Tristan Nitot sur la technologie, l'Internet et les libertés numériques
Publié le 02.10.2025 à 06:00
Vélorutopia, chapitre 13 : On dirait le Sud
Photo © Tom4
— Décidément, Batarès tient la forme des grands jours, se dit pour elle-même Alpha, gérant son souffle au mieux alors qu’ils montaient vers La Gineste et le mont Puget en quittant les calanques de Sormiou.
Batarès avait tenu à y passer, avec raison, c’était superbe. L’endroit avait rappelé à Alpha un livre révolutionnaire, Paresse pour tous, d’Hadrien Klent. Le héros du livre, Émilien, vivait là. Mais là, il s’agissait maintenant de grimper. La journée, d’après l’application Géovélo, promettait plus de 1000 m de dénivelé positif. Heureusement, Alpha avait choisi un bon vélo mécanique et, l’habitude aidant, elle avait des bagages très légers, mais elle payait cher les derniers mois à Paris avec moins d’exercice en compagnie de Batarès. Heureusement le paysage était sublime, avec la mer au loin, la vue sur la montagne de l’autre côté. Et puis ce fut la descente sur Cassis, où ils s’arrêtèrent pour déjeuner. En début d’après-midi, ils prirent un bout d’autoroute, Batarès en fut estomaqué.
— C’est incroyable de prendre une autoroute à vélo, maintenant qu’il n’y a plus de voitures !
— Oui, c’est une infrastructure dont on ne sait pas quoi faire. La détruire coûterait une fortune, et puis c’est quand même parfois utile. On a décidé de laisser la voie de droite utilisée pour les vélos et vélis, ces véhicules intermédiaires à quatre roues, à pédales et à assistance électrique, à vocation utilitaire. Comme ça, l’herbe n’y pousse pas. Par contre, comme vous le voyez, la vie reprend ses droits sur la file de gauche, et on laisse faire. La biodiversité a bien besoin de se faire une santé.
— Mais justement, vous faites comment pour l’entretien ? Le bitume est nickel !
— On se contente juste de rouler dessus. Mais comme ce ne sont plus que des véhicules légers qui circulent, le bitume, prévu pour des véhicules bien plus lourds, s’abîme peu, contrairement à l’époque des semi-remorques de plusieurs dizaines de tonnes et de véhicules électriques et SUV dépassant les 2 tonnes. À l’époque, il fallait refaire la chaussée régulièrement. Maintenant, le plus pénible, ce sont les ronces qui veulent traverser. C’est pourquoi la plupart des gens qui roulent à la campagne ont dans leurs sacoche un gant en cuir et un sécateur, pour la maintenance des chemins.
Une fois arrivés à Toulon, ils posèrent leurs bagages dans une pension de famille comme celle de Marseille. Ils étaient dans le quartier du Mourillon, qui avait été chic autrefois, maintenant forcément plus dans son jus. Les maisons de vacances étaient occupées par des travailleurs plutôt que par des riches vacanciers. Ils profitèrent de la météo clémente pour aller dîner dans une paillote d’une plage proche. La plage artificielle, qui n’était plus alimentée chaque année en sable par des camions, semblait plus dégarnie qu’avant l’affaissement, mais le charme du bord méditerranéen fonctionnait à plein. Ils parlèrent de tout et de rien, de la randonnée du jour, magnifique mais épuisante, et du bonheur qu’ils éprouvaient dans cet endroit calme, face à la presqu’île de Saint-Mandrier.
— Je voulais vous remercier, Alpha. J’ai retrouvé ma joie de vivre, et c’est un peu grâce à vous.
— Merci Charly, j’accepte le compliment, mais je vous le retourne : c’est vous qui faites le boulot ! Je ne fais que vous aider quand j’en vois l’opportunité, mais c’est vous qui décidez de changer de perspective. Cela me rappelle une blague de coach ou de psy qu’on m’a racontée quand je suivais une formation : “Combien faut-il de coachs pour changer une ampoule ? Un seul, mais il faut que l’ampoule veuille changer !”. Cela s’applique exactement à votre cas, non ?
— Ah, oui, peut-être. Mais mes remerciements sont sincères, vraiment. J’ai de la chance de vous avoir vous, dans ma vie, dans ce passage compliqué. Alors merci, tout simplement.
Alpha fut touchée. Ils rentrèrent dans leurs chambres respectives sans un mot.
Ensuite : Chapitre 14 : ¿Por qué te vas?
Table des matières
- Chapitre premier : Paris, 2051
- Chapitre 2 : La rencontre
- Chapitre 3 : En selle !
- Chapitre 4 : Électrique
- Chapitre 5 : Chouette, un nouveau téléphone !
- Chapitre 6 : Clamart, 2015
- Chapitre 7 : Allez-y sans nous dans votre dystopie de merde
- Chapitre 8 : Ma petite entreprise
- Chapitre 9 : La ferme
- Chapitre 10 : À bicyclette
- Chapitre 11 : À cheval
- Chapitre 12 : La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs
- Chapitre 13 : On dirait le Sud
- Chapitre 14 : ¿Por qué te vas?
- Chapitre 15 : Épilogue
- Remerciements et colophon
Ce document est sous licence CC-BY-SA Tristan Nitot
Publié le 01.10.2025 à 06:00
Vélorutopia, chapitre 12 : La mer, qu'on voit danser le long des golfes clairs
Il était tôt le matin quand ils chargèrent leurs bagages dans le triporteur de Batarès puis commencèrent à pédaler en direction de la gare de Lyon.
— Je n’en reviens pas qu’on mette six heures pour aller à Marseille. De mon temps, on mettait trois heures et quart ! pestait Tabarès. Ce monde n’en finit pas de me décev… surprendre ! se rattrapa-t-il en voyant le regard réprobateur d’Alpha.
— En fait, ce sont toujours les mêmes TGV qu’à l’époque, au moins vous ne serez pas dépaysé. Mais on les fait rouler moins vite, pour réduire la maintenance des voies, qui est très coûteuse en temps, énergie, matériaux et main d’œuvre. Cela a permis de réduire très sensiblement l’empreinte environnementale du train.
— Et en plus, à l’arrivée, on devra aller à Toulon à vélo, depuis Marseille ! C’est que ça monte par là-bas…
D’un coup de jarret, Alpha prit un peu d’avance, histoire de ne plus entendre le vieux bougon grommeler. Il avait beau faire des efforts, il avait du mal à s’adapter, malgré un passage à la ferme qui semblait l’avoir adouci. Mais au moins le projet d’aller à Toulon semblait le réjouir. Ce séjour ferait du bien à Alpha aussi, qui espérait que les groupuscules réacto-capitalos ne seraient pas plus offensifs à Toulon sous prétexte qu’ils étaient proches de leurs bases arrières. Alpha n’en avait pas parlé à Batarès, mais les ponts diplomatiques avaient été coupés avec l’État Capitaliste Nice-Monaco dont les groupuscules étaient proches.
Ils arrivèrent à la Gare de Lyon, garèrent le vélo et le triporteur dans ce qui avait été un parking pour voitures et montèrent dans le TGV, le même qu’en 2025, sauf que les fauteuils avaient été revêtus de tissus de seconde main, lui donnant un air joyeux avec ses couleurs bigarrées choisies avec soin.
— Les vacances commencent maintenant ! se félicita Batarès. Dites, il va falloir que vous m’expliquiez comment cette “révolution” a pu avoir lieu sans qu’elle ne se termine en guerre civile. Parce que bon, quand je suis parti pour Mars, la polarisation de la société allait grandissant et ça n’augurait rien de bon. La droite extrême se radicalisait, la gauche se divisait, on sentait bien que ça se tendait tout ça…
— Oui, en fait il y a eu deux prises de consciences séparées qui se sont rejointes. À gauche, un texte de Cyril Dion est devenu viral petit à petit, un mème, en fait. Il expliquait dans ce texte qu’il y avait une règle du jeu auquel nous jouions tous à l’époque, et que c’était le capitalisme. Cette règle du jeu avait été établie par les puissants il y a longtemps, et que ces mêmes puissants, qui gagnaient à ce jeu en s’enrichissant et donc en augmentant leur puissance, n’avaient aucun intérêt à changer les règles. Il ajoutait cette histoire, “si vous faites jouer Martin Luther King, Gandhi et Mère Teresa au Monopoly, à la fin il se produira la même chose : l’un aura ruiné les autres.”
