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François HOUSTE

Réflexions gratuites, éparses et irrégulières autour de nos imaginaires numériques et technologiques.

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10.10.2024 à 07:43

👩‍🚀 Utopie (1/3) | Cybernetruc #20

François Houste

Premier épisode d'une lettre en trois volets consacrée à l'utopie. Où l'on retrouve le journal l'Humanité et Ready Player One, Ivan Illich et Camille Tabart, Jacques Tati et la low-tech...
Texte intégral (6738 mots)

Cybernétruc explore nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque édition, on divague, on digresse et peut-être fait-on réfléchir, autour de nos cultures digitales. Vous êtes désormais 340 à lire cette aventure écrite. Bonne lecture ! 

scène finale du film Ready Player One de Steven Spielberg dans laquelle Wade embrasse Samantha, dans la vraie vie.

Et une fois n’est pas coutume, même si les explorations de Cybernétruc sont toujours ouvertes, on va assumer cette fois d’entamer une réflexion en trois actes autour de l’utopie, des projections du futur et de la façon dont se mettent en scène les imaginaires “positifs”. Sujet qu’on effleure déjà depuis quelques numéros par ici. Premier épisode de cette série dessinant les contours de l’Utopie donc. C’est parti !

Cela commence cette fois par une campagne de publicité, et cela dérive comme souvent vers des imaginaires : ceux de la ville, ceux de la nostalgie – ou en tout cas qu’on présente comme tel –, ceux de la technologie bien entendu et ceux de la fiction. Et cela revient sur cette question centrale. Cruciale. Quel équilibre faut-il pour créer, réellement, un futur positif ?

📰 Humanité

C’est l’agence de communication Josiane qui a conçu la campagne publicitaire de rentrée du journal l’Humanité, réinterprétant à sa façon le bon vieux slogan du titre : On aura toujours besoin de l’Humanité.

Les créations inspirées par ce slogan sont au nombre de quatre. Leur design – même si l’agence se défend de les avoir confiées à des humains – est clairement inspiré de l’esthétique molle des intelligences artificielles génératives, quelque part entre la couverture d’un Fleuve-Noir Anticipation (seconde édition) et la pochette d’un album de rock progressif britannique des années 70. Une esthétique IA assez plate et banale dans le monde actuel de la création.

Une première création présente un astronaute, en belle combinaison de la NASA, posant sur le sol rouge de Mars un drapeau orné du slogan “Égalité sur Mars”. Derrière lui se dresse une armée d’autres cosmonautes, qu’on imagine eux aussi mobilisés dans la lutte sociale, combattant la domination d’un capitalisme martien implacable et insensible. Certaines choses ne changent pas. Another planet, same fight. La création est accompagnée de ce slogan : Où la lutte sociale ira, on ira !

Josiane - campagne l'Humanité (2024)
sur Mars non plus, le combat social n’attend pas !

Les autres créations de la campagne, destinée à l’affichage et aux supports digitaux, sont du même acabit. Un homme politique en costume – oui, un homme bien entendu – semble débattre avec un robot lors de l’élection présidentielle de 2089 : Où la politique ira, on ira ! Un sommet mondial, la COP 126, se déroule dans une station spatiale agrémentée d’écrans holographiques, loin au-dessus de la Terre : Où l’écologie ira, on ira ! Enfin, une petite fille, dans les ruines d’un pays en guerre, offre à un gigantesque robot une fleur dans une pose qui n’est pas sans rappeler l’iconique photo de Marc Riboud : Où le combat pour la paix ira, on ira !

Au-delà de nous mettre en tête, au choix, une chanson de Joe Dassin ou une de Jean-Jacques Goldman, ces créations mettent également en branle quelques réflexions sur les imaginaires qu’elles mobilisent.


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⚔ Progrès

La première question, c’est celle du combat.

On a abordé ce sujet, déjà, dans Cybernétruc : ne peut-on promettre une – bonne – histoire QUE si l’on promet un combat ? Est-il nécessaire de se projeter dans l’opposition, l’altérité, pour faire rêver les gens ? Nos imaginaires ne peuvent-ils être QUE guerriers et chasseurs ?

On ne va pas redétailler les thèses et les idées d’Ursula K. Le Guinn, même si on en a très envie. Dans le contexte de cette campagne, la question est de toutes façons légèrement biaisée. Biaisée par l’annonceur même de ces créations : l’Humanité. Un journal de combat, si l’on peut le désigner ainsi. Ce que promet l’Humanité, c’est de faire entendre la voix des pauvres, des opprimés, des sans-voix justement, face à un monde de plus en plus capitaliste, pollué, violent… Et de continuer à faire entendre cette voix aussi longtemps que cela s’avèrera nécessaire. : même en 2089, même lors de la Cop 126, même sur Mars.

Pour exprimer cette promesse de combat, il est bien entendu indispensable de dépeindre un environnement violent, oppressant, auquel on s’oppose et dans lequel ce combat reste nécessaire. Vital même.

Seulement, voilà.

Josiane - campagne l'Humanité (2024)
Paix, frère robot ! Paix ! – C’est peut-être ça, l’âge du Verseau.

La promesse de combat portée par ces affiches semble être… un aveu de défaite.

S’il est toujours besoin de l’Humanité pour porter ses combats face aux robots et aux exploitants de la planète Mars, c’est peut-être que… les combats précédents n’ont pas tous été gagnés. Non, l’égalité, même une fois Mars conquise, ne sera pas acquise. Oui, il sera toujours nécessaire en 2121 – année de la COP 126 si mes calculs sont bons – de se réunir pour agir à la préservation de la Terre. Oui, la guerre existera toujours, même quand les robots auront apparence humaine et autonomie. On aura toujours besoin de l’Humanité, car l’humanité elle-même aura finalement fait peu de progrès.

Enfin, peu de progrès… Dans la vision partagée par Josiane, la technologie est partout : des robots se présentent à l’élection présidentielle, l’humain à conquis Mars et les sommets politiques ont lieu dans l’espace. La pente technophile, et surtout terriblement prédatrice sur le plan écologique, que nous suivons aujourd’hui, nous la suivrons a priori encore dans les 100 ans à venir ! Et ce malgré les cris d’alarme quant aux émissions de CO₂ et malgré les alertes quant à la consommation d’eau et d’électricité des datacenters que pousse le journal l‘Humanité lui-même, aujourd’hui même.

Nous voilà loin. Très loin, des lendemains qui chantent.

🏙 Espoir

Ce que l’on peut reprocher à la campagne imaginée par l’agence Josiane, c’est justement… son manque d’imagination. En mettant en scène colonisation spatiale et guerre robotisée, cette campagne surfe sur des imaginaires majoritaires. Ceux portés à la fois par la science-fiction depuis bientôt une centaine d’années – et emprunts d’une certaine nostalgie, comme on l’évoquait ici-même il y a quelques mois – et promus par les visionnaires de la Silicon Valley. Des imaginaires technophiles qui semblent inéluctables. Des imaginaires qu’elle, enfin que le journal l’Humanité combat me direz-vous ? Oui, si on revient à cette position de la fiction qui veut que l’on n’existe finalement pas quand on n’a ni ennemi à combattre, ni Everest à gravir.

Il y a quelques semaines, les copains de l’agence d’urbanisme dixit.net, et notamment Camille Tabart, mettaient en avant dans leur lettre hebdomadaire un ouvrage signé Sonia Lavadinho, Pascal Le Brun-Cordier et Yves Winkin : La Ville Relationnelle (édition Apogée), décrivant sept trajectoires possibles du milieu urbain, “fondées sur la qualité de la relation à soi-même, aux autres et aux Vivants”. Des imaginaires du milieu urbain parmi lesquels la ville comestible que dixit.net a choisi de mettre en avant :

Il s’agit de transformer nos villes en lieux de production, non seulement pour subvenir aux besoins des citoyens et renforcer l’autonomie urbaine, mais surtout pour recréer des liens essentiels : avec la nature, avec les autres, et avec soi-même.

En effet, créer des fermes urbaines, des jardins potagers, des vergers ou encore des haies nourricières, favorise les rencontres, discussions et autres échanges entre les consommateurs et les producteurs, mais aussi entre voisins. C’est aussi l’occasion pour les citadins de développer un nouveau rapport avec la nature, qui soit plus régulier mais aussi plus sensible. Jardiner est une activité qui fait appel à nos sens : observer les plants grandir, toucher la terre, sentir l’odeur de la menthe, ou encore gouter les tomates fraichement cueillies. Ce rapport sensible est un moyen de se reconnecter à soi-même, de prendre le temps d’être dans l’instant présent.

Camille Tabart - La ville comestible (lettre dixit.net du 11 sept. 2024)

Un imaginaire positif ?

Oui. Les travaux des urbanistes, tels que ceux relayés par La Ville Relationnelle flirtent en fait avec la prospective, cette science qui choisit parmi les scénarios un futur possible et souhaitable. Tout l’enjeu de l’exercice étant là : décrire le souhaitable. Et bien souvent, par opposition aux visions cauchemardesque vendues par la majorité de la science-fiction – et par la campagne de l’Humanité – ce souhaitable rime avec humain. Camille Tabart l’évoque à demi-mots : la ville comestible quelle commente favorise les rencontres, elle permet de se retrouver ensemble autour d’un repas lors d’un moment de convivialité : en famille, entre amis, entre voisins. On est loin du fantasme technologique, on assiste au retour – mais a-t-il jamais disparu – du fantasme humain.

🚲 Hu-lot

Actualité personnelle oblige, on ressortirait volontiers, et ferait des parallèles avec, d’autres imaginaires forts. Dont certains bien français, tels ceux de la ville de Jacques Tati.

La vie, c'est très drôle, si on prend le temps de regarder.

Jacques Tati

On se trompe souvent en qualifiant les créations du réalisateur de Mon Oncle de nostalgiques et jouant sur l’antagonisme entre un monde passé, artisanal et un monde futur, plus technologique. Aimer Tati, ce serait regretter les années cinquante et renoncer au progrès.

Jacques Tati - Playtime (1967)
la télévision comme écran, la télévision comme fenêtre…

La question soulevée par des films comme Playtime ou Trafic n’est pourtant pas là, elle est avant tout sur la place que laisse à l’humain – à sa créativité, son humour, sa capacité à l’improvisation… et surtout son contact – cette technologie. Si Jacques Tati joue sur un antagonisme, c’est celui qui existe entre un monde dans lequel se nouent naturellement les relations humaines – avec sa logeuse ou le voisin – et un monde où celles-ci n’existent plus car chacun est devant son poste de télévision. À sa façon, quand il décrit la société moderne, Tati dépeint le monde du silence. Un monde sans dialogue – celui de Playtime.

Jacques Tati - Mon Oncle (1958)

Il ne renonce pas pour autant à la technologie, il dénonce simplement son dogme et la façon dont elle cherche à enserrer et contraindre l’humain – à l’isoler et à le faire taire aussi –, préférant à cette contrainte le moment où au contraire, l’humain se joue des codes imposés par les objets, comme il retourne un canapé pour en faire une couche plus confortable.

Le monde Tati est un monde où l’homme / la femme / l’enfant prévaut sur l’objet. Simplement.

👫 Hu-main

Tout ça pour dire que l’on se trompe peut-être en opposant à l’imaginaire technologique celui des amish. L’opposé de l’imaginaire technologique, ne serait-ce pas simplement l’imaginaire humain ?

C’est peut-être sur cette seule lecture que l’on peut finalement distinguer les futurs enviables des futurs dystopiques. La question n’étant pas tant de faire de cet imaginaire humain un imaginaire de combat, mais plutôt un imaginaire de la convivialité.

J’appelle conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil.

Ivan Illich - La Convivialité (1973)

Reprendre en main les outils, reprendre la main face à la technologie. C’est peut-être ce qu’il manque à la campagne de promotion de l’Humanité dont on parlait en début de newsletter : de la convivialité, de… l’humanité. Rares sont les humains dans ces représentations, plus rares encore les relations humaines. C’est ce qu’il manque – à raison – dans ces univers Cyberpunk qui dénoncent le futur : de la convivialité. Leur propos étant bien entendu l’effacement de l’humain derrière la technologie et le capitalisme. Et le combat pour remettre l’humain au cœur du monde.

  • 🔄 Aparté. On pensera à Matrix, oui.
    Mais on se souviendra surtout du happy-end du
    Ready Player One de Steven Spielberg : ici, la victoire n’est pas dans la destruction de l’OASIS, mais la reprise de contrôle de l’être humain sur cet environnement virtuel. Le pouvoir qu’il se donne de mettre entre parenthèse cette réalité alternative un ou deux jours par semaine. De chercher un équilibre entre relations humaines et technologiques. Oui, oui, on va y revenir.

Cette convivialité, c’est étrangement ce qu’il manque, parfois, aux univers et aux imaginaires solarpunk et low tech, surtout quand ceux-ci restent attachés à l’expérience techn.olog.ique seule. Car oui, un futur, même décroissant et responsable, peut rester désincarné et oublier de remettre l’humain et la convivialité au cœur de l’expérience qu’il prome(u)t. Et pourtant…

Intégrer l’humain, c’est ce que font les architectes et les photographes quand ils présentent un projet ou documentent un bâtiment : l’humain magnifie, l’humain projette, l’humain partage et propage l’expérience. Tout le monde commence à le comprendre, l’humain est bien le cœur de la représentation d’un imaginaire désirable :

D’ailleurs, nos couvertures faisaient le pari de ne montrer que des photos d’objets techniques afin de rompre avec la logique de la “personnalité en couverture” façon magazine de mode. Mais cela donnait parfois une impression de nature morte. Tout ceci manquait un peu d’âme, de cœur, vous ne trouviez pas ? Nous avons donc opté pour des couvertures plus vivantes…

Jacques Tibéri - Low Tech Journal n°14 (juillet 2024)

⛺ Effacement

Remettre de l’humain ? OK, d’accord ! Mais quid alors de la technologie ? Parce que si promettre un monde sans humain est assez… déprimant, promettre un monde sans technologie est pour le moins… nostalgique.

Marrant comme quand on dit aux gens qu'un effondrement pourrait nous empêcher de conserver un Internet rapide et permanent, ils imaginent toujours un retour à l'âge des cavernes.

En 1990, on n'avait pas d'Internet rapide et permanent et ce n'était pas l'âge des cavernes, même pas le Moyen Âge.

Stéphane Bortzmeyer sur Mastodon (04/10/2024)

Gommer entièrement la technologie des représentations du futur présente en fait deux problèmes. C’est d’abord effacer un peu trop simplement la réalité actuelle – comme l’explique Stéphane Bortzmeyer, il ne s’agit pas de retourner au Moyen-Âge ou à l’âge des cavernes. Il est aujourd’hui peu probable que l’humanité revienne, à courte échéance, à l’âge d’avant l’électricité. D’une part, les connaissances restent… Et d’autre parts, si l’effondrement est vraiment, vraiment global et violent, eh bien… l’électricité sera sans doute le cadet de nos soucis et tout ce petit discours sur l’utopie n’aura de toutes façons plus aucun intérêt.

Mais gommer la technologie, c’est surtout servir un imaginaire lui aussi nostalgique. Un imaginaire qui n’est ni une projection dans l’avenir, ni réellement un retour en arrière, mais plutôt une version figée d’un présent fantasmé. Presque la définition d’une utopie. Et c’est ce que je vous propose d’explorer dans le prochain opus de Cybernétruc.

En attendant, je vous laisse gamberger sur tout ça ?

10.09.2024 à 07:50

🌎 Cyberculture | Cybernetruc #19

François Houste

Où l'on parle de cyberculture et de cyberpunk, de psychédélisme et d'accidents de voiture, de Timothy Leary et de Georges Perec, révolution électronique et chemins de fer… bref, c'est Cybernetruc !
Texte intégral (9918 mots)

Cybernetruc explore nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque édition, on divague, on digresse et peut-être fait-on réfléchir, autour de nos cultures digitales. Vous êtes désormais plus de trois cents trente – wahoo! –à lire cette aventure écrite. Bonne lecture ! 

