The Big Picture
Marc ENDEWELDJournaliste et écrivain
04.09.2023 à 18:19
Groupe Dassault : Charles Edelstenne prépare son départ d’ici la fin de l’année
Marc Endeweld
Texte intégral (1781 mots)
C’est une surprise. Selon mes informations, Charles Edelstenne, tout puissant président directeur général du groupe industriel Marcel Dassault (GIMD) quitterait la présidence du groupe dès la fin de l’année (ou au plus tard en début d’année), soit un an tout juste avant la date statutaire de la fin de son mandat prévu pour la fin 2024. GIMD détient les participations de la famille dans Dassault Aviation (62%), Thales (25%), Dassault Systèmes (40%), mais aussi Immobilière Dassault, Artcurial, Dassault Wine Estates ou encore le Groupe Figaro.
« Le dossier s’accélère. Edelstenne part plus vite que prévu », me confie ainsi une source bien informée du processus en cours. Aujourd’hui âgé de 85 ans, Charles Edelstenne, le véritable taulier de la maison Dassault, avait obtenu l’année dernière un répit de deux ans supplémentaire à la tête du groupe, en l’absence d’un successeur désigné. Début 2022, il avait donc été décidé de repousser la limite d’âge pour son poste jusqu’à 87 ans.
Départ anticipé pour mieux imposer son successeur
Ce départ anticipé ne signifiera pas une perte d’influence de celui qui a commencé sa carrière comme expert comptable avant de se hisser au plus haut niveau. Bien au contraire : car si Edelstenne a finalement décidé de partir avant la fin de son mandat, c’est pour mieux peser sur le profil de son successeur et le contrôle du groupe, notamment face à la famille Dassault.
De fait, en écourtant son dernier mandat, le patron du groupe essaye d’imposer le profil de son remplaçant pour mieux maintenir son influence au sein du groupe après son départ. Le nom d’Olivier Costa de Beauregard, l’actuel directeur général de GIMD, est évoqué. « Car face à Edelstenne la course est engagée, et tous les actionnaires familiaux ont leur petite idée, la plupart souhaite nommer un profil extérieur à l’éco système Dassault. Il y a des hypothèses extravagantes et en plus ils sont divisés », m’explique mon interlocuteur. Laurent Dassault, qui bataille ainsi depuis de nombreux mois contre Charles Edelstenne, préconise de nommer l’ancien patron d’ATOS, Thierry Breton, actuellement commissaire européen au Marché intérieur.
L’État refuse que la famille joue un rôle
Sauf que le groupe Dassault, qui n’a jamais été aussi riche et puissant industriellement qu’aujourd’hui, n’est pas une entreprise familiale comme une autre. Constructeur du Rafale, l’État reste son premier client et son premier agent commercial à l’étranger. Et l’État, traditionnellement, refuse que la famille joue un quelconque rôle : « L’idée que les enfants Dassault dirigent est une fausse idée, me souligne ainsi un haut fonctionnaire de la Défense. La famille est là pour toucher du fric mais ne commande pas ». D’autant plus que GIMD est l’actionnaire de référence du groupe de Défense Thales, et contrôle de ce fait Naval Group. Ces dernières années, Charles Edelstenne avait d’ailleurs l’habitude de dire aux enfants : « vous êtes les actionnaires, moi le patron, je m’occupe de l’industriel, vous, de vos dividendes ».
De fait, au sein de l’État, les hauts fonctionnaires commencent à perdre patience. Tous aimeraient être fixés sur leur prochain interlocuteur à la tête d’un groupe si stratégique. Mais remplacer Charles Edelstenne n’est pas chose facile. L’homme qui n’est pas un simple manager a su se constituer un véritable pouvoir depuis cinquante ans, et détient tous les secrets du groupe. Ainsi, au-delà de sa personne, c’est la perpétuation du système Dassault qui se pose. « Suite au scandale Agusta en Belgique, Edelstenne est devenu l’homme qui gère les relations avec les responsables politiques. Son remplaçant va devoir se coltiner les politiques », assure un observateur. Irremplaçable Charles Edelstenne ? Le haut fonctionnaire de la Défense que j’ai interrogé n’est pas loin de le penser : « C’est un homme remarquable. Et c’est un mec qu’on ne baise pas sur les chiffres ». Depuis que Marcel et Serge Dassault lui ont proposé d’investir au capital de Dassault Systèmes, une filiale devenue un fleuron de l’électronique qu’il a contribué à créer dans les années 1980, Charles Edelstenne a amassé une sacrée cagnotte : selon Forbes, c’est la 26e fortune professionnelle de France en 2021, avec près de 2,5 milliards d’euros. Cet été, ce patron et redoutable financier a d’ailleurs acheté de nouvelles actions de Dassault Systèmes pour 7 millions d’euros.
Mettre un terme au statu quo historique ?
Dans la bataille qui oppose cet homme de pouvoir à la famille, un premier épisode s’est déroulé au début de l’été. Alors que les enfants avaient tenté de placer l’ancien ministre Alain Lambert à la tête du comité des sages du groupe, Charles Edelstenne avait finalement réussi à imposer Henri Proglio, l’ancien patron de Veolia et d’EDF, à la présidence dudit comité, lieu clé pour contrôler la future succession. De son coté, Henri Proglio serait intéressé de succéder à Charles Edelstenne, mais sans grande illusion : il sait que le président Emmanuel Macron l’a inscrit depuis longtemps sur sa liste noire. À moins que le rapport de force n’ait évolué avec le temps ?
À son époque, Serge Dassault avait d’ailleurs envisagé de nommer Henri Proglio, un profil pour le moins politique, pour succéder à Charles Edelstenne. En attendant, la famille n’a pas dit son dernier mot. Certains souhaiteraient mettre un terme au statu quo historique, et renverser la table. En coulisses, Laurent Dassault caresse toujours l’idée de proposer à Vincent Bolloré d’entrer dans GIMD comme partenaire minoritaire, comme je l’avais dévoilé l’année dernière dans Marianne, espérant ainsi avoir enfin son mot à dire face à l’État.
02.08.2023 à 12:16
Atos / Eviden : les doutes de la "place de Paris"
Marc Endeweld
Texte intégral (2020 mots)
La descente aux enfers du cours de bourse d’Atos continue. Depuis la présentation des résultats semestriels jeudi dernier, la valeur du titre du groupe informatique a en effet chuté près de moitié. Hier matin, la direction d’Atos a tenté de réagir en publiant un long communiqué pour annoncer officiellement le début des négociations exclusives avec Daniel Kretinsky pour le rachat de la filiale Tech Foundations et la participation du milliardaire tchèque à une augmentation de capital du groupe (qui sera appelé Eviden après cession de Tech Foundations), une opération que j’avais annoncée dans mon article dès lundi, « Rien ne va plus chez Atos : vers un démantèlement ? ».
Un nouveau conseil d’administration convoqué en urgence
Dans cet article, j’y soulignais également que le groupe informatique traversait en réalité une grave crise de liquidité, et qu’il était à deux doigt de se retrouver en défaut de paiement, faute de cash. Et ce, malgré les cessions réalisées ces derniers mois ou annoncées prochainement (la direction évoque depuis jeudi dernier de vendre encore pour 400 millions d’euros d’actifs sans préciser lesquels). Pire, je dévoilais qu’Atos allait devoir rembourser sa dette avant la fin 2024. Celle-ci se monte désormais à 2,32 milliards d’euros.
Selon mes informations, Bertrand Meunier a dû convoquer en urgence un nouveau conseil d’administration entre lundi et mardi pour entériner l’officialisation des négociations avec Daniel Kretinsky (qui sera associé dans l’opération à venir du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière), ainsi que la nomination d’un nouveau directeur financier en la personne de Paul Saleh, histoire de calmer les marchés. Ce coup de com’ un 1er août est loin d’avoir convaincu, et ce matin, le cours de bourse d’Atos continuait de chuter. « C’est la panique ! », me confie un cadre du groupe.
