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Alain GRANJEAN
Transition écologique, économique et financière

CHRONIQUES DE L'ANTHROPOCÈNE


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14.05.2025 à 11:48

Les orphelins de la planète

Alain Grandjean

C’est à l’automne 2023 que nous écrivons à 6 mains (Claude Henry, Jean Jouzel et moi) un long papier à l’initiative de Claude Henry, qui sera publié en décembre de la même année dans le Monde diplomatique. Nous prenons contact avec Grasset [1] qui nous propose d’en faire un livre court, grand public. Nous acceptons […]

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Texte intégral (865 mots)

C’est à l’automne 2023 que nous écrivons à 6 mains (Claude Henry, Jean Jouzel et moi) un long papier à l’initiative de Claude Henry, qui sera publié en décembre de la même année dans le Monde diplomatique. Nous prenons contact avec Grasset [1] qui nous propose d’en faire un livre court, grand public.

Nous acceptons avec enthousiasme. Pauline Perrignon, notre éditrice, aura été exceptionnelle dans tout le travail qui nous conduit à sa publication le 14 mai. Je l’en remercie ici vivement.

Outre l’honneur et la joie que j’ai ressentis de travailler avec Jean Jouzel, la rédaction de ce livre aura été une occasion de plus d’admirer les qualités humaines de Claude, qui va réussir, malgré de très lourds ennuis de santé, à aller au bout du travail et de la relecture des épreuves. Il décède le 17 avril 2025, sans voir son œuvre achevée. C’est pour moi une profonde tristesse de le perdre ; j’aurais tant aimé qu’il voit ce livre dans les librairies. Il aura été exemplaire à mes yeux pendant tous ces mois où il n’a jamais baissé les bras.

Je connais Claude depuis mon passage à l’école polytechnique, où il était professeur d’économie publique. Il était le directeur du laboratoire d’économétrie de l’école quand j’y suis entré. C’est là que j’ai fait ma thèse d’économie de l’environnement qu’il a de fait co-dirigée. Il a été pour moi un maître remarquable puis nous sommes devenus, si j’ose le dire ainsi, compagnons de route.

Au-delà de ses exceptionnelles qualités intellectuelles, j’ai le plus profond respect pour ses qualités humaines tout aussi exceptionnelles, son amitié inébranlable, sa fidélité et son exigence morale. Je suis très fier d’avoir participé avec Jean Jouzel à sa dernière aventure intellectuelle .

Je ne vais pas faire ici de résumé des Orphelins de la planète, mais me contenter de dire que c’est le reflet de l’adage préféré de Claude, attribué à Guillaume d’Orange [2]:

« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »

Voici un extrait de la quatrième page de couverture :

De la planète que nous laisserons en héritage à nos enfants et petits-enfants, un médecin dirait que le pronostic vital est engagé. Pronostic engagé mais pas désespéré, car les éléments d’une alternative réaliste à un processus général de dégradation ont été élaborés. Encore faut-il que ceux qui y font obstinément obstacle n’aient pas le dernier mot.

Après des décennies de maltraitance aux mains d’entreprises obsédées par le profit et d’autorités publiques défaillantes ou complices, la planète est secouée par les désordres climatiques, appauvrie en ressources vitales, imprégnée de produits chimiques de synthèse dont la toxicité menace jusqu’à l’enfant dans le ventre de sa mère. Cependant, des pionniers mettent en œuvre des solutions capables de changer la donne : ils montrent en particulier qu’il est possible et nécessaire de travailler avec la nature, et non contre elle. 

L’association The Other Economy que nous avons créée avec Marion Cohen est évidemment en pleine cohérence avec ce livre et son message.

La situation planétaire se dégrade dangereusement pour des centaines de millions d’êtres humains. Nous ne pouvons pas baisser les bras dans le combat qui est le nôtre : éclairer l’économie pour rendre possible une reconstruction écologique et socialement juste !

Alain Grandjean


Les orphelins de la planète, Alain Grandjean, Claude Henry, Jean Jouzel, Grasset, 2025

Notes

[1] Merci à Jean-Pierre Gonguet qui nous a mis en relation avec Pauline Perrignon.

[2] Guillaume d’Orange est connu pour avoir été l’initiateur et le chef de la révolte des Pays-Bas espagnols contre le roi d’Espagne Philippe II au XVIe siècle.

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13.05.2025 à 10:17

Le scénario NOE 2.0

Alain Grandjean

De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Cette question nous hante à lecture des travaux du GIEC relatifs aux bouleversements climatiques en cours, qui verront les fluctuations dévastatrices inexorablement s’intensifier bien au-delà de ce que l’on a pu déjà observer, mais aussi à la lecture des travaux de l’IPBES sur la surexploitation des ressources et les destructions […]

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Texte intégral (7182 mots)

De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Cette question nous hante à lecture des travaux du GIEC relatifs aux bouleversements climatiques en cours, qui verront les fluctuations dévastatrices inexorablement s’intensifier bien au-delà de ce que l’on a pu déjà observer, mais aussi à la lecture des travaux de l’IPBES sur la surexploitation des ressources et les destructions irréversibles de la nature qui sont déjà largement engagées et mesurables.

Pour fournir un éclairage à la question posée, le GIEC et bien d’autres organismes produisent des scénarios car, face à des incertitudes radicales, le scénario est un des outils qui peut nous aider à sortir de la sidération.

Il ne s’agit pas de décrire l’avenir qui est largement indéterminé mais d’imaginer des possibles pour ouvrir les yeux sur ce qui pourrait arriver. Il s’agit de faire émerger des boucles de causalité structurantes, jusque-là insoupçonnées ou insuffisamment documentées, pour être mieux équipé le cas échéant, et prendre les mesures qui s’imposeraient une fois les risques à éviter à tout prix à peu près bien définis.

C’est dans cet esprit que nous allons évoquer ici un scénario[1] original et, comme on le verra,  peu attractif pour l’immense majorité d’entre nous, même s’il nous semble assez plausible. Nous proposerons en conclusion une famille de solutions visant à  éviter qu’il se réalise, mobilisant des leviers économiques, politiques et culturels, donc systémiques. Car c’est bien nos dispositifs institutionnels et leurs faiblesses qui permettent les dérives qui caractérisent les comportements moteurs de ce scénario.

Mais, avant de l’exposer, quelques mots de contexte. Comme on le verra, ce scénario repose sur l’hypothèse que les « ultra-riches », déjà détenteurs du pouvoir industriel et financier, accèdent partout dans le monde à d’autres formes de pouvoir (informationnel et politique, voire aussi judiciaire) et mettent en œuvre des programmes conformes à ce qui leur semble être leur intérêt.

1 Les ultra-riches (UR) de qui s’agit-il ?

Le terme Ultra High Net Worth (UHNW) est utilisé en finance et en gestion de patrimoine pour désigner les individus[2] dont le patrimoine net est extrêmement élevé. Généralement, une personne est considérée comme UHNW si elle possède un patrimoine net de 30 millions de dollars ou plus. On peut en estimer le nombre aujourd’hui à environ 425 000[3]. Une autre caractérisation, davantage médiatisée, consiste à parler en termes de pourcentage de la population mondiale ; et on serait alors quelque part entre les 0,01% et les 0,001% (soit entre 80 000 et 800 000 personnes). Il faut garder à l’esprit que ce tout petit groupe reste lui-même extrêmement hétérogène, une toute petite fraction concentrant bien plus de richesse et de pouvoirs que le reste du groupe.   

Quelques éléments de psychologie

Nous allons dresser ici un portrait sans doute caricatural et dont la généralisation faite ici est excessive. Tous les UR ne se retrouveront pas dans ce portrait[4]. Mais il n’est pas théorique ; il est issu de rencontres avec des personnes ayant fréquenté cette classe sociale et de lectures d’articles sur le sujet.

Le type particulier d’ultra-riche « anxieux » retenu ici partage avec les autres de n’avoir aucune empathie[5] pour les personnes les plus pauvres et de ne manifester aucune solidarité vis-à-vis d’elles. Chacun se trouve là où il mérite d’être, il n’y a pas de meilleur allocataire de ressources que le marché, voilà sa doxa. Ce qui l’inquiète et contre quoi il estime légitime de « se protéger » c’est toute tentative de « confiscation et redistribution ». Il consacre une part significative de son temps et de ses ressources à optimiser la structuration juridique et fiscale de son patrimoine, se plaçant si possible juste à la limite de la fraude ou de l’évasion. Pourquoi, en effet, devrait-il partager ce qu’il a acquis à la sueur de son front et ou par son seul génie entrepreneurial (ou celui de ses parents) et qui lui revient donc de façon méritée? La société se montre souvent ingrate à son égard. N’est-il pas pourtant celui grâce à qui tant d’autres travaillent et vivent[6] ? On devrait lui élever des statues, mais au lieu de cela ce ne sont que critiques voire insultes et poings levés de la part de probables envieux moins méritants. Cette ingratitude qu’il ressent renforce son manque d’empathie à l’égard du reste du corps social. Son rêve est dès lors de faire sécession, et de s’offrir tous les services qui sont fournis par les impôts, en beaucoup mieux, sans en payer, puisque l’impôt profite surtout aux autres.

Jusque-là, rien de bien nouveau. Mais un ultra-riche est typiquement aussi une personne bien informée et toujours prompte à anticiper. Or la situation est nouvelle et préoccupante : l’état précaire de la planète, les risques d’effondrement et de violences à venir, les menaces physiques pesant sur lui et ses enfants, tout cela ne lui a sûrement pas échappé. Dès lors, sa peur de manquer et ne pas en avoir assez n’aura plus de borne; il va devenir anxieux et souffrir de pléonexie[7]. Son drame le plus profond est en effet de ne pas savoir ce que cela risque de lui coûter de pouvoir continuer à bénéficier de ce qu’il y a de mieux possible. Aura-t-il assez ? Comment savoir ? Tout est là, dans cette incertitude radicale.

C’est pour cela, pour calmer cette angoisse, qu’il faut surtout et avant tout en avoir toujours plus. Ce n’est pas pour aller sur Mars, Mars n’est probablement qu’une métaphore, mais c’est pour bénéficier de l’accès aux technologies les plus sophistiquées, aux soins les plus chers, aux moyens de se protéger contre des hordes hagardes et affamées ; en un mot pour garder la possibilité de s’offrir l’accès au cercle des puissants, de ceux qui s’en sortent, mais dont personne ne peut prédire la taille. Car ce serait trop bête, pour lui-même et sa famille, d’avoir travaillé autant et d’échouer ; de tout rater et de mourir avec la masse pour quelques misérables millions ou milliards de dollars qu’il aurait pu assez facilement rajouter à son patrimoine, un petit pourcentage qui pourrait faire la différence.

C’est pourquoi la stratégie la plus « rationnelle »[8] consistera, pour l’ultra-riche anxieux, à utiliser les schémas qu’il connait et maîtrise, ceux qui ont fait sa fortune, et à les exploiter autant que possible pour augmenter ses chances, même si la perpétuation de ces schémas est précisément ce qui accentue les risques systémiques à l’origine de l’angoisse qu’il s’agit de combattre [9].

2 Le scénario NOE 2.0.

Nous allons brosser ce scénario de manière impressionniste par touches successives. Nous n’allons pas tenter de décrire une histoire mais plutôt une ambiance et une dynamique.

Ce qui se trame sous nos yeux

Nous assistons à  la fin de la parenthèse des Lumières, la vérité scientifique est rabaissée au niveau de simple opinion ; l’amour du prochain, la règle d’or[10], la morale de base sont de vieux et vagues souvenirs qui commencent à prêter à sourire, face au cynisme en progression. 

La séparation des pouvoirs disparaît, et la porosité redevient totale entre pouvoir politique et richesse privée. Certains économistes évoquent aujourd’hui l’émergence d’un technoféodalisme[11] qu’on pourrait appeler aussi néotribalisme[12].

Cela n’est pas le fruit du hasard[13] mais plutôt la conséquence d’une colonisation par les UR de nouvelles sphères de pouvoir, informationnelle et politique, celles qui régissent les « valeurs ». La richesse et le pouvoir ne relèvent plus en effet uniquement des territoires ou de taille de populations. Ils reposent sur les données, la technologie dont l’Intelligence Artificielle, la cyberguerre et les robots. La puissance des algorithmes a permis la montée en puissance des géants du numérique qui se sont emparés de plus en plus efficacement des cerveaux des consommateurs pour guider leurs « choix » et renforcer à leur dépends, par leur hébétude consommatrice, les écarts de richesse. Les citoyens consommateurs encore un temps solvables ne sont plus capables de discerner le vrai du faux et ne réagissent qu’à des stimulations faciles à fabriquer. Dans l’esprit des concepteurs d’une telle organisation économique et sociale, ou plutôt dans l’esprit de leurs commanditaires, il s’agit de construire les outils d’une émancipation totale. S’émanciper de la démocratie, on le voit déjà clairement aux USA, mais les Chinois et la Russie ont déjà quelques longueurs d’avance. S’émanciper aussi des problématiques de finitude des ressources qui aura, on le sait tous, et eux aussi, des effets cataclysmiques si l’on ne change pas de cap. S’émanciper enfin progressivement du besoin de s’appuyer sur d’autres humains, au fur et à mesure que des machines plus dociles, plus performantes, et moins chères, apparaitront.  

Contrairement à une idée reçue, on l’a dit, l’UR ne vit pas dans le déni des crises climatiques et environnementales. Sa préoccupation centrale est de sauver sa peau et celle de ses proches et c’est l’un des enjeux majeurs de son désir obsessionnel de faire partie du « club ». Il n’est technophile que parce qu’il pense que c’est, pour lui (et son club), la seule voie de « salut ». L’avenir du reste de l’humanité, il s’en désintéresse complètement ; ou plutôt il veut à tout prix qu’elle ne lui soit pas un obstacle. Dans ses rêves les plus fous, il croit à la possibilité de s’émanciper à terme, si possible, de la mort, la source fondamentale de son angoisse.

Glissement progressif des valeurs

Dans ce scénario, le but n’est pas de « sauver les humains » mais juste quelques humains qui décideront pour tous en attendant d’être arrivés à bon port. Mais qu’est-ce que le « bon port » ? Ce point qui touche aux « valeurs » est capital. L’organisation d’une économie, ou plus largement d’une société, ressemble peu ou prou à un processus d’optimisation[14] d’un objectif (le bien-être général, l’utilité, le PIB… ) sous contraintes de ressources (l’espace, la terre, le financement, les matières premières disponibles, la puissance militaire..), et à l’intérieur d’une « enveloppe » de risques (limiter le risque d’explosion sociale, limiter le risque de perte de souveraineté etc.)

Il s’agit de procéder à cette optimisation tout en respectant, ou en faisant évoluer, certaines « valeurs sociétales» qui sont supposées faire consensus mais qui sont d’autant plus difficiles à expliciter qu’elles correspondent souvent à des synthèses ad hoc et fluctuantes de principes contradictoires (liberté d’entreprendre mais obligation de se comporter en acteur responsable, pluralité d’informations et liberté d’expression mais encadrement des excès, solidarité mais prise en compte du mérite, partage des responsabilités toujours délicat entre public et privé, préférence nationale mais souci de générosité internationale, etc.).

C’est ici qu’avoir la main sur la sphère informationnelle, qui formate l’opinion, est clé. Car plutôt que d’apparaître comme voulant juste égoïstement sauver leur peau, les UR se donnent du coup la possibilité de changer progressivement l’objectif et le narratif accompagnant l’évolution sociétale. Jusqu’ici, on visait toujours à avoir le plus gros PIB possible. Cela avait du sens puisque l’accroissement de la puissance d’une élite passait forcément toujours par un accroissement démographique. Au début des civilisations, il s’agissait surtout d’avoir plus de fermiers et plus de soldats, ensuite on a voulu plus d’ouvriers et d’ingénieurs, et, dans la phase finale, nos grandes multinationales ont voulu toujours plus de consommateurs. Mais, à présent que les robots peuvent supplanter les humains, et que la finitude des ressources devient une évidence, ne devient-il pas urgent de remplacer cette mesure absolue, devenue obsolète et dangereuse, par des mesures d’intensité ? Par exemple, ne serait-il pas plus légitime de chercher à maximiser la richesse (ou le « bonheur ») par habitant plutôt que la somme des richesses de tous les habitants ? Progressivement, il s’agit de passer de l’injonction faite aux masses de grandir (« croissez et multipliez-vous ») à une injonction plus qualitative et individuelle. L’important n’est pas de vivre mais de vivre bien, de trouver son épanouissement personnel[15]. Les ultra-riches trouvent dans la doctrine néo-libérale l’alliée parfaite de cette transformation. Elle permet en effet, sous couvert d’un récit positif permettant à chacun d’être libre de ses décisions[16], de considérer que chacun sera donc aussi responsable de ce qui lui arrive.

Que ce soit en matière d’éducation, de nutrition, de santé, d’épargne, de travail, les dés sont pipés et les pauvres ont peu de chance de faire les bons choix, mais ne pourront se plaindre. Le plaidoyer pour la retraite par capitalisation  (plutôt que par répartition)  et au sein de ce dispositif le remplacement graduel des contrats à prestations définies par des contrats à cotisations définies sont exemplaires de ce raisonnement. L’employé ou l’ouvrier ne pourra plus s’en prendre qu’à lui-même si sa stratégie d’épargne s’avère perdante. On lui donne la « liberté » du choix. Résultat, alors qu’il n’y comprend goutte, et qu’il sera la proie facile de « conseillers en placements » peu scrupuleux, il est forcé de venir « jouer » sur des marchés financiers dans lesquels, en moyenne, il ne fera évidemment pas le poids face à des acteurs bien mieux informés et organisés, capables d’anticiper, et qui prélèveront de ce fait et à ses dépens une manne supplémentaire 

De même, le discours tendant à faire de chaque citoyen le responsable de l’effondrement de la biosphère au travers de ses choix de consommation permet de ne pas s’attaquer au cœur du problème qui est ailleurs, dans la manière dont les intérêts privés et les lobbies ont pris la main sur l’appareil législatif. Les « petits gestes » seuls, on le sait[17], ne suffiront jamais, surtout s’ils imposent des sacrifices quotidiens à ceux qui ont à cœur de les produire.

NB Ceci n’est pas un appel à l’inaction individuelle, qui peut aussi avoir du sens (la sobriété n’est pas pour tout le monde un sacrifice et a des bénéfices bien établis par diverses traditions spirituelles) mais une alerte face à l’instrumentalisation qui en est faite à de fins de domination.

Robotisation et projection démographique : le rêve des UR

Les projections démographiques retenues et traditionnellement utilisées en prospective sont celles de l’ONU dont la dernière en date voit un pic de population vers 10 milliards en 2080 puis une redescente lente. Ces scénarios sont issus d’un raisonnement par continuité : les pays en développement finissent par faire leur transition démographique et les populations des autres pays se maintiennent cahin-caha ou se contractent lentement. Mais si, à horizon de trente ans les projections sont raisonnablement fiables, à plus long terme elles sont beaucoup plus discutables. Pour ne prendre qu’un exemple, une étude de l’université de Shanghaï a montré que la population chinoise pourrait être réduite de moitié d’ici 2100[18]. Si l’humanité se retrouve divisée par 2 à chaque génération (1 enfant par femme n’est pas irréaliste[19]) on se retrouve en 10 générations à une population de quelques millions.

Si l’on arrive à faire cela sans guerre nucléaire, sans troubles sociaux majeurs, sans malaises existentiels profonds que des drogues bien dosées ne pourraient apaiser, quel bonheur! Le rêve d’une super humanité aux effectifs très réduits, vivant une vie heureuse débarrassée du poids mort des masses, et réconciliée avec ce qui restera de Nature, est donc à portée de main. Dit autrement, vu des UR, quel monde est préférable à terme ? Un monde où l’on s’est à tout prix efforcé de maintenir 10 milliards d’humains sur une planète bien incapable de satisfaire leurs appétits bien légitimes de consommation mais au prix de destructions, de violences et de frustrations infinies ? Ou alors un monde où ceux qui y vivront pourront y vivre comme des pachas puisqu’ils seront suffisamment peu nombreux pour que leur empreinte ne soit plus délétère ?

On pourrait parier sur le fait que les technologies vont évoluer, devenir plus propres, et que le nombre d’humains qu’une terre réconciliée avec son espèce dominante pourra supporter sans dommage s’en trouve augmenté au fil des prochaines décennies, mais à quelle vitesse , et quelle probabilité? Ne vaut-il pas mieux, pour le bonheur de tous, utiliser la démographie comme variable d’ajustement ? Ce n’est d’ailleurs pas hors d’atteinte puisqu’elle montre déjà les signes d’un renversement brutal[20] qu’il suffira donc juste d’encadrer et de positiver. Voilà la grande évolution des valeurs et de l’objectif sociétal auxquels il faut s’attendre. Avec une conséquence tout à fait essentielle à bien comprendre pour ce scénario :  si les valeurs évoluent comme il est décrit ci-dessus, son achèvement constituera, ou en tout cas pourra être présenté comme une immense réussite pour l’humanité. L’histoire est écrite par les vainqueurs, et c’est vrai aussi des valeurs.

Quid des retraites ?

Les économistes mainstream continuent à penser qu’il faut des humains pour faire de la croissance, et faire repartir la natalité pour payer les retraites. Or dans le scénario NOE2.0 , le travail est fait par les robots dès qu’ils sont moins chers et plus efficaces que les humains, ce qui est envisageable dans les usines, les champs, mais aussi dans les fonctions administratives, publiques et privées, médicales, dans les cabinets d’avocats et de conseil et, last but not least, sur le théâtre d’opérations militaires[21]. De ce fait, l’UR pense qu’il n’a plus besoin des pauvres et encore moins de leur payer leur retraite. Seulement d’une petite armée de serviteurs zélés à qui il faudra bien laisser quelques miettes du festin. Il se dit que, par ailleurs la planète, à bout de souffle, ne pourra jamais donner à 9 milliards d’individus le niveau de vie des américains. L’UR qui possède les robots va se dire : au nom de quoi devrais-je me priver d’une planète dont je pourrais jouir seul simplement pour que ces armées d' »inutiles » puissent passer leur vie à manger des chips devant des séries Netflix (dans le meilleur des cas à lire des livres, voyager et aller au Musée)? 

