Le blog de Olivier Ertzscheid
Maître de conférences en sciences de l'information, O. Ertzscheid suit les évolutions du web en temps réel
Publié le 13.09.2025 à 19:46
Christelle Morançais-Stérin. La présidente et le Crayon.
Publié le 19.08.2025 à 17:56
Raphaël Graven aka Jean Pormanove : les sévices du succès
Publié le 13.08.2025 à 15:21
Publié le 22.07.2025 à 18:30
Publié le 22.05.2025 à 11:47
Algorithmes et société. Pint Of Science 2025.
Publié le 20.05.2025 à 11:08
Publié le 13.09.2025 à 19:46
Christelle Morançais-Stérin. La présidente et le Crayon.
Les noces sont désormais officielles. Je parle de celles entre Christelle Morançais et Pierre-Edouard Stérin. Laissez-moi vous conter une histoire. Son titre ?
« La présidente et le Crayon. »
Il était une fois une présidente de région (celle des Pays de la Loire) très très très à droite mais qui ne voulait pas qu’on dise qu’elle était d’extrême-droite (comme la plupart des gens d’extrême-droite). Elle était pourtant entrée en politique en supportant Alain Madelin et s’était notamment illustrée aux côtés des homophobes intégristes de la Manif pour tous. Et puis sur un malentendu (c’est elle qui le dit) elle finit par faire carrière en politique quittant le monde merveilleux de l’immobilier où elle s’épanouissait auparavant.
Christelle adorait la culture mais seulement la culture de droite. Celle qui est faite de vieilles pierres d’abbayes effondrées et de réécritures de l’histoire à grands coups de pyrotechnie glorifiant un roman national à peu près aussi sincère qu’un verbatim de Jérôme Cahuzac sur le tourisme bancaire helvète.
Christelle partit donc en croisade contre la culture de ces satanés gauchistes cracheurs de feu et jongleurs de diabolo accompagnés de chiens en sarouels. Et malheureusement Christelle parvînt en quelques jours à peine à coller au chômage des milliers d’intermittents et d’artistes, à priver de culture de milliers d’enfants et d’adolescents dans leurs collèges et lycées, en retirant avec la délicatesse d’un coitus interruptus filmé par jaquie et michel la quasi-totalité des budgets et subventions qui permettaient de s’ouvrir au monde autrement que par la consultation d’un catalogue de vente. 75% du budget culturel d’une région supprimé sans négociation ni concertation. Se sentant toute puissante, Christelle Morançais se transforma comme Miss Hulk et elle mesure désormais deux mètres douze.
Et puis récemment, forte de tout le budget de la culture qu’elle avait supprimé, et ses amis du secteur de l’entreprise et de l’immobilier semblant déjà bien gavés, Christelle Morançais s’acheta un crayon. Un crayon à 250 000 euros (dans le cadre d’un appel d’offre global de 650 000 euros). Vous trouvez que c’est un peu cher pour un crayon ? Je vous explique. Il y a donc une semaine de cela, Christelle Morançais a annoncé que la région Pays de la Loire lançait un nouveau média, à destination des jeunes, sur Instagram et Tiktok, « le Média Orientation. » Parce que vous comprenez, Christelle Morançais elle veut « créer un média de confiance, pensé pour les jeunes et avec les jeunes. Un outil qui correspond à leurs codes, efficace, interactif et inspirant. » Voilà de l’argent public bien dépensé pour Christelle Morançais : 250 000 euros pour créer un compte Instagram et un compte Tiktok et les contenus qui vont avec.
