Chayka Hackso et Viciss Hackso
Le hacking social est une méthode plus qu’une doctrine, méthode qui tend à transformer les environnements sociaux vers plus d’autodétermination des personnes, plus d’altruisme, plus d’autotélisme, plus d’intelligence sociale, émotionnelle et cognitive dans les structures et systèmes, moins de souffrance, moins de domination, moins d’injustices, moins de discrimination, moins de manipulation, etc.
Publié le 15.09.2025 à 10:52
Est-ce que vous connaissez quelqu’un d’accro au fait de remplir d’énormes dossiers de justifications aux administrations méfiantes au point d’abandonner toute pratique de jeu vidéo, alors que ça leur plaisait avant ? Vous connaissez quelqu’un qui abandonne sa carrière de cadre à 200 k par an pour préférer changer un maximum de litière pour chat dans sa journée ? Connaissez-vous des gens accros au fait de descendre les poubelles qui en viennent à voler les poubelles de leurs voisins pour s’en occuper ? Effectivement, pour les chercheurs Rigby et Ryan, dans « Glued to games », tout comportement peut devenir « addictif », mais ce sont souvent les plus engageants et les plus agréables qui le sont.
Cet article est la suite de :

Selon eux, ce serait parce que les jeux sont très séduisants, motivants, parce qu’ils sont efficaces à combler rapidement les besoins qu’ils sont aussi accrocheurs, et qu’en conséquence, certains ont du mal à décrocher, au point de laisser tomber d’autres pans de leur vie. Et c’est une lecture qu’on peut avoir dans la méta-analyse précédente1 : les personnes qui ont des besoins comblés n’ont pas un usage problématique du jeu, et les individus qui jouent trop le font parce que des sphères de leur vie sapent leur proximité sociale, leur besoin de compétence.

Mais si le jeu comble les besoins, pourquoi cela ne semble pas restaurer les surjoueurs, qui, une fois comblés par une partie, seraient par exemple comme rechargés pour affronter les problèmes de leur vie IRL ?
On a vu dans le critère du DSM-5 que le jeu devenait problématique lorsqu’il était utilisé pour fuir des émotions ou des humeurs négatives :
« 8. Joue sur internet pour échapper ou pour soulager une humeur négative (p. ex. des sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété). »
Selon tous ces chercheurs, il y aurait là le signe d’une mauvaise stratégie de régulation émotionnelle ou de coping, qui est l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les ressources d’un individu. Plutôt que d’y voir une restauration pour ensuite faire face, ils cherchent à oublier, à effacer les émotions négatives, à fuir et même à dissocier.
On parle ici de mauvaises stratégies de coping parce que le jeu est utilisé comme une fuite pour ne pas régler le problème qui persiste donc à être là – qu’il soit interne ou externe -, amenant donc à jouer encore plus pour fuir toujours plus. On peut aussi voir cette mécanique avec des substances : certains boivent de l’alcool rarement, seulement pour une fête de temps en temps, pour s’amuser avec des amis, mais ils arrivent à s’amuser par ailleurs sans qu’il y ait de l’alcool. Ils ne font pas de l’alcool ni une solution à leurs problèmes ou à leurs émotions négatives, ni une habitude. Ils gardent le contrôle en toute conscience de la substance, l’utilisant comme une sorte de divertissement très ponctuel. Mais d’autres vont boire pour oublier les problèmes d’une journée : la stratégie d’oublier avec l’aide d’une substance ou d’une activité n’aidera pas, puisqu’un problème nécessite d’être traité, il y a donc besoin qu’on y réfléchisse et qu’on agisse. L’oubli ou le grand remplacement de celui-ci par l’ivresse ne sera qu’un bienfait extrêmement temporaire. Et c’est ce même contraste qu’on voit apparaître dans les recherches entre un usage « pour profiter encore plus » et un usage « pour oublier cette vie de m*rde ».
En 2006, dans une étude de Wan et Chiou à Taïwan2, il est trouvé une corrélation négative entre l’intérêt/le plaisir à jouer et la tendance à la dépendance. Autrement dit, quand il y a plaisir dans le jeu, la dépendance a peu de chances d’être là. Pour ceux qui sont connaisseurs de la notion de flow qu’on a déjà évoqué à plusieurs reprises (ici et là), les surjoueurs avaient moins de flow au jeu, donc on ne peut pas dire que vivre du flow en jeu rend plus accro, puisque c’est exactement l’inverse qui semble se produire.

Rigby et Ryan expliquent que dans cet usage problématique du jeu, l’individu vise à soulager son insatisfaction plutôt qu’à chercher la satisfaction. Plus on jouerait compulsivement pour échapper à une vie insatisfaisante, moins les jeux seraient satisfaisants, car on se séparerait des sources de changements et de soutien qui pourraient nous conduire vers plus de bien-être.

Une autre étude, de Przybylski3 montre qu’effectivement les personnes ayant une moindre satisfaction des besoins fondamentaux auront plus d’obsession, de compulsion à jouer sans plaisir, y mettront plus de temps et en récolteront plus de tension. Alors que les personnes dont les besoins sont satisfaits IRL auront moins de tensions après avoir joué, plus d’énergie et de vitalité, plus de plaisir à jouer. Les uns essayent d’oublier et de fuir, les autres de récolter de la satisfaction pour l’exporter ensuite IRL.
On pourrait avoir ce comportement « addictif » avec la nourriture, un sport extrême, un travail : même s’il n’y a plus de plaisir ou de satisfaction, on pourrait se remettre à chercher les « shoots » initiaux qu’on avait avec l’activité quand ça allait bien. On pourrait préférer être là qu’ailleurs, où les besoins sont encore plus sapés, où les problèmes sont perçus comme ingérables ou qu’on ne sait plus quoi faire pour résoudre la situation. Le problème reste de prendre le jeu ou n’importe quelle activité de façon obsessionnelle comme moyen de fuite et non pas comme un apport supplémentaire pouvant apporter quelque chose pour aider dans les autres sphères de la vie.
Mais n’allez pas blâmer les personnes pour autant : pour prendre l’activité et ses bénéfices en eux-même, donc opérer une « bonne » stratégie, il est nécessaire d’aller suffisamment bien et d’être dans des conditions de vie suffisamment bonnes pour laisser passer la lumière de l’espoir. Certaines conditions corrélées au surjeu vues dans les études précédentes4 sont écrasantes : comment un adolescent qui se fait maltraiter par ses parents, n’a pas de relations positives à l’école, n’est pas aidé par quiconque, pourrait apercevoir ce petit espoir de résolution des problèmes ? Personne ne lui donne rien à espérer, tout au contraire, il est sans cesse ramené à l’échec, à l’impossibilité de vivre comme les autres : seul le jeu vidéo est assez sympa pour lui offrir des occasions de montrer ses compétences et un peu de comblement des besoins ; et étant jeune, il n’a pas la liberté de quitter la famille sapante ou l’école sapante pour tenter de trouver un environnement social meilleur. Lui demander de faire des efforts pour développer une bonne stratégie de coping, du self control, de la haute conscienciosité, alors qu’il n’a personne ni pour lui expliquer ou le soutenir dans cette démarche serait refuser de se mettre à sa place. À vrai dire, pour avoir connu des surjoueurs et sachant leur condition de vie, je me suis souvent dit qu’au final même s’ils ne faisaient que ça de leur vie, c’était déjà une réussite que d’être debout et faire des choses. Certes c’était une existence écartée, mais d’une façon relativement paisible contrairement à ceux, à mêmes conditions de vie que je voyais plonger dans la criminalité, la violence ou les drogues dures.
Tout comme les gens qui décident de boire pour oublier, quand bien même c’est une mauvaise stratégie de résolution de problèmes, ils ne se mettent pas à le faire parce qu’ils ont la bêtise de ne pas inventer d’autres stratégies ou d’autres usages. J’ai été frappée de remarquer récemment que presque toutes les séries et films étasuniens montrent toujours cette stratégie sans regard critique, présentée d’une façon qui pourrait apparaître comme « voici ce à quoi sert l’alcool », montrant le héros ou l’héroïne boire parce qu’il/elle a eu une journée difficile, se servant un verre ou plusieurs, voire invite ces collègues à boire tout en désespérant et rationalisant ensemble qu’ils en ont bien besoin ou qu’ils le méritent. Les éléments culturels nous ont appris cet usage malsain de la substance. Tout comme la culture peut glorifier une conduite malsaine au travail, addictive, en glorifiant les profils qui laissent tomber toutes les autres sphères de la vie. La question que je me pose, c’est qu’est-ce que nous dit la culture de l’usage des jeux et plus généralement des divertissements (dans lequel il est classé) ?
« Un divertissement est une activité qui permet aux êtres humains d’occuper leur temps libre en s’amusant et de se détourner ainsi de leurs préoccupations. Les divertissements forment l’essentiel de la famille plus large des loisirs » https://fr.wikipedia.org/wiki/Divertissement
« Le loisir est un moment dont on peut librement disposer par opposition au temps prescrit par une activité obligatoire voire rémunératrice, exercée à titre principal (emploi, activités domestiques, éducation des enfants…) et les contraintes qu’elle impose (temps de trajet aller et retour, temps de préparation et de rangement voire nettoyage…). Par extension, la notion de loisir s’étend à l’exercice d’une activité distrayante ou studieuse mais secondaire ou “passe-temps” durant lequel il est possible de l’exercer voire de s’y perfectionner, contraintes incluses (randonnée, jeu d’échec, peinture…). » https://fr.wikipedia.org/wiki/Loisir
Eh oui, notre culture nous dit littéralement qu’un divertissement est fait pour oublier et qu’il doit être totalement séparé de la vie, alors que c’est spécifiquement cet usage qui pourrait être à dérive. Je pourrais publier tout un dossier sur cette question, mais pour éviter de vous faire un roman, l’histoire de cette grande séparation des divertissements et du monde sérieux ou réel ne date pas d’hier et a une histoire philosophique et culturelle très ancienne, très ancrée en occident. Cette définition est littéralement la conception du philosophe Pascal mal comprise. Certes, Pascal réprouvait le fait de se divertir pour oublier, mais d’une part il pouvait entendre comme divertissement des domaines que nous n’avons pas l’habitude de mettre dans cette catégorie comme l’algèbre ou la guerre, et d’autre part, il accusait surtout le fait d’être inconscient d’utiliser ces domaines comme une diversion de ce qui compte5. À l’inverse il ne voyait rien de mal dans le fait qu’une personne utilise un loisir sciemment pour oublier ponctuellement un malheur dans sa vie, parce qu’elle le faisait en toute conscience.
Ceci étant dit, on peut avoir d’autres conceptions des règles du jeu du divertissement et beaucoup d’auteurs théorisent voire montre à quel point le jeu peut être connecté à quelque chose de sérieux, de spirituel, bref quelque chose qui ne fuit pas le réel mais au contraire qui vient comme condenser l’existence sous une forme différente pour mieux l’appréhender. Parfois, c’est au point qu’il est difficile de dire si ce que la personne fait tient du rituel ou du jeu, voire pourrait être simultanément les deux à la fois. En occident on a aussi séparé la question de l’art au jeu, alors qu’ailleurs cela peut être traditionnellement considéré comme le même genre activité6.
Alors on peut se demander : est-ce que le surjeu aurait quelque chose de culturel ? C’est ce que nous verrons la prochaine fois !
Note de bas de page
La bibliographie complète est présente ici : Bibliographie [AJV]
L’image d’entête provient de cette pub par David Lynch pour la playstation 2 :
1Li, S., Wu, Z., Zhang, Y., Xu, M., Wang, X., & Ma, X. (2023). Internet gaming disorder and aggression: A meta‑analysis of teenagers and young adults. Frontiers in Public Health, 11, 1111889. https://www.frontiersin.org/journals/public-health/articles/10.3389/fpubh.2023.1111889/full
2Cité dans Glued to game, la référence exacte est : Wan, C. S., & Chiou, W. B. (2006). Psychological motives and online games addiction: A test of flow theory and humanistic needs theory for Taiwanese adolescents. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16780399/
3Przybylski, A. K., & Weinstein, N. (2019). Investigating the motivational and psychosocial dynamics underlying dysregulated gaming: A self-determination theory perspective. https://selfdeterminationtheory.org/wp-content/uploads/2020/05/2019_PrzybylskiWeinstein_APS.pdf
4Je pense notamment à cette méta-analyse : Li, S., Wu, Z., Zhang, Y., Xu, M., Wang, X., & Ma, X. (2023). Internet gaming disorder and aggression: A meta‑analysis of teenagers and young adults. Frontiers in Public Health, 11, 1111889. https://www.frontiersin.org/journals/public-health/articles/10.3389/fpubh.2023.1111889/full
5Pascal, B. (s.d.). Divertissement 4. Pensées de Pascal. Consulté le 15 août 2025, sur https://www.penseesdepascal.fr/Divertissement/Divertissement4-moderne.php
6En Chine par exemple, comme on peut le voir dans l’ouvrage « Games & Play in Chinese & Sinophone Cultures » Li Guo, Douglas Eyman, and Hongmei Sun
L’article Jouer pour oublier ? [AJ3] est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 08.09.2025 à 10:35
Qu’est-ce qui pousse certains à ne faire que jouer aux jeux de leur vie ? [AJ2]
On va d’abord regarder les caractéristiques individuelles, interpersonnelles, sociales en lien avec la pratique excessive du jeu vidéo.
Cet article est la suite de :
Une méta-analyse de 2023 par Li, Wu, Zhang, Xu, Wang, & Ma1 incluant 37 042 sujets de divers continents (24 études en Chine, Corée du Sud, Singapour ; 13 études provenant d’Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Norvège, États-Unis et Australie) nous montre que les facteurs qui prédisent le plus le trouble du jeu sont, par ordre de puissance :
- Le temps de jeu. Le cœur de la notion de trouble d’usage étant le fait de trop jouer, c’est parfaitement logique de trouver ce facteur en premier. Autrement dit, on n’en apprend pas beaucoup avec ce seul facteur.
- La solitude. Cela peut être considéré comme le premier facteur lié au surjeu, le précédent n’était lié qu’à la définition du concept.


