Big Browser Binaire Pixels
LIBERTÉ EGALITÉ SEXUALITÉ
le blog de Philippe Brenot - psychiatre et anthropologue
Publié le 05.10.2024 à 11:39
Dans la tradition du savoir occidental, l’expertise vient d’en haut et l’expérience vient d’en bas. Avec, très souvent, l’impossibilité seconde de passer de l’expérience à l’expertise. L’expérience est issue de la pratique quand l’expertise est majoritairement issue d’un enseignement « scientifique » et, en général, universitaire. L’évolution récente envisage tout autrement la qualité des échanges dans la société plurielle et interactive qui est la nôtre aujourd’hui. En effet, l’expert était il y a peu un super professionnel, détenant un savoir que les autres n’avaient pas, donnant ainsi un avis éclairé fondé sur les connaissances, en général scientifiques, dans un domaine bien particulier. Au fil du temps, le sens premier s’est profondément éloigné de l’origine. L’étymologie est claire à ce sujet : expert vient du latin expertus, « celui qui a fait ses preuves, qui est habile, qui a de l’expérience. » Cela signifie qu’à l’origine, l’expert tire sa compétence du cumul de l’expérience et non d’un savoir exogène purement abstrait. La dissociation entre ces deux positions apparaît clairement aujourd’hui où notre société réclame de l’expérience plus que de l’expertise, au risque d’invalider le savoir et son exactitude.
Classiquement, dans un discours ou un article scientifique, la formation universitaire prohibe l’utilisation de la première personne et l’expert se réfugie derrière le « nous » pour signifier qu’il est un porte-parole de la communauté scientifique dans le domaine particulier dont il est l’analyste. C’est également pour cela que l’expert ne se réclame jamais de son expérience personnelle, même si elle existe, pour privilégier « la vérité scientifique ».
Rien ne vaut l’expérience
Un net changement de paradigme semble s’être imposé à l’orée du XXIe siècle, certainement par le développement des réseaux sociaux qui privilégient aujourd’hui l’opinion personnelle avec ses corollaires de spontanéité, d’immédiateté et d’émotion.
Les personnes qui peuvent témoigner de leur vécu possèdent en effet une expertise et une expérience qui leur sont propres, différentes de celles des experts, chercheurs et cliniciens. Leurs observations et points de vue peuvent alors aider les programmes de recherche à développer, à compléter et à communiquer leurs travaux d’une manière plus impliquante pour les publics concernés.
Cette évolution apparaît clairement en médecine où, depuis deux décennies existent des patients-experts – ou patients partenaires – qui sont des sujets particulièrement concernés par telle ou telle pathologie comme patient ou parent. C’est le cas des patients porteurs d’une maladie chronique (par exemple patient-expert pour la Sclérose En Plaques) qui ont développé au fil du temps une connaissance fine de leur maladie au point où ils sont de nouveaux partenaires des systèmes de santé. Certains patients-expert font pleinement partie d’une équipe de réflexion médicale en milieu hospitalier ou universitaire. L’expérience vécue devient alors source d’acquisition de savoir-faire et de savoir-être, au-delà des savoir techniques.
Que le médecin, que le thérapeute se mette cependant directement en avant avec son expérience propre, n’est pas dans les habitudes scientifiques. Cela procède même d’un interdit alors que ce virage était déjà pris, outre-atlantique. Je m’en suis personnellement aperçu il y a plusieurs décennies sous l’influence des auteurs américains. Je pense tout particulièrement à l’ouvrage du grand théoricien américain, Carl Rogers, Réinventer le couple*, qui commence ainsi : « Ma femme et moi, lorsque nous nous sommes rencontrés… » et qui mêle évolution des patients et expérience personnelle. J’ai personnellement introduit la première personne dans l’écriture de mes ouvrages cliniques, comme Pourquoi c’est si compliqué l’amour**, pour impliquer plus fortement le thérapeute-auteur, sans pour cela dévoiler son histoire personnelle.
Pour illustrer cette évolution, je ferai un parallèle entre deux ouvrages récents, qui abordent la même thématique, celle du couple, de ses difficultés ou de son bonheur à vivre, par un couple de médecins sexologues d’une part et un dessinateur de BD témoignant de sa propre histoire, d’autre part. Les deux livres – et les deux positions – sont pédagogiques de manières différentes mais complémentaires.
Je tu nous
Gérard Ribes et Marie Veluire sont deux médecins, experts reconnus dans le domaine de la sexologie et spécialistes du couple. Dans leur livre Je, Tu, Nous***… ils explorent l’amour sous toutes ses formes à travers les histoires intimes d’hommes et de femmes et répondent aux questions que tous se posent : Comment et pourquoi évoluons-nous différemment en couple ? À quoi tiennent les ruptures de communication ? Comment dépasser les crises ? Quelle est la place de la sexualité dans la pérennité du couple ?
Ces experts de l’intimité nous décrivent la manière dont le couple s’est constitué, a évolué, est plus ou moins en difficulté. Ils nous font pénétrer l’histoire d’une dizaine de couples, Alex, technicien dans l’industrie chimique en couple avec Sylvie, Jean, prof de sport en relation avec Émilie, Hugo et Manon, deux jeunes lycéens amoureux… On découvre leur vie, leurs habitudes, la relation à distance, les premiers rapports, l’arrivée d’un enfant, l’éloignement, la séparation… Gérard Ribes et Marie Veluire nous aident à comprendre chacune des situations selon le point de vue des protagonistes et selon leur vision d’expert de manière simple et accessible. Mais, à aucun instant, ils ne prennent la parole personnellement, à aucun moment ils évoquent leur histoire personnelle. À la fin de cette lecture, on ne saura rien de l’un ou de l’autre des auteurs, c’est (c’était) l’éthique profonde des experts, que de ne pas mélanger expertise et témoignage personnel. Le thérapeute n’est pas simplement « un ami ». C’est d’ailleurs cette distance qui participe à l’action psychothérapique dans le respect du patient.
Toi & Moi
Il est certain qu’aujourd’hui, surtout pour les plus jeunes générations, le témoignage personnel l’emporte sur l’expertise ou, du moins, le recours à l’expérience est privilégiée avant de se tourner vers l’expert. En littérature, on a vu apparaître cette tendance avec la naissance de l’autofiction dont le chef de file a pu être Serge Doubrovsky avec son roman, Fils****, en 1977. Différent du seul témoignage, l’autofiction ou roman personnel est un genre littéraire au croisement du récit réel de la vie de l’auteur et d’un récit fictif procédant d’une expérience vécue par celui-ci. Ce courant littéraire est particulièrement important dans le domaine français depuis une vingtaine d’années.
La toute récente bande dessinée de Pacco, Toi & Moi*****, illustre bien cette position du narrateur et nous montre l’intérêt de l’autofiction comme témoignage complémentaire du discours des experts. « Je me suis rendu compte, explique Pacco, comment mon quotidien était très tourné vers ma relation avec Margaux, vers notre vie à deux. Et que ce quotidien là, il n’était retranscrit nulle part. Dans la littérature ou dans l’art. Plus généralement, il y a surtout des histoires hyper romanesques, type Bridgerton, ou bien des œuvres très cyniques sur l’amour. Le fait qu’il n’y ait pas de modèle qui ressemble à ce qu’on vit avec Margaux m’a motivé. J’espère que ceux qui vivent ce que je vis seront touchés d’être représentés. » Et il poursuit : « Dans mon travail, je pars d’une réalité émotionnelle et j’essaie de transmettre le sentiment qui m’a étreint à un moment donné. C’est de l’autofiction, pas un exercice de journalisme ou de chronique, et s’il faut adapter le lieu, par exemple, je ne me prive pas, tant que l’essence de l’émotion que je veux partager est là. » Et c’est très réussi. Le message est également passé, transmettre des petits trucs simples de la vie, tristes ou heureux, pour dépasser les moments difficiles et partager les moments heureux.