L'homme le plus dangereux d'Amérique (2/2)

Cela débute, comme souvent, par une lecture. Et cela se prolonge, comme toujours, avec une tonne de questions. La question, notamment, de ce qu’est devenue la cyberculture et derrière tout cela, celle de la place de la technologie dans notre vie, dans la fiction et dans l’espèce de projection mixte qu’est aujourd’hui le monde digital.

🚑 Accident

Mais, oui. Cela débute par une lecture. En 1973, J.G. Ballard [📄], auteur de science-fiction et d’anticipation britannique, publie Crash [📖]. Un roman qui fait scandale et qui va en même temps devenir fondateur pour toute une génération d’artistes et d’écrivains.

Crash
J.G. Ballard, Crash, 1973 - pas la couverture originale, mais tellement belle…

Crash, pour faire rapide, c’est l’histoire d’individus qui, dans la société mécanisée des sixties et seventies, fantasment et fétichisent l’automobile… et les accidents de la route. Mais attention, il ne s’agit pas tant pour eux d’observer les tragédies qui ont lieu sur les rampes d’accès aux voies rapides, il s’agit également d’y prendre part. L’accident n’est pas qu’un fantasme, c’est un acte sexuel à part entière. Voire l’acte sexuel ultime, final, définitif. La mort dans une collision, un orgasme absolu. L’automobile devient alors une extension – sensuelle, sexuelle, mais cérébrale aussi – de soi-même. Son acier, ses plastiques, ses cuirs et ses matières synthétiques, une autre part de son propre corps, ou du corps de l’autre.

Crash est étrange, à la fois terriblement fascinant et malaisant. Hypnotisant et gênant. La légende [📄] veut que l’un des éditeurs auquel son manuscrit a été envoyé ait émis ce jugement définitif sur J.G. Ballard : “This author is beyond psychiatric help. Do Not Publish!”. Le livre sortira tout de même, et connaîtra un important succès. Il fera – on y reviendra sans doute – l’objet d’une adaptation par David Cronenberg [🎥] en 1996.

Crash - Centre Pompidou
David Cronenberg, Crash, 1996 - difficile de faire plus fétichiste et… cyberpunk.
  • 🔄 Aparté. Dès 1970, J.G. Ballard évoque déjà son roman à venir dans un court-métrage réalisé par Harley Cokeliss et intitulé… Crash! [🎥] Le roman est alors en gestation. Ballard y résume à la fois la passion, la relation ambigüe qui nous lie à l’automobile et l’effet de la société de consommation sur la psyché humaine, la façon dont cette société des biens fictionnalise en quelques sorte nos vies : “It seems to me that we have to regard everything in the world around us as fictional, as if we were living in an enormous novel.” Le court-métrage est alors diffusé par la BBC.

Crash est pourtant incroyablement juste. Non pas dans sa façon de transposer le fantasme sexuel dans le monde automobile – enfin, pas pour tout le monde j’espère 😓 – mais dans sa façon de faire de l’objet automobile le centre de la vie de ses héros : de transformer un objet – aussi banal et mécanique soit-il – en une obsession, un fétiche ultime, le prisme de lecture unique d’une vie.

D’opérer, quelque part, une fusion entre l’homme et la machine.

  • 🔄 Aparté. Sans grand rapport, si ce n’est la concordance temporelle de mes lectures, on pensera quand même un peu à Georges Perec [📄] – il faut penser plus souvent à Georges Perec – et à la façon dont les objets deviennent, non pas un fétiche, mais le centre d’une vie dans son premier roman Les Choses – Une histoire des années soixante [📖].
    On ne parle pas ici de fétichisme – en tout cas pas au même sens que chez J.G. Ballard – si ce n’est à la limite de fétichisme lié à la consommation. On parle de représentation. Ce qui, finalement, ne rentre pas si mal dans le propos. Au passage, existe-t-il quelque part une oeuvre faisant explicitement le lien entre consommation (pas argent, pas richesse, consommation) et sexualité ? Je m’interroge.


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🤖 Cyberpunk

Le fusion de l’homme et de la machine donc.

Les auteurs du mouvement cyberpunk [📄] si l’on peut parler de mouvement n’ont jamais caché l’influence qu’a eu J.G. Ballard sur leur univers. L’auteur britannique fait d’ailleurs partie des références citées par l’un des fondateurs du genre : Bruce Sterling. Ils n’ont jamais caché non plus leur fascination pour cette question de la fusion de l’homme et de la machine. Crash fait clairement partie des lectures fondatrices du groupe.

Le cyberpunk est un rêve – ou un cauchemar, bienvenue à tous les points de vue – d’extension de l’humain par la machine, et un imaginaire construit autour de l’ensemble des dérives que l’omniprésence de la technologie peut engendrer : existence de robots conscients, domination de la société par l’industrie technologique, urbanisation galopante et disparition de la nature, fichage et dictature technologique, etc. “Toute ressemblance…”

En cela, le cyberpunk se pose à la fois comme un héritier de la science-fiction classique – comprendre celle d’avant Philip K. Dick, Bruce Sterling et William Gibson – et comme miroir d’une époque touchée par la crise économique et les réponses politiques, parfois violentes, à celle-ci. Le cyber- du cyberpunk, c’est cet héritage fictionnel et technologique, le -punk, c’est le terreau social de l’époque qui l’a vu naître.

Il manque encore une troisième composante pour réellement définir le cyberpunk : c’est le psychédélisme et la culture californienne des sixties. Alors que souvent, la science-fiction classique s’attachait à décrire avant tout les extensions du corps – les voyages dans l’espace qui sont la grande thématique de la SF des années 50 sont avant tout une expansion de la capacité de déplacement et d’exploration de l’espèce humaine, et pas un changement de sa psychologie – le cyberpunk va explorer comment la technologie peut augmenter, altérer, modifier l’intelligence et l’esprit humain. La thématique n’est pas entièrement nouvelle, mais elle prend une dimension alors inédite dans le sillage d’auteurs comme Philip K. Dick [📄] et dans la façon dont des icônes de la contre-culture des années 60 – Timothy Leary, Stewart Brand [📖] et pas mal des derniers représentant de la Beat generation, surtout William S. Burroughs – vont s’approprier la culture technologique.

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L’histoire du Cyberpunk par Raphaël Lucas, aux éditions Pix’n love
  • 🔄 Aparté. Le hors-série L’histoire du cyberpunk [📖] des éditions Pix’n Love, écrit par Raphaël Lucas, et paru en 2020 résume très bien les liens qui unissent à la fin des années 70 / début des années 80 les quelques auteurs cyberpunk débutants et ce qui reste alors des communautés Beat et psychédélique. Si le livre est avant tout orienté autour de l’histoire des jeux vidéos – sortie en 2020 de Cyberpunk 2077 oblige – il reste une très bonne introduction à l’histoire du mouvement.

Avec le cyberpunk, les expériences menées avec le LSD et d’autres psychotropes – difficile de ne pas citer ici Aldous Huxley et son trip à la mescaline dans les Portes de la Perception [📖], tant son influence est forte dans la culture californienne, voire occidentale – cèdent la place à un rêve de conscience humaine augmentée par la machine. Philip K. Dick navigue encore entre l’addiction – A Scanner Darkly [📖] – et l’intervention clinique et forcément technologique – Total Recall [📖] et l’implantation de souvenirs. William S. Burroughs explore lui les voies de la manipulation technologique (électronique) dès 1970, imaginant des expériences de manipulation de la voix ou de diffusion de bandes sonores à grande échelle.

Brion Gysin et William S. Burroughs devant leur Dreamachine. La machine à rêves.

Il participera également activement au développement de la Dreamachine [📄] de Brion Gysin et Ian Sommerville, un dispositif lumineux, mécanique et psychédélique agissant directement sur les influx nerveux parvenant au cerveau. Une extension de la conscience par la machine en quelques sortes.

  • 🔄 Aparté. On pourrait qualifier Burroughs, après la lecture de sa Révolution électronique [📖], de pionnier des hackers tant certaines des idées qu’il partage paraissent modernes. Elles préfigurent en tout cas, et inspirent sans doute, le hacking moderne et low-tech tel que Geoffrey Dorne [💻] peut le documenter aujourd’hui dans son ouvrage Hacker Protester [📖].

Eh puis. Il y a Timothy Leary

👨‍💻 Homme du futur

Timothy Leary [📄] est sans doute LA figure incontournable de la contre-culture américaine. Né en 1920, professeur à Berkeley puis conférencier à Harvard dans les années 1950, Leary découvre les drogues hallucinogènes au début des sixties et c’est peu dire qu’elles vont changer sa vie.

Visual essay: How Timothy Leary and a Millbrook mansion shaped the 1960s  psychedelic movement
Timothy Leary dans une posture très très… sixties et psychédélique.

Il devient, dans les années 60, le principal promoteur du LSD aux États-Unis, aidant à la diffusion de cette drogue dans les milieux étudiants par diverses publications – son fameux Turn on, tune in, drop out [📄] – et expérimentations tant que celle-ci était légale. Puis soutenant ouvertement son trafic quand la loi américaine interdira l’acide fin 1966. L’aventure de Leary devient alors judiciaire, ponctuée d’arrestations et d’évasions plus ou moins rocambolesques, d’un exil forcé en Algérie sous la protection des Black Panthers et d’une nouvelle arrestation en Suisse en 1972.

Timothy Leary collaborera alors avec la justice américaine et poursuivra ensuite une vie d’auteur et de gourou du psychédélisme jusqu’à sa mort en 1996. Il se penche à la fin de sa vie sur le sujet de la cyberculture, persuadé comme beaucoup d’autres que les Autoroutes de l’information qui deviennent alors populaires sont les héritières logiques de la contre-culture californienne à laquelle il a tant contribué.

Chaos And Cyber Culture : Timothy Leary : Free Download, Borrow, and  Streaming : Internet Archive
Chaos & Cyberculture, LE livre qui deviendra l’une des bibles de la Cyberculture

On en revient alors logiquement à cette idée de fusion de humain et de la machine : fusion non plus seulement des corps, mais de l’esprit. Dans un article paru dans CREEM en 1993 [📖], Timothy Leary résume ce fantasme, cette extension du cerveau humain qu'il voit à la fois comme une contre-culture et un achèvement de l'évolution humaine. Et traduisant sa propre histoire en une sorte de prophétie, il dessine un portrait des quatre générations successives de la contre-culture qui doivent révolutionner le genre humain :

  1. Les beatniks des années 50 et du début des sixties, qui utilisent poésie, jazz et drogues pour s'isoler du quotidien et commencent à explorer le psychédélisme et la transcendance, s'affirmant clairement en opposition au pouvoir et aux institutions en place.

  2. Les hippies des années 60, adeptes des psychotropes et de l'amour-libre mais réticents à l'usage de la technologie. Ils explorent eux aussi l'extension des capacités du cerveau et l'évasion et assument “la nature chaotique de l'univers”.

  3. Les cyberpunk (actuels pour Leary, au moment de l’écriture de son article), mélancoliques et en colère contre la société. Ce sont les premiers à assumer l'usage, voire le détournement, de la technologie électronique. Usagers des drogues dures et submergés de signaux, ils sont la première génération à expérimenter l'extension de la conscience par la technologie.

  4. Enfin, ce que Leary appelle la “Nouvelle Race” qu’il voit apparaître dans les années 1990 avec la popularisation des ordinateurs personnels et des réseaux connectés. Clairement individualistes, ils sont les premiers à vouloir redessiner la société à l'aune de la technologie : ce sont les premiers techno-optimistes, semblables finalement à certains de ceux que nous croisons aujourd'hui.

On laissera de côté – encore que – la nature profondément évolutionniste du discours de Timothy Leary. Mais on comprendra aisément comment, à la fois par sa personnalité et ses écrits, il a influencé profondément la culture californienne de la Silicon Valley : la volonté d’une élite technophile de voir naître aujourd’hui un homme augmenté et sa foi en la technologie comme seul salut de l’espèce humaine – que l’on parle d’immortalité, de cryogénie, d’implants cérébraux ou de conquête de Mars – vient aussi, en partie, de cette synthèse entre psychédélisme et innovation.

Et si Leary n’en est sans doute pas l’unique instigateur, il est par son aura et la synthèse exposée plus haut l’un des catalyseurs de cette pensée.

  • 🔄 Aparté. Pour certains, le fantasme de la Nouvelle Race s’est éteint naturellement avec les déconvenues de la bulle des dot-coms à l’orée des années 2000 [📄]. La fin de l’euphorie pour les Autoroutes de l’information, la faillite de Boo.com et le retrait massif des investisseurs du secteur des technologies connectés à partir de 2001-2002 auraient eu la peau des fantasmes de changement du monde par la technologie. On peut quand même se demander si quelques cendres de ce rêve ne sont pas restées chaudes et n’ont pas été ravivées – sous une forme sans doute encore plus capitalistique – par le Web 2.0, puis par Elon Musk et quelques autres. Il y a multitude de lectures sur ce sujet.

Pour la petite histoire, parmi les écrits tardifs de Leary autour de la culture électronique, on trouve également quelques apologies du cybersexe – un L’érotisme numérique paru dans Hustler en 1985 notamment – qui font l’éloge de la fusion de l’esprit et de la technologie jusque dans la libido et l’acte sexuel. Et on repensera forcément à J.G. Ballard et ses dérives érotiques automobiles. Vous voyez, tout se recoupe !

🤖 Cyberculture

Quoi qu’il en soit, la chronologie des “races” de Timothy Leary montre une chose : une antinomie marquée entre les générations.

blade runner 2047, movie, dystopian city, rain | Stable Diffusion
Ouais, ouais, Blade Runner… putain de cyberpunk.

La posture de J.G. Ballard dans Crash! et son “we [are] living in an enormous novel” sont sans ambiguïté. L’auteur britannique déplore la place prise par la technologie dans l’imaginaire humain, dans la vraie vie et critique la société industrielle et publicitaire [📄] qui s’étend un peu partout à la charnière des années 70. Le mouvement Cyberpunk n’est pas plus ambigu : lire William Gibson ou Neal Stephenson, ce n’est pas plonger dans la promesse d’une société meilleure. Derrière les exploits du hacker – de l’homme hybride intégré, fusionnant avec la technologie, vanté par Leary – il y a la peinture d’une société dystopique et la soumission d’une population entière à une dictature technologique froide. Les univers visuels que Ridley Scott mettra en place pour son Blade Runner [🎥] en 1982, s’ils ne sont pas du goût de tous les auteurs et instigateurs du mouvement, sont sans ambigüités sur le futur sombre que la technologie nous réserve.

Si le héro cyberpunk fusionne avec la technologie, ce n’est pas par choix : c’est parce que c’est le seul moyen de s’affranchir – paradoxalement – de sa domination.

Dans la généalogie de Leary, on pourrait considérer la vague hippie, même si elle est de très courte durée, comme un intermède positif entre deux autres vagues de critiques de la société – entre la posture cynique des Beats et celle clairement rebelle du cyberpunk. Les hippies croient en une société meilleure, portée par le psychédélisme, l’amour, les drogues. Beats et cyberpunk ne croient eux pas en une société meilleure.

La cyberculture qui émerge du terreau cyberpunk au tournant des années 1990, c’est à dire l’ensemble des fantasmes portés principalement par le développement du réseau Internet et des outils numériques – on parle alors déjà de réalité virtuelle, de bibliothèque universelle, voire de connectivité permanente – est la réponse positive au cyberpunk. La version numérique du monde hippie, portée d’ailleurs par de nombreuses personnes issues de la culture hippie.

La planète cyber de Guédon Jean-Claude | Achat livres - Ref RO80241198 -  le-livre.fr
Véritable petite bible cyber francophone, portée par Canal+ en 1996.