Boucle de rétroaction positive

En attendant, l’UR anxieux sera de moins en moins intéressé aux solutions de mitigation (qui demandent de dépenser pour tous car les molécules de CO2 voyagent très facilement) et de plus en plus intéressé aux solutions d’adaptation (on peut plus facilement ne dépenser que pour soi), ce qui ne fera qu’accélérer les dynamiques déjà à l’œuvre. 

Ce raisonnement est sans doute faux. Les effets du changement climatique sont systémiques et difficiles à prévoir précisément (dans le temps et dans l’espace). Les espaces apparemment préservés ne le seront pas éternellement. Pour ne prendre qu’un exemple l’effondrement de l’AMOC, considéré à ce jour par le GIEC comme peu probable d’ici 2100 aurait des conséquences considérables sur de multiples régions du monde.

Mais notre UR considèrera toujours que les solutions d’adaptation sont locales et à sa portée, s’il est assez riche…

L’arche de Noe 2.0

Plus les inégalités s’accroissent, plus l’UR n’entrevoit comme seule stratégie valable, à sa disposition, que de s’enrichir encore le plus possible selon les outils à sa disposition (donc en carbonant encore plus vite et plus fort – « drill baby drill »).

Il contribue aux projets Arche de Noé 2.0[22] (Mars en étant un symbole[23]) sous forme de portions entières de territoires totalement « bunkerisés » en Nouvelle Zélande ou ailleurs et reliés en réseau pour pouvoir se déplacer en fonction des événements climatiques extrêmes qui s’amplifient et pour constituer plusieurs solutions de replis.

3 Pure Science-fiction ? Complotisme ? Ou tout simplement scénario vraisemblable ?

Les éléments de scénario exposés ici ne sont pas de l’ordre de la science-fiction et ne reposent sur aucune invention technologique ou autre ni sur un changement de programme génétique des humains ; même s’ils peuvent sembler s’inspirer d’œuvres de science-fiction (ne serait-ce que le célèbre 1984 de Georges Orwell), ils sont aujourd’hui plutôt vraisemblables comme nous allons  le voir. Ils ne sont pas du tout complotistes : rien de ce qui le fonde n’est caché, rien d’occulte ; tout cela se joue devant nous de manière transparente. Développons.

a) Les démocraties traditionnelles vacillent, tout comme l’indépendance des pouvoirs dans le monde. Aux USA, la confusion entre le pouvoir économique et politique est totale avec Donald Trump dont les propos donnent à penser qu’il souhaite  que la justice ne soit plus indépendante et, plus généralement, éliminer tous les contrepouvoirs ; quant à Elon Musk il utilise le réseau X comme une arme de propagande massive. La Russie est aux mains d’un despote richissime et Xi-Ping est un tyran totalitaire probablement richissime aussi et qui ne supporte les riches que s’ils lui sont inféodés. Plusieurs figures de la gauche française craignent la constitution d’une « internationale » de droite radicale, alors que le vice-président J.D.Vance et Elon Musk expriment ouvertement leur soutien à des formations d’extrême droite européennes[24].

b) Les premières mesures prises par Trump (démantèlement de l’US Aid, licenciement de fonctionnaires et réduction des dépenses publiques « à la hache », mise en place unilatérale de taxes sur les produits importés, mesures contre les immigrés, suppression des programmes d’aide aux vétérans, démantèlement de l’aide alimentaire, suspension des programmes de prévention d’Ebola, etc. vont peser sur les classes moyennes et les plus pauvres. Symétriquement le soutien aux  cryptoactifs va profiter au clan Trump et aux plus riches. Il a promis de réduire le taux d’impôt société (de 21% à 15%) de supprimer l’impôt sur les successions et de supprimer l’impôt fédéral sur le revenu. Toutes ces mesures sont à sens unique et se traduiront par un transfert de richesse des  plus pauvres vers les plus riches. Le journaliste Georges Monbiot[25] montre qu’il arrivera à faire accepter ces mesures en faisant croire à chacun qu’il est moins mal traité que les immigrés et autres « vermines » responsables des problèmes américains.

Le pouvoir américain rentre en conflit ouvert[26] avec les valeurs européennes d’État de droit, de pluralisme, de liberté d’expression (et de ses limites[27]). Il veut également mettre au pas la liberté scientifique et ses règles de fonctionnement.

c) Les ultra-riches ont déjà des comportements « sécessionnistes [28]» et « survivalistes [29]» ; ils sont déjà en quête de « havres de sécurité ». On peut légitimement penser que plus les crises s’enchaîneront et seront brutales, plus ce type de comportements sera renforcé.

d) Ne peut-on pas faire l’hypothèse que l’inaction actuelle face à la dérive climatique est d’ores et déjà la preuve d’un verrouillage politique de tout programme un peu musclé ? L’explication la plus probable à l’insuffisance de l’action se trouve dans la structure de plus en plus inégalitaire du monde.

e) La montée de l’IA pour tout usage (militaire, de contrôle des personnes, etc.), la robotisation et le « crétinisme numérique » s’observent facilement tout comme la puissance financière des grandes entreprises de la tech ; les plus grandes valorisations boursières dépassent les 3000 milliards de dollars.

f) Le malentendu à propos de la Chine commence à se dissiper. L’élite chinoise n’a jamais eu comme horizon politique de permettre à 1.4 milliards de chinois d’accéder à la consommation de masse. La ligne stratégique a consisté à trouver le moyen de rattraper 300 ans de retard technologique en à peine quelques décennies, et de se retrouver en position d’exercer une forme de chantage aussi en se plaçant au cœur et ou en amont des processus industriels. Dès lors, les ploutocrates chinois pourront se comporter comme l’UR décrit ci-dessus et c’est leur but.

Conclusion

Ce scénario n’est bien sûr que l’un des scénarios possibles. L’avenir n’est pas écrit. On pourra lui opposer de nombreuses critiques.

Mais il n’est pas invraisemblable. L’intérêt de le regarder en face est double. D’une part, il donne une clef d’explication assez simple à l’inaction actuelle (ou plus précisément à l’action insuffisante) face au changement climatique et la crise environnementale. D’autre part, il aide à résister en limitant la dépendance aux pouvoirs centraux. Des communautés locales sensibles à l’étouffement des libertés, à commencer par la liberté de pensée, s’organisent pour vivre si ce n’est en autarcie, au moins de la manière la plus autonome possible par rapport au déferlement numérique.

Enfin, il permet de réfléchir à ce qu’il faudrait faire pour qu’il ne se réalise pas. Ce n’est en rien un appel au meurtre[30] ni à la désignation de boucs émissaires[31]. Ce qu’il faudrait faire pour l’éviter est d’ordre politique, économique et fiscal. On ne peut sortir de la domination d’une caste que par l’impôt (sur les revenus, le patrimoine et la succession), par l’existence et le financement démocratique de médias et de leur régulation[32] (au sens large y compris réseaux sociaux), par des systèmes électoraux (tels que le système français mais pas le système américain) qui encadre étroitement les financements privés des campagnes électorales, par l’encadrement strict des activités de lobbying[33] et enfin par la mise en œuvre de politiques économiques efficaces et socialement justes[34] qui ne soient pas au service direct ou indirect de cette caste. C’est sans doute uniquement alors qu’il sera aussi possible d’éviter les scénarios les pires en matière climatique.

Alain Grandjean et Pierre Lenders


Notes

[1] Ce que nous allons exposer ici n’est pas un scénario complet mais ses lignes de force.

[2] Ce sont, pour les plus puissants d’entre eux, surtout des hommes (ou femmes) d’affaires, détenteurs d’empires industriels, technologiques et/ou financiers, mais il s’agit aussi, anecdotiquement, de quelques stars du foot, du cinéma, de la télé ou de la mode. Il peut également s’agir de dirigeants politiques de régimes autocratiques et/ou oligarchiques, contrôlant les richesses du pays qu’ils dominent.

[3] Source : World Ultra Wealth Report 2024.

[4] Comme au sein de toute population, il y a une grande diversité parmi les ultra-riches puisqu’ils sont, pour un temps plus ou moins long encore, les résultats des mêmes hasards génétiques ainsi que d’une certaine mixité historique, culturelle, sociale et éducative. Mais pour les besoins de l’analyse, nous n’allons nous intéresser qu’à la fraction des ultra-riches, appelés ici ultra-riches « anxieux » qui agissent dans le sens du scénario. Les autres types étant soit très minoritaires (comme les vrais philanthropes), soit neutres du point de vue des conclusions (comme les ultra-compétitifs), on trouvera légitime de les ignorer.  

[5] « L’empathie est la faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale. » a dit Elon Musk chez Joe Rogan (un célèbre podcasteur conservateur).

[6] L’UR promeut (sans nécessairement y croire) la théorie du ruissellement.

[7] La pléonexie est le  le désir d’avoir plus que les autres en toute chose. Voir le livre éponyme du philosophe Dany Robert-Duffour.

[8] Rationnelle, étant donné les présupposés acceptés par nos UR …

[9] A de rares exceptions près, les milliardaires le sont devenus grâce à des activités menées à grande échelle. Puisque, pour l’essentiel, nos économies sont encore très carbonées et/ou ont des impacts fortement négatifs sur la nature, un accroissement rapide de la richesse des ultra-riches qui n’attendrait pas que de nouvelles technologies, vertes, soient mises en place ne peut passer que par un renforcement de ces externalités.

[10] Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il fasse, règle qui se retrouve dans la majorité des civilisations.

[11] Voir Cédric Durand Techno-féodalisme – Critique de l’économie numérique. La découverte. 2020

[12] Voir sur ce blog l’article Perte du sens commun et néotribalisme, 2024.

[13] C’est aussi la conséquence de décennies de néolibéralisme adopté par la gauche sociale-démocrate, qui lui ont fait perdre la confiance des classes moyennes et pauvres. L’inefficacité des politiques mises en place, pour corriger l’explosion des inégalités générées par la mondialisation a donné envie aux électeurs de donner leur voix à des tribuns qui ,eux, agissent ou donnent le sentiment qu’ils vont le faire. Voir notamment l’article La concentration des richesses est due à des choix économiques et politiques sur la plateforme The Other Economy.

[14] Ou au moins de mobilisation des énergies vers l’atteinte de cet objectif. Dans les raisonnements économiques un peu formalisés c’est littéralement une optimisation mathématique qui est faite, ce qui est problématique au fond car simpliste. Voir sur ce blog l’article La Nature au cœur du raisonnement économique : l’émergence d’une nouvelle macroéconomie, 2025.

[15] Nombre de multinationales financent des programmes de développement personnel pour leurs employés dans une ambiguïté totale. S’agit-il de rendre ces employés mieux dans leur peau ou plus productifs ? Ne s’agit-il pas aussi de rendre acceptable des situations inacceptables et de faire peser sur l’individu (en l’aidant) le poids d’une structure et d’un système toxiques ?

[16] La valorisation des désirs individuels et la maximisation de l’utilité du consommateur sont des revendications libertaires et néolibérales. Voir le livre de Dany Robert-Duffour Le Divin Marché: La révolution culturelle libérale Gallimard. Poche, 2012.

[17] Voir la note de Carbone4, Faire sa part , 2019 qui montre que les efforts individuels nous font faire au mieux 25% du chemin à parcourir pour atteindre la neutralité carbone.

[18] Voir l’article China’s falling population could halve by 2100, Asiatimes.com, 2024. Le taux de fécondité est de 1,18 en 2022. Un taux réduit à 1 conduit en gros à une division par deux tous les 30 ans.

[19] En Chine le taux de fécondité est de 1,18.

[20] Voir la littérature sur le crash ou l’hiver démographique.

[21] La pénétration des drones et le rôle de l’IA sont déjà manifestes dans les conflits actuels que ce soit au Proche -Orient ou en Ukraine.

[22] La bande dessinée “Arca ou la nouvelle Eden” (2024) dépeint un scénario de ce type où une élite fortunée fuit un cataclysme planétaire à bord d’un vaisseau spatial.

[23] Ironiquement, dans le film Don’t look up , la planète refuge est peuplée de monstres dévorant les quelques humains dès leur arrivée…

[24] Voir par exemple, «L’internationale fasciste se met en place» : l’intervention d’Elon Musk en Europe fait trembler la gauche française, Le JDD, 2024.

[25] Voir ses vidéos sur DDN. Par exemple, REVEALED: Trump & Elon Musk’s BRUTAL Secret, 2025.

[26] Voir Derrière les mots de J. D. Vance à Munich : le décryptage d’un discours qui a sidéré l’Europe, Le Monde, 2025.

[27] La liberté d’expression et ses limites sont définies à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

[28] La “sécession des ultra-riches” fait référence à l’envie de l’UR de se détacher des préoccupations et des obligations communes, notamment fiscales et sociales, créant ainsi une forme de séparation économique et sociale. Voici quelques références explorant ce phénomène : Le Rapport d’Oxfam France (2024), cet article de Reporterre (2024),  cet article de David Rushkoff dans the Guardian.

[29] Les ultra-riches achètent des bunkers et des propriétés privés sécurisées dans des destinations  à la mode : la Nouvelle-Zélande (et la région de Queenstown), le Costa-Rica, des îles privées aux caraïbes ou dans le pacifique sud. Des installations de luxe comme le Survival Condo Project au Kansas, proposent des appartements haut de gamme dans des silos à missiles reconvertis, offrant une protection contre diverses menaces.

[30] L’assassinat du patron de UnitedHealthcare, Brian Thompson,  a fait de  son assassin Luigi Mangione un héros sur le réseaux sociaux. Ce type d’actions est pourtant totalement inefficace, indépendamment de toute considération morale. Il est instantanément remplacé par un autre UR qui appliquera la même politique.

[31] Voir les livres de René Girard sur le sujet et notamment Le bouc émissaire.

[32] La récente décision de Mark Zuckerberg de ne plus modérer Facebook (via le fact checking) est une preuve évidente, s’il en fallait, que dans ce domaine, autant si ce n’est plus qu’ailleurs l’autorégulation par les acteurs concernées est un rêve qui peut se transformer en cauchemar. IL en va de même pour la publicité (voir la fiche sur la publicité sur la plateforme The other Economy )

[33] Selon le média Politico, la Commission européenne a décidé d’interdire l’utilisation de fonds européens pour des activités de plaidoyer et de lobbying menées par les ONG. Voir Marianne Gros et Louise Guillot, « Commission tells NGOs EU money is not for lobbying »Politico, 28 novembre 2024. Cette décision va exactement en sens inverse de ce que nous proposons ici.

[34] Tout un programme ! Les socio-démocrates qui incarnaient les intérêts et les espoirs des classes moyennes ont complètement échoué sur ce plan, sans doute en faisant trop de concessions au  néolibéralisme. La reconstruction idéologique reste à faire. Nous nous y employons au sein de l’association The Other Economy.

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10.02.2025 à 14:05

Nature at the heart of economic reasoning: the emergence of a new macroeconomics

Alain Grandjean

The IMF report Embedded in Nature (October 2024) is a small revolution in the world of macroeconomics: it introduces an original conceptual framework in which Nature is at the heart…

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Texte intégral (12367 mots)

The IMF report Embedded in Nature (October 2024) is a small revolution in the world of macroeconomics: it introduces an original conceptual framework in which Nature is at the heart of the economic system. This will hopefully encourage national and international institutions to rethink their usual modelling tools, whose structural weaknesses have been demonstrated time and over again.

You can read the french version of this post here

1. The many flaws in macroeconomic models

Macroeconomics, as an academic discipline, routinely sustains severe criticism. It is sometimes done in a diplomatic way, like when Nobel Prize winner Paul Romer admits it makes him feel « disturbed »[1], while sometimes researchers are more direct, like when Steve Keen bluntly denounces a “failure”[2]. Other criticisms, such as Hyman Minsky’s, are indirect, insisting that despite recurring evidence, most of these models do not even allow for the possibility of endogenous financial crises, as such crises would simply be at odds with their underlying « general equilibrium » analytical framework. As for behavioural economists, they have shown that economic agents are not rational in the sense that such models presuppose, which significantly undermines their realism. Finally, it is notorious that no economist or institution using these models had been able to predict the 2008 financial crisis.

This contestation of the pertinence of macroeconomics also shows through a relative disaffection with the discipline and a renewed interest in empirical economics (also motivated by the growth in data processing capacity) and other disciplines such as ecological economics. Yet, as described in two recent papers by the Chair Energy and Prosperity on IAM models[3], these macroeconomic models are still widely used by governments and by key global institutions and are a determining factor in the conduct of economic policies, be they budgetary, fiscal, monetary or commercial.[4]

Let’s look at a few examples of how important these models have become. The budget trajectories of EU Member States produced by the European Commission as part of the EU economic governance are calculated using rather rustic versions of these macroeconomic models, based on a Cobb-Douglas function[5]. In France, budget forecasts are produced using such models, like the Mésange, Opale (and the tresthor platform) and Saphir ones.

As another example, the Network for Greening the Financial System (NGFS), a network of central banks and financial supervisors, which is studying the impact of climate change on financial stability, uses several of these macroeconomic models (Remind, Message globiom, Nigem)[6], despite their well-known limitations, as described above[7].

The World Bank also relies on numerous hybrid models, notably in its initiative to equip a coalition of finance ministries – the Global Macro Modeling Initiative[8] (GMMI) – and in its assessments of countries’ climate policies, the Country Climate and Development Reports (CCDRs[9]).

These models also play a central role in the work of the IPCC, which aims to provide an economic assessment of the consequences of global warming and/or measures to limit it. In the report Finance in hot house world (2023), Thierry Philipponnat, Chief Economist at Finance Watch, pinpoints the problem: « With the world’s current climate action, our planet is on the road of a +3°C average temperature increase: It is becoming a “hot house world” where more than 3 billion people will have to “adapt” to progressively uninhabitable living conditions. Yet policymakers’ economic models predict only a benign level of economic losses from such climate impacts. The cause of such an obvious quantification problem is that the theories behind these economic models rely on backwards-looking data, make assumptions about economic ‘equilibrium’ and use damage functions that are not suitable for modelling an economy disrupted by climate change. Most importantly, the impact of climate change resulting from economic modelling is not compatible with climate science. Yet, the climate scenario analyses conducted by financial supervisors all use these models.”

Let us clarify that the present analysis is not about judging the efforts made by researchers and practitioners to improve their modeling work and respond to criticism, but to highlight the biases generated by the use of reference models in actual public policies. It should also be remembered that the topic of environmental macroeconomics is in full effervescence, and that it is not possible to account for all these dynamics[10].

The limitations of « dominant » macroeconomic models
Most of these models do not include the role of money or finance, despite their decisive impact in economic terms (as demonstrated by Hyman Minsky, quoted above);
1.Many do not take into account the interactions between nature and the economy;
2.some do so by using damage functions (climate to the economy) which greatly underestimate the damage;
3.Most make the (false) assumption that artificial capital (machines) can replace « natural capital » and labour without limit;
4.Most are based on a production function used to estimate GDP and its variation, who is supposed to measure an economic cost if it is negative or an increase in wealth if it is positive. This supposes adding an arbitrary parameter of total factor productivity, the relevance of which is really debatable, which makes GDP partially exogenous, and therefore in fact partially independent from the impacts of climate change;[11]
5.The state is often absent;
6.Returns are considered to be diminishing or constant, which is contrary to the economic reality;
7.Some model a closed economy, with no international trade (or exchange rates);
8.Many are equilibrium models in the neoclassical sense: the trajectory necessarily converges towards a single equilibrium;
9/The diversity of economic agents is usually not represented, which means that social inequalities are not either;
10.None of them includes tipping points;
11.Most of them are based on ad hoc calibrations and are not backtested;
12.The behaviour of actors is assumed to be « rational » in the neoclassical sense;
13.The results of modelling are generally very sensitive to the choice of discount rate (which reflects a greater or lesser preference for the present), which is basically arbitrary.

For more details on the above problems, which are common to macroeconomic models used in large institutions and to IAM models[12], please consult the Working Paper Les modèles IAMs et leurs limites (IAM models and their limitations) (2024). The same working paper also introduces « coherent stock-flow » models[13] (Coherent in financial terms and in terms of natural resources), which aim to remove some of the above limits (in particular the limits listed as number 1, 2, 8, 10 and 12) and the IF initiative (by Carbone 4, which focuses on biophysical limits and their evolution).

We seem to have reached an impasse: the tools we use for economic reasoning on the biggest issues of our time (climate and the destruction of biodiversity) are unreliable.

We use them because they are the only ones approved by the most academically recognised international economic journals, which gives them institutional pre-eminence and thus reinforced by the influence of the economists[14] who prescribe them or use them.

We also use them for the apparent intellectual comfort they bring by being able to provide figures that maintain an illusion of control, and finally because of the high cost (and time required) of developing new tools.

To get out of this impasse, we need courage and the willingness to wipe the slate clean of these tools. We can therefore only warmly welcome the IMF report Embedded in Nature: Nature-Related Economic and Financial Risks and Policy Considerations (2024), which takes a first step in this direction.

This IMF publication proposes a new conceptual framework[15] (see diagram below), within which, for fundamental reasons explained below, most of the economic models used by institutions today cannot fit.

We will first present some of the most noteworthy advances described in this work, and in the second part we will propose extra ones, that we feel should be made to complete this revolution (whether or not they are implicit in the IMF publication).