Cette évolution de la littérature scientifique à l’autofiction nous montre l’importance du processus de subjectivation (le fait, sur les 50 dernières années, que nous soyons progressivement devenus des « sujets », acteurs de notre propre vie) dans l’évolution des mentalités et des générations successives. Oui, aujourd’hui l’accent est mis sur le partage des expériences personnelles et l’importance émotionnelle de l’instant. Il nous faut cependant apprendre également à relativiser ces échanges d’expérience avec la connaissance que l’on peut en avoir sur le le plan de la science.
*Réinventer le couple de Carl Rogers (ed; Robert Laffont, 1974) ; **Pourquoi c’est si compliqué l’amour de Philippe Brenot (Les Arènes) ; ***JE, TU, NOUS… le couple, le sexe et l’amour de Gérard Ribes et Marie Veluire (ed. In Press) ; ****Fils de Serge Dubrovsky (Galilée) ; *****Toi et Moi de Pacco (Casterman) ;
..................................................
Publié le 24.09.2024 à 15:15
L’évolution des idées et des techniques en matière de neurophysiologie est aujourd’hui stupéfiante, permettant de donner des réponses à des questions ouvertes depuis très longtemps et surtout d’avoir des données solides sur l’articulation entre la nature et la culture. Qu’est-ce qui est pré-organisé de nos racines animales et qu’est-ce qui est appris par l’expérience humaine ? Ce débat, qui n’est bien sûr pas terminé, ne doit pas être un lieu d’affrontement de disciplines opposées, comme cela a été trop souvent le cas lorsque s’affrontaient les sciences dites « molles » et les sciences « dures », la psychologie et la biologie. On a également trop souvent assisté à la tentative d’une science ayant la prétention de tout expliquer. Mais l’équation est plus complexe car l’humain est 100 % nature… et 100 % culture. À chacun maintenant de faire la démarche transdisciplinaire que nous enseigne Edgar Morin*, c’est-à-dire aux psychologues de s’approprier le domaine et les outils de la biologie ; aux biologistes de comprendre l’apport et le langage de la psychologie. Idem pour la sociologie, l’anthropologie… toutes disciplines qui participent à la compréhension du sexe et de l’amour. Tout d’abord, le « sexe ».
Le sexe et le genre
Depuis deux décennies, deux concepts semblent s’affronter : le sexe et le genre, comme si l’un avait remplacé l’autre, tant les tenants de l’un et de l’autre sont à fleur de peau. La question est en réalité plus complexe. Dans son livre, Cerveau, Sexe et Amour**, Aurore Malet-Karas pose le cadre de cette explication : « Pour bien comprendre la sexualité humaine, il est impératif de revenir à nos fondements biologiques. C’est cette biologie qui va cadrer et délimiter nos contingences érotiques, sexuelles ou amoureuses. » Qu’entendons-nous par sexe ? Il y a quelques décennies, le terme « sexe » n’était pas largement utilisé, on parlait de « sexualité« . Le mot français « sexualité » est cependant ambigu, il recouvre deux réalités : la reproduction sexuée et la sexualité au sens propre du terme, qui a pris une valeur récréative depuis la libéralisation de la contraception en occident, séparant sexualité et fécondité. Or, chez les vertébrés, il n’y a pas débat, il n’y a que deux sexe, précise l’autrice, « parce qu’il n’y a que deux types de gamètes : la femelle porte la grosse cellule (l’ovocyte) et le mâle, la petite cellule avec un flagelle (le spermatozoïde). »
La notion de genre est issue de l’anthropologie avec les travaux de Margaret Mead*** observant, dans des populations des îles Samoa, des rôles sexuels genrés, c’est-à-dire différents selon l’identité sociale de l’individu. C’est ensuite Judith Butler****, philosophe à l’université de Berkeley, qui initiera les « études sur le genre ». « On ne naît pas notre genre, on fait notre genre, souligne Aurore Malet-Karas. C’est à travers nos actes, nos comportements, nos choix, et surtout leur répétition, voire nos habitudes, que nous choisissons ou non de reproduire les normes et les catégories culturelles. » (…) « Ce qui fait la puissance et la nécessité de la notion de genre, c’est que cet outil permet d’aller étudier ce qui n’est pas dans le champ de la biologie. » En cela les deux concepts, de sexe et de genre, n’ont rien d’opposé, ils sont totalement complémentaires pour permettre de comprendre ce qu’est la dimension sexuelle d’un individu. C’est l’anthropologie des primates qui nous permet de faire le lien avec la nature. « Franz de Waal*****, le grand spécialiste des Bonobos, estime qu’il existerait entre 5 et 10 % de chimpanzés, qui auraient des comportements de genre non conformes à leur sexe biologique… éclairant d’un angle inédit, la proportion occidentale de personnes transgenre, allant de 1 à 3 %, et par ricochet, les débats sociétaux actuels. »
L’état amoureux
On parle aussi d »amour romantique » (très nombreux travaux scientifiques sur ce « romantic love » anglo-saxon), « état souvent caractérisé par un regain d’énergie et une attention soutenue (voire des pensées obsessives) en général tourné vers une seule et unique personne. » La psychologie est évidemment en jeu lors de la rencontre amoureuse, qui déclenche une suite de réactions émotionnelles et de comportements qui procèdent de mécanismes neurobiologiques. L’ouvrage d’Aurore Malet-Karas, Cerveau, Sexe et Amour**, est exemplaire à ce titre, permettant, à l’aide de nombreux travaux scientifiques et des avancées des sciences cognitives, de décloisonner l’apport de chaque discipline pour accéder à la réalité complexe du cerveau amoureux.
On parle peut-être trop facilement de « l’hormone du bonheur, de l’attachement, de l’hormone du plaisir »… Aurore Malet-Karas, remets les choses en ordre, notamment sur les phéromones dont l’effet n’a jamais été pleinement montré chez l’homme car notre organe voméronasal trop vestigial est peu fonctionnel. Par contre, les neuro-hormones sont des relais spécifiques et indispensables de nos ressentis, nos émotions, nos états d’âme… Lors de la rencontre, l’éveil amoureux est sous l’emprise de la dopamine tandis que la sérotonine chute brutalement dans l’instant du « choc amoureux », réveillant la pulsion sexuelle tant chez les hommes que chez les femmes. C’est le temps de l’attraction, mais aussi de la forte pulsion qui pousse les partenaires l’un vers l’autre. Cette phase d’amour intense est d’une durée très variable suivant les individus, de quelques mois à deux ou trois ans… d’où l’idée de « l’amour dure trois ans », car on assimile souvent aujourd’hui l’amour à la phase passionnelle.
Cette description très sommaire du « choc amoureux » se double de nombreux mécanismes comme l’attachement, dans lequel intervient fortement l’ocytocine, et le renforcement des séquences amoureuses par le « célèbre » « circuit de la récompense » qui nous pousse à répéter les moments particulièrement appréciés. C’est ici que les récents travaux de neurobiologie cognitive permettent d’affiner la complexité du lien qui unit deux personnes lors d’une « rencontre amoureuse ».