Par exemple, le Joueur du grenier explique très bien son expérience de surjeu, comment il était accro à l’aspect social du jeu à cause d’une certaine solitude (et comment il en est sorti grâce à des relations sociales extérieures) :
- Le trouble des médias sociaux, qui est caractérisé ici par le fait d’être très préoccupé par les médias sociaux, ressentir le besoin incontrôlable de s’y connecter/de l’utiliser et d’y consacrer beaucoup de temps et d’effort au point que ça affecte d’autres sphères de la vie.
- L’affiliation à des pairs déviants (c’est-à-dire ayant des comportements agressifs, de triche, d’abus de substance2).
- L’agressivité.
- L’anxiété.
- Les troubles d’attention/d’hyperactivité.
- La dépression.


9. La maltraitance par la famille (violence physique, émotionnelle et/ou sexuelle ; négligence).


10. La recherche de sensations (un trait de personnalité inclus dans la catégorie extraversion).


11. La vulnérabilité sociale, qui correspond à une fragilité matérielle et morale à laquelle est exposé un individu.
12. L’impulsivité.

Pour les personnes à bas score, il est plus facile de résister aux tentations, la frustration est mieux tolérée. » Plus d’informations ici :

Dans d’autres recherches on trouve aussi que les traits de narcissisme3 peuvent être connectés à un trouble du jeu :
Dans une étude de Kim, et al., 2008 en Corée du Sud sur 1471 joueurs en ligne (82 % de l’échantillon était masculin) sur divers jeux (WOW, Lineage II, Mabinogi ou autre) l’addiction au jeu est corrélée au trait d’agression et aux traits narcissiques, par contre le self-control est décorrélé de l’addiction.
Une faible intelligence émotionnelle chez les très jeunes serait aussi prédictive d’un jeu problématique (Parker et al., 2008), dans une étude sur 458 personnes au Canada. Dans ce même esprit, une étude de Grüsser, et al., 2005 sur 323 enfants de 11 à 14 ans en Autriche, a repéré 30 enfants qui remplissaient les critères du DSM (qu’on a vu précédemment). Ceux-ci communiquaient et partageaient moins leurs sentiments, ils utilisaient les jeux/l’ordinateur quand ça allait mal pour réguler leurs sentiments, réduire leur stress, et supprimer les émotions. Or cette stratégie de tenter de supprimer ces émotions n’est clairement pas la plus optimale pour aller mieux.


À l’inverse, des stratégies de régulation émotionnelle plus profitables4 pour la personne et son environnement social seraient par exemple :
– d’identifier et comprendre l’émotion et l’information précieuse qu’elle contient sur notre rapport à la situation, nos attentes, nos croyances, nos valeurs, nos visions du monde.
– d’explorer suffisamment l’émotion et tous ces déterminants internes et externes. Cela va nous donner des pistes pour régler un problème et surtout décider de l’orientation de notre vie : sans accès à l’émotion, on ne peut pas décider, savoir ce dont on a vraiment besoin, ce qui convient le mieux à notre existence en société.
– de partager émotionnellement avec l’autre. Non seulement une autre perspective peut nous donner des informations, des idées, de nouvelles façons de voir un problème, mais aussi de fournir une aide directe (la personne peut faire quelque chose pour régler le problème), ou encore renforcer les liens. Par exemple :

– d’identifier et comprendre l’émotion de l’autre. Cela n’est possible que si on comprend bien ses propres émotions, honnêtement. Ceci étant dit, ce n’est pas un jeu de devinettes, on peut directement demander à la personne quels sont ses ressentis et ses affects au sujet d’une situation ou d’un évènement.

À noter que supprimer l’émotion n’est pas la seule stratégie problématique. L’extérioriser, c’est-à-dire s’énerver sur un inconnu pour se défouler d’une frustration par exemple, n’est pas une stratégie efficace à long terme. Car le problème provoquant la frustration est maintenu tel quel, et des personnes sont injustement victimes de cette extériorisation, et l’agresseur est perçu comme indigne de confiance à cause de son impulsivité ou ses comportements injustifiés.
En 2009, King & Delfabbro5 ont étudié 399 personnes en Australie et leurs motivations à jouer, tout d’abord celles autonomes et déterminées par un lien personnel à un aspect du jeu :
Motivation intrinsèque au savoir : jouer pour la poursuite des connaissances sur le jeu, y compris l’apprentissage, l’exploration et la compréhension de tous les éléments du jeu.
Motivation intrinsèque à l’accomplissement : jouer répond au besoin interne de terminer le jeu ou de surmonter ses défis, ainsi que d’améliorer ses compétences dans le jeu.
Motivation intrinsèque à l’expérience de stimulation : Jouer aux jeux-vidéo pour le plaisir et l’excitation associée à l’activité.
Ils ont aussi étudié des motivations moins autonomes et davantage liées à quelque chose d’extérieur à la personne. Ces motivations sont connues pour être liées à des besoins frustrés et des exigences extérieures à la personne, ainsi que d’être de moins bonne qualité :
Motivation extrinsèque identifiée : Jouer pour obtenir une valeur personnelle telle que la reconnaissance sociale.
Motivation extrinsèque introjectée : Jouer à des jeux-vidéo pour se libérer de la tension ou de la culpabilité. Paradoxalement, il se peut que ces sentiments négatifs soient provoqués par le temps excessif passé à jouer aux jeux-vidéo.
Motivation extrinsèque externe : Jouer pour les récompenses, les objets ou réalisations dans le jeu-vidéo.
Amotivation : Jouer à des jeux-vidéo pour soulager le sentiment d’ennui, mais sans but, de manière apathique, mentalement désengagé et sans sens.
Celles qui sont les plus prédictives d’un usage problématique du jeu se sont avérées être liées à la motivation intrinsèque à la stimulation, la motivation extrinsèque à la régulation identifiée et l’amotivation.

Selon les chercheurs, il y aurait progressivement une transformation de motivations au départ relativement « saines », comme les motivations intrinsèques au jeu, puis le temps excessif passé en jeu en fait adopter d’autres qui s’avèrent plus problématiques, plus liées à la question des addictions. Ce changement suppose lui aussi de mauvaises stratégies psychologiques d’utilisation du jeu, comme l’utiliser pour oublier voire supprimer leurs sentiments négatifs, ce qui trouve encore écho avec les études précédentes. C’est pourquoi on a le résultat étonnant de surjoueurs qui peuvent jouer même si ça les ennuie, qu’ils sont désengagés et qui n’y trouvent plus de sens (=l’amotivation) ou façon Elon Musk qui cherche un résultat instrumental aux jeux, à savoir la reconnaissance sociale (motivation extrinsèque identifiée).
À l’inverse, les facteurs qui protègent d’un trouble du jeu, seraient selon la revue et la méta-analyse de Zhuang, X. (2023)6 :
- Le self-control.
- Le trait de personnalité « conscienciosité ».


3. La relation avec les pairs.
4. Le trait de personnalité « agréabilité ».

Les scores moyens peuvent être parfois dans le profil haut et montrer des caractéristiques de sensibilité, d’altruisme tout comme être bas selon les situations.
Les individus qui ont un score bas sont perçus comme désagréables, cherchant le conflit. Ils pensent d’abord à leur intérêt, sont égocentriques, ne montrent pas d’empathie pour les autres qui sont vus avec méfiance. Un score bas en agréabilité, associé également à d’autres traits, peut être lié au narcissisme, au profil antisocial, voire paranoïaque. Plus d’informations ici :

5. L’estime de soi.
- L’engagement scolaire (cela correspond aux relations positives et soutenantes reçues de la part des enseignants, des camarades et de l’environnement scolaire).
- Les besoins d’autonomie comblés.

8. Les relations parent-enfants.
9. Les besoins de proximité sociale comblés.

- Une bonne moyenne scolaire (GPA grade point average).
- Le soutien social.
- La supervision parentale.
Autrement dit, quand ça va bien IRL, que les relations sont bonnes et les besoins fondamentaux comblés, les caractéristiques liées à une bonne autogestion de ses activités (ce qu’on voit à travers le self control, la conscienciosité) sont facilités.
En bref, chez les personnes à trouble du jeu, les mondes non-virtuels et ce qu’il pourrait apporter de bénéfique sont cassés. Il y a des problèmes interpersonnels qui font que les relations sont absentes (on se rappelle que la solitude était le facteur le plus important dans le surjeu) ou problématiques, que ce soit à l’école ou dans la famille, et des problèmes de conditions de vie. La personne étant seule ou très mal entourée, elle va chercher dans les jeux en ligne une meilleure compagnie et le jeu devient la seule sphère de sociabilité. Mais comparé aux mondes non virtuels, cela peut être une sphère relativement réduite en possibilité, donc cela peut être un espace où il n’est pas possible de réfléchir et construire des stratégies qui permettent de résoudre des problèmes se posant IRL. Comme on le voyait dans l’extrait du JDG et qui se retrouve aussi dans les entretiens avec des surjoueurs, comme la communauté en ligne devient le seul lieu de sociabilisation, il est très difficile de mettre un stop au jeu, même si on le veut, parce que ça serait faire une croix sur cette sociabilisation.
Dans les facteurs participants à surjouer, même tout ce qui semble très individuel, comme le problème d’utiliser le jeu pour oublier, a une part sociale : pourquoi ces enfants ne pouvaient pas exprimer leurs sentiments ? Pourquoi personne ne leur avait appris à gérer leurs émotions ? ou pourquoi évitaient-ils d’exprimer leurs émotions ? Est-ce qu’il était dangereux pour eux de dire leurs émotions ? Le narcissisme n’arrive pas « par nature », pas plus que l’agressivité : c’est une réponse parfois à des traumatismes, parfois à des apprentissages sociaux, des contextes particuliers qui l’ont transmis ou se sont configurés d’une façon qui amènent les individus à devenir ainsi, parce que c’est une façon de gérer une existence socialement compliquée.