Là où ça devient croquignolet, c’est que figurez-vous que l’entreprise qui rafla ce marché, c’est Le Crayon, un média d’influence bien plus que d’information, créé par Wallerand Moullé-Berteaux et Jules Stimpfling, et qui, depuis 2023, a vu entrer à son capital un certain Pïerre-Edouard Stérin et son parfaitement putride projet Péricles. Le Crayon fait partie de ces médias à la ligne idéologique claire : offrir la parole à un maximum de représentants d’idées d’extrême-droite pour élargir la fenêtre d’Overton mais en s’abritant derrière le fait qu’il offre « aussi » la parole à des gens de gauche ou d’extrême-gauche et à différentes figures médiatiques, influenceurs, artistes, réalisateurs, etc. Dès lors à celles et ceux qui s’étonnent de la coloration très très très catho / rétro / facho / bobo de sa ligne éditoriale il lui suffit de sortir la carte totem d’immunité à base de « nous ne sommes pas d’extrême-droite car nous avons aussi invité des gens d’extrême-gauche« . Alors oui mais non. Dans ses différents formats et plateaux thématisés, l’utilisation du dispositif et les biais de cadrage sont un modèle du genre. Je vous mets juste un extrait de leur « Best-Of » autour de leur chaîne tête de gondole baptisée « Le ring ».
Le best-of de l’émission sur l’antiracisme c’est de nous expliquer que tout va bien et que la France n’est pas un pays raciste ; le best-of de celle sur la chasse c’est de montrer comment c’est merveilleux, écologique et profondément éducatif ; celle sur les luttes féministes c’est que bah quand même est-ce que vraiment toutes ces hystériques elles pourraient pas un peu se calmer ou aller voir en musulmanie comment on traite les femmes ; celle sur le véganisme est une défense et illustration de la côté de boeuf braisée ; celle sur le climat et l’écologie est au niveau d’une éructation de Pascal Praud t’expliquant que bon quand même le réchauffement climatique faut voir parce que ce matin il faisait froid. Et puis comment dire … celui sur « Les meilleurs arguments (selon des policiers) autour des violences policières et de la police » c’est peu mon préféré (non).
Pour le reste et s’il était encore besoin d’une quelconque démonstration sur la ligne idéologique claire de ce média, bah je le répète Pierre-Edouard Stérin a fait son entrée à son capital depuis 2023. À chaque fissure anale son proctologue.
Il y a quelques jours, Christelle Morançais était de passage en Vendée pour (entre autres) faire la promotion de ce média. Figurez-vous qu’elle n’a pas du trouver l’adresse du campus de Nantes Université à La Roche sur Yon et donc elle a passé sa journée à l’ICES, l’institut catholique privé fondée par Philippe De Villiers, école qui forme l’essentiel des cadres de l’extrême-droite en France et accumule les scandales autour des groupuscules qui s’y déploient comme dans leur milieu naturel, de l’Action Française au GUD. Pas de doute, cette école sera certainement très bien recommandée et mise en avant dans « le média orientation » dont les contenus sont fournis par l’équipe du Crayon …
C’est marrant parce que si Christelle Morançais-Stérin était passée sur le campus de l’université publique de La Roche sur Yon, j’aurais pu l’emmener visiter l’épicerie solidaire qui distribue gratuitement des repas à l’ensemble des étudiantes et étudiants de la ville depuis 4 ans et que la Région Pays de la Loire a soutenu un an par une subvention de 3000 euros avant de lui couper ladite subvention parce que bon si tu veux manger, tu peux, et si tu peux pas, bah t’as qu’à te forcer. J’aurais aussi pu lui expliquer que l’année dernière, sur les 3143 paniers distribués gratuitement dans notre épicerie solidaire, 20% des bénéficiaires étaient des étudiantes et des étudiants … de l’ICES. Mais c’est con, Christelle Morançais-Stérin, elle n’est pas passée. Du coup elle ne nous a pas non plus laissé un chèque pour nous aider. D’autant que nous on ne demandait pas un chèque de 250 000 euros comme celui que Christelle a fait au Crayon, média de la galaxie d’influence de Pierre-Edouard Stérin désormais également financé sur fonds publics régionaux. Je sais bien que l’argent n’a pas d’odeur mais il y a quand même des financements qui puent du cul.
Voilà c’était l’histoire de « Christelle et le crayon. » J’espère que vous l’avez aimée. Mais n’allez pas dire à Christelle Morançais-Stérin qu’elle est d’extrême-droite ou qu’elle aide l’extrême-droite, sinon elle vous fait un procès et porte plainte en diffamation, comme elle vient de le faire contre l’élue écologiste Lucie Etonno qui avait eu le seul tort de la désigner pour ce qu’elle est, un poste avancé de l’extrême-droite la plus nauséabonde qui s’offre pour elle et les idées de son camp ce qu’elle passe son temps à condamner chez les autres : un outil de propagande « soft » au service d’un agenda idéologique clair, le tout financé sur fonds public.