L’orgasme cérébral
Un des phénomènes qui est resté longtemps mystérieux est évidemment « l’orage cérébral » que l’on nomme « orgasme », il ne résiste cependant pas à l’analyse scientifique. Lorsque le désir se manifeste, que les conditions de l’amour sont présentes, la dopamine s’apprête à agir. Dans cette longue phase de préparation que l’on a parfois appelée « préliminaire », la dopamine augmente progressivement dans notre cerveau, elle est presque synonyme d’excitation, jusqu’à l’acmé de cette tension que nous décrit Aurore Malet-Karas : « L’orgasme se traduit alors par la décharge brusque d’une grande quantité de dopamine (…) Décharge qui entraîne, entre autres, la libération d’ocytocine et de vasopressine. » Ces deux hormones permettent le ralentissement progressif de l’excitation, et cet état très particulier, que l’on appelle « la petite mort », caractérisé par la réduction du rythme cardiaque, du stress et de anxiété, parvenant à une résolution musculaire profonde, synonyme de « bien-être » car, dans le même temps, notre corps libère une grande quantité d’endorphines, ces morphines endogènes qui provoquent un sentiment de plénitude et d’euphorie synonyme de « plaisir intense ».
Cet ouvrage, qui fait la synthèse des nombreuses connaissances scientifiques actuelles, ne laisse pas de nous étonner par l’éclectisme de son autrice. Je ne souligne qu’un détail, mais non des moindres : l’utilisation première du terme libido, a été faite par Saint-Augustin dans son célèbre ouvrage, La Cité de Dieu (Ve siècle) où Augustin distingue trois libido (du latin libido : inclinaison, désir irrésistible), « trois types de désirs à l’origine des maux sur la Terre » : libido sciendi (les désirs intellectuels), libido dominandi (le désir de dominer) enfin libido sentiendi (les désirs sensoriels, charnels) que connaissait tout particulièrement Augustin qui, dans une première partie de sa vie, avait connu la débauche extrême au point ensuite de la combattre.
Cerveau, sexe et amour, un ouvrage passionnant à la pointe des connaissances actuelles de la mécanique de l’amour.
* Science avec conscience d’Edgar Morin (Fayard) ; **Cerveau, Sexe et Amour d’Aurore Malet-Karas (Humen Sciences ed.) ; ***Mœurs et sexualité en Océanie (Terre Humaine, 1963) de Margareth Mead, traduit de Sex and temperament in three primitive societies et Coming of Age in Samoa (1935) ; ****Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity (1990), de Judith Butler, traduit tardivement en français, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion (La Découverte, 2005) ; *****Différents : le genre vu par un primatologue de Frans de Waal (Les Liens qui libèrent).
..................................................
Publié le 01.08.2024 à 18:57
Romain, Marguerite, Albert et les autres… trop ou mal aimés par leur mère ?
On connaît le lien très particulier de Gary à Mina, sa mère, celui d’Albert Cohen à « l’irremplaçable » à qui il a consacré « Le Livre ». Mais aussi la mère colère de Marguerite Duras, qui s’érige en « barrage contre le Pacifique », un angle de lecture qui incite à voir dans la relation à la mère, le lien de « l’amour en moins » ou de « l’amour en trop ». Robert Neuburger, dont on connaît la lecture minutieuse du lien conjugal et de la scène familiale (Le mythe familial ; Les nouveaux Couples ; On arrête, on continue ?) nous offre une réflexion très pertinente sur l’attachement maternel chez les écrivains, trop ou mal aimés : Ecrire sa mère, à la recherche de l’amour perdu*.
Le manque d’amour
« Chez les différents auteurs et autrices qui ont manqué d’amour, précise Neuburger, la prise de conscience du désamour maternel est souvent liée à la prise de conscience d’une carence de gestes d’amour. Grégoire Delacourt a cette phrase extraordinaire : « La chair meurt quand on la touche pas ». » Qu’ils aient été peu touchés ou mal-aimés, le moment vient de la prise de conscience que « Ma mère ne m’aimait pas » voire « Ma mère ne m’a jamais aimé(e) ». Le refus de tout étreinte, du moindre câlin, le rejet d’un baiser reviennent comme un leitmotiv sous la plume de nombreux écrivains qui transcendent ce mésamour en écriture. Robert Neuburger est très clair dans ses arguments : « Toutes les mères n’aiment pas leurs enfants et tous les enfants n’aiment pas leur mère. Cela n’empêche pas les mères de s’occuper de leurs enfants et ces enfants de grandir, mais cela suffit-t-il à leur permettre d’acquérir le sentiment d’exister, de se sentir appartenir au monde ? » L’amour en retour confère une « sécurité de base » qui va permettre cette forme d’autonomie qui autorise la capacité de s’éloigner d’une source unique d’amour, celle de la mère. « Pour pouvoir se séparer, il faut avoir été relié. À l’inverse, le manque d’amour maternel rend dépendant : comment se séparer de la personne avec laquelle on n’a pas été relié ? » L’enfant mal-aimé ou mal accueilli (parfois mal-venu) et privé de l’amour maternel a souvent la crainte d’être rejeté, n’ayant pas pu se forger l’idéal du moi qui organise la confiance en soi. Pourtant, certains font font mentir le destin et, malgré le désamour de la mère, s’en sortent ». C’est de ceux-là dont nous parle Neuburger.
Les trop aimés
La correspondance de « Jean avec sa mère » illustre parfaitement le lien fusionnel si fort qui sera pour Cocteau le moteur de sa vie et de son écriture. Il en va de même pour Albert Cohen qui soulignera à plusieurs reprises – dans son œuvre et dans des confessions – le nœud si particulier qui alimente sa pulsion de vie et pulsion d’écriture : « Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles (…) Ce qu’elle avait de particulier, ma mère, c’est qu’elle n’avait pas de « moi ». Son « moi », c’était moi, son fils. Ce livre (Le Livre de ma mère), je l’ai écrit pour venger ma mère… de son fils. » (Apostrophe, 23.12.77)
« Chez elles et eux, le problème n’est pas le manque d’amour, mais au contraire, un amour envahissant, exclusif (…) Le trop d’amour rend également dépendant en enfermant l’enfant dans une relation exclusive qui ne laisse pas place à d’autres liens. » Ces dyades – en grande majorité mère-fils – ne sont pas sans évoquer un lien incestuel, « l’amour de l’un alimentant, l’amour de l’autre », « se traduisant par le fait, qu’aucun des auteurs trop aimés dès son enfance n’a eu de descendance directe… sinon dans leurs livres. » Neuburger cite deux exceptions, Romain Gary et François Mauriac, qui auront une descendance et qui sont aussi les seuls à avoir pu prendre de la distance, avoir pu sortir de l’emprise – certainement par l’écriture – et avoir pu critiquer ce lien « abusif » dont parle Mauriac. « Il y a un danger, nous dit Gary, dans le cadre d’un rapport trop absolu entre une mère et le fils, en ce sens que lorsqu’un homme, un fils, prend l’habitude de dépendre un peu fortement d’un seul être, il lui est très difficile d’avoir des liens similaires avec d’autres. » Et puis, cette formule emblématique, qui deviendra le titre de son autobiographie rêvée : « Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube, une promesse qu’elle ne tient jamais » (La Promesse de l’aube). Gary dont j’analyse l’amour maternel dans la préface au Vin des morts**, son roman d’adolescence, comme une pulsion de vie puis un mythe sans cesse renouvelé, voire transformé à la guise de son imagination sans limite. Ce qui lui a certainement permis de s’engendrer « lui-môme ».