C’est d’autant plus net lorsqu’on regarde les facteurs qui protègent du surjeu et qui sont pour grand nombre d’entre eux liés à de bonnes relations sociales, du soutien, des besoins comblés. Ce qui pourrait être qualifié comme des qualités personnelles (self-control, traits de personnalité, estime de soi) sont connues pour être en fait liées à de bonnes conditions ayant permis de les faire émerger, comme un soutien familial, scolaire, des opportunités d’apprentissage adaptées, etc. Des recherches récentes sur la personnalité7 montrent que les personnes changent l’expression de leur personnalité selon ce que la situation demande afin d’atteindre divers buts, et ils peuvent aussi interpréter les demandes de la situation différemment selon leur moyenne de personnalité. Donc si une personne est en anxiété par exemple, il y a à se poser la question de pourquoi c’est une stratégie qu’elle répète pour faire face à ces situations : il y a utilité, des effets, qui sont entretenus par l’environnement social. Peut-être que l’environnement social sort de son indifférence et offre de la proximité sociale uniquement si elle exprime de l’anxiété, peut-être qu’il valorise le fait d’exprimer de l’anxiété ou que la personne a appris que c’était le « bon » état à avoir, peut-être que l’environnement social a décrédibilisé un état inverse d’espoir qui est de réfléchir aux possibilités positives, peut-être qu’il humilie moins la personne si elle est dans le mal-être, peut-être qu’un environnement social est menaçant de façon imprédictible, illogique, ce qui fait que la personne s’est habituée à calculer tous les problèmes possibles pour éviter ses courroux et les traumas, etc.
La suite : Jouer pour oublier ? [AJ3]
Note de bas de page
La bibliographie complète est présente ici : Bibliographie [AJV]
L’image d’entête est un mix de celle ci : Je viens d’atteindre 1000 jours de jeu sur le jeu principal ! : r/wow et celle là : World of Warcraft 20th Anniversary Official Art : r/wow
1Li, S., Wu, Z., Zhang, Y., Xu, M., Wang, X., & Ma, X. (2023). Internet gaming disorder and aggression: A meta‑analysis of teenagers and young adults. Frontiers in Public Health, 11, 1111889. https://www.frontiersin.org/journals/public-health/articles/10.3389/fpubh.2023.1111889/full
2Fergusson and Horwood, 1999, Fergusson et al., 2003, Keijsers et al., 2012
3Mesuré ici par la « narcissistic personality disorder scale »
4Qui peuvent d’ailleurs entrer dans ce qui est nommé « intelligence émotionnelle » ; la notion d’intelligence émotionnelle est parfois douteuse quand elle est présentée comme un autre QI, voire est essentialisée. Mais quand elle se réfère à des compétences socio-émotionnelles, ce n’est pas essentialisant, car cela renvoie toujours à quelque chose qui a pu être appris, et qui est extrêmement utile à l’individu et quant à sa capacité à se lier socialement et émotionnellement au monde. Ces compétences sont très bien expliquées ici « Les compétences émotionnelles » Moïra Mikolajczak, Jordi Quoidbach, Ilios Kotsou, Delphine Nelis
5 https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/4408044/jcr_2_2_-libre.pdf?1391742647=&response-content-disposition=inline%3B+filename%3DrEactiVity_to_VirtUal_rEality_immErsions.pdf&Expires=1711617868&Signature=JpSlsLH84xPFYmQEkvu6s10LK8BCrh7YFpPeW0BwGzL9eV0CRfhlHE8K42V3Fgj42h37iRvH9qoOkX6PjtvXGG-UrhfzXCO-Jopk80Ga5Vkb7NBhPDZ5MxuVZ2tQlnCkv~NsULxgjk37SCFHiV16fJCOGhN0M3auL4zCVv-y3XUjgp5lK6z69mw1BuzBvKMMezgIqUy-XufPsZyembcciMCHmA1oUU7ll2YmmYdTw1FTu2cLIdh0I1DfMJ97FGFV26NdVM~y0JJYFo2bJx7Gh4ScIU2US~NpKY8sjru1OMdBzrbt03tzbl92CPalZkt7NutkD82gBb~0M~jd0lLlQA__&Key-Pair-Id=APKAJLOHF5GGSLRBV4ZA#page=49
6 https://akjournals.com/view/journals/2006/12/2/article-p375.xml
7On en a parlé ici : https://www.hacking-social.com/2023/06/05/les-etats-de-personnalite-ou-lon-decouvre-quon-est-plus-different-de-nous-memes-que-des-autres/ ; là https://www.hacking-social.com/2023/06/12/%e2%99%a6pp11-le-pouvoir-des-situations-sur-la-personnalite/ et là ; https://www.hacking-social.com/2023/06/19/%e2%99%a6pp12-nos-buts-produisent-notre-personnalite/
les principales recherches évoquées sont : Fleeson W, Gallagher P. The implications of Big Five standing for the distribution of trait manifestation in behavior: fifteen experience-sampling studies and a meta-analysis. J Pers Soc Psychol. 2009 Dec;97(6):1097-114. doi: 10.1037/a0016786. PMID : 19968421 ; PMCID : PMC2791901. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2791901/?source=post_page ; Fleeson W, Jayawickreme E. Whole Trait Theory. J Res Pers. 2015 Jun 1;56:82-92. doi: 10.1016/j.jrp.2014.10.009. PMID: 26097268; PMCID: PMC4472377. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4472377/ ; Fleeson, Situation-Based Contingencies Underlying Trait-Content Manifestation in Behavior, 2007 https://ubc-emotionlab.ca/wp-content/uploads/2012/05/Fleeson-2007-Situation-Based-Contingencies.pdf ; Fleeson, W. (2001). Toward a structure- and process-integrated view of personality: Traits as density distributions of states. Journal of Personality and Social Psychology, 80(6), 1011–1027. https://doi.org/10.1037/0022-3514.80.6.1011 ; Jayawickreme, E., Zachry, C. E., & Fleeson, W. (2018). Whole Trait Theory: An integrative approach to examining personality structure and process. Personality and Individual Differences. doi:10.1016/j.paid.2018.06.045 ; Prentice M, Jayawickreme E, Fleeson W. (2018) Integrating whole trait theory and self-determination theory. J Pers. 2019 Feb;87(1):56-69. doi: 10.1111/jopy.12417. Epub 2018 Aug 14. PMID: 29999534.
L’article Qu’est-ce qui pousse certains à ne faire que jouer aux jeux de leur vie ? [AJ2] est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 01.09.2025 à 11:09
Comment ne plus être « accro » aux jeux-vidéo… [AJV1]
….et plutôt se relier à la vie avec eux ?
Après plus d’une dizaine d’années à exercer sur internet, je n’ai qu’une idée floue et confuse de ce qui vous fait cliquer sur un contenu et y rester. Par contre, si vous êtes arrivé via Google c’est parfois plus clair. Ainsi, si vous venez d’une requête qui ressemble au titre de cet article, peut-être que vous en avez marre de trop jouer, peut-être que ça empiète sur votre existence au point de vous faire honte ou de vous détester. Peut-être que c’est autrui que vous considérez jouer trop, au point que ça vous inquiète pour son avenir.
Si vous venez des réseaux sociaux, il est possible que ce titre ait fait l’office d’un appât à rage et que toutes dents dehors vous vous apprêtez à défoncer un énième contenu psychiatrisant le champ des jeux vidéo ou les écrans.
Peut-être qu’au contraire, vous trouverez que c’est une excellente idée que de s’attaquer à ces foutus jeux-vidéo qui volent nos forces et temps de cerveau disponible, nous aliènent ou nous écervèlent et qu’il est grand temps d’arrêter de nourrir cette industrie aliénatrice qui empêche de s’atteler à la révolution1 ou de gaspiller son temps alors qu’on pourrait se consacrer à s’élever dans la société plutôt que stagner dans une basse classe2. Peut-être que certains d’entre vous diraient que les jeux vidéo ne sont tolérables que s’ils préparent, entraînent en mode simulateur à la guerre civile, voire « raciale »3.
Bienvenue à tous ! Ici il ne va pas s’agir de juger ni le jeu vidéo, ni les joueurs, mais de comprendre ce que dit la recherche sur le « surjeu », ses découvertes sur pourquoi il est qualifié de « trouble », comment il pourrait advenir et disparaître. On verra comment il a pu être « traité », notamment avec l’étude d’un camp de traitement en Chine et la sagacité d’un chercheur qui s’est intéressé avec un magnifique respect à ces surjoueurs.
Tout au long du dossier, il y aura des surprises et on découvrira des éléments très politiques de toute part, des éléments complètement sociaux et culturels, et finalement très peu « psychiatrisants ». Quitte à faire un spoiler, certains surjoueurs sont très conscients de ce qui se passe avec leur comportement, voire savent pertinemment comment faire pour changer les mondes non virtuels qu’ils fuient, contrairement à l’image infériorisée que les sociétés reflètent d’eux. Comprenant progressivement ce que cache vraiment ce thème de « l’addiction » aux jeux, on va découvrir ce qui permet d’avoir un rapport aux jeux beaucoup plus heureux, serein voire même des usages qui servent littéralement la vie. D’où le sous-titre que j’ai ajouté « ….et plutôt se relier à la vie avec les jeux/divertissements ? ».
Franchement, pour tout avouer, je n’étais pas très motivée au départ d’explorer cette question de « l’addiction » aux jeux que j’avais associée à des paniques morales de personnes ne connaissant absolument pas l’expérience des jeux. Mon mode débunkage était pleinement activé, mais les angles des chercheurs ont été beaucoup plus renseignés et fins que les échos des médias classiques s’alarmant de trop de jeux, d’écran, de divertissement.
Publier ce sujet en 2025 peut également apparaître complètement à la ramasse au vu des actualités dramatiques d’un fascisme aux USA, d’un génocide commis actuellement par Israël, d’un réchauffement climatique inquiétant et tant d’autres catastrophes que j’oublie. Les craintes écologico-numériques sont également ailleurs, notamment avec le sujet de l’IA qui anime tout le monde, donc il est décalé que je m’accroche à ce thème des années 90. Ou pas. De toute manière, l’exploration du sujet m’a offert des outils très étonnants, alors pourquoi ne pas les partager ?
J’espère que vous serez aussi étonné que je l’aie été et que cela puisse vous être utile pour mieux comprendre votre relation aux jeux et divertissements en général, ou celle qu’entretiennent les autres aux jeux, et comment s’autodéterminer collectivement avec tout ça pour faire la paix avec nos écrans ; voire mieux, qu’ils nous servent à plus qu’on ne l’aurait imaginé pour des thèmes sérieusement existentiels.
Pour l’instant, je vous propose cette petite exploration, qui se transformera en hyperlien au fur et à mesure des publications :
- Jouer, une drogue, vraiment ? (qu’on va voir ici même)
- Qu’est-ce qui pousse certains à surjouer ?
- Jouer pour oublier ?
- Jouer en collectiviste ou en individualiste ?
- Un camp de traitement pour « l’addiction à Internet »
- Les darks patterns, une autre piste ?
- Donc… ce qui fait le rapport empuissantant aux jeux…
- Bibliographie
Jouer, une « drogue », vraiment ?
Dès qu’on commence à aimer quelque chose de façon obsessionnelle, à ne pas en décrocher, on a tendance à se dire « accro », « addict » et à le décrire comme une « drogue ».
Dans le langage psy et médical, on parle d’addictions liées à une « substance » et celle « sans substance » : par substances, on parle ici de drogues à effet psychoactif. Elles sont nommées ainsi parce qu’elles produisent chacune des phénomènes particuliers et puissants sur le cerveau, elles jouent avec sa chimie de sorte à désinhiber la personne, lui envoyer des hallucinations, la stimuler, la calmer. La personne consomme pour trouver ces effets très singuliers, qui sont, beaucoup plus intenses que le simple goût apprécié d’une grosse quantité de cheddar. Je ne sous-évalue pas le plaisir lié à ce fromage, mais le cheddar n’est pas psychoactif en principe et ne vous offrira pas une expérience inédite.
« Les substances psychoactives regroupent à la fois les drogues licites (tabac, alcool, opiacés, produits de substitution, médicaments psychotropes tels que hypnotiques, benzodiazépine, antidépresseurs,…) et non licites (cannabis, cocaïne, ecstasy, MDMA ou amphétamine,…). » https://www.has-sante.fr/jcms/p_3342082/fr/usage-des-substances-psychoactives-prevention-en-milieu-professionnel-note-de-cadrage
« Une drogue est un composé chimique, biochimique ou naturel, capable d’altérer une ou plusieurs activités neuronales et/ou de perturber les communications neuronales. La consommation de drogues par l’homme — afin de modifier ses fonctions physiologiques ou psychiques, ses réactions physiologiques et ses états de conscience — n’est pas récente. Certaines drogues peuvent engendrer une dépendance physique ou psychologique. L’usage de celles-ci peut avoir pour conséquences des perturbations physiques ou mentales. Pour désigner les substances ayant un effet sur le système nerveux, il est plus généralement question de psychotrope. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Drogue
Ainsi une substance psychoactive ou drogue n’entraîne pas forcément une dépendance physique ou psychologique, c’est par exemple le cas du pourtant très puissant LSD qui n’est pas addictif. Une substance psychoactive peut être légale comme illégale selon les pays et leurs époques et cette légalité peut changer. Par exemple, le LSD a été légal lorsqu’il a été découvert, les chercheurs se précipitant dessus y voyant une solution à quantités de troubles psycho, puis il a été rendu illégal, et depuis quelques années on redécouvre aujourd’hui des recherches à ce sujet parce qu’il pourrait faire un bon traitement à certaines doses, dans certaines conditions, pour certains troubles ou problèmes4.
L’effet de dépendance à des substances psychoactives, c’est lorsque la nature même de la substance et/ou sa façon de la consommer peut ne plus aboutir à l’effet recherché au bout d’un moment, car le corps s’y accoutume, puis il en vient à en avoir besoin (psychologiquement et/ou physiquement) pour simplement retrouver dans un état normal, et ce avec potentiellement des quantités qui augmentent de façon exponentielle. Au début, un expresso vous rendait tout fou et énergique, mais maintenant non seulement vous en avez besoin pour ne pas être complètement à la ramasse le matin, mais en plus il vous en faut 8 sur la journée, sans que ça vous surexcite.
Ainsi, il peut y avoir aussi une grande difficulté au sevrage, puisque le sevrage aura des effets physiologiques et psychologiques très difficiles, voire violents, donc décourageants. Par exemple, chez les grands alcooliques, arrêter brutalement l’alcool peut induire de forts délires dangereux, le delirium tremens, potentiellement mortel s’il n’est pas pris en charge.
Selon la substance, la personne peut vouloir vraiment arrêter, mais le sevrage est si insoutenable qu’elle la reprend pour arrêter de subir des symptômes très invalidants. Ainsi, dans ces addictions, la nature du produit est très importante à prendre en compte parce que le sevrage est totalement différent si on parle d’alcool, de café, d’antidépresseurs, de tabac ou d’héroïne, ce ne sont pas les mêmes pénibilités, risques, et donc les solutions sont différentes, y compris selon la hauteur de consommation de la personne, la singularité de la personne et le cadre dans lequel elle vit.
L’environnement social y compte énormément : si vos amis ne sociabilisent qu’à travers l’alcool, ne se voient que pour boire, qu’au boulot vous devez continuellement dîner avec des clients ou collègues qui vous incitent à boire, et que votre famille prend comme une offense le fait que vous refusiez de boire avec eux, la forte pression sociale qui se rajoute est un défi supplémentaire ajouté à la tâche de modération ou de résistance. En conséquence, se rajoute la peur d’être ostracisé, de perdre tout le monde, comme si la consommation était le passe-droit pour être ami avec ces personnes, les fréquenter. Peut-être que si on n’a connu que ça, on n’a pas appris à sociabiliser en étant sobre ou à relationner dans un milieu sobre. Tout ça rajoute de la difficulté au fait d’arrêter de boire. Il y a besoin d’un temps et de conditions suffisamment favorables pour supporter ou accompagner les symptômes : là aussi, les conditions que vit la personne dans sa société comptent.
L’addiction aux substances est donc fortement liée non seulement à la substance elle-même, mais aussi à notre rapport singulier et social à celle-ci : on peut se mettre à boire du café parce qu’on n’arrive pas à être aussi éveillé rapidement que les autres et donc y trouver une solution. Là où l’extraverti dès son réveil n’y verra pas d’intérêt puisqu’il est déjà en train de s’activer festivement dès 6 heures du matin.
Vous pourriez juste avoir attrapé cette habitude par conformisme et curiosité, à force de voir vos parents ou vos collègues de travail prendre une pause avec une tasse de café. La consommation de café a pu devenir une solution à une problématique carrément politique. Par exemple, si vous êtes dans un job pressant qui exige une vivacité dès 6 heures du matin et que vos boss vous hurlent dessus si vous n’agissez pas à 140 à l’heure parce qu’ils ont une politique capitaliste-autoritaire, le café va être saisi comme solution pour répondre à cette pression — et dans d’autres cas, ça pourrait être la cocaïne, qui est aussi psychostimulante, mais à une autre intensité. On pourrait aussi être né dans une culture qui a ritualisé la consommation de café dans un cadre spirituel uniquement5, cadre si rare que sa consommation n’entraînera pas de dépendance.
Vous pourriez avoir aussi goûté au café par curiosité puis d’emblée avoir eu une motivation intrinsèque au café, car vous aimiez son amertume et ses effets d’éveil, sans pour autant en avoir spécialement besoin ou que votre éveil caféiné soit exigé par la situation.
Or, le jeu-vidéo n’est pas une substance psychoactive.
Quand bien même il aurait des effets sur le cerveau, par exemple activer le circuit de réponse qui libère des neurotransmetteurs qui nous font du bien, c’est aussi le cas pour des centaines d’autres activités ou situations. Ainsi, ne vous faites pas avoir par les exagérations au sujet de la dopamine6 : ce n’est pas parce qu’une activité est liée à une libération de dopamine qu’elle est comparable à une drogue ou qu’on tomberait addict instantanément. Les neurotransmetteurs, tels que la dopamine, ont un rôle et des interactions très compliquées. En plus les individus peuvent avoir des particularités qui font que cette dynamique est très différente, pour des raisons de neuroatypie, de troubles, de génétique, voire d’âge. Le fait de simplifier l’analyse à « présence de dopamine = risque d’addiction ».