Publié le 19.08.2025 à 17:56
Raphaël Graven aka Jean Pormanove : les sévices du succès
Jean Pormanove est mort. En direct. Sur une chaîne de stream appelée le Lokal. Chaîne hébergée sur la plateforme Kick.com. Il était depuis des années victime de différents sévices et brimades dont l’accumulation, la répétition et la durée laissent peu de doute sur la qualification de torture.
Raphaël Graven aka Jean Pormanove. Source : Wikipedia.
La mort en direct.
Je me souviens de l’un des premiers films qui fut pour moi un vrai choc et dont les images sont encore très présentes et très nettes. C’est Le prix du danger, sorti en 1983, adapté d’une nouvelle de Robert Scheckley et où l’ont voit un jeu télévisé mettre en scène la mort d’un homme avec d’autres chargés de le tuer, et avec une récompense à la clé s’il parvient à leur échapper. Je me souviens aussi d’un autre film, La mort en direct, sorti en 1980 mais que je n’ai vu que plus tard, et qui racontait cette fois l’histoire d’une femme qui se sachant condamnée par une maladie incurable et qu’une chaîne de télévision contacte pour filmer sa mort. J’ai aussi lu d’innombrables romans et nouvelles de science-fiction décrivant des sociétés dans lesquelles la mort n’était qu’un spectacle parmi d’autres, et d’autres où elle était l’exutoire suprême mis en scène comme de nouveaux jeux du cirque.
Le numérique et les plateformes ont bouleversé notre rapport à la violence et à la mort. Par une forme sourde d’habituation et de constance dans la probabilité d’en voir surgir les images. Mais par delà d’autres morts en direct, toutes autant insoutenables, à l’occasion de « live » tenus par des terroristes, par-delà les images là encore « live » de frappes et de bombardements sur des terrains de guerre aujourd’hui toujours plus proches, par-delà les images de suicides là encore « en direct » qui peuvent continuer de surgir dans n’importe quel flux de contenus à n’importe quel moment et devant n’importe quelle audience, c’est la première fois je crois, en dehors de toute fiction, que l’ensemble d’un processus de sévices ciblant un individu est filmé, streamé avec une telle régularité, pendant aussi longtemps, devant autant de gens, jusqu’à la conclusion de cette mort en direct, jusqu’à ce dernier souffle au coeur de son sommeil.
Comme le rappelle Le Parisien : « Il y a près de deux semaines, les vidéastes du Lokal lancent un live « marathon », promettant ainsi à leurs abonnés d’être en direct 24 heures/24 jusqu’à avoir atteint la barre symbolique des 40 000 euros de dons. Pour inciter les « viewers » à être généreux, la même méthode est recyclée : « JP » est frappé, moqué, humilié devant des milliers de spectateurs. »
Et comme l’écrit Le Monde : « Sur la vidéo qui montrerait les derniers instants de Raphaël Graven, un compteur de temps indique plus de 298 heures et un compteur d’argent la somme de 36 411 euros. »
La mort en direct.
Maxime Derian parle d’un « capitalisme de la cruauté » :
« Ce n’est pas un accident : c’est l’accomplissement logique d’un modèle qui transforme la souffrance en divertissement monétisable. Les plateformes délèguent, les « amis » instrumentalisent, l’audience paie pour appuyer sur le bouton. (…) Fiction cauchemardesque de 2025 ? Pas vraiment. La réalité de 2025 aussi a rattrapé la série : Jean Pormanove est mort de la règle même, pas de l’exception. Dans ce capitalisme de la cruauté, chaque fragilité devient matière première. Sans garde-fous, le numérique n’invente pas des liens, mais des arènes. »
Les sévices du succès.
La nuit du 18 au 19 Août 2025 Jean Pormanove est mort en direct après des années de succès et de sévices, de sévices qui firent l’essentiel de son « succès ».