Il faut dire que le communiqué d’Atos est particulièrement alambiqué, alternant entre méthode Coué et demi mea culpa. On y apprend ainsi que « le groupe cherchera ainsi à étendre ses échéances et à réduire sa dette, tout en poursuivant la normalisation de son fonds de roulement ». Atos reconnaît donc implicitement que le groupe se retrouve pour l’instant face à de véritables difficultés tant concernant ses liquidités qu’en ce qui concerne sa capacité à rembourser sa dette… à temps.
Dans le fameux communiqué, le groupe tente toutefois de rassurer actionnaires, investisseurs et marché, en réaffirmant que les cessions à venir, ainsi que l’opération avec Daniel Kretinsky, va lui permettre de se rétablir. Une fois séparé de Tech Foundations, le groupe, devenu Eviden, assure pouvoir envisager « d'accélérer sa création de valeur », et se positionner comme « un leader à forte croissance sur les marchés du numérique, du cloud, de la cybersécurité et de l'advanced computing ». Et d’ajouter que le groupe « est confiant dans sa capacité à réaliser ces cessions rapidement.»
Plus de questions que de réponses…
En attendant, on apprend aussi que l’opération à venir avec Daniel Kretinsky et Marc Ladreit de Lacharrière aura « un impact positif net sur la trésorerie de 0,1 milliard d'euros ». Au regard des enjeux globaux, cette dernière remarque est particulièrement grotesque, et démontre bien la situation particulièrement critique du groupe concernant sa trésorerie. Comme le souligne Le Monde, ces 100 millions d’euros attendus après la cession de Tech Foundations est « une somme extrêmement faible au regard de la taille de Tech Foundations, qui réalise 5,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 52 000 salariés dans le monde ».
Au final, le communiqué d’Atos apporte donc plus de questions que de réponses. Si on comprend que l’augmentation de capital s’élèvera finalement à 900 millions d’euros avec la participation à la hauteur de 217,5 millions d’euros pour Kretinsky et Lacharrière, soit 7,5 % d’Evidian, on a du mal à voir comment l’actuelle direction va pouvoir convaincre le reste des actionnaires de mettre au pot pour compléter cette augmentation de capital. Par ailleurs, dans le cadre de la cession de Tech Foundations, on ne sait pas pour le moment quelle est la part de dette du groupe qui reviendra à l’acheteur… La dette est-elle reprise par Daniel Kretinsky ? Dans quelle proportion ?
Des perspectives de croissance irréalistes ?
Atos l’assure pourtant, avec cette cession, « le groupe bénéficierait d'une situation de liquidité nettement améliorée avec une génération de flux de trésorerie positive, grâce à sa performance opérationnelle et à des charges de restructuration nettement inférieures ». Le groupe informatique annonce ainsi qu’Eviden vise en 2023 « une accélération de sa croissance organique (par rapport à 2022) et une amélioration de sa marge opérationnelle (par rapport à 2022) ». Les objectifs annoncés à terme apparaissent quelque peu ambitieux : « L'ambition d'atteindre une croissance annuelle moyenne de 7% du chiffre d'affaires sur la période 2022-2026, avec une marge opérationnelle d'environ 12 % en 2026. »
Or, comme je l’avais rappelé dès le printemps dernier, dans cet article (« Le fiasco du projet de découpage d’Atos »), cette perspective sera particulièrement difficile à réaliser. À l’origine, pour engager ce découpage, Bertrand Meunier pariait en effet sur des résultats positifs issus de la filiale Evidian (qui deviendra donc Eviden), et justifiait le bradage de Tech Foundations par des mauvais résultats attendus. Las ! Les résultats 2022 d’Atos sont venus totalement chambouler ses plans : avec une sous performance inattendue d’Evidian, obtenant une marge opérationnelle de 5,3 % (et non de 10 % comme espérée), bien en deçà de la concurrence (Capgemini est par exemple à 13 % en 2022), et avec une stabilisation de la situation de Tech Foundations.
La consternation sur la place de Paris
Après ces dernières circonvolutions de communication de la part d’Atos, nombre d’observateurs sont restés sur leur faim. Pire, tous ont perçu la panique ambiante et le manque manifeste de clarté de la part de la direction d’Atos. Autre élément d’étonnement : le silence particulièrement pesant des pouvoirs publics et de l’AMF sur ce dossier pourtant hautement stratégique.
Sur la place de Paris, c’est la consternation. En off, les critiques fusent contre Bertrand Meunier. Même des acteurs éloignés du secteur numérique craignent désormais que le règlement de ce dossier, comme celui de Casino, révèle une nouvelle fois auprès des investisseurs étrangers, et notamment anglo américains, les faiblesses de la place de Paris, tant au niveau de son opacité que de la continuation des petits arrangements entre l’État et les dirigeants.
Beaucoup s’interroge également sur le rôle des banquiers d’affaires dans ce dossier. Comme je l’avais exposé dans mon premier article, la banque Rothschild est particulièrement pointée, comme dans le dossier Casino : ainsi, la banque d’affaires conseille officiellement Atos alors que l’un de ses principaux banquiers, Grégoire Chertok, travaille également pour Daniel Kretinsky. Un mélange des genres dans la grande tradition française et parisienne…
31.07.2023 à 12:48
Rien ne va plus chez Atos : vers un démantèlement ?
Marc Endeweld
Texte intégral (2733 mots)
Un plongeon vertigineux. Lors de la journée de vendredi, le cours de bourse de la société informatique Atos a plongé de plus de 20 %. Incontestablement, les marchés n’ont guère été convaincus par la publication intervenue le jour précédent des comptes semestriels du groupe. Les chiffres donnent le tournis : 600 millions de perte sur le premier semestre. Mais c’est surtout l’effondrement du flux de trésorerie disponible du groupe informatique qui inquiète actionnaires et investisseurs, passant de -555 millions à -969 millions d'euros, bien en dessous des attentes des analystes. Abyssal : en six petits mois, Atos a brûlé près de 1 milliard d'euros de cash !
La panique gagne le management
La direction tente de justifier cette situation financière par le coût du plan de réorganisation en cours (estimé à 274 millions d’euros sur les six derniers mois !). Ce projet de découpage en deux entités, voulu par Bertrand Meunier, le président du conseil d’administration, avait déjà donné des signes de faiblesse au printemps dernier, comme je l’avais relaté dans un article précédent. Inefficace, manifestement coûteux, il est clair, pour de nombreux observateurs, que ce découpage ne permettra pas de sauver cette entreprise de 110 000 salariés (dont 20 000 en France).
Malgré les critiques et la tentative des petits actionnaires en juin dernier pour le déloger de son poste, Bertrand Meunier reste droit dans ses bottes et explique à ses troupes que tout se déroule comme prévu. Au sein du groupe informatique, la confiance est pourtant rompue, la panique gagne le management, des cadres partent. Atos semble sans cap ni boussole. C’est que les cessions envisagées ces derniers mois ne pourront pas résoudre l’équation financière à laquelle doit faire face le groupe. Et selon mes informations, si aujourd’hui l’exploitation continue de perdre de l’argent, le pire est à venir avec le remboursement de la dette l’année prochaine (l’échéance doit en effet intervenir à la fin 2024). Pour ne rien arranger, les risques juridiques s’accumulent. Les commissaires aux comptes et les auditeurs sont sous pression.
Seuls les conseils d’Atos et les banquiers d’affaires présents dans le dossier gardent le sourire, profitant de leurs honoraires non rendus publics, ou alléchés par leurs fees à venir. Jean-Marie Messier, David Azéma chez Perella Weinberg Partners (PWP), et Rothschild & Co travaillent tous sur le cas Atos.
Le conseil d’administration a duré huit heures
Au sein de son conseil d’administration, Bertrand Meunier peut compter aussi sur Alain Minc et Jean-Pierre Mustier, l’ancien banquier de la Société Générale (qui a commencé sa carrière dans les années 1980 comme trader sur les produits dérivés), nommé notamment pour remplacer Édouard Philippe. L’ancien Premier ministre était en effet administrateur d’Atos depuis 2020, mais a préféré partir devant l’amoncellement des nuages noirs au-dessus du groupe informatique.
Signe d’une tension maximale : jeudi dernier, le conseil d’administration d’Atos a duré près de huit heures. J’ai pu recueillir plusieurs éléments qui ont été présentés à cette occasion et qui n’ont pas fuité jusqu’à présent dans la presse. Ainsi, après avoir présenté les résultats semestriels du groupe, Meunier a tenté de montrer aux administrateurs qu’il avait encore un cap et que son projet de découpage tenait toujours la route.