Les mal aimés
Annie Ernaux qui, dans sa jeunesse, connait une véritable « rupture » avec ses parents, couche sur le papier ce qu’elle ne peut ni dire, ni échanger avec quiconque : « N’avoir rien à dire, le nez dans son assiette, c’est une langue étrangère qu’ils (mes parents) parlent. My mother is dirty, mad, they are pigs ! En anglais, que je me permettais de les injurier. » « Ernest Hemingway détestait sa mère, qui voulait le transformer en fille, l’appelait « poupée chérie » et l’habillait en conséquence. Dans son Journal intime, il l’a qualifiée d’égoïste, d’hystérique, et même de salope ! »
Amélie Nothomb évoque à de nombreuses reprises les propos très dévalorisant dont elle dit avoir gardé « un souvenir cuisant », de son frère qui, entre dans la salle de bain et qu’elle entend dire : « Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi moche ! », de sa grand-mère et surtout de sa mère : « C’est une petite fille terne », alors qu’elle se savait triste « mais pour de bonnes raisons ». Le dédain, l’éloignement, et même l’abandon font partie de ce mal-amour qui incite à la résilience dans l’écriture, ce que Boris Cyrulnik a développé comme une pulsion réparatrice (La nuit j’écrirai des soleils***).
« Georges Simenon accompagnera sa mère jusqu’à son dernier souffle. Il a alors 77 ans, sa mère 91. Simenon restera à son chevet durant plusieurs jours, espérant qu’elle lui témoigne enfin un signe d’affection. Il n’obtint rien. »
La mère rêvée : l’écriture
« L’écriture, nous dit Neuburger, est devenue leur mère consolatrice. Écrire, pour eux, pour elles, c’est s’embrasser, se raconter des histoires, comme si c’était la mère qui les racontait. L’écriture est le substitut d’un manque de mère. Elle est leur confidente, l’interlocutrice qui sait écouter, consoler. Elle prend la place d’une mère qui n’a pas entendu, qui n’a pas voulu ou plus voulu entendre. Elle est la mère qu’ils n’ont pas eu, une mère rêvée. » Cette mère idéale leur dit ce qu’ils auraient voulu entendre, cette mère – la littérature – entend leurs désirs, comprend leurs attentes, console leur peine : « On écrit pour consoler et enchanter l’enfant qu’on porte en soi », analyse très finement Michel del Castillo, un enfant terriblement mal aimé et physiquement abandonné par sa mère. « Le trait commun de celles et ceux qui ont choisi l’écriture pour faire face à ces situations traumatiques, conclue Neuburger, c’est un mariage avec l’écriture, devenue une partenaire de vie. »
La grille de lecture que nous offre Robert Neuburger est d’une grande richesse, nourrie par les confessions autobiographiques de tous ces auteurs et autrices malmenés dans leur enfance par les excès de l’empreinte première et la plus naturelle qui soit, celle de leur mère. Merci, cher Robert, de cette belle lecture qui ouvre à chacun une réflexion sur sa propre enfance.
*Écrire sa mère, à la recherche de l’amour perdu de Robert Neuburger, Payot, 2024 ; ** Le Vin des morts de Romain Gary, préface de Philippe Brenot, Gallimard, 2014 ; ***La nuit, j’écrirai des soleils de Boris, Cyrulnik, Odile Jacob, 2015.
..................................................
Publié le 09.06.2024 à 11:16
MOURIR EST UNE ŒUVRE D’ART, signé Ben !
Ben est mort… mais sa mort est une œuvre et son œuvre lui survit. Si je prends la plume aujourd’hui c’est pour vous parler d’un ami très cher, connu de beaucoup mais, en définitive, si peu connu de beaucoup. Car si, pour tous, Ben est une apparence, celle de ses inimitable aphorismes tracés de blanc sur fond noir, sa pensée, toujours teintée d’humour, est bien plus profonde qu’il n’y parait.
Cette phrase, « Ben est mort… », lui ressemble, c’est pourquoi je la répète. Personne de plus franc, honnête, direct que Ben, c’est pourquoi on l’aimait, on l’adorait ou on le détestait. Il parlait comme il pensait, de façon intense, explosive, vraie. Je connais Ben (j’en parle au présent car aucune raison de dire « je connaissais »…) depuis plus de 20 ans, du creuset d’une rencontre annuelle d’artistes et de scientifiques, début septembre à Mouans-Sartoux*, avec ses amis de l’école de Nice, Arman, Sosno… où nous échangions sur la création artistique. Nous avons ensuite travaillé ensemble sur deux livres que je lui ai publié (Fluxus et Suicide d’artiste**), avec encore d’autres projets, qu’il avait sans cesse en tête… « Philippe, J’aimerais publier mon testament, me dit-il il y a deux ans, avec la liste de ceux à qui je ne donne rien et d’autres à qui je donne tout ! Ils seront furieux ! » Ben jubilait de ses fulgurances iconoclastes qui touchaient juste.
A quoi reconnait-on un Ben ?
Ben définit son art comme « un art d’appropriation », déclarant ainsi : « je cherche systématiquement à signer tout ce qui ne l’a pas été. Je crois que l’art est dans l’intention et qu’il suffit de signer pour créer. Je signe donc : les trous, les boites mystère, les coups de pied, Dieu, les poules, etc. Je vais être très jaloux de Manzoni qui signe la merde et qui me volera l’idée des sculptures vivantes. » En 1959, Ben a débuté son travail par ce qu’il nomme alors « les sculptures vivantes », il signe (sur) les gens dans la rue, ses amis, des membres de sa famille. En 1960, Ben a « signé la mort » en montrant par des actes emblématiques combien cette interrogation était présente dans son œuvre. Le texte poème, « La Mort est partout », qui ouvre Suicide d’artistes, en témoigne, reprenant des écrits de 1974.
L’autodérision est une grande caractéristique de l’esprit libre de Ben, critique des autres (artistes, galeristes, tous ceux qui sont dirigés par l’Ego) comme de lui-même, à l’image de cette page de signatures (extraite d’un carnet de 1978), qu’il décline avec la plus grande liberté, comme le rite d’un narcisse qu’il n’était surtout pas.
La mort est une création
Ben, qui était la vie, envisageait avec lucidité la mort comme une création… « La mort est partout, commence-t-il dans Suicide d’artiste**. Rotella est mort, pas moi. Chiari est mort, pas moi. Isidore Isou est mort, pas moi (…) La mort est partout. (…) Vais-je mourir d’une connerie comme le cancer ? ou bien me suicider ? (…) Cette nuit j’ai senti la mort comme un fleuve qui coule grand et large, que rien ne peut arrêter. J’ai eu beau essayer de penser à autre chose, le fusil, la corde, tout se rapprochait. Je suis sorti du lit, je suis allé chercher le fusil, je l’ai chargé, et puis j’ai pris la corde, je suis monté sur l’échelle, ensuite je suis redescendu pour tout écrire et puis brûler ce que je venais d’écrire. »
Ben Vautier
De son vrai nom Benjamin Vautier, Ben est un artiste français d’origine suisse, né le 18 juillet 1935 à Naples, en Italie. Il rejoint le mouvement Fluxus en octobre 1962, à la suite d’une rencontre avec George Maciunas à Londres. Il sera alors proche d’artistes comme Yoko Ono et Joseph Beuys. Ben est un artiste reconnu pour ses performances, ses installations, ses incantations, sa newsletter et ses écritures emblématiques, blanches sur fond noir. Sa théorie de l’Ego rejoint sa théorie générale de l’art, il voyait en l’Ego un principe explicatif de la complexité de l’humanité. Cultiver son Ego, avec humour et dérision, lui a ainsi permis de survivre.