Parfois, les personnes manquent cruellement de plaisir et de joie en général, et si une activité en suscite, c’est plutôt une excellente chose qui appelle à s’en inspirer pour corriger nos environnements déprimants et désespérants qui tuent toute motivation à agir.


Ceci étant dit, oui il existe des addictions à des activités ou comportements qui ne sont pas des substances psychoactives. Le trouble du jeu d’argent est par exemple reconnu et renseigné depuis de longues années. Mais à l’heure où j’écris (en août 2025), il y a encore un fort débat sur l’existence ou non d’addiction aux jeux-vidéo, on parle plus volontiers de trouble du jeu-vidéo sur Internet ou d’usage pathologique du jeu-vidéo. Mais même ces appellations font débat, et certains articles scientifiques7 se demandent encore s’il y a réellement trouble ou seulement une panique morale.
Le trouble du jeu-vidéo a été néanmoins inclus dans la CIM (classification internationale des maladies, via l’ONU) et le DSM-5 (manuel de référence des troubles pour la psychiatrie), à cause de sa présence plus préoccupante en Asie, tout particulièrement en Chine et Corée du sud8.
La CIM caractérise ainsi le trouble du jeu vidéo :
« Le trouble du jeu vidéo est défini […] comme un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables.
Pour que ce trouble soit diagnostiqué en tant que tel, le comportement doit être d’une sévérité suffisante pour entraîner une altération non négligeable des activités personnelles, familiales, sociales, éducatives, professionnelles ou d’autres domaines importants du fonctionnement, et, en principe, se manifester clairement sur une période d’au moins 12 mois. » https://www.drogues.gouv.fr/loms-reconnait-officiellement-le-trouble-du-jeu-video-gaming-disorder
Le DSM 5 parle quant à lui d’« usage pathologique des jeux sur internet » et centre donc le problème sur les jeux en ligne :
« Utilisation persistante et répétée d’internet pour pratiquer des jeux, souvent avec d’autres joueurs, conduisant à une altération du fonctionnement ou une détresse cliniquement significatives. (…) N.B. : Ce trouble est distinct du jeu d’argent sur internet, qui fait partie du jeu d’argent pathologique. (…) L’utilisation d’internet pour des activités exigées par un emploi ou une profession n’est pas incluse ; le trouble n’inclut pas non plus les autres utilisations récréatives ou sociales d’internet. De même, les sites internet sexuels sont exclus ».
Dans le DSM, il est expliqué que ce n’est pas que les jeux hors ligne seraient sans dépendance, c’est juste qu’étant moins étudiés, ils ne peuvent pas l’affirmer.
Pour que cet usage pathologique soit reconnu selon le DSM, le psy doit voir chez la personne au moins 5 manifestations parmi ces propositions :
« 1. Préoccupation par les jeux sur internet (la personne se remémore des expériences de jeu passées ou elle prévoit de jouer ; les jeux sur internet deviennent l’activité dominante de la vie quotidienne).
2. Symptômes de sevrage quand l’accès aux jeux sur internet est supprimé (ces symptômes se caractérisent typiquement par de l’irritabilité, de l’anxiété ou de la tristesse, mais sans signe physique de sevrage pharmacologique).
3. Tolérance — besoin de consacrer des périodes de temps croissantes aux jeux sur internet.
4. Tentatives infructueuses de contrôler la participation aux jeux sur internet.
5. Perte d’intérêt pour les loisirs et divertissements antérieurs du fait, et à l’exception, des jeux sur internet.
6. La pratique excessive des jeux sur internet est poursuivie bien que la personne ait connaissance de ses problèmes psychosociaux.
7. Ment à sa famille, à ses thérapeutes ou à d’autres sur l’ampleur du jeu sur internet.
8. Joue sur internet pour échapper à ou pour soulager une humeur négative (p. ex. des sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété).
9. Met en danger ou perd une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d’étude ou de carrière à cause de la participation à des jeux sur internet.
N.B. : Seuls les jeux sur internet sans mise d’argent sont inclus dans ce trouble. »
Ce qu’il faut savoir avec ce genre de liste, c’est que le psychiatre ou le psychologue ne va pas se contenter de compter le nombre de critères retenus pour statuer que c’est ce problème et pas un autre. En écoutant le patient, il va aussi faire attention au temps de jeu et ses conséquences psychosociales : Le DSM-5 précise que l’usage pathologique implique typiquement 8 à 10 heures de jeux par jour et au moins 30 h par semaine, et que les obligations habituelles comme l’école, le travail, la famille sont négligées. Dans certaines études de cas, les personnes à usage problématique du jeu peuvent faire jusqu’à plus de 16 heures de jeu par jour.