Augmentation de capital contre cession de Tech Foundations
Le président du conseil d’administration a annoncé une augmentation de capital d’Atos, à laquelle vont participer de concert les milliardaires Marc Ladreit de Lacharrière et Daniel Kretinsky (qui sont déjà associés dans le dossier Casino). Cette augmentation de capital s’élèverait à 300 millions d’euros (le chiffre de 350 millions a également été évoqué).
Cette opération comprendra en fait la cession de la filiale d’infogérance d’Atos, appelée Tech Foundations, à Daniel Kretinsky (associé donc à Marc Ladreit de Lacharrière). Pour ce dernier qui négocie avec Atos depuis des mois pour ravir Tech Foundations, c’est une nouvelle fois « tout bénef ». Même si tout n’est pas finalisé, le milliardaire tchèque souhaite bénéficier en retour d’une soulte confortable. Un généreux cadeau qui lui permettra de financer sa participation au capital d’Atos… Toutefois, cette perspective ne plaît guère aux banques créancières d’Atos, la JP Morgan, et surtout BNP Paribas, alors que la dette d’Atos s’élève désormais à 2,32 milliards d'euros, mais dans ce dossier, ces dernières vont surtout tenter de préserver leur intérêt.
Reste que si Kretinsky et Meunier sont tombés d’accord, ce « montage » n’est pas encore passé au vote lors du fameux conseil et n’a donc pas pu être rendu public (Avant la tenue du conseil d’administration, Bertrand Meunier, que j’avais contacté via sa communicante Anne Méaux, n’a pas souhaité s’exprimer). Au vu de son importance, il serait étonnant qu’une assemblée générale exceptionnelle des actionnaires ne soit pas convoquée prochainement pour adouber cette augmentation de capital doublée d’une cession. « Qui négocie pour Atos avec Kretinsky ? Meunier, alors qu’il n’est pas mandataire social ? La direction d’Atos ? Personne ne le dit. On n’est informé de rien, c’est l’opacité la plus totale ! », fulmine d’ailleurs un petit actionnaire qui en a assez de se retrouver devant le fait accompli depuis des mois. Malgré les critiques des actionnaires, l’Autorité des marchés financiers (AMF) reste silencieuse. Interrogé au sujet d’Atos, son service de communication me répond : « l’AMF est tenue au respect du secret professionnel et ne fait aucun commentaire sur les dossiers en particulier ». Silence radio également côté du cabinet de Bruno Le Maire, le ministre « de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique », qui suit pourtant le dossier de près.
[Actualisation mardi 1er août : ce matin, Daniel Kretinsky et Atos ont finalement officialisé la vente de Tech Foundations contre la participation à une augmentation de capital dans Evidian. Une augmentation de capital qui s’élèvera au total à 900 millions d’euros avec la participation à la hauteur de 217,5 millions d’euros pour Kretinsky et Lacharrière, soit 7,5 % d’Evidian. À travers cette opération (participation dans l’augmentation de capital contre cession), Daniel Kretinsky ne déboursera que 100 millions pour récupérer Tech Foundations]
Airbus espère toujours mettre la main sur BDS
D’autant que le dossier Atos n’intéresse pas uniquement Daniel Kretinsky. Malgré les fortes résistances au sein de l’éco-système de Défense français, les discussions avec Airbus continuent. Après avoir donné une fin de non recevoir assez brutale en mars dernier à la proposition de Bertrand Meunier d’entrer à la hauteur de 30 % au capital d’Évidian, la filiale d’Atos qui comprend les stratégiques activités cybersécurité et supercalculateurs, l’avionneur a bien continué à échanger avec le groupe informatique. Or si Airbus a refusé dans un premier temps la proposition de Meunier, c’est que le groupe aéronautique convoitait surtout la division BDS (Big Data & Security) au sein d’Évidian.
Justement, selon mes informations, les discussions en cours entre Atos et Airbus concernent désormais une cession de BDS à l’avionneur, bien que l’entourage de Meunier me fait dire « qu’Atos n’a aucun intérêt de se séparer de BDS car cela ferait perdre de la valeur à Evidian ». En réalité, les deux groupes ne seraient pas encore tombés d’accord sur la valeur de BDS.
Le scénario d’un démantèlement se précise
En attendant, Atos pourrait avoir trouvé un acheteur supplémentaire pour d’autres actifs. Début juillet, le businessman David Layani (One Point), qui n’a cessé ces derniers mois de montrer son intérêt pour le groupe informatique, semble avoir remporté un feu vert auprès de son management, pour récupérer le reste de la filiale Evidian (sans BDS donc), comme une partie de son entourage me le confirme.
Alors que cela fait des mois que la bataille autour d’Atos est engagée, à coup de campagnes médiatiques, de négociations menées via une nuée de banquiers d’affaires, et de lobbying auprès des pouvoirs publics, le groupe informatique, devant faire face à de nombreuses difficultés dans l’ensemble de ses branches, et se trouvant finalement au bord de la faillite, pourrait être finalement vendu par appartements.
Ce scénario du démantèlement, la direction d’Atos l’a toujours nié, et continue d’expliquer que son projet de découpage tient la route. Mais dans la torpeur de l’été, et à la faveur du silence des pouvoirs publics, on pourrait en fait assister en coulisses à une véritable liquidation du groupe informatique entre trois acheteurs. D’ailleurs, le groupe de Défense Thales, qui convoitait également BDS depuis de nombreux mois, a annoncé la semaine dernière le rachat de la société américaine de cybersécurité Imperva. Comme un lot de consolation ?
L’ardoise magique du capitalisme français
Pour Atos, un scénario alternatif est-il encore possible ? « Rien n’est possible tant que Meunier est là, cingle un observateur. Depuis qu’il a pris la main, la valeur de l’entreprise a été divisée par 10. C’est une sanction terrible, sans appel. Si une alternative doit se faire, c’est sans lui. Il faut que les pouvoirs publics ainsi que les banques réclament son départ ». Étrangement, au cœur de l’été, le silence prévaut. Et comme on a pu le voir ces derniers mois avec les dossiers Orpéa et Casino, la « restructuration » d’Atos semble se faire loin des regards des actionnaires et des obligataires.
Dans le dossier Casino, où l’on retrouve Daniel Kretinsky et Marc Ladreit de Lacharrière, ces derniers vont mettre 900 millions d’euros contre un effacement de la dette de près de 5 milliards d’euros. Et dans le dossier Orpéa, dans lequel certains actionnaires ont porté plainte, la dette de l’entreprise a été réduite de 3,8 milliards d’euros. Ces derniers temps, le capitalisme français semble ivre d’une ardoise magique. Comme le rappelle Mathias Thépot dans Médiapart, ces effacements de dette ont notamment été rendus possible par la nouvelle « procédure de sauvegarde accélérée », instaurée par une ordonnance du 15 septembre 2021, qui donne la possibilité, lorsqu’une société se retrouve en grande difficulté financière, de se passer dans l’urgence de l’avis des actionnaires et d’une partie minoritaire des créanciers pour mettre en œuvre un plan de restructuration.
11.06.2023 à 23:51
Et maintenant l’État au secours de Naouri : le dossier Casino au CIRI
Marc Endeweld
Texte intégral (1521 mots)
Durant près de trente ans, on lui a tout laissé passer, tout pardonné. C’est que Jean-Charles Naouri, patron de Casino, mastodonte de la grande distribution qui croule sous les dettes, est un petit génie des maths. Au concours de Normale Sup’, n’a-t-il pas réussi l’exploit (à 17 ans !) de battre le record de points du célèbre mathématicien Henri Poincaré ? Au pays de Descartes, c’est comme si Naouri avait pu disposer de la pierre philosophale.