De son échoppe de l’Escarène, lieu de rencontre de l’école de Nice (César, Arman, Raysse… ) dans les années 1950-60, aux années 1980 puis au début du XXIe siècle, Ben poursuit son travail de « lettriste » dans la droite ligne d’Isidore Isou et de graphiste fidèle au purisme de Fluxus. Au début des année 1960 il rencontre Annie Baricalla avec qui il produira des performances et qui l’accompagnera tout au long de son œuvre.
Mort
Ben et Annie, qui se marient en 1964, étaient comme les deux doigts d’une main, d’abord à Nice puis sur les hauteurs de Saint-Pancrace. Inséparables dans la colère comme dans le bonheur, ils animaient l’extraordinaire maison atelier de Saint Pancrace qui bruissait des théories invraisemblables du farceur de génie.
Mercredi 3 juin, Annie décède à 3 h du matin d’un AVC survenu deux jours plus tôt et Ben se suicide quelques heures plus tard, ne pouvant imaginer la vie sans Annie.
Ben termine ainsi Suicide d’Artiste : « La mort est partout (…) Je vois l’espèce humaine s’entre-tuer, je vois des États se prétendant justes et bons, je vois une fille nue, me disant : « Si tu me quittes je me tue », je vois ma femme regardant la télé, je me vois heureux en train d’appuyer sur la gâchette (…) Il est temps de faire le point : Van Gogh s’est suicidé, Bernard. Buffet s’est suicidé. Pourquoi Ben ne se suiciderait-il pas ? ».
Adieu ami Ben, ton message ne s’éteint pas.
*Colloque Art, Science, Pensée, Mouans-Sartoux, 6 au 8 septembre 2024 ; **Suicide d’Artiste de Ben Vautier, L’Esprit du Temps, 2009.
..................................................
Publié le 07.04.2024 à 16:12
Dernier tabou : la masturbation féminine !
La masturbation survivra t elle au XXIe siècle ? Si elle est aujourd’hui mieux acceptée, et le mot plus librement prononcé, il ne faut pas oublier que la pratique de l’autoérotisme masturbatoire a été dénoncée, interdite, réprimée jusque dans les années 1950 et que le mot masturbation n’est vraiment entendu « pour les femmes » que depuis deux décennies avec la nouvelle « découverte » du clitoris.
Persécution
Pendant plus de deux siècles, de 1710 à 1950, les pulsions naissantes des adolescents – des deux sexes – ont été réprimées par un interdit qui trouve ses sources dans l’ignorance de la fonction générative – à l’époque très masculino-centrée – sous couvert d’arguments religieux (protestantisme du nord de l’Europe, puis diffusé à l’ensemble de la chrétienté) et médicaux. Des pasteurs luthériens tout d’abord (Pays-Bas), puis un charlatan anglican (le pseudo docteur Beckers) et son Onania (1710) enfin le duo du fameux Dr Tissot, auteur du célèbre ouvrage, réédité jusqu’au début du XXe siècle, des Maladies produites par la masturbation, et du très formel pasteur calviniste Dutoit-Membrini, soutenus à Genève par Rousseau et Voltaire (!), le complot médico-religieux était né, il ne s’arrêtera qu’au bout de deux siècle quand l’évolution de la société aura libéré la sexualité de ses contraintes morales (l’église) et médicales.
« Il ne s’était pas écoulé un an, nous a avertit le docteur Tissot, qu’il commença à sentir une grande faiblesse, après chaque acte… Son âme, déjà toute livrée à ces ordures, n’était plus capable d’autres idées, et les réitérations de son crime devinrent tous les jours plus fréquentes, jusqu’à ce qu’il se trouve dans un état qui lui fit craindre la mort. Sage trop tard, le mal avait déjà fait tant de progrès qu’il ne pouvait être guéri, et les parties génitales étaient devenues si irritables, et si faibles, qu’il n’était plus besoin d’un nouvel acte, de la part de cet infortuné, pour faire épancher la semence (…) Il mourut au bout de quelques semaines, en juin 1757, oedémateux par tout le corps. » (des Maladies produites par la masturbation, 1758)
« Quel homme ou quelle femme sensé(e) oserait cependant toucher son sexe, après un tel récit ! Combien de refoulements, d’angoisses, de culpabilités ont ainsi été sciemment activés par des générations de médecins moralisateurs ? (…) Rousseau en oublie pour la circonstance ses pratiques solitaires – il était un fervent adepte de la masturbation – et exprime un peu tard de bien coupable regrets : « Bien fâché de n’avoir pas connu plus tôt le Traité de la masturbation… Je suis, Monsieur à vos pieds » » (in Éloge de la masturbation)
L’histoire de cette persécution est extra-ordinaire, de par son origine (la découverte du spermatozoïde et la possible Apocalypse, déclenchée par sa perte, qui justifiera deux siècles de persécution ; la profusion de textes littéraires anti- est pro-masturbation afin de pourfendre ou de défendre l’une des pratiques les plus naturelles qui soient ; mais surtout des arguments sexologiques actuels qui montrent combien la masturbation est utile à la construction de la sexualité, surtout féminine – car cette pratique est très peu répandue chez les femmes, qui en auraient le plus besoin. C’est ce dernier argument qui justifie la publication de cet Éloge de la Masturbation.
Éloge
« En 1997, lorsque j’écrivais la première version de ce livre (Éloge de la Masturbation*) , alors très précurseur, je le destinais essentiellement aux femmes pour qui on commençait à comprendre le rôle majeur que joue l’autoérotisme et la masturbation dans la « construction » de leur sexualité. Or ce message ne leur est pas parvenu… 25 ans plus tard, ces recommandations sont d’autant plus d’actualité que la sexualité féminine a profondément évolué, la parole s’est ouverte mais peu de femmes ont encore compris l’importance libératoire de l’autoérotisme. Ce livre comporte des clés de compréhension et d’explication du dernier grand tabou de la morale sexuelle occidentale : la masturbation féminine. »
Il y a donc d’abord l’histoire de l’interdit, qui sévit en Europe pendant plus de deux siècles, de 1710 à 1950, et nous permet de comprendre la très forte inhibition qui existe toujours envers la pratique la plus fréquente de l’intimité. Et puis les préjugés qui existent toujours – « Ça sert à quoi ? C’est une pratique solitaire ; Je suis en couple, je n’en ai pas besoin » – alors que nous savons combien l’autoérotisme et la masturbation sont une étape essentielle de la libération de la sexualité féminine et du couple. Un chapitre d’explication et de conseils termine ce livre qui se veut un plaidoyer pour une sexualité libre et autonome.
Évolution/Innovation
Un clin d’oeil anthropologique peut être attribué à la « Masturbation Hand », imaginée par le site Lovehoney** comme une extension évolutive de la main s’adaptant à la concurrence des sextoys !
Dans cette hypothèse évolutive ( à une échéance tout de même assez lointaine (il faut quelques milliers d’années pour une telle sélection des caractères adaptatifs) on peut remarquer la modélisation de la phalange distale du pouce de la main droite qui s’est incurvée pour permettre une stimulation anale plus libre, ainsi que la néo-texture de la paume de la main et de la face interne des doigts qui s’est adaptée par la création de pustules hypersensibles « pour des sensations plus intenses ». Nous sommes ici dans la modélisation de la main humaine, sur le modèle des Sextoy, imaginée par des humains. L’évolution pourrait cependant être toute autre par la main du créateur et non de la créature.
Ces deux modélisations sont toute de même intéressantes pour souligner la grande habileté et les limites de la main humaine pour la stimulation des zones corporelles érogènes. Selon les propres termes de Lovehoney : « 85 % des personnes à pénis et 50 % des personnes à vulve admettent que leur main est leur outil favoris pour se faire plaisir1. Cela veut dire qu’un grand pourcentage de la population ne profite pas des sextoys pour intensifier leur plaisir et varier leur routine de masturbation. » Lovehoney a l’honnêteté de souligner la faible utilisation des sextoys, cette publicité originale. Réagissons : à vos sextoys, ils sont trop délaissés !