— Wow, mais… c’est vrai !
— Exactement. Il concluait par “Parce que ce n’est pas un problème de personne, c’est un problème de jeu. Et aujourd’hui, nous avons besoin de changer de jeu”.
— Et donc la les forces de progrès ont décidé de changer de jeu ?
— Voilà. On l’a toujours su plus ou moins consciemment, mais là, ça a touché un public plus large, bien au-delà des partis politiques, qui ont été débordés sur le coup. C’était un très vaste mouvement citoyen. C’est tombé à un moment où il est devenu plus apparent que jamais que le climat était vraiment détraqué. Deux canicules pendant l’été 2025, des feux de forêts qui se multipliaient, l’anxiété du climat et de l’effondrement de la biodiversité étaient à leur paroxysme. C’est devenu à la fois évident et urgent : il fallait changer les règles.
— Mais comment est-on passé de la prise de conscience à l’action ?
— Cela s’est fait en plusieurs temps. Les scandales mettant en cause les industriels et leurs liens avec le gouvernement, comme je vous l’expliquais l’autre jour. Le scandale des eaux minérales qui étaient juste de l’eau filtrée, par exemple. L’opposition des pétroliers à la réduction du plastique, qui posait des problèmes de santé croissants avec les micro-plastiques. La multiplication des PFAS, ces polluants éternels qu’on retrouvait partout, avec des fabricants d’ustensiles de cuisine qui avaient basé leur modèle d’affaire dessus à grands coups de publicité. J’étais jeune, je ne me souviens pas de tout, mais on avait l’impression qu’on nous prenait pour des cons à grande échelle, comme dans la chanson de Souchon qu’on chantait ensemble l’autre soir. Chaque jour apportait son lot de révélations et de scandales de la part des grandes entreprises. Et puis le gouvernement a tenté de mobiliser le peuple sur l’obligation de payer la dette… en faisant payer les plus modestes.
— Mais les partis plus traditionalistes n’ont pas suivi sur ces sujets, si ?
— En fait, la droite a embrayé en même temps que la gauche, c’est difficile de dire qui a commencé le premier. Ensemble, ça a donné un grand mouvement citoyen. il y a eu une prise de conscience que la théorie du ruissellement était un énorme mensonge. Vous savez, cette théorie jamais vérifiée que si les riches gagnent beaucoup d’argent, ils le dépensent et ça enrichit les gens un peu moins riches, qui à leur tour dépensent cet argent, et donc permet aux classes populaires de bien vivre. C’était juste un pipeau en chêne massif inventé par les ultra-riches. Ce mensonge a fonctionné pendant des décennies, en sous-entendant que si vous ne vous en sortez pas, c’est que vous n’y mettez pas assez d’énergie. Sauf qu’on a commencé à plaisanter, surtout à droite, de la “théorie de la capillarité”. Vous savez, quand vous avez un pantalon un peu long et que vous marchez dans une flaque, le tissu fait comme une mèche, il se remplit d’eau. L’eau monte le long de la jambe. C’est l’effet de capillarité. À droite, c’est devenu une idée qui s’est répandue comme une traînée de poudre : “on nous parle de théorie du ruissellement, mais en fait on vit la théorie de la capillarité”. L’argent du travail des classes populaires va dans les poches des riches, qui le dépensent en abîmant l’habitabilité de la planète. Du coup, la droite, surtout l’extrême, qui avait des prétentions sociales, s’est enflammée sur le sujet. Ils ont réalisé que le problème, c’était les ultra-riches. Le bouc émissaire, ça n’était plus l’immigration, c’était les ultra-riches. Quelque part, les partisans d’extrême-droite aussi ont compris qu’ils étaient les dindons de la farce, et qu’il fallait donc changer de jeu.
— Un genre de convergence des luttes ?
— Ahah, oui ! s’esclaffa Alpha. Mais pas sûr qu’ils aient appelé ça comme ça, à droite…
— Et ça a suffi pour faire tomber le gouvernement ?
— Non, mais le président Macrault a donné le coup de pouce qu’il fallait, bien malgré lui. Il avait été élu pour faire tenir le système en place, on l’avait même surnommé “le président des riches”. Et sur un coup de tête, il avait dissous l’assemblée nationale, refusé de reconnaître la majorité de gauche, nommé des premiers ministres successifs illégitimes. Le deuxième est même arrivé avec une réforme qui allait mettre encore plus de pression sur les classes populaires avec des mesures d’austérité et refusant de mettre à contribution les plus riches. C’est là que tout a explosé. Mathématiquement, les 99% sont plus nombreux que les 1%. Même si les 10% les plus riches croient à la fable des 1% en reprenant leurs idées, il reste quand même 90% de la population contre eux.
Tout cela rendit Batarès songeur. Ils continuèrent la discussion puis se mirent à lire. Alpha avait prêté à son compagnon un livre d’Henri Loevenbruck, Pour ne rien regretter, qu’elle avait adoré. De son côté, elle relisait pour la n-ième fois Bikepunk, de Ploum, un roman d’action avec une héroïne à vélo.
Ils arrivèrent enfin à Marseille. Là, ils allèrent acheter deux vélos de seconde main pour la suite de leur séjour, vélos qu’ils revendraient au même magasin ou à un autre après usage, pour un tarif quasi identique une fois la révision déduite. Ils s’installèrent dans un genre de pension de famille pour voyageurs, ce qu’on aurait appelé un hôtel autrefois, mais tenu par une famille qui embauchait des voyageurs de passage pour faire le service.
Dans le couloir à l’étage, Alpha s’inquiéta :
— Charly, vous êtes sûr qu’un vélo, certes à assistance électrique, vous conviendra ? C’est que nous avons près de 60 km à faire demain et mon terminal me dit que ça ne sera pas plat !
— Ne vous en faites pas, Alpha, la vieille carne que je suis a bien repris du poil de la bête ! La fois où je n’ai pas pu avoir de pain grillé pour avoir abusé du mode Turbo du triporteur m’a piqué au vif, tous nos déplacements qui ont suivi ont été faits en mode Éco, voire sans assistance. Le passage à la ferme a aussi beaucoup aidé. Bref, j’ai des cuisses de jeune homme, je pète le feu, vous allez voir ! Et vous, vous allez vous en sortir ? J’ai vu que vous l’aviez joué Old School en choisissant un vélo musculaire, comme dans les années 1960.
— Ne vous en faites pas pour moi, Charly. J’ai besoin de me défouler, d’où ce choix. Allez, bonne nuit. Demain, c’est l’aventure !
Ensuite : Chapitre 12 : La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs
Table des matières
- Chapitre premier : Paris, 2051
- Chapitre 2 : La rencontre
- Chapitre 3 : En selle !
- Chapitre 4 : Électrique
- Chapitre 5 : Chouette, un nouveau téléphone !
- Chapitre 6 : Clamart, 2015
- Chapitre 7 : Allez-y sans nous dans votre dystopie de merde
- Chapitre 8 : Ma petite entreprise
- Chapitre 9 : La ferme
- Chapitre 10 : À bicyclette
- Chapitre 11 : À cheval
- Chapitre 12 : La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs
- Chapitre 13 : On dirait le Sud
- Chapitre 14 : ¿Por qué te vas?
- Chapitre 15 : Épilogue
- Remerciements et colophon
Ce document est sous licence CC-BY-SA Tristan Nitot
Publié le 30.09.2025 à 18:13
Des nouvelles du capitalisme
- The Las Vegas Economy: Why Climate Change is Actually an Addiction Problem;
- Extrême droite et capital : « Une étendue de connexions absolument stupéfiante », une interview de Laurent Mauduit, journaliste et auteur du livre Collaborations ;
- Dérèglement climatique : la météo extrême de l’été a coûté 43 milliards d’euros à l’Europe ;
- Samsung brings ads to US fridges. Mettre un écran dans la porte d’un frigo, c’était déjà pas une idée brillante. Mais maintenant qu’il y a un écran, pourquoi ne pas y mettre de la pub ? J’avais déjà décidé de ne plus acheter d’électroménager Samsung à cause de sa trop faible durabilité. Ces crétins viennent de me donner une autre bonne raison.