En consultant les livres de l’époque, et surtout ceux destinés au grand public, on se rend bien compte que les critiques, ou les craintes, à l’égard de ce nouvel environnement qui n’est pas encore digital – il est alors cyber- – sont bien maigres. Prennent le dessus les opportunités liées au partage d’information et à la connectivité permanente, et surtout le fait que chacun puisse devenir un citoyen agissant d’une sorte de démocratie numérique, à part égale de tous les autres. C’est un gigantesque espoir qui plane alors :

« [L’Internet] ouvre ainsi la perspective d’une appartenance réelle à la planète bleue comme le chemin de fer a renforcé la possibilité d’une appartenance nationale. Appartenance ni défensive, ni offensive, mais plutôt garante de la constitution de cette machine perpétuelle qui pourrait enfin porter le beau nom d’humanité. Au total, aucune fatalité autre que celle du changement n’attend le citoyen du cyberespace. Et les directions adoptées dépendent seulement de chacun d’entre eux, car ce citoyen ne peut être passif.

Naïveté ? Idéalisme ? Universalisme déplacé ? Cosmopolitisme dangereux ? Bien sûr ! Tout cela est pire encore ! Il faudra penser la différence différemment, certes. Et réitérer sans cesse la prééminence nécessaire de la communication pas rapport à l’information. Ainsi pourra-t-on souligner à quel point devise de la Internet Society est juste : “Internet is its own revolution”, proclame-t-elle, ce que l’on pourrait traduire par "l’Internet, c’est la révolution dans la révolution". »

Dans ce La planète cyber [📖], signé Jean-Claude Guédon et sorti en 1996 pour soutenir la première Nuit Cyber de Canal+, on vante alors la révolution technologique en cours. La rapprochant même de la révolution du chemin de fer qui a transformé l’Europe au XIXe siècle. Alors que les trains, et les moyens de transport rapides d’une manière générale, ont diminué la perception des distances et élargi les horizons au cours de la révolution industrielle, le Net tel qu’il s’imagine alors va simplement abolir l’espace et rendre n’importe quelle connaissance, personne, endroit du globe, instantanément joignable. Le cyber- est alors la promesse de l’ubiquité et de la proximité universelle.

  • 🔄 Aparté. Jean-Claude Guédon appuie cette réflexion sur un autre livre que je vous conseille : L’Invention de la Vitesse de Christophe Studeny qui revient justement sur ce qu’a apporté aux communautés européennes la révolution des transports aux XVIIIe et XIXe siècles.

Critique : eXistenZ, de David Cronenberg - Critikat
Je vous l’avais dit qu’on reparlerait de David Cronenberg

Dans ce paysage idyllique, les inquiétudes – si elles demeurent – restent un héritage de la génération cyberpunk, comme les mondes connectés et instables de Neal StephensonL’Âge de Diamant [📖], mais surtout Le Samouraï Virtuel [📖] – ou, encore, la connexion gênante, voire malsaine, dépeinte par David Cronenberg dans eXistenZ [🎥].

👩‍🚀 Et après ?

Timothy Leary meurt en 1996. Il n’aura ni pu assister à l’avènement de sa Nouvelle Race, ni prédire les générations qui lui succèdent, même si on peut imaginer qu’il voyait dans celle-ci l’aboutissement ultime de l’évolution humaine.

On pourrait toutefois émettre l’hypothèse que les successions de générations ne se sont pas arrêtés là : aux réalistes et aux quelques pragmatiques qui ont affronté l’effondrement de la bulle Internet à la charnière des années 2000, aurait très vite succédé une autre génération de techno-béats – portée par le Web 2.0 et surtout les approches capitalistes de la Silicon Valley – portant haut le flambeau de la technologie et la croyance en homme nouveau, hyper-connecté et augmenté. Une génération promouvant le Metavers et les implants cérébraux et pas totalement dissonante avec certains des écrits de Timothy Leary. La prolongation de cette Nouvelle Race, peut-être seulement un peu plus… radicale. Et puis ? Et puis l’émergence, à nouveau, d’une génération techno-critique. Voire volontiers utopiste, qui en répétition des mouvements hippie et cyberpunk et portée par l’urgence de la crise climatique prône un recul face aux abus du tout-technologie.

Comme si tout cela avait un air de déjà-vu ?

Je vous laisse gamberger là-dessus ?

17.05.2024 à 07:25

📖 Une Autre Histoire | Cybernetruc #18

François Houste

On parle d'imaginaires, et du besoin de les réinventer. On parle d'Aristote, d'Alice Zeniter, d'Ursula K. Le Guin, de loups et de vers de terre, d'hommes préhistoriques et de paniers. Vous venez ?
Texte intégral (7232 mots)

Cybernetruc explore nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque édition, on divague, on digresse et… on n’a pas forcément les réponses. Vous êtes désormais plus de trois cents – wahoo! –à lire cette aventure écrite. Bonne lecture ! 

La plus ancienne scène de chasse a 44.000 ans - Sciences et ...

Cela commence, comme souvent, en lisant quelques lignes d’un livre, et cela part ensuite dans beaucoup de directions. Ce n’est pas grave. Et si au passage vous souhaitez lire cette lettre en écoutant du Jean-Jacques Goldman, ne vous gênez surtout pas. 😉

🧺 Fiction

Cela commence donc, comme je le disais, avec une lecture. Celle du Je suis une fille sans histoire d’Alice Zeniter, conseillée par je ne sais plus qui – par @norev, j’ai retrouvé entre deux relectures de ce brouillon – sur Mastodon suite au partage de quelques autres extraits et conseils de lecture. Le texte – c’est un texte plus qu’un livre – d’Alice Zeniter est riche et érudit, bourré de notes de bas de page, de monologues intérieurs et de références croisées. Bref, tout ce que j’aime. Un texte plus qu’un livre, puisqu’Alice Zeniter nous y parle et converse clairement avec nous sur une centaine de pages.

Alice Zeniter parle, dans une grande partie de son texte, de la structure du récit. C’est à dire de l’ensemble des règles qui définissent ce qu’est une bonne – captivante, passionnante, intrigante – histoire et ce qu’est une mauvaise – maladroite, bancale, ennuyeuse – histoire. Et ça tombe bien, parce que les manuels de construction d’histoires ont été l’une de mes principales lectures sur ce début d’année, pour plein de raisons. Et la grande majorité de ces manuels l’explique, la structure idéale d’un récit n’a pas changé depuis, pfff, au moins Aristote : une situation initiale, un élément déclencheur, une quête, un climax, une situation finale (remplacez ces mots par les vôtres en fonction de votre école de pensée ou de la dernière méthode que vous avez lue). À pas mal de variations près, à mesure que chacun des auteurs de méthode apporte sa touche personnelle à la Tragédie aristotélicienne, c’est toujours plus ou moins la même chose…

Alice Zeniter cherche l’origine de cette structure active du récit. Qu’est-ce qui fait que depuis si longtemps, on privilégie cette action à tout autre forme d’histoire ?

Enfin, elle ne la cherche pas longtemps car elle a déniché une réponse à sa question bien avant d’entamer sa propre écriture : chez Ursula K. Le Guin, dans un article datant de 1986, The Carrier Bag Theory of Fictionla Théorie de la Fiction-Panier en bon français. Ursula Le Guin y évoque l’origine des récits humains.

Tentons de faire court, même si l’article évoqué ici n’est pas bien long – vous pourrez toujours le lire en intégralité quand vous le souhaiterez : On peut faire remonter les premières traces de récit à la préhistoire. L’art pariétal est un récit, une histoire, une fiction… même s’il peut dépeindre une action qui s’est réellement déroulée. C’est d’ailleurs en partie l’introduction d’Anne Zeniter : ce que nous ne vivons pas directement est fiction. Donc, même les souvenirs de vacances de votre Directeur bien aimé sont, pour vous, une fiction. Une histoire. Un récit. Ursula K. Le Guin le constate, ces fictions préhistoriques sont marquées par la chasse. La chasse au mammouth ou à d’autres animaux. On en retrouve maints témoignages dans les grottes de par le monde.


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La pré-histoire selon Kubrick (analyse de 8mn30 - prologue de "2001,  l'Odyssée de l'espace") - fredericgrolleau.com
Attention, l’os va devenir vaisseau spatial !

Or, la majorité des scientifiques spécialistes des débuts de l’ère humaine s’accordent sur un point : 65% à 80% de la nourriture des hominidés préhistoriques devait être constituée de végétaux, de graines, de racines, de baies, de feuilles, etc. Dans ce cas, alors que cet être humain émergeant se nourrissait majoritairement de graines et de fruits, pourquoi ne garde-t-on dans notre imaginaire que la chasse au mammouth ? Et, collatéral, pourquoi Hollywood associe-t-il la naissance de l’humanité – au sens apparition des caractéristiques qui font de nous des humains – à cet os qui vole dans le ciel et devient un arme ?

Cette seconde question étant coquinement formulée par Ursula K. Le Guin elle-même dans son article.

  • 🔄 Aparté. On ne va pas faire un article entier sur la préhistoire, rassurez-vous. Mais on clôturera cette discussion sur la vision fictionnelle de l’homme préhistorique par deux transgressions :
    1️⃣ - les premiers “inventeurs” de l’humanité ont sans doute été des “inventrices”. Ursula K. Le Guin se base pour expliquer cela sur les écrits d’Elizabeth Fisher et sa constatation que la première invention humaine n’est certainement pas une arme, mais plutôt un “panier” permettant de rapporter graines et fruits au camp. Mais de cette invention, et de ces inventrices, nulle trace sur les murs des grottes...
    2️⃣ - cette citation, non totalement confirmée mais attribuée à Margaret Mead : “Le premier signe de civilisation dans une culture ancienne était un fémur cassé puis guéri.” [📰].

❓ Questions

Retour au présent. Des propos d’Alice Zeniter, on retient donc deux questions.

  1. La première pourrait être formulée de la façon suivante : Comment sortir des imaginaires violents et conflictuels du chasseur ?

  2. La seconde, complémentaire, serait : Comment assurer une diversité, ou plutôt une représentativité des récits ?

La première question aurait trait à ce que l’on raconte, et la seconde à qui le raconte.

Que dit-on et qui parle ?

Vaste débat.

🗿 Représentation

On va commencer par la seconde question si vous voulez bien. Qui parle ? donc.

Cette question de la prise de parole dans la fiction – ou plutôt de la représentation, puisque seul l’humain peut prendre directement la parole par la fiction, à notre niveau de symbiose actuel en tout cas – on va donc l’aborder sous l’angle du non-humain. Avec un enjeu est de taille : celui de définir, d’instaurer, d’initier de nouveaux imaginaires et de nouveaux types de récit au-delà de la traditionnelle représentation humaine. Faire parler les animaux, les écosystèmes, la planète, la nature…

  • 🔄 Aparté. Pour ce qui est de la représentativité de cette même nature dans le débat public, on se tournera vers l’excellent Qui Parle ? (pour les non-humains) signé Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós, paru en 2022 et qui pose bien des bases à cette réflexion. Pour la suite de cette lettre, on restera dans le domaine de la fiction.

Pourquoi initier ces nouveaux types de récits ? Parce qu’on voit bien que la vision anthropo- et techno-centrée des récits actuels, pour distrayante qu’elle reste, pose problème et ne répond plus forcément aux défis planétaires à venir.

On l’évoquait dans la dernière lettre Cybernetruc, [🚀 Nostalgie] en janvier dernier, en abordant les limites des genres solar- et hope-punk. À quelques exceptions près, ces récits ne font bien souvent pas leur deuil de la technologie ou de la violence, même s’ils s’y essaient souvent. Ils masquent le moment de bascule entre notre monde actuel – capitaliste et technotrophié – et le monde idéal et plus naturel qu’ils entendent dépeindre. Une bascule faite en général de conquête spatial et d’exil du capitalisme, à l’image de celle décrite dans les romans de l’âge d’or de la SF américaine.

On réagira en arguant que la littérature n’a pas à trouver des solutions aux problèmes du monde. Et c’est vrai. Mais le trou d’air d’imaginaires reste-là et par de nombreux aspects, les écrits les plus transgressifs de la littérature positive gardent une foi très forte en la technologie et une teinte, disons, assez nostalgique. Et surtout, s’ils présentent un univers tenté par la préservation de l’environnement, ils ne donnent jamais la parole à l’autre. Le non-humain, l’animal, le végétal, la nature. Et ne renouvellent pas totalement nos imaginaires, notre façon de penser, de raconter, d’écrire.

  • 🔄 Aparté. Petite précision : vous l’avez compris, je n’aborderai pas ici la question de la prise de parole féminine, ou de celle des minorités, dans la fiction. Pourtant, dans les deux textes évoqués plus haut, Alice Zeniter de Ursula K. le Guin s’emparent très bien du problème de la surreprésentation masculine dans le récit traditionnel : à quel point la surpondération du conflit – mais ça on va y revenir – permet de faire vivre les récits dans un imaginaire quasi-exclusivement masculin. Indépendamment, finalement, du genre des personnages.
    Si vous êtes en mal de lecture sur ces sujets, penchez-vous au passage sur
    Le Futur au pluriel : réparer la science-fiction de Ketty Steward paru en 2023 qui lui aussi aborde la question de la représentativité.

🐺 Animal

Mais revenons à la nature.

Croc-Blanc, le retour sur grand écran du canidé en 3D
Croc-Blanc, dans sa version animée de 2018

Ma culture générale n’allant pas assez loin pour identifier des récits transposant la vie d’un végétal – même si j’imagine bien que quelques histoires d’arbres doivent exister – j’ai cherché quelques histoires mettant en scène des animaux, en laissant de coté pour l’instant les livres pour enfant et les documentaires. Les premier récits écrits qui viennent en tête, on les trouve du côté des classiques : du côté de Jack LondonCroc Blanc, L’Appel de la Forêt –, sans doute un peu de Ruyard Kipling et de son Livre de la Jungle ou encore de Bernard Werber et de ses Fourmisoui, mes imaginaires datent peut-être un peu.

On pensera également, du côté de la science-fiction, à Vernor Vinge, décédé récemment, et à ses loups à l’esprit de meute dans Un Feu sur l’abîme. Des récits qui, sans trop de mal, nous transposent dans cet univers animal que nous recherchons et ouvrent – ouvraient en tout cas au moment de leur première publication – à de nouvelles représentations.

Ils gardent toutefois le défaut de tirer parfois un peu la corde de l’anthropomorphisme, et de conserver, souvent, cette structure de récit classique et conflictuelle : oui, les chiens et les loups de Jack London nous semblent réalistes et nous projettent dans une réalité animale. Mais dans une réalité façonnée autour du conflit et de la survie qui n’est pas sans rappeler l’imaginaire du chasseur que l’on évoquait plus haut. Encore une fois, une réalité tragique.

Attention, je ne dis pas qu’il n’y a pas de conflits dans la nature. Je dis que ceux-ci sont surreprésentés dans la fiction, y compris quand celle-ci est inspirée de la nature !

  • 🔄 Aparté. Un parallèle, au passage : rares également sont les récits de science-fiction dans lesquels les robots s’incarnent sans prendre les travers humains d’agressivité et de goût du conflit. C’est qu’on garde en tête que les robots ne veulent qu’une seule chose : devenir humain.
    Bon, blague à part, on gardera peut-être en tête quelques écrits de
    Becky Chambers (encore) et de Roger Zelazny, à relire et à confronter à cette idée.

🎭 Tragédie

On en revient à ce qu’évoquait Romain Lucazeau dans le n°9 de Metal Hurlant à propos des futurs désirables et du rôle distrayant de la science-fiction :

« Ce qu’on cherche dans la littérature, de mon point de vue, c’est d’être bousculé, chamboulé, transformé, toucher des choses qui sont hors de notre cadre conceptuel. Et si on entend, par la description d’une utopie dans un texte littéraire, être rassuré ou se sentir bien, je pense qu’on loupe complètement ce qui fait l’intérêt de la littérature. C’est autre chose que de la littérature : c’est le « feel good », le confort, le fait d’être détendu, le fait d’être relaxé. Il y a l’ostéopathie pour ça. » – Romain Lucazeau

Romain Lucazeau est caricatural dans cette interview, mais on peut considérer qu’il s’agit aussi pour lui d’un exercice de style : incarner le bad-guy de la SF française dans un numéro du magazine qui pose clairement la question de l’utopie et de la dystopie. Il pointe toutefois un fait qui semble établi pour nombre scénaristes depuis… Aristote : pas d’histoire sans combat ni douleur. Et l’utopie, désirable par essence, ne véhicule malheureusement aucune douleur.