Les arguments pour un Éloge de la masturbation sont illimités, tant cette pratique si « naturelle » est « normale, utile, agréable, honnête, constructive, tonifiante, réconfortante, légitime, justifiée , nécessaire … » surtout pour les femmes à qui cet éloge est destiné et »dédié ».
*Éloge de la Masturbation de Philippe Brenot, La Musardine, 14 mars 2024 ; **Lovehoney, qui se définit comme la « marque du bien être sexuel » anime le site Espace Plaisir (https://www.espaceplaisir.fr/) ;
..................................................
Publié le 11.03.2024 à 00:35
De nombreux livres paraissent sur la sexualité, d’autant plus qu’avec « la libération de la parole » le sujet est sur toutes les lèvres sinon dans toutes les consciences. Livres de fiction (fantasy, romans) et de non fiction (réflexions, essais). Beaucoup de récits, documents, confessions… aidant notamment à la prise de conscience des exactions sexuelles (inceste, viol, agression sexuelle…) depuis la salutaire déferlante des hashtags (#MeToo, #Inceste…) mais aussi des études historiques sur les mentalités et des essais sur la nature des comportements genrés.
Parmi de récentes parutions, deux livres ont particulièrement retenu mon attention : La Vie sexuelle des écrivains* d’Iman Bassalah et Filles de mémoire** de Jean-Hugues Larché.
Le sexe des écrivains
Iman Bassalah, dont on a lu le sensible Hotel Miranda***, nous plonge avec érudition dans l’intimité du monde de l’écriture, Hugo, Proust, George Sand, Colette, Duras, Simenon… choisis pour l’intensité croisée de leur vie, sexuelle et littéraire, dans La Vie sexuelle des écrivains* : « Le « va-et-vient » entre l’œuvre et la chair est permanent, pour l’écrivain. La Fontaine étudie les bêtes et sa sexualité est bestiale, il écrit des petits morceaux choisis et butine de femme en femme, dirions-nous dans une vision caricaturale des choses… Certains ont écrit leur crainte de se faire voler leur âme ou leur plume par une passion sexuelle. Parfois en couple : Verlaine et Rimbaud, Zelda et Fitzgerald, Aragon et Nancy Cunard, Sand et Musset, Sartre et Beauvoir (pour ces derniers, chacun ayant connu l’orgasme ailleurs que dans leur couple « existentiel »)… » Mais la passion sexuelle et le génie littéraire ne vont pas souvent de pair, comme l’évoque Darian Leader dans cette très pertinente réflexion : « Beaucoup d’écrivains ont eu une sexualité contenue, d’autres une sexualité débridée. Il est plus intéressant d’observer comment, dans chaque cas, l’acte d’écrire peut-être par lui-même, une activité sexuelle… ».
Iman Bassalah fait appel à sa grande culture littéraire pour brosser un tableau de l’intimité du jeune Marcel, des exploits de l’ogre Hugo, de George la scandaleuse, de Colette chérie, d’un Simenon aux 10 000 femmes et 400 romans ou encore de Duras et ses « amants » subtils. Elle a réalisé une véritable enquête à partir de documents d’archives, de correspondances et de nombreuses autres sources d’information permettant le dévoilement de la véritable personnalité, souvent méconnue, de ces auteurs. La sagacité d’Iman Bassalah ne s’interdit aucune censure, ramenant ainsi nombre de biographies au statut d’hagiographies.
« Juliette comprend vite qu’elle (Adèle, sa femme) n’est pas sa rivale au lit. Elle saisit le désir orgiaque de son homme, faune et satyre, comme il se décrit dans ses poèmes. Tout au long de leur liaison, Juliette veille à rester excitante, et s’inquiète de ses pannes, qui sont liées à un surcroît de troussage de jupons, qu’elle fait d’abord mine d’ignorer… » L’ogre Hugo est peint dans le moindre détail de sa débauche extravagante, multipliant les maîtresses en plus de Juliette, la régulière, et d’Adèle, dont il n’est pas divorcé, multipliant les outrages et souvent les vilénies. Un personnage très éloigné de l’emblématique pair de France, loué par des obsèques nationales.
Comme le dit d’emblée Iman Bassalah, « un Marcel peut-on cacher un autre ! » C’est cette autre qui nous est conté dans la liberté obsédante et très subversive à l’époque de son homosexualité : les amants se succèdent et les excès médicamenteux, les fantasmes surtout… Gide le souligne dans son journal : « Vous savez, Gide… Je n’ai jamais aimé les femmes que spirituellement, et je n’ai jamais connu l’amour qu’avec des hommes ». Tout le monde le savait.
On savait George Sand libre en amour, comme elle l’est en littérature, mais plus encore dans la vie. Les amants de George sont si nombreux, et nombreuses, que le qualificatif de « libertine » n’est pas trop fort. « Héroïne romantique, George Sand parle mille fois de son désir de mourir à chaque amour trépassé » « En homme, elle était libre de voyager, de s’introduire dans les milieux d’homme, les bibliothèques, les cercles… de passer inaperçue (…), Elle est totalement indépendante désormais, reçoit les hommes qu’elle veut dans sa « mansarde bleue »… »
La plume minutieuse et très documentée d’ Iman Bassalah, nous brosse encore les soirées d’orgie de Jean de La Fontaine, le militantisme érotique de Marguerite Duras (« Il faut beau-coup aimer les hommes. Beau-coup, beau-coup. Beau-coup les aimer pour les aimer. ») et l’extraordinaire vie trépidante d’un Simenon « capable d’écrire 80 pages par jour, un roman par semaine… » et de coucher, chaque jour, avec une femme nouvelle… Une vertigineuse plongée dans la vie intime de grandes figures de la création littéraire.
Catalogue
L’auteur, Jean-Hugues Larché, libraire de son état, a commis en 2023 le très beau Quintet pour Venise**** et contribué à l’Hommage à Philippe Sollers*****. Avec Filles de mémoire, il nous offre un véritable « catalogue » – il parle de « répertoire » – avec cet envoi judicieux, en exergue : « Aux désirs ».