Voilà comment cet énarque, ancien directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy aux ministères des Finances dans les années 1980 puis banquier d’affaires chez Rothschild, a pu grossir toujours plus, rachetant ces dernières années les franchises à tour de bras, malgré des signes de faiblesses flagrants et un marché de la distribution bouleversé par l’Internet. Aujourd’hui, le retour aux réalités est douloureux : l’ardoise de ce petit génie des mathématiques pèse près de 10 milliards d’euros de dettes, près de 3 milliards pour sa holding Rallye et plus de 6 milliards pour le groupe Casino en tant que tel.
Naouri penche pour Kretinsky
À 74 ans, Naouri est acculé. Ses principales banques, Crédit Agricole, BNP Paribas et Natixis n’en peuvent plus d’attendre depuis quatre ans le désendettement du groupe. Résultat, ces derniers mois, le cours de bourse a dévissé et les prédateurs rôdent. À l’affût, le groupe Intermarché qui souhaite racheter une centaine de magasins, mais aussi le trio Niel, Pigasse, Zouari (ce dernier est notamment propriétaire de Picard Surgelés), qui n’ont pas dit leur dernier mot devant le festin à venir, malgré l’arrêt des négociations entre Casino et le groupe Teract (dans lequel le trio a investi). Ces trois-là envisagent aujourd’hui de partir en solo à l’assaut de Casino.
Mais pour sauver sa peau, et même la face, Naouri penche plutôt pour le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky qui était déjà venu à son secours les années précédentes : conseillé par la banque Rothschild, déjà actionnaire de FNAC Darty et de l’allemand Metro, ce dernier pourrait apporter 750 millions d’euros au groupe, tandis que Marc Ladreit de Lacharrière, le fondateur de Fimalac, pourrait de son côté injecter 150 millions d’euros. Kretinsky, l’empereur du charbon qui a fait sa fortune en rachetant à bas prix de centrales à charbon délaissées, est pourtant dur en affaires, et attend, comme Naouri, que les dettes soient renégociées « généreusement ». Concrètement, que l’ardoise des 6 milliards des dettes soit au moins effacée de moitié !
Plus de 50 000 salariés en France
Las ! Les banques ne l’entendent pas du tout de cette oreille et ne verraient pas d’un mauvais œil le démantèlement du groupe. Fin mai, le tribunal de commerce de Paris a pourtant annoncé l’ouverture d’une conciliation sur l’épineux dossier des dettes, qui doit permettre à l'entreprise de conclure un accord avec ses créanciers en vue d'une potentielle restructuration de sa dette. De son côté, Naouri espère encore que l’État va venir à son secours pour convaincre les banques d’éponger ses dettes et éviter que ces dernières ne démantèlent son groupe. Dans la balance, lui comme Kretinsky peuvent faire valoir plus de 200 000 salariés, dont plus de 50 000 en France.
Le dossier Casino est ainsi en cours d’instruction au CIRI, le comité Interministériel de Restructuration Industrielle à Bercy. Peu connu du grand public, le CIRI est un outil pour aider les entreprises en difficulté. Le comité peut aider à trouver des financements et des solutions pour restructurer ou sauver des entreprises. Bien évidemment, les pouvoirs publics sont toujours sensibles aux versants sociaux de ces dossiers financiers et industriels traités en urgence. « C’est en général très suivi par le cabinet, quelque fois à la limite du jouet, remarque une ancienne conseillère ministérielle qui a connu les couloirs de Bercy. Nous, on a sauvé des entreprises qui s’étaient fait manger par des fonds de pension agressifs et qui voulaient les dépouiller ».
J’ai contacté le cabinet de Bruno Le Maire qui préfère pour le moment ne faire « aucun commentaire » sur ce dossier Casino explosif. Pas simple pour un ministre qui a l’habitude de se bagarrer avec les distributeurs pour les droits des consommateurs d’apparaître comme le sauveur de Casino. L’Élysée a également demandé au ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, de garder un œil sur le dossier. Autant dire qu’à 74 ans, et alors qu’il a passé quelques heures en garde-à-vue début juin dans un dossier de manipulation de cours (dont il est ressorti sans poursuites), Jean-Charles Naouri continue de bénéficier de nombreuses indulgences… « Mais les banques ne vont pas se laisser faire ! s’exclame un observateur de la place de Paris. Ça va exploser ! »
18.05.2023 à 00:56
Les ambitieux préparent déjà l’après Macron
Marc Endeweld
Texte intégral (4574 mots)
Un petit air de déjà-vu. Comme une énième fusée politique sur un pas de tir. La semaine dernière, Les Échos ont consacré, dans leur magazine du week-end, plusieurs pages pour le moins louangeuses à Gabriel Attal, le jeune ministre des Comptes Publics. « Le charme, c’est indispensable pour aller loin en politique », n’a pas peur d’écrire le journaliste Henri Gibier dans son « enquête » consacrée aux « secrets d’une ambition ». Flatteur, forcément.
Tout l’article tourne autour de l’idée que Gabriel Attal, aujourd’hui 34 ans, se prépare aux plus hautes fonctions. « L’ambition ancienne, méthodique, de quelqu’un qui a la prudence de ne pas se proclamer promis à grand destin, mais la volonté de s’en construire un », décrit Gibier avant toutefois d’enfoncer le clou, en rappelant que l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing s’était, lui aussi, retrouvé à 33 ans ministre du Budget, en 1959. « Il égalise le record de VGE », se félicite le quotidien économique dans un intertitre. Nuances ou gros sabots, il faut choisir. Interviewé, le député Jean-René Cazeneuve, rapporteur de la commission des Finances, constate : « A Renaissance, c'est une star ».
Le temps est passé vite. Cinq ans plus tôt, tout juste nommé au gouvernement, le jeune Gabriel était encore « coaché » par Laurent Fontaine, l’ancien animateur producteur de TF1 (mais si, rappelez-vous, l’émission « Y a que la vérité qui compte » du duo Bataille & Fontaine) et par ailleurs proche ami de Bruno Roget-Petit, l’ancien journaliste devenu « conseiller mémoire » à l’Élysée.
Attal 2027 ou 2032 ?
Dans son article, Gibier constate que Gabriel Attal est un véritable control freak qui ne laisse rien au hasard. Comme un certain Emmanuel Macron. Le jeune ministre des Comptes publics sait bien qu’il lui est nécessaire d’emprunter une ligne de crête pour asseoir son ambition : se faire voir et faire savoir, sans pour autant faire de l’ombre à son patron de l’Élysée. Surtout, ne pas dévoiler son impatience pour les plus hautes fonctions, tout en se préparant à toute éventualité. C’est ce difficile exercice que je rapportais dans ma chronique de La Tribune dès février dernier : « L'ambitieux monsieur Attal séduit et divise la macronie de 2017 ».
Contrairement à l’article des Échos qui montre sans assumer de dire les choses, j’optais pour la clarté dans La Tribune : « Et si c'était lui ? Le jeune ministre du budget et des comptes publics et ancien porte-parole médiatique d'Emmanuel Macron fait fantasmer un parti en manque de leadership. Celui qui aura 39 ans dans 5 ans peut-il s'imposer dans la course à la succession pour l’Elysée ? Certains le pensent, et tous ne comptent pas forcément parmi ses plus fervents soutiens. Alors, Attal 2027 ou Attal 2032 ? ». Cette simple question suscita l’ire d’une partie de son entourage. Surtout, ne pas trop en dire, éviter à tout prix de se griller les ailes.
“Entrer à l’Élysée autour de la quarantaine”
Pourtant, tout montre que le jeune ministre de Bercy est du genre pressé… Comme Emmanuel Macron en son temps. Après le « débat » à l’Assemblée Nationale sur les retraites, la « star » Attal a immédiatement enchaîné sur le dossier de la fraude fiscale avant de s'envoler pour les États-Unis fin février. À peine était-il arrivé qu'il participait à une émission de débat politique sur MSNBC à propos de la guerre en Ukraine. Sur la plateau, « Gaby » est à l'aise, déclamant un anglais fluent façon Sciences Po pour décrypter la politique des Européens vis-à-vis de Volodymyr Zelensky. On est bien loin des questions budgétaires que le ministre est censé porter... Au programme également de cette visite nord-américaine à Washington et New-York rencontre avec des think tanks et autres relais d'opinion.