Le ver de terre, un paradoxe vivant | Radio-Canada
Tragique, la vie des vers de terre ?

Et ce “travers” – je prends des pincettes – semble universellement établi. Pour démonstration, j’ai demandé à ChatGPT, grand révélateur des travers universels, de me conter la journée d’un pie, d’un ver de terre ou d’un brin d’herbe. L’exercice vaut ce qu’il vaut, mais il est intrigant, et il répond à la première question du Qui parle ? que l’on se posait plus tôt. Le résultat est sommes toutes assez banal.

Voici pour le ver de terre. Je vous épargne la journée entière, ainsi que celle des autres animaux :

La nuit tire à sa fin et le sol se réchauffe doucement sous les premiers rayons du soleil. C'est le moment pour moi de commencer ma journée. Je quitte ma galerie souterraine, remontant à la surface pour me nourrir et accomplir mes tâches quotidiennes. […]

Aujourd'hui, je me sens chanceux. Les conditions météorologiques sont idéales, la terre est souple et facile à creuser. Je m'active donc à la recherche de nourriture, me nourrissant de matière végétale en décomposition, contribuant ainsi au cycle naturel des nutriments.

Tout en me déplaçant sous terre, je ressens les vibrations du monde au-dessus de moi. Les pas des animaux qui parcourent la surface, le doux bruissement des feuilles agitées par le vent... Ces sensations me tiennent informé de ce qui se passe dans mon environnement. […]

ChatGPT s’excuse d’ailleurs de la mièvrerie et de la banalité du récit, le temps d’une simple phrase de conclusion. Les mêmes excuses sont formulées à la fin de l’histoire du brin d’herbe :

Ma vie peut sembler simple, mais elle est essentielle à l'équilibre de cet écosystème. En tant que humble ver de terre, je joue un rôle crucial dans le maintien de la fertilité du sol et la santé des plantes qui s'y enracinent. 

Mais, poussant le vice un peu plus loin, j’ai voulu savoir comment réagirait mon ver de terre ou mon brin d’herbe face à la pollution engendrée par l’activité humaine. Bien entendu, la vie est plus dure, mais… :

Pourtant, malgré tous ces obstacles, je refuse de baisser les bras. Je suis un combattant né, une créature de la terre, et je suis déterminé à survivre. Je creuse, je me faufile à travers la terre empoisonnée, à la recherche du moindre fragment de matière organique.

Je suis conscient que ma survie est menacée, mais je refuse de céder à la fatalité. Je suis un humble ver de terre, mais je suis aussi un symbole de résistance, un rappel de la force de la vie même dans les conditions les plus hostiles. Tant qu'il me restera un souffle de vie, je continuerai à me battre, à creuser, à survivre.

On passera rapidement sur le fait qu’un ver de terre ne baisse pas les bras – oui, bon, voilà… – pour se dire qu’on retombe tout de même bien vite dans les travers du récit que l’on évoquait plus haut : le combat, le conflit, la résilience.

Le ver de terre ne meurt pas quand le sol est pollué et que la sécheresse s’abat sur son territoire. Non, non. Il se bat, il affronte cette adversité et compte bien survivre. Inconsciemment – oui, ChatGPT n’a pas de conscience – reproduit bien les schémas du récit traditionnel. C’est dire si le modèle du récit-chasseur est établi.

On n’en sortira pas si facilement semble-t-il, si demain les intelligences artificielles nous racontent des histoires pour nous endormir.

  • 🔄 Aparté. Les documentaires n’échappent pas non plus à ce besoin de drama, loin de là. Rares sont les documentaires animaliers dans lesquels l’animal-star ne risque pas sa vie. Yves Lavandier, dans son Construire un récit applique au documentaire les mêmes règles de construction et d’écriture qu’à n’importe quelle fiction : un protagoniste, des obstacles, etc.

🌳 Imaginaires

Il en existe pourtant des récits sans conflits. Sans conflits ne voulant pas dire sans évolutions, sans voyages ou sans histoires. Loin de là.

Ursula K. Le Guin (1929-2018) – SCRiiiPT
Ursula K. Le Guin (1929-2018), parce que c’est une belle photo pour finir une lettre.

« J’ai dit qu’il était difficile de faire un récit captivant en racontant comment nous avons arraché les graines d’avoine sauvage de leurs enveloppes, je n’ai pas dit que c’était impossible. Qui a jamais dit qu’il était facile d’écrire un roman ? » – Ursula K. Le Guin

On repense à Becky Chambers et à son Psaume pour les recyclés sauvages, ou on vous conseille l’Horizon de Didier Lesaffre, une nouvelle parue dans le septième volume du toujours très bon Novelliste et qui, si elle n’est pas centrée sur la vie animale, ne raconte ni le combat, ni le renoncement. Seulement la vie. Des récits par ailleurs passionnants, agrippants, qui se contentent – oui, le terme est malheureux – de suivre leur cours sans y ajouter de drama ou en surpondérer les combats. Des récits qui changent nos horizons, nos idées, nos imaginaires.

  • 🔄 Dernier aparté. Depuis quelques semaines, la Cité Européenne des Scénaristes se penche sur la façon dont l’écriture peut influer sur les imaginaires et la politique. Une série d’articles signée Pauline Mauroux (Tchik-Tchak sur Substack) que je recommande tout particulièrement.

Des récits qui répondent aussi, parfois, à notre besoin de plus en plus flagrant d’horizons, de diversité, de solutions et d’espoir. À notre besoin de ré-imaginer le monde et de sortir de l’imaginaire du combat et de l’appropriation.

Qu’est-ce qu’on attend, bordel, pour les écrire et les transmettre ?

Je vous laisse gamberger là-dessus ?

22.01.2024 à 07:25

🚀 Nostalgie | Cybernetruc #17

François Houste

Si on parlait de nostalgie et de la façon dont elle irrigue nos imaginaires technologiques ? En invoquant cette fois Peter Fonda, Claude Sautet, André Courrèges et encore Metal Hurlant.
Texte intégral (7614 mots)

Cybernetruc continue d’explorer nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcément les réponses. Vous êtes désormais plus de deux cents vingt à lire cette aventure. Bonne lecture ! 

We're Really Into the The Jetsons's Space Age Style Right Now |  Architectural Digest

Des [🎥], [📗] ou [📰] ? Cliquez, ils vous emmèneront vers de petites madeleines ou des compléments d’information.

🌄 Utopie

Tout cela démarre par une lecture : Solarpunk [📗]. Un recueil de quelques nouvelles, premier ouvrage édité par Copie Gauche [💻], un éditeur normand qui entend défendre une approche raisonnée et responsable du monde de l’édition. Solarpunk entre dans la mouvance récente du Hopepunk, de l’utopie, de la science-fiction positive : un courant littéraire qui s’oppose ouvertement aux dystopies traditionnelles de la SF – et de son composant le plus emblématique, le Cyberpunk [🎥] – pour dépeindre un monde dans lequel les relations entre l’homme et son écosystème, sa planète, sont apaisées. Si vous souhaitez des exemples concrets de romans qualifiables d’Hopepunk, allez donc voir du côté des Becky Chambers [📄] – dont, oui, le Psaume pour les recyclés sauvages [📙] fait un bien fou – et Kim Stanley Robinson [📄] – dont vous aborderez alors Le Ministère du Futur [📗].

La mouvance Hopepunk a fait énormément parler d’elle ces derniers mois. Simple effet de mode ou tendance de fond, ce type d’imaginaire positif ne laisse pas grand monde indifférent. À titre d’illustration, Metal Hurlant – le magazine de bandes dessinées et d’imaginaire français ressuscité il y a quelques années – y consacre son dernier numéro [📘] en posant cette question : le futur était-il mieux avant ?

Entre de nombreux récits illustrés, on trouve là une interview de Kim Stanley Robinson himself qui insiste sur la nécessité de faire émerger des imaginaires positifs, un dossier de Charles Knappek qui fait le tour des récentes publications du genre et une autre interview poil-à-gratter de Romain Lucazeau [📄] qui joue le rôle du bad cop de service. Pour lui, l’utopie est un pis-aller, la seule émotion littéraire/imaginaire possible passant par la description du cauchemar cyberpunk, dystopique, dérangeant et déroutant. C’est caricatural, oui. Mais Romain Lucazeau est manifestement au sommaire de Metal Hurlant pour ça.

Entre le besoin d’espoir et le besoin d’émotions, chacun choisira donc son camp.


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🚀 Berceau

Mais revenons à Solarpunk. Parmi les cinq nouvelles du recueil, on retiendra tout d’abord la très belle description d’un Bangkok sous les eaux dans le Entre les décombres de Lucie Heiligenstein [📄], un aperçu humain et vibrant de ce que c’est de vivre, simplement vivre, dans le monde d’après le dérèglement climatique. Mais on s’interrogera surtout sur deux nouvelles : Révolution permanente, signée Loïc Buczkowicz et Transmissions de Colin Vettier [📄] ont un point commun. Elle décrivent un monde duquel la technologie n’a pas disparu mais où celle-ci sert désormais l’humanité et la préservation de nature de manière juste et équitable.

Ainsi, dans Révolution permanente, des zones interdites de la Terre dans lesquelles la nature reprend doucement ses droits sont surveillées par des robots et des intelligences artificielles chargés de veiller à leur équilibre. Dans Transmissions, la technologie est plus discrète et la vie décrite ressemble plus à celle d’une communauté hippie de la fin des années 1960 [🎥] – tiens, on y reviendra. Dans ces deux nouvelles, aux univers assez proches, le recours – retour ? – à une technologie responsable n’est dû qu’à seule raison : le départ pour l’espace de l’élite capitaliste de la planète. Celle-ci s’est embarquée à bord de fusées que l’on imagine gigantesques pour, au choix, aller exploiter les autres planètes et leurs richesses minières, ou échapper à la catastrophe climatique et attendre un temps que la Terre se régénère.

  • 🔄 Aparté. L’élite qui s’isole pour échapper au chaos ? Décidément, on y revient souvent : Michel Jeury toujours dans ses Écumeurs du Silence dont on parlait dans le dernier numéro de Cybernetruc, ou Michael Moorcock dans son Navire des glaces [📘].

Les robots et l'empire

Un imaginaire de la fuite qui n’est pas sans rappeler – et je suis bien obligé d’y revenir – l’âge d’or de la SF américaine et les différents cycles d’Isaac Asimov, et notamment cette transition mise en scène dans Les Robots et l’Empire [📙] pour laquelle la destinée de l’Homme est de partir à la conquête de l’univers et d’y continuer son expansion, et pour cela de sacrifier lentement la Terre et toutes ses possibilités de vie. Tous les joueurs de Civilization [🎮] le savent bien : “La Terre est le berceau de l'humanité, mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau” (Constantin E. Tsiolkovski [📄]).

L’une des bases de ce Solarpunk est donc là : non pas dans l’abandon ou la modération de la technologie comme on pourrait le croire – encore, que chez Becky Chambers la notion de modération est plus présente – mais plutôt dans une conquête sans fin du progrès qui permettrait, fort heureusement, de finalement laisser un répit à la planète Terre, voire d’en faire un laboratoire d’expérimentation politique pendant que le progrès continue son chemin à travers les étoiles. Une sorte de version positive du futur long-termiste – et oui, de celui d’Asimov à quelques différences près – dans lequel la Terre doit périr pour que l’Humain perde enfin ses attaches et s’épanouisse dans la conquête de l’Univers. Ajoutez ici un air symphonique [🎺].

Ici, par le biais de cette technologie heureuse, on en arrive à se demander si ce Solarpunk ne serait pas, quelque part, la première incarnation d’une sorte de nostalgie du progrès.

Et cette idée de nostalgie mérite qu’on s’y attarde un peu plus.

🕶 Nostalgie

Pour parler un peu plus de Nostalgie, nous allons nous tourner vers Simon Reynolds [📄], journaliste et critique musical britannique, auteur d’une jolie petite bible nommée Retromania [📘]

Rétromania

Difficile de résumer tout le propos de Retromania en quelques lignes. Et pourtant, on va tenter le coup… Dans les plus des 400 pages de ce pavé, Simon Reynolds ne se pose qu’une seule question : au tournant des années 2000, est-ce que la musique a perdu toute créativité et n’est plus qu’un éternel regard nostalgique sur le passé ? Pour démarrer ce constat, il se base notamment sur différents mouvements technologiques autour de la musique : le piratage [💻] du début des années 2000 et à sa suite le streaming qui a mis à disposition de tout un chacun des sommes musicales colossales. Est-ce qu’aujourd’hui notre consommation musicale s’est détournée de la créativité ? Et est-ce l’industrie musicale elle-même a tournée le dos à cette même créativité pour ne voir que les bénéfices faciles de compilations à outrance ?

Courrèges Le révolutionnaire de la mode
André Courrèges dans son atelier de création en 1966 | Photo Manuel Litran

C’est bien entendu plus compliqué que cela. Dans le chapitre 6 de Retromania, Simon Reynolds essaie par exemple de savoir quand les mondes de la musique et de la mode ont cessé d’innover et à commencer à recycler, maladivement, les tendances du passé. Il situe cela à la charnière des années 1966-67, quand dans les rues de Londres les robes Courrèges et Paco Rabanne ont laissé la place aux vêtements chinés dans les marchés de Soho et de Carnaby Street. Citation :

« Au fil de l’exposition, je décelai une transition survenant vers 1966-67. Presque du jour au lendemain, la dimension futuriste s’évanouit intégralement. Ce tournant paraissait d’abord subtil, comme ce modèle de Mary Quant inspiré des tenues des gouvernantes de l’entre-deux-guerres. Mais l’avènement du psychédélisme vit les jeunes adopter un style étranger à la modernité et au monde occidental industrialisé. La grammaire de la mode de la fin des années soixante relevait soit de l’exotisme temporel (influences victoriennes, édouardiennes, des années vingt et trente), soit de l’exotisme géographique (idées prélevées au Moyen-Orient, en Inde ou en Afrique). »

À partir de cette date, l’auteur se livre à un voyage dans le temps pour identifier l’ensemble des signes de cette nostalgie qui va envahir petit à petit l’ensemble du paysage musical anglo-saxon : du Trad Jazz au Rare Soul, jusqu’à la vague rétro des années 80 et les reprises des morceaux sixties par Softcell [💿]. Et cetera. Et cetera.

L’ouvrage mérite largement d’être parcouru pour l’exploration sans faille de la musique qu’il est, et pour ce voyage à travers la nostalgie musicale qui évoque bien des choses.

  • 🔄 Aparté. Tiens, pour compléter la question de la nostalgie musicale et de son marché, on pourra s’atteler à la lecture des derniers chapitres de l’histoire des Beatles par Frédéric Granier [📙]. L’auteur y détaille la façon dont s’est construit l’héritage, et surtout l’histoire désormais officielle des Fab’Four, gommant petit à petit Pete Best [📄] et Stuart Sutcliffe [📄] de l’iconographie officielle, et lissant les conflits et dissentions internes du groupes.

🏜 Espaces

Mais c’est quoi au juste la Nostalgie ? Le plus simple, c’est d’ouvrir un dictionnaire. Au hasard les Trésors de la Langue Française Informatisée [💻] disponible en ligne qui entre de multiples interprétations du terme nous lâche :

Regret mélancolique d'une chose, d'un état, d'une existence que l'on n'a pas eu(e) ou pas connu(e).

Et c’est là que cela devient intéressant : on peut très bien être nostalgique d’une chose que l’on n’a jamais éprouvé. D’un fantasme, d’une idée, d’un rêve ou d’une époque. La publicité par exemple le démontre très bien, faisant de la nostalgie un levier fort de sa narration. Un exemple : l’une des dernières campagnes du constructeur automobile Renault, pour son modèle Megane E-Tech.

