsi. C’est douteux. Lui-même, Musk et Poutine discutent depuis des années. Et le leitmotiv de sa campagne était que cette fois, il a un plan. »
L’ensemble du dispositif gouvernemental est placé d’avance sous la supervision d’une nouvelle structure confiée à Elon Musk – les ennemis autoproclamés de la bureaucratie commencent donc par fonder leur propre agence fédérale : DOGE, Department of Government Efficiency. « Doge » est le surnom d’une mascotte canine de dessin animé dont l’image a été reprise par Elon Musk pour promouvoir un bitcoin, le Dogecoin, vraie blague et vraie monnaie fictive spéculative. Comme par hasard, une action collective en justice contre Musk accusé de manipulation du Dogecoin vient de se terminer sur un non-lieu.
DOGE est censée vérifier chaque dollar dépensé et traiter la « bureaucratie » fédérale à la tronçonneuse, façon Milei en Argentine. C’est cela qui suscite l’épectase de M. Kasbarian, ministre trumpo-muskien du gouvernement Macron/Barnier parrainé par Le Pen, en France.
Un article entier serait nécessaire pour résumer et analyser le rôle politique, idéologique et financier d’Elon Musk, le plus grand prophète-escroc du capital financier à l’heure actuelle dans le monde, un grand malade que ses éclairs de « génie » ne soignent pas, tout au contraire. On y reviendra, ainsi que sur son rôle dans l’amorce, puis dans la volonté de freiner et de contrôler pour le capital, les LLM (Large Language Model : ce que l’on appelle l’ « intelligence artificielle »), et le fait qu’avec son entreprise Tesla, il est en confrontation directe avec le syndicalisme de l’UAW. Soulignons seulement ici l’esthétique futuriste à la fois kitsch et fascisante qu’il développe, sous le logo « Dark MAGA ».
A ses côtés, DOGE sera codirigée par Vivek Ramasswamy, capitaliste financier de moindre envergure que Musk, qui avait été un temps candidat à l’investiture républicaine, où il affirmait un axe de politique étrangère proche de celle de Trump mais moins heurtée, reposant sur la réconciliation avec la Russie (et donc le sacrifice de l’Ukraine) et l’alliance avec l’Inde (où il a des racines) contre la Chine.
La politique étrangère est promise à Marco Rubio, sénateur de Floride qui fut mormon, baptiste puis catholique, néoconservateur acharné, ce qui fait de lui, dans le cadre de ce qu’est la camarilla en train d’être installée, le personnage le plus … rassurant de la bande ! Il est la seule figure relativement traditionnelle de l’establishment républicain à avoir été promue, et il faut signaler ici qu’il avait été à l’origine d’une loi transpartisane votée par le Congrès en décembre 2023, qui oblige un président qui voudrait quitter l’OTAN de prévenir le Congrès 180 jours à l’avance et conditionne une telle décision soit au vote d’une loi par le Congrès, soit à un vote des deux tiers du Sénat.
Alors, l’OTAN, sauvée ? Cela ne veut rien dire : même Trump n’a de son point de vue aucun intérêt à détruire ou à sortir d’un tel instrument de domination nord-américaine. Une politique concertée et cogérée avec Poutine peut très bien instrumentaliser l’OTAN, n’en déplaise aux campistes qui fabulent que l’OTAN a attaqué la Russie. Dans son programme, Trump précise bien ne pas vouloir liquider ou quitter l’OTAN, mais en « réévaluer fondamentalement l’objectif et la mission ».
Un autre républicain « classique » est annoncé comme ambassadeur en Israël, Myke Hukabee, représentant du lobby des « sionistes-évangélistes » et bien connu pour affirmer que les Palestiniens, cela n’existe pas.
Ces néocons tradis sont déjà inquiétants, mais voici venir la cour des miracles.
Matt Gaetz à la Justice : surnommé Attack Dog, cet autre élu de Floride, qui sitôt nommé a démissionné pour éviter une enquête parlementaire, accumule un nombre phénoménal de délits et de poursuites : on n’en fera pas la liste, on signalera juste qu’il fut convaincu d’achat de jeunes femmes mineures pour services sexuels, lui qui appelle à l’interdiction totale de l’IVG.
Ce petit chien de combat masculiniste a joué un rôle clef dans la suspension de l’aide à l’Ukraine pendant plus d’un semestre par le Congrès et dans la lutte pour que les élus républicains maintiennent cette ligne. La destruction de la Justice en tant qu’institution est son projet explicite. Il sera flanqué en numéros 2, 3 et 4, des 3 avocats appointés par Donald Trump, Todd Blanche, Emil Bove et John Sauer.
Robert Kennedy Jr à la Santé, est, c’est bien connu, un « antivax » fou, qui se vante d’avoir eu le cerveau à moitié mangé par un « ver » : un adepte de la médecine empirique, en quelque sorte …
Pete Hedseth à la Défense dépasse le niveau de délire des deux précédents : cet ancien simple soldat devenu animateur de Fox News arborant un chapeau de cow-boy, fut viré de la Garde nationale du Minnesota à cause de ses tatouages, qu’il exhibe volontiers, de « croix de Jérusalem », un emblème suprématiste blanc arboré par exemple par le tueur de masse d’Auckland en 2019. Ce gosse bodybuildé frétille à l’idée qu’il va restaurer l’honneur des « warriors » contre les femelettes, les « Wokes » et les pédés … et diriger l’armée ?