La langue de Jean-Hugues Larché est directe, précise, maniériste à la façon d’un italien de la Renaissance, maître dans l’art du portrait : « Lyne est magistrale dans sa beauté distante. Magnétisme d’un regard de husky. Physique à la Dominique Sanda. Regard insolent qui te défie de l’attraper. J’en tombe amoureux fou. Je dors une nuit avec elle sans la toucher chez Dora. Je ne m’en remets pas comme ça. Elle est complexée, intelligente, très allumeuse et peu aguerrie sur les questions physiques. Elle rêve de faire du cinéma. Première avec qui j’aurais envie de vivre après Alice. Il m’aurait fallu me soumettre à son regard magnétique et à son plaisir enjoué de me faire courir. Désormais ce n’était plus possible. Lyne m’éconduit par des rendez-vous manqués à répétition. Elle monte une agence de design avec un violoniste de rue. Je n’insiste pas. » Au fil des portraits, le propos se fait plus direct : « Axelle me reçoit dans une pièce blanche à stores fermés, une serviette blanche autour de la taille. Je l’ai retenue à cause de sa voix de sirène et de sa gentillesse feinte… Elle me masse les adducteurs et le crâne, puis glisse à l’envers au-dessus de moi, en me frôlant encore le ventre de ses seins… » « Charline vient poser avec une bonne demi-heure de retard. Elle ne veut pour l’instant ni se déshabiller, ni montrer ses seins et encore moins le reste. Elle n’est pas contre le fait de poser nue, même si elle n’a jamais fait de naturisme. Elle veut bien, mais progressivement… Son visage est intéressant, je dessine au stylo ses yeux magnétiques gris bleus. » « Nadja baise comme elle respire. C’est ce qu’elle dit. Elle a l’art de baiser avec les arbres, les oiseaux, les papillons, le sable, les rochers, l’eau, les vagues, le vent et dans les voitures, les trains, les bateaux, les avions. Tout l’excite. Elle veut baiser tout ce qui passe même loin d’elle, elle veut tout attraper, tout ce qui lui lui semble baisable. » « Diane danse sans sous-vêtement, improvise avec mon blouson, fait quelques roulades sur le parquet de la salle de répétition, apprête ses mouvements. De son don rythmique pour les claquettes, elle joue de tous les accessoires, coule sa belle énergie et rit de son charisme. » « Gabrielle fait des croquis sur le vif, elle veut que je pose pour elle… J’aimerais aussi qu’elle pose pour moi. Élancée, beaux yeux vert foncé, joli cou, petits seins, sa taille est souple, son regard un peu fixe. Ses cheveux sont ondulés comme une Vénus de Botticelli de 25 ans. Elle est enfer, purgatoire et paradis réunis. Terriblement belle. » Le caractère obsédant du répertoire imprime un rythme enivrant qui débouche sur un autoportrait fort bienvenu, comme pour équilibrer cette mise à nu des objets de désir : « Très mobile, attentif aux autres, sociable. Fils unique, sous tutelle parentale. Mes deux parents sont beaux, alertes et souriants sur les clichés noir et blanc de leur jeunesse. Passage à la couleur. Je suis roux à taches de rousseurs. Je porte des lunettes… Frêle jusqu’à 20 ans.… Solitaire. Excentrique. Propre. Considéré comme secret… La beauté du visage et du corps féminin en focale… » Difficile de rester insensible à la volupté littéraire des Filles de mémoire de Jean-Hugues Larché.
Je crois important de faire partager les émotions littéraires.
*La Vie sexuelle des écrivains d’Iman Bassalah, Chronos ; ** Filles de mémoire** de Jean-Hugues Larché, Serge Safran ed, 2024 ; Hotel Miranda*** d’Iman Bassalah, Calmann-Levy, 2012 ; Quintet pour Venise**** de Jean-Hugues Larché, Serge Safran ed, 2023 ; Hommage à Philippe Sollers***** (collectif), Gallimard, 2023.
..................................................
Publié le 11.02.2024 à 17:30
Horreur : « on » fait moins l’amour !
Le 6 février dernier, à la réception d’un communiqué de presse de l’IFOP : « La « Sex-Recession », la nouvelle a tétanisé l’hexagone : les Français font-ils moins l’amour ? »* Depuis quelques décennies l’indicateur de l’intérêt d’une population pour la sexualité a essentiellement été la fréquence des rapports sexuels dans le couple. Le « couple », qui était entendu, il y a cinquante ans, comme une union hétérosexuelle au long cours, a récemment éclaté en de multiples formes, cohabitantes et non cohabitantes, d’âge et d’orientation différentes.
L’avertissement est cependant sévère : « L’activité sexuelle enregistre un recul sans précédent depuis une quinzaine d’années : la proportion de Français (es) ayant eu un rapport au cours des 12 derniers mois n’a jamais été aussi faible en 50 ans : 76 % en moyenne soit une baisse de 15 points depuis 2006 (Étude CSF). Le taux d’activité sexuelle annuelle tombe ainsi a un niveau encore plus faible qu’en 1970 (+- 82 %, Rapport Simon). Cette montée de l’inactivité sexuelle affecte tout particulièrement la jeunesse : plus d’un quart des jeunes de 18 à 24 ans initiés sexuellement (28 %) admettent ne pas avoir eu de rapports en un an, soit cinq fois plus qu’en 2006 (5 %). L’activité sexuelle de la population perd aussi en intensité si l’on en juge par la baisse de la fréquence hebdomadaire des rapports sexuels des Français(es). Ainsi, aujourd’hui, 43 % des Français(es) rapportent avoir, en moyenne, un rapport sexuel par semaine, contre 58 % en 2009. »
On peut cependant s’interroger sur la pertinence d’un tel critère dans une société qui a profondément changé depuis quelques décennies, notamment au niveau des représentations de la sexualité.
Asexualité
Nous avons déjà entendu ce cri d’alarme en 2008, à la sortie de l’étude CSF (Étude INSERM/INED de Nathalie Bajos et Michel Bozon)** dans laquelle 18% de la population n’avait pas eu de relation sexuelle dans les 12 derniers mois. Cela avait été d’autant remarqué que, dans le même temps, « naissait » le concept (plutôt que notion) d’asexualité, se revendiquant comme une nouvelle « orientation sexuelle » : ne ressentir que peu ou pas d’attirance pour une autre personne. À l’époque actuelle où un nouveau « concept » sur la sexualité apparaît chaque année, il en va de même des définitions qui émanent le plus souvent d’un groupe restreint d’individus ou d’une conclusion hâtive des réseaux sociaux, et non de la convergence de plusieurs analyses scientifiques concordantes.
Bien qu’elle paraisse importante, cette proportion de sujets n’ayant pas eu d’activité sexuelle pendant les 12 derniers mois est sensiblement identique, en France, depuis 1970 date du rapport Simon, premier rapport sur la sexualité des Français : 18% (Simon, 1970), 2xx% (Spira, 1992), 24% (CSF, 2006). Or, il s’agit d’une catégorie très peu homogène–nous en connaissons les causes–ou cette absence d’activité sexuelle peut être motivé par pour une faible partie par un trouble biologiques et/ou hormonal, ouvre une plus large par des syndrome d’inhibition psychologique ou psycho sociale. Qu’une autre part (à mon sens très faible) représente des sujets attribuant leur comportement à une absence d’attirance sexuelle, est tout à fait concevable. Une part d’entre eux sont certainement dans une inhibition relationnelle et un refoulement des pulsions leur ayant permis de trouver ainsi un équilibre au long cours.
Récession sexuelle
J’avoue avoir rencontré ce concept pour la première fois dans ce communiqué de presse, vraisemblablement issu de l’anglais/américain : Sex-Recession, avec tout de même une valeur très négative de déclin, recul, régression ! Comme si cette évolution n’était qu’une involution et que la sexualité ne pouvait évoluer qu’en plus de fréquence, d’inventivité ! Le sexe ne pourrait-il pas échapper à la notion de progrès ?
L’IFOP explique que cette « contraction de l’activité sexuelle s’inscrit dans un contexte de dissociation croissante entre conjugalité et sexualité ». Plus de la moitié des femmes adultes (54%) et 42% des hommes déclarent qu’ils pourraient vivre avec quelqu’un dans une relation purement platonique. Les Français semblent ainsi de plus en plus penser qu’ils « ne sont plus obligés d’avoir une vie sexuelle intense ou trépidante pour réussir son couple », explique François Kraus (IFOP).