Le film, assez long et qui a dû coûter son poids de lithium en droits divers, met en scène le conducteur d’une Megane E-Tech. Rien de bien fou. Mais attendez… Dans son périple de quelques minutes, ce conducteur va tout d’abord dépasser Peter Fonda et Denis Hopper, tous droits sortis d’une scène d’Easy Rider [🎥] – j’avais promis d’y revenir – et faire quelques kilomètres avec eux. Jusqu’à ce que ceux-ci s’arrêtent à une station-service pour faire le plein de leurs bécanes. Le conducteur Renault, lui, n’a pas besoin de faire le plein. Il roule en électrique, malin qu’il est. Ce qui lui permet de continuer sa route et de croiser un peu plus loin le chemin de Thelma et Louise [🎥], autres fameux personnages de road-movie américain. Elles aussi feront le plein plus loin, laissant Jean-Michel Renault profiter de cette liberté que seule une Renault Mégane E-Tech peut lui offrir. Grand espace. Désert. Packshot. Sourire nostalgique sur le visage du téléspectateur.

En séquence, cela donne cela :

Voilà donc à quoi ressemble la nostalgie publicitaire aujourd’hui. Et elle colle parfaitement à la définition retrouvée dans le TLFi : le regret mélancolique d'une chose, d'un état, d'une existence que l'on n'a pas eu(e) ou pas connu(e).

Car, convenons-en, peu des conducteurs actuels - et mêmes futurs - de Renault Megane E-Tech doivent avoir connu les grands espaces américains, les trips au LSD [🎥] ou Brad Pitt dans sa prime jeunesse [📰].

  • 🔄 Aparté. De toutes façons, pour la publicité, les vieux, cela n’existe pas. Il n’y a que des Nolds [📰] ! Na !

💻 Internet

De là à se dire que l’on peut avoir de la nostalgie pour quelque chose qui n’a finalement jamais existé, il n’y a pas énormément de pas à franchir. Et c’est avec Lucie Ronfaut – toujours incroyablement pertinente – que nous allons franchir ces quelques pas.

Dans un numéro de sa lettre #Règle30 daté de l’automne dernier, Lucie Ronfaut évoque, entre autre, les fermetures successives des vieux services du Net (Omegle, Skyblog [💻], etc.) et la nostalgie qui accompagne souvent ces fermetures []. Vous partagez certainement ces mêmes sentiments : le Web, quand même, c’était mieux avant, plus libre, plus drôle, moins politique, moins polémique etc.

La lettre alerte tout de même sur les déformations de la réalité dont nous pourrions être les victimes :

« À une époque où plusieurs sites que l'on a connus et aimés ferment ou se détériorent, il est logique de regretter un temps où l'on s'amusait davantage en ligne. Quitte à oublier les nuances de nos quotidiens connectés d'alors. Je pense beaucoup à ce sujet depuis mon enquête sur les Skyblogs, il y a quelques années. À cette occasion, on m'a raconté des histoires tendres d'adolescence faite de GIFs pailletés et de police arc-en-ciel. J'ai aussi (re)découvert des affaires de cyberharcèlement et de violence en ligne, à peine modérées par la plateforme. »

C’est le double problème de la nostalgie : elle est à la fois un miroir déformant – qui peut garantir que ses souvenirs sont d’une exactitude exemplaire ? pas même un ministre de l’Éducation Nationale [📰] – et est forcément partiale et subjective. Notre nostalgie est peut-être le reflet déformé d’une réalité qui n’a jamais existé, et qui n’a jamais été vécue par la majorité des personnes. Et de conclure de manière implacable :

« Dans tous les cas, la question n'est pas de se demander si c'était mieux avant, ou même si c'était pire, mais ce qu'on regrette vraiment. Un web plus petit et moins dominé par les grandes entreprises n'est pas une protection magique contre la toxicité. Un web étrange où l'on riait davantage implique de réfléchir à qui appréciait cet humour, et qui en était éventuellement victime. Un web plus libre, mais pour qui ? On peut reconnaître que la violence s'est aggravée et a muté avec les outils technologiques, et aussi qu'elle a toujours existé sous d'autres formes. Peut-être que ce qui nous manque, finalement, c'est une époque où personne ne nous demandait de réfléchir à ces sujets difficiles. »

Voilà en tout cas de quoi réfléchir aux pièges tendues par la nostalgie.

  • 🔄 Aparté. On avait déjà abordé cette question, décidément passionnante, de la pluralité des Web, et de ce que vos souvenirs d’expériences en ligne peuvent ne pas être mes propres souvenirs, simplement parce que le Net n’est pas un tout mais une juxtaposition de multiples micro-communautés. C’était dans Il n'y a pas un web, il y a des Webs.

Mais revenons Solarpunk.

🚀 Fusées

La question des fusées dans une nouvelle de science-fiction est triviale. La SF se nourrit d’imaginaires, et l’exploration spatiale est un imaginaire populaire, vieux comme… au moins tout ça [📘]. Mais son utilisation dans un genre comme le Solarpunk ou le Hopepunk qui se veut porteur d’espoir est symptomatique. Symptomatique de la place qu’occupe toujours la technologie dans nos imaginaires.

En l'an 2000, Jean-Marc Côté – Florilèges
En l’an 2000”, imagier futuriste diffusé dans des boîtes de cigarettes à partir de 1899.

On voit régulièrement ressortir sur le Web cette série de cartes illustrées des années 1900 mettant en scène ce qu’on imaginait alors être l’An 2000 : des aéronefs individuels, des téléphones augmentés du cinématographe, des robots jardiniers ou encore des femmes de ménage automatisées [🖼]. Des visuels accompagnés soit d’un commentaire sarcastique – du style On nous avait promis des voitures volantes… [📰] – soit d’une remarque candide sur l’inventivité humaine et son envie intarissable de progrès.

La vérité révélée par ces images est peut-être un peu plus triste que cela. Comme on fantasme toujours Claude Sautet [🎥] et sa société de copains, de fumeurs et e voitures sans ceinture – et pourtant, j’adore les films de Claude Sautet –, on continue de fantasmer les voitures volantes et les fusées. On continue en fait de fantasmer un progrès et une technologie qui n’a pas évoluée depuis les nouvelles d’Asimov, d’Arthur C. Clarke et l’âge d’or de le SF américaine, celle des années 1950. Regardez donc les derniers postes des ambassadeurs du métaverse, de l’intelligence artificielle ou de la conquête spatiale sur LinkedIn. Ne fleurent-ils pas bon l’atomic-age ?

Mais… comment appelle-t-on des personnes qui n’ont pas changé de rêves depuis plus de 70 ans ? Comment appellent-on des personnes qui ne savent pas adapter leurs espérances à la réalité qui les entoure, aux changements du monde, de notre environnement, de notre société, de notre planète ? Comment appelle-t-on des gens qui veulent toujours coloniser Mars en dépit des limites planétaires ?

Quel autre mot utiliser que : nostalgiques ?

Peut-être serait-il temps de réaliser que les nostalgiques, ceux qui vantent le retour à un modèle passé et refusent d’évoluer, ne sont pas ceux que l’on croit.

Je vous laisse gamberger là-dessus ?

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09.01.2024 à 07:45

🏭 Infrastructure | Cybernetruc #16

François Houste

Fin du Net, où on commence par parler d'infrastructure et où on invoque William Gibson, François Truffaut et Genpei Akasegawa. Mais surtout, on s'entretient avec Sylvain Grisot, urbaniste circulaire.
Texte intégral (7829 mots)

Cybernetruc continue d’explorer nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcément les réponses. Vous êtes pratiquement deux cents à suivre cette aventure. Bonne lecture ! 

Vue nocturne du San Francisco Bay bridge de San Francisco
Vue nocturne du San Francisco Bay bridge de San Francisco

Des [🎥], [📗] ou [📰] ? Cliquez, ils vous emmèneront vers des compléments d’information.

🌉 San Francisco Bay Bridge

Dans Lumière Virtuelle [📘] – Virtual Light dans sa version originale sortie en 1993 – l’inventeur du Cyberpunk William Gibson [📄] décrit l’un des futurs possibles de la ville. Que ce soit une ville totalement livrée aux intérêts privés et à l’appétit sans-fin des multinationales, comme le sont Tokyo ou Los Angeles dans le roman, ou la ville livrée à elle-même entre ghettos et quartiers auto-gérés comme il imagine San Francisco quelques années après un grand tremblement de terre.

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C’est à San Francisco que se déroule la plus grande partie du roman, et plus précisément autour du San Francisco Bay Bridge [📄]. Faisant écho au tremblement de terre de 1989 [📄], Gibson imagine un univers dans lequel ce pont est devenu impropre à la circulation, remplacé par une série de tunnels construits en un temps record par des robots. Ayant perdu son usage premier, le San Francisco Bay Bridge n’est pas détruit pour autant : il sert de refuge à de multiples populations de la ville, démunis et précaires pour la plupart, qui y établissent leur logement à la façon d’un bidonville suspendu. On retrouve là l’imaginaire des ponts bâtis du moyen-âge européen [🖼]. Gibson l’explique : le pont est devenu un thomasson.

Mais qu’est-ce exactement qu’un thomasson ?

Le mot dérive du nom d’un joueur de baseball américain : Gary Thomasson [📄]. Joueur star des ligues américaines dans les années 1970, il quitte les États-Unis pour le Japon en 1981, recruté à prix d’or par les Yomiuri Giants. Mais voilà, Thomasson s’adapte mal au style de jeu japonais. En une saison, ses statistiques s’effondrent et malgré l’argent investi par le club pour son recrutement, le joueur star reste la plupart du temps sur le banc des remplaçants. Gary Thomasson devient une sorte de décoration de luxe, et s’il porte encore le maillot de son équipe, il ne joue plus.

Il a, comme le San Francisco Bay Bridge de William Gibson, perdu son usage.

On doit l’usage du terme thomasson à l’écrivain japonais Genpei Akasegawa [📄] qui l’utilisera pour désigner tous ces petits bouts de bâti urbain qui ont perdu leur fonction lors d’un réaménagement de la ville : escalier ne menant plus à aucune porte, portail placé dans une rue ouverte, bretelle d’accès ne menant à aucune route.

Pont ne permettant plus de traverser la moindre baie.

Un escalier abandonné. Inspiration pour les thomassons de Genpei Akasegawa.
Un escalier abandonné. L’un des thomassons-types de Genpei Akasegawa.
  • 🔄 Aparté. Tiens, on se poserait la question : est-ce qu’un mot désignant un objet qui n’existe plus, qui n’est plus en usage, est lui aussi une sorte de thomasson verbal ?

    Je vous laisse réfléchir à ça.


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⚒ Démantèlement

Cette métaphore du thomasson ouvre de nombreuses questions dans la persperctive d’une fin des outils numériques. Et notamment : que deviendraient alors les vestiges de nos infrastructures numériques actuelles ? Pour envisager un début de réponse, on pourrait étudier la question sous deux angles. Le premier, c’est d’observer la façon dont sont préservées, recyclées ou démantelées nos anciens systèmes de communication. Les exemples ne manquent pas…

Courrier pneumatique, dans le film Baisers volés de François Truffaut.
Courrier pneumatique, image volée au film “Baisers volés” de François Truffaut.

Le réseau de la poste pneumatique de Paris [📄] – magnifiquement filmé par François Truffaut dans Baisers Volés [🎥] soit dit en passant – couvrait à son apogée plus de 427km et permettait d’envoyer en mode express un pli d’un bout à l’autre de la capitale. Mal entretenu et finalement assez désuet, son exploitation a cessé en 1984, remplacé par d’autres services proposés par La Poste. Mais son infrastructure physique existe toujours, du moins en grande partie. Si les postes de départ ou de réception des plis ont été démontés, les tubes eux-mêmes sont toujours présents dans les égouts de Paris. Où, il est vrai, ils ne gênent finalement pas grand monde.

Parce que c’est finalement rare qu’on démonte une infrastructure quand celle-ci est invisible, et surtout que son démantèlement représente un coût supérieur à son non-entretien. Un autre exemple ? La voie d’essai de l’aérotrain qui surplombe encore sur quelques kilomètres la plaine de la Beauce [📄], et qui, en dehors de l’emprise d’un chantier d’autoroute en 2007, est aujourd’hui quasiment-intacte.

L'urbex de centres commerciaux abandonnés américains selon Seph Lawless
Rolling Acres Mall dans l’Ohio

Nos Data Centers et antennes 5G pourraient donc bien, en cas d’abandon des technologies numériques, ne devenir que de superbes ruines livrées à l’Urbex comme le sont de nombreuses usines ou les centres commerciaux des villes moyennes américaines [📰].

Pourtant, des infrastructures de communication qui disparaissent, il y en a. Deux exemples récents ? Allons-y. D’abord, les cabines téléphoniques [🎥]. En 1998, il y en avait 241 000 opérationnelles en France, que l’essor du téléphone mobile a peu à peu rendu obsolètes. Elles ne seraient plus que 4 aujourd’hui (en octobre 2023), suite à différentes réformes, lois et directives les excluant des contraintes imposées à France Télécom/Orange quant à l’accès universel aux télécommunications [📄]. Mais que devient une cabine téléphonique en fin de vie ? Hors quelques spécimens réutilisées comme bibliothèque publique ou exposés dans des musées des télécommunications, ces cabines sont en général envoyées à la casse et recyclées pour servir à la fabrication d’autres infrastructures.

Deuxième exemple, le réseau cuivré d’Orange (ou Boucle Locale [📄]), et là… c’est plus compliqué. Théoriquement, le réseau doit être entièrement désactivé à l’horizon 2030, date à laquelle il devrait être intégralement remplacé par un réseau fibre-optique. Rien n’empêchera donc Orange d’en opérer un démontage physique complet, ne serait-ce que pour en recycler le cuivre. Une estimation rapide ? Ses plus de 900 000 tonnes de cuivre représentent – les études varient – environs 9 milliards d’euros de matière première [📰]…

Mais l’exercice n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît : il reste bien entendu quelques lignes aériennes que l’on peut simplement décrocher, mais que faire du réseau souterrain quand il passe sous une autoroute ou une LGV, quand il traverse des zones protégées ? Orange récupérera bien entendu une partie de son trésor cuivré, mais de nombreux vestiges en subsisteront…

  • 🔄 Aparté. Tiens, il faudrait relire et revoir ces quelques classiques de la science-fiction dans lesquels subsistent de grands vestiges des civilisations technologiques. Même si au final, les monuments symboliques ont bien plus d’impact dans nos imaginaires. Nous avons tous été marqués par l’apparition de la Statue de la Liberté à la fin La Planète des Singes [🎥]. Oups, spoiler.

♻ Recyclage

Alors, si on ne démonte pas – trop cher ou pas écolo – et si on n’est pas décidé à laisser derrière-soi un champ de ruines, que peut-on faire ? On peut toujours recycler, c’est à dire réutiliser les vestiges de notre civilisation numérique pour d’autres usages.

MareNostrum 4 : le " plus beau Data Center " est caché dans une église
la chapelle Torre Girona de l’Université Polytechnique de Catalogne à Barcelone, convertie en data center.

Le recyclage urbain, ce n’est pas nouveau. Les usines sont devenues des bureaux depuis de nombreuses années [📄], quand elles ne se transforment pas en école ou en logement [📄]. D’ailleurs, notre société numérique n’a pas attendu pour se réapproprier nos anciens bâtiments et les transformer en artefacts technologiques. Même si la démarche reste anecdotique – contraintes techniques obligent bien souvent – on trouve des églises [📄], des abris antiatomiques [📄], des silos à sucre [📄] ou encore des bunkers [📄] transformés en data center. Preuve que le recyclage est possible.


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🚧 Maintenance

Réutiliser les infrastructures pour d’autres usages, c’est l’une des bonnes pratiques de ce que Sylvain Grisot – urbaniste et fondateur de dixit.net [💻], une agence de conseil et de recherche urbaine – nomme l’urbanisme circulaire : un principe de fabrique de la ville qui permet de limiter l’étalement et l’impact écologique de celle-ci [📄].

Sylvain Grisot, dixit.net
Sylvain Grisot, Dixit.net
  • 🔄 Aparté. Au passage, le dernier livre de Sylvain sur l’adaptation des territoires et de la ville – Redirection Urbaine [📕] – vient de sortir.