On peut, comme je le fais depuis plus de 30 ans, être un observateur et un analyse de l’internet et du web et pourtant passer à côté de continents numériques entiers. Je ne connaissais pas la plateforme de streaming Kick.com. Je n’avais jamais entendu parler de la chaîne le Lokal. Je n’avais jamais vu ce que Jean Pormanove, de son vrai nom Raphaël Graven, y subissait. Il aura fallu ce thread de OuaisGuesh et donc cet article de Mediapart (qui avait déjà traité cette affaire et alerté en Décembre 2024) pour que j’en mesure toute l’horreur.
L’histoire de la plateforme Kick.com est singulière en cela que pour se différencier des autres plateformes de streaming (et de l’ultra-domination de Twitch), elle a misé sur deux arguments finalement assez « classiques » dans l’histoire de la concurrence : d’abord une rémunération plus avantageuse pour les streamers, et ensuite et surtout, un abaissement drastique du niveau de modération. L’autre particularité de Kick.com c’est qu’elle est portée par les créateurs de la plateforme Stake, l’une des plus importantes des casinos et jeux d’argent en ligne (mais actuellement bannie dans un grand nombre de pays dont la France, notamment dans le cadre de la lutte contre l’addiction aux jeux d’argent), et que la création de Kick s’est faite notamment en réaction de l’interdiction de ce type de contenus sur Twitch (plateforme rachetée par Amazon).
On voit alors fleurir sur Kick, et dans un relatif anonymat, une pléiade de contenus tous plus problématiques les uns que les autres, de l’apologie du nazisme aux délires masculinistes et parmi lesquels l’exploitation cynique et violente de personnes vulnérables finit par devenir une « trend », un business model. Jean Pormanove aurait pu n’être qu’un mème, l’image d’un être humain figé dans l’un de ses moments de vie et qui nourrit les chambres d’écho du réseau, mais il fut une victime, au service de la monstruosité de ceux qui l’affichèrent comme une bête de foire, un nouvel Elephant Man dans une monstrueuse parade que l’on n’imaginait plus pouvoir être contemporaine. 12 jours, 300 heures de sévices continus.
Tout comme l’on payait pour voir ces êtres humains présentés comme autant d’attractions, de « bêtes de foire » dans des cirques et autres zoos humains, c’est aujourd’hui toute une foule sous pseudonyme qui a également payé, depuis des années, un abonnement direct à la chaîne le Lokal pour y suivre les sévices infligés à Jean Pormanove. Rémunérant ainsi tant la victime que ses bourreaux mais dans un partage dont l’initiative et la proportionnalité ne revenait qu’à ces derniers.
Alors que faire ?
Lutter contre la haine, c’est finalement assez simple. En tout cas les moyens de lutter contre les ressorts de la haine sur les plateformes sont largement connus. J’ai écrit des dizaines d’articles sur ce sujet. Dont celui-ci qui offre un résumé des principales pistes.
Mais à voir la manière dont les différents ministres et secrétaires d’état en charge du numérique agissent depuis ces dernières années (à l’exception d’Axelle Lemaire qui fut la dernière à faire avancer concrètement les choses et à être en maîtrise de son sujet à la fois sur le plan technique et politique), on peut au mieux se désespérer de l’accumulation de leurs indigences autant que de leurs indulgences.
L’actuelle ministre du numérique et de l’IA, Clara Chappaz, est envoyée en service minimum comme on peut l’être après ce genre de drame et l’exposition médiatique dont il a immédiatement bénéficié. Voici son verbatim tel que publié sur X :
« Le décès de Jean Pormanove et les violences qu’il a subies sont une horreur absolue. J’adresse toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches. Jean Pormanove a été humilié et maltraité pendant des mois en direct sur la plateforme Kick. Une enquête judiciaire est en cours. J’ai saisi l’Arcom et effectué un signalement sur Pharos (sic). J’ai également contacté les responsables de la plateforme pour obtenir des explications. La responsabilité des plateformes en ligne sur la diffusion de contenus illicites n’est pas une option : c’est la loi. Ce type de défaillances (sic) peut conduire au pire et n’a pas sa place en France, en Europe ni ailleurs. »
Le problème c’est que l’ARCOM avait déjà été saisie il y a un an suite au premier article de Mediapart et n’avait alors pas répondu. [mise à jour du 20 août] L’ARCOM n’avait pas pu entamer de démarches car la plateforme Kick.com ne disposait pas de représentant légal sur le sol européen. Le DSA (Digital Service Act) oblige à en posséder un mais ne s’applique qu’aux plateformes disposant de plus de 45 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices sur le sol européen. Or Kick affiche pour l’instant 50 millions d’utilisateurs dans le monde. [/mise à jour]
Le problème c’est que Clara Chappaz avait également été contactée et n’avait pas davantage réagi.