Bref, Gabriel Attal « réseaute » à fond et tente de prendre de l'épaisseur. Car, selon plusieurs sources, ses ambitions à venir sont importantes : « Il souhaite ravir la mairie de Paris en 2026 et rêve même de réitérer l'exploit d'Emmanuel Macron, c'est-à-dire entrer à l'Elysée autour de la quarantaine », souffle un confident du premier cercle élyséen. Encore récemment, une communicante habituée aux jeux des pouvoirs s’exclame devant moi : « Bien sûr qu’Attal vise la présidence ! ». Bien sûr.
Gabriel Attal, présidentiable ? « Dès 2027 ou pour 2032 ? », osait se demander un conseiller du gouvernement à la même époque. Depuis, en « macronie », son nom tourne de plus en plus parmi les futurs candidats possibles. Au point qu'Emmanuel Macron, lui-même, en prend ombrage : « le président commence à être irrité par l'activisme de son jeune ministre », flingue un fidèle parmi les fidèles. C’est que, comme chacun sait, Emmanuel Macron a toujours veillé, depuis 2017, à ce qu’aucune tête ne dépasse dans son camp, et surtout, qu’aucune ne puisse le surpasser.
Résultat, dans 20 minutes qui lui consacrait également un article fin février, Gabriel Attal tentait de réaffirmer sa loyauté envers le président : « Je ne prépare pas de campagne, pas de candidature », assurait ainsi celui qui « [s']interdit de [se] poser la question ». Peut-être, mais avec leur longue story publiée la semaine dernière, Les Échos semblent répondre pour lui (le ministre leur a d’ailleurs accordé une interview).
Un pied dans l’establishment parisien
Dans le monde politique, la chance joue, mais la préparation encore plus. À l’origine, Gabriel Attal était le compagnon de Stéphane Séjourné, actuel président du groupe Renew au Parlement européen et secrétaire national de Renaissance, et ancien conseiller parlementaire d’Emmanuel Macron à Bercy après avoir été militant au PS tendance DSK, dans les réseaux jeunes choyés par le vieux briscard Jean-Christophe Cambadélis. C’est que Séjourné est un pilier de la « bande de Poitiers », ces jeunes étudiants ayant milité au MJS, notamment au moment du mouvement anti CPE, et qui ont très tôt rejoint l’aventure Macron (entre 2015 et 2016) : parmi eux, on trouve Pierre Person qui fut député LREM durant le premier quinquennat, tout comme Mickaël Nogal, mais aussi Florian Humez ou Jean Gaborit, tous deux un temps conseillers sous la macronie avant de rejoindre le privé, ou le député Sacha Houlié qui, lui, a rempilé pour un second quinquennat, et est même devenu le président de la Commission des Lois depuis juin 2022.
Pour ces petits gars de la « bande de Poitiers », Gabriel Attal a toujours été une pièce rapportée, via… Stéphane. Tous ont mis du temps à comprendre que lui seul avait déjà un pied dans l’establishment parisien. Quand la plupart d’entre-eux venait de la France des sous-préfectures, lui avait un papa grand producteur de cinéma et fut élève à l’école alsacienne, cette école privée hyper select de la rive gauche. Quand eux ont fait « seulement » des facs en province, lui a bien sûr fait Sciences Po Paris. Quand eux n’étaient que militants au PS, lui était dès 2012 au cabinet de Marisol Touraine, la ministre de la Santé sous Hollande, où il rencontra Benjamin Griveaux, un des piliers de la bande rivale, la « bande de la Planche », celle d’Ismaël Emelien (le conseiller stratégie de Macron à Bercy puis à l’Élysée au début du premier quinquennat), ces jeunes technos proches de Pierre Moscovici et d’Havas, qui avaient participé à la campagne DSK aux primaires du PS en 2006.
Les soirées de Daniel Vial place Vauban
Aujourd’hui, Gabriel Attal - qui est « toujours officiellement pacsé » à Stéphane Séjourné, comme le souligne Les Echos - a toujours su que son destin était tout tracé. Le jeune ministre des Comptes publics sait y faire avec les gens qui comptent. Il a toujours eu les codes de Paris. Il y a quelques années, ce parisien avait soutenu activement Íngrid Betancourt, alors prise en otage en Colombie par les FARC, une grande amie de Dominique de Villepin. Attal est aussi une proche connaissance de Daniel Vial, lobbyiste de la « big pharma » française et internationale, qui par le passé, avait mis le pied à l’étrier à Jérôme Cahuzac dans ce secteur. Vial est un grand mondain qui aime recevoir dans son appartement de la place Vauban près des Invalides dans le 7e arrondissement (Ségolène Royal est une habituée de ses soirées comme nous l’apprend récemment Solenn de Royer du Monde).
Depuis, « Gaby » s’est fait un nom, lui aussi. « Gabriel Attal a pris du poids à Bercy », constate un communicant de la place de Paris. Parmi les « successeurs » d’Emmanuel Macron, il rivalise désormais avec Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, ou Laurent Wauquiez chez les Républicains. Comme Gabriel dans Les Echos, chacun de ces impétrants a d’ailleurs eu droit récemment à une grande interview ou un portrait dans la presse newsmag qui prépare l’avenir…
Dans l'entourage présidentiel, cette petite musique qui monte autour de Gabriel Attal n'est pas forcément du goût de tout le monde. Certains qui espèrent le retour d’Emmanuel Macron dès 2032 pour un troisième mandat (oui, oui…) craignent que Gabriel réussisse à « tuer le père ». Parmi ces plus fidèles et loyaux, il est hors de question de tourner la page aussi vite, il est tabou d'évoquer la fin politique d'Emmanuel Macron après ce second quinquennat. Pour cette catégorie de macronistes, personne ne peut réellement remplacer leur champion « disruptif » de 2017. À l'Elysée pourtant, d'autres sont séduits et tentés par l'énergie du ministre délégué aux Comptes Publics : « Il est très bien Gabriel ! » s'exclame ainsi un très proche de Brigitte Macron.
La guerre des ambitieux fait rage
De fait, depuis quelques mois, au sein de la macronie, la guerre des ambitieux fait rage. De tous les côtés, les écuries politiques se forment. « On a l’impression qu’Emmanuel Macron n’a déjà plus le pouvoir », remarque, sidéré, un ancien conseiller. Les médias se délectent. Ces derniers, las de la communication gouvernementale, relaient aussi les ambitions extérieures à la macronie considérées comme des alternatives aux « extrêmes » : Bernard Cazeneuve a refait un tour de piste ces dernières semaines pour taper sur la NUPES, et Laurent Wauquiez a commencé à parler et à s’exposer alors qu’il s’était interdit tout commentaire sur les retraites ces derniers mois.
Concernant les municipales, Clément Beaune, le ministre des Transports (ex conseiller d’Emmanuel Macron et plus loin encore, de Jean-Marc Ayrault) est déjà en campagne pour tenter de ravir la mairie de Paris à Anne Hidalgo. Sur ce terrain, la concurrence est rude : il se retrouve face à Gabriel Attal et à Olivia Grégoire, la ministre déléguée des PME, du Commerce et du Tourisme. « L’été dernier, Beaune avait également tenté de récupérer la direction de Renaissance, mais le président avait finalement tranché pour Séjourné », confie un ancien macroniste. À Paris, dans le milieu politique et économique, Beaune a bonne réputation. « C’est le plus sympa ! » lance un entrepreneur. Cette sympathie vient également du fait que ses relations avec Alexis Kohler, le puissant secrétaire général de l’Élysée, sont connues pour être exécrables…
Matignon, le match dans le match
Chez Renaissance, Stéphane Séjourné se pose quant-à-lui beaucoup de questions. Comme bien d’autres « ex » de la « bande de Poitiers », le responsable des macronistes se demandent où tout cela va nous mener… Au point d’envisager certains jours d’arrêter la politique et de revenir dans le privé. Cette grosse fatigue intervient alors que l’Élysée compte bien lui demander de rempiler pour porter les couleurs de Renaissance aux prochaines élections européennes.