Alors, une question : si demain notre architecture numérique s’effondre, que deviendra son empreinte : des ruines ou de nouveaux lieux de vie, des carrières ou des symboles ? Et plutôt que de m’interroger seul, j’en ai discuté avec Sylvain Grisot, justement.

Et l’entretien a pris une tournure… inattendue.


🎙 On passe donc en mode interview…

Cybernetruc : Qu’est-ce que ça t’inspire tout ça ?

Sylvain Grisot : Tout de suite, j'ai envie de me décaler un peu en lisant tes réflexions.

Ce dont tu parles, l’infrastructure numérique, ce n’est jamais qu'une infrastructure urbaine. Et aujourd’hui, on associe souvent ces infrastructures à une logique de permanence. C'est à dire que dans notre imaginaire, elles sont là, elles ne bougent pas jusqu'à leur obsolescence. Mais ce que l'on ne réalise pas, c'est l'impermanence de ces infrastructures.
On les considère comme mortes. Or les infrastructures ont une vie. Elles ont à la fois une naissance, elles vieillissent, donc elles se dégradent, et elles meurent. Et tout ça parfois très vite.

Cybernetruc : Très vite, ça veut dire quoi ? L’image du vieux datacenter intact dans la jungle, comme une pyramide inca, ça n’a pas de sens pour nos infrastructures actuelles ?

Sylvain Grisot : Aujourd’hui, à partir du moment où on décide d'abandonner une infrastructure, vingt ans plus tard il n’y a plus rien.
Je caricature peut-être un peu, mais on ne doit pas en être loin pour les bâtiments les plus récents. Il y a l’eau déjà, tout simplement, qui s’infiltre par le toit. Si on les abandonne, les bâtiments les plus récents vont s'effondrer très vite. Et c’est normal : les choses ont une vie et naturellement, les infrastructures se dégradent.

Cybernetruc : D’où l’importance de la maintenance, même si elle est souvent invisible pour les utilisateurs ?

Sylvain Grisot : Oui, nos infrastructures demandent un entretien régulier. On parle bien sûr des ouvrages d'art, mais également des infrastructures numériques : réseaux, enrobés… Et même au-delà de la fibre et du câble, il y a également tous les équipements techniques qui permettent les connexions et interconnexions qui eux aussi vieillissent. Cela demande des réparation, des transformations, des modifications. De la maintenance.

Cybernetruc : La dégradation rapide des infrastructures dont tu parlais, elle ne va pas s’arranger du fait du changement des conditions climatiques, c’est ça ?

Sylvain Grisot : Effectivement, le changement climatique est lui aussi un facteur d’accélération de cette dégradation.Un exemple parlant, c’est celui de New-York.

Après l’ouragan Sandy, la ville s’est organisée et a investi des centaines de milliards de dollars pour faire face aux risques d’ouragan, avec des pluies importantes, brèves et soudaines. Sandy n’était que la deuxième forte inondation que subissait New-York. La précédente devait dater de 2, 3 ans auparavant. C’est à ce moment qu’on a pris conscience de la fragilité de la ville par rapport à l'eau. Et qu’on a pris conscience également que tout cela ne pouvait pas toujours être prévu.

De telles précipitations n’étaient pas listées dans les abaques – les tables de calcul utilisées pour estimer l’impact des précipitations. Elles étaient en dehors des référentiels et se sont abattues sur un territoire en fait complètement imperméabilisé. On sait gérer les afflux d’eau, même si c’est une ingénierie complexe. Sauf que là, l'événement de référence utilisé datait de plus d’un siècle. L’infrastructure n’était plus adaptée.

Le changement climatique, ça veut dire cela : plus d’évènements imprévus, extrêmes et des référentiels qui changent énormément. Et donc une maintenance, une adaptation forcément plus complexe des infrastructures, quelles qu’elles soient.

Cybernetruc : Si on aborde un autre point, il y a la question du recyclage des infrastructures numériques…

Sylvain Grisot : Là aussi, la question est complexe. On parle de “mines urbaines”, et je trouve le terme très bien choisi. Aujourd’hui, dans les mines traditionnelles, il commence à y avoir des difficultés d'extraction, c'est à dire que les taux de dilution sont plus importants qu’il y a 20 ans. En extraire des métaux comme le cuivre, à quantité égale, demande de plus en plus d’énergie.
C’est la même chose pour le recyclage. On peut rêver de la “mine urbaine”. Mais il y a là aussi un tel niveau de dilution des matériaux, de complexité d'accès, qu’à un moment cela n'a aucun sens d'un point de vue économique, mais sans doute aussi d'un point de vue environnemental. Les dégâts causés par l’extraction des matériaux souterrains, en ville par exemple, seraient par trop considérables.

Cybernetruc : Et du côté des bâtiments ?

Sylvain Grisot : Pour les bâtiments, on a deux solutions connues, maîtrisées. La première, c’est de faire du réversible, c'est à dire faire aujourd'hui des bâtiments qui demain pourront changer d'usage, se transformer en entrepôt, en logement, en autre chose. Aujourd'hui, ce n’est pas vraiment la voie qu'on prend. On préfère souvent faire de l’hyper spécifiques.

Sinon, on peut aussi faire du démontable. Ce qui n’est pas malsain. On fait par exemple des parkings silos qui ont des structures en acier démontables. Mais aujourd'hui, on préfère souvent construire du lourd, alors qu'on va souvent constater une obsolescence rapide des bâtiments.


OK. On oublie donc ces grands symboles de notre société numérique, tels que pouvait les rêver une certaine science-fiction, mais également – en l’état actuel du monde le recyclage de nos infrastructures actuelles pour la société technologique du futur.

Reste quoi ?

🌘 En veille

Une troisième voie, évoquée en filigrane tout au long des échanges avec Sylvain Grisot : la maintenance. Une troisième voie qui rejoint, elle aussi, un certain imaginaire. Celui, non pas d’un effondrement mais plutôt d’une décroissance choisie et d’un abandon volontaire de certaines technologies. On rejoint par là l’imaginaire Solarpunk [📗] qui fait beaucoup parler de lui en ce début d’année. Et une certaine science-fiction des années 70 également, comme celle de Michel Jeury [📄].

Les écumeurs du silence - Michel Jeury - Fleuve Noir Anticipation 1980 [BE]  | eBay

On ressortira par exemple ce vieux classique de la SF française que l’on aime particulièrement : Les Écumeurs du Silence [📘] dans lequel la technologie abandonnée temporairement, le temps de laisser une Terre surexploitée pendant des siècles se reconstituer. Sur cette version de la Terre où les élites se sont réfugiées, endormies, dans les profondeurs, une partie du peuple est restée à la surface avec pour mission de veiller sur les anciennes infrastructures technologiques, jusqu’aux jours où le progrès humain pourra reprendre son cours.
Je ne spoile pas.

Laisser la planète se reposer, mais également préserver la technologie d’hier pour mieux préparer l’avenir. Et après tout, pourquoi pas.

Je vous laisse gamberger là-dessus ?

05.09.2023 à 07:15

Saison #2 : 🌳 Repartir à zéro...

François Houste

Cybernetruc, Saison 2. Changement de sujet, après avoir exploré les imaginaires de l'intelligence artificielle, on va se pencher sur ceux qui gravitent autour de l'abandon de la technologie.
Texte intégral (5880 mots)

Cybernetruc continue d’explorer nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcément les réponses. Vous êtes un peu plus de cent-soixante-dix à suivre cette aventure. Bonne lecture ! 

Rose Quartz Eroded Desktop Computer par Daniel Arsham sur artnet

Des [🎥], [📗] ou [📰] ? Cliquez, ils vous emmèneront vers des compléments d’information.

🪐 Crash

Est-ce que vous connaissez La Planète aux vents de folie [📕] de Marion Zimmer Bradley [📄] ? Écrit en 1972, ce roman entame le cycle de Ténébreuse, l’une de ces longues sagas mêlant science-fiction et fantasy que les américains aiment tant. Ce premier volume, trouvé au hasard d’une boîte à livres, aura été l’une de mes lectures de l’été. Et ça tombe bien, puisqu’il permet ainsi de démarrer ce premier billet de la saison…

Un mot sur l’autrice avant de débuter ? Marion Zimmer Bradley, décédée en 1999, a laissé derrière elle de nombreuses productions, des romans, des nouvelles et un univers riche – Ténébreuse justement – repris et développé par d’autres à sa suite. Sa science-fiction, assez innovante à sa sortie, est emprunte de véritables questionnements féministes – on y reviendra – même si sa vie personnelle est plus, comment dire, polémique. Un œil à la fiche Wikipedia la concernant et citée plus haut vous en dira plus.

Mais revenons à La Planète aux vents de folie.

Cette histoire est avant tout l’histoire d’un naufrage. Un vaisseau peuplé de terriens en route vers une nouvelle colonie spatiale est dévié de sa route par une tempête cosmique et s’écrase sur une planète inconnue. Le vaisseau est rapidement diagnostiqué hors d’usage, la planète semble sauvage et déserte… mais habitable pour des humains. Alors que les survivants s’organisent comme ils le peuvent, d’étranges phénomènes surviennent bientôt. Je vous laisse trouver le livre pour vous plonger plus avant sur la nature de ces phénomènes, ce n’est pas l’aspect de l’histoire qui m’intéresse ici.

Les Vents de folie décrivent une société forcée à redémarrer – presque – de zéro. Impossible pour les colons survivants de repartir. Même si certains possèdent la connaissance théorique ou pratique des vols interstellaires, celle-ci est désormais inutile, faute d’un vaisseau en état de voler. Et même si les connaissances technologiques restent nombreuses, stockées dans un ordinateur, au sein de la communauté, les ressources offertes par la nouvelle planète ne permettent bien souvent pas leur utilisation. Ne serait-ce que pour des questions d’énergie disponible.

Les colons issus de la Terre-technologique doivent donc redémarrer une société à ses presque-débuts, conservant quelques connaissances sociales, sociétales et théoriques mais laissant de côté les technologies les plus avancées au profit de l’agriculture, de l’élevage, etc.

Marion Zimmer Bradley pose deux questions dans ce contexte de retour aux origines : La première est le fardeau que peut constituer l’héritage technologique. La question est ouvertement posée, est-il souhaitable de conserver une trace, une archive, d’un âge d’or technologique quand cette même technologie n’est plus applicable ? Cet âge d’or ne constitue-t-il pas un leurre qui détournerait des problématiques de survie immédiate (tout parallèle avec le long-termisme [📄] est bienvenue) ? Ou ne représente-t-il pas un chemin illusoire empêchant l’adoption de technologies inédites, l’adaptation à un environnement lui aussi entièrement nouveau.

La seconde question soulevée est plus sociétale et mériterait bien plus qu’un aparté. C’est celle de la place des femmes dans une société obligée de redémarrer : celles-ci sont elles condamnées à n’être que des procréatrices assurant la survie de l’espèce ? On l’avait dit, Marion Zimmer Bradley est aussi une autrice féministe.

Je ne vous dévoile pas les décisions et les péripéties de ce groupe de survivants. On va plutôt explorer la question sous deux ou trois autres angles.


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🏙 Ravages

Difficile de ne pas commencer en faisant un parallèle avec un autre roman du retour aux origines : Ravage [📕] de René Barjavel [📄]. Peut-être même en a-t-on déjà parlé dans quelques billets précédents.

Image illustrative de l’article Ravage (roman)

Ravage, c’est aussi l’histoire d’un abandon forcé de la technologie. Une société humaine basée sur l’électricité – comme on pouvait aisément l’imaginer au milieu du XXe siècle, le livre datant de 1942 – s’écroule suite à une tempête solaire la privant de son énergie. S’en suit, pour les héros du roman, un exode forcé loin des villes soumises au chaos. Et un questionnement sur la façon de “refaire civilisation” quand tous les repères de celle-ci semblent avoir disparu.

Ravage est un roman de son temps. Là ou La Planètes aux vents de folie laisse facilement transparaître la culture hippie du début des seventies, Ravage reprend un son compte les valeurs de retour à la terre qui trouvent un large écho sous le gouvernement de Vichy. Nous sommes, en Europe, dans une période de doute quant au bien-fondé du progrès et de la technologie, qui prend racine dans le décadentisme [📄] de la fin du XIXe siècle, dans le traumatisme de la Première Guerre Mondiale et s’accorde particulièrement aux idéologies réactionnaires de cette extrême-droite qui prend le pouvoir un peu partout entre les deux guerres.

Aussi, la thématique principale du roman est l’abandon de la technologie, celle-là même qui a amolli l’homme, l’a éloigné de la nature et de sa véritable nature. Loin d’être un vecteur de progrès, la technologie ici entrave le développement réel de la société, tout comme la science. Les survivants de Ravage, devenus une communauté agricole dans le sud des Alpes, refusent radicalement tout progrès technique. Le héro, devenu patriarche, allant jusqu’à menacer et bannir l’homme qui aura eu l’audace d’inventer à nouveau une machine pour les travaux des champs.

On retrouvera ce genre de rejet du progrès dans de nombreux autres écrits par la suite. On ne citera, pour ne pas se perdre, que L’Holocauste de James Gunn dont on a déjà parlé ici [📧].

📅 30 ans

Alors, à l’aube d’une catastrophe, la technologie est-elle un frein ou une chance ? On va prendre le problème par un autre bout et faire appel cette fois à Corinne Morel Darleux [📄] qui a publié au printemps dernier un petit Être heureux avec moins [📕] aux éditions La Martinière.

Revoir les lucioles | Le blog de Corinne Morel Darleux
  • 🔄 Aparté. On avait déjà parlé de Corinne Morel Darleux dans ses colonnes il y a quelques mois à propos de son très bon Mieux vous couler en beauté que flotter sans grâce [📕], et de notre rapport à l’instantanéité induit par le Net. Si vous voulez vous y replonger, c’est ici : Asyncrhone.

Elle répond également à quelques questions autour de la sobriété et de la place du numérique dans un article récent d’Usbek & Rica [📰]. Avec elle, on va résumer tout ce qui nous amène jusqu’ici en trois questions :

  1. La technologie permet-elle d’empêcher la catastrophe ?

    Pour faire court, c’est plutôt mal parti. Corinne Morel Darleux invoque pour cela les seuils de contre-productivité établis par le penseur allemand Ivan Illich [📄]. En gros, toute technologie qui dépasse un certain seuil produit les effets inverses de ce pour quoi elle était conçue. L’exemple le plus parlant de cette théorie est sans conteste l’automobile. Imaginée au départ pour accélérer les déplacements, sa saturation, notamment en ville, provoque finalement un allongement des temps de trajet dû aux embouteillages urbains ou aux difficultés de parking. L’effet inverse de celui recherché. La contre-productivité.

    La théorie s’adapte très vite au modèle écologique. La démocratisation de n’importe quelle technologie qui se voudrait écologique provoque très rapidement des effets négatifs sur la planète : consommation en métaux rares, besoin en eau des data-centers, consommation énergétique… qui sont finalement source de plus de dégâts que ce que la technologie initiale était censé soigner.

  2. La technologie peut-elle survivre à la catastrophe ?

    C’est mal parti également… On listerait bien les multiples romans de SF qui démontrent que la civilisation humaine – telle que nous l’entendons – ne peut survivre à une catastrophe écologique majeure. En vrac, La Mort de la Terre [📗] de Rosny l’Ainé ou encore Les Écumeurs du silence [📗] de Michel Jeury, et puis un peu de Michael Moorcock [📘] aussi. On reviendra sans doute sur tout ça.
    On restera rationnel également quand à notre train de vie en tant qu’espèce : chaque année, le Jour du dépassement de la Terre [📄] (cette année, c’était le 2 août) marque la date à laquelle la population mondiale a épuisé ses ressources naturelles disponibles (renouvelables) sur un an. Comme on le disait déjà plus haut, les crises successives sur les métaux rares et les sécheresses qui frappent désormais régulièrement l’Europe ou l’ouest des États-Unis montrent bien que l’escalade technologique est difficilement durable. La planète ne peut supporter le développement à marche forcée de la technologie et celle-ci devra certainement, à un moment, céder son règne ou s’éteindre.