Autrement dit, une personne pourrait remplir plus de 5 critères pour Candy Crush, par exemple en y pensant beaucoup, étant irritée si elle ne peut pas y jouer, mentant à sa famille sur le fait qu’elle y joue, croyant qu’elle a un problème de jeu, et continuer quand même, même si ça entache ses relations. Mais si sa pratique n’était qu’une demi-heure dans la journée, que c’est parce que sa famille est hautement anti-jeu-vidéo que les relations sociales sont devenues mauvaises et qu’elle en vient ainsi à leur mentir, qu’en plus elle-même culpabilise en retour parce qu’elle a intégré un discours dogmatique anti-jeu, on n’aura pas un diagnostic de trouble du jeu. L’explication de cette pratique de jeu se trouvera peut-être dans l’expression d’un besoin irrépressible d’autonomie vis-à-vis de cette famille très contrôlante que cette personne a besoin de fuir. Peut-être que cette personne sent dans ce loisir singulier une façon d’être soi-même et plutôt que la pâle copie de proches, ce qui la pousse à jouer pour se sauver du contrôle autoritaire, même si une part d’elle-même n’a pas rejeté comme mauvais le contrôle autoritaire qu’elle applique ensuite sur elle en se culpabilisant, en se faisant honte, en croyant qu’elle a un trouble avec le jeu alors que son lien au jeu exprime une voie qui tente de la sauver du contrôle autoritaire.
Le bon psy verra au contraire qu’elle est victime de la dureté de son entourage et des normes injustifiées qu’on lui impose, que son temps de jeu est tout à fait raisonnable. Il pourra voir que le problème est davantage dans la panique morale des modèles contrôlants qu’elle-même a internalisée, au point de gâcher son temps de jeu raisonnable et d’être coincée dans deux mentalités qui se contredisent entre elles, l’une cherchant un divertissement souhaitable et l’autre attaquant cette recherche comme mauvaise.
Quand bien même on a ramené le DSM ici, il ne s’agit donc pas là de psychiatriser toute pratique du jeu, mais de voir quand celle-ci peut devenir problématique et être le symptôme d’un autre mal être plus complexe. Plus de 8 h de jeu par jour, hors pratique professionnelle, ça empêche de vivre quoique ce soit d’autres que le jeu. Et contrairement au travail qui est forcé d’être pratiqué à ces taux horaires, lui-même également affectant parfois aussi négativement les autres sphères importantes de la vie, il n’y a pas avec le jeu, d’obligation à jouer sous peine d’être viré. Jouer 8 heures par jour ne survient pas à ses besoins comme payer le loyer ou remplir le frigo. Donc pourquoi s’accrocher au jeu au point de tout laisser tomber, y compris des activités essentielles à la survie et au bien-être ?
La suite : Qu’est-ce qui pousse certains à ne faire que jouer aux jeux de leur vie ? [AJ2]
Note de bas de page
La bibliographie complète est présente ici :
L’image d’entête est issue de : How this Chinese « Quit Internet Addiction Center » abuse teenagers ) ( ! attention images violentes de vrais électrochocs dans un camp de traitement)
1 Vous aurez reconnu des critiques du jeu et du divertissement en général qu’on trouve chez une certaine gauche (par exemple dans le livre « divertir pour dominer »). À l’inverse, d’autres courants de gauche plus libertaires ont un discours différemment sur le fait de jouer, je pense aux situationnistes et plus récemment l’ouvrage Hyperjeu. L’éthique des hackers a tendance aussi à mettre la question ludique comme une bonne chose à injecter dans la désobéissance et la rébellion.
2 Et là c’est une critique du jeu-vidéo que l’on retrouve dans une droite bourgeoise estimant que le loisir doit servir l’élévation dans la société et ne surtout pas s’atteler à des divertissements populaires qui sont estimés creux ou ne permettant pas de remporter les faveurs de la haute société. On trouve cela dans les écrits d’Olivier Babeau par exemple.
3On retrouve cette critique dans une extrême droite suprémaciste, voire s’assumant parfois comme néonazie. Le forum stormfront par exemple contient parfois des discours anti jeu-vidéo parce qu’il faut se consacrer à sa « race » IRL prioritairement, dans l’augmentation de la domination ou dans la défense. Mais ils ne sont pas tous d’accord à ce sujet, certains utilisent les jeux pour assouvir leurs fantasmes suprémacistes ou corriger les jeux pour supprimer toute diversité, augmenter la capacité à massacrer des innocents ou autre. Le game design néonazi existe, mais même leur public néonazi semble se plaindre de la qualité médiocre des jeux ou de leur pauvreté, puisque le gameplay se réduit à massacrer des exogroupes sans autre possibilité.
4L’histoire du LSD est racontée dans « LSD mon enfant terrible » d’Hofmann ; pour les recherches récentes, on a ici par exemple quelques études qui s’interrogent sur le changement d’attitudes politiques ou de traits de personnalité (liés eux aussi à la question de choix politique) suite à l’usage de substances psychédéliques : https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2021.733185/full?mibextid=Zxz2cZ , MacLean, K.A. ∙ Johnson, M.W. ∙ Griffiths, R.R. Mystical experiences occasioned by the hallucinogen psilocybin lead to increases in the personality domain of openness ;Lebedev, A.V. ∙ Kaelen, M. ∙ Lövdén, M. … LSD-induced entropic brain activity predicts subsequent personality change Hum Brain Mapp. 2016; Nour, M.M. ∙ Evans, L. ∙ Carhart-Harris, R.L. Psychedelics, personality and political perspectives ; Schmid, Y. ∙ Liechti, M.E. Long-lasting subjective effects of LSD in normal subjects. 2018; Erritzoe, D. ∙ Roseman, L. ∙ Nour, M.M. … Effects of psilocybin therapy on personality structure ; Erritzoe, D. ∙ Smith, J. ∙ Fisher, P.M. … Recreational use of psychedelics is associated with elevated personality trait openness: Exploration of associations with brain serotonin markers ; Lyons, T. ∙ Carhart-Harris, R.L. Increased nature relatedness and decreased authoritarian political views after psilocybin for treatment-resistant depression
5C’est juste un exemple imaginé, sachant que diverses cultures peuvent utiliser diverses drogues dans des cadres uniquement rituel ; par exemples les natifs d’amérique utilisait le tabac pour un usage médical et spirituel https://fr.wikipedia.org/wiki/Tabac_autochtone_en_Am%C3%A9rique
6La dopamine est un neurotransmetteur résumé souvent à une fonction de plaisir (or il ne fait pas que ça) et les réseaux sociaux se sont focalisés dessus à l’excès comme le montre très bien cette vidéo : https://youtu.be/jfU2KunUUUc?si=ThuOun-4pGkMvqsL
7 https://ajp.psychiatryonline.org/doi/pdf/10.1176/appi.ajp.2016.16121341
8La prévalence du trouble en Asie, pour les adolescents de 15 à 19 ans serait de 8,4 % chez les garçons et 4,5 % pour les filles. (Fu et al. 2010)
L’article Comment ne plus être « accro » aux jeux-vidéo… [AJV1] est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 01.09.2025 à 11:08
Ceci est la bibliographie du dossier « Comment ne plus être accro aux jeux vidéo… et plutôt se relier à la vie avec eux ? », il est disponible ici (les titres se transformeront en hyperlien au fur et à mesure de la publication) :
- Jouer, une drogue, vraiment ?
- Qu’est-ce qui pousse certains à surjouer ?
- Jouer pour oublier ?
- Jouer en collectiviste ou en individualiste ?
- Un camp de traitement pour « l’addiction à Internet »
- Les darks patterns, une autre piste ? ; Donc… ce qui fait le rapport empuissantant aux jeux…
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Publié le 10.06.2025 à 16:08
🎥Hacking social au vortex (arte)
Où étions-nous passés ces derniers mois ? Eh bien nous étions notamment à la préparation de la nouvelle saison du Vortex pour Arte. On vous explique tout cela, ainsi que le futur proche, dans cette vidéo (avec quelques incrustations vers la fin).
Le trailer de la saison du vortex :
[Update] Le premier épisode « je ne suis pas raciste MAIS » est maintenant disponible :
Sur youtube :
Ou sur Arte TV :
https://www.arte.tv/fr/videos/121342-001-A/le-vortex
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Publié le 26.05.2025 à 10:58
[Σ0-3]Ne plus voir la vie comme un jeu uniquement nul ?
N’hésitez pas à consulter les articles précédents avant de commencer celui ci, car cela risque d’être incompréhensible sinon :
On a vu au cours de notre exploration, qu’un jeu non nul, qu’on pourrait appeler « gagnant gagnant » (les personnes gagnent ensemble), ou coopératif, avait beaucoup plus de conséquences positives tant personnellement que collectivement : les personnes dans le jeu non nul avaient plus d’affects positifs et de satisfaction de la vie, des relations satisfaisantes, un comportement prosocial, une confiance interpersonnelle, une confiance dans les institutions sociales, moins de comportement de sapage social (par exemple, diffuser des rumeurs sur les collègues ou retarder intentionnellement le travail pour ralentir les collègues). Politiquement, elles faisaient preuve de plus de soutien à l’immigration, plus de soutien à l’égalité des genres, plus de soutien à l’égalité ethnique, plus de soutien aux droits LGBTQIA+, plus de libertés civiles, plus d’engagements envers la démocratie, leur soutien était accru à l’accueil des réfugiés et à la résolution des conflits.
Si l’on devait résumer, les croyants à somme nulle sont envahis par des idées de menace et d’esprit de « guerre » contre eux et/ou leur groupe, alors que les autres souhaitent et visent une paix collective tous ensemble.
En renversant ces découvertes, ce qui pourrait éviter de déclencher la croyance en la somme nulle serait une agréabilité haute, un SDO bas, une triade noire basse ou absente, une recherche de compréhension des phénomènes sociaux qui prend son temps et évalue tous les facteurs, une empathie cognitive en se mettant à la place des différents acteurs d’une situation qu’on essaye de comprendre, se sentir en sécurité et en confiance avec les gens, se concentrer sur les possibilités qu’on a et non ce qu’on craint de perdre.
Vivre dans une situation non menaçante, sans pénurie et inquiétude, dans un pays avec un fort PIB, une croissance, avec une variété de partis politiques, des dirigeants prenant leur responsabilité et une situation sans enjeux inquiétants, faciliterait le jeu coopératif.
Ceci étant dit, cette croyance en un jeu coopératif, bien que des conséquences positives ait pu être souligné par la recherche, peut être considérée comme naïve, stupide. Toutes les études ou chiffres qu’on pourrait apporter à son crédit peuvent n’avoir aucun effet, notamment avec l’argument que la vie est objectivement un jeu à somme nulle.
« Mais on vit des vrais jeux à somme nulle, refuser de voir leurs règles c’est être naïf, risquer de se faire avoir/perdre »
Et au risque de vous surprendre, je ne vais pas vous contredire : oui, il y a quantité de situations, de moments, de contextes, dans quantité d’environnements sociaux variés où les règles du jeu sont à somme nulle. Certains en tirent une fierté et une aura de pouvoir dont ils rayonnent, puis s’enragent quand un adversaire prend le lead, puis retrouvent leur shoot de fierté dominatrice lorsqu’ils l’ont abattu, ainsi de suite jusqu’au prochain adversaire. J’ai connu des joueurs et joueuses à somme nulle qui étaient comme addict à ce jeu, et comme n’importe quel accro, ils faisaient en sorte que les environnements sociaux tombent dans la même addiction, en imposant le jeu par tous les moyens possibles qu’ils avaient. Alors, qu’on soit le genre de joueur qui kiffe ce genre de jeu ou le rejette pour en préférer d’autres, on a tous été obligés à un moment donné d’y jouer, d’adopter ce logiciel pour au moins éviter de souffrir, pour éviter de perdre le peu qu’on a, pour survivre, pour ne pas être rejeté.
Mais est-ce que pour autant la vie devrait se réduire à ce jeu ? Est-ce que c’est vraiment ce qu’on souhaite au fond de nous, annuler toute possibilité de sincère amitié mutuelle à autrui ? Est-ce qu’on veut vraiment empêcher toute relation où la joie d’autrui est aussi la nôtre et se démultiplie ? Est-ce que vraiment on veut se passer d’un plaisir collectivement célébré, ce qui en démultiplie les satisfactions ? Est-ce qu’on veut se passer du soutien dans les pires conditions et ne plus pouvoir en tirer un sentiment d’appartenance à l’humanité qui préserve un peu de dignité ? Est-ce que c’est vraiment enviable d’abandonner tout espoir de s’assembler pour créer, changer les choses avec une puissance démultipliée parce qu’on se sent en sécurité même face aux plus grands défis ? Faut-il annuler cela sous prétexte qu’on est forcé au jeu nul parfois ? Faut-il renoncer à notre nature d’animal social parce que certains ont perdu ou supprimé toute leur capacité empathique sous des influences morbides ?
Je ne vais pas argumenter sur la réalité du jeu à somme nulle dans certaines circonstances, qu’on le considère généralisé ou spécifique, parce qu’il me semble que l’enjeu qui nous concerne tous est plutôt les jeux qui nous seraient plus collectivement profitables de vivre. Ainsi, qu’on affronte une situation qui serait factuellement à somme nulle (par exemple être une cible dans une guerre) ou reposant sur des sentiments de menace (par exemple croire qu’on est au bord de la guerre civile alors qu’on n’a aucun fait démontrant qu’on est ciblé), l’enjeu est, il me semble, de vraiment être au clair sur ce qu’on veut. Et je pense qu’on peut tous être d’accord sur l’importance de se sentir en sécurité, sans être à la merci de menaces qui nous font peur ou nous mettent sur le qui-vive constamment, ou génère des peurs de perdre tout ce qu’on a acquis.
Or, c’est ce à quoi participe la croyance en la somme nulle.
Elle nous fait croire que lorsque « l’adversaire » aurait moins que nous, que ce soit en droit, en ressources, en statut, en likes et en vues, c’est qu’on aurait « gagné », donc qu’on serait davantage en sécurité, mieux dans la vie : c’est faux. L’affect positif que l’on a de l’échec d’un « ennemi » n’est qu’un shoot transitoire qui ne créé rien, ni sécurité, ni aucune relation sociale durable participant à ce sentiment de sécurité.
Qu’un « adversaire » ait plus en droits, en ressources, en statut, en likes et en vues ne va pas nous faire sentir plus en sécurité. Il ne s’agit pas de nier les injustices et les inégalités qui sont évidemment pesantes car nous avons besoin de ressources et de droits pour pouvoir vivre dignement. Mais ce n’est pas en retirant des droits et des ressources vitales à un pseudo « ennemi » que cela va régler l’injustice et l’inégalité, parce qu’on se contenterait de déplacerait l’injustice sur d’autres individus ou groupe. La structure stressante perdure, et rien ne nous garantit qu’elle switche ensuite encore sur notre groupe, ce qui maintient ce stress et ses peurs dont on croyait s’être débarrassé en gagnant sur un adversaire. Le vrai problème causant les injustices est dans les règles des structures injustes, et les suivre en étant tout aussi injuste, pour « gagner », ne va faire que renforcer l’idée qu’on est incapable d’en jouer ou d’en créer d’autre, ce qui valide ce jeu comme ayant de bonnes règles.
Les vrais enjeux ne vont donc pas être d’évaluer la situation comme à somme nulle ou non nulle, pour savoir quel jeu serait le « meilleur », le plus adapté, mais de viser un sentiment de sécurité pérenne, voire de courage, à travers nos jeux (structures sociales) et notre gameplay créateur de nouvelles règles. Et spoiler, cette sécurité pérenne ne s’obtient qu’en ayant pu au moins un jour mesurer la valeur de ce qu’est le vécu d’un jeu à somme NON nulle, concrètement, dans les faits.
Le jeu coopératif… même en temps de guerre.
Ce qui nous donne un sentiment de sécurité et de courage serait donc d’avoir des liens profonds, des relations signifiantes avec les autres, au moins une fois dans sa vie, d’avoir pu accéder à un gameplay concrètement à somme NON nulle. Parce qu’alors, on saurait jouer avec nos concitoyens même dans les contextes les plus confus ou difficiles, on pourrait importer ce gameplay qui crée, renforce, donne de la signification aux relations, dont il résulte de bons résultats pour tous, ce qui démultiplie les bonheurs. On pourrait perdre toute sécurité ou moyens objectifs, on saurait quand même se lier même dans les pires conditions. Ce constat n’est pas de moi, mais des Oliners via leur étude sur les sauveteurs résistants durant la Seconde Guerre mondiale, et dont on avait déjà parlé ici : https://www.hacking-social.com/2019/03/25/pa1-la-personnalite-altruiste/

Leur cas est très intéressant pour notre sujet car ces sauveteurs étaient objectivement plongés dans un contexte général de jeu à somme nulle (l’Occupation, la guerre), où ils auraient pu avoir une position moins dangereuse en évitant de se préoccuper des cibles ou de la souffrance des autres (car ils n’étaient pas eux-mêmes les cibles directes). Or eux, ils sont entrés dans ce jeu nul pour l’annuler de l’intérieur, soit en résistant, soit avec leur jeu coopératif notamment en sauvant des cibles du massacre par tous les moyens : faux papiers, aide à sortir des camps et du pays, hébergement caché, etc. Et ce que les chercheurs ont découvert, c’est qu’ils ont pu avoir la force de le faire, non pas en raison de moyens supérieurs à disposition (certains étaient même très pauvres) ou de statuts/conditions leur donnant plus de pouvoir (par contre ils ont pu feinter le fait d’avoir du pouvoir, par exemple se faire passer pour diplomate comme Giorgio Perscala), mais parce qu’ils avaient été liés à au moins une personne dans leur vie qui leur a transmis un vrai jeu à somme non nulle, factuellement prosocial, et qu’ils ont rejoué même si les conditions étaient mille fois pires. Tous les témoignages de résistants sauveteurs rapportent la rencontre d’une personne qui leur a montré un altruisme véritable dont ils ont pu voir les effets concrets, que ce soit un proche voire même un inconnu avec qui ils se sont liés par hasard. On voit cela même dans les témoignages de sauveteurs résistants qu’on trouve ailleurs. Par exemple Trocmé, ayant participé avec tout son village au sauvetage de milliers de personnes durant la Seconde Guerre, est d’abord dans une croyance à somme nulle, qu’on perçoit encore dans ses propos au début de sa rencontre avec un soldat allemand, à ses 15 ans, et qui le fera changer en lui montrant qu’on peut « jouer » à des jeux différents :