- Scandale des eaux en bouteille : comment Nestlé va tenter d’empêcher l’arrêt de la commercialisation du Perrier.
- Google won’t be forced to sell its Chrome browser, judge rules. C’est dommage, parce que les liens entre Google Search et Chrome (et Android) sont tels que malgré un Google Search qui s’effondre niveau qualité, Google ne craint rien à part la justice. Et là, justement, la justice abandonne. La bonne nouvelle toutefois est que ça va permettre à Mozilla d’être financé pour développer Firefox. Pendant ce temps-là, Apple va continuer à facturer à Google les 20 milliards de dollars annuels pour l’inclusion par défaut de Google Search dans Safari (relisez la phrase en gras). Soit environ 40 fois plus que ce que facture Mozilla à Google.
- La culture du jetable par Jeanne Guien à TEDxMonplaisir. Pas récent, mais très intéressant.
- Bien vivre dans les limites planétaires par Jean-Marc Jancovici. Pas de surprise pour ceux qui le connaissent, mais toujours percutant et synthétique (ce qui ne veut pas dire parfait).
À propos de la bulle de l’IA
- Trois raisons qui indiquent un explosion de la bulle IA, et deux qui pourraient retarder cette explosion :
- Les gens en parlent, et historiquement c’est un indicateur
- OpenAI a un burn rate qui explose, une structure juridique branlante (for profit ou pas ?) qui remet en cause l’investissement de 20 milliards par Softbank ;
- Les investissement dans les datacenters se déprécient très vite (2 ou 3 ans pour les GPU), ce qui implique de très gros revenus… qui ne sont pas là du tout ;
- MAIS… d’habitude les bulles sont financées par la dette, et pour l’instant, c’est surtout financé par des géants de la Tech qui ont de grosses réserves de cash ;
- ET contrairement au capital, aux GPU ou à l’électricité, qui finiront tous trois par manquer un jour, ce qui fait tenir une bulle , c’est la confiance dans son avenir. Et là, on a un peu l’impression d’être tombé sur une source inépuisable de confiance, fut-elle mal placée.
- The Case Against Generative AI, par Ed Zitron. Pas encore lu, mais c’est très long !
- Sur le sujet de la bulle de l’IA, Cory Doctorow enfonce le clou, et c’est brutal ;
- La Deutsche Bank avertit que la bulle de l’IA est la seule chose qui maintient l’économie US à flot et que, lorsque cette bulle éclatera, la réalité sera bien plus dure que ce que tout le monde imagine. En complément, Il n’existe pas une bulle unique de l’IA, mais trois dynamiques distinctes qui coexistent : la bulle spéculative, la bulle d’infrastructure et les promesses irréalistes ;
- AI is a money trap, écrivait Ed Zitron en Août. Des choses intéressantes, mais un ton vindicatif et un anglais fleuri, combinés à la trop longue lecture, rendent ce texte difficile à aborder pour les francophones. Mais ça, c’était avant que Thomas Gerbaud n’en fasse une version raccourcie en français : Le problème à mille milliards de dollars, que j’ai trouvé grâce à Hubert Guillaud et son article La tech au bord du gouffre financier ;
À propos de l’IA
- Aux USA, Anthropic va payer 3000€ par auteur de livre pour avoir pillé son oeuvre sans autorisation. Cela fait tout de même un total de 1,5 milliards de $. Dommage que cela soit limité aux USA, puisqu’il est probable que les IAs aient pillé aussi des milliers d’ouvrages (dont Surveillance://) ;
- Il y a 6 mois, le patron d’Anthropic disait que dans 3 à 6 mois, l’IA écrirait 90% du code. Bah non.
- Après que l’adoption d’une IA ait provoqué des licenciements, les développeurs sont embauchés pour corriger les erreurs de l’IA… Variante : The Software Engineers Paid to Fix Vibe Coded Messes ;
- En février dernier, un lanceur d’alerte d’OpenAI a été retrouvé mort dans son appartement. Il voulait alerter sur le pillage illégal par OpenAI d’oeuvres protégées par copyright et avait témoigné dans ce sens. Et maintenant, Musk et Tucker Carlson accusent le patron d’OpenAI de meurtre . Ca donnerait presque envie de sortir le pop-corn… Bon, d’un autre coté, Grok, l’IA de Musk, dit que Charlie Kirk (le podcasteur MAGA) qui a bien été assassiné, a survécu. Tout va bien…
- L’IA redessine le marché du travail au détriment des profils juniors. “Quand l’IA s’installe dans les processus métiers, elle valorise les experts capables de l’orienter et fragilise les jeunes qui apprenaient par les tâches d’exécution. Entre accélération des seniors et ralentissement des entrants, un nouveau filtre générationnel apparaît comme le démontre une récente étude de Harvard. Un défi inédit pour la Génération Z.”. Certes. Mais au delà, qui seront les séniors bien formés de demain si les juniors ne peuvent plus être formés ?
- C’est un peu comme si on avait 2 équipes de super-héros qui travaillaient sur l’empreinte environnementale de l’IA :
- On a beaucoup trop tendance à ne compter que la consommation d’énergie (et parfois l’eau) mais c’est regarder le problème par un petit bout de la lorgnette. Aucun doute, il faut aller au delà du carbone. Alors il a fallu que des chercheurs s’y collent, et une dream team a été assemblée à cet effet, et cela donne ce rapport : More than Carbon: Cradle-to-Grave environmental impacts of GenAI training on the Nvidia A100 GPU. “For training GPT-4, the use phase dominates 10 of 16 impact categories, contributing about 96 % to both the climate change and resource use, fossils category. The manufacturing stage dominates 6 of 16 impact categories including human toxicity, cancer (94 %) and eutrophication, freshwater (81 %).”
- Autre équipe, cette fois-ci pour un exercice de vulgarisation, feat. Lou Welgryn et Théo Alves Da Costa pour l’article Intelligence artificielle : le vrai coût environnemental de la course à l’IA. C’est un peu long mais très pédagogue et complet. Bravo !
- Utiliser l’IA générative pour innover : entre puissance créative, biais cognitif et jugement limité. Une intro à un papier scientifique écrit par une collègue d’OCTO, et c’est passionnant. Elle a cherché à mesurer la capacité créative d’une d’IA par rapport aux humains.
- Course à l’IA : appuyer sur pause, avec l’ami Irénée Régnauld (co-fondateur du Mouton Numérique)
- C’est vieux mais c’est excellentissime : Le numérique et l’IA au service de l’humanité et de la biosphère par Jean-Pierre Goux, qui justement sort Révolution Bleue (tome 2) / la clef des songes, que je n’ai pas lu mais qui est super prometteur si j’en crois le podcast Métamorphose #619 (passez outre le coté publi-reportage, c’est vraiment très bon). En gros, ça parle du Petit Prince comme métaphore de la conscience collective ;
- “Actuellement je gagne 1 € toutes les 3 h de travail” explique un travailleur du clic dans le reportage d’Arte Madagascar : les petites mains de l’IA à 3 mn 25 s. On se souviendra du documentaire d’Henri Poulain, Les sacrifiés de l’IA ;
- Environnement: le Haut Conseil pour le climat accuse la France de « menacer » l’accord de Paris ;
- Les géants de la tech accusés du vol de millions de chansons pour entraîner leurs IA. Source : ‘The Largest IP Theft in Human History’: Breaking Down The Years-Long Investigation Into How AI Firms Are Stealing Music ;
- IA et souveraineté, par votre serviteur au journal de 13h de France Inter : l’augmentation de capital de Mistral AI (avancer à 17 mn 44). Voir aussi IA : Mistral lève 1,7 milliard et conforte sa place de champion européen ;
- C’est devenu un métier : ingénieur logiciel payé pour remettre d’aplomb des applis codées en “Vibe Coding” (par une IA) : The Software Engineers Paid to Fix Vibe Coded Messes ;
- Je… non rien. En Albanie, le chef du gouvernement nomme un ministre généré par l’IA, une première ;
- Apple rend les armes face à Trump : Comment Apple apprend à son intelligence artificielle à s’adapter à l’ère Trump ;
- Utiliser l’IA pour optimiser un logiciel Libre ?. L’idée est séduisante pour quelqu’un comme moi qui travaille (dans EROOM) sur le sujet de l’optimisation. Et cela peut produire des résultats positifs, comme le raconte Faith Ekstrand, qui travaille sur les drivers de cartes graphiques pour Linux. SAUF QUE… les faibles gains (0,5 à 1% sur certains jeux) vont avec des rapports de bug écrits avec une IA par quelqu’un qui ne comprend rien à rien au sujet. Et ça donne un boulot très pénible aux relecteurs de code, qui ont déjà beaucoup de code médiocre à relire, code qui au moins est généré par des humains qui progressent quand on relit et améliore leur code. Bref, dorénavant, dans ce projet, si vous soumettez du code, vous en êtes responsable, qu’il soit écrit par un humain ou une IA, et vous devez pouvoir expliquer et documenter ce qu’il fait.