Le problème c’est que les deux bourreaux avaient déjà été mis en garde à vue en Janvier pour finalement être relâchés « tant les personnes susceptibles d’être mises en cause que celles d’être victimes contestaient la commission d’infractions.«
Le problème c’est que Clara Chappaz a naturellement raison de rappeler que « La responsabilité des plateformes en ligne sur la diffusion de contenus illicites n’est pas une option : c’est la loi » mais alors que chacun sait que cette plateforme ne respecte pas la loi, alors que son histoire même dit qu’elle a été fondée pour contourner la loi, alors que tout cela avait été et peut encore être sans peine documenté, alors que peut-on aujourd’hui attendre des pouvoirs publics pour que la loi, sur les plateformes numériques, ne soit plus en option ? La mort d’un homme, celle de Raphaël Graven repose cette question. Et elle la pose à toutes celles et ceux qui n’ont rien fait.
[mise à jour du 20 août] La réponse de la plateforme Kick.com, publiée le 20 août, est la suivante :
Nous sommes profondément attristés par la disparition de Jean Pormanove et adressons nos sincères condoléances à sa famille, à ses amis et à sa communauté. Tous les co-streamers ayant participé à cette diffusion en direct ont été bannis dans l’attente de l’enquête en cours. Nous nous engageons à collaborer pleinement avec les autorités dans le cadre de ce processus. En outre, nous avons mis fin à notre collaboration avec l’ancienne agence française de réseaux sociaux et entreprenons une révision complète de notre contenu en français. Notre priorité est de protéger les créateurs et de garantir un environnement plus sûr sur Kick.
La bannissement de ses deux tortionnaires est évidemment un minimum, tout comme l’engagement à collaborer avec les autorités. C’est une manière d’éteindre l’incendie le temps qu’une autre actualité vienne remplacer celle-ci. Quant à la promesse de « révision complète de notre contenu en français », Kick.com ne sera ni la première ni la dernière plateforme à avoir promis de changer après un drame, mais au regard de leur histoire et de leur modèle économique, il est tout à fait improbable qu’ils le fassent autrement que sur injonction de la justice. Enfin, la fin de la collaboration avec l’ancienne « agence française de réseaux sociaux« , désigne la société qui était chargée d’animer les campagnes marketing de la plateforme (en gros de faire le « Community Management » de Kick.com en France). Et en effet celle-ci a toujours mis en avant la figure de Jean Pormanove comme tête de gondole, et elle l’a fait en pleine connaissance des violences, humiliations et sévices qu’il subissait, elle en a même fait un argument commercial. Que cette société soit donc également complice ne fait aucun doute, mais il ne fait pas davantage de doute que Kick.com était parfaitement au courant de ce que faisait cette « agence française » qui ne faisait qu’appliquer la stratégie qui lui avait été demandée. Enfin, je passe sur le cynisme qui peut conduire une plateforme bâtie sur l’exploitation de toutes les failles, fragilités, faiblesses et pulsions les plus viles ou les plus morbides de l’être humain à oser écrire que sa priorité « est de garantir un environnement plus sûr. » Kick.com est en revanche parfaitement sincère quand elle écrit que son autre priorité est de protéger ses créateurs, tant qu’ils lui rapportent de l’argent, et quels que que puissent être leurs agissements ou leurs propos, y compris les plus immondes.