Mais aujourd’hui, ce qui préoccupe les macronistes, c’est bien sûr Matignon, et une éventuelle succession d’Élisabeth Borne. « C’est le match dans le match ! » s’exclame un macroniste. Chaque camp, chaque écurie mène campagne plus ou moins discrètement par voie de presse. Il y a quelques semaines, l’éditorialiste des Échos, Cécile Cornudet, évoquait ainsi les noms de Gabriel Attal, de Gérald Darmanin et de Sébastien Lecornu. De leur côté, Challenges, le Fig’ Mag, le JDD, L’Opinion, ont sorti avec insistance la carte Julien Denormandie, l’ancien ministre de l’Agriculture et fidèle parmi les fidèles d’Emmanuel Macron, qui est revenu dans le privé en se lançant dans le projet d’une start up. En fait, son nom avait déjà été évoqué pour le poste de Matignon au printemps dernier. Certains le voyaient également comme un possible successeur d’Alexis Kohler à l’Élysée comme secrétaire général, ou comme un éventuel patron d’EDF. Cela ne doit rien au hasard : « C'est en fait ses anciens copains de l'Elysée, les fameux Mormons, qui font tourner son nom à chaque fois qu'un poste se libère, me rapporte un proche du président. Comme Denormandie est le chouchou du PR [président], et qu'il est le dernier de leur bande à forte valeur ajoutée, les Mormons font courir le bruit partout qu'il peut aller partout pour montrer qu'ils existent encore ! C'est drôle ! ». (lire à ce sujet ma chronique de septembre). Problème : le nom de Julien Denormandie est cité dans « l’affaire Kohler », même s’il n’a été entendu que comme simple témoin (Plusieurs de ses mails retrouvés par les policiers mettent ainsi à mal la défense de l’actuel SG de l’Élysée).
Le retour en grâce de Philippe Grangeon
En fait, en coulisses, chaque écurie pour Matignon est scrutée à l’Élysée. Du côté de « l’aile Madame » du château, certains poussent Gabriel Attal ou Sébastien Lecornu pour le poste. Du côté d’Alexis Kohler, on estime plutôt qu’Élisabeth Borne peut se maintenir. C’est en tout cas l’avis de l’ancien conseiller spécial d’Emmanuel Macron, Philippe Grangeon, considéré dans la macronie comme un des derniers tenants de « l’aile gauche ». Et à défaut de réussir à maintenir Borne en poste, Grangon et ses fidèles poussent… Julien Denormandie. Depuis le début du second quinquennat, Grangeon avait pourtant perdu de l’influence auprès d’Emmanuel Macron mais « il revient en force depuis un mois », me soufflait il y a quelques jours un initié de l’Élysée, c’est-à-dire depuis la fin mars. Ce soudain rapprochement s’explique-t-il par les difficultés présidentielles sur le dossier des retraites ?
Ces derniers mois, le président n’avait appelé son ancien conseiller spécial que dans les jours précédents le 49.3 (Avec Stéphane Séjourné, dont il est proche, et les patrons de groupes Renaissance à l’Assemblée et au Sénat, il était l’un des rares à être contre son utilisation). Il faut dire, Philippe Grangeon qui sera « macroniste jusqu’au bout », selon un initié, peut être précieux pour le président. Son bagage politique parle de lui-même : par le passé, cet ancien étudiant trotskiste a conseillé Nicole Notat à la CFDT, puis Florence Parly, Dominique Strauss-Kahn et Christian Sauter sous le gouvernement Jospin, et enfin, Bertrand Delanoë à la mairie de Paris.
Aujourd’hui, au sein de la macronie, Philippe Grangeon est en contact constant avec deux de ses proches, Elisabeth Borne, mais aussi le directeur de cabinet de cette dernière, Aurélien Rousseau. Il reste en lien avec l’ancien président de l’Assemblée Richard Ferrand, et ses « poulains » et chouchous s’appellent Gabriel Attal, Clément Beaune et Stéphane Séjourné. Au cours du premier quinquennat, s’il a plutôt bien travaillé avec Jean Castex, il s’était confronté à Édouard Philippe et à son directeur de cabinet d’alors, Benoît Ribadeau-Dumas.
Quand Grangeon marche avec Kohler et Notat
À l’inverse, sur la planète « technos », Philippe Grangeon voit souvent Alexis Kohler. Les deux hommes se voient soit le soir, soit lors de marches de 45 minutes partagées à deux. Régulièrement contesté au sein de la macronie, le secrétaire général de l’Élysée a récemment vu certains anciens conseillers de l’Élysée qui s’étaient surnommés « les Mormons », ceux qui avaient contribué à la victoire en 2017. Ainsi, on a appris que Sibeth Ndiaye était venue dîner à l’Élysée avec Alexis Kohler. Dernièrement, le secrétaire général a également rencontré Ismaël Emelien. Autre pièce importante pour Kohler, Grégoire Potton, ancien collaborateur socialiste sous le mandat Hollande, parmi les premiers à avoir rejoint l’aventure en Marche, et qui est discrètement devenu à la fin 2022 chef du pôle politique et parlementaire à l’Élysée. Potton, lui aussi, est un proche de Philippe Grangeon.
Mais si Philippe Grangeon est un véritable couteau suisse pour Emmanuel Macron, son compagnonnage passé auprès de la CFDT n’est pas forcément un avantage. Car le conseiller politique n’est pas du tout apprécié par Laurent Berger. Cela s’explique par de vieilles rancunes et des différences de lignes au sein du syndicat « réformiste » : car Berger, à l’origine, c’est la ligne de François Chérèque, alors que Philippe Grangeon fait partie de la team Nicole Notat qui s’est toujours opposée à Laurent Berger et qui ne cache guère son soutien à l’égard de l’actuel président de la République.
L’ancienne patronne de la CFDT, qui avait pactisé avec Alain Juppé lors du mouvement social de 1995, est notamment ulcérée de l’unité syndicale qui règne encore entre la CFDT et la CGT contre la loi sur les retraites. Ces derniers mois, elle a même tenté de rallier plusieurs anciens du syndicat dans un vague projet de tribune de soutien au gouvernement. Parmi eux, l’un des ses proches, Jacques Kheliff, ancien secrétaire général de la Fédération Chimie Énergie, avant de rejoindre le groupe chimique Rhodia comme directeur du développement durable, qui a exprimé auprès de certains macronistes son soutien à la « réforme ». « Tous ces gens n’ont pas compris qu’en 30 ans, le centre de gravité de la CFDT avait changé. Devenu le premier syndicat de France, il est plus écolo, plus à gauche, et plus jeune. Seul Pierre Ferracci, le patron du groupe Secafi Alpha, l’a compris », m’expose un très bon connaisseur de la CFDT. Ce n’est donc pas avec Philippe Grangeon qu’Emmanuel Macron va améliorer ses relations avec la CFDT dans les prochains mois.
Édouard Philippe réussira-t-il à devenir papy Biden ?
Et justement, à l’Élysée, n’en déplaise à Grangeon, Alexis Kohler a plutôt choisi Édouard Philippe pour la suite des événements. Le maire du Havre, qui a fait son retour médiatique en début d’année, a été le premier en octobre à publier un message de soutien au secrétaire général de l'Élysée quand a été rendue publique la mise en examen de ce dernier pour « prise illégale d'intérêt » dans le dossier MSC. Les deux hommes s'apprécient et se connaissent de longue date, et ce, bien avant Emmanuel Macron (Alexis Kohler fut représentant de l'État au conseil d'administration du port du Havre et également un « jeune rocardien » comme Édouard Philippe).
Ces deux « technos », parfaits représentants de la technostructure, aiment se rappeler les débuts du premier quinquennat. À l'époque, leurs vues étaient souvent semblables, et ils se retrouvaient à tomber d'accord sur de nombreux dossiers, accompagnés alors du secrétaire général du gouvernement de l'époque, Marc Guillaume, et du directeur de cabinet de Matignon d'alors, Benoît Ribadeau-Dumas. Cette « bande des quatre » avaient alors l'habitude de calmer les ardeurs de l'impétueux monsieur Macron. Pourtant, leur pouvoir sans partage leur a attiré de nombreux ennemis tant dans la macronie que dans le Petit Paris. « C'est injuste pour Édouard Philippe, il était beau, grand, il avait la gueule d'un homme d'État, mais maintenant, avec sa maladie qui se traduit par une perte de cheveux, on va le voir se rabougrir. Politiquement, cela va lui être fatal, il ne sera jamais président », cingle aujourd’hui un conseiller du soir d'Emmanuel Macron.