Peter Hedseth, le futur ministre de la Défense de Trump, exhibant ses tatouages suprematistes blancs.Contre les immigrés, pour préparer le grand plan visant à « déporter » 20 millions de personnes, Trump a nommé « tsar des frontières » – c’est son expression – le flic Tom Homan, l’homme qui, lors de son précédent mandat, avait ordonné la séparation des enfants et des parents : il est, comme il se doit, en charge de la sécurité aux frontières. Avec lui, Kristie Noem, gouverneure du Sud Dakota, connue pour s’être vantée d’avoir abattu son chien qui n’était plus bon pour la chasse : elle est en charge de la sécurité intérieure.
Les défenseurs de l’environnement et les victimes par millions, aux États-Unis, du réchauffement, seront parmi les cibles de ce gouvernement : Lee Zeldi est chargé de la déréglementation, du démantèlement, des Agences d’environnement, Doug Burgum, gouverneur du Nord Dakota fan de la fracturation hydraulique, des terres fédérales, et Chris Wright, lui-même magnat de la fracturation, est nommé à l’Énergie. En annonçant sa promotion, il a déclaré que le scandale des mensonges parlant d’une crise climatique et accusant le carbone d’être un polluant allait cesser vite fait. Ces criminels incendiaires comptent bien tout brûler et en empocher les dividendes.
Trump a aussi voulu nommer, avec ces « vrais hommes », quelques « vraies femmes » : outre Kristie Noem déjà citée, nous avons Suzie Wiles, sa cheffe de cabinet, une cadre républicaine qui l’a rallié précisément après la tentative de putsch du 11 janvier 2021, Elise Stefanik, ambassadrice à l’ONU, réputé comme « killeuse », Caroline Leavitt, issue de l’équipe de la précédente, porte-parole, Elisabeth Pipko – attachée de presse, celle-ci, qui fut une mannequin bimbo, est en même temps une surdiplômée héritière d’une dynastie d’intellectuels et d’artistes émigrés juifs soviétiques, russophone et russophile, spécialisée dans l’organisation de campagnes pour que les juifs américains abandonnent le vote démocrate. Pour elle aussi, les Palestiniens, c’est comme les Ukrainiens : ça n’existe pas.
J’ai gardé la meilleure pour la fin.
Flanquée du nouveau directeur de la CIA John Ratcliffe, un agent du renseignement promu par Trump lors de son premier mandat précisément parce qu’il agissait pour le protéger des enquêtes le visant, nous avons donc, à la tête du Renseignement (CIA, FBI, NSA), Tulsie Gabbart, élue démocrate d’Hawaii, qui a longtemps passé pour fort « à gauche », au parfum racisé et décolonial, en fait proche des ethno-nationalistes hindous et vraie islamophobe, « anti-impérialiste » acharnée qui, après avoir tenté de noyauter la campagne Sanders en 2016, a jeté des ponts vers l’extrême-droite, est allé saluer Bachar el Assad, s’est présentée à l’investiture démocrate en 2020 avec le soutien des médias « RT » (liés aux services russes).
Tulsi Gabbard, une fausse anti-impérialiste mais une vrai islamophobe proche de l’extrême droite hindouiste de Modi.Politiquement, ce ralliement « de gauche » a un parfum fascisant prononcé. Et puis, sacrée ruse de l’histoire que cette décomposition du capitalisme nord-américain conduisant à l’arrivée à la tête des agences d’espionnage et de renseignement les plus puissantes du monde … d’agents russes directs ou indirects, des décennies après la fin de l’URSS !
Inutile de dire que l’affolement prévaut dans bien des hautes sphères, malgré la sérénité servile affichée par Joe Biden. En fait, selon le Guardian, ce sont les sommités démocrates, surtout dans les milieux judiciaires, qui s’attendent à être les premières cibles de la répression, légale (licenciements, harcèlement judiciaire) et de type mac-carthyste, et extra-légale (menaces de morts, agressions).
Comment caractériser ce qu’il faut bien appeler une bande, une camarilla ?
Le niveau intellectuel de plusieurs d’entre eux (pas tous) et la crasse morale, la corruption, ainsi que la place des idéologies délirantes, évoquent irrésistiblement la bande nazie qui arrive au pouvoir en Allemagne en 1933 (ce qui ne veut pas dire que ce soit la même chose évidemment). Mais il y a une différence sociologique majeure : ils sont tous déjà richissimes. Grands capitalistes et non petits bourgeois, mais avec un degré de délire et de frénésie à vous faire regretter les petits bourgeois d’antan …
C’est bien le « grand capital », surtout le grand capital de l’investissement financier à risque, qui a fortement investi les équipes de Trump, ce qui n’était pas le cas en 2016 en dehors de Trump lui-même. Musk est la figure de ce qui n’est pas à proprement parler un ralliement, mais plutôt une symbiose.