- Boosté par ChatGPT, un robot prouve qu’il n’est « pas un robot », alors que ChatGPT a pour instruction… de ne pas faire ce genre de choses !
- La voix IA de Lara Croft supprimée dans Tomb Raider après la plainte de sa doubleuse ;
De l’utilisation de l’IA comme compagnon
- OpenAI vient de publier un article de blog, How people are using ChatGPT, avec un papier plus complet : How people use ChatGPT (PDF). 49% pour lui demander un avis sur un problème, 40% pour lui faire faire quelque chose (relire, traduire, écrire), et 11% pour le reste. On notera deux changements au fil du temps. Auparavant, l’outil était surtout utilisé par des hommes et pour le travail. Maintenant les femmes sont majoritaires (de peu) et c’est en dehors du travail pour 3 demandes sur 4. ChatGPT est passé de 0 utilisateur en novembre 2022 à 700 millions en juillet 2025 (en 34 mois).
- Ça date de juillet mais 72% of US teens have used AI companions, study finds. 50% des ados ne croient pas ce que leur dit l’IA. Pourquoi s’en servent-ils ? 30% parce que c’est amusant, 28% parce qu’ils sont curieux, 18% pour obtenir des conseils, 17% parce qu’il est toujours disponible quand ils en ont besoin, 14% parce qu’il ne les juge pas, 12% pour parler de choses dont on ne peut pas parler avec les amis et la famille, 9% parce que c’est plus facile que de parler à des vrais gens.
- La crise des chatbots compagnons par Hubert Guillaud ;
À propos de mobilité
- Les voitures électriques moins chères à l’usage que les véhicules thermiques. « Les voitures électriques vendues en Europe aujourd’hui reviennent moins cher à l’achat et à l’usage que les alternatives à essence ou hybrides », assurent les experts du BCG. Ils prennent pour base un automobiliste qui roule 12 000 kilomètres par an pendant cinq ans, avec une « routière » ou une « familiale », charge à la maison et au travail et, occasionnellement, sur une borne publique rapide. « Même si le prix de l’essence tombe à 1 euro du litre, la voiture électrique reste, dans les trois quarts des cas, plus intéressante. Et si l’automobiliste recharge systématiquement son véhicule sur les bornes publiques, c’est aussi le cas avec un prix du litre d’essence supérieur à 1,55 euro », assurent les experts. L’économie moyenne pour un automobiliste français serait de 8 000 euros sur cinq ans, soit 130 euros par mois. C’est sympa de voir l’argument financier compléter l’argument écologique expliqué ci-dessous.
- Life-cycle greenhouse gas emissions from passenger cars in the European Union: A 2025 update and key factors to consider. Comme l’explique Le Monde, sur la base de ce rapport, « Les voitures électriques à batterie vendues aujourd’hui produisent 73 % moins d’émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble de leur cycle de vie que leurs homologues à essence, même si l’on tient compte de leur production. »
- « Des objectifs déjà largement manqués » – pour Aurélien Bigo, le vélo mérite mieux en France ;
- Documentaire « Véli : un avenir possible pour la mobilité du quotidien ? », un documentaire de 28 mn sur les véhicules intermédiaires. À ne pas rater ! On y retrouve Hélène Jacquemin d’IN’VD, que j’ai eu l’honneur d’interroger dans mon podcast l’Octet Vert S3E07. Et pour ceux qui se demandent ce que VELI veut dire, c’est VÉhicule Léger Intermédiaire ;
- C’est très vieux (2019 !) mais toujorus très bon : Pourquoi la pluie est une mauvaise excuse pour ne pas se mettre au vélotaf. Dans mon cas, avec un trajet de 25 mn, je suis mouillé 24 fois par an à Paris. Mais comme en plus j’ai la chance de pouvoir décaler mes trajets la plupart du temps, c’est en fait beaucoup moins. Pour cela, j’utilise une application qui m’indique quand il va pleuvoir dans l’heure. Dans mon cas, c’est RainToday sur iPhone, mais l’appli MétéoFrance propose le même service.
À propos de souveraineté / autonomie stratégique
- Mon employeur, OCTO Technology, publie un travail Hors-série : souveraineté numérique. Comprendre et pivoter pour assurer l’autonomie stratégique. Cela parle donc de ce sujets, de standards, d’Open Source, de logiciels Libres, de Communs Numériques. Et, l’un des deux auteurs est un certain Benjamin Bayart, que certains connaissent ici.
- L’appétit insoutenable de nos sociétés en métaux, et comment lui survivre, et comment les matériaux critiques sont un facteur de dépendance stratégique ;
Très en vrac
- Décret du 4 septembre 2025 portant nomination au Comité consultatif national d’éthique du numérique, avec des gens qui étaient déjà avec moi au comité préfiguratif (bravo à eux, Alexei, Célia, Raja, Serena…) et de nouvelles têtes ! Longue vie à ce comité.
- Je note ça, ça peut servir : si vous pensez posséder un tapuscrit qui nous intéresserait, n’hésitez pas à l’envoyer à l’adresse copiegauche à mailfence.com dans le format .odt, si jamais je venais à chercher un éditeur pour ma nouvelle Solarpunk !
- Écrire sans se vendre : manifeste pour l’invisibilité , trouvé via un excellent billet de Ploum, À la recherche de l’humanité perdue…. Ploum a cette immense qualité de faire des billets En Vrac qui ont la particularité d’être rédigés.
- Toujours via Ploum, un professeur norvégien de psychologie aurait (notez le conditionnel) découvert que le QI, qui n’a cessé d’augmenter depuis son invention, serait en train de régresser. Parmi les explications possibles, qui ne sont que des hypothèses, ce serait la perte de vitesse des livres. Pour qu’un essai soit imprimé par un éditeur, il faut avoir un truc à dire, le dire de façon construite et rationnelle, et c’est le rôle de l’éditeur de s’assurer qu’on fait du travail de qualité, de façon à ce qu’il se vende. Maintenant que TikTok, Insta et Youtube sont les premières façon de s’exprimer, les attributs du livre imprimé, sa sélection, son exigence, sont en perte de vitesse. Pas étonnant dans ce contexte, qu’on devienne collectivement plus cons. Bien sûr, tout cela est un peu tiré par les cheveux et donc à prendre avec des pincettes. Vivement que l’IA nous tire de là ! (non). Source : On the Reverse Flynn Effect.
- La pub, c’est mal, mais parfois - certes très rarement -, c’est bien. Comme cette pub pour l’équivalent allemand de la SNCF, qui compare le prix d’un billet de train à celui d’un billet d’avion pour voir à peu près la même chose. Deutsche Bahn, no need to fly ;
- Thierry Crouzet, à propos des réseaux sociaux et messageries financées par le capitalisme de surveillance : C’est le moyen de toucher tout le monde ;
- Sludge : de la dégradation volontaire du service client, par Hubert Guillaud. Ou comment le numérique est utilisé par les grandes marques quasi-monopolistiques pour ne pas répondre aux demandes des clients ;
- Transition écologique : son coût est «bien inférieur à celui de l’inaction», affirme la Cour des comptes. “Estimant les résultats de la France en la matière «insuffisants», les Sages de la rue Cambon exhortent le gouvernement à agir de manière «urgente» pour combler «les retards» et faire face à l’augmentation des coûts à prévoir.” ;
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- Exodus Privacy a besoin d’aide !
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- L’ami Bastien Guerry quitte la DINUM après 8 ans à activer le logiciel Libre au sein de l’État. Un immense merci pour son travail. Il part en direction de SoftwareHeritage.org, un superbe projet.