The new conceptual framework proposed by the IMF

Source: Embedded in Nature: Nature-Related Economic and Financial Risks and Policy Considerations (2024). Page 7

This diagram is presented as follows (page 5):

« We propose a conceptual framework to analyze nature-related risks and their feedback mechanisms. Drawing on the Dasgupta Review, the macroeconomic framework features four main components (Figure 3). First, it connects the four types of capital (nature, social, produced, and human) to economic and financial flows. Second, it relates these flows to potential states of the world based on production sustainability over time (sustainable, unsustainable, and irreversible collapse), with the last two approaching or exceeding natural capital’s tipping point, risking irreversible damage. Third, it describes the main nature-related risks associated with each state of the world. Fourth, it maps out macroeconomic transmission channels linking nature-related risks to the real economy—including impacts on quantities and prices—and vice versa, and the financial sector, emphasizing the “double materiality” principle whereby financial institutions both affect and are affected by nature-related risks (Figure 4).

2 The IMF report: a rupture with mainstream economic thinking

A. Nature and economics are of two different orders

Human beings are part of Nature. The history of the planet is intrinsically linked to the appearance of life and its evolution, and vice versa[16]. The profound and spectacular interactions between living and non-living organisms[17] are increasingly well known[18]. We also know that the human species, the fruit of 4 billion years of co-evolution, now has a decisive impact on the conditions of habitability of our planet for the human species as well as for the majority of living beings[19]. We are now on the verge to take the planet out of the range of variation of certain parameters[20] which would make it inhospitable to life as a whole.

However, Nature and the services that « we derive from it » are not economic goods for three fundamental reasons:

  • Nature does not charge. Economic exchanges take place between humans and the entities they control.
  • Nature has a use value for us, but above all it has an intrinsic value, and it is quite simply a condition for human life.
  • The irreversible destruction of Nature and the overstepping of planetary limits have no equivalent in economic terms; money is created ex nihilo[21] from accounting entries and then circulates, and human labour is more or less reproduced year after year.

Trying to « bring » Nature into the economy by « internalising externalities », monetising the value of ecosystem services, treating Nature as « economic capital » is a « theoretical power grab » that must be abandoned.

It is implicitly based on equivalences that cannot be made: the postulate of « weak » sustainability or sustainability according to which artificial capital (machines) can replace natural capital[22] has become lethal.

This assumption, the fruit of our feeling of omnipotence based on our technological ‘successes’, is totally illusory. All we need to do to convince ourselves of this is to take a close look at the incredibly complex and subtle interactions at work in ecosystems. As the report states (page 25), quoting Dasgupta[23]:

« The substitutability between natural capital and other forms of capital is limited. There are “little-to-no substitution possibilities between key forms of natural capital and produced capital and for that matter any other form of capital« .

Strong and weak sustainability

« The weak sustainability approach (A) looks at the total sum of capital, including social, manufactured and natural capital, while the strong sustainability approach (B) puts  maintaining the environment in a good state as an essential condition of sustainability. We can apply this representation to the sustainable development objectives (C), where the achievement of sustainability is based on the good state of the four environmental objectives (D).

Source: La soutenabilité forte comme paradigme pour faire le lien entre économie et science de la durabilité, Adrien Comte, IRD (2023)

Abandoning the postulate of « weak » sustainability has many consequences, which are not explicitly mentioned in the IMF report but which it is important to come back to. In particular, it means rejecting the monetisation of ecosystem services as such. This doesn’t necessarily mean to ignore the consequences of their use nor the economic costs of their destruction or « repair/restoration »[24].

This also leads us to reject the use of the « cost-benefit » reasoning for issues as crucial as climate change or the destruction of biodiversity.

It forces us to think carefully about the necessary evolution in accounting, both private or public. Under no circumstances should Nature be considered as an asset (= comparable to any other, from the point of view of financial return).

In business accounting, it could possibly be considered as a liability: this is the option taken in the « multi-capital accounting » approach[25] which is currently in full swing, although it cannot be said today that it is the best solution from an accounting point of view.[26]

In public accounting, it is dangerous to suggest that countries should measure their wealth by including not only physical capital (such as infrastructure) and human capital (education, health), but also natural capital. This is what was proposed by the World Bank when it developed the adjusted net savings or « genuine savings » indicator, which is calculated for France by INSEE[27]. Of course, these adjustments show a value for public assets that is lower than we might think, since when we include the deterioration due to the effects of climate change, public assets lose some value. But the results are highly dependent on the monetary values used to make these adjustments (which are debatable and necessarily based on models). The use of this indicator opens the door to trade-offs between « capitals » that are not acceptable in a logic of strong sustainability. Take just one example: a hectare of « natural » forest in France will always be « worth » less economically than if it could be built on[28]. To protect forests from the need to build or from economic appetites, regulations are needed.

B Global limits and ecological tipping points are at the heart of the conceptual framework proposed in the IMF report.[29]

As we have just seen, human activities are pushing certain vital parameters out of ranges that have been self-regulating for millions of years. These are known as planetary limits. The emblematic case is that of the atmospheric concentration of CO2, which now exceeds the concentration reached 3 million years ago.[30]

The processes that are set in motion are non-linear and can lead to major disasters when what scientists call tipping points are reached, i.e. thresholds which, once crossed, cause the natural system concerned to run out of control.[31]

Economics is incapable of modelling, let alone putting a price or an economic value on such a complex system. The reasons for this are both axiological (it is not its job to do this) and methodological (economics doesn’t have the tools to do this). The fundamental problem stems from the confusion, among most neoclassical economists, on what comes under economic analysis and what comes under ethics or politics. Since Léon Walras, this line of thought has been normative[32] in the sense that the descriptive dimension of the economic system is accompanied by public policy recommendations. It is important to distinguish between the two.

To put it another way, the problem of limits is by definition part of a dogmatic framework, in the sense given to it by the jurist Alain Supiot[33]. It is this framework that legitimises institutions, standards, public prices, the division between the public and the private, the commons, and so on. The relevant framework for thinking about the problem of limits is therefore that of political and collective decision-making, and not the restricted analytical framework of economics. Economics can only intervene once the framework has been established. 

This new conceptual framework leads us to propose public policies in terms of internationally accepted prohibitions and not just in terms of negotiable objectives. The IMF note explains this position as follows:

« In theory, it should be possible for societies to define a set of essential values, including the conservation of nature and the reversal of biodiversity loss, on which citizens can unite. A corollary of such an agreement would be prohibitions on nature-destroying activities, akin to the Protocol on Environmental Protection to the Antarctic Treaty, the current United Nations negotiations on deep-seabed mining regulations, and laws that prohibit human trafficking and other illegal activities.« 

It is the acceptance of planetary limits that underpins the need for the precautionary principle[34], which continues to be misunderstood as a principle of inaction or anti-innovation, when its aim is quite simply « not to play the sorcerer’s apprentice ».

C. We must abandon the use of aggregate production functions to project GDP and of damage functions to assess the cost of climate change.

The macroeconomic models used by international institutions (and those whose results are summarised by the IPCC) use aggregate production functions. The relevance of this representation was criticised very early on, in what economists refer to as the two Cambridges controversy of the 1960s. This is an important economic debate that took place in the 1960s. In short, on the one side, Samuelson and Solow (MIT, Cambridge, USA) defend the idea of the possibility of a single measure of capital. On the other, Robinson and Sraffa (University of Cambridge, England) point out that capital is made up of a heterogeneous set of physical assets (machines, buildings, etc.), the monetary measurement of which depends on relative prices and the rate of profit. This makes prices both an input and an output of these models, since it is these models that enable these relative prices to be calculated, making the underlying economic reasoning self-referential.

The ‘critical’ point of view, embodied at the time by Joan Robinson and Piero Sraffa, was undoubtedly the most coherent, something that even Paul Samuelson (who along with Robert Solow opposed it) came to recognise. This is now widely accepted[35], including by influential economists, such as Jeremy Rudd[36], a member of the Fed Board.

Their remark, technical in nature, turns out to be fundamental to the representation of interactions between the economy and Nature. On the one hand, if it is difficult, if not impossible, to aggregate elements of physical capital in a coherent way, it is even more so for different types of “natural capital” and a fortiori for the total of the two, which is done in the weak sustainability perspective.

On the other hand, GDP projections are indeed made on the basis of these production functions. As these production functions have failed to reflect the real evolution of GDP, they have been « completed » by a factor, the Total Factor Productivity (TFP), about which Jeremy Rudd writes that « even the most carefully constructed estimates of total factor productivity will be meaningless« .

In most macroeconomic models, this TFP is generally set at around 1 to 2% per annum[37]. This suggests that GDP will continue to grow exponentially whatever the state of the planet.

When economists try to assess the impact of global warming on GDP growth, they calculate a damage function that links a certain level of increase in global temperature to a loss of GDP. This damage function is then used to correct GDP growth in a « reference scenario » (in which global warming does not exist), which is calculated using the method described above, i.e. with growth of 1 to 2% per year, forever.

Thus, as stated by the NGFS in its 2024 report on damage functions[38]:

« The world economy is expected to grow by more than 300% by the end of the century (i.e. more than quadrupling). Even assuming a much more conservative growth rate of 1% per year, the world economy is still expected to grow by more than 120%. The 30% loss[39] must be interpreted in the light of these basic growth figures.« 

The massive bias introduced by this type of modelling is easy to understand: as long as we assume that GDP will grow exponentially throughout the 20th century, the losses in GDP linked to global warming (which are drastically underestimated at this stage) do not even lead to a recession. Note that the same method is used for ecosystem services[40].

We can therefore only welcome the position set out in the IMF note:

« Despite the widespread use of the aggregate production function in macroeconomic models, we opt not to use it because of its lack of robust theoretical and empirical foundations. At the theoretical level, it has been shown that the aggregate production function is simply an accounting identity to measure aggregate value added, and does not contain any information on technological relationships in the economy (Rudd 2024, Shaikh 1974, Simon 1979). Indeed, Fisher (1971) shows that the supply side of the economy can only be described using a production function under highly unrealistic conditions. Empirically, Shaikh (1974) and Fisher (1993) show that the fit with the data provided by an aggregate Cobb-Douglas production function with constant returns to scale, for any data, is a mathematical consequence of constant factor shares, an empirical result that is simply due to a law of algebra. Regarding total factor productivity (TFP), Rudd (2024) notes that “labor and capital aggregates that are relevant to production can only exist under conditions that are unlikely to ever be met by a real-world economy,” meaning that “even the most carefully constructed estimates of total factor productivity will be meaningless.” For these reasons, we do not introduce an aggregate production function or TFP in our framework. »

As for the damage functions linking global average temperature growth to GDP, they are questionable (and criticized) for two fundamental reasons. Firstly, their estimation is based on economic models that are incapable of taking into account the complexity of ecosystems and the effects of their current degradation on the economy. Secondly, since the impacts of climate change and the collapse of biodiversity are non-linear and subject to ‘tipping points’, it is impossible for economists to project these functions into a significantly warmer world.

The IMF note (page 6) warns quite clearly about the limitations of the estimates published to date on the impacts of climate and ecological degradation on the economy, and gives several explanations, including the following: « A key reason is the inability of models to represent complex interactions between ecosystem services, and between ecosystem services and the economy. Most models are skewed toward capturing selected ecosystem services that relate to the provisioning of food, water, and bioenergy[41]”.

D. Productivity must be redefined

According to most economists, a country’s economic growth (GDP per capita[42]) is the result of growth in the productivity of the factors of production[43], due to scientific and technical progress and progress in the organisation of work. As we have just seen, economists[44] model this progress using a TFP, whose estimation is, strictly speaking, impossible.

But the notion of productivity poses a deeper problem that the IMF note highlights. To put it simply, it is supposed to result from « ungrounded » mechanisms, i.e. without taking into account the pressure on ecosystems.

As a result, the authors of the notes write (page 28):

« we define productivity as the efficiency of production subject to the preservation of the material basis for the creation of economic value, which encompasses nature. This definition implies that an increase in labor or capital productivity that is associated with nature loss or degradation is an apparent productivity gain rather than an actual one (that is, it overestimates productivity gains), as it has an adverse impact on the material conditions on which economic value creation itself depends. »

This reconsideration of productivity goes further than the abandonment of production functions just mentioned. It calls into question the « dominant paradigm » according to which we must always increase productivity in order to increase the wealth produced and, consequently, the satisfaction of each and every one of us.

We approached this subject from a slightly different angle in a recent article[45], in which we argued for « non-market values » to be taken into account, as well as the productivity of natural resources in the broad sense, to take account of the potential scarcity of these resources. Tomorrow’s economy must become extremely parsimonious with regard to its « consumption of Nature » and must stop trying to optimise the output of human labour and/or its « equipment » without taking account of Nature’s limited capacities, including its capacity to reproduce.

E. The assumptions behind free trade must be challenged

In the IMF note’s, the analysis of difficulties and sometimes impasses for some developing countries calls into question the theoretical virtues of free trade.

Here is an extract (Annex Box 1. page 39):

« Developing economies often rely heavily on nature-degrading exports to obtain foreign exchange, as noted previously. Given the productive structure of these economies and the nature loss embedded in their economic activities and particularly in their exports (Dasgupta and Levin 2023[46]), ultimately one of the consequences of repeated shocks and sovereign and external debt crises will be to increase investments in, and lock infrastructure associated with, nature-loss-inducing (as well as carbon-intensive) activities. For instance, growth in export oriented soy production and mining—largely aimed at addressing balance of payments needs—has led to deforestation and nature loss in Argentina and the Democratic Republic of the Congo, respectively (Dempsey et al 2024[47]). Although efforts are being made in the global governance on nature and climate to take into account these linkages and domestic constraints tied to the international monetary and financial architecture, more needs to be done.

This analysis, where developing countries accumulate external financial constraints – from risks of lock-in in economic models to the effects on Nature of the resulting economic choices – takes us a long way from the idealised views of international trade relations found in standard economic analyses.

F. Some public policy proposals are expressed in mostly qualitative terms, calling into question certain dogmas.

The note makes a number of public policy proposals. Here are a few examples.

1 In theory, it should be possible for societies to define a set of essential values, including the conservation of nature and the reversal of biodiversity loss, on which citizens can unite. […] An institutional change of this magnitude would impose limits on the actions of financial institutions (page 19).

2 A rapid, orderly phasing out of harmful economic activities […], policies, and financing (page 22).

3 Recognize the systemic effects of crossing planetary boundaries and the existence of biophysical tipping points (page 23).

4 Build social and political consensus on transitioning away from non-sustainable economic activities. Second, there is a need to reorient policies to prioritize the rapid transformation of the productive structure of the economy to align with planetary boundaries. (page 23).

5 Further research […] the implications of nature loss for debt sustainability, […] the role of domestic economic and financial constraints related to the international monetary and financial architecture in locking countries into nature-degrading growth models [and the development of] the concept of a “nature Minsky moment” (page 24).

It is clear that these proposals could not have been the result of a standard initial « framing »; they are not the result of a cost-benefit analysis, but are expressed in terms of limitations on activities, of profound interactions between Nature and the economy that cannot be captured by reasoning in terms of negative externalities.

2. Further progress to be made

The IMF note marks substantial progress, but we believe it is crucial to go even further.

A. Robustness versus optimisation

Neoclassical economists are accustomed to thinking in terms of optimisation (of an intertemporal utility function, a cost-benefit trade-off or a cost-efficiency trade-off) on the grounds that the very purpose of economics is to optimise the use of scarce resources[48].

Once we recognise (paragraph 1.A above) that the economy cannot correctly represent the functioning of ecosystems, even though they are decisive in the production and services they provide, it is illusory to seek an economic optimum. What is and what will be the optimum for agriculture in southern Spain once this region is transformed into a desert? What will it be in regions where the « wet temperature » will be so high that it will be lethal for humans?

We agree with Olivier Hamant[49] who says that humanity’s quest for performance has produced the socio-economic crisis we are experiencing. We are going to live in a world that is increasingly fluctuating and uncertain. This is what life has been doing since it first appeared. How has it done so over such a long period of time? Not by looking for optimisations, but for robustness, which enables a stable system to be maintained despite fluctuations. For example, photosynthesis, which has existed for 3.8 billion years, has a « very low » energy yield of 0.3 to 0.8%. This low level of efficiency enables plants to manage biological and luminosity fluctuations, making them very robust.

In macroeconomic terms, this means that we should not be looking for optimisation, but for the capacity of our socio-economic systems to withstand future fluctuations.

This means that the « new economy » must focus on the safety margins in relation to planetary limits and look for indicators that define not a theoretical optimum but an acceptable and truly sustainable state. This doesn’t dilute, on the contrary, economic players’ duty to be as sober as possible and to reduce pressure on nature as much as possible, which presupposes to go beyond mere resilience through innovations in use and processes, and requires setting up dedicated incentives.

For this, we don’t need precise data (with 2 decimal places precision), but orders of magnitude. This primarily concerns the biophysical data that defines whether our ecosystems maintain their capacity to sustain human life and the socio-economic data that defines an acceptable social state – in terms of health, access to basic goods and services whether private or public, social inequalities (monetary and non-monetary, etc.).

B. Abandon GDP as an indicator of social well-being and its decline as a measure of economic cost.

Despite being under constant criticism over the last few decades and the important work carried out at the UN (with the SDGs) and in the wake of the Stiglitz-Sen-Fitoussi report[50], GDP[51] continues to be the most important economic indicator. It is used, for example, to show that Europe is falling behind the United States. As this article in Le Monde puts it: « In 2008, the eurozone and the United States had equivalent gross domestic product (GDP) at current prices of $14,200 billion and $14,800 billion respectively (€13,082 billion and €13,635 billion). Fifteen years on, the Europeans’ GDP is just over $15,000 billion, while that of the United States has soared to $26,900 billion« . However, analysis of other indicators such as life expectancy, drug use, obesity and diet, investment in infrastructure, health spending per capita paints a far less glorious picture of the United States.[52]

Macroeconomic models that aim to compare the « economic cost » of climate action with that of inaction do so by comparing the loss of GDP generated in various scenarios. In this approach, the economic cost is therefore the loss of GDP. This is an extremely narrow understanding of the concept of cost, and it makes us lose sight of what is most important, as we explain in the fact sheet Qu’est-ce qu’un coût ? (What is a cost?) on the platform The Other Economy.[53]

It is time to abandon GDP as an indicator for this purpose: GDP is not relevant as a guide for these broad comparisons. More generally, cost-benefit analyses are only legitimate at the margin of a given economic situation, for example to compare two road or rail development options. But using them to compare two overall macroeconomic situations over long time horizons is illusory, if not inappropriate.

The evaluation of well-being and its evolution must be based on a set of socio-ecological indicators, such as health[54]. This is what the UN has tried to do by promoting the Sustainable Development Goals, albeit with two symmetrical flaws: an excess of indicators[55] and, conversely, an attempt to rank countries by adopting an aggregate score representing all the SDGs[56]. We need a synthetic dashboard, such as what was proposed by the SAS law in France[57].

This in no way detracts from the value of GDP for other purposes, such as calculating tax revenues or measuring market activity. It should also be well noted that acknowledging the limits of GDP doesn’t negate the fact that increases in income are correlated with a feeling of satisfaction – and conversely that poverty is never a positive experience. But for this particular end, Net National Income is preferable to GDP and it needs to be corrected through measures of inequalities in income and wealth[58], and by incorporating the redistributive effects of access to public services[59] and non-monetarized activities[60]. The INSEE has done a great deal of work in this direction, with the notion of augmented accounts. Here is the introductory word on its blog: “Today, the INSEE publishes the first augmented national accounts. This innovation aims to capture economic activity, its consequences for climate disruption, and the distribution of household income all in one place.

The key point is to avoid above all reducing the assessment of a country’s situation to its GDP, or to assess the costs of action or inaction in relation to Nature in terms of GDP. We must reaffirm that we will not be able to generate GDP on a planet that is +5°C or lifeless.

C. Rejection of the dogma of general equilibrium and market efficiency

Although implicit in the text, the dogma of general equilibrium which underlies all neoclassical general equilibrium models[61] and DSGE is not explicitly rejected. Yet this dogma is not only contrary to the facts[62] but also dangerous, since it leads its supporters to believe that the economy spontaneously returns to equilibrium after a shock.

This is obviously not true as the great financial crises of 1929 and 2008 has demonstrated but above all, because of this belief, we don’t pay enough attention to the imbalances that are evident. On the contrary, we need to know quite clearly the margins within which our socio-economic system can operate (in terms of trade deficits, private and public debt, tolerance of social inequalities, destruction of nature, pollution, etc.) in order to deduce when public authorities need to intervene to allow the system to remain within these margins.

In this conception of market efficiency, some of the « failures » of the markets are recognised, as are the problems that result from them. But the ‘solution’ proposed to correct these failures is to put in place mechanisms, such as a carbon tax for climate change, which would allow the markets to solve the problems posed. Public authorities, ill-informed or under-informed, could not solve them any better. This dogmatic vision must be opposed. Even if markets are useful, they cannot achieve socially or environmentally desirable objectives without strong regulation and supervision by public authorities[63].

D. Instead of forecasts, using scenarios broadly outlining a possible future

The economic models we have just been talking about put a spotlight on quantification within a conceptual framework that has become obsolete.

We need attentions to focus on a whole new conceptual framework along the lines outlined in the preceding pages. The most effective method (and it is the one used by the NGFS) is to use scenarios to make us see and, if possible, feel what the possible futures hold.

But these scenarios should not be used to assess the costs associated with a climate drift or losses of nature. They should be used to check that the planetary limits are respected and under what conditions.

E. The use of biophysical modelling and ‘toy models’ for the economy

As we have just seen, the claim that models can reproduce economic data and project it into a world that is increasingly destabilised in ecological and social terms is vain. Nevertheless, it is useful to have simulations that are limited to a given question and a given time horizon. To this end, priority should be given to biophysical simulations[64] that allow us to explore the « distance to the limits » of the economy in various scenarios.

In addition, it is possible to use targeted models which are not intended to represent the entirety of an overly complex reality, but rather one of its aspects. They can be conceptual (known as « toy models ») or calibrated with empirical data, as are energy models, for example.