Et le FSB, ou l’imprégnation russe, de même : elle traverse toute la bande, à l’exception sans doute des rares républicains néocons classiques (Rubio et Huckabee). Trump est lié à la mafia soviétique puis russe depuis l’arrivée de celle-ci sur la côte Est en 1987. Mais l’incapacité des services judiciaires et de renseignement américains à faire éclater ce qu’il savaient pourtant très bien fait que ce phénomène n’est plus celui du seul Trump : nous assistons à la formation d’une équipe néofasciste vertébrée par les intérêts privés de ses membres capitalistes financiers et high tech et par l’infiltration russe.
Attention : cette infiltration, plus forte que jamais, ne doit pas être prise pour un sujet suprême qui tire les ficelles. Le marionnettiste peut devenir marionnette et évoluer à son tour de manière autonome, comme toute mafia policière et affairiste. Au sommet de l’appareil d’État de la première puissance impérialiste mondiale aujourd’hui encore, tente de s’installer une camarilla qui cumule capitalisme financier-rentier-technologique, idéologies délirantes et infiltration policière et mafieuse russe : un composé volatil et dynamique !
Si la fragilité et l’instabilité de cette couche de stars de la vulgarité ne font aucun doute, l’idéologie ne doit pas être négligée dans son rôle de ciment. Mais laquelle, entre géopolitique « multipolaire », néoconservatisme réactionnaire, complotisme délirant, cosmo-transhumanisme, évangélisme apocalyptique ?
Le principal liant là-dedans est l’affirmation de fausses individualités revendiquant leur force et leur virilité : le masculinisme toxique, en outre cautionné par la troupe de « vraies femmes » gravitant autour du singe dominant (pardon pour les singes) Trump.
Constitution.
Le premier problème politique auquel cette bande et son chef sont confrontés, c’est la constitution américaine. Théoriquement, chacune de ces vedettes doit passer une audition devant le Congrès et être confirmé par un vote du Sénat. Selon l’article II, section 2, de la constitution, le président « proposera au Sénat et, sur l’avis et avec le consentement de ce dernier, nommera les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls, les juges à la Cour suprême, et tous les autres fonctionnaires des États-Unis dont la nomination n’est pas prévue par la présente Constitution, et dont les postes seront créés par la loi. »
Le consentement du Sénat est donc nécessaire ; or, Trump est en train de pousser les sénateurs républicains à ne pas réunir le Sénat lors de son investiture, au motif que si le Sénat n’est pas en session, il peut ne pas avoir à donner son consentement, celui-ci étant réputé alors acquis.
Deuxièmement. Selon le Wall Street Journal, Trump prépare un décret lui permettant de nommer un groupe restreint de généraux à la retraite chargés de recommander des révocations d’officiers : en clair il se dote des moyens de purger les hautes sphères militaires.
Troisièmement. Trump a déclaré qu’il pourrait briguer un troisième mandat, ce qui a été présenté ensuite par une partie de son entourage comme une boutade, mais qui revient depuis avec insistance. Ceci s’oppose explicitement au XXII° amendement de la constitution, adopté en 1947 et ratifié en 1951.
Le tout forme système : Trump n° II n’est pas Trump n° I.
L’installation de la camarilla annoncée serait le premier acte d’une modification de la pratique constitutionnelle et, sans doute par petites touches, du texte lui-même, dans le sens dénoncé par Jefferson en 1789, celui de l’arbitraire présidentiel – alors que les partisans du « droit des États », qui était le drapeau des confédérés lors de la guerre civile dite de Sécession, sont aujourd’hui majoritairement trumpistes.
En France, nous devons comprendre une chose. Chez nous, la constitution ne fait pas la nation. On en a changé 15 fois depuis 1789 et il faudrait vite en changer de nouveau. Aux États-Unis, constitution et nation sont censées ne faire qu’une seule chose. Un déchirement sur la constitution sera un déchirement de l’Amérique en tant que nation.
La « large » élection de Trump a lâchement soulagé le centre et la droite ordinaires du monde entier : la guerre civile allait être évitée, alors que Trump l’avait annoncée s’il n’avait pas été élu ! Ouf, le méchant a gagné, il sera moins méchant que s’il avait perdu !
En fait, il s’apprête à engager la Civil War par touches et retouches, afin de gagner les premières batailles. En fait, il a commencé maintenant.
Pour son investiture, prévue le 20 janvier prochain, il a très vite fuité que les conseillers de Trump et de Homan envisagent un décret immédiat d’urgence nationale permettant le recours à l’armée sur la frontière avec le Mexique et pour l’enfermement des migrants raflés dans des camps militaires, pouvant aller jusqu’à 20 millions de personnes (!), et la révocation des mesures de protection temporaires concernant les Haïtiens et les Vénézuéliens, et peut-être bien aussi les Afghans et les Ukrainiens.
On passerait alors des nominations et des textes à la bataille directe, physique, sur le terrain. Les syndicats, les femmes, les minorités, la démocratie, étant les cibles suivantes.
VP, le 16/11/2024.