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- Un logiciel libre pour bloquer les appels indésirables, Saracroche ;
- L’acidification des océans dépasse un seuil critique, la septième ‘limite planétaire’ sur neuf est désormais franchie ;
Des nouvelles de Windows 10
- la Démarche NIRD : pour un numérique Inclusif, Responsable et Durable, dans le contexte de la fin de Windows 10, l’Education Nationale s’engage vers Linux pour réutiliser du matériel informatique rendu obsolète par la désastreuse décision de Microsoft d’envoyer à la casse des centaines de millions de PC. Un titre de Que Choisir annonce très justement “Un scandale environnemental signé Microsoft”.
- Une palanquée d’associations font une pétition très visible, intitulée Non à la taxe Windows. Pris de panique, Microsoft annonce un sursis pour les utilisateurs européens, avec un an de mises à jour gratuites qui ne résout rien. Peut être un peu de temps gagné pour passer à Linux plus sereinement ?
Des nouvelles d’EROOM
- Pourquoi et comment rendre le numérique et l’IA moins polluants ?, une version d’EROOM pour les jeunes. J’adore !
- Il ne cite pas EROOM, mais raconte bien la loi de Moore et la loi de Wirth, c’est le numéro 19 de Limites Numériques ;
- Échange au coin du feu au Clever Cloud Fest, où je discute avec mon vieux complice Jb Piacentino de l’évolution du numérique ces 45 dernières années.
- Interview de Tristan Nitot : faire tourner le numérique de demain sur le matériel d’hier, une qualité nécessaire, où je parle d’EROOM sous l’angle de la qualité.
Publié le 30.09.2025 à 06:00
Vélorutopia, chapitre 11 : À cheval !
Le lendemain fut encore marqué par les courbatures. Bob avait dit vrai, ça n’était pas des vacances, mais c’était enthousiasmant. Batarès apprenait plein de choses, se sentait utile, vivait avec des gens ayant une vie simple et des relations saines. Que tout cela semblait loin des intrigues de bureau dans un grand groupe automobile !
Bob avait décrété que la journée serait consacrée au labour. Aussi, après le petit déjeuner, ils allèrent dans un champ proche de la ferme, où Djamel avait déjà mené un cheval de trait et une charrue. Il allait faire équipe avec Djamel pour la journée dans ce champ de petite taille et entouré de haies, certaines plantées récemment. Au début, Bob et Djamel lui montrèrent comment faire, l’un qui guide le cheval, l’autre qui tient la charrue. Au bout d’un moment, ce fut au tour de Batarès de tenir les rênes, assisté de Djamel, Bob tenant la charrue.
— Reste bien droit, merde ! lança Bob
— Oulah, c’est bien moins facile que ça n’en a l’air, s’excusa Batarès. Il n’étaient pas encore arrivés au bout du champ que Charlie transpirait déjà à grosses gouttes.
— T’es trop tendu, Charlie, remarqua Djamel. Tu vas jamais tenir la journée si tu t’y prends comme ça.
— Bah oui, mais en même temps, faut aller bien droit !
— T’en fais pas, on a tous commencé un jour. Tu vas y arriver.
Au bout d’un moment, les choses semblaient bien en main, et Bob retourna à la ferme, les laissant œuvrer avec le cheval de trait.
Ce champ, qui lui avait semblé tout petit quand il était arrivé, lui semblait dorénavant juste de la bonne taille, compte tenu de l’effort demandé pour le labourer. Faire attention d’aller tout droit n’était pas facile, mais les demi-tours avec le cheval et la charrue n’étaient pas simples non plus.
Pour briser la monotonie de l’effort, Charlie reprit la conversation avec Djamel.
— Quand même, si on avait un tracteur électrique…
— Ça n’est pas juste une question de gaz à effet de serre et donc de changement climatique, tu sais. Avec un cheval, le labour est moins profond qu’avant, puisqu’on n’a pas autant de puissance qu’avec un moteur, et le sol n’est plus tassé par le poids du tracteur, donc c’est bien meilleur pour la santé des sols.
Désignant le tour du champ, Charlie demanda :
— Dis Djamel, elles m’ont l’air récentes, ces haies, non ?
— Oui, on en replante autant que possible. Cela renforce la biodiversité, les oiseaux les adorent, et la vie reprend, il y a plus d’insectes, plus de vers de terre, la terre est plus fertile, les rendements remontent.
— Mais avant, on arrachait les haies, non ?
— Oui, il paraît, mais c’était pour les tracteurs. On voulait des champs très grands, pour limiter les manœuvres avec des tracteurs et d’autres grosses machines. À cette époque-là, ils n’ont pas réalisé qu’ils détruisaient la vie, que leur approche était néfaste. Les rendements augmentaient avant de diminuer pour ne plus remonter. Heureusement, la fin de la mécanisation, la faute à l’absence de carburant, a fait qu’on est revenu à des pratiques plus durables, avec les chevaux. On plante même des arbres dans les haies, on appelle ça l’agro-foresterie. On expérimente, on ressort des vieilles méthodes qu’on a retrouvées dans les livres, et on améliore tout ça, on partage ça sur des forums dans un Wiki, dans un MOOC pour que les jeunes apprennent. À la ferme d’à côté, ils ont même fait eux-même un genre de tracteur super léger avec un pédalier de vélo et une assistance électrique, sur la base de plans faits par l’Atelier Paysan. Tout le métal provenait de voitures désossées, bien sûr…
— Des voitures désossées ? interrogea Batarès avec un voile d’angoisse dans les yeux…
Ils se retrouvèrent tous pour le déjeuner, Batarès était fatigué mais très fier de sa matinée.
— Je n’ai pas réalisé mon rêve d’enfant de conduire un gros tracteur, mais j’ai appris à mener un cheval, un gros même, et je crois que j’en suis tout aussi fier !
— En plus, là où le tracteur émettait des tonnes de CO2, le cheval produit plutôt des engrais bien utiles pour le maraîchage !
Fatima, une des travailleuses de la ferme, avait confectionné un genre de couronne avec des feuilles qu’elle vint poser sur la tête de Batarès.
— Mais en quel honneur ? demanda-t-il.
— Tu es le roi du cheval, car tu viens d’apprendre à le guider. C’est une tradition qu’on a ici, pour les nouveaux. Nous avons tous été roi ou reine du cheval un jour, autour de cette table, et c’est toi le dernier en date !
Tous levèrent leur verre à la santé de sa majesté Charlie, qui rougissait de plaisir. L’après-midi serait consacré au maraîchage, car moins physique que le labour. Un message d’Alpha lui apprit qu’elle viendrait le chercher le lendemain matin. Ils décidèrent donc de faire un dîner de fête pour son départ.
Pour l’occasion, Charlie dut faire un petit discours, où il remercia chacun pour ce séjour qui fut si particulier pour lui. La chaleur humaine, l’entraide, comme quoi on peut apprendre à tout âge, la reprise de contact avec la nature, toutes ces choses dont il avait été trop longtemps déconnecté. Il esquiva la raison de sa déconnexion, bien sûr, et ses nouveaux amis sentirent qu’il valait mieux éviter les questions gênantes. Charlie fut très ému.
Le lendemain, alors qu’il partait vers Paris avec Alpha, tous leur firent une haie d’honneur, tandis qu’ils s’éloignaient en direction de la grande ville.
— Quand même, ils sont tous super sympas, bienveillants, chaleureux, ces gens de la ferme… C’était pas comme ça chez Penault !
— C’est le genre de chose qui arrive dans une organisation quand vous remplacez la compétition par la coopération…
Ensuite : Chapitre 12 : La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs
Table des matières
- Chapitre premier : Paris, 2051
- Chapitre 2 : La rencontre
- Chapitre 3 : En selle !
- Chapitre 4 : Électrique
- Chapitre 5 : Chouette, un nouveau téléphone !
- Chapitre 6 : Clamart, 2015
- Chapitre 7 : Allez-y sans nous dans votre dystopie de merde
- Chapitre 8 : Ma petite entreprise
- Chapitre 9 : La ferme
- Chapitre 10 : À bicyclette
- Chapitre 11 : À cheval
- Chapitre 12 : La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs
- Chapitre 13 : On dirait le Sud
- Chapitre 14 : ¿Por qué te vas?