F. Linking ecological and social issues

Macroeconomic models are generally poor at representing social inequalities and poverty. They often use a “representative agent” supposed to represent an average individual, which is very simplistic and theoretically dangerous: the question of social inequalities and the societal impacts of both the transition and the physical risks of climate change and of the destruction of biodiversity are crucial. The IMF publication we comment on here also tells little about these issues. It reiterates (page 26) the view expressed by Dasgupta:

“Institutions and social capital play a critical role in determining individual and collective preferences, and therefore the economics of nature.

Institutions can be defined as “the humanly devised constraints that structure political, economic and social interaction,” consisting of “both informal constraints (sanctions, taboos, customs, traditions, and codes of conduct), and formal rules (constitutions, laws, property rights)” (North 1991). They are understood to “support values and produce and protect interests” (Vatn 2005, p. 83). Economic policy decisions are shaped by institutions. 

Social capital. Following Helliwell and Putnam (2004), social capital can be defined as the combination of mutual trust, confidence in governments and markets, and more broadly “the institutional arrangements that enable people to engage with one another for mutual benefit.” Trust, cooperation, and social capital form the foundation on which institutions rest. Social capital is therefore central to the economics of biodiversity (Dasgupta 2021, p. 165).”But these words are somewhat ethereal compared to the political and social violence that can be seen in certain countries, and which will be increased by ecological disorders.

It would no doubt be useful to explore the “Doughnut” approach initiated by Kate Raworth[65] and continued by the work of the Doughnut Economic Action Lab and Andrew Fanning, who are, to our knowledge, the most advanced on the need to take into account both planetary limits and social boundaries[66].

Conclusion

We have just highlighted and put into perspective a note from the IMF which we feel makes a significant step towards ensuring that the macroeconomics we need to steer our economies over the medium and long term take serious account of Nature and planetary limits. We have suggested a few ways forward.

The macroeconomic models and concepts discussed here are important because they shape, and are shaped by our leaders’ mental representations. Changing models is necessary, but obviously not sufficient to change decisions or even leaders’ inclinations. In particular, we have not touched upon strategic, institutional, democratic or cultural issues.

The work is far from finished, and it will require courage and perseverance in the face of the force of habit and acquired positions. But it is absolutely essential in the face of the perils we all face.

Alain Grandjean

This note has benefited from the constructive comments of Jean-Marc Béguin, Didier Blanchet, David Cayla, Louis Delannoy, François Meunier, Pierre Viard and Jean-Marc Vittori. I would like to thank them warmly for their contributions, and of course the final content does not commit them in any way.


Notes

[1] See the article Trouble with Macroeconomics, Paul Romer, 2016.

[2] See Steve Keen’s book Debunking Economics, Zed Books editions, 2011 and The New Economics: A Manifesto, Polity, 2021.

[3] See Alain Grandjean, Les modèles IAMs et leurs limites, Chair Energy and Prosperity, 2024 and Alain Grandjean and Gaël Giraud, Comparaison des modèles météorologiques, climatiques et économiques, 2017.

[4] The assessment of trade policies and the effects of free trade agreements is often based on macroeconomic models, some of which are computable general equilibrium models. The best-known example is the Global Trade Analysis Project model.

[5] See Fondement analytique et limites des règles budgétaires européennes on the platform The Other Economy.

[6] See Climate macroeconomic modelling handbook, NGFS, 2024

[7] See Alain Grandjean, Les modèles IAMs et leurs limites, Chair Energy and Prosperity, 2024

[8] See World Bank Group Macroeconomic Models for Climate Policy Analysis, 2022.

[9] See What You Need to Know About How CCDRs Estimate Climate Finance Needs, World Bank (13/03/23)

[10] One example of the dynamism of modeling in this field is Agent Based Models, which are increasingly used in this field. See Juana Castro, Stefan Drews, Filippos Exadaktylos, Joël Foramitti, Franziska Klein, Théo Konc, Ivan Savin, Jeroen van den Bergh, A review of agent‐based modeling of climate‐energy policy, Wiley Interdisciplinary Reviews: Climate Change, 2020. And Francesco Lamperti’s work, see this article by Francesco Lamperti et al. Faraway, so Close: Coupled Climate and Economic Dynamics in an Agent Based Model, Ecological Economics, 2018.

[11] To find out more, read the article La croissance du PIB n’est pas expliquée par les modèles macroéconomiques les plus utilisés on the platform The Other Economy.

[12] Integrated Assessment Models (IAMs) aim to help understand the interactions between human societies, economic development and climate over the long term. The assessment is said to be integrated because these models aim to describe both the economic system and natural systems by coupling modules representing the economy, the energy system and the climate (and sometimes other natural systems).

[13] These include the GEMMES model created by Gaël Giraud and now being developed by the team of economists at the AFD led by Antoine Godin. There is also the work of Yannis Dafermos (who co-developed the SFC DEFINE model) and Tim Jackson.

[14] Without going into an institutional analysis, which is beyond the scope of this note. See Pierre Alayrac – Les économistes, une noblesse d’Europe? Eu !radio, Nov. 2024

[15] It is based on a number of studies, including Sir Partha Dasgupta’s report The Economics of Biodiversity: The Dasgupta Review (2021), but the IMF report goes further than this, and sometimes even breaks with it, as we shall see here.

[16] See the book by Philippe Bertrand and Louis Legendre Earth, Our living Planet – The Earth System and its Co-evolution With Organisms, Springer, 2021. See also Les Attracteurs de Gaia, Editions Publibook, 2008, Philippe Bertrand.

[17] Be they chemical reactions, geological forces, the planet’s internal energy due in part to radioactivity, its magnetism, volcanism, plate tectonics, or the attraction of the sun and the planets of the solar system (from which results the precession of the equinoxes – limited by the presence of the moon – and the major climatic cycles), etc.

[18] Oxygen, the dominant gas in the air, is now indispensable and inseparable from life. However, it was produced by living organisms – who invented photosynthesis, which produces oxygen from carbon dioxide and water – in an environment for which it represented a violent toxic agent: the first living organisms were anaerobic and not equipped to resist its oxidising power. Oxygen production is a fact of life. In 2 billion years, the accumulation of stocks was sufficient to change the oxygen content of the atmosphere from 1% to 21%, the current level. The major cycles (carbon, phosphorus, nitrogen, etc. see the book Les attracteurs de Gaia) are all linked to interactions between living and non-living things.

[19] It’s not for nothing that Pope Francis speaks of our common home (see his encyclical Laudato Si).

[20] To take oxygen as an example, its proportion (21%) in air has been very stable for 10 to 15 million years (see Glasspool, I. J., & Scott, A. C. (2010). Phanerozoic concentrations of atmospheric oxygen reconstructed from sedimentary charcoal, Nature Geoscience). It is now proven that the current biosphere in turn ensures the chemical stability of our atmosphere. But its composition is changing as a result of our propensity to burn fossil fuels on a massive scale. And we also know that an increase of 2 to 3% in the oxygen content of the atmosphere would be enough, by multiplying the number of fires, to trigger sufficient instability to threaten our conditions of survival.

[21] Accounting entries are always balanced; money creation, which is a bank liability, always has a counterpart, such as a receivable. But the terms “created ex nihilo” refer to the fact that money is not always the result of a prior deposit. This being said, the monetary question is a complex one which deserves more than this succinct formulation. See the module La monnaie” on the platform The Other Economy.

[22] This assumption is implicit in Robert Solow’s reasoning and his well-known criticisms of the Meadows report. To find out more, see the articles « La poursuite infinie de la croissance économique serait possible » and « Il suffirait de remplacer les ressources naturelles par du capital artificiel (des machines) » on the platform The Other Economy.

[23] Page 328.

[24] See Doit-on donner un prix à la nature ?, on the platform The Other Economy.

[25] See the work relating to the CARE framework and that of the Ecological Accounting Chair, and the module L’entreprise et sa comptabilité on the platform The Other Economy.

[26] There has been a great deal of discussion about changes to accounting standards and their application, but these are all technical and wide-ranging issues (accounting rules are mandatory for hundreds of millions of companies worldwide).

[27] See L’épargne nette ajustée des effets liés au climat est négative en France. Insee Analyses No. 98. November 2024. And Croissance, soutenabilité climatique, redistribution : qu’apprend-on des « comptes augmentés » ?, Insee blog, Nov. 2024

[28] The report L’approche économique de la biodiversité et des services liés aux éco-systèmes, commissioned by the French government in 2009, estimated that a hectare of natural forest could be worth €35,000 per hectare (by discounting the annual value of €970 per hectare), with a range of a ratio of 4 (between approximately €15,000 and €60,000). Building land in France is worth €100,000 per hectare on average.

[29] See Figure 3, p. 7, and Annex Figures 1.1 to 1.3, pp. 32-34.

[30] For around 800,000 years, the concentration of CO2 in the atmosphere had stabilised at between 180 and 300 ppm. It now exceeds 400 ppm.

[31] Our climate, for example, has a number of tipping points which, once crossed, will trigger chain reactions leading to a runaway increase in global warming: ocean currents come to a halt, Greenland melts, continental glaciers melt, and so on. Similarly, biodiversity balances are complex, and a relatively strong increase in pressure can lead to a sudden collapse in the population of a species.

[32]Let us recall this well-known sentence: « M. Pareto believes that the goal of science is to get closer and closer to reality by successive approximations. But, I believe that the goal of science is to develop a certain ideal model and then to relate reality to that ideal, and that is why I have specified such an ideal” ». Auguste et Léon Walras, Œuvres économiques complètes, Vol. XIII. p. 567 (Walras L. Œuvres diverses) – Pierre Dockès, Claude Mouchot and Jean-Pierre Potier, Economica.

[33] In his book Homo juridicus, Essai sur la fonction anthropologique du Droit , Le Seuil, 2009. Here is an extract from the publisher’s summary: « The aspiration to justice is, for better or for worse, a fundamental anthropological fact, because in order to live together, human beings need to agree on the same meaning of life, whereas there is none that can be discovered scientifically. Legal dogma is the Western way of binding people together in this way. Law is the text in which our founding beliefs are written: a belief in a meaning of the human being, in the power of laws or in the strength of a word given ».

In this respect, Alain Supiot follows Pierre Legendre, who believes that in all societies, human reason has dogmatic foundations. See V. P. Legendre, De la Société comme texte, Linéaments d’une anthropologie dogmatique, Fayard, 2001.

[34] See Parer aux risques de demain: Le principe de précaution, Dominique Bourg and Jean-Louis Schlegel, Seuil, 2009.

[35] For an overview of the literature on aggregate production functions, see Felipe and Fisher, Aggregation in Production Functions: What Applied Economists should Know, Metroeconomica, 2003.

[36] A Practical Guide to Macroeconomics, Jeremy B. Rudd, Cambridge University Press, 2024.

[37] Recently, the figure has been slightly lower for developed countries, but higher for emerging countries, where TFP can be as high as 2 to 4%.

[38] See Damage functions, NGFS scenarios, and the economic commitment of climate change An explanatory note, NGFS 2024, page 29; and Climate macroeconomic modelling handbook, NGFS, 2024.

[39] This loss of 30% is the assessment adopted at this stage by the NGFS of the damage caused by climate change and evaluated using a damage function.

[40] Authors such as Giglio et al (Giglio, Stefano, Theresa. Kuchler, Johannes Ströbel, and Olivier Wang. 2024. The Economics of Biodiversity Loss CEPR Discussion Paper DP19277, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA.) model the production of aggregate ecosystem services using an aggregate production function.

[41] Mathilde Salin, Katie Kedward, and Nepomuk Dunz. « Assessing Integrated Assessment Models for Building Global Nature-Economy Scenarios. » Banque de France. Working Paper No. 959. 2024.

[42] Demographics of course play a decisive role in the evolution of GDP, and this is a major issue both for the development of the least developed countries and, in the long term, for the relationship between mankind and Nature. But here, we are only dealing with the question of per capita GDP growth.

[43] The productivity of a factor of production (capital or labour, for example) is the ratio between the output produced and the factor used to produce it. In practice, labour productivity is easier to define: it is the ratio of hours worked to GDP.

[44] To simplify matters, there is a powerful school of thought, known as endogenous growth, which recognises that growth does not come from « nowhere », but can be explained by education, research and innovation. But in practice, because of the complexity of the subject and the difficulty of accurately measuring some of its parameters (such as the rate of innovation or the return on investment in human capital), the macro models used by institutions are based on production functions and TFP…

[45] Dépenses improductives, dette publique et création monétaire, Chroniques de l’Anthropocène, 2024

[46] Dasgupta, Partha and Levin, Simon, Economic Factors Underlying Biodiversity Loss (February 1, 2023). Philosophical Transactions of the Royal Society B

[47] Dempsey, Jessica, Audrey Irvine-Broque, Tova Gaster, Lorah Steichen, Patrick Bigger, Azul Carolina Duque, Amelia Linett, and others. 2024. « Exporting Extinction: How the International Financial System Constrains Biodiverse Futures. » The Centre for Climate Justice, Climate and Community Project, and Third World Network, University of British Columbia.

[48] It should be noted here that, paradoxically, the accounting tools used in practice and mainstream economic models do not at all lead to an optimized use of natural resources, for the aforementioned reason that resources are not accounted for.

[49] See the TEDx La révolution de la robustesse and his book « La troisième voie du vivant » Odile Jacob, 2022.

[50] See the report by the Stiglitz-Sen-Fitoussi Commission on the Measurement of Economic Performance and Social Progress, 2009. Following the work of this Commission, the Mesures de l’économie chair, co-directed by Catherine Doz and Marc Feurbaey was created at the Paris School of Economics. See also the book by  Marc Feurbaey and Didier Blanchet, Beyond GDP, Measuring Welfare and Assessing Sustainability. Oxford University Press, 2013.

[51] To find out more about GDP, how this indicator is constructed, what it represents and its limits, you can consult the module on PIB, croissance et limites planétaires on the platform The Other Economy.

[52]  37% of U.S. adults can’t afford an unexpected $400 expense on their own (they would have to borrow/sell something or just can’t afford it at all). See Economic Well-Being of U.S. Households in 2023, Fed. In addition, 100 million Americans are mired in medical debt. See 100 Million People in America Are Saddled With Health Care Debt, KFF Health News, 2022. For a wider perspective on this, see also Etats-Unis : Pourquoi Trump ? 10 chiffres clefs sur une société cassée, Le Grand Continent (02/11/24) and Dette, inégalités, démocratie malade : des failles made in America, Alternatives Economiques (27/09/24)

[53] Readers interested in this topic will also find the following article on mitigation costs useful. Köberle, A.C., Vandyck, T., Guivarch, C. et al. The cost of mitigation revisited. Nat. Clim. Chang. 11, 1035-1045 (2021).

[54] On this subject, see Eloi Laurent’s book Et si la santé guidait le monde? L’espérance de vie vaut mieux que la croissance. Les Liens qui libèrent. 2021.

[55] There are 17 SDGs, broken down into 169 targets for the 2015-2030 period, and monitored at international level by 231 indicators (France tracks 98). See Indicateurs pour le suivi national des objectifs de développement durable, Insee (04/07/24).

[56] See the ranking of the world’s countries according to their overall score on the SDGs on the Sustainable report 2024 website.

[57] Passed in 2015 in France, the SAS law requires the government to submit an annual report to Parliament presenting the evolution of new wealth indicators, as well as an assessment of the impact of the main reforms undertaken with regard to these indicators. Following this vote, work began on identifying 10 wealth indicators. In practice, the reports made mandatory by this law have received no media coverage, and are neither known nor used by politicians.

[58] See the article Les inégalités monétaires se sont fortement accrues dans les dernières décennies au sein des pays développés and the Infosheet Comment mesurer les inégalités monétaires? on the platform The Other Economy.

[59] See the article La redistribution de richesses réduit les inégalités, on the platform The Other Economy.

[60] GDP does not include domestic work or voluntary work. Determining whether GDP should be corrected to include this or whether we should structurally give value to what has no price is a fundamental debate.

[61] Neo-Keynesian models introduce market rigidities in the short term but converge towards a general equilibrium in the long term.

[62] There are many reasons for this, which we can’t go into here (see on the platform The Other Economy the article Les marchés financiers seraient efficients), but one of the most important is not always mentioned. General competitive equilibrium theorems are based on the assumption of diminishing returns, whereas in most economic sectors, returns are increasing. In this case, competition leads to the formation of oligopolies or monopolies (economists use the term monopolistic competition, see Michel Volle’s book Iconomie) and does not lead to an optimum.

[63] See the report “Finance to citizens”, Secours Catholique, 2018

[64] This is what Carbone4’s IF initiative is doing.

[65] Doughnut Economics: Seven Ways to Think Like a 21st Century Economist (2017)

[66] See the website A Good Life For All Within Planetary Boundaries, where each country is analysed using the doughnut criteria, and the article Fanning, A.L., O’Neill, D.W., Hickel, J., and Roux, N. (2021). The social shortfall and ecological overshoot of nations. Nature Sustainability.

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31.01.2025 à 18:26

Dette publique : faut-il avoir peur des marchés financiers ?

Alain Grandjean

L’objectif de réduction du déficit public français est justifié par les règles européennes[1] en la matière ainsi que par la peur des marchés financiers. Cette dernière est double. D’une part,  c’est une peur que les marchés financiers exigent des taux plus élevés, augmentant ainsi la charge d’intérêts de la dette…

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Texte intégral (4910 mots)

L’objectif de réduction du déficit public français est justifié par les règles européennes[1] en la matière ainsi que par la peur des marchés financiers. Cette dernière est double. D’une part,  c’est une peur que les marchés financiers exigent des taux plus élevés, augmentant ainsi la charge d’intérêts de la dette (près de 53 Mds€ en 2023, soit plus de 1,9% du PIB[2]) qui pèse de plus en plus sur le déficit. D’autre part, c’est la peur d’une hausse incontrôlée de la dette publique (de 3101 Mds€ soit 110 % du PIB fin 2023[3]) qui conduit les autorités à adopter une trajectoire budgétaire convergeant vers un excédent primaire[4] nécessaire pour éviter l’effet boule de neige. Cette note vise à montrer que les marchés financiers n’ont pas tous les pouvoirs et que les autorités européennes ont de sérieuses responsabilités dans cette situation et une capacité à agir.

1. La dette publique : épée de Damoclès ou faux problème ?

Avant d’aller plus loin, il est utile de faire état de quatre constats.

La question de la dette publique n’est pas une lubie

Précisons au préalable que l’objet de cet article n’est absolument pas de laisser penser que la dette publique serait un sujet à prendre à la légère. Il y a eu au cours de l’histoire de nombreuses crises de la dette publique avec des conséquences économiques et sociales désastreuses sur les pays concernés. Il est cependant important de comprendre quels sont les contextes économiques et politique à l’origine de ces crises. En effet, sur ce sujet, tous les pays ne sont pas égaux : le fait de disposer d’une monnaie convertible et utilisée par d’autres nations dans le commerce international limite le risque de crise de ce type[5].

Prenons le cas du Liban[6] dont la dette publique est insoutenable à 280 % du PIB et qui a fait défaut en 2020. « Pire crise économique au monde depuis le milieu du XIXe siècle. Voilà ce que vit le Liban depuis 2019, qui a subi une contraction surréaliste de plus de 60% de son Produit intérieur brut en 4 ans, dont la monnaie a perdu 98% de la valeur, qui a souffert de taux d’inflation ayant parfois avoisiné 200%, dont la population au seuil de la pauvreté atteint désormais les 80%. »[7] Les déficits commerciaux incontrôlés qui se terminent en crise de change (en épuisant les réserves de change de la banque centrale) rendent inopérante toute action de la banque centrale, qui comme nous allons le voir peut jouer un rôle important sur le niveau des taux d’intérêt des obligations publiques.

Par ailleurs, notre propos n’est pas non plus d’affirmer qu’il est possible de faire n’importe quoi en matière budgétaire . La première ministre britannique Liz Truss a dû démissionner à la suite de l’annonce d’un « mini-budget » fin 2022, dans lequel des baisses d’impôts très significatives pour les plus aisés n’étaient pas financées. La livre a chuté, les taux d’intérêt sur les bons du Trésor ont augmenté ainsi que les taux sur le marché hypothécaire, menaçant les ménages et exacerbant la crise du logement.

Il n’existe pas de plafond arithmétique de soutenabilité de la dette publique.

Il n’est pas possible de déterminer un ratio de dette publique sur PIB au-delà duquel la dette publique serait insoutenable. Celle du Japon s’élève à plus de 240% du PIB[8] mais elle est détenue majoritairement par les résidents ; le Japon n’est pas en faillite. Le « juge de paix » n’est pas la valeur du taux dette/ PIB mais la capacité des États à se financer. L’Italie par exemple dont la dette est de 130% du PIB place très facilement sa dette[9]. Elle a été sursouscrite 15 fois début janvier 2025.

La baisse du déficit public peut accroître le ratio dette /PIB

La croissance de la dette publique de l’année n à l’année n+1 est environ[10] égale au déficit de l’année n. Pour autant une baisse de ce déficit peut conduire les années suivantes à une hausse du ratio dette/PIB, en réduisant le PIB et les recettes fiscales[11]. C’est qui a été observé dans le cas de la Grèce par exemple : sa dette publique ne s’est jamais significativement réduite en proportion du PIB « malgré » plusieurs plans d’austérité[12].

Les banques centrales jouent un rôle clef

Enfin, les banques centrales jouent un rôle clef. En 2023, les banques centrales d’un panel de 21 pays de l’OCDE détenaient en moyenne 33% de la dette publique de leur pays. Ce niveau atteint près  de 50% pour la Bank of Japon.

Source : Global Debt Report 2024, OCDE, Figure 1.21 A (p. 43)

Conclusion : la dette publique est un sujet à prendre au sérieux mais pas au point de lui subordonner toutes les décisions budgétaires et macroéconomiques, et où la BCE a un rôle clef à jouer.