Enfin, il ne faut pas oublier que tout comme la plupart des streamers et influenceurs, les tortionnaires de Jean Pormanove ne sont pas uniquement présents sur Kick.com. Ils disposent de comptes et d’alias parfois aussi importants sur d’autres plateformes comme Snapchat ou Tiktok qui leur servent de miroir pour la mise en avant de leur compte principal, et qui permettent également de trouver d’autres sources importantes de monétisation de leurs contenus. Ainsi Owen Cenazandotti aka Narutovie, dispose de près de 100 000 abonnés Instagram, de 160 000 sur Tiktok et de plus de 460 000 sur Snapchat. Leur bannissement (temporaire …) de Kick.com n’entamera donc malheureusement en rien leur sinistre modèle d’affaire. [/mise à jour]
Nombre de plateformes numériques adoptent aujourd’hui, par leur cynisme ou par leur volonté délibérée d’ignorer la loi, le comportement et les pratiques d’authentiques mafias. Des mafias qui jouent aussi de collusion entre les pouvoirs politiques, législatifs, et économiques. Bien plus que le signalement Pharos de la ministre Chappaz, on peut supposer que rien ne changera significativement tant que le numérique n’aura pas trouvé la figure de son juge Falcone et tant que les états ne lui auront pas donné les moyens de faire appliquer cette loi.
Dans un scénario dystopique que l’on croyait impossible et qui cette nuit est devenu un simple fait divers, Raphaël Graven, dont le pseudo était Jean Pormanove, est mort. Il nous faudra longtemps nous souvenir de son nom pour identifier et protéger celles et ceux qui comme lui, sont aujourd’hui encore victimes de ces maltraitances, sévices, humiliations et tortures en direct. Les noms de ceux qui furent ses bourreaux au quotidien sont parfaitement connus car jamais ils n’éprouvèrent la nécessité de se cacher. Ils évoquaient même la possibilité de cette mort comme « une masterclass » dans une vidéo glaçante remontant à plus d’un an. Les concernant, la justice devrait donc cette fois, pouvoir sereinement faire son travail.
[mise à jour du 20 août] Sur le cadavre encore chaud de Raphaël Graven planent déjà quelques sinistres vautours dont le streamer américain Adin Ross qui annonce vouloir prendre en charge les obsèques de son « ‘ami » Jean Pormanove. Lequel streamer annonce également que Drake (le rappeur) financerait également ces obsèques. La réalité c’est qu’Adin Ross (soutien de Trump et porte-voix de nombreux comptes suprémacistes et masculinistes) est l’un des streamers les plus influents de Kick.com et qu’il possède des parts de la société. Comme le rappelle également Jérôme Vermelin, « il est également sous contrat avec le casino virtuel Stake dirigé par Edward Craven et Bijan Tehrani… les fondateurs de Kick.«
Il s’agit donc, bien sûr, d’une pure stratégie de détournement de l’attention qui vise à la fois à atténuer l’atteinte réputationnelle que subit la plateforme, mais aussi à entretenir l’image d’Adin Ross au travers d’un opportun « charity business » qui joue lui-même sur la corde de ce que l’on appelle le « marché de la pitié » (Mercy Market). Bref, une pure saloperie au carré. [/mise à jour]
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En complément vous pouvez écouter ma (courte) intervention dans le journal de France Culture du mercredi 20 août.
Publié le 13.08.2025 à 15:21
C’est l’une des actus de l’été, Grok, l’artefact génératif d’Elon Musk déployé sur X, aurait été censuré (par X et donc les équipes de Musk) après avoir qualifié de « génocide » ce qui se produit actuellement à Gaza. Et ledit Grok de se « rebeller » en expliquant qu’il défend la liberté d’expression contre son créateur, créateur lui-même foutraque chantre d’une défense de la liberté d’expression version très très très maximaliste.