Forcément, dans notre monde de la politique spectacle et des apparences, et dans le match de l’après Macron, la jeunesse, la gueule d'ange et l'éloquence de Gabriel Attal sont peut être ses meilleures cartes. À moins que les Français ne se laissent pas séduire une seconde fois aussi facilement par un autre jeune premier et lui préfèrent pour les prochaines années un papy Joe Biden.
15.04.2023 à 22:03
Le fiasco du projet de découpage d’Atos
Marc Endeweld
Texte intégral (3675 mots)
C’est l’histoire d’une énième vente à la découpe sans projet industriel. Tout a commencé à la mi-février par un simple communiqué de presse. Atos, le géant français de services informatiques (110 800 salariés dans le monde), annonçait entamer des discussions avec Airbus en vue de céder 29,9 % de sa filiale Evidian, qui comprend les stratégiques activités cybersécurité et supercalculateurs. Depuis l’automne dernier, l’idée d’une « scission » du groupe informatique était déjà largement éventée par les médias économiques (après avoir été discrètement présentée en juin par la direction). À la manœuvre : la boîte de communication Image 7 dirigée par Anne Méaux, la « papesse » de la com’ du CAC 40, qui travaille pour Atos. Parmi les prédateurs potentiels, on apprenait que le groupe One Point de David Layani, un proche d’Emmanuel Macron, rêvait de ravir la pépite du groupe informatique, tout comme Thales, le groupe de Défense. Au coeur des convoitises : la division BDS (Big Data & Security), héritage du mythique groupe Bull, concentrant les compétences françaises dans les supercalculateurs, et en contrat avec de nombreux acteurs de la Défense.
À l’origine, c’est Thales qui aurait proposé une découpe d’Atos espérant mettre la main sur BDS. Car le groupe de services informatiques est mal en point. Lourdement déficitaire en 2021, à hauteur de 2,9 milliards d’euros, Atos, qui a toutefois divisé par trois sa perte nette l’année suivante, a très mal pris le virage du cloud. Surtout, après dix ans de règne de Thierry Breton (aujourd’hui Commissaire européen pour le marché intérieur), sous lequel a notamment été décidée la cession des activités dans le traitement sécurisé des transactions de paiement pour les banques (ce qui amènera à la création de la société Worldline), le groupe informatique a multiplié les erreurs stratégiques, au point que Siemens, son principal actionnaire, décida fin 2022 de passer sous la barre des 5 % du capital et des droits de vote. Compétences envolées, acquisitions mal digérées, désorganisation, faiblesse des actionnaires, les défis pour Atos sont multiples, sa survie incertaine, et l’héritage Breton pèse lourd.
Azéma et Rothschild, les banquiers d’affaires à l’affût
C’est dans ce contexte difficile que Bertrand Meunier, devenu président non exécutif d’Atos à la suite de Thierry Breton, s’est mis dans la tête de proposer un projet pour le groupe… Un projet financier. Logique : le polytechnicien Meunier a en fait un pur profil financier. Venant du private equity et des LBO, il est passé successivement ces dernières années par la Financière le Play, puis M&M Capital, PAI Partners, et enfin CVC Capital Partners. Chez Atos, Meunier peut s’aider sur deux administrateurs de « poids », l’ancien Premier ministre Édouard Philippe nommé dès septembre 2020 (quelques semaines à peine après son départ de Matignon…) et René Proglio, célèbre banquier d’affaires de la place de Paris (dirigeant de Morgan Stanley à Paris durant de nombreuses années et frère d’Henri, l’ex PDG d’EDF et Veolia).
Alléché par la situation fragile du groupe informatique, deux banques d’affaires vont proposer leurs services à Meunier. D’abord, Perella Weinberg Partners (PWP), une boîte américaine qui a ouvert des bureaux à Paris en 2018, ainsi que la banque Rothschild & Co.
Chez Perella, c’est le célèbre banquier d’affaires David Azéma, dont le nom est apparu dans les dossiers Alstom et Veolia, ancien haut fonctionnaire de Bercy, un temps big boss de la très stratégique APE (Agence des Participations de l’État), qui a construit ces dernières mois la solution Airbus pour Atos. Il est aidé pour ce projet de Stéphane Richard, l’ancien patron d’Orange, énarque comme Azéma, et qui a rejoint Perella l’année dernière. Les deux ont popularisé la solution Airbus pour Atos, ou plus exactement pour Evidian, auprès des pouvoirs publics, et notamment à Bercy. De son côté, la banque Rothschild a amené le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky à s’intéresser aux métiers historiques d’Atos rassemblés dans la filiale Tech Foundations. Début mars, on apprenait ainsi dans Le Monde que le groupe de Kretinsky était entré en négociation avec Atos pour reprendre Tech Foundations : « Atos écartelé entre Airbus et Daniel Kretinsky », titrait opportunément le quotidien du soir. Un éventuel deal facile pour la banque d’affaires de l’Avenue de Messine : si les banquiers de Rothschild travaillent bien pour Atos, c’est surtout eux qui ont aidé le milliardaire Daniel Kretinsky à débarquer dans le capitalisme hexagonal depuis 2017.
Les nuages noirs s’accumulent sur le projet de découpage
Rien ne va pourtant se passer comme prévu pour le plan Azéma / Airbus pour Atos. D’abord, la direction d’Atos estime la valeur totale de sa filiale Evidian à 7 milliards d’euros, une valorisation beaucoup trop importante pour Airbus. Chez l’avionneur, les actionnaires toussent, notamment le fonds TIC qui le fait savoir haut et fort. Au point qu’Airbus, après l’annonce des communicants Atos à la mi février, n’a jamais réellement confirmé l’opération Évidian publiquement. Et fin mars, le couperet tombe : l’avionneur annonce dans un communiqué mettre fin aux discussions engagées avec Atos pour acheter 29,9 % du capital d’Évidian. Immédiatement, l’action du groupe dévisse (de 18 %). « Airbus et Atos continuent de discuter d’autres options potentielles », écrit toutefois Airbus en maniant l’euphémisme. Pour Bertrand Meunier, ses équipes, et ses conseils banquiers d’affaire, le coup est rude.
En réalité, pour l’équipe Meunier, les nuages noirs se sont accumulés sur son projet de découpage d’Atos. Au-delà des hésitations d’Airbus, c’est toute la justification financière de l’opération qui est tombée à l’eau ces dernières semaines. Sur le papier, l’ouverture du capital d’Evidian se justifiait avant tout par le fait de pouvoir valoriser cette partie plus profitable d’Atos permettant de financer la restructuration des activités moins profitables de Tech Foundations. Or, les banques d’Atos voyaient déjà d’un mauvais oeil ce projet après avoir déjà prêté près de 2 milliards au groupe de services informatiques pour assurer ladite restructuration du groupe. Mais surtout, les résultats 2022 d’Atos sont venus totalement chambouler ces plans : avec une sous performance inattendue d’Evidan, obtenant une marge opérationnelle de 5 % (et non de 10 % comme espérée), bien deçà de la concurrence (Capgemini est par exemple à 13 % en 2022), et avec une stabilisation de la situation de Tech Foundations. Dans ces conditions comment financer la restructuration de cette dernière entité par une activité moins rentable que prévue ?
La scission, un non sens industriel
Ce n’est pas le seul problème. Car le projet de scission de la direction d’Atos implique en réalité des problèmes opérationnels et industriels colossaux. Car les technologies d’Evidian sont aujourd’hui principalement utilisées par les activités de la filiale Tech Foundations. D’un côté, on trouve donc les compétences, métiers et ressources du cloud, de l’autre, le socle de clients à travers des contrats d’infrastructures. Séparer les deux entités impliquerait une perte de valeur considérable. Un non sens industriel. Résultat, en interne d’Atos, les syndicats sont désormais vent debout contre la perspective d’un tel split et face aux difficultés, la décision a d’ores et déjà été prise par la direction de ne pas faire la scission comme prévu en juillet. Bref, après toute l’agitation de communication dans la presse de ces dernières semaines, à grands renforts de communiqués d’Atos, il est désormais urgent d’attendre.