‘— « Bist du hungrig ? » (« As-tu faim ? »), me demanda-t-il, et il me tendit gauchement un quart de boule de pain noir, de ce fameux Kommisbrot, marqué d’un K, ce qui signifiait Kartoffel-brot (pain de pommes de terre), et que nous appelions railleusement le pain KK, caca, quoi.
— « Non », lui répondis-je en allemand. « Je n’ai pas faim, mais même si j’avais faim je ne prendrais pas votre pain parce que vous êtes un ennemi. »
— « Nein, nein, dit-il, Ich bin nicht dein Feind » (« Non, non, je ne suis pas ton ennemi. »)
— « Si, rétorquai-je, vous êtes mon ennemi. Vous portez cet uniforme, et demain vous tuerez peut-être mon frère, qui est en train de se battre contre vous, pour essayer de nous débarrasser de votre présence. Pourquoi êtes-vous venus chez nous, apporter la guerre et la souffrance, et le malheur ? »
— « Je ne suis pas ce que tu crois, répondit-il. Je suis chrétien. Est-ce que tu crois en Dieu ? »
Ma figure s’éclaira. Ce langage-là, qui remplissait toute ma vie, je le comprenais.
— « Nous avons trouvé le Christ à Breslau, continua-t-il, et nous lui avons donné notre vie. »
Là-dessus, il me raconta, avec détails, qu’il appartenait à une secte dont j’ai oublié le nom.
— « Les hommes ne peuvent rien contre ceux qui ont mis toute leur confiance en Dieu », dit-il. « Un jour, un homme qui haïssait notre assemblée. Son pistolet s’enraya, et nous y vîmes tous un signe du ciel. Je ne tuerai pas ton frère, continua-t-il, je ne tuerai aucun Français. Dieu nous a révélé qu’un chrétien ne doit pas tuer, jamais. Nous ne portons jamais d’arme ! »
— « Mais comment fais-tu, lui demandai-je, puisque tu es soldat ? »
— « Eh bien, j’ai expliqué mon affaire au capitaine, et il m’a permis d’aller sans armes. Ordinairement, les télégraphistes comme moi ont un pistolet, ou un poignard. Je n’ai rien. Je suis souvent en danger, entre les lignes, je chante un cantique et je prie Dieu. S’il a décidé de me garder en vie, il le fera. Sinon… »
J’étais très impressionné. La sincérité de cet homme était évidente. Pour la première fois je me trouvai en face de ce que l’on nomma plus tard un objecteur de conscience. Si ç’avait été un Français, j’aurais pu m’indigner : comment ! tu refuses de défendre ta patrie envahie et piétinée ; mais j’avais à faire à un Allemand, à un homme qui refusait de prendre part à une sale besogne. Son courage et sa foi étaient évidents. . Sans hésitation, je lui donnai ma confiance. J’avais rencontré un vrai chrétien, un chrétien tel qu’ils devraient tous être, tel que Dieu, à l’Union, nous avait révélé que nous devions être.
Mon amitié avec Kindler (c’était le nom de ce brave garçon) m’apporta enfin la solution aux contradictions dont les grandes personnes m’avaient donné l’exemple, et dont mon âme avait été empoisonnée. D’un seul coup, mon nationalisme, mon militarisme s’écroulèrent. Je vis la guerre telle qu’elle était : une épouvantable chasse où tous les belligérants, criminels et victimes, tour à tour de rôle, désobéissent à Dieu, en prétendant faire justice à sa place à coups de canon.
Mémoires, André Trocmé, 2020
C’est l’un des épisodes qui a participé à la force de résistance qu’il déploya plus tard avec sa femme et tout leur village, sans coordination particulière. Ce qui est particulièrement intéressant ici est de voir la dynamique de transformation entre croyances à somme nulle de départ, puis l’autre explique en quoi il n’est pas ennemi et c’est entendu par Trocmé parce qu’il s’identifie à lui via ce point commun qu’est la religion.
Ainsi ce n’est pas pour une question de morale que je précise la puissance du jeu à somme non nulle : je pense que refuser fermement et courageusement le jeu nul, par l’application courageuse et intelligente d’un jeu coopératif, est stratégiquement plus intéressant pour augmenter notre sentiment de sécurité, de puissance effective, même dans un contexte hardcore demandant un courage phénoménal comme la guerre.
Beaucoup de résistants n’ont pas accepté les règles du jeu nul imposé par la guerre, quand bien même tout le contexte les pressait avec une violence et des menaces réelles considérables, ils ont persisté à penser en somme NON nulle quand bien même tout s’y opposait pour des raisons de « sécurité », qui ne sont finalement qu’aussi sécuritaire que de croire qu’on sera abrité sous un parapluie à Brest en pleine tempête.
Cela paraît demander un courage considérable, mais il n’y a pas à entendre ce courage comme une force sans émotions, mais au contraire comme une acceptation totale de celle-ci, puis d’avancer avec elle1 : oui, ça passe par se prendre la tempête en pleine face, et avancer quand même, pour mettre à l’abri le plus de monde.
Et ils ont eu ce courage considérable parce qu’en joueur à somme NON nulle, ils étaient connectés à autrui, n’avaient pas éteints leurs capacités empathiques, faisaient preuve de prise de perspective, ils n’arrêtaient pas leur jugement et étaient continuellement dans la recherche de comprendre davantage tout ce qui se passait autour d’eux, avec une précision considérable :
“En 1943, le 29 août, nous avons appris que les nazis allaient faire une razzia et envoyer des Juifs danois dans des camps de concentration allemands. Avec des amis du département de la police, nous avons organisé une organisation de réfugiés — elle n’avait pas de nom. Nous avons embarqué en taxi, et même en voiture de police, pour nous rendre au port de pêche commercial et nous nous sommes organisés pour que les gens puissent se rendre en Suède. Les ports étaient contrôlés en partie par la marine allemande mais également par la police côtière, un service spécial de la police danoise. Nous devions faire très attention à notre « expédition » depuis des endroits où les contrôleurs n’arrêtaient pas les bateaux de pêche et où nous savions que les patrouilleurs de la marine allemande ne seraient pas présents. Après une semaine, nous avons réussi à faire sortir tous les gens d’origine juive du pays – 7 000 personnes.”
The altruistic personality, Oliner, 1988
On voit qu’il y a une collecte d’informations et de connaissances précises du terrain et beaucoup de témoignages sont emplis de détails concernant le matériel, les lieux, les organisations précises et les habitudes du lieu, la psychologie des personnes avec qui ils devaient interagir, bref tout était soigneusement pris en compte pour mener les actions.
Contrairement aux apparences, le jeu coopératif est clairement là où se situe la puissance psychologique -ou puissance tout court — quand on le regarde dans un contexte objectivement horrible de somme nulle. Mais cela ne veut pas dire que les joueurs coopératifs sont dans un état d’esprit héroïque, dans la figure du guerrier au moment où ils le vivent, parce que le résultat de leurs actions peuvent ne pas être visible, être continuellement entravés, ils peuvent être frustrés de ne pas en faire assez, être toujours affectés des horreurs qu’ils rencontrent.
Un jeu à somme non nulle en temps de relative paix, de suffisamment de démocratie, est relativement accessible à chacun et facile à suivre : mais plus le contexte devient horrible, plus ce gameplay devient un niveau difficile et suivre le jeu à somme nulle devient beaucoup plus « facile ». Mais si vous êtes gamer, vous savez à quel point des parties trop faciles dévitalisent tout le sens d’un jeu, le rendent ennuyeux, fade. N’hésitons pas alors à embrasser la difficulté de notre époque comme un défi qu’on peut tenter de traverser, qu’importe si on semble ne pas voir de grandes victoires, au moins on fera quelque chose qui a du sens.
Ainsi, d’un point de vue stratégique et au regard de notre époque, je dirais qu’il est clairement assez vital de commencer à jouer de façon non nulle si on ne l’a jamais fait sciemment pour s’entraîner et intégrer ce mode de jeu qui permet de survivre ou faire survivre autrui dans les contextes les plus hardcores. Si au contraire on a l’habitude d’être dans ce jeu coopératif mais qu’on voit que ses effets ne sont plus ce qu’ils étaient dans certains contextes, ne concluez pas trop vite que c’est un échec et qu’il faudrait être dans un jeu nul pour réussir : c’est exactement ce que la violence des contextes et des joueurs à somme nulle souhaitent, vous forcer à vous attabler à leur jeu d’échecs pour vous contrôler, empêcher votre liberté et la créativité de jouer à d’autres jeux coopératifs. Cela demande une forte résistance, et pour l’alimenter cela demande de plus en plus de compétences, d’informations, de stratégies, d’essais et d’erreurs, de travail secret, et globalement de courage, car on va s’en prendre plein dans la tronche en retour.
J’ai dû le dire à plusieurs reprises, mais je le redis au cas où : plus les actes prosociaux les plus simples comme filer un coup de main à une personne sont perçus négativement, voire attaqués et punis, plus c’est un signe que le game change vers quelque chose de très sombre et que la prosocialité normale devient une résistance.
Des gens qui se croient perdants et qui ont tout, des gens qui n’ont rien, prêts à tout partager
Je n’ai pas besoin de vous l’apprendre, vous savez qu’il y a des gens qui sont dans la croyance en un jeu nul alors qu’ils ne sont menacés en rien, qu’ils ont déjà beaucoup plus que les autres. Ils sont déjà bien gagnants mais ils persistent à voir l’accès aux ressources ou des réussites quelconques d’autres personnes comme une menace à ce qu’ils ont. Pire, certains utilisent leur statut, leur position sociale pour imposer ce jeu nul à d’autres au travail ou ailleurs, dans le champ médiatique.
Et vous savez qu’il y a des gens qui n’ont rien, qui vivent des insécurités objectives de pauvreté, de discrimination, qui pourtant jouent toujours le jeu coopératif et démontrent plus de générosité. Les études sur la compassion (théorisé comme la reconnaissance de la souffrance de l’autre et la volonté de l’aider), montrent des dizaines d’études où il s’avère que les bas statuts sont plus compassionnels, plus coopératifs, plus prosociaux que les personnes aisées, dominantes. Parce que spoiler, oui le jeu à somme non nulle est un meilleur moyen de survie que le jeu nul, fait de domination et de triade sombre, ce dernier étant un jeu pour continuer à gagner contre l’autre et maintenir les inégalités qui leur profitent :
« Il est maintenant de plus en plus évident que, à mesure que les gens deviennent plus puissants dans leurs groupes sociaux, ils deviennent en fait moins empathiques, moins sensibles à la souffrance des autres et moins compatissants (James, 2007 ; Keltner, 2016 ; Van Kleef, Overis, Lowe, LouKogan, Goetz et Keltner, 2008). Bien qu’il existe des exceptions philanthropiques évidentes, Piff (2014) a montré que l’augmentation de la richesse s’accompagne souvent d’un sentiment narcissique croissant d’avoir tous les droits et d’une moindre orientation vers le partage. En d’autres termes, l’augmentation de la richesse peut avantager les stratégies de type Triade sombre et de type hubristique aux dépens potentiels des stratégies altruistes »
Handbook of compassion science, Emma M. Seppälä, Emiliana Simon, Thomas Stephanie, L. Brown Monica C. Worline, 2017
Et vous trouverez d’autres études qui montrent ces liens ici : https://www.hacking-social.com/2020/07/13/quest-ce-qui-bloque-la-compassion-conformisme-ethnocentrisme-dominance-sociale-triade-noire/. Et de nombreuses autres études montrent qu’en fait, le moindre signal qu’un exogroupe viendrait signaler une domination, une exploitation, une discrimination, une inégalité de leur part est considéré comme une dangereuse menace qui augmente leur croyance nulle, plutôt que de voir la discrimination, les injustices, etc. comme un problème2.
L’erreur qu’on peut faire en tant que joueur coopératif est de leur prêter le même gameplay que nous (surtout si on est haut en agréabilité), leur donner des choses que ce soit de la force de travail, de l’attention, de bonnes intentions, alors qu’ils ne feront jamais la même chose pour nous. Et c’est exactement cette prise de conscience d’avoir été exploité qui peut aussi nous faire abandonner le jeu coopératif, comme si notre gameplay avait été naïf, idiot, puis on endosse sans merci le jeu nul. Je pense qu’on peut jouer d’une autre façon, situation par situation : il s’agit de tester la mutualité des relations et noter si la loi de réciprocité est à l’œuvre, dans quelle mesure et pourquoi. Donner toute ma force de travail dans un job aurait été la pire des stratégies tant il y avait de l’exploitation, des arnaques, un jeu à somme nul dominant tout ; dans un autre, je n’ai pas hésité à suer, parce qu’on jouait en mode coopératif et que tous y gagner et que même, on avait le temps de le célébrer ensemble. Ce que l’âge apprend, c’est qu’adopter un seul et unique gameplay quel qu’il soit ne va pas donner de bons résultats dans la vie sociale, il y a à savoir se flexibiliser voire carrément inventer avec les autres des jeux encore plus complexes que ceux résumables à la somme nulle ou non nulle. C’est le seul moyen à mon sens de neutraliser les dégâts de ceux qui imposent la somme nulle à autrui. J’avais donné un exemple concret de crack d’une structure à somme nulle imposé comme modèle de management ici : https://www.hacking-social.com/2014/12/01/hacker-le-chef-psychopathe-la-theorie-des-allies/ ; en résumé, l’astuce pour hacker ce système était d’entretenir notre imprédictibilité.
Un jeu à somme NON nulle et hack du jeu à somme nulle
Mais peut-être aussi que pour une raison ou une autre, même avec les exemples précédents vous n’arrivez pas à atteindre la compréhension de ce qu’est réellement un jeu coopératif. J’ai déjà vu des individus adultes, qui dans un jeu (au sens littéral) dont les règles explicitement coopératives n’arrivaient pas du tout à coopérer, orchestrant une compétition inutile pour s’approprier des statuts qui n’avaient pas de sens dans le jeu. On avait beau être plusieurs à expliquer que le but n’était pas d’obtenir telle position mais qu’ensemble on aille à tel point, non, rien n’y faisait, l’individu jouait solo pour obtenir un statut sans aucun sens, ne menant à aucun pouvoir ou victoire, voire nuisant à l’atteinte de l’objectif, mais juste parce que symboliquement « élevé ».
Donc je ne suis franchement pas sûre de réussir à expliquer ce qu’est le jeu coopératif à des personnes qui seraient dans une telle symbiose avec le jeu nul, mais j’ai quand même envie d’essayer l’exercice et peux être que cela pourrait vous être utile face aux joueurs dans la somme nulle que vous connaissez et qui seraient plus disposés à améliorer leurs relations.
Pour cela, désolé pour les habitués du site, mais je vais encore ressortir un schéma que j’utilise assez régulièrement car il est extrêmement clair sur la façon dont fonctionne un jeu relationnel simple, à somme non nulle, coopérative, où tout le monde « gagne » :