L’aspect intéressant d’une telle étude est de nous faire réfléchir aux changements « vrais » qu’elle véhicule, non pas à cette marge de 18 à 20 % de sujets n’ayant pas connu de réalisation sexuelle dans les douze derniers mois, mais plutôt à la proportion de 28 % des jeunes de 18 à 24 ans n’ayant pas et de relation intime dans cette dernière année : ça, c’est nouveau, à un âge où la pulsion sexuelle est forte dans une société assez libre à ce sujet. Deux facteurs peuvent être évoqués : l’évolution des attitudes féminines, plus encore depuis la période des hashtags, incitant notamment les très jeunes femmes à plus d’exigence du consentement là où les générations précédentes étaient plus « acceptantes » ; l’évolution des réactions masculines en retrait d’une sexualité qui leur semble menaçante (peur de blesser, crainte du non-consentement, peur d’être insuffisant).
À l’auberge du cul tourné
L’étude (IFOP/LELO) semble faire un lien avec la forte consommation d »écrans » et notamment de jeux vidéos comme d’un « empêchement à l’amour ». Près de la moitié des moins de 35 ans qui vivent en couple cohabitant (50% des hommes, 42% des femmes) reconnaissent par exemple avoir déjà évité un rapport sexuel pour regarder une série, un film… jouer à un jeu vidéo ou même consulter leurs réseaux sociaux, (48% des hommes et 19% des femmes).
Personnellement je pense que le lien peut être fait mais non dans un sens causal, plutôt d’une conséquence : un vieux proverbe français – que beaucoup connaissent encore – signait le refus de la sexualité : « dormir à l’auberge du cul tourné », une manière, dans le lit conjugal, de se détourner du conjoint en lui offrant son dos. Le détournement vers les écrans, voire le jeu vidéo en ligne, apparait comme une façon nouvelle de refuser lorsque on ne sait pas, ou on ne veut pas, dire non.
D’autres ont pu lier hâtivement cette fausse décroissance à un refus de la natalité, pour certains en lien avec l’éco-anxiété. Tout cela est trop rapide d’interprétation car s’il est évident que la sexualité des jeunes générations semble impactée, peut-être en lien avec l’évolution des attitudes féminines/masculines dans les couples cisgenre (qui représentent toujours plus de 90 % des couples), nous n’avons pas d’indice réel d’une réduction de l’intérêt de l’ensemble de la population pour la sexualité et il faut par ailleurs plutôt nous appuyer sur des études scientifiques solides (CSF 2006) que sur des sondages d’opinion, notamment ici à la demande du groupe leader dans la vente des Sex Toys (LELO).
Enfin, si la corrélation pouvait s’inverser, nous ne pourrions que reprendre le slogan international des années 60/70 : Make Love Not War !
* Étude IFOP pour LELO réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 29 décembre 2023 au 2 janvier 2024 auprès d’un échantillon de 1 911 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus ; ** Bajos N. et Bozon M. (dir.), Enquête CSF sur la sexualité en France, Paris, La Découverte, 2008.
..................................................
Publié le 03.12.2023 à 00:49
Châtiée par de nouvelles règles morales, la langue a récemment exclu de son répertoire les injures genrées, féminines bien sûr (mais aussi masculines) parmi lesquelles « traiter son adversaire de « petite bite » ». Mais le terme reste vivace et fortement humiliant. Derrière cette invective se cache la toujours présente domination masculine et son emblème millénaire : le phallus. Ni pénis, ni verge – et au-delà des cultures – le phallus est le formidable symbole de la puissance masculine de par la différence anatomique fondamentale qui a été validée comme une évidence par Freud lorsqu’il parle de complexe de castration chez l’homme et d’envie du pénis–phallus chez la femme. Le corollaire en est le désir d’un phallus puissant (à tous les points de vue) qui caractérise la domination masculine.
A contrario la honte couvre le petit pénis. Quand on sait combien le désir de normalité est l’un des premiers motifs de consultation en sexologie à l’adolescence (aspect de la poitrine et de la vulve chez la fille, taille du sexe chez le garçon), les très rares petits pénis (7 cm en érection, 3,5 cm au repos) sont vécus comme une infériorité voire une humiliation, synonyme de : « Je ne suis pas un homme » ! Le récent ouvrage d’Octavie Delvaux, Éloge des petites bites* (très judicieusement sous-titré : pour en finir avec la dictature viriliste) vient très à-propos combler le manque de reconnaissance des pénis de petite taille qui se révèlent plutôt très appréciés de leurs partenaires lorsqu’ils sont maniés avec adresse et délicatesse.
Petits riens
C’est une belle et fine étude des petits pénis que nous propose Octavie Delvaux, se faisant ainsi sociologue en interrogeant hommes et femmes sur leur expérience de la « petite bite » mais aussi romancière tant la diversité des attitudes, des situations, la variété des bites, la multiplicité des cas d’insuffisance pénienne, la variété des histoires de vie chante une véritable romance. Il n’est en effet jamais anodin d’être pourvu d’un organe jugé « trop grand ou trop petit ».
Octavie D. nous emmène dans les limbes du petit vit, dans les recoins insoupçonnés de la sexualité insuffisante, dans le dépassement – parfois inouï – de supposées faiblesses qui peuvent se révéler comme tout autant de jouissances. Car c’est le plaisir qui est au centre de l’intrigue, de l’inquiétante rencontre de l’autre rigolant de la « petite bite », certaines la découvrant par hasard et s’en accommodant, d’autres, la découvrant avec jouissance, qui en redemandent. Le catalogue des avatars de ce que certains pensent comme une infirmité est illimité, tant le « petit biteur » est amené à se dépasser dans la séduction, les manoeuvres manuelles, le BDSM… « Autre profil caractéristique des hommes au petit pénis, le Don Juan. Si cela peut paraître surprenant au premier abord, on l’explique pourtant aisément. Jouer le tombeur, accumuler les conquêtes sans s’attacher, multiplier les partenaires d’un soir, est aussi une stratégie d’évitement. »
Bite féminine
Octavie D. passe les siècles en revue, l’Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance… Elle souligne ainsi la pensée du XIXe siècle : « Et si le clitoris était la petite bite de la femme ? Les auteurs n’iront pas jusqu’à l’exprimer aussi clairement… Mais il y a un peu de cela. L’homme a une grosse verge, la dame une toute petite. Notons que chez les femmes de l’époque l’on appréciait plutôt ce qui est « petit/mignon/étroit »… fragile, en somme. » Au XXe, la libération des mœurs et l’avènement de la pornographie signeront ensuite « le triomphe de la grosse bite ». C’est l’occasion pour cet autrice de s’interroger : « Pourquoi les avancées féministes ne nous préservent pas de l’hégémonie, pour ne pas dire de l’agression permanente du gros phallus ? » Car le message de ce livre est révolutionnaire : « Je suis une femme, j’adore le sexe, et je me contrefiche de la taille d’un pénis (…) Nous (les femmes) connaissons le peu d’importance de la taille d’un pénis par rapport aux vraies qualités d’un amant : l’écoute, la connaissance du corps des femmes et de leurs désirs. Et ceux qui avaient l’habitude de tout miser sur leur verge colossale ont du chemin à faire car les partisanes du « néo sexe » sont là, de plus en plus nombreuses, prêtes à vous démontrer le bien-fondé de leur raisonnement… »
Novatrice
Enfin, cerise sur le gâteau, l’écrivaine enquêtrice sera plébiscitée pour sa démarche novatrice : « Ce qui est rigolo, c’est qu’à côté de ça, j’ai quand même pas mal de demandes d’hommes qui veulent que je mette une note à leur bite, quelle que soit sa taille (je reçois de tout : petite, grosse, très grosse). »
Un livre délicieux qui comble un véritable « manque » en levant un tabou mais surtout en révélant aux hommes complexés qu’ils peuvent être de merveilleux amants. Peu importe la taille de la bite !
* Éloge des petites bites, pour en finir avec la dictature viriliste d’Octavie Delvaux, La Musardine.
..................................................