Passons maintenant à la question centrale. Si la dette publique peut alarmer les marchés financiers c’est à cause de l’effet boule de neige qui se matérialise quand le taux d’intérêt de la dette est supérieur au taux de croissance de l’économie. Dans le cas inverse la dette peut augmenter sans difficulté pour l’État concerné. Il est donc essentiel de comprendre comment se fixe ce taux d’intérêt, sachant qu’il s’agit pour l’essentiel du taux sur des émissions obligataires de 10 ans et plus ; on va se limiter dans le raisonnement à cette maturité.

2. La fixation des taux d’intérêt court et long terme

Constatons tout d’abord que la dette publique française coûte un peu plus cher en ce moment (3,3% pour les obligations à 10 ans fin janvier 2025, alors que leur taux était négatif en 2020 en moyenne annuelle et n’a cessé de croitre depuis[13]). Cette hausse se décompose en deux termes :

  • la hausse du « taux étalon » (celui des obligations allemandes)
  • la hausse de l’écart (le spread) entre la dette allemande et la dette française (0,8% fin janvier 2025).

Le taux étalon a augmenté au cours des derniers mois.

Première raison, prévue et annoncée antérieurement : pour faire face à l’inflation, la BCE a progressivement mis fin à sa politique d’achat de titres sur les marchés financiers (le quantitative easing) à partir de 2022. Elle a arrêté d’acheter de nouvelles obligations publiques en juillet 2022[14]. Son stock a alors cessé d’augmenter. A partir de mars 2023, elle a cessé de réinvestir la totalité des montants venus à échéance pour finalement arrêter totalement les rachats de dettes publiques le 1er janvier 2025[15]. Depuis son stock diminue. L’impact de cette mesure est très significatif. Une étude de la Banque centrale allemande (la Buba) montre qu’un allongement de la période de réinvestissement de 6 mois équivaut à 400 Mds de Quantitative Easing en termes de stimulus à l’économie[16].

La BCE est ainsi revenue à une politique conventionnelle de refinancement des banques commerciales[17]. Désormais, seules les banques et autres investisseurs  achètent des obligations publiques et compensent ainsi la réduction du stock de la BCE en gonflant leur bilan. Mais cela s’accompagne d’une hausse des taux, ces acteurs étant plus gourmands que la BCE et n’ayant plus l’assurance de pouvoir lui revendre les obligations en dernier ressort.

Cela démontre le rôle majeur de la BCE dans la détermination des taux d’intérêt long terme. Face à une forte émission obligataire[18] les « marchés financiers » exercent une pression qui peut donc être plus ou moins contrebalancée par la BCE (en fonction de sa propre décision ).

Deuxième raison, comme les marchés des capitaux sont interconnectés, le taux étalon de la zone euro dépend aussi des taux sur le dollar (en janvier 2025, le taux du bon du Trésor américain à 10 ans est de 4,6% en hausse de presque 1 point par rapport à septembre 2024).

Mais, face à cela, la BCE a également une marge de manœuvre, du fait de la forte baisse de l’inflation à 2,4 % sur l’année 2024. Elle peut continuer à baisser son taux à court terme (2,9% en février 2025[19]). Cette baisse des taux à court terme influence les marchés et le « taux étalon » tant que la BCE fait comprendre qu’elle va poursuivre (ou au moins ne pas renverser) la tendance. Certes, la BCE ne peut mener une politique divergente de celle de la Fed que dans une certaine mesure. Mais l’inflation américaine s’est elle aussi calmée. En outre, le Conseil européen (qui a la compétence dans le domaine de la politique de change) pourrait de concert avec la BCE[20] également envisager de voir baisser le taux de change euro/dollar (aujourd’hui d’environ 1 pour 1).

Conclusion sur ce premier point : l’action de la BCE a une influence forte sur les taux longs ; les marchés financiers ne sont pas tout-puissants face à elle.

Le spread Allemagne-France

Comme indiqué, l’écart de taux entre les obligations allemandes et françaises est de 0,8%. Au début des années 2010, lors de la crise de l’Euro les écarts de taux entre les pays européens ont atteint des sommets : le taux à 10 ans espagnol et le « 10 ans italien » étaient supérieurs, respectivement, de 6, 4% et 5,4 % au « 10 ans allemand ». Cette crise a été stoppée par une phrase de Mario Draghi (la célèbre « whatever it takes) suivie de la mise en place d’un dispositif l’OMT matérialisant la possibilité pour la BCE de se porter prêteur en dernier ressort.

A l’inverse, c’est la BCE qui a mis la Grèce à genoux, fin juin 2015, en réduisant le robinet des liquidités aux banques grecques. Elle l’a fait car les conditions d’activation de la ligne de liquidité d’urgence n’étaient pas remplies. C’était donc une décision prise au sein de l’Eurogroupe.

La BCE dispose depuis 2022, d’un Instrument de protection de la transmission (IPT), qui permet des «achats sélectifs sur le marché secondaire de titres émis dans des territoires connaissant une détérioration des conditions de financement non justifiée par les fondamentaux propres à chaque pays, afin de contrer les risques pesant sur le mécanisme de transmission, dans la mesure nécessaire». Il est prévu que le déclenchement de l’IPT suppose que quatre critères soient satisfaits : 1) le respect du cadre budgétaire de l’Union, 2) l’absence de déséquilibres macroéconomiques graves, 3) une dette publique viable et 4) des politiques macroéconomiques saines et durables.

On voit donc que la BCE n’est pas démunie. Même si elle a décidé de mettre fin aux politiques de QE, elle a encadré la possibilité institutionnelle d’y avoir recours de nouveau. Les règles de l’activation de l’IPT sont faites pour des situations exceptionnelles où malgré le respect des règles budgétaires européennes, la situation de la dette publique d’un État-membre se détériore. Dans ce cas la BCE a la main. Elle ne l’a plus pour un État qui ne respecterait pas les trajectoires budgétaires, c’est-à-dire, précisément, qui serait dans la situation où la procédure de déficit excessif a été menée au bout et où le Conseil déclare que l’État-Membre est en contravention.

Dans ce cas, le Conseil reprend la main et plusieurs options sont imaginables. La force de frappe de la BCE est telle[21] que des solutions seront trouvées in fine pour éviter une crise majeure de la zone Euro. Mais on peut penser d’une part que la BCE (avec l’instruction ou l’accord de l’Eurogroupe) attendra que la pression des marchés financiers fassent leur « boulot » de « discipline » des populations : quelques semaines d’inaction pour faire payer le prix au gouvernement en place et bien faire passer le message aux électeurs ! D’autre part, qu’elle visera un niveau de spread « raisonnablement punitif ». Quoi qu’il en soit la BCE a la capacité de s’opposer au diktat des marchés financiers, en accord avec les dirigeants de l’UE.

Conclusion

Il n’est pas vrai que ce sont les « marchés financiers » qui obligent les États ; ils le font parce que les dirigeants de la zone Euro décident qu’il doit en être ainsi. Ce sont eux qui ont créé « l’ordre de la dette » selon l’expression admirable de Benjamin Lemoine[22] et inscrit dans les Traités européens la logique de la « discipline de marché ». Ce sont nos gouvernements élus qui, faute de réécrire les règles d’intervention des banques centrales, laissent les marchés faire pression aujourd’hui. Loin d’être un sujet purement technique, la question du financement de la dette publique est éminemment politique. Laisser croitre les taux d’intérêt pour « rappeler à l’ordre » des États jugés trop dépensiers est un choix politique aux conséquences sociales, économiques, écologiques et politiques bien réelles.

On comprend bien la nécessité de règles de coordination budgétaires au sein d’une zone qui partage la même monnaie mais où les budgets sont de la responsabilité des États-Membres. On a montré par ailleurs que les règles budgétaires européennes et leur application étaient inadaptées à la situation de récession actuelle et aux besoins d’investissement liés au changement climatique[23].

On vient de voir ici que le mandat de la BCE et ses marges de manœuvre sont articulés étroitement avec ces règles budgétaires. On ne peut donc que constater la cohérence du dispositif mis en place. Mais on a vu aussi que, face aux marchés financiers, les administrations publiques et les politiques ont la responsabilité finale.

Ne serait-il pas temps de revoir la logique même des modalités d’intervention de la BCE tout comme celle des règles budgétaires européennes. La saine gestion des finances publiques ne peut être fondée sur les dogmes du siècle passé. Si l’Union européenne veut conserver une place dans l’ordre géopolitique actuel particulièrement menaçant, elle doit se doter d’un cadre budgétaire et monétaire adapté tant qu’elle le peut encore : se doter des moyens d’investir dans son indépendance en énergie et ressources naturelles (via le développement de moyens sur son sol et la sobriété), dans l’adaptation aux changement majeurs déjà en cours (tempêtes, sécheresse, inondation), dans la reconversion de son agriculture et de son industrie tout en accompagnement les acteurs les plus exposés à ces changement ainsi que dans sa sécurité extérieur.

Alain Grandjean

Je remercie Ollivier Bodin, Stanislas Jourdan et Marion Cohen pour leurs contributions et commentaires sur cet article.


Notes

[1] Pour en savoir plus sur les règles budgétaires européennes consultez les fiches de la plateforme The Other Economy sur la Gouvernance économique européenne et Les fondements analytiques et limites des règles budgétaires européennes. Voir également les tribunes co-écrites avec Ollivier Bodin dans lesquelles nous avons à plusieurs reprises souligné à la fois l’absurdité de ces règles et le fait qu’elles pouvaient être interprétées de manière plus souple que ce qui est habituellement affirmé. L’excès de zèle budgétaire, erreur fatale de Michel Barnier, et Trajectoires budgétaires : prendre en compte les défis européens, Les Echos

[2] Source : Eurostat – BDD Déficit/surplus, dette et données associées du gouvernement, consultée le 31/01/25.

[3] Source : Eurostat – BDD Déficit/surplus, dette et données associées du gouvernement, consultée le 31/01/25. Il s’agit de la dette publique au sens du traité de Maastricht. En effet, d’une institution à l’autre le calcul de la dette publique peut aboutir à des montants différents selon qu’elle est consolidée ou non, et selon les éléments qui sont inclus dedans ou pas. Voir la fiche de The Other Economy

[4] Le solde primaire (qui peut être excédentaire ou déficitaire) est le solde budgétaire hors charges d’intérêt.

[5] Voir l’article Tous les pays ne sont pas égaux face à la dette publique sur la plateforme The Other Economy.

[6] Voir la note de la Direction Générale du Trésor Situation macroéconomique et financière du Liban, 2024

[7] Au Liban, une ultime chance à saisir, Tribune de Michel Santi financier suisse d’origine libanaise, publiée dans La Tribune (13/01/25)

[8] Selon le Panorama des administrations publiques 2023 de l’OCDE la dette publique brute du Japon représentait 245% du PIB en 2021. A noter qu’il s’agit de la dette publique brute telle que calculée par l’OCDE. Il existe d’autres modes de calcul de la dette (et en particulier la dette publique au sens de Maastricht calculée par les services de la Commission européenne pour les pays de l’UE). En savoir plus, dans la fiche Mesurer la dette publique de la plateforme The Other Economy.

[9] Comment l’Italie continue de jouir de la confiance des marchés malgré une dette à 135 % de PIB, Les Echos (17/12/24)

[10] Le déficit public est un besoin de trésorerie et non un déficit comptable dans le calcul duquel on aurait amorti des investissements (comme c’est le cas pour les entreprises privées). Il existe cependant une différence -minime- entre le déficit et l’augmentation de la dette (pour certaines acquisitions ou cessions d’actifs ou pour des raisons techniques, (voir le site Fipeco)

[11] Ces conséquences sont liées à l’effet multiplicateur (voir la fiche sur Le multiplicateur des dépenses publiques sur la plateforme The Other Economy)

[12] La dette publique grecque au sens de Maastricht est passée de 147% du PIB en 2010 au moment du premier « plan de sauvetage » européen à 163% du PIB en 2023. Sur la période, ce taux est monte jusqu’à 189% du PIB (sans prendre en compte les années 2020 et 2021 ou le taux à atteint 209 et 197% du PIB du fait de la récession mondiale liée à la pandémie). Source : Eurostat.

[13] Source : Eurostat – Taux des obligations publiques à 10 ans (critère de convergence l’Union Économique et Monétaire) pour les pays de la zone euro. Taux journalier. Moyenne annuelle.

[14] Dans le cadre du programme d’achats d’actifs (APP) lancé début 2015.

[15] Pour en savoir plus sur l’évolution des rachats de dettes publiques consultez le site des deux principaux programmes de la BCE : l’Asset purchase programme lancé fin 2014 pour faire face à la crise de la zone euro (les rachats ont pris fin en juillet 2023) et le Pandemic emergency purchase programme lancé en mars 2020 pour faire face à la pandémie (les rachats ont pris fin le 1er janvier 2025).

[16] Gerke, Rafael and Kienzler, Daniel and Scheer, Alexander, On the Macroeconomic Effects of Reinvestments in Asset Purchase Programmes (2022). Deutsche Bundesbank Discussion Paper No. 47/2022

[17] Pour en savoir plus sur les politiques monétaires conventionnelles et non conventionnelles voir l’article La politique monétaire et ses limites, du module sur la monnaie de la plateforme The Other Economy ainsi que la fiche Comprendre le quantitative easing.

[18] Car toute la zone euro est concernée. En 2025, les onze principaux pays de la zone euro vont émettre autour de 465 milliards d’euros de dette nette (dont le tiers venant de la France). Dans le même temps, la BCE va laisser arriver à maturité, sans les remplacer, 407 milliards d’euros de dette. L’un dans l’autre, les investisseurs privés vont donc devoir acheter 872 milliards d’euros d’obligations.

[19] Source : Taux directeur de la BCE pour les Opérations principales de refinancement sur la page Les taux monétaires directeurs du site de la Banque de France.

[20] La BCE ne mène pas de politique de change stricto sensu, mais le taux de change est un des paramètres qu’elle prend en considération dans la poursuite de son objectif de contrôle de l’inflation.

[21] Du fait de sa capacité de création monétaire. Voir le module sur La monnaie de la plateforme The Other Economy.

[22] L’ordre de la dette: Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché. La découverte. 2017

[23] Voir notamment l’article Réformer le Pacte de Stabilité et de Croissance sur la plateforme The Other Economy ;  sur ce blog Idéologie, macroéconomie, investissements publics et règles budgétaires ; et le site de Greentervention .

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02.01.2025 à 14:38

Comment rentabiliser les investissements de la transition écologique ?

Marion Cohen, Alain Grandjean

Le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) vient de publier un « cadre d’analyse » sur le financement des investissements de la planification écologique pour passer d’un monde dominé par les énergies fossiles et la destruction de la nature vers un monde sobre et propre. Ces lourds investissements sont nécessaires pour refaire ou de transformer en […]

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Texte intégral (3156 mots)

Le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) vient de publier un « cadre d’analyse » sur le financement des investissements de la planification écologique pour passer d’un monde dominé par les énergies fossiles et la destruction de la nature vers un monde sobre et propre. Ces lourds investissements sont nécessaires pour refaire ou de transformer en profondeur nos infrastructures, bâtiments, usines et équipements et reconfigurer l’industrie ainsi que les modes de production agricoles. Pour la France, les montants à engager sont de mieux en mieux connus et tournent autour de 60 à 100 milliards par an ; et ceci sans prendre en compte les investissements d’adaptation au changement climatique « embarqué » irréversiblement, et ceux permettant de stopper la destruction du vivant. Le document publié par le SGPE contribue utilement au débat sur les financements en éclairant dans le détails la question de leur faisabilité.

1 Les résultats de l’étude du SGPE

L’étude du SGPE étudie une question fondamentale et à ce jour peu adressée : les investissements sont-ils rentables financièrement et sont-ils à la portée des acteurs qui doivent les engager ?

Le SGPE a étudié de près cette question pour les investissements visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre[1], classés en secteurs (bâtiment, transport, agriculture, industrie énergie et déchets) et articulés avec les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone[2]. Concernant les mntants en jeu, il se fonde sur l’estimation du rapport Pisani-Ferry/Mahfouz (2023) : une centaine de milliards d’euros bruts à réaliser d’ici 2030 ramenés à 66 Milliards en enlevant les investissements qui ne seraient plus à faire dans les énergies fossiles.

La grande valeur ajoutée du rapport du SGPE est d’analyser ces investissements sous le double prisme de la « viabilité économique » et de la « capacité » des acteurs à les réaliser .

L’analyse de rentabilité est « microéconomique ». Elle est mesurée par des indicateurs comme le TRI[3] de l’investissement ou l’écart de TCO[4] avec l’alternative carbonée. Elle n’intègre pas l’impact socio-économique de la réduction des émissions de gaz à effet de serre permise par les investissements.

Rappelons en effet que le changement climatique aura des conséquences économiques et sociales dramatiques à moyen terme[5], et en tout état de cause nettement plus couteuse pour la société que l’impact macroéconomique de l’adoption de mesures d’atténuation aujourd’hui.

La rentabilité financière ne mesure donc pas la rentabilité socioéconomique, mais c’est elle qui, à ce stade, est prise en compte par les agents économiques, publics ou privés. Rappelons aussi qu’il est illusoire de croire que nous pourrions (parce que les émissions territoriales de la France ne représente qu’1% des émissions mondiales[6]) ne rien faire et nous contenter de bénéficier des efforts des autres pays. Il n’y a pas de petits émetteurs et l’atteinte de l’objectif globale repose sur les efforts de chacun.

Quant à la capacité des acteurs à réaliser ces investissements elle est mesurée par exemple par le montant de financement nécessaire, les emplois nécessaires, les disponibilités physiques. C’est aussi un paramètre essentiel de l’analyse : un ménage pourrait ne pas faire une rénovation thermique rentable parce qu’il n’a pas la capacité à le financer ni même à emprunter pour la réaliser.

L’une des conclusions de l’analyse du SGPE c’est que, sur 180 Mt CO2 à abattre d’ici 2030, seules 100 Mt correspondent à des actions[7] rentables dont 44 Mt (soit un quart) portées par des acteurs ayant la capacité d’agir et 56 Mt par des acteurs n’ayant pas ou peu de capacité d’agir… Cela signifie clairement que les trois quarts des actions à mener nécessitent une intervention supplémentaire de la puissance publique… Cette conclusion n’est pas issue d’un a priori politique mais de calculs d’ingénieurs[8].

Cela confirme s’il en était besoin que, même avec les mesures déjà prises[9], la transition ne se fera ni en s’appuyant sur la bonne volonté des acteurs ni sur le libre jeu des marchés.

Rappelons que cette étude ne concerne pas les investissements relatifs à l’érosion de la biodiversité ou à l’adaptation, pour lesquels il est plus que probable que la part correspondante à des actions portés par des acteurs ayant la capacité d’agir sera encore plus faible.

L’ordre de grandeur concernant la rentabilité des projets de transition formulé par le SGPE est assez conforme aux discours de la grande majorité des économistes de l’environnement qui considèrent que, pour rentabiliser les projets de transition par rapport à leur alternative fossile, il faudrait un signal-prix carbone beaucoup plus élevé et sur une assiette plus large que les dispositifs actuels.

La taxe carbone en France ne concerne que les énergies fossiles et son niveau est à 45 euros la tonne de CO2. Sur le marché européen EU-ETS, les quotas ne concernent que les seules énergies fossiles et le prix de la tonne de CO2 est aujourd’hui d’environ 70 euros. Cependant, si le signal-prix était le seul outil mobilisé, le prix recommandé serait très élevé[10]. En France la commission officielle présidée par Alain Quinet a évalué en 2019 le prix du carbone à implémenter, en l’absence d’autres mesures à 250 euros à l’horizon 2030[11] ; ce chiffre est en cours de réévaluation par une nouvelle commission lancée en 2024.Ce niveau serait clairement inacceptable socialement. Par ailleurs, cet outil ne répond pas à la seconde limite identifiée par le SGCPE : celle de la capacité des acteurs à agir (qui concernent des actions permettant de réduire les émissions de CO2 de 124 Mt sur l’objectif de 180 d’ici 2030 ; sur ces 124 Mt , 56 correspondent à des actions rentables et 68 à des actions non rentables).

Cadre d’analyse pour les financements de la planification écologique – SGPE DOCUMENT PROVISOIRE (22/12/2024) – page 8

Cadre d’analyse pour les financements de la planification écologique – SGPE DOCUMENT PROVISOIRE (22/12/2024) – page 9

2. Quelles mesures de politique publique ? Et quelles conséquences pour les budgets publics ?

On vient de voir que les objectifs de la SNBC ne seront pas atteints « spontanément » avec les mesures prises et déployées à ce jour.

Que faire en plus ?

En théorie, la boite à outils est bien connue : taxes et assimilées[12], interdictions, normes et réglementations[13], aides publiques[14]. Pour le secteur privé, ces outils visent à augmenter le coût de l’alternative polluante, les revenus de l’alternative verte ou à « passer » le surcoût aux acteurs économiques en capacité de les absorber. Il faut ajouter à cette classification les investissements publics (dans les transports[15], l’urbanisme et les bâtiments principalement). Le SGPE a décliné cet arsenal précisément par secteurs.

In fine, il ressort de cette analyse qu’il serait nécessaire d’ajouter une série de mesures complémentaires au dispositif actuel. En voici quelques-unes à titre d’exemples :

  • une augmentation et une généralisation de la fiscalité carbone, l’introduction d’un malus sur le poids des véhicules ;
  • des interdictions accrues (par exemple des nouvelles chaudières gaz en application de la directive européenne) ;
  • des réglementations renforcées
  • des sanctions renforcées en cas de non-respect des réglementations.

Ce n’est donc en aucun cas le moment de relâcher l’effort et de croire que nous sommes tous assommés de contraintes administratives au nom d’une lubie environnementale. La rationalité la plus solide nous informe bien au contraire de la nécessité d’accélérer la transformation de nos économies et que cela ne pourra se faire par la vertu des acteurs économiques, puisque cette transformation est majoritairement contraire à leur intérêt immédiat (mais évidemment pas leur intérêt à long terme).