- Chapitre 15 : Épilogue
- Remerciements et colophon
Ce document est sous licence CC-BY-SA Tristan Nitot
Publié le 29.09.2025 à 06:00
Vélorutopia, chapitre 10 : À bicyclette !
Le lever fut compliqué pour Charly, surtout qu’il fut réveillé tôt par Bob qu’il devait accompagner au marché pour vendre la récolte de la veille. La bouche pâteuse, des courbatures partout, Charly suivait Bob sur son triporteur tant bien que mal, car le véhicule était lourdement chargé, lui aussi. La tentation de mettre l’assistance de l’engin sur Turbo était forte, mais la perspective de se retrouver avec trop peu de batterie au retour l’en dissuadait. Ils se dirigeaient vers Versailles, qui était le grand marché régional. Sur place, dans un ancien garage automobile désaffecté était remisé de quoi monter l’étal de la ferme où furent disposés les fruits et légumes. Charly, malgré une migraine tenace, fit bonne figure pour les vendre avec l’aide de Bob. Les gens venaient avec leurs sacs en coton recousus de partout, pour les remplir de légumes après leur pesée sur une balance Roberval qui semblait avoir l’âge du château de Versailles tout proche. Bob envoya Charly faire différentes courses pendant qu’il tenait l’étal.
— Tu vois, derrière le marchand de fromage ? Il y a le coutelier-rémouleur. Prends ce sac avec les couteaux et demande-lui de tout aiguiser et vois ce qu’il peut faire pour ce manche qui est fendu.
Charly revint quelques minutes plus tard :
— Il faudra venir les chercher un peu avant l’heure de la fermeture du marché. Au fait, mon triporteur faisait un drôle de bruit sur la fin du trajet, tu ne voudrais pas jeter un œil ?
Bob s’approcha, fit le tour, s’accroupit dans l’axe de la roue avant gauche avant de soulever légèrement le véhicule pour faire tourner la roue en question.
— Oh oui, t’as pas tapé dans un nid de poule, par hasard ? Parce que là, elle est bien voilée. Aide-moi à remballer l’étal maintenant qu’il est vide, on ira voir quelqu’un qui peut nous aider.
Une fois le matériel rangé, ils gagnèrent avec leurs triporteurs la “rue des vélos” où se trouvaient plusieurs boutiques de vélos d’occasion, de pièces détachées, et autres ateliers. Ils se dirigèrent vers la Maison du Vélo. Charly interpella Bob :
— Euh, t’es sûr que c’est là que tu veux aller ? C’est quand même la boutique la moins tentante de toute la rue, là ! On dirait un dépotoir, avec ces caisses de pièces sur les étagères qui montent jusqu’au plafond… Et leur matériel, t’as vu, c’est vieux !
— C’est normal, c’est pas une boutique, c’est un atelier d’auto-réparation ! Ça sera moi le mécano !
— Mais t’es fermier !
— Il faut savoir tout faire dans une ferme, alors c’est ici que je me forme. Je paye une cotisation, j’ai accès à des pièces de seconde main et des gens qui peuvent m’aider, souvent d’anciens mécanos à la retraite. Les meilleurs, ce sont eux qui ont formé tous les mécaniciens de la rue !
Ils s’installèrent, déposèrent la roue abîmée et entreprirent de la dévoiler avec les outils qui étaient mis à leur disposition. Un vieux monsieur avec les vêtements couverts de cambouis tournait entre les différents établis pour aider ceux qui en avaient besoin. Il leur lança :
— Si c’est pour transporter des lourdes charges de façon régulière, vous auriez intérêt à passer à des roues à 36 rayons plutôt que 32 !
Charly engagea la conversation avec lui.
— Mais…vous ne seriez pas mieux chez vous plutôt que de venir ici, à votre âge ?
— Je suis bien retraité, mais ça ne veut pas dire que je suis inutile ! répliqua le vieux avec amusement. Tout seul, chez moi, je crois bien que je m’ennuierais. Je préfère venir ici, aider les gens à devenir autonomes dans la réparation, surtout que le vélo est devenu plus utile et plus important que jamais dans la société.
— Oui en effet. Vous faites toujours du vélo, vous-même ?
— Oh que oui ! Dans le métier, on a un dicton : “c’est pas parce qu’on devient vieux qu’on arrête le vélo, c’est parce qu’on arrête le vélo qu’on devient vieux !”. Alors moi, je veux rouler tous les jours… À chaque fois que je monte sur un vélo, peut-être un jour un tricycle, je retrouve mon âme d’enfant. Je chantonne cette chanson du siècle dernier, vous savez, “Quand on partait de bon matin / Quand on partait sur les chemins / À bicyclette-eu…”.
— Mais vous venez de loin ?
— Oh non, à mon âge, c’est plus possible. Quand j’étais jeune, j’étais mécano dans le 11e arrondissement, et j’habitais à Villeneuve Saint-Georges. 17 km que je faisais le matin, et autant le soir. Ah j’avais la niaque à l’époque ! Aujourd’hui, quand je fais 5 km dans la journée, je suis tout fier… Heureusement qu’il y a eu le grand échange immobilier au début des années 2030, ça m’a bien arrangé, ça.
— Le quoi ?
Batarès se reprit, il ne fallait pas révéler à quel point il était ignare de ce qui semblait être un événement d’importance.
— Euh, j’ai un peu oublié comment ça s’est passé tout ça. Vous pourriez me rappeler ce que c’était ?
— M’enfin, on peut pas oublier un truc pareil ! C’était quand les résidences secondaires ont été confisquées et redistribuées. Les plus grandes étaient transformées en colocations, et il y a eu sur Internet un genre de grande bourse d’échange de maisons et d’appartements. Comme ça, les gens qui habitaient loin de leur travail ont pu se rapprocher à moins de 5 ou 10 km, ce qui pouvait se faire à vélo, vu que les voitures, enfin vous savez…
— Oh oui, je ne le sais que trop dit Batarès en secouant la tête.
— Eh bien à cette époque, c’était le moment pour moi de partir en retraite, et l’association Maison du Vélo ici à Versailles recherchait quelqu’un comme moi. Du coup, j’ai quitté mon Villeneuve pour vivre ici, comme un roi ! Faut dire qu’on s’est retrouvé en colocation avec des gens de tous les âges, ça m’a filé un sacré coup de jeune !
— Avec des enfants ? C’est pas trop fatigant, trop bruyant ?
— Oh non, on se rend service, entre colocs. Je garde les enfants des jeunes parents, j’aide un peu pour les devoirs mais j’ai pas trop d’orthographe, alors c’est plus pour les maths. Je fais un peu la cuisine, on s’échange plein de services avec les autres colocs. Par exemple, j’ai eu beau apprendre, je suis très mauvais en couture. Je pensais que j’étais bricoleur mais c’est quand même très différent du vélo ! Je n’ai pas plus de chance avec le tricot mais mon voisin s’y est bien mis, comme quoi… On a un coloc’ qui est menuisier, alors c’est bien pratique aussi. On a refait toute l’isolation de la maison tous ensemble, c’était une passoire thermique. On en a charrié, de la paille pour l’isolation, sur les vélos cargos, et des planches, aussi ! J’avais soudé deux remorques sur la base de cadres de vélos, on s’en sert encore ! Et puis on a fait un grand potager façon permaculture dans le jardin et transformé la piscine en mare aux canards.
Bob avait terminé le dévoilage de la roue et l’avait remontée sur le triporteur. Ils dirent au revoir à au patron de l’atelier, passèrent chercher les couteaux affûtés sur le marché.
— Bob, ça t’ennuie pas si on s’arrête pour acheter des vêtements ?
— On a tout ce qui te faut à la ferme comme habits pour les champs !
— Oui, mais il commence à faire un peu frais le soir, donc si j’achète un truc un peu plus chaud je pourrais repartir avec.
— Alors prends la prochaine à gauche, vers la rue aux vêtements.
On y trouvait énormément de magasins de vêtements avec des vitrines chatoyantes. Ils s’arrêtèrent devant une boutique pour hommes qui affichait fièrement sur la vitrine “Au beau Versaillais — vêtements en bon état”, ce qui interrogea Batarès. Mais Bob était déjà rentré, Charly lui emboîta le pas après avoir repéré un genre de veste en vitrine.
Une vendeuse les salua :
— Bonjour Messieurs, je peux vous aider ?