Si vous savez jouer aux jeux coopératifs ou que vous avez entretenus des caractéristiques liées à la somme NON nulle par vos buts (agréabilité haute, absence de triade sombre), la richesse d’une telle relation est évidente, et vous savez très bien qu’une excellente relation implique qu’ensuite B va être dans la même écoute pour A, dans un schéma où l’entraide est réciproque et apporte les mêmes richesses psychologiques, émotionnelles. Vous savez très bien que ça marche comme ça même si l’expression ne porte pas sur les émotions mais par exemple sur des idées, des inspirations, lorsqu’on crée ensemble, lorsqu’on réfléchit ensemble sur un sujet. Ça construit des richesses particulières, qui ont l’avantage d’être durables et infinies pour peu qu’on puisse trouver un autre joueur à somme non nulle comme nous ou exercer ces échanges multiplicateurs.
Donc notre problème ici n’est pas de convaincre de la réalité de ce schéma, mais de comprendre pourquoi ça ne marche pas du tout chez les profils de joueur à somme nulle. Si je réfléchis à la situation, ça ne marche pas chez eux parce que :
— Ce croyant à somme nulle pourrait accepter d’être dans le rôle de A, mais jamais renvoyer l’ascenseur en étant dans le rôle de B, ou en le faisant contre leur gré ou encore sans ressentir de l’empathie, de l’unité..
— Il pourrait accepter les deux rôles, mais uniquement pour des gens strictement comme eux en genre, en couleur de peau, en affiliation partisane, etc. Dès qu’un interlocuteur n’est plus du même genre ou de la même couleur de peau, ça y est, il y a une fermeture et le schéma ne se déroule pas. La raison est finalement assez simple : l’échange demande une horizontalité, or il s’estime supérieur ou extrêmement différent (un peu comme si l’autre était d’une autre planète et ne fonctionnant pas pareil), donc n’applique pas d’horizontalité possible, ne cherchent même pas les points communs.
— Il pourrait estimer que le rôle de B est celui d’inférieur à son service, que c’est normal, qu’il n’a pas à faire ça. Par exemple le sexisme est dans cette interprétation, que les femmes doivent écouter et aider, c’est leur rôle, l’inverse n’est pas possible. Donc jamais il n’initierait l’écoute en relevant une émotion de l’autre pour tenter de l’aider par exemple , ou verrait comme un affront si la personne essaye de faire comprendre son émotion, puisque ça les « pousserait » à se mettre dans un rôle « B » qu’il estime ne pas être sien.
J’ai donné l’exemple du sexisme, mais ça vaut aussi pour le racisme ; par exemple Daryl Davis, un militant afro-américain qui déconvertit des membres du KKK, raconte que presque tout le temps, il peut faire le rôle de B face à eux, ils n’ont pas de problème à s’exprimer, mais l’inverse est difficile à amener, et il souligne d’ailleurs qu’un excellent signe de début de déradicalisation est lorsqu’ils commencent à lui demander son avis31.
Sur le travail de déradicalisation des membres du KKK par Daryl Davis :
– Il pourrait n’avoir jamais été encouragé à prendre le rôle de B en raison de stéréotypes de genre et/ou d’environnement favorisant la dominance sociale qui associe l’écoute et le care aux « inférieurs », au point que les compétences socio émotionnelles en sont flétries, jamais développées. Pour ce point, on a déjà longuement parlé dans ETP de la façon de développer ces compétences, vous pouvez aussi consulter Les compétences socio émotionnelles de Mikolajczak Moïra.
— Il pourrait ne voir aucun intérêt ou motivation à développer ses compétences socioémotionnelles ou à s’exercer à être dans des rôles de B parce que n’ayant jamais testé pleinement car il n’y voyait qu’un acte pénible.
– Il pourrait avoir des défauts d’empathie et d’émotions qui font que l’étape « sentiment d’unité » et toute la richesse qu’il y a dans les liens en général n’est pas ressentie (par exemple chez les profils sociopathes à haute triade noire).
— Il pourrait exécuter parfaitement ce schéma, avoir de bonnes compétences socioemotionnelles, mais ne le faire que pour servir son intérêt. On peut le voir dans des situations d’arnaques qui demandent des compétences sociales, les manipulateurs peuvent en effet savoir très bien jouer la coopération pour leurs fins4.
Autrement dit, c’est parce que ces individus sont à la merci d’idéologies, de cultures données, de stéréotypes qu’ils sont bridés dans leur capacité relationnelle, que ça se passe mal ou d’une façon très pauvre. Par contre, ils peuvent avoir un bénéfice secondaire à cet état sous la forme d’un sentiment de supériorité à l’autre, de conformité aux stéréotypes raciaux et/ou de genre, et tant qu’ils s’accrocheront à ce bénéfice secondaire, il n’y aura pas de changement. Seul le cas dans notre dernier point semble être plus autodéterminé, bien que les fins puissent être égoïstes : si vous repérez ce genre de profil, cela va être une relation extrêmement particulière à gérer, mais je pense qu’on peut réussir à négocier en gagnant-gagnant quand l’arnaque ou la sournoiserie est repérée, étant donné qu’ils peuvent comprendre ce jeu même s’ils ne le mènent que pour leurs intérêts prioritairement.
Pour les autres, vous allez être soit attaqué, ignoré ou contraint au seul rôle de B. Si vous êtes mis dans le rôle de B, vous pourrez tester l’amplitude, les causes, les raisons de leur jeu nul, et ils pourront même être bien bavards là-dessus, ce qui vous donne un atout. Mais vous ne pourrez sans doute pas les changer car tout changement d’une personne doit venir d’elle. Les situations ou l’autre s’identifie à vous et a un déclic, tel qu’on l’a vu chez Trocmé, sont rares et demande IRL une conjonction de facteurs qui est difficilement prédictible ou programmable.
Certes un environnement social a son poids, peut influencer, mais le déclic doit être interne, on ne peut pas l’enclencher comme si on appuyait sur un bouton, ce qu’on retrouve dans la logique des nudges, des conditionnements ou des contrôles, surtout si on vise une autodétermination du jeu coopératif comme ça a été le cas chez Trocmé qui en a fait un pilier de son existence.
Ceci étant dit, vous pouvez utiliser vos positions de B pour protéger les gens à la manière qu’on a vu au dernier tiret : contrairement à l’arnaqueur de base, vous ne viserez pas que vos intérêts, mais celui d’un maximum de monde, notamment de ceux les plus ciblés. Ça demande d’être conscient de tous les jeux possibles à la fois, voire d’en inventer d’autres, et c’est globalement ce qu’on appelle le hacking social : jouer à un jeu coopératif pour des fins collectives en hackant les jeux à somme nulle qui nous pourrissent la vie à tous. J’ai pris le schéma de la communication pour sa simplicité, mais vous savez que ça peut concerner des situations hautement plus complexes et structurelles, on en a vu des tas d’exemples dans ETP.
Chercher la compréhension fine plutôt que de s’arrêter au jugement
On l’a vu, la croyance en la somme nulle advient parce que l’individu arrête sa réflexion au premier facteur où il peut percevoir un « gagnant » et un « perdant », et il se centre sur des victoires ou échecs liés à la matérialité des ressources.
Une recherche5 a posé l’hypothèse extrêmement intéressante que nous avions par défaut une interprétation des situations sociales comme étant davantage compétitives, à somme nulle parce qu’on n’arrive pas à inhiber de nous-mêmes ces règles plutôt que par conviction ou manque de volonté à coopérer. Pour la vérifier, les chercheurs ont fait jouer les gens dans un jeu coopératif soit en laissant les individus à eux-mêmes, soit en leur disant en amont qu’ils pouvaient utiliser une stratégie coopérative. C’était par exemple préciser que « vos intérêts ne sont pas opposés, vous pouvez tous gagner », les chercheurs parlent de nudger la coopération et cet outil est nommé « réencadrement cognitif explicite »
Lorsqu’ils sont laissés à eux-mêmes, la plupart des participants adoptent effectivement une stratégie compétitive perdante. Mais lorsqu’ils sont informés de la possibilité d’une stratégie coopérative par réencadrement cognitif explicite, il y a plus de coopération.
Ainsi, si on s’occupe d’un environnement social, on pourrait potentiellement prévenir les jeux à somme nulle en informant au préalable des possibilités coopératives pour aider les gens à inhiber leur jeu à somme nulle.
On a donc du mal à inhiber ses croyances en la somme nulle pour voir les possibilités coopératives, mais il ne faudrait pas en déduire que cette difficulté s’expliquerait par le fait que nous sommes bêtes ou qu’on juge mal, donc que la solution serait juste de « suspendre son jugement ». Lorsque nous-mêmes insistons sur « juger moins, comprendre plus » dans nos contenus, ce que nous voulons dire c’est continuer à chercher la compréhension, et non pas s’arrêter de réfléchir.
Nous précisons car dans certains cas, affirmer « suspendre son jugement » peut aussi représenter un arrêt de la recherche de compréhension de tous les facteurs : par exemple certains, face à un viol avéré, vont refuser les verdicts et les éléments renseignés par refus de se mettre à la place des cibles, refus de croire les informations qu’elles délivrent, ou encore par croyances qu’elles veulent tirer un profit de l’accusé (par exemple se faire connaître à travers les médias dans lesquels l’histoire est relayé, gagner de l’argent avec un procès, etc.). Cette croyance est évidemment à somme nulle et démontre un refus de prise de perspective (comme se rendre compte qu’un procès n’a rien d’une activité agréable pour les cibles, que c’est coûteux en moyen de toute sorte, que l’attention médiatique autour d’une affaire sombre est parfois au contraire, destructrice de carrière pour les cibles, etc.).
On peut donc avoir une croyance en un jeu à somme nulle, avec ses gagnants et perdants, avec un refus de se mettre à la place de tous les acteurs et actrices d’une situation compliquée, tout en vantant avoir eu « l’intelligence » de suspendre son jugement, même si en réalité il y a jugement dans le fait de refuser les éléments apportés par les cibles.
Chercher la compréhension plutôt que juger, c’est enquêter et ne pas arrêter l’enquête, tout en se mettant à la place de toutes les parties impliquées. Ainsi, pour diminuer les erreurs à somme nulle, les chercheurs recommandent de réfléchir aux conséquences à long terme et indirect6, et globalement à s’engager dans une réflexion7, à réfléchir plus en incitant les gens à prendre en compte les différentes priorités et préférences des autres8 : la prise de perspective, la responsabilisation, la prise en compte de questions mutuellement bénéfiques pourraient aider à ne pas tomber dans la facilité, les limites et les conséquences du jeu nul.
Plutôt que des privilèges reconnus et des injustices regrettées, des actes de justice
Le discours sur les privilèges à notre époque me semble encore trop formulé et interprété comme un jeu à somme nulle : il faudrait avouer ses privilèges pour reconnaître que d’autres en ont moins et leur laisser de la place. C’est comme si plutôt que de jouer au Monopoly sans rien dire, il suffirait d’y jouer mais en reconnaissant qu’on a eu le privilège obtenu plus de cartes chances ou de tomber en premier sur les bonnes rues, mais sans rien changer au jeu lui-même. Vous voyez qu’au fond, cela ne change rien aux règles qui causent l’inégalité. Ce qu’il faudrait, c’est changer directement les règles, par exemple décider de ne pas faire payer untel qui passerait dans sa rue, voire en redistribuant l’argent gagné.
Beaucoup d’individus s’approprient un discours de gauche autour des discriminations et inégalités pour jouer aux alliés, en feintant le fait de se savoir privilégié et reconnaissant les discriminations en plaignant les cibles de l’injustice, en jouant les ex-coupables, etc. Mais, ils ne font rien pour partager ces privilèges en question ou pour remettre une dose de justice dans la vie, voire pire, ils jouent au jeu nul en ciblant d’autres personnes ce qui me semble une diversion voire un sabotage des causes en question.
C’est comme si je reconnaissais à un invité pauvre et affamé que j’avais la chance d’avoir un frigo plein, que je parlais de ma chance et que je compassais à l’injustice qu’il vit, mais que je ne l’invitais jamais à partager un repas : ce n’est qu’hypocrisie. Un privilège dans les milieux collectivistes que j’ai connus, tu le partages directement et tu en fais profiter en collectif, sans avoir besoin de tenir un discours public sur tes privilèges. On horizontalise et on collectivise les intérêts qui n’auraient dû être que personnel en célébrant ensemble, parce qu’encore une fois, le jeu coopératif c’est là où se trouve la multiplication des plaisirs. Alors, oui j’ai peut-être une politique un peu fièrement barbare à ce sujet, mais ça a le mérite d’être des règles très claires : les gens qui partagent directement ces privilèges n’ont pas besoin de discourir à ce sujet, parce que les faits de partage parlent pour eux, dans leurs actes. Les gens qui ne font que parler à ce sujet pourraient faire mieux en montrant par les faits plutôt qu’en travaillant uniquement leur éloquence et image. Bref, la mesure d’un jeu réellement coopératif et s’opposant aux inégalités se mesure à des actes concrets, sur le plancher des vaches.
La compétition ?
On pourrait aussi avoir tendance à rejeter toute idée de compétition au vu de son association avec les croyances à sommes nulles et les conséquences que cela entraîne. On pourrait même rejeter tout jeu compétitif comme l’ennemi car perçu comme jeu à somme nulle, par exemple en insultant tous les sportifs et en les méprisant. Vous voyez qu’on retombe encore dans le piège du jeu à somme nulle en voulant le combattre, mais sans penser à sortir du logiciel nul avant.
Or regardons directement les jeux : on peut par exemple jouer aux échecs, et pourtant le faire avec un esprit coopératif qui ne casse pas du tout les relations mais au contraire les renforcent, les bons adversaires reconnaissants chacun leurs compétentes, l’intelligence de leurs stratégies, leurs innovations, etc. Gagner ou perdre dans un jeu à somme nulle mais pris selon une approche coopérative change tout, au point qu’on peut être aussi content de perdre que de gagner, parce que dans tous les cas, on a noué une relation avec l’autre personne et le jeu, on a appris quelque chose, on a vécu un moment d’apprentissage tant sur le jeu, sur nous, que sur l’autre, et réciproquement.
C’est pourquoi les situations de compétitions dans la recherche peuvent avoir des effets qui varient allant du très sapant des besoins psychologiques fondamentaux comme du plus nourrissant. La théorie de l’autodétermination nous apprend qu’en réalité ce n’est pas tant la structure compétitive le problème, que la façon dont elle est organisée socialement. Si c’est géré de façon contrôlante, ça n’ira pas du tout, si c’est fait de façon autodéterminatrice, ce sera émancipateur.