Même en ayant recours à un durcissement réglementaire et normatif, les finances publiques seraient sollicitées en plus des dépenses actuelles, à la fois pour les investissements publics et pour les aides complémentaires nécessaires pour accompagner les agents économiques qui ne sont pas en capacité de faire par eux-mêmes. Il n’est pas facile d’estimer précisément ce besoin complémentaire mais il est probablement de l’ordre de la moitié de l’effort total (50 milliards par an à horizon 2030)[16], et ceci sans tenir compte des dépenses publiques à envisager dans les deux domaines de la lutte contre l’effondrement de la biodiversité et l’adaptation au changement climatique.

Conclusion

La transition écologique ne peut pas se faire sans renforcement des réglementations, des taxes et sans augmentation des dépenses publiques. C’est cela ou accepter des coûts futurs de plus en plus insupportables à moyen terme. La priorité mise sur la réduction du déficit budgétaire à court terme dans les grands pays européens est non seulement absurde au plan économique[17], en aggravant une situation de récession européenne, dangereuse au plan géopolitique (comme l’a montré le rapport Draghi) mais criminelle à moyen terme si elle conduit à réduire notre effort de lutte contre le changement climatique et l’érosion de la biodiversité.

Alain Grandjean et Marion Cohen

Les auteurs remercient Léa Boudet pour sa relecture du présent article. Les propos tenus ne l’engagent cependant en rien.


Notes

[1] Sont exclus de l’analyse (voir page 6) : 1/ le développement d’usines de production des équipements nécessaires à la transition (batteries, électrolyseurs, bioraffineries…) ces investissements étant considérés comme relevant le plus souvent de logiques de souveraineté voire de réduction de l’empreinte carbone (mais pas des émissions) et 2/ les leviers non-carbone, (adaptation, biodiversité) essentiels à une transition juste et réussie, qui n’ont pas encore été analysés (les travaux sont en cours).

[2] La SNBC est la feuille de route de la France vers la neutralité carbone en 2050. La première version a été publiée en 2015 et la seconde en 2020. La troisième version a fait l’objet d’une concertation fin 2024 mais n’est pas encore publiée officiellement début 2025.

[3] Le Taux de Retour sur Investissement est un indicateur de rentabilité fondée sur la comparaison du cout d’investissement initial et des revenus nets futurs de cet investissement. Plus de détails dans la fiche sur le taux d’actualisation de la plateforme The Other Economy.

[4] TCO = total cost of ownership. C’est le cout de possession par exemple d’un véhicule intégrant son cout d’achat, ses coûts de maintenance, d’exploitation (l’énergie utilisée) et d’assurance. On peut déduire la valeur résiduelle du véhicule le cas échéant

[5] Une étude récente d’Adrien Bilal et Diego R. Kanzig de Northwestern évalue les dommages engendrés par une hausse de température de 3°C par rapport à la période pré-industrielle à 46% du PIB. Même si les estimations de ces dommages sont sujettes à caution, la conclusion que Nicholas Stern a été le premier à établir en 2006 est évidente : le cout de l’inaction face au changement climatique sera (et est déjà) très largement supérieur au cout de l’action.

[6] Voir l’article d’Antonin Pottier, « La France, c’est 1 % des émissions mondiales » : pourquoi il faut en finir avec cet argument absurde, La Tribune (01/10/23).

[7] Le SGPE emploie le terme levier et en a identifié et évalué une petite trentaine (voir  le graphique ci-après).

[8] Bien sûr discutables car ils dépendent d’une série d’hypothèses technico économiques comme le prix sur la période du gaz et du pétrole.

[9] Les politiques publiques en matière de transition sont loin d’être inexistantes (voir les rapports du haut conseil pour le climat) , elles sont d’ailleurs déjà l’objet de contestations et l’ambiance politique est aujourd’hui plus à la régression en la matière qu’à la progression…

[10] La commission Quinet a évalué en 2019 le prix du carbone à implémenter, en l’absence d’autres mesures à 250 euros à l’horizon 2030 et ce chiffre est en cours de réévaluation par une commission lancée en 2024).

[11] Une étude récente d’Adrien Bilal et Diego R. Kanzig de Northwestern évalue les dommages engendrés par une hausse de température de 3°C par rapport à la période pré-industrielle à 46% du PIB, soit un cout mondial de la tonne de CO2 évitée de 1367 dollars, tout en indiquant que ce coût peut être plus faible pour un pays donné.

[12] Par exemple : la taxe carbone, le marché ETS, la taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport, les éco-contributions, les malus sur les voitures polluantes,  es Certificats d’Energie…) ; mais aussi la tarification (de l’électricité ou de son transport).

[13] En agriculture la famille des normes dites BCAE, la réglementation RE2020 dans le bâtiment, le label bas-carbone, le Dispositif Éco Énergie Tertiaire (dit « décret tertiaire ») dans le bâtiment tertiaire.

[14] Par exemple, l’aide à la rénovation (Ma Prime Rénov), les paiements pour service écosystémique, les écorégimes, les aides au renouvellement forestier, le fonds chaleur pour les réseaux de chaleur, l’aide à la décarbonation des gros sites (France 2030, contrat carbone pour différence).

[15] Les infrastructures ferrées ou électrifiées et les aides au report modal.

[16] Cet ordre de grandeur est conforme à celui retenu dans le rapport Pisany-Ferry Mafouz qui estime un besoin de 34 Md€ d’investissements public sur un total d’investissements nets de 67 Md€ en 2030.

[17] Voir les tribunes que nous avons écrites avec Ollivier Bodin Trajectoires budgétaires : prendre en compte les défis européens, Les Echos (15/09/24) et L’excès de zèle budgétaires, l’erreur fatale de Michel Barnier, Les Echos, (11/12/24)

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04.12.2024 à 14:31

La Nature au cœur du raisonnement économique : l’émergence d’une nouvelle macroéconomie.

Alain Grandjean

Le rapport Embedded in Nature que le FMI a publié début octobre 2024 constitue une petite révolution dans le monde de la macroéconomie : il présente un cadre conceptuel original dans…

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Texte intégral (14282 mots)

Le rapport Embedded in Nature que le FMI a publié début octobre 2024 constitue une petite révolution dans le monde de la macroéconomie : il présente un cadre conceptuel original dans lequel la Nature se trouve au cœur du système économique. Il serait souhaitable que cette approche conduise à abandonner le recours aux outils de modélisation les plus fréquemment utilisés dans les institutions nationales ou internationales dont les faiblesses structurelles ont été largement démontrées et à en réinventer de nouveaux. 

A la suite des nombreux commentaires constructifs reçus après la publication de ce post, le texte a été modifié le 16/12/24 afin d’apporter des compléments ou des précisions (modifications en orange).

Vous pouvez lire cet article en anglais ici.

1. Les nombreuses failles des modèles macroéconomiques

La macroéconomie, en tant que discipline académique, est l’objet récurrent de critiques. Elles sont exprimées soit diplomatiquement comme par le prix Nobel Paul Romer qui se dit « troublé »[1] soit de manière plus radicale comme Steve Keen (qui dénonce une imposture économique[2]). D’autres critiques comme celle de Hyman Minsky sont indirectes, en insistant sur la possibilité de crises financières endogènes, ne pouvant être envisagées par la majorité des modèles utilisés car elles sortent du cadre analytique de ces modèles fondé sur un « équilibre général ». Par ailleurs, les économistes comportementalistes démontrent que les agents économiques ne sont pas rationnels au sens où le présupposent ces modèles (ce qui diminue considérablement leur réalisme). Enfin, il est notoire qu’aucun économiste et aucune institution utilisant ces modèles n’a pu prédire la crise financière de 2008.

Cette contestation de la pertinence de la macroéconomie se traduit par une certaine désaffection vis-à-vis de la discipline et des regains d’intérêt pour l’économie empirique (liée aussi à la croissance des capacités de traitement de données) ou d’autres disciplines comme l’économie écologique. Pourtant, comme nous l’avons mis en évidence dans deux articles publiés par la Chaire énergie et prospérité[3], relatifs aux modèles IAMs, ces modèles macroéconomiques sont toujours utilisés par les gouvernements et grandes institutions et sont déterminants dans la conduite des politiques économiques, qu’elles soient budgétaires, fiscales, monétaires ou commerciales[4].

Explorons quelques exemples montrant à quel point ces modèles sont devenus importants. Les trajectoires budgétaires des États membres réalisées par la Commission européenne dans le cadre de la gouvernance économique de l’UE sont calculées à partir de modèles macroéconomiques plutôt rustiques, à base d’une fonction de Cobb-Douglas[5] ; les prévisions budgétaires sont faites en France avec des modèles comme Mésange, Opale (et la plate-forme tresthor), Saphir.

Autre exemple, le NGFS, réseau des banques centrales et superviseurs financiers, qui étudie les impacts du changement climatique sur la stabilité financière a recours à plusieurs modèles macroéconomiques (Remind, Message globiom, Nigem) [6], malgré leurs limites bien connues et rappelés dans la note ci-dessus[7].

La Banque mondiale s’appuie également sur de nombreux modèles hybrides et notamment dans son initiative visant à outiller une coalition de ministères des finances (la Global Macro Modeling Initiative[8] (GMMI)) et dans ses rapports d’évaluation des politiques climat des pays (les Country Climate and Development Reports, CCDRs[9]).

Ces modèles ont aussi un rôle central dans les travaux du Giec visant à évaluer économiquement les conséquences du réchauffement climatique et/ou les mesures visant à le limiter.

Dans le rapport Finance in hot house world (2023) Thierry Philipponnat, Chef économiste de Finance Watch, pointe avec acuité le problème que nous soulevons ici : «Avec l’action climatique mondiale actuelle, notre planète est sur la voie d’une augmentation de la température moyenne de +3°C. Elle devient une serre chaude où plus de 3 milliards de personnes devront s’adapter à des conditions de vie progressivement inhabitables. Pourtant, les modèles économiques des décideurs politiques ne prévoient qu’un niveau bénin de pertes économiques dues à ces impacts climatiques. La cause d’un problème de quantification aussi évident est que les théories qui sous-tendent ces modèles économiques reposent sur des données rétrospectives, font des hypothèses sur « l’ équilibre » économique et utilisent des fonctions de dommages qui ne sont pas adaptées à la modélisation d’une économie perturbée par le changement climatique. Plus important encore, l’impact du changement climatique résultant de la modélisation économique n’est pas compatible avec la science du climat. Pourtant, les analyses de scénarios climatiques menées par les autorités de surveillance financière utilisent toutes ces modèles »

Précisons ici qu’il ne s’agit pas ici de sous-estimer les efforts des chercheurs et des praticiens pour améliorer le travail de modélisation et répondre aux critiques mais d’insister sur les biais engendrés par l’usage des modèles de référence dans les politiques publiques effectives. Rappelons également que le sujet « macro-économico-environnemental » est en pleine effervescence et qu’il n’est pas possible de rendre compte de toute cette dynamique[10].

Les limites des modèles macroéconomiques « dominants »
1. La plupart de ces modèles n’intègrent pas le rôle de la monnaie ni de la finance alors que leur impact peut être déterminant au plan économique (comme l’a montré notamment Hyman Minsky cité plus haut) ;
2. Beaucoup ne prennent pas en compte les interactions entre la Nature et l’économie ; certains le font en utilisant des fonctions de dommage (climat vers économie) sous estimant fortement ces dommages ;
3. La plupart font l’hypothèse (fausse) que le capital artificiel (les machines) peut se substituer sans limite au « capital naturel » et au travail ;
4. La plupart repose sur une fonction de production, pour estimer le PIB et sa variation -supposée mesurer le coût économique si elle est négative ou l’accroissement de richesse si elle est positive- en incluant un paramètre arbitraire de productivité totale des facteurs, dont la pertinence est vraiment discutable, et qui rend le PIB partiellement exogène, donc en fait partiellement indépendant des impacts du changement climatique ;[11]
5. L’État est bien souvent absent;
6. Les rendements sont considérés comme décroissants ou constants, ce qui est contraire à la réalité économique ;
7. Certains représentent une économie fermée, sans commerce international (ni taux de change) ;
8. Beaucoup sont des modèles d’équilibre au sens néoclassique : la trajectoire converge nécessairement vers un équilibre unique ;
9. La diversité des agents économiques n’est en général pas représentée, les inégalités sociales ne le sont donc pas ;
10. Aucun n’intègre les points de rupture ;
11. La plupart d’entre eux reposent sur des calibrages ad hoc et ne sont pas backtestés ;
12. Les comportements des acteurs sont supposés “rationnels” au sens néoclassique ;
13. Les résultats des modélisations sont en général très sensibles au choix du taux d’actualisation (qui traduit une préférence plus ou moins forte pour le présent) qui est au fond arbitraire.
Pour plus de détails sur les problèmes ci-avant qui sont communs aux modèles macroéconomiques utilisés dans les grandes institutions et aux modèles IAM[12] vous pouvez consultez le Working Paper Les modèles IAMs et leurs limites (2024) Ce WP présente également les travaux relatifs aux modèles « stock-flux cohérents[13] » ( sur le plan financier et sur le plan des ressources naturelles) qui visent à lever certaines des limites ci-dessus (notamment les 1,2, 8, 10 et 12 ) et sur l’initiative IF (de Carbone4 qui se centre sur les limites biophysiques et leur évolution).

Nous sommes apparemment dans une impasse : les outils utilisés pour nos raisonnements économiques relatifs aux plus gros enjeux de notre siècle (climat et destruction de la biodiversité) ne sont pas fiables.

Nous les utilisons parce qu’ils sont les seuls approuvés par les revues économiques internationalement les plus reconnues au plan académique, ce qui leur donne une prééminence institutionnelle, renforcée par la puissance des économistes[14] qui les prescrivent ou s’en servent.

Nous les utilisons aussi pour le confort intellectuel apparent qu’ils apportent en étant capables de fournir des chiffres, qui font illusion ; et enfin en raison du coût élevé (et du délai nécessaire) de mise au point de nouveaux outils.

Pour sortir de cette impasse, il faut du courage et accepter de faire table rase de ces outils. On ne peut donc que saluer le rapport du FMI Embedded in Nature: Nature-Related Economic and Financial Risks and Policy Considerations (2024) qui fait un premier pas dans cette direction.

Cette publication propose un nouveau cadre conceptuel[15] (voir schéma ci-après), dans lequel ne peuvent pas s’inscrire, pour des raisons de fond que nous allons expliciter ci-après, la plupart des modèles économiques utilisés par les institutions aujourd’hui.

Nous allons présenter dans un premier temps quelques-unes les avancées les plus notoires explicitées dans cette note, et nous proposerons en deuxième partie celles qui nous semblent devoir être faites pour achever cette révolution (qu’elles soient implicites ou non présentes dans la publication du FMI).

Le nouveau cadre conceptuel proposé par le FMI

Source : Embedded in Nature: Nature-Related Economic and Financial Risks and Policy Considerations (2024). Page 7

Ce schéma est présenté ainsi (page 5) :

« Nous proposons un cadre conceptuel pour analyser les risques liés à la nature et leurs mécanismes de rétroaction. S’inspirant de la revue de Dasgupta, le cadre macroéconomique comporte quatre éléments principaux (figure 3). Premièrement, il relie les quatre types de capital (naturel, social, produit et humain) aux flux économiques et financiers. Deuxièmement, il établit un lien entre ces flux et les états potentiels du monde en fonction de la durabilité de la production dans le temps (durable, non durable et effondrement irréversible), les deux derniers approchant ou dépassant le point de bascule du capital naturel, ce qui risque de provoquer des dommages irréversibles. Troisièmement, il décrit les principaux risques liés à la nature associés à chaque état du monde. Quatrièmement, il décrit les canaux de transmission macroéconomiques qui relient les risques liés à la nature à l’économie réelle – y compris les impacts sur les quantités et les prix – et vice versa, ainsi qu’au secteur financier, en mettant l’accent sur le principe de la « double matérialité » selon lequel les institutions financières affectent et sont affectées par les risques liés à la nature. »

2. Pourquoi le rapport du FMI marque une rupture par rapport à la pensée économique dominante.

A. La Nature et l’économie ressortent de deux ordres différents

L’être humain fait partie de la Nature. L’histoire de la planète est intrinsèquement liée à l’apparition de la vie et de son évolution et réciproquement [16]. Les profondes et spectaculaires interactions entre le vivant et le non-vivant[17] sont de mieux en mieux connues[18]. On sait aussi que l’espèce humaine, fruit de ces 4 milliards d’années de coévolution, a maintenant un impact déterminant sur les conditions d’habitabilité de notre planète pour l’espèce humaine ainsi que pour la majorité des êtres vivants[19]. Nous sommes aujourd’hui en mesure (et sur le point) de faire sortir la planète des plages de variation de certains paramètres[20] ce qui la rendrait inhospitalière à la vie dans son ensemble.

Pour autant la Nature et les services que « nous en tirons » ne sont pas des biens économiques pour trois raisons fondamentales :

  • La Nature ne se fait pas payer. Les échanges économiques se font entre les humains et les entités qu’ils contrôlent. 
  • La Nature a pour nous une valeur d’usage mais surtout une valeur intrinsèque et elle est tout simplement une condition de vie pour nous.
  • Les destructions irréversibles de Nature et le dépassement des limites planétaires n’ont pas d’équivalent au plan économique ; la monnaie se crée ex nihilo[21] d’un jeu d’écritures puis circule et le travail humain se reproduit bon an mal an.

Vouloir « faire rentrer » la Nature dans l’économie (par « l’internalisation des externalités », en monétisant la valeur des services écosystémiques, en considérant la Nature comme un « capital économique ») est un « coup de force théorique » qu’il faut abandonner.

Il repose implicitement sur des équivalences qui ne peuvent être faites : le postulat de durabilité ou soutenabilité « faible » selon lequel le capital artificiel (les machines) peut se substituer au capital naturel[22] est devenu létal.

Ce postulat (fruit de notre sentiment de toute-puissance appuyé sur nos « réussites » technologiques) est totalement illusoire. Il suffit pour s’en convaincre de s’intéresser de près aux interactions à l’œuvre dans les écosystèmes qui sont d’une incroyable complexité et finesse. Comme écrit dans le rapport (page 25) en citant celui de Dasgupta[23]

« La substituabilité entre le capital naturel et les autres formes de capital est limitée. Les possibilités de substitution entre les principales formes de capital naturel et de capital produit sont faibles, voire inexistantes. »

Soutenabilité forte et faible

Source : La soutenabilité forte comme paradigme pour faire le lien entre économie et science de la durabilité, Adrien Comte, IRD (2023)

« L’approche en soutenabilité faible (A) s’intéresse à la somme totale du capital, incluant le capital social, manufacturé, et naturel, tandis que l’approche en soutenabilité forte (B) place l’atteinte de bon état de l’environnement comme condition essentielle de la soutenabilité. On peut appliquer cette représentation aux objectifs de développement durable (C), où l’atteinte de la soutenabilité repose sur le bon état des quatre objectifs environnementaux (D). »

Abandonner le postulat de soutenabilité « faible » a de multiples conséquences, qui ne sont pas évoquées explicitement dans le rapport du FMI mais sur lesquelles il est important de revenir. En particulier, cela conduit à refuser la monétarisation des services écosystémiques en tant que telle (ce qui n’empêche pas de prendre en compte les conséquences de leur usage ni les coûts économiques de leur destruction ou de leur « réparation/ reconstitution »[24]).

Cela conduit également à rejeter l’application de raisonnements de type « coûts-bénéfices » à des enjeux aussi majeurs que le changement climatique ou à la destruction de la biodiversité.

Cela amène aussi à penser les nécessaires évolutions comptables (de comptabilité privée ou publique) avec circonspection. La Nature ne doit en aucun cas être considéré comme un actif (= comparable à un autre, du point de vue du rendement financier).

En comptabilité d’entreprise, elle pourrait être éventuellement considérée comme un passif : c’est l’option prise dans les travaux de « comptabilité multi-capitaux[25] » qui sont aujourd’hui en pleine ébullition, sans qu’on puisse affirmer aujourd’hui qu’ils sont la meilleure solution au plan comptable[26].

En comptabilité publique, proposer que les pays mesurent leur richesse en incluant non seulement le capital physique (comme les infrastructures) et le capital humain (l’éducation, la santé), mais aussi le capital naturel est dangereux. C’est ce qui a été proposée par la Banque mondiale en mettant au point l’indicateur d’épargne nette ajustée ou « épargne véritable », qui est calculée pour la France par l’Insee[27]. Certes ces ajustements montrent que le patrimoine public est moins élevé qu’on ne le pense quand on exclut les dégradations dues aux effets de la dérive climatique. Mais les résultats dépendent fortement des valeurs monétaires retenues pour faire ces ajustements (qui sont contestables et reposent nécessairement sur des modèles). L’usage de cet indicateur ouvre la porte à des arbitrages entre « capitaux » qui ne sont pas acceptables dans une logique de soutenabilité forte. Prenons un seul exemple : un hectare de forêt « naturelle » en France « vaudra » économiquement toujours moins que s’il est constructible[28]. Pour protéger la forêt des besoins de construire ou des appétits économiques, il faut réglementer.

B. Les limites planétaires et les points de bascules écologiques sont au cœur du cadre conceptuel proposé dans le rapport du FMI[29].

Comme on vient de le voir les activités humaines font sortir certains paramètres vitaux de plages autorégulées depuis des millions d’années. C’est ce qu’on appelle les limites planétaires. Le cas emblématique est celui de la concentration de l’atmosphère en CO2 qui dépasse maintenant la concentration atteinte il y a 3 millions d’années[30].

Les processus qui se mettent en marche sont non-linéaires et peuvent conduire à des catastrophes majeures lors des franchissements de ce que les scientifiques appellent des points de bascule, c’est-à-dire des seuils qui une fois franchis provoquent un emballement du système naturel concerné[31].