— C’est pour mon ami, dit Bob en désignant Charly.
— J’ai vu cette superbe veste dans la vitrine, vous auriez ma taille ?
La vendeuse parut embarrassée et tenta de faire bonne figure.
— C’est-à-dire qu’ici, nous n’avons pas deux vêtements identiques, enfin, c’est rare. Mais vous trouverez les vêtements disponibles dans votre taille un peu plus loin sur la gauche.
Charly se dirigea vers les portants désignés par la vendeuse pour chercher une veste qui pourrait lui convenir. Il en sortit trois qu’il essaya dans les rayons. Toutes les trois portaient des pièces aux coudes.
— Vous n’en n’auriez pas sans ces coudières ?
La vendeuse sourit.
— Ah non, ça ne se fait plus du tout, vous savez, les vestes sans coudière ! C’est là que le vêtement s’use le plus vite, alors on en a mis sur tous les vêtements, même sur ceux qui n’avaient pas encore de trous. Et même, une veste sans coudière, ça fait beaucoup trop 1%, les gens vous regarderaient de travers dans la rue, un peu comme si vous n’aviez pas de coque sur votre terminal : ça fait capitalo irresponsable !
— Je comprends… Je vais prendre celle-ci, s’il vous plaît.
Il régla et sortirent.
— Avec ça, j’aurais bien chaud le soir ! Oh, mais la vitrine en face a l’air vraiment bigarrée !
Ladite boutique arborait fièrement “Allons Z’enfants — Beaux vêtementZ”.
— En plus, ils ont un sens particulier de l’orthographe…
— C’est une boutique Z, c’est pour ça…
— Mais Z’encore, plaisanta Charly.
— Bah les Z, quoi, les zélés !
— …
— Mais vous n’êtes jamais sorti de chez vous, ma parole ! Les Z, ce sont les Zélés, mais on les appelle juste Z. Ce sont les gens qui sont férus de vieux vêtements, qui cherchent la pièce unique, qui leur donne une apparence qui sort de l’ordinaire. Alors comme ils ne veulent pas ressembler à des 1% qui porteraient des vêtements neufs et qui gaspilleraient, ils ont pris le truc à l’envers. Plus le vêtement est vieux, mieux c’est pour eux. L’empiècement est précisément choisi, cousu de manière créative, avec des couleurs qui vont bien ensemble, parfois un peu voyantes.
— Des amoureux de la mode, alors ?
— C’est plus un mot qu’on utilise de nos jours, mais j’imagine que c’est ça. Il faut que ça soit à la fois vieux mais clinquant.
— Ah oui, je comprends, dit Charly.
— Moi pas. Franchement, ce qui compte pour moi, c’est que ça soit fonctionnel.
— C’est pour ça que vous n’êtes pas Z, j’imagine.
— Sûrement !
Ils remontèrent sur leurs triporteurs et allèrent les charger avec de l’engrais issu des composteurs de la ville et qui sera précieux pour les plantations.
De retour à la ferme, le soir venu, Batarès se garda bien de boire du vin et de fumer la cigarette thérapeutique de peur de passer une nouvelle nuit agitée. Il alla se coucher tôt après avoir mis les déchets du repas dans le composteur de la ferme.
Il profita du calme de son lit pour consulter Wikipédia et parfaire sa compréhension du monde. Après une recherche, il trouva cet article :
Melon Fusk (prononcé en anglais : /mˈiːlɒn ˈfʌsk/), né le 28 juin 1971 à Pretoria (Afrique du Sud) et mort près de Santa Fe (Nouveau Mexique) le 14 juillet 2026, était un entrepreneur, homme d’affaires international, chef d’entreprise, homme politique et milliardaire sud-africain, canadien et américain. Avec une fortune personnelle estimée à 407,5 milliards de dollars le 18 juillet 2025, il était considéré comme la personne la plus riche du monde avant le grand Affaissement.
Charly fit défiler la page avant de trouver l’information qu’il cherchait :
Circonstances de la mort : Melon Fusk est mort dans des circonstances dramatiques au volant d’une Tesla. L’enquête a révélé qu’une erreur du pilotage automatique l’a emmené sur un chemin impraticable pour le véhicule. Les batteries vides n’ont pas permis à son propriétaire d’ouvrir la portière pour en sortir, il est donc mort de soif enfermé dans sa voiture, comme l’attestent les griffures sur la garniture de la porte. Le journal Libération titra à l’occasion “Tesla m’a tuer”.
Charly décida d’arrêter là sa lecture. Il parcourut ses messages et vit qu’il aurait encore quelques jours avant qu’Alpha ne vienne le chercher.
Ensuite : Chapitre 11 : À cheval
Table des matières
- Chapitre premier : Paris, 2051
- Chapitre 2 : La rencontre
- Chapitre 3 : En selle !
- Chapitre 4 : Électrique
- Chapitre 5 : Chouette, un nouveau téléphone !
- Chapitre 6 : Clamart, 2015
- Chapitre 7 : Allez-y sans nous dans votre dystopie de merde
- Chapitre 8 : Ma petite entreprise
- Chapitre 9 : La ferme
- Chapitre 10 : À bicyclette
- Chapitre 11 : À cheval
- Chapitre 12 : La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs
- Chapitre 13 : On dirait le Sud
- Chapitre 14 : ¿Por qué te vas?
- Chapitre 15 : Épilogue
- Remerciements et colophon
Ce document est sous licence CC-BY-SA Tristan Nitot
Publié le 28.09.2025 à 06:00
Vélorutopia, chapitre 9 : La ferme
— C’est bon, j’ai vu avec la colonelle Tricot, ça va pouvoir se faire. Par contre, elle m’a demandé une mission express, aussi vous allez partir trois jours au vert, du côté de Versailles. Nous irons à vélo, votre triporteur vous sera utile sur place. Prenez vos affaires, nous partons dans une heure !
— Mais je vais y faire quoi ?
— De l’agriculture !
— Chouette, moi qui ai toujours eu envie de conduire un tracteur !
— …
— Bah quoi ? On a plus le droit d’avoir des rêves d’enfant ?
— Réfléchissez, Charly…
— Ah oui… sans essence, ça va être compliqué, c’est ça ?
— Voilà.
Après un voyage sans encombre, ils arrivèrent dans une grande bâtisse aux allures de ferme du XIXe S. Alpha et Charly étaient visiblement attendus. Un jeune homme avec un bleu de travail largement rapiécé vint vers eux.
— Vous êtes Alpha ?
— Oui, avec votre nouveau pensionnaire Charly.
— Enchanté, moi c’est Bob, ça vous ennuie si on se tutoie ? Tout le monde le fait, ici.
Les deux arrivants opinèrent du chef.
— Charly, tu vas dormir là, dans la grange. Ne fais pas cette tête-là, il y a une chambre avec un lit. Les draps sont propres.
— Encore une chance, siffla Charly. C’est pas trop l’idée que je me faisais des vacances, pour tout vous dire !
— C’est normal, c’en n’est pas ! Tu trouveras des bottes dans à peu près toutes les tailles en bas de l’escalier, prends celles qui te vont, Si tu n’as pas de bleu de travail, prends-en un avant de monter l’escalier et enfile-le, je t’attends. Assure-toi qu’il est propre !
Alpha intervint :
— Bon, je vois que tout est en ordre, si vous n’avez plus besoin de moi, je dois filer. Charly, vous êtes entre de bonnes mains. Bob, c’est OK pour toi ?
— Parfait ! Il paraît qu’il faut lui faire faire de l’exercice, m’a dit la Colonelle ? Il en aura !
Alpha enfourcha sa monture et fila pendant que Charly grommelait. Il redescendit quelques minutes plus tard, avec un look improbable, mal à l’aise dans des vêtements de fermier rapiécés :
— Moi qui me rêvais au volant d’un tracteur rouge flambant neuf, me voilà à enfiler un bleu qui a un fort kilométrage !
— T’en fais pas, Charly, une fois crotté, on verra plus qu’il est vieux, juste qu’il est sale ! Allez viens, on va bosser, assez perdu de temps en bavardage !
Ils contournèrent la bâtisse et se dirigèrent vers un groupe déjà à l’œuvre sur un terrain qui avait l’air à mi-chemin entre la friche et le potager.