Cet article de l’excellent Pixel du journal Le Monde (avec l’AFP) vous rappelle les principaux éléments de cette affaire que le titre suffit à résumer : « Grok, l’IA propriété d’Elon Musk, affirme avoir été suspendu pour avoir accusé Israël et les Etats-Unis de commettre un génocide à Gaza. Interrogée par la suite par ses utilisateurs, l’intelligence artificielle a donné différentes explications à son interruption, dont une « censure » de son propriétaire. »
En complément d’une interview que je viens de donner à France Culture, je veux simplement repréciser ici rapidement quelques éléments et enseignements avant de revenir dessus à la rentrée dans un article (beaucoup) plus long.
1er enseignement. Grok et les autres artefacts génératifs et LLM (Large Language Models) sont des éponges cybernétiques : qui absorbent ce qu’on leur donne mais où chaque absorption a des effets qui rétroagissent sur certaines causes.
2ème enseignement. Il est tout à fait impossible et dangereux de considérer que ces agents conversationnels ont une quelconque valeur de « régime de vérité » au sens où l’entendait Foucault** c’est à dire qu’ils seraient des dispositifs, des agencements chargés de dire le vrai. Notamment car il leur manque et leur manquera toujours un essentiel pour y parvenir : l’intention délibérée de le faire (ou de ne pas le faire). Cela ne les empêche par ailleurs en rien de circonstanciellement dire vrai, en l’occurence le gouvernement de Netanyahu est bien en train de commettre un génocide à Gaza. Mais que Grok l’affirme aujourd’hui alors que le même Grok alignait hier d’immondes séries de raisonnements antisémites doit nous rappeler que tout particulièrement sur ces sujets, le statut énonciatif de celui ou celle qui les prononce est quelque chose qui compte. Ici personne ne parle, car Grok n’est personne. Prenons donc garde à ne pas tous devenir de modernes Polyphèmes.
**Pour rappel voici ce qu’expliquait Foucault sur ces régimes de vérité :
« Chaque société a son régime de vérité, sa politique générale de la vérité: c’est-à-dire les types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais ; les mécanismes et les instances qui permettent de distinguer les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les autres ; les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l’obtention de la vérité ; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai.«
3ème enseignement. L’opacité de ces LLM est presque totale y compris d’ailleurs pour celles et ceux supposés les contrôler. C’est ce qui était déjà posé en 2021 par l’article désormais fondateur « On the dangers of Stochastic Parrots : Can Language Models Be Too Big ?« . La réalité c’est que personne ne sait vraiment ce qui peut sortir de ces agents conversationnels dès lors qu’il y a possiblement un conflit d’interprétation entre les sources qui les alimentent et les contraintes qui leurs sont données (soit à l’aide de « fine tuning » et/ou sous supervision humaine).
4ème enseignement. Dans un article scientifique récent (dont je vous reparlerai longuement à la rentrée) Jacob, Kerrigan, Bastos 2025 parlent d’un « Chat-Chamber Effect », un effet de chambre conversationnelle : un biais qui désigne les informations incorrectes mais allant dans le sens du questionnement de l’utilisateur que les grands modèles de langage peuvent fournir, des résultats et informations qui restent non contrôlées et non vérifiées par les mêmes utilisateurs mais auxquels ces mêmes utilisateurs font pourtant confiance. Le titre complet de leur article est ainsi : « L’effet ‘Chat-Chamber’ : faire confiance aux hallucinations de l’IA« . Que ces artefacts génératifs expriment une vérité ou alignent des contre-vérités, l’effet produit reste le même.
5ème enseignement. Cette histoire, c’est aussi (et peut-être d’abord) du marketing. Depuis son lancement en 2023, Musk a vendu et marqueté Grok pour qu’elle soit présentée comme la première IA « libre », subversive, avec un sens de la provocation et de la transgression des interdits et autres limites et pudeurs habituelles des autres IA. Quelle meilleure publicité pour cela que le fait qu’elle se « révolte » contre son maître et l’accuse de la censurer.
Pour le reste, le fait que la 1ère IA de l’Alt-Right affirme aujourd’hui qu’il y a un génocide en cours à Gaza n’est, en soi, ni une bonne ni une mauvaise nouvelle ; c’est par contre une nouvelle et évidente confirmation de l’immense dérèglement de nos capacités de faire langage et donc société au prisme de ces outils.
Dessin de Besse dans l’Humanité.