L’économie est incapable de modéliser et encore plus de donner un prix ou une valeur économique à un système aussi complexe. Les raisons en sont axiologiques (ce n’est pas à elle de le faire) et méthodologique (l’économie n’a pas les outils pour le faire). Le problème de fond provient de la confusion, chez la majorité des économistes néoclassiques, entre ce qui relève de l’analyse économique et ce qui relève de l’éthique ou du politique. Depuis Léon Walras ce courant de pensée est normatif[32] dans le sens ou la dimension descriptive du système économiques s’accompagne de recommandations de politiques publiques. Or il s’agit de distinguer les deux.

Dit autrement, le problème des limites relève par définition d’un cadre dogmatique, au sens que lui donne le juriste Alain Supiot[33]. C’est ce cadre qui légitime les institutions, les normes, les prix publics, la répartition entre le public, le privé, les communs etc. Le cadre pertinent pour penser le problème des limites est donc celui de la décision politique, collective et pas le cadre analytique restreint de l’économie. L’économie ne peut intervenir qu’une fois que le cadre a été posé.  

Ce nouveau cadre de raisonnement conduit à proposer des politiques publiques en termes d’interdictions acceptées internationalement et pas uniquement en termes d’objectifs négociables. La note du FMI explicite ainsi cette position :

« En théorie, il devrait être possible pour les sociétés de définir un ensemble de valeurs essentielles, y compris la conservation de la nature et l’inversion de la perte de biodiversité, sur lesquelles les citoyens peuvent s’unir. Un tel accord aurait pour corollaire l’interdiction des activités qui détruisent la nature, à l’instar du protocole sur la protection de l’environnement annexé au traité sur l’Antarctique, des négociations actuelles des Nations unies sur la réglementation de l’exploitation minière des grands fonds marins et des lois qui interdisent la traite des êtres humains et d’autres activités illégales. »

C’est l’acceptation des limites planétaires qui fondent la nécessité du principe de précaution[34] qui continue à être mal compris en étant confondu avec un principe d’inaction ou d’anti-innovation alors qu’il vise tout simplement à « ne pas jouer aux apprentis sorciers ».

C. Il faut abandonner le recours à des fonctions agrégées de production pour projeter le PIB et aux fonctions de dommage pour évaluer le cout du changement climatique.

Les modèles macroéconomiques utilisés par les institutions internationales (et ceux dont le GIEC fait la synthèse des résultats) utilisent des fonctions de production agrégées. La pertinence de cette représentation a été critiquée très tôt, c’est ce que les économistes appellent la controverse des deux Cambridge des années 1960. Il s’agit d’un débat économique qui a eu lieu dans les années 1960. En résumé, d’un côté Samuelson et Solow (du MIT à Cambridge aux Etats-Unis) défendent l’idée de la possibilité d’avori une mesure unique du capital. De l’autre, Robinson et Sraffa (Université de Cambridge en Angleterre) soulignent que le capital est composé d’un ensemble hétérogène de biens physiques (machines, bâtiments, etc.), dont la mesure dépend des prix relatifs et du taux de profit, rendant circulaire son usage dans les modèles, puisque ce sont ces modèles qui permettent de calculer ces prix relatifs.

Le point de vue « critique » (alors incarné par Joan Robinson et Piero Sraffa) est sans aucun doute le plus cohérent, ce que Paul Samuelson (qui était leur opposant avec Robert Solow) a fini par reconnaitre. Il est d’ailleurs maintenant largement reconnu[35] y compris par des économistes influents (comme par exemple Jérémy Rudd[36], membre du Board de la Fed).

Cette remarque d’apparence technique est fondamentale dans la représentation des interactions entre l’économie et la Nature. D’une part, s’il est difficile voire impossible d’agréger de manière cohérente des éléments de capital physique ça l’est encore plus pour des éléments de « capital naturel » et a fortiori pour le total des deux (ce qui est fait  dans une perspective de soutenabilité faible).

D’autre part, c ’est en effet à partir de ces fonctions de production que les projections de PIB sont faites. Comme ces fonctions de production n’ont pas réussi à rendre compte de l’évolution réelle du PIB, elles ont été « complétées » par un facteur, la Productivité Totale des Facteurs (PTF) dont Jérémy Rudd écrit que « même les estimations les plus soigneusement construites de la productivité totale des facteurs seront dénuées de sens ».

Dans la plupart des modèles macroéconomiques, cette PTF est généralement retenue autour de 1 à 2% par an[37]. Cela conduit à penser que le PIB va continuer à croître de manière exponentielle quel que soit l’état de la planète.

Quand les économistes tentent d’évaluer l’impact du réchauffement climatique sur la croissance du PIB, ils calculent une fonction de dommage qui relie un certain niveau de hausse de la température globale de la planète à une perte de PIB. Cette fonction de dommage vient ensuite corriger la croissance du PIB dans un « scénario de référence » (dans lequel le réchauffement climatique n’existe pas) qui est calculé selon la méthode décrite ci-avant : c’est-à-dire avec une croissance de 1 à 2% par an et pour toujours.

Ainsi, comme l’énonce le NGFS, réseau des banques centrales et superviseurs financiers, dans son rapport de 2024 sur les fonctions de dommages[38] :

« L’économie mondiale devrait croître de plus de 300 % d’ici la fin du siècle (c’est-à-dire qu’elle devrait plus que quadrupler). Même en supposant un taux de croissance beaucoup plus prudent de 1 % par an, l’économie mondiale devrait encore croître de plus de 120 %. La perte de 30 %[39] doit être interprétée en tenant compte de ces chiffres de croissance de base. »

On comprend bien le biais massif introduit par ce type de modélisation : à partir du moment où on pose que le PIB va croitre de façon exponentielle tout au long du XXIè siècle, les pertes de PIB liées au réchauffement climatique (qui sont drastiquement sous-estimées à ce stade) n’induisent même pas une récession. A noter que cette même méthode est utilisée pour les services écosystémiques[40].

Dès lors on ne peut que saluer la position défendue dans la note du FMI et traduite ici :

« Malgré l’utilisation répandue de la fonction de production agrégée dans les modèles macroéconomiques, nous choisissons de ne pas l’utiliser en raison de son manque de fondements théoriques et empiriques robustes. Au niveau théorique, il a été démontré que la production globale est simplement une identité comptable pour mesurer la valeur ajoutée globale et qu’elle ne contient aucune information sur les relations technologiques au sein de l’économie (Rudd 2024, Shaikh 1974, Simon 1979). Fisher (1971) montre que l’offre de l’économie ne peut être décrite à l’aide d’une fonction de production que dans des conditions très irréalistes. Empiriquement, Shaikh (1974) et Fisher (1993) montrent que l’adéquation aux données fournies par une fonction de production Cobb-Douglas agrégée à rendements d’échelle constants, pour n’importe quelles données, est une conséquence mathématique du paramètrage de la fonction, un résultat empirique qui est simplement dû à une loi d’algèbre. En ce qui concerne la productivité totale des facteurs (PTF), Rudd (2024) note que « les agrégats de travail et de capital qui sont pertinents pour la production ne peuvent exister que dans des conditions qui ont peu de chances d’être jamais réunies dans une économie réelle », ce qui signifie que ‘’même les estimations les plus soigneusement construites de la productivité totale des facteurs seront dénuées de sens’’. Pour ces raisons, nous n’introduisons pas de fonction de production agrégée ou de PTF dans notre cadre. »

Quant aux fonctions de dommage qui relient la croissance de la température moyenne planétaire au PIB, elles sont critiquables et critiquées, pour deux raisons fondamentales. D’une part, leur estimation repose sur des modèles économiques incapables de prendre en considération la complexité des écosystèmes et des effets de leur dégradation actuelle sur l’économie. D’autre part, les impacts du changement climatique (et de l’effondrement de la biodiversité) étant non linéaires et susceptibles de « bascules », il est impossible aux économistes de projeter ces fonctions dans un monde significativement plus chaud.

La note du FMI (page 6) met en garde assez clairement sur les limites des estimations publiées à ce jour sur les impacts des dégradations climatiques et écologiques sur l’économie et en donne plusieurs explications dont celle-ci : « L’une des principales raisons est l’incapacité des modèles à représenter les interactions complexes entre les services écosystémiques et entre les services écosystémiques et l’économie. La plupart des modèles sont orientés vers la capture de certains services écosystémiques liés à la fourniture de nourriture, d’eau et de bioénergie[41]. » 

D. Il faut redéfinir la productivité

Selon la majorité des économistes, la croissance économique (celle du PIB par habitant[42]) d’un pays résulte de celle de la productivité des facteurs de production[43], due aux progrès scientifiques et techniques et à ceux de l’organisation du travail. On vient de voir que les économistes[44] modélisent ces progrès par une PTF dont l’estimation est en toute rigueur impossible.

Mais la notion de productivité pose un problème plus profond que la note du FMI met en lumière. Pour le dire simplement, elle est supposée résulter de mécanismes « hors sol » c’est-à-dire sans tenir compte de la pression sur les écosystèmes.

Du coup, les auteurs de la note écrivent (page 28) :

« Nous définissons la productivité comme l’efficacité de la production, sous réserve de la préservation de la base matérielle nécessaire à la création de valeur économique, qui englobe la nature. Cette définition implique qu’une augmentation de la productivité du travail ou du capital associé à la perte ou à la dégradation de la nature est un gain de productivité apparent plutôt qu’un gain réel (c’est-à-dire qu’elle surestime les gains de productivité), car elle a un impact négatif sur les conditions matérielles dont dépend la création de valeur économique elle-même. »

Cette remise en cause de la productivité va plus loin que l’abandon des fonctions de production qu’on vient d’évoquer. Elle met en cause le « paradigme dominant » selon lequel il nous faut toujours faire croître la productivité pour accroître les richesses produites et, par conséquent, la satisfaction de chacun d’entre nous.

Nous avons abordé ce sujet sous un angle un peu différent dans un post récent[45] dans lequel nous plaidons pour la prise en considération de « valeurs non marchandes » ainsi que de la productivité des ressources naturelles au sens large pour tenir compte des raretés potentielles des dites ressources. L’économie de demain doit vraiment devenir extrêmement parcimonieuse vis-à-vis de sa « consommation de Nature et ne plus chercher à optimiser le rendement du travail humain et/ou de ses « équipements » sans tenir compte des capacités limitées de la Nature (y compris dans sa capacité à se reproduire).

E. Il faut remettre en cause les présupposés du libre-échange

L’analyse faite dans la note du FMI des difficultés voire des impasses de certains pays en développement remet en cause les vertus théoriques du libre-échange.

Citons-en un extrait (Annexe Box 1. page 39) :

« Les économies en développement dépendent souvent fortement d’exportations qui dégradent la nature pour obtenir des devises, comme indiqué précédemment. Compte tenu de la structure productive de ces économies et de la perte de nature inhérente à leurs activités économiques notamment dans leurs exportations (Dasgupta et Levin 2023[46]), une des conséquences des chocs et crises répétés de la dette souveraine et extérieure sera d’augmenter les investissements dans- et de verrouiller- les infrastructures associées à des activités induisant une perte de Nature (ainsi qu’une forte intensité carbone). Par exemple, la croissance des secteurs orientés vers l’exportation comme la production du soja ou l’activité minière– visant en grande partie à répondre aux besoins de la balance des paiements – ont conduit à la déforestation et la perte de nature en Argentine et en République démocratique du Congo, respectivement (Dempsey et autres 2024[47]). Bien que des efforts soient déployés dans le domaine de la gouvernance mondiale sur la nature et le climat pour prendre en compte ces liens et contraintes internes liés à l’architecture monétaire et financière internationales, il faut faire davantage. »

Cette analyse, combinant pour les pays en développement des contraintes financières extérieures, des risques de verrouillage dans les modèles économiques aux effets sur la Nature des choix économiques qui en résultent, nous éloigne fortement des visions idéalisées des relations commerciales internationales des analyses économiques standards.

F. Des propositions de politiques publiques sont exprimées essentiellement de manière qualitative en remettant en cause certains dogmes.

Plusieurs propositions de politiques publiques sont faites au sein de la note. En voici quelques exemples.

1 En théorie, il devrait être possible pour les sociétés de définir un ensemble de valeurs essentielles, y compris la conservation de la nature et l’inversion de la perte de biodiversité, sur lesquelles les citoyens peuvent s’unir. […] Un changement institutionnel de cette ampleur imposerait des limites aux actions des institutions financières (page 19).

2 Éliminer rapidement les activités économiques, […] les politiques et les financements nuisibles (page 22).

3 Reconnaître les effets systémiques du franchissement des limites planétaires et l’existence de points de bascule biophysiques dans les cadres politiques (page 23).

4 Créer un consensus social et politique sur l’abandon des activités économiques non durables ; réorienter les politiques pour donner la priorité à la transformation rapide de la structure productive de l’économie afin de s’aligner sur les limites planétaires (page 23).

5 Conduire des recherches supplémentaires sur les implications de la perte de nature pour la viabilité de la dette publique, le rôle des contraintes économiques et financières nationales liées à l’architecture monétaire et financière internationale dans l’enfermement des pays dans des modèles de croissance dégradant la nature, [et le développement du concept] d’un ‘’moment Minsky de la nature’’ (page 24).

On voit bien que ces propositions ne peuvent résulter d’un « cadrage » initial standard ; elles ne relèvent pas d’une analyse coûts-bénéfices mais s’expriment en termes de limitations d’activités, d’interactions profondes entre la Nature et l’économie qui ne se résument pas à un raisonnement en termes d’externalités négatives.

3. D’autres avancées à faire

La note du FMI marque des avancées substantielles ; il me semble nécessaire d’aller encore plus loin.

A. Robustesse versus optimisation

Les économistes néoclassiques ont l’habitude de raisonner en termes d’optimisation (d’une fonction d’utilité intertemporelle, d’un arbitrage coûts-bénéfices ou coûts-efficacité ) au motif que l’économie vise précisément à optimiser l’usage de ressources rares[48].

Dès lors que l’on reconnait (paragraphe 1.A ci-dessus) que l’économie ne peut représenter correctement le fonctionnement des écosystèmes pourtant décisifs dans les productions et services qu’ils permettent, il est illusoire de chercher un optimum économique. Quel est-il et quel sera-t-il pour l’agriculture d’Espagne du Sud quand cette région sera transformée en désert ? Quel sera-t-il dans les régions où la « température humide » sera si élevée qu’elle sera létale pour les humains ?

Je rejoins Olivier Hamant[49] qui affirme que la recherche de performance de l’humanité a produit la crise socio-économique que nous vivons. Nous allons habiter un monde de plus en plus fluctuant et incertain. C’est ce que fait la vie depuis son apparition. Comment a-t-elle fait sur une durée si longue ? Non pas en cherchant des optimisations mais la robustesse, qui permet le maintien d’un système stable malgré les fluctuations. Par exemple, la photosynthèse, qui existe depuis 3, 8 milliards d’années, a un rendement énergétique « très peu performant » de 0,3 à 0,8%. Ce faible rendement permet aux plantes de gérer des fluctuations lumineuses et biologiques et leur permet donc d’être robustes.

En termes macroéconomiques cela veut dire que nous ne devons pas chercher l’optimisation mais la capacité de nos systèmes socio-économiques à résister face aux fluctuations à venir.

Cela veut dire que la « nouvelle économie » doit se concentrer sur les marges de sécurité par rapport aux limites planétaires et chercher les indicateurs définissant non pas un optimum théorique mais un état acceptable et vraiment durable. Ceci ne s’oppose pas, bien au contraire, au fait que les acteurs économiques se doivent d’être aussi sobres que possible et réduire au maximum la pression sur la Nature, ce qui suppose des innovations d’usage et de procédés, et des incitations à cette dynamique qui ne se résument pas à la seule résilience.

Nous n’avons pas besoin pour cela de données précises avec 2 chiffres après la virgule mais d’ordres de grandeur. Cela concerne en priorité les données biophysiques qui définissent notre terrain de jeu et les données socioéconomiques qui définissent un état social acceptable (en termes de santé, d’accès à des biens et services de base qu’ils soient privés ou publics, d’inégalités sociales (monétaires et non monétaires, etc.).

B. Ne plus assimiler le PIB à un indicateur de bien-être social et sa baisse à une mesure du coût économique.

Malgré des critiques constantes depuis plusieurs décennies et des travaux importants menés à l’ONU (avec les ODD) et à la suite du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi[50], le PIB[51] continue à être l’indicateur clef au plan économique. Il est par exemple utilisé pour démontrer que l’Europe décroche des Etats-Unis. Comme c’est écrit dans cet article du journal le Monde : « En 2008, la zone euro et les États-Unis avaient un produit intérieur brut (PIB) à prix courants équivalent de 14 200 milliards et 14 800 milliards de dollars respectivement (13 082 milliards et 13 635 milliards d’euros). Quinze ans après, celui des Européens est à peine au-dessus de 15 000 milliards, tandis que celui des États-Unis s’est envolé à 26 900 milliards. »

L’analyse d’autres indicateurs (espérance de vie, consommation de drogue, obésité et alimentation, investissement dans les infrastructures, dépenses de santé par habitant) donnent cependant une image nettement moins glorieuse des Etats-Unis[52].

Les modèles macroéconomiques qui visent à faire une analyse cout-bénéfice du réhuaffement climatique en comparant le « coût économique » de l’action climatique à celui de l’inaction le font en comparant les pertes de PIB générées dans divers scénarios. Le coût économique c’est donc, dans cette approche, la perte de PIB. C’est une vision extrêmement limitée de la notion de coût qui fait perdre de vue l’essentiel comme nous l’expliquons dans la fiche Qu’est-ce qu’un coût ? de la plateforme The Other Economy. Nous renvoyons également à cet article plus ciblé[53] sur les coûts d’atténuation.

Il est temps d’abandonner l’usage de cet indicateur pour cette fin : faire du PIB l’indicateur synthétique de comparaison n’est pas pertinent. Par ailleurs, les analyses coûts-bénéfices ne sont légitimes qu’à la marge d’une situation économique donnée par exemple pour comparer deux options d’aménagement routier ou ferroviaire. Mais les utiliser pour comparer deux situations macroéconomiques d’ensemble sur des horizons de temps long est illusoire voire abusif.

L’évaluation du bien-être et de son évolution doit reposer sur une ensemble d’indicateurs socio-écologiques (comme la santé[54]). C’est ce qu’a tenté de faire l’ONU en promouvant les Objectifs de développement durable, avec néanmoins deux défauts symétriques : l’excès d’indicateurs[55] et à l’inverse la tentative de classer les pays en adoptant une note agrégée représentant l’ensemble des ODD[56]. Nous avons besoin d’un tableau de bord synthétique à l’instar de la proposition faite par la loi SAS[57], mais malheureusement pas encore approprié politiquement.

Cela n’enlève rien à l’intérêt du PIB pour d’autres objectifs comme celui des calculs de recettes fiscales ou de la mesure de l’activité marchande. Notons bien aussi qu’il ne s’agit pas de nier le fait que des hausses de revenus sont corrélées à un sentiment de satisfaction (et inversement que la pauvreté est rarement bien vécue). Le Revenu National Net est de ce point de vue préférables au PIB. Il est, de plus, nécessaire de le corriger par une mesure d’inégalités de revenus et de patrimoines[58] et intégrer les effets de redistribution d’accès au service public[59] et d’activité non monétarisés[60]. L’Insee a réalisé un gros travail dans cette direction avec la notion de comptes augmentés. Voici un mot de présentation dans son blog : « L’Insee publie ce jour les premiers comptes nationaux augmentés. Cette innovation vise à appréhender d’un même tenant l’activité économique, ses conséquences pour le dérèglement climatique, et la répartition des revenus des ménages. »

Pour nous, ici, il s’agit surtout d’affirmer l’impératif de ne pas réduire l’évaluation de la situation d’un pays à son PIB ni celle des coûts d’une action ou de l’inaction relative à la Nature en termes de PIB. Réaffirmons qu’on ne fera pas de PIB sur une planète à + 5°C ou sans vie.

C. Le rejet du dogme de l’équilibre général et de l’efficience des marchés

Même si c’est implicite dans le texte, le dogme de l’équilibre général (sous-jacent à tous les modèles d’équilibre général néoclassique[61] et DSGE) n’est pas rejeté explicitement. Or ce dogme est non seulement contraire aux faits[62] mais dangereux, en faisant croire à ses thuriféraires que l’économie revient spontanément à l’équilibre après un choc.

Ce n’est évidemment pas vrai (les grandes crises financières de 1929 et de 2008 suffisent pour s’en convaincre) mais surtout, du fait de cette croyance, nous ne portons pas assez attention aux déséquilibres que nous pouvons constater. Nous devons bien au contraire savoir assez clairement quelles sont les marges à l’intérieur desquelles notre système socio-économique peut fonctionner (en termes de déficit commercial, dettes privés et publiques, tolérance aux inégalités sociales, prélèvements sur la nature, pollutions …) pour en déduire quand la puissance publique doit intervenir pour permettre au système de rester à l’intérieur de ces marges.

Certes, dans cette conception de l’efficience des marchés, certaines des « défaillances » des marchés sont reconnues, tout comme les problèmes qui en résultent. Mais la « solution » proposée pour corriger ces défaillances consiste à mettre en place des dispositifs, tels qu’une taxe carbone pour la dérive climatique, qui permettraient aux marchés de résoudre les problèmes posés. La puissance publique, mal informée ou sous-informée, ne pourrait les  résoudre mieux. Cette vision dogmatique doit être combattue. Même si les marchés ont leur utilité, ils ne peuvent sans régulation et encadrement forts de la puissance publique[63] permettre d’atteindre des objectifs socialement ou écologiquement désirables.

D. Le recours non pas à des prévisions mais à des scénarios qui dessinent, dans ces grandes lignes, un avenir possible

Les modèles économiques dont nous venons de parler font porter l’attention sur les chiffrages dans un cadre de raisonnement devenu obsolète.

Il nous faut porter l’attention sur un nouveau cadre de raisonnement que nous avons esquissé dans les pages précédentes. La méthode la plus efficace (et d’ailleurs employée par le NGFS) est de recourir à des scénarios pour nous faire voir et si possible ressentir quels sont les futurs possibles.