Plus précisément, dans une compétition autodéterminatrice, plutôt que d’être focalisé sur sa personne (ou que sur l’environnement nous pousse à l’être), on est focalisé sur le lien à l’activité, le défi qu’elle comporte et comment la réussir en soi, et non sur ce que ça va rapporter en statut, en image ou en richesse. L’information devient donc ce qui compte le plus pour réussir le défi, et les ratés ou l’échec peuvent justement être source d’informations pour accomplir les défis. Et je pense que c’est également ce qu’il se passe lorsqu’on résiste à un jeu à somme nulle, les résistants témoignant d’une très haute concentration sur tous les petits détails stratégiques et oubliant totalement leur égo, les risques personnels. Autrement dit, les territoires objectivement à somme nulle (comme les jeux compétitifs, mais ça pourrait porter aussi sur d’autres situations objectivement compétitives), pourraient être des terrains d’exercice pour se défaire des travers de la pensée à somme nulle, voire même tester des modes de résistance à celle-ci en restant coopératif, empathique.
On pourrait encore disserter pendant des lustres sur les façons de revivifier des jeux coopératifs ou d’autres inclassables, parce que la vie est pleine de possibilités même si les jeux à somme nulle sont extrêmement doués pour nous emmener dans leur marécage et rendre binaires ces possibilités, voire allant jusqu’à vomir sur nos possibilités coopératives pour les rendre abjectes
, avant même qu’on ait eu le temps de les observer. Je n’ai mis ici que quelques points qui là,
actuellement, me semblaient utiles de partager à la date ou j’ai publié cet article sur Internet.
Ceci étant, la recherche en a testé bien d’autres, et vous avez très certainement quantités d’idées, de capacités à imaginer, voire des possibilités autres que vous pouvez emprunter ou que vous avez déjà emprunté avec succès pour neutraliser les souffrances causées par les jeux nuls. La biblio pourra peut-être vous aider à aller plus loin, mais l’inspection de vos expériences ou de vos nouvelles expériences aussi. Ainsi, je vous souhaite d’excellentes sessions de prise de perspective aux informations précieuses, de joie collective et d’invention de nouveaux jeux !
Note de bas de page
La biblio complète du dossier est disponible également ici : Σ0 : bibliographie
1 C’est ce qu’on voit neurologiquement chez les désobéissants, l’émotion n’est absolument pas déniée et c’est qui donne la force d’agir, cf. Lepage 2017.
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︎
- Wilkins, C. L., Wellman, J. D., Babbitt, L. G., Toosi, N. R., & Schad, K. D. (2015). You can win but I can’t lose: Bias against high-status groups increases their zero-sum beliefs about discrimination. Journal of Experimental Social Psychology, 57, 1–14. https://doi.org/10.1016/j.jesp.2014.10.008
︎
- Documentaire Accidental Courtesy : Daryl Davis, Race & America et Daryl Davis, Klan-destine Relationships
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- Par exemple chez Kevin Mitnick, l’art de la supercherie
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- https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC4721918/#:~ : text=We%20examine%20the%20hypothesis%20that,This%20minor%20intervention%20boosted
︎
- Johnson, S., Zhang, J. & Keil, F. Consumers’ beliefs about the effects of trade. SSRN https://doi.org/10.2139/ssrn.3376248 (2019).
︎
- Frederick, S. Cognitive reflection and decision making. J. Econ. Perspect. 19, 25–42 (2005)
︎
- Johnson, S. G. B., Zhang, J. & Keil, F. C. Win–win denial: the psychological underpinnings of zero-sum thinking. J. Exp. Psychol. Gen. 151, 455–474 (2022).
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L’article [Σ0-3]Ne plus voir la vie comme un jeu uniquement nul ? est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 23.05.2025 à 14:43
Initialement ce post est un thread fait rapidement sur bluesky (nous ne sommes plus vraiment sur les autres réseaux sociaux), ici : Viciss Hackso: « Lors des différents…
Lors des différents call-out récents qui ont agité la sphère Twitch, j’entendais parler beaucoup de justice réhabilitatrice, que je croyais — a tort — que c’était un terme recouvrant la justice réparatrice JR et/ou transformatrice JT. J’avais alors du mal à comprendre pourquoi les gens avaient tenté des médiations, alors que ce n’est pas vraiment du tout les premières étapes urgentes de ces justices différentes, voire que c’est estimé dangereux. Mais en fait ce n’est pas ça, la justice réhabilitatrice.
Soit c’est ce qui est désigné APRÈS les jugements/peines/réparations et on essaye de réadapter les offenseurs à la société d’une façon qui n’offensera plus (mais je ne pense pas que les gens parlaient de ça, puisque ça nécessite soit une peine soit une réparation par l’agresseur). L’offenseur est réhabilité parce qu’il a démontré sa conscience des actes, a réparé la situation pour la cible et la commu etc.
Soit cela désigne une théorie dans un bouquin dans un cadre particulier. Je ne le connais pas1 (et) donc je ne vais pas le juger. Mais dans le contexte de justice réparatrice ou transformative, la médiation déjà c’est gros NON en cas d’affaires conjugales (selon la crimino/la psycho j’en parle ici : https://www.hacking-social.com/2020/11/30/jr2-differents-processus-de-justice-restauratrice/ , parce que c’est un danger de perpétuer les emprises et les dominations or c’est précisément ce que ces cibles ont besoin de fuir. Ceci étant dit, des processus de JR/JT peuvent être mené en cas de violences sexuelles, mais ça ne commence pas par la médiation, voire il peut n’y en avoir jamais [tout dépend de ce que veut vraiment la victime et ses besoins qui auront été réfléchis loin de la situation dangereuse]. Ici un reportage avec un processus exemplaire, qui travaille aussi sur la question systémique, avec un aspect décolonial affirmé [le processus est profondément issu des 1res nations des Amériques, c’est la communauté qui a géré] :
[si vous galérez avec l’anglais, j’ai décrit le fond du reportage ici : https://www.hacking-social.com/2021/02/01/jr6-la-justice-transformatrice-en-action-abus-sexuels-a-hollow-water/ ; le documentaire complet est disponible ici : Hollow Water – ONF]
Comme on le voit la première étape n’est surtout pas de faire discuter les cibles avec leurs agresseurs, mais de faire prendre conscience aux agresseurs de la réalité de leurs actes, des conséquences et gravité de ceux-ci, et ça a demandé un an, des cercles répétés, un travail d’éducation et de réflexion poussés avec toute la communauté. Ensuite seulement, de leur coté les victimes, entourées et protégées avaient décrétés leurs besoins, certains n’ont pas voulu revoir leur parent agresseurs, d’autres ont voulu discuter pour comprendre, mais toute la communauté veillait à protéger les enfants et leurs besoins en priorité. La JR/JT est dictée par les besoins des victimes et de la communauté qui en pâtit, et c’est pour ça qu’il y a un gros travail fait pour faire prendre conscience à l’agresseur, puis le faire réparer [sans conscience il ne réparera rien correctement, les excuses ne seront pas sincères, ni le travail ou compensation donné], et parfois entre toutes ces étapes, oui y a un travail pour le réhabiliter dans la société afin qu’il n’offense plus et d’ailleurs ça passe aussi par le suivi des réparations demandées par la cible ou les personnes touchées par le tort [qui peuvent être toute la commu en question]. On voit ce processus de responsabilisation ici : https://www.hacking-social.com/2021/02/08/jr7-justice-transformatrice-le-processus-de-responsabilisation/
Et si vous êtes sans moyen face à une sale histoire, que c’est compliqué avec la justice classique, que vous soyez dans n’importe quel position d’une affaire, je pense que c’est l’un des docs les plus pratiques que vous trouverez aussi dans :
« beyond Survival, Strategies and Stories from the Transformative Justice Movement édité par Ejeris Dixon et Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha, 2020 ».
En tant que cible, perso le questionnaire des besoins m’a permis de vraiment faire le tri avec ce que j’avais besoin qu’on me répare et même d’avoir pu ensuite savoir quelles démarches je pouvais faire. Ça permet de surmonter les gazlight ou l’effet des traumas qui nous fait revoir à la baisse les réparations dont on aurait besoin et ce qu’on est capables d’obtenir.
Attention, sur Internet j’ai pu notamment voir cela avec l’affaire de la ligue de lol, cela a pu être réduit par les agresseurs à croire qu’il ne fallait que s’éduquer et/ou que présenter des excuses : ce n’est pas une réparation suffisante à mon sens — même cela a pu être accepté par les cibles en question, par exemple elles auraient pu être accompagnées pour que des gens les aident à calculer concrètement tout ce qu’avait coûté financièrement le harcèlement [coût psy, coût d’arrêt de travail, coût au fait d’avoir perdu des opportunités, etc]. La réparation, ça peut être calculable très concrètement.
Bref, je ne vous refais pas le dossier sur la JT/JR que j’ai laissé ici :
ou là :
si vous voulez fouiner les sources et les dizaines de protocoles laissés à dispo tant par des universitaires que militants :
Je conseille vivement le site : https://transformharm.org/ qui est une mine d’or, y a des protocoles pour toutes les situations à dispo.
On a parlé des problèmes de la médiation avec d’autres types de violence, comme celle du harcèlement scolaire, ici :
Je signale juste que je comprends que les personnes médiatrices tentent de faire au mieux avec les outils à disposition, mon propos consistait juste à souligner d’autres outils/notions qui peuvent être employés.
Ce sont des situations épouvantablement difficiles, et j’envoie tout mon soutien aux cibles, aux survivantes, aux aidants. Je souhaite toutes les forces possibles à ceux qui veulent vraiment aider, veulent vraiment faire en sorte qu’aucune horreur ne se reproduise.
1 poser la source en description de vos streams svp
L’article La justice réparatrice/transformatrice n’est pas la justice réhabilitatrice : pourquoi la médiation est une mauvaise idée ou échouera. est apparu en premier sur Hacking social.