    Pour Corinne Morel Darleux, il nous reste 30 ans à tout casser pour profiter de la technologie. Peut-être moins.

  3. La technologie (ou plutôt sa connaissance théorique) doit-elle être conservée pour le long terme ?

    La c’est plus compliqué, et… ça mérite l’ouverture d’un nouveau paragraphe.

  • 🔄 Aparté. Sur la question de la croissance technologique et de la course au progrès, pour rester dans le thème, on lira également la jolie tribune de Tristan Nitot qui propose d’abolir la célèbre Loi de Moore [📄] (celle qui spécifie que la puissance de calcul des processeurs double tous les dix-huit mois) et propose à sa place un principe d’optimisation visant à contrer l’obsolescence matérielle. C’est ici : [📄].

🚮 Déchets nucléaires

Prenons cette troisième question sous un angle différent et penchons-nous quelques instants sur la question des déchets nucléaires.

Containment' Envisions Nuclear Waste Storage 10,000 Years In The Future |  KPBS Public Media

Les déchets nucléaires ont une durée de vite extrêmement longue et restent dangereux pour quiconque s’en approche pendant plusieurs milliers d’années. Comment donc expliquer à des humains vivant sur Terre à une échéance aussi lointaine la dangerosité des lieux de dépôt de ces déchets ? Ce problème occupe de nombreux scientifiques et designers depuis les années 1970, et soulève des questions d’ordres extrêmement divers. Par exemple :

  • L’invisibilité du danger. Les radiations constituent un danger invisible. Impossible à visualiser pour les populations.

  • La nature du danger. Le danger n’est pas physique et immédiat. Il s’agit de prévenir, par exemple, l’exploitation du sol contaminé ou l’installation de population à cet endroit… alors que les conséquences de cette installation ne sont perceptibles immédiatement.

  • La résistance physique. Comment concevoir un dispositif d’avertissement capable de supporter plus de 10 000 ans de vents, de mouvements de terrain, d’érosion ?

  • Le langage. Il y a 10 000 ans, l’homme préhistorique ne connaissait pas encore l’écriture. Qui peut dire si les contenus que nous produisons aujourd’hui seront encore compréhensibles dans 10 000 ans ?

  • La mémoire et la culture humaine. On peut compter pendant encore quelques centaines d’années sur les imaginaires qu’évoque le terme ‘nucléaire’ pour les populations humaines. Mais quel souvenir en restera-t-il dans 1 000 ans, 5 000 ans, 10 000 ans ?

Ce n’est qu’une partie des questionnements que se posent donc les scientifiques, et les ébauches de solutions sont nombreuses, depuis les inscriptions sur du saphir aux gigantesques aiguilles de granit sortant du sol, en passant par les systèmes sonores transformant les vents en avertissements lugubres.

L’abandon de la technologie, qu’on évoque depuis le début de ce billet, pose le même type de questions. Qu’il s’agisse de décommissionner des pans entiers d’Internet ou d’abandonner l’application pratique de procédés scientifiques faute de ressources, comment s’assure-t-on que la connaissance, la culture, la science accumulée jusqu’ici par l’humanité reste lisible dans un futur incertain ? Et accessoirement, de notre époque proposant une débauche de contenu, de connaissance, de support, que vaut la peine d’être conservé ?

  • 🔄 Aparté. Au passage, sur la conservation à long terme du Net, si vous (re)lisiez la nouvelle Défragmentés [💻] imaginée par Julie Girardot [💻] dans le cadre du projet Climatopie de la CNIL ?

❓ Et après ?

Abandonner la technologie soulève donc énormément de questions et d’imaginaires, entre projection à long terme et impacts sur notre quotidien. Voilà donc la thématique que je vous propose de creuser pour cette toute nouvelle saison de Cybernetruc!

  • 🔄 Aparté. Dernier aparté, l’image d’entête de cette newsletter est une oeuvre de l’artiste américain Daniel Arsham [📄]. On y reviendra dans la saison. Promis !

Alors, ça vous dit ?


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François Houste est Digital Stuff Manager au sein de la bien belle agence Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies chez C&F Éditions. On se retrouve sur Mastodon pour continuer la discussion.


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31.05.2023 à 12:31

🦄 Imaginaires | Cybernetruc #14

François Houste

#IA, ép. 14. Et si les intelligences artificielles bouleversaient nos imaginaires ? On se pose gravement la question en compagnie de James Joyce, de Skynet, de Wall-E et de Mucha... rien que ça.
Texte intégral (5413 mots)

CYBERNETRUC! explore de manière irrégulière nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcément les réponses. Vous êtes environs cent-cinquante à suivre cette aventure. Bonne lecture ! 😉

James Joyce Statue in City Centre Dublin | Expedia.co.uk

Des [🎥], [📗] ou [📰] ? Cliquez, ils vous emmèneront vers des compléments d’information.

📖 Lecture

Après plusieurs tentatives infructueuses au cours des vingt dernières années, j’ai donc retenté de plonger dans ce roman-ville qu’est le Ulysse [📗] de James Joyce. Livre à peu près impossible à spoiler, tant il est avant tout un jeu d’écriture et une réflexion sur la vi(ll)e avant d’être une quelconque intrigue. Je laisse la Wikipedia [📄] en faire le résumé, avec une concision et un talent que je n’aurais de toute façon pas.

Le roman relate les pérégrinations de Leopold Bloom (Ulysse) et Stephen Dedalus (Télémaque) à travers la ville de Dublin lors d'une journée ordinaire. L'action commence le 16 juin 1904 à 8 heures pour se terminer dans la nuit aux alentours de 3 heures.

Dans la banalité du quotidien de ces deux hommes, Joyce explore le monologue intérieur où les sujets vont de la mort à la vie, en passant par le sexe, l'art, la religion ou encore la situation de l'Irlande. S'affranchissant des normes littéraires, le roman se distingue entre autres par l'utilisation de la technique du courant de conscience, qui consiste à décrire le point de vue des personnages en donnant le strict équivalent de leur processus de pensée.

J’ai affronté Proust, Conrad, Faulkner, Kerouac et pas mal d’autres. Alors Ulysses n’a aucune raison particulière de me faire peur. En tout cas, jusqu’ici, à un peu plus de la moitié de l’ouvrage, tout va bien, merci de vous en inquiéter 👍.

  • 🔄 Aparté. Vous connaissez le magnifique projet Ulysse par jour [💻] de Guillaume Vissac ? Chaque jour, une phrase du Ulysse de Joyce traduite, au quotidien, sur le Net. Ça tourne depuis longtemps déjà – depuis que Joyce est dans le domaine public pour tout dire – et c’est à suivre, entre autres, sur le compte Twitter de l’auteur [🐤].

Le dixième chapitre d’Ulysse a pour scène les rues de Dublin. S’y succèdent différentes situations du quotidien, le trajet d’un référent de rue en rue et de rencontre en rencontre, les discussions à la table d’un bistro, la visite d’une boutique, jusqu’au cortège final du comte Dudley [📄] de son palais d'été jusqu'à un faubourg de Dublin où il doit inaugurer une kermesse, croisant successivement les différents protagonistes déjà rencontrés au long des pages du chapitre. Joyce y décrit, comme dans tout Ulysse, le quotidien de Dublin. Et y crée des croisements, des rencontres, des coincidences, des hasards, des réflexions communes, des collisions. Dans une mise en scène qu’on qualifierait aujourd’hui, anachroniquement, de cinématographique.

À sa lecture, je me suis dit que ce chapitre aurait pu être un plan séquence. Qu’une caméra aurait pu suivre le père Conmee sortant de son presbytère dans les premières pages et s’accrocher à chacun des personnages croisés jusqu’à venir s’atteler au roues du carrosse du comte Dudley et le suivre encore dans les rues de Dublin. J’y aurais vu/lu une scène d’ouverture, ou de transition, d’un film d’Orson Welles [🎥] de Sergio Leone [🎥] ou de Martin Scorcese [🎥].

Ma lecture de ce chapitre a été hautement cinématographique.

  • 🔄 Aparté. C’est qu’on va reparler de liens dans les lignes qui vont suivre. Parce que des liens, on en fait partout, tout le temps. Alors, relisez peut-être l’article 🔗 Liens publié il y a quelques mois ici-même. Et vous y apprendrez, encore et toujours, que ce qu’on lit n’est jamais ce qui a été écrit.

Et puis, sorti de ce chapitre, mon anachronisme m’a sauté à la figure. J’ai donc lu ce chapitre d’Ulysse avec ma culture et mon bagage de liens du XXIe siècle. Pétri de références cinématographiques et d’une culture de l’image qui n’était qu’embryonnaire quand Joyce a imaginé cette scène entre 1914 et 1921. Je n’ai pas lu le texte que James Joyce a écrit, j’ai lu ma propre culture par le prisme de son texte, et son texte via le prisme de ma propre culture.

Qu'est-ce que le virtuel ? - Pierre Lévy

Rien de nouveau sous le soleil. On revient encore et toujours au Virtuel [📙] de Pierre Lévy :

Du texte lui-même, il ne reste bientôt plus rien. Au mieux, grâce à lui, nous aurons apporté quelque retouche à nos modèles du monde. Il nous a peut-être seulement service à faire entrer en résonnance quelques images, quelques mots, que nous possédions déjà. Parfois, nous aurons rapporté un de ses fragments, investit d’une intensité spéciale, à telle zone de notre architecture mnémonique, un autre à tel tronçon de nos réseaux intellectuels.

Il n’y a pas de textes, il n’y a que des actualisation de texte. Chaque lecture est différente, et chaque lecture est dépendante d’une culture personnelle et environnante. Nous ne pouvons plus lire Ulysse tel qu’il a été écrit, et ne pouvons plus comprendre Molière ou Pouchkine tel qu’ils ont été perçus, alourdis que nous sommes par les biais et la bagage culturel de notre époque.

Notre époque est faite d’images, et nos lectures deviennent, de fait, composées elles aussi d’images. Nos imaginaires sont aujourd’hui des images. Étaient-ils plus souvent des textes il y a deux cents ans ? Je l’ignore. Mais surtout, que seront-ils demain et est-ce que l’IA a déjà commencé à les modifier ?

Longue introduction, question ouverte.

🎸 Mythe

On va donc parler des imaginaires, forcément, et de ces images qui occupent nos têtes et alimentent nos réflexions et nos fantasmes au quotidien [📄]. Nos imaginaires – collectifs – évoluent à mesure que la culture populaire (ou la pop-culture, c’est plus chébran) change et que celle-ci se diffuse à large échelle. Un mythe ne devient pas instantanément un imaginaire, il dépend de sa diffusion, de sa capacité à toucher une large partie de la population pour devenir une sorte de pensée-réflexe.

De lien [📄]. D’imaginaire

How Close Are We to Skynet & Judgement Day | by Praveen Gnanaselvam | Medium

On peut par exemple parler de l’évolution de la culture SF et de notre vision des robots. Même si l’idée d’une possible domination de l’homme par ses créations/créatures est ancienne – on ressortira le mythe du Golem [📄] dans la tradition juive, et plus tard celui de Frankenstein [📘] qui n’en est jamais qu’une déclinaison – les images que nous en gardons aujourd’hui sont issus d’une culture populaire très récente et avant tout cinématographique : le H.A.L. 9000 [🎥] de 2001 l’odyssée de l’espace et le réseau Skynet [🐤] de la série des Terminator [🎥].

  • 🔄 Aparté. D’ailleurs, les robots veulent-ils réellement dominer les humains ? On se posait la question des 🕺 Humain il y a quelques mois.

Dès qu’une image, une histoire, un mythe est suffisamment fort, il devient un imaginaire commun. Quelque chose qui permet de, au choix, créer un lien entre différentes actualités, soit d’illustrer ces mêmes actualités pour les rendre plus facilement diffusable, soit de donner une forme à une crainte, une idée, une tension. Les idées ont besoin d’images, de représentations, positives ou négatives, pour se propager et croître.

C’est ainsi que la crainte de la singularité a longtemps été porté par l’image de Skynet dont ont parlait un peu plus haut. La révolte des machines. Image qui cède petit à petit sa place à d’autres narratifs car les craintes liées actuellement à l’émergence d’intelligences artificielles conscientes n’a plus grand chose à voir avec une révolte de robot. Elle est moins incarnée – car les ChatGPT et autres Midjourney n’ont pas d’incarnations physiques – et présente un risque plus économique/écologique que guerrier. On pensera dès lors à… Wall-E [📄] ? H.A.L. 9000 ? Des ordinateurs tout puissants en tout cas, plutôt que des robots.

🖼 Imagerie

D’ici, la réflexion peut prendre deux tournures, toutes deux liées aux capacités actuelles de production de contenu de ce que l’on nomme les intelligences artificielles génératives.

La première, c’est celle de l’émergence d’un nouvel imaginaire. Ce qu’on pourrait qualifier d’Imaginaire de l’IA. Émergence qui semble d’ailleurs assez inéluctable. L’effervescence autour des premiers modèles créés par Midjourney à l’automne dernier a déjà changé une partie de notre perception. Car oui, même si elle est inspirée - pillée ? - par la création de milliers d’artistes, il y a bien une “esthétique IA” qui se dégage de l’ensemble des créations générés par les différentes actuelles. Une esthétique peut-être difficilement qualifiable, peut-être moins facilement identifiable à mesure que les progrès techniques vont être nombreux, mais une esthétique qui existe et qui peut faire dire de certaines créations humaines qu’elles sont datées. Comme Mucha [🖼] a été l’esthétique de la Belle Époque, comme le néon est l’esthétique des eighties [🖼], peut-être les éclairages trop naturels et les portraits trop propres de l’IA seront l’esthétique des années 2020. Et peut-être les prochains lecteurs d’Ulysse verront des selfies et des panoramiques urbains là où j’ai lu des plan-séquences.

La seconde réflexion est plus inquiétante. C’est la déformation successive de nos imaginaires passés et leur remplacement par les propres imaginaires de l’intelligence artificielle. Vous les avez sans doute vues sur Facebook ou ailleurs, ces vidéos générées par les IA et qui retracent 4000 ans de création artistique ou 100 ans de mode féminine [🎞]. Elles reposent sur l’interprétation, l’assemblage, par une IA de centaines de clichés ou de représentations d’artistes et sur la compilation de ceux-ci en une synthèse vraisemblable. De la même façon, les IA imaginent de nouvelles vues du Festival de Woodstock [🐤] ou de la Seconde Guerre Mondiale [🖼], vraisemblables, et inspirées des clichés réels de l’époque. Avec le risque qu’avec leur prolifération, ces clichés remplacent à terme, dans nos imaginaires, les images réelles du festival ou du conflit. Et qu’à la lecture d’un évènement, nos imaginaires ne soient plus qu’un assemblage d’images inventées.

Et qu’à la prochaine lecture, là encore, nos liens ne reposent plus que sur des images inventées.

Je vous laisse gamberger là-dessus ?


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François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.

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01.05.2023 à 17:30

👀 Solipsisme | Cybernetruc #13

François Houste

#IA, ép. 13. Et si la multiplication des IA génératives voulait dire l'installation d'un doute permanent quant à la réalité du monde ? On invoque Ray Bradbury, le Pape et Elon Musk...
Texte intégral (5838 mots)

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Le premier astronaute à avoir flotté librement dans l'espace en jetpack est  décédé

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🔺 Confiance

Peut-on encore faire confiance ce que l’on voit sur les écrans ? Ne doit-on faire confiance qu’à ce que l’on voit réellement, physiquement, en présence ? Et aussi, peut-on encore faire confiance à ce que l’on a vu par le passé ? On va parler confiance, oui, et encore une fois réalité.