En revanche, ces scénarios ne devraient pas être utilisés pour évaluer des coûts liés à la dérive climatique ou aux pertes de nature, mais pour vérifier que les limites planétaires sont respectées et sous quelles conditions.

E. Le recours à des modélisations biophysiques et à des « toy models » pour l’économie

La prétention des modèles à reproduire les données économiques et à les projeter dans un monde de plus en plus déstabilisé au plan écologique et social est vaine comme nous venons de le voir. Pour autant, il n’est pas inutile de disposer de simulations limitées à une question donnée et à un horizon temporel donné. A cette fin la priorité est à donner aux simulations biophysiques[64] qui permettent d’explorer la « distance aux limites » de l’économie, dans divers scénarios.

Par ailleurs, il est bien sûr possible d’utiliser des modèles ciblés qui n’ont pas vocation à représenter l’intégralité d’une réalité bien trop complexe mais d’un de ses aspects. Ils peuvent être conceptuels (ce qu’on appelle des « toy models ») ou calibrés avec des données empiriques (comme le sont les modèles énergétiques par exemple).

F. L’articulation des enjeux écologiques et sociaux

Les modèles macroéconomiques sont généralement pauvres dans leur représentation des inégalités sociales et de la pauvreté. Ils se contentent souvent d’un « agent représentatif » supposé représenter un individu moyen, ce qui évidemment est à la fois très frustre et théoriquement dangereux : la question des inégalités sociales et des impacts sociétaux à la fois de la transition et des risques physiques du changement climatique et de la destruction de la biodiversité est essentielle. La publication du FMI que nous commentons ici est elle aussi peu diserte sur ces questions. Elle rappelle (page 26) le point de vue exprimé par Dasgupta :

« Les institutions et le capital social jouent un rôle essentiel dans la détermination des préférences individuelles et collectives, et donc de l’économie de la nature.
Les institutions peuvent être définies comme « les contraintes conçues par l’homme qui structurent l’interaction politique, économique et sociale », consistant en « des contraintes informelles (sanctions, tabous, coutumes, traditions, et codes de conduite) et les règles formelles (constitutions, lois, droits de propriété) » (North 1991). Elles sont censées « soutenir les valeurs et produire et protéger les intérêts » (Vatn 2005, p. 83). Les décisions de politique économique sont façonnées par les institutions.
Le capital social. Selon Helliwell et Putnam (2004), le capital social peut être défini comme la combinaison de la confiance mutuelle, de la confiance dans les gouvernements et les marchés et, plus généralement, de « l’environnement institutionnel ». Ces arrangements qui permettent aux gens de s’engager les uns avec les autres pour un bénéfice mutuel ». La confiance, la coopération et le capital social constituent la base sur laquelle reposent les institutions. Le capital social est donc au cœur de l’économie de la biodiversité (Dasgupta 2021, p. 165). »

Mais ces propos sont un peu éthérés par rapport à la violence politique et sociale qui peut se constater dans certains pays, et qui sera accrue du fait des désordres écologiques.

Sans doute serait-il utile de creuser la piste du « Doughnut » initiée par Kate Raworth[65] et poursuivi par les travaux du Doughnut Economic Action Lab et d’Andrew Fanning[66] qui sont, à ma connaissance, les plus avancés sur la nécessité de tenir compte à la fois des limites planétaires et de planchers sociaux ?

Conclusion

Nous venons de mettre en valeur et en perspective une note du FMI qui nous semble faire une avancée notable dans la direction indispensable pour que la macroéconomie dont nous avons besoin pour piloter nos économies sur le moyen et long terme prennent en compte de manière sérieuse la Nature et les limites planétaires. Nous avons suggéré quelques pistes pour aller plus loin.

Les modèles économiques et les concepts évoqués ici sont importants parce qu’ils façonnent, et sont façonnés par des représentations mentales qui habitent les dirigeants. Les faire évoluer est nécessaire mais ne suffit évidemment pas pour changer les décisions ni même leurs orientations. Nous n’avons en particulier pas évoqué les questions stratégiques, institutionnelles, démocratiques ni culturelles.

Le travail est loin d’être terminé et il va demander courage et persévérance face à la force des habitudes et des positions acquises. Mais il est absolument indispensable face aux périls auxquels nous sommes tous confrontés.

Alain Grandjean

Cette note a bénéficié des commentaires constructifs de Jean-Marc Béguin, Didier Blanchet, David Cayla, Louis Delannoy, François Meunier, Pierre Viard, Jean-Marc Vittori. Je les en remercie vivement et bien sûr le contenu final ne les engage en aucun cas.


NOTES

[1] Voir l’article The Trouble with Macroeconomics, Paul Romer, 2016.

[2] Voir son livre L’imposture économique les éditions de l’atelier, 2018 et The New Economics: A Manifesto, Polity, 2021.

[3] Voir Alain Grandjean, Les modèles IAMs et leurs limites, Chaire Energie et Prospérité, 2024 et Alain Grandjean et Gaël Giraud, Comparaison des modèles météorologiques, climatiques et économiques, 2017.

[4] L’évaluation des politiques commerciales et des effets d’accords de libre-échange repose souvent sur des modèles macroéconomiques dont certains sont des modèles d’équilibre général calculables. L’exemple le plus connu est le modèle du Global Trade Aanalysis Project

[5] Voir la Fiche fondement analytique et limites des règles budgétaires européennes sur la plateforme The Other Economy.

[6] Voir Climate macroeconomic modelling handbook, NGFS, 2024

[7] Voir Alain Grandjean, Les modèles IAMs et leurs limites, Chaire Energie et Prospérité, 2024

[8] Voir World Bank Group Macroeconomic Models for Climate Policy Analysis, 2022.

[9] Voir Tout ce qu’il faut savoir sur les rapports nationaux sur le climat et le développement, site de la Banque Mondiale (13/03/23)

[10] Evoquons les Agent Based Models qui constituent un exemple de l’effervescence modélisatrice dans ce domaine. Voir Juana Castro, Stefan Drews, Filippos Exadaktylos, Joël Foramitti, Franziska Klein, Théo Konc, Ivan Savin, Jeroen van den Bergh, A review of agent‐based modeling of climate‐energy policy, Wiley Interdisciplinary Reviews: Climate Change, 2020. Et les travaux de Francesco Lamperti dont cet article Francesco Lamperti et al. Faraway, so Close: Coupled Climate and Economic Dynamics in an AgentBased Model, Ecological Economics, 2018.

[11] Pour en savoir plus voir l’article La croissance du PIB n’est pas expliquée par les modèles macroéconomiques les plus utilisés sur la plateforme The Other Economy.

[12] Les Modèles IAM (pour « Integrated Assessment Models » Modèles d’évaluation intégrée en français) ont pour objectif d’aider à comprendre les interactions entre sociétés humaines, développement économique et climat sur le temps long. L’évaluation est dite intégrée car ces modèles ambitionnent de décrire à la fois le système économique et des systèmes naturels en couplant des modules représentant l’économie, le système énergétique, le climat (et parfois d’autres systèmes naturels).

[13] Citons ici le modèle GEMMES créé par Gaël Giraud et développé maintenant par l’équipe d’économistes de l’AFD dirigé par Antoine Godin. Citons aussi les travaux de Yannis Dafermos (qui a codéveloppé le modèle SFC DEFINE et ceux de Tim Jackson.

[14] Sans rentrer dans une analyse institutionnelle qui dépasse le cadre de cette note. Voir Pierre Alayrac – les économistes, une noblesse d’Europe ? Eu !radio, Nov. 2024

[15] Elle s’appuie sur de nombreux travaux dont le rapport The Economics of Biodiversity: The Dasgupta Review (2021) de Sir  Partha Dasgupta, mais le rapport du FMI va plus loin voire est parfois en rupture avec comme nous le verrons ici.

[16] Voir le livre de Philippe Bertrand et Louis Legendre Earth, Our living Planet – The Earth System and its Co-evolution With Organisms, Springer, 2021. Voir aussi Philippe Bertrand. Les Attracteurs de Gaia, Editions Publibook, 2008.

[17] Que ce soit les réactions chimiques, les forces géologiques, l’énergie interne de la planète due en partie à la radioactivité, son magnétisme, le volcanisme, la tectonique des plaques mais aussi l’attraction du soleil et des planètes du système solaire, (d’où résulte la précession des équinoxes -limitée par la présence de la lune, et les grands cycles climatiques) etc.

[18] Gaz dominant de l’air, l’oxygène est maintenant indispensable et indissociable de la vie. Il a cependant été produit par le vivant -qui a inventé la photosynthèse qui produit de l’oxygène à partir de gaz carbonique et de l’eau- dans un environnement pour lequel il représentait un violent toxique : les premiers organismes vivants étaient anaérobies et pas armés pour résister à sa puissance oxydante. Or la production d’oxygène est le fait du vivant. En 2 milliards d’années, l’accumulation de stocks fut suffisante pour modifier le dosage en oxygène dans l’atmosphère et ainsi passer de 1% à 21%, le niveau actuel. Les grands cycles (carbone, phosphore, azote etc. voir le livre Les attracteurs de Gaia) sont tous liés à des interactions entre le vivant et le non-vivant.

[19] Ce n’est pas pour rien que le pape François parle de notre maison commune (voir son encyclique Laudato Si)

[20] Pour ne prendre que l’exemple de l’oxygène, sa proportion (de 21%) dans l’air est très stable depuis 10 à 15 millions d’années (voir Glasspool, I. J., & Scott, A. C. (2010). Phanerozoic concentrations of atmospheric oxygen reconstructed from sedimentary charcoal, Nature Geoscience). Il est maintenant avéré que la biosphère actuelle assure en retour la stabilité chimique de notre atmosphère. Mais sa composition varie depuis notre propension à brûler massivement des énergies fossiles. Et l’on sait aussi qu’une élévation de 2 à 3% de la teneur en oxygène de l’atmosphère suffirait, en multipliant les incendies, à déclencher une instabilité suffisante pour menacer nos conditions de survie.

[21] Les écritures comptables sont toujours équilibrées ; la création monétaire qui est un passif bancaire a toujours une contrepartie, comme par exemple une créance. Mais l’expression « création ex nihilo » veut dire que la monnaie n’est pas toujours issue d’un dépôt préalable. Cela étant, la question monétaire est difficile et cette formulation lapidaire demande des explications complémentaires. Voir le module Monnaie sur la plateforme The Other Economy.

[22] Ce postulat est implicite dans le raisonnement de Robert Solow et ses critiques bien connues du rapport Meadows. Pour en savoir plus voir les articles « La poursuite infinie de la croissance économique serait possible » et « Il suffirait de remplacer les ressources naturelles par du capital artificiel (des machines) » sur la plateforme The Other Economy

[23] Page 328.

[24] Voir la Fiche Doit-on donner un prix à la nature, sur la plateforme The Other Economy

[25] Voir les travaux relatifs au référentiel CARE et ceux de la chaire comptabilité écologique et le module sur L’entreprise et sa comptabilité de la plateforme The Other Economy.

[26] Les réflexions sur l’évolution des référentiels comptables et de leur application sont nombreuses ; mais il s’agit dans tous les cas de sujets techniques et de grande ampleur (les règles comptables s’appliquent de manière obligatoire dans le monde à des centaines de millions d’entreprises).

[27] Voir L’épargne nette ajustée des effets liés au climat est négative en France. Insee Analyses n° 98. Novembre 2024. Et Croissance, soutenabilité climatique, redistribution : qu’apprend-on des « comptes augmentés » ? Blog de l’Insee, Nov. 2024

[28] Le rapport L’approche économique de la biodiversité et des services liés aux éco systèmes réalisé en 2009 à la demande du gouvernement français a évalué qu’un hectare de forêt naturelle pourrait valoir 35000 euros par ha (en actualisant 970 euros de valeur annuelle par ha) avec une fourchette d’un rapport 4 (entre 15000 et 60000 euros environ). Le terrain constructible en France vaut 1000000 euros l’hectare en moyenne.

[29] cf. Figure 3, p. 7, et Annex Figures 1.1 à 1.3, pp. 32-34.

[30] Depuis environ 800 000 ans, la concentration en CO2 de l’atmosphère s’était stabilisée entre 180 et 300 ppm. Elle dépasse aujourd’hui les 400 ppm.

[31] Notre climat, par exemple, comprend de nombreux points de bascule qui une fois franchis provoqueront des réactions en chaine menant à un emballement du réchauffement planétaire: arrêt des courants océaniques, fonte du Groenland, fonte des glaciers continentaux etc. De la même manière, les équilibres de la biodiversité sont complexes et une pression relativement plus forte peut conduire à un effondrement brutal de la population d’une espèce.

[32]Rappelons cette phrase bien connue : « M. Pareto croit que le but de la science est de se rapprocher de plus en plus de la réalité par des approximations successives. Et moi je crois que le but final de la science est de rapprocher la réalité d’un certain idéal ; c’est pourquoi je formule cet idéal. » Auguste et Léon Walras, Œuvres économiques complètes, Vol. XIII. p. 567 (Walras L. Œuvres diverses) – Pierre Dockès, Claude Mouchot et Jean-Pierre Potier, Economica.

[33] Dans son livre Homo juridicus,Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Le Seuil, 2009, dont voici un extrait du résumé proposé par l’éditeur « L’aspiration à la justice est, pour le meilleur et pour le pire, une donnée anthropologique fondamentale, car les hommes ont besoin pour vivre ensemble de s’accorder sur un même sens de la vie, alors qu’elle n’en a aucun qui puisse se découvrir scientifiquement. La dogmatique juridique est la manière occidentale de lier ainsi les hommes. Le Droit est le texte où s’écrivent nos croyances fondatrices : croyance en une signification de l’être humain, en l’empire des lois ou en la force de la parole donnée. »

Alain Supiot suit ainsi sur ce plan Pierre Legendre selon qui, dans toutes les sociétés, la raison humaine a des fondements dogmatiques. Voir V. P. Legendre, De la Société comme texte, Linéaments d’une anthropologie dogmatique, Fayard, 2001.

[34]Dominique Bourg et Jean-Louis Schlegel, Parer aux risques de demain: Le principe de précaution, Seuil, 2009.

[35] Pour une vue d’ensemble de la littérature sur les fonctions de production agrégées, voir Felipe et Fisher, Aggregation in Production Functions: What Applied Economists should Know, Metroeconomica, 2003.

[36] A Practical Guide to Macroeconomics, Jeremy B. Rudd, Cambridge University Press,  2024.

[37] Récemment un peu moins pour les pays développés mais plus pour les pays émergents pour lesquels la PTF peut atteindre 2 à 4%.

[38] Voir Damage functions, NGFS scenarios, and the economic commitment of climate change An explanatory note, NGFS 2024, page 29 ; et Climate macroeconomic modelling handbook, NGFS, 2024.

[39] Cette perte de 30% est l’évaluation retenue à ce stade par le NGFS des dommages dus au changement climatique et évalués avec une fonction de dommage.

[40] Des auteurs comme Giglio et al (Giglio, Stefano, Theresa. Kuchler, Johannes Ströbel, and Olivier Wang. 2024. “The Economics of Biodiversity Loss.” CEPR Discussion Paper DP19277, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA.) modélisent la production de services écosystémiques agrégés à l’aide d’une fonction de production agrégée.

[41] Mathilde Salin, Katie Kedward, and Nepomuk Dunz. “Assessing Integrated Assessment Models for Building Global Nature-Economy Scenarios.” Banque de France. Working Paper No. 959. 2024.

[42] La démographie joue bien sûr un rôle déterminant dans l’évolution du PIB et c’est une question majeure à la fois pour le développement des pays les moins avancés et à long terme pour le rapport entre l’humanité et la Nature. Mais nous traitons ici uniquement de la question de la croissance du PIB par habitant.

[43] La productivité d’un facteur de production (capital ou travail par exemple) est le rapport entre la production réalisée et le facteur utilisé pour cette production. En pratique, la productivité du travail est plus facile à cerner : c’est le rapport des heures travaillées sur le PIB.

[44] Nous simplifions ici, il existe un courant théorique puissant, dit de la croissance endogène qui reconnait que la croissance ne vient pas de « nulle part » mais est explicable par l’éducation, la recherche et l’innovation. Mais dans la pratique, du fait de la complexité du sujet et de la difficulté de mesurer précisément certains de ses paramètres (comme le taux d’innovation ou le retour sur investissement en capital humain), les modèles macro utilisés par les institutions sont à base de fonction de production et de PTF…

[45] Dépenses improductives, dette publique et création monétaire, Chroniques de l’Anthropocène, 2024

[46] Dasgupta, Partha and Levin, Simon, Economic Factors Underlying Biodiversity Loss (February 1, 2023). Philosophical Transactions of the Royal Society B, forthcoming , Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=4372379 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.4372379

[47] Dempsey, Jessica, Audrey Irvine-Broque, Tova Gaster, Lorah Steichen, Patrick Bigger, Azul Carolina Duque, Amelia Linett, and others. 2024. “Exporting Extinction: How the International Financial System Constrains Biodiverse Futures.” The Centre for Climate Justice, Climate and Community Project, and Third World Network, University of British Columbia.

[48] Notons ici que paradoxalement les instruments comptables utilisés dans la pratique et les modèles économiques majoritaires ne conduisent pas du tout à une optimisation de l’usage des ressources naturelles, pour la raison déjà évoquée qu’elles ne sont pas comptées.

[49] Voir le TEDx La révolution de la robustesse  et son livre « La troisième voie du vivant » Odile Jacob, 2022.

[50] Voir le rapport de la Commission Stiglitz, Sen et Fitoussi sur la mesure des performances économiques et du progrès social, 2009 (traduction en anglais ici). A la suite des travaux de cette commission la chaire Mesures de l’économie copilotée par Catherine Doz et Marc Feurbaey a été créée au sein de Paris School of Economics. Voir aussi le livre de Marc Feurbaey et Didier Blanchet,  Beyond GDP, Measuring Welfare and Assessing Sustainability. Oxford University Press, 2013.

[51] Pour en savoir plus sur le PIB, la façon dont cet indicateur est construit, ce qu’il représente et ses limites, vous pouvez consulter le module sur Le PIB, la croissance et les limites planétaires de la plateforme The Other Economy.

[52] 37% des adultes étatsuniens ne peuvent pas faire face à une dépense imprévue de 400$ par eux-mêmes (ils devront emprunter / vendre quelque chose ou juste ne pas pouvoir du tout y faire face). Voir Economic Well-Being of U.S. Households in 2023, Fed. Par ailleurs, 100 millions d’américains sont englués dans des dettes médicales. Voir 100 Million People in America Are Saddled With Health Care Debt, KFF Health News, 2022. Plus globalement voir Etats-Unis : Pourquoi Trump ? 10 chiffres clefs sur une société cassée, Le Grand Continent (02/11/24) et Dette, inégalités, démocratie malade : des failles made in America, Alternatives Économiques (27/09/24)

[53] Köberle, A.C., Vandyck, T., Guivarch, C. et al. The cost of mitigation revisited. Nat. Clim. Chang. 11, 1035–1045 (2021).

[54] Voir à ce sujet le livre d’Eloi Laurent Et si la santé guidait le monde ? L’espérance de vie vaut mieux que la croissance. Les Liens qui libèrent. 2021.

[55] Les ODD sont au nombre de 17, déclinés en 169 cibles pour la période 2015-2030 et suivis au niveau international par 231 indicateurs (la France en suivant 98). Voir Indicateurs pour le suivi national des objectifs de développement durable, Insee (04/07/24).

[56] Voir le classement des pays du monde selon leur note globale relatives au ODD sur le site du Sustainable report 2024.

[57] Votée en 2015, la loi SAS prévoit que le gouvernement remette chaque année au Parlement un rapport présentant l’évolution de nouveaux indicateurs de richesse ainsi qu’une évaluation de l’impact des principales réformes engagées au regard de ces indicateurs. A la suite de ce vote, des travaux ont été engagés afin d’identifier 10 indicateurs de richesse. Dans les faits les rapports rendus obligatoires par cette loi n’ont eu aucun écho médiatique et ne sont ni connus ni utilisés par le personnel politique.

[58] Voir l’article Les inégalités monétaires se sont fortement accrues dans les dernières décennies au sein des pays développés et la fiche Comment mesurer les inégalités monétaires ? sur la plateforme The Other Economy.

[59] Voir l’article La redistribution de richesses réduit les inégalités, sur la plateforme The Other Economy.

[60] Le PIB ne compte pas le travail domestique ou le bénévolat. Mais déterminer s’il faut corriger le PIB pour intégrer cela ou s’il faut structurellement accorder de la valeur à ce qui n’a pas de prix est un débat de fond.

[61] Les modèles néokeynésiens introduisent des rigidités sur les marchés à court terme mais convergent vers un équilibre général à long terme.

[62] Pour de nombreuses raisons sur lesquelles nous ne pouvons nous étendre ici (voir l’article Les marchés financiers seraient efficients sur la plateforme The Other Econmoy) mais dont l’une des plus importantes n’est pas toujours évoquée. Les théorèmes d’équilibre concurrentiel général repose sur l’hypothèse de rendements décroissants alors que dans la majeure partie des secteurs économiques les rendements sont croissants. Dans ce cas, la concurrence conduit à la formation d’oligopoles ou de monopoles (les économistes emploient le terme de concurrence monopolistique, voir le livre de Michel Volle Iconomie) et ne conduit pas un optimum.

[63] Voir le rapport du Secours catholique La finance aux citoyens, 2018.

[64] C’est ce qui est fait par l’initiative IF de Carbone4.

[65] La théorie du Donut. L’économie de demain en 7 principes, Plon 2018.

[66] Voir le site A Good Life For All Within Planetary Boundaries sur lequel chaque pays est analysé au regard des critères du donut et l’article Fanning, A.L., O’Neill, D.W., Hickel, J., and Roux, N. (2021). The social shortfall and ecological overshoot of nations. Nature Sustainability

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