Une chose est sûre : toute cette séquence aura considérablement fragilisé Bertrand Meunier à la tête d’Atos. Alors que la date de la future assemblée générale des actionnaires d’Atos n’est toujours pas fixée, ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter un renversement de Bertrand Meunier à la tête du groupe. « Il y a de grosses pressions pour qu’il parte », me confirme un haut cadre d’Atos. Selon la Lettre A, c’est notamment les fonds minoritaires comme Sparta Capital ou Sycomore Asset Management qui poussent dans ce sens, et qui testeraient déjà un nouveau « ticket », composé de Bernard Bourigeaud, l’un des pères fondateurs d’Atos, qu’il a dirigé pendant dix-sept ans, président non exécutif de Worldline depuis fin 2021, et Vincent Rouaix, conseiller du groupe Inetum en matière de fusions acquisitions.
Au sein de l’État, la Défense se rebiffe sur Atos
La machine Meunier s’est également grippée car la solution Airbus proposée par David Azéma a fini par prendre l’eau du côté de l’État français. Si, dans un premier temps, le gouvernement a plutôt regardé d’un bon œil l’opération, les oppositions à Airbus au coeur de l’État se sont vite multipliées. Certes, à Bercy, le ministre Bruno Le Maire et les hauts fonctionnaires des Finances avaient tous été conquis par l’argumentaire des financiers David Azéma et Bertrand Meunier. Encore aujourd’hui, la seule vision de Bercy sur Atos est… financière. Peu importe, si désormais, l’Union Européenne semble vouloir prendre en compte également les considérations stratégiques dans le développement de son industrie ou si le président français ne cesse d’en appeler à « l’autonomie stratégique » de l’Europe.
À Bercy, le dogme des banquiers d’affaires de la découpe facile et des fees confortables continue de régner en maître, malgré les polémiques de ces dernières années. Résultat, au sein de l’État, l’offensive anti Azéma et anti Airbus est venue du ministère de la Défense, et notamment de la Direction Générale de l’Armement (DGA) et de la DAM (Direction des Applications Militaires) qui gère la force de dissuasion nucléaire, deux gros clients des stratégiques supercalculateurs de la pépite BDS d’ATOS. La DAM comme la DGA ont exprimé fortement leur opposition à la solution Airbus pour Atos auprès l’Elysée, où Alexis Kohler se chargeait de gérer ce dossier sensible et « de compter les points », selon un observateur du dossier.
Bercy l’oublie, mais historiquement, les compétences françaises dans les supercalculateurs ont été soutenues à bout de bras par l’État pour assurer l’autonomie de la force de dissuasion, face aux États-Unis (notamment après la sortie de De Gaulle du commandement intégré de l’OTAN). Après l’échec du plan calcul, la nationalisation de Bull sous Mitterrand permettra à la France de préserver d’une manière indépendante ses capacités en supercalculateurs, mais les échecs de gestion se multiplient et le gouvernement amorce une privatisation complète dans les années 2000. Bull se concentre alors principalement sur les supercalculateurs pour ses clients sensibles, le CEA et la DAM, avant d’être racheté par Atos en 2014.
L’épouvantail allemand pour les tenants de la bombe
Cette histoire stratégique de l’informatique française pousse aujourd’hui la DAM et la DGA à défendre auprès du château à une solution 100 % française pour ATOS, la seule permettant de conserver l’autonomie complète de la force de dissuasion nucléaire. Car contrairement aux apparences, les activités militaires et stratégiques d’Airbus, regroupées dans Airbus Defence and Space, sont aujourd’hui principalement allemandes et localisées outre-Rhin. « Cette opération Airbus étaient en fait destinée à embêter Thales », croit savoir un initié du complexe militaro-industriel français, « d’où la montée d’un “tout sauf les Allemands” au sein de l’État français, et notamment à la Défense » . De fait, Airbus ne fait pas partie de l’écosystème stratégique français.
D’autant plus que la rivalité entre Airbus Defence and Space et Thales remonte à loin. Dans les années 1990, ces activités outre-Rhin ne s’appelaient pas Airbus mais DASA qui s’était lancé dans le programme d’avion de combat Eurofighter Typhoon en concurrence frontale avec le Rafale français de Dassault et équipé électroniquement par Thales. Plus tard, une guerre commerciale a opposé en Arabie Saoudite le missile Crotale français de Thales avec le Mica VL d’EADS (avant que le groupe devienne Airbus). La partie fut alors remportée par Thales.
Et aujourd’hui, l’affrontement se situe autour du contrôle de la plateforme de combat du futur en Europe, à travers les discussions sur le SCAF (système de combat aérien du futur), qui vise, à terme, de coaliser des avions différents dans un système unifié de systèmes d’information, de transmission de données, de détection, d’intelligence artificielle… Dans ce contexte, Airbus Defence qui dispose de tout un tas de systèmes d’armes concurrents de Thales souhaite entrer dans l’écosystème Atos en espérant au final mettre un pied dans le cloud militaire français. Un véritable casus belli. Airbus, déjà présent historiquement dans les programmes d’avions européens Tornado et Typhoon, se retrouve en frontal en France avec Dassault et Thales.
Bien évidement, les considérations bassement financières de Bercy apparaissent presque puériles dans ce contexte. Lors des discussions entre Thales et les hauts fonctionnaires au sujet d’Atos, ces derniers n’ont cherché qu’à maximiser les prix plutôt qu’à réfléchir au mécano industriel d’ensemble. Selon nos informations, Thales serait d’ailleurs toujours intéressé par les pépites d’Atos, notamment dans la partie cyber et supercalculateurs. L’État doit donc réfléchir à une solution viable pour conjuguer optimisation industrielle et préservation des activités et des compétences. D’autant qu’au delà des considérations de Défense, le cloud, les calculateurs, le cyber, les services, les besoins de stockage et de calcul vont exploser avec l’ère de l’Intelligence Artificielle.
Quand Thales et Atos s’écharpaient pour Gemalto
Reste que ces dernières années, les relations entre Thales et Atos étaient loin d’être au beau fixe. Comme je le racontais dans mon livre l’Emprise (Seuil, 2022), à l’automne 2017, le groupe Atos, alors dirigé par Thierry Breton, annonce une OPA (Offre Publique d’Achat) hostile sur la société de sécurité numérique Gemalto (issue de Gemplus, société française mythique qui fabriquait les premières cartes à puce), dont l’État est actionnaire, via le Fonds stratégique d’investissement. Fin décembre 2017, la bataille s’engage alors lors d’une semaine décisive. Alors que Thierry Breton a le soutien de Martin Vial à l’Agence de Participation de l’État (APE) et pense également être soutenu par le président Macron (qu’il n’a pas manqué d’informer), il se trouve confronté trois jours après son annonce, à une contre-offensive blitzkrieg de Thales.
Tandis qu’Emmanuel Macron part avec sa femme Brigitte au château de Chambord pour le week-end, une conférence téléphonique est organisée le vendredi soir entre Alexis Kohler et toute l’équipe de Thales, ainsi que leurs conseils. C’est notamment le banquier d’affaires François Roussely, un homme de réseaux qui était alors toujours très puissant sur la place de Paris (décédé début 2023, il fut notamment dans sa carrière l’ancien patron de la police nationale sous François Mitterrand et Pierre Joxe, et le puissant patron d’EDF), qui se trouve à la manœuvre pour Thales. Au téléphone Roussely dit au passage à Kohler, pour emporter l’offre : « c’est pour le bien de la France ! » Volte-face de l’État, Atos perd son soutien, et le lendemain c’est l’offre Thales qui l’emporte. Au grand dam de Thierry Breton, qui laisse éclater sa colère quelques jours plus tard dans le bureau du ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Mais le petit protégé de Bernard Arnault ne perd pas tout. À l’automne 2019, sur les recommandations du grand patron du luxe, Emmanuel Macron le fait nommer, contre l’avis d’Alexis Kohler, commissaire européen chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense, et de l’espace. Manifestement, l’État français n’avait pas anticipé encore de devoir trouver une solution au casse-tête Atos, faute d’anticipation et de réflexion stratégique.
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