— Mais vous ne travaillez pas dans les champs ?
— Ici, on fait surtout de la permaculture, on associe différentes plantes qui se complètent et fonctionnent ensemble pour former un système. En fait, c’est complètement différent de ce qui se faisait avant et de ce que vous avez dû apprendre à l’école. Jusqu’au début des années 20, c’était surtout de l’agriculture intensive, avec des machines à moteur thermique, on labourait, on faisait un seul type de culture sur une très grande surface, on mettait des intrants…
— Des intrants ?
— oui, des produits chimiques, des engrais, des pesticides. Il fallait beaucoup d’énergie pour les produire, les transporter jusque dans les fermes, et ensuite les épandre. Et puis on a bien vu les dégâts sur la biodiversité : ça tuait les abeilles, polluait les champs, menaçait la nappe phréatique et à terme l’eau potable, avant de toucher les rivières et la mer. Bref, ça donnait de gros progrès sur les rendements au début, mais ensuite le sol s’épuisait, les rendements et la biodiversité s’effondraient. De toute façon, avec le Grand Affaissement, il a fallu changer de méthode, vu que les intrants devenaient de plus en plus rares et chers, les coûts de production et de transports augmentant. C’est là qu’on a remis au goût du jour la permaculture, une pratique qui avait déjà 50 ans à l’époque : faire travailler ensemble des espèces complémentaires qui se renforcent et se protègent mutuellement des nuisibles. Après quelques années pas faciles, le temps que les sols se renforcent et qu’on peaufine les méthodes, qu’on forme les gens, les rendements sont devenus excellents.
— Mais quand même, je vois qu’on est nombreux à travailler ici.
— Oui, ça aussi, ça a été un gros changement. Plus de machines agricoles du tout, devenues de plus en plus difficiles à opérer à cause du manque de carburant, mais les nouvelles méthodes demandaient plus de main-d’œuvre. C’est les gamins de Trappes qui ont été ravis ! Au lieu de traîner dans la cité, sans y voir d’avenir, ils sont venus ici d’un coup de vélo et ont appris un métier… Djamel ! appela-t-il.
Un homme d’une bonne trentaine d’années s’approcha.
— Oui, Bob ?
— Je te présente Charly, il est nouveau ici. Tu te souviens l’autre soir, quand on fêtait tes 25 ans à la ferme, tu nous avais parlé de ton premier été ici. Je suis sûr que ça intéresserait Charly. Il vient de la ville, alors forcément…
— Bonjour Charly, enchanté ! Je leur racontais que quand je suis venu ici pour la première fois, je n’y connaissais pas grand-chose, je découvrais tout… On m’a montré comment faire des semis de courgette, au printemps, et puis je suis revenu les planter en pleine terre en mai. C’était incroyable de voir notre travail produire quelque chose. Mais le mieux, c’est quand on a commencé à récolter en juillet août, et que j’ai pu en rapporter à Trappes. J’en avais plein les sacoches, on faisait des gratins de courgettes dans toute la cage d’escalier, avec tous les voisins et tout ! Moi qui n’avais pas de bons résultats à l’école, j’étais devenu un héros. Je crois que ma mère n’avait jamais été aussi fière de moi.
— Alors vous avez tout laissé tombé et vous êtes venu ici travailler la terre ? demanda Batarès.
— Non. Par contre, j’y passais toutes mes vacances scolaires et puis j’ai compris que l’école pouvait m’aider à devenir meilleur sur ce sujet. J’ai commencé à avoir des meilleures notes et j’ai fait un diplôme en alternance. Bob, il dit que j’ai la main verte et je crois qu’il a raison. En fait, c’est quand j’ai commencé à documenter ce que j’apprenais à la ferme dans un Wiki agricole qui s’appelle Nadine (Nouvelle Agriculture Distribuée je ne sais plus quoi). C’est un peu comme un MOOC, où les gens peuvent apprendre comment réussir les travaux agricoles. Je me suis fait plein de copains comme ça, partout en France, comme une communauté, mais virtuelle. On prenait des photos avec les terminaux des plants qu’on faisait, on discutait pour échanger des astuces, les trucs qui marchaient, ceux qui ne marchaient pas. Toute une génération a grandi comme ça en apprenant un métier et en le partageant avec d’autres.
— Mais c’était ce que vous vouliez faire dans la vie ?
— Oh non, je voulais être footballeur mais les plus célèbres étaient des 1 %. Alors quand je suis devenu un héros dans la cage d’escalier de mon immeuble avec mes légumes et que ma mère m’a regardé comme un trésor, j’ai su que c’était fermier que je voulais être. Surtout que 1%, c’était pas trop un métier d’avenir, vu le contexte de l’époque… Il se mit à rire.
— Bon, on s’y colle ? demanda Bob.
— Charly, tu viens avec nous ? Charly acquiesça. Justement, on a de la courgette à récolter. Va chercher ton triporteur, on va le charger !
Le triporteur de Charly était plein à ras-bord de courgettes mais aussi des premières récoltes de brocolis, d’épinards et de poireaux. Ils remisèrent le véhicule dans la grange jusqu’au lendemain.
Le soleil commençait à baisser, chacun prit une douche bien méritée avant de se retrouver pour le dîner au réfectoire. Tout le monde mettait la main à la pâte pour le dîner et Charly, guère doué en cuisine, parce qu’il avait toujours trouvé à déléguer ces tâches quand il était patron, se retrouva à mettre le couvert pendant que les autres cuisinaient. Il dû aussi éplucher des légumes. Au moins, ce faisant, il était assis, ce qui était bienvenu après une journée très intense.
Le dîner fut festif mais simple, les convives de toutes origines semblaient partager la même joie de vivre une vie simple et, malgré une bonne fatigue physique, chacun ressentait le bonheur d’avoir eu une journée productive et bien remplie.
Le vin des vignes locales était très correct, comme quoi le changement climatique n’avait pas que des inconvénients et, sur la fin, Charly se retrouva à fumer un genre de “cigarette thérapeutique” qui sentait fort, pour faire un peu comme tout le monde. Bob et Djamel prirent ensuite chacun une guitare pour entonner Foule sentimentale avec tout le monde en chœur. Charly, emporté par les effets de la drôle de cigarette et du vin, avait la tête qui tournait et beuglait “Du ciel déva-a-a-leuh / Un désir qui nous emba-a-a-lleuh / Pour demain nos enfants pâles / Un mieux, un rêve, UN CHEVAAAL”, qu’il se mit à imiter dans une danse maladroite en éclatant de rire.
Bob et Djamel se regardèrent et comprirent qu’il était temps d’aller coucher Charly. Ils encadrèrent le vieux en glissant chacun sa tête sous un bras de Charly, qui voulut leur faire un câlin à trois, clamant son affection.
— Vous êtes mes vieux potes pour la viiiie, j’ai jamais eu de meilleurs amis que vous, mieux que tous mes amis du boulot, du golf et du MEDEF réunis. Vous êtes des gars carrés, alors qu’ils voulaient tous ma place, cette bande d’arriviiiiiistes ! Vous voulez pas ma place au moins ? leur dit-il en faisant les gros yeux avant d’éclater de rire…
Bob et Djamel se regardaient sans comprendre de quoi il voulait parler, sûrement des réminiscences de sa jeunesse et ignoraient tout ce à quoi le mot MEDEF pouvait faire référence. Gravir les marches de l’escalier menant à la chambre fut épique, à trois de front, mais Charly ne tarda pas à s’effondrer sur son lit, parfois secoué par des gloussements de rire.
Ensuite : Chapitre 10 : À bicyclette
Table des matières
- Chapitre premier : Paris, 2051
- Chapitre 2 : La rencontre
- Chapitre 3 : En selle !
- Chapitre 4 : Électrique
- Chapitre 5 : Chouette, un nouveau téléphone !
- Chapitre 6 : Clamart, 2015
- Chapitre 7 : Allez-y sans nous dans votre dystopie de merde
- Chapitre 8 : Ma petite entreprise
- Chapitre 9 : La ferme
- Chapitre 10 : À bicyclette
- Chapitre 11 : À cheval
- Chapitre 12 : La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs
- Chapitre 13 : On dirait le Sud
- Chapitre 14 : ¿Por qué te vas?
- Chapitre 15 : Épilogue
- Remerciements et colophon
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