  • 🔄 Aparté : Ce billet, c’est la suite de 📸 Réalité, le dernier article publié il y a quelques temps déjà sur #Cybernetruc. On y évoquait l’altération de la réalité et un futur oscillant entre manipulation permanente et expérience psychédélique. Mais on n’avait pas abordé la fin totale de la réalité. L’illusion continue…

La première histoire, c’est une histoire d’Elon Musk et de Deepfakes. La justice américaine se penche actuellement sur les accidents de la route provoqués par des Tesla au cours des dernières années, et notamment certains, mortels [💻], survenus après que les conducteurs des dîtes Tesla aient laissé un peu trop de liberté à leurs véhicules. Responsabilité individuelle ? Inconscience des conducteurs ? C’est plus compliqué que ça.

La communauté technologique est divisée par la pétition d ...

La justice américaine souhaiterait en effet faire comparaître Elon Musk dans ces procès. La raison : depuis 2014, le patron de Tesla annonce sur tous les plateaux TV et dans toutes les interviews que ses véhicules sont équipés d’un programme de conduite autonome [🎥]. Avec sa réserve habituelle, Elon Musk a survendu les capacités de ses véhicules. L’avenir est déjà là, les voitures se conduisent toutes seules [🎥] et vous, conducteur devenu passager, pouvez désormais passer vos trajets tranquilles, à lire ou regardez vos séries Netflix préférées [📺] pendant que votre Tesla enquille les kilomètres.

Difficile de ne pas y croire tant Elon répète et répète le propos.

  • 🔄 Aparté : Soit dit en passant, sur Elon Musk, ses influences et sa propre influence, lisez et relisez Le Mythe de l’Entrepreneur d’Anthony Galluzzo [📗], paru en début d’année aux éditions Zones - La Découverte. Il ne dit pas tout du mythe d’Elon Musk, il oublie certaines imbrications (la science, le progrès…) en insistant sur les aspects économiques et capitaliste de la figure de l’innovateur made-in Silicon Valley. Mais il est d’une richesse déjà salutaire.

La propagande du patron de Tesla serait donc, pour la la justice américaine, une cause directe des accidents causés par ses véhicules, et donc de la mort d’automobilistes ou de piétons. La défense du génie de l’entrepreneuriat ? Les Deepfakes. Oui. Vous avez bien lu. Les avocats d’Elon Musk clament que rien ne permet de garantir que les vidéos relevées par la justice américaine ne sont pas des manipulation, des montages, des deepfakes et que rien ne garantit donc qu’Elon Musk ait bien tenu ces propos [📰]. S’il n’y a pas de certitude sur le fait qu’il les ait tenu, il ne peut en aucun cas être responsable de la manipulation dont les pauvres conducteurs de Tesla ont été victime.

C’est regrettable certes. Mais Elon Musk n’y est pour rien.

Deepfakes, partout.

Réalité ? Nulle part.

🖼 Faux

L’objection brandie par les avocats d’Elon Musk a l’immense inconvénient d’inverser la question essentielle que chacun de pose depuis l’émergence des outils de manipulation massive de l’image. En effet, celle-ci passe du Comment détecter si c’est faux ? au Comment prouver que c’est vrai ?

Ce qui, dans la société de l’illusion, devient… gênant.

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Depuis l’émergence massive des intelligences artificielles génératives – surtout graphiques – l’une des questions qui hante l’esprit des experts est bien la détection des fakes. Les tutoriaux ne manquent d’ailleurs pas à ce sujet [📰]. S’il s’agit d’une image, on comptera les doigts, on cherchera les écritures, on scrutera les arrière-plans en recherche d’incohérence, ou on étudiera attentivement la position des jambes et des chevilles. Ces quelques indices permettent de s’assurer que non, le Pape ne porte pas réellement une doudoune Balenciaga les jours de grand froid [📰], les CRS ne font pas réellement de câlins aux manifestants [📰] et Emmanuelle Macron ne sort pas non plus les poubelles, le soir, à Paris [📰].

Quelques astuces existent donc pour identifier les fausses images. Il en existe également pour identifier les faux textes – comme les références universitaires farfelues, les biographies de parfaits inconnues, etc. [📰]. Mais gageons que ces méthodes seront de moins en moins efficaces à mesure que les algorithmes des intelligences génératives deviendront plus malins.

Comment par exemple s’assurer que le faux duo entre Drake et The Weeknd [📰] diffusé il y a quelques semaines sur la toile est bien un faux ?

  • 🔄 Aparté : La manipulation sonore est souvent la plus simple, car oui, l’être humain doute moins du son que de l’image. Les exemples d’enregistrements truqués ne manquent pas dans la fiction. Et pour la culture générale, on ressortira la Révolution électronique [📕] du poète beat William S. Burroughs qui, à l’heure des bandes sonores, proposait déjà de faire tomber les mass-medias et les institutions à coup de fake news.

Sans la prise de parole d’Universal Music à ce sujet, et surtout l’aveux du créateur de cette pièce, impossible finalement de déclarer ce faux duo réellement… faux, tant sa véracité est troublante. L’avancée technologique sème le doute. Si bien que si émergeait demain un véritable duo entre Drake et The Weeknd, on serait en mesure de dire : “Mais prouvez-moi que ce duo a réellement été enregistré et n’est pas le fruit d’algorithmes.” [📄]

Prouvez-moi que c’est vrai.

La question posée par les avocats d’Elon Musk.

🤔 Doute

La question posée par l’invasion des intelligences artificielles, et surtout par l’invasion des médias créés par des intelligences artificielles, n’est pas nouvelle. Elle se résume en un Doit-on douter de tout ?

Illustrated man.jpg

On a beaucoup parlé d’Isaac Asimov dans les articles de #Cybernetruc! [📧], mais on n’a pas encore abordé la science-fiction de Ray Bradbury [📄]. Quand Asimov s’interroge sur l’avenir de l’humanité dans sa globalité, sur l’impact de la technologie sur la société à long terme, Bradbury se soucie bien plus de notre quotidien. Il explore nos réactions personnelles face à l’inconnu (la nouvelle The Rocket Man, ou The Long Rain dans le recueil The Illustrated Man [📕], paru en 1952), sur le destin de nos familles (The Veldt, The Last Night of the World ou Marionnettes, Inc. toujours dans le même recueil) voire sur notre spiritualité (The Man) ou notre culture (la magnifique The Exiles).

La science-fiction de Ray Bradbury questionne la place individuelle de l’homme face au progrès, et surtout ses pertes de repère… Une nouvelle pour illustrer cela ?

No Particular Night or Morning, toujours dans le recueil The Illustrated Man met en scène deux astronautes, Clemens et Hitchcock, le long voyage interstellaire. Leurs discussions, surtout guidées par Hitchcock, parlent de la réalité du monde. Pour Hitchcock, n’est réel que ce qui est tangible. Le reste n’existe pas. Et dans l’espace, si loin de la Terre, la réalité des autres humains existe-t-elle encore ? L’humanité est-elle réelle ? La Terre est-elle réelle ? Dans cette immensité noire où les étoiles sont si lointaines, qu’est-ce qui est encore vrai ?

Hitchcock finira, dérivant dans l’espace, convaincu que rien finalement n’existe que sa propre pensée.

🧠 Solipsisme

Hitchcock doute de l’existence de tout. De la vérité, la réalité de tout. Persuadé que le monde qui l’entoure, les images qu’il voit, les sons qu’il entend, les êtres qu’il touche, ne sont qu’illusion. La théorie philosophique à laquelle se raccroche son raisonnement se nomme le solipsisme. Je laisse la Wikipedia en faire une définition plus érudite que celle que je pourrais écrire :

Le solipsisme (du latin solus, « seul » et ipse, « soi-même ») est une théorie philosophique et métaphysique selon laquelle la seule chose dont l'existence est certaine est le sujet pensant. Forme extrême d'idéalisme, le solipsisme soutient qu'aucune autre réalité n'est certaine que celle du sujet qui pense. [📄]

Matrix » : des suites incomprises ou des séquelles toujours vives

Le solipsisme est en fait la philosophie du doute permanent. De la fin de la réalité. On peut en voir des expressions dans des classiques de la science-fiction comme Matrix [🎥] (forcément, dès qu’on parle de fin de la réalité) dans lequel le monde de la Matrice n’est qu’une illusion qui n’a rien à voir avec une réalité commune.

La question posée par les avocats d’Elon Musk sur la réalité de ses promesses ouvre la porte au monde d’illusion dépeint par les Wachowski, ou raconté par Ray Bradbury. Puisque… si l’on admet que tout document, toute photo, toute interview, tout expérience, peut-être fausse, alors on permet le doute permanent. Et on offre alors le droit à chacun de juger de la réalité de ce qu’il perçoit, du moins par voie électronique dans un premier temps.

Libre à moi de penser que Drake et The Weeknd ont réellement fait un duo, mais que cette intervention d’Emmanuel Macron n’est qu’un montage. Et libre à vous de penser l’inverse, ou de penser à 50% comme moi.

Si le doute s’installe de manière permanente sur la nature de tous les éléments que nous voyons. Et surtout, si nous ne nous posons plus la question d’identifier ce qui est faux - parce que tout doit être juger comme faux a priori, alors nous nions simplement une réalité commune.

Je vous laisse gamberger là-dessus.


Un petit mot à propos de l’auteur ?

François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.

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16.03.2023 à 15:48

📸 Réalité | Cybernetruc #12

François Houste

#IA, ép. 12. Et si l'intelligence artificielle, ou plutôt l'augmentation de la puissance de calcul, rendait la réalité caduque ? On divague avec Stephen Colbert, Aldous Huxley, et Nicolas Cage...
Texte intégral (4737 mots)

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Gratuit Nuages Sous La Pleine Lune Photos

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🌔 Astronomie

L’intelligence artificielle, ou plutôt les intelligences artificielles, modifient-elles la réalité ? Sans pour autant retourner dans la Caverne de Platon [📄] – en tout cas pas tout de suite – on pourrait user d’une petite anecdote pour démarrer la réflexion.

La qualité des images et des photos est l’un des chevaux de bataille des fabricants de smartphone depuis des années. Apple, Huawei, Samsung… rivalisent tous d’inventivité et d’ingéniosité pour nous vendre le mobile faisant les clichés les plus détaillés, les plus lumineux, les plus hires possibles. Et dans ce combat acharné, Samsung semble courir actuellement en tête. La fabriquant coréen de smartphone a annoncé récemment la création d’un mode “Astronomy” dans sa dernière génération d’appareil de la gamme Samsung Galaxy, un mode capable de prendre des clichés du ciel nocturne aussi précis que s’ils provenaient d’un télescope. La lune y apparaît dans ses moindres détails, les étoiles y sont brillantes… Sauf que.

Le débunkage réalisé par un journaliste tech révèle le pot-aux-roses de ce nouveau mode [📰] : loin d’avoir améliorer l’optique de ses téléphones, Samsung a simplement utilisé une intelligence artificielle reconstituant les cratères de la lune et les plaquant sur n’importe quel vue floue du satellite de la Terre. L’effet reste bluffant, mais le résultat n’est, en conséquence, plus réellement une photographie puisqu’il n’est plus un reflet fidèle de la réalité. Il est une réinterprétation de celle-ci par un algorithme afin d’y intégrer les détails que le photographe voulait y voir : une vue haute-résolution de la lune.

Cette manipulation de la prise de vue réelle, faite surtout sans aucune information donnée au photographe, pose bien des questions sur la réalité d’un cliché.

Une photo retouchée est-elle donc une photo, ou autre chose. Une photographie peut-elle encore être considérée comme un reflet, un témoignage de la réalité ou le doute est-il définitivement installé.

  • 🔄 Aparté : De toutes façons, la manipulation des images, ça n’a rien de nouveau. Vraiment rien. Et l’on pourrait relire un ancien #Cybernetruc – 🎩 Illusion - pour retrouver une belle illustration de manipulation photo. Vous connaissez Colin Evans ?

On pourrait parler de la disparition de Trotski des photos soviétiques [📄], on pourrait aussi évoquer les filtres utilisés sur les photos de profil dans les apps de dating [📰]… la manipulation de l’image a existé dès que l’image elle-même a commencé à exister. Les aristocrates eux-mêmes, quand ils mandataient un artiste pour leur peindre un portrait exigeaient une version embellie d’eux-mêmes [📄].

Non. La question est cette fois ailleurs.

🟥 Filtres

Nicolas Cage Can Be Put Into Any Movie Thanks to an Algorithm | IndieWire

La question n’est pas tant dans la manipulation des images elles-mêmes que dans la capacité de manipulation. Aujourd’hui, il est plus facile que jamais de modifier une image, mais il est surtout possible de le faire de manière massive, et en direct.

On se rappellera les craintes qu’avaient provoquées les DeepFakes – tiens, le mot n’est d’ailleurs quasiment plus utilisé – de Nicolas Cage [📹] ou de Tom Cruise [📹], et on comparera ces craintes à l’enthousiasme provoqué aujourd’hui par les filtres que Microsoft et d’autres acteurs de l’informatique d’entreprise s’apprêtent à déployer sur nos outils de communication en ligne. Là où les incarnations d’acteur demandaient encore énormément de travail – de copie de l’attitude physique notamment, dans le cas de Tom Cruise – et de calcul, il est désormais possible, grâce à l’intelligence artificielle, de modifier en direct l’apparence d’une personne pour que son regard reste centré sur la caméra pendant une réunion à distance entière [📰].

  • 🔄 Aparté : Il faut absolument que vous lisiez le dernier numéro de la lettre Règle 30 de Lucie Ronfaut : Les deepfakes pornographiques n'existent pas sans les hommes [📰]. Il faut de toutes façons que vous vous abonniez à la lettre Règle 30. Ce n’est pas négociale.

Rien de particulièrement étonnant. Les filtres Snapchat – tiens, il existe d’ailleurs des filtres pour chien [📰] – nous avaient déjà initiés à cette possibilité en modification en live de la réalité. L’amélioration des performances informatiques, l’entraînement poussé des algorithmes et la démocratisation des outils de manipulation d’image va renforcer cette tendance à la correction “live” – ou en tout cas très rapide – des contenus. Jusqu’à nous pousser dans un monde où l’on doutera en permanence de la réalité des images, même quand celles-ci sont transmises en direct.

Les craintes sur notre perception du monde dérapent doucement. Loin de Matrix [🎥] et de la simulation totale du monde créée par les robots pour nous dominer, la question est plutôt : voulons-nous vivre en permanence dans un film de David Fincher dans lequel chacun est manipulé et exposé en permanence à une réalité alternative ? En vous laissant le choix éventuellement entre Fight Club [🎥], Gone Girl [🎥] ou The Game [🎥].

Je choisis personnellement The Game, sans doute le moins angoissant des trois.

🌈 Trip

On pourrait s’arrêter là sur nos inquiétudes quant aux développements rapides de la technologie. Mais on peut également tenter un ou deux parallèles de plus. Et pas forcément que positifs. La manipulation massive et en direct de la réalité peut mener à deux choses.

La première, c’est la manipulation de l’information. On a déjà vu le cas se produire plus d’une fois. Souvenez-vous par exemple du scandale Cambridge Analytica [📄] et de la manipulation des élections américaines de 2016 via Facebook. Extrapolons et imaginez donc aujourd’hui qu’une chaîne de télévision populiste – vous trouverez des exemples sans que je vous aide – déploie une technologie de deepfakes en direct sur son antenne et modifie donc en live ses reportages. Et qu’elle ne soit pas la seule à le faire, d’autres l’imitant mais avec d’autres algorithmes. Nous voilà donc plongés, par l’image cette fois et plus seulement par le discours, dans une multiplication des récits et des réalités même, et plus seulement de leur interprétation.

  • 🔄 Aparté : Tiens, pour la peine, on ressortira des cartons le concept de Wikiality [📺] imaginé par l’homme de télévision américain Stephen Colbert en 2006 (déjà). Si la Wikipedia le dit, c’est que c’est vrai.

La seconde, c’est l’émergence d’un nouveau psychédélisme. Et si un réseau social, n’importe lequel, nous proposait en direct une version altérée, psychédélique, de la réalité ? Ne serions-nous pas tentés de l’essayer ? Ne risquerions-nous pas d’y devenir accrocs et de nous détacher progressivement de la vraie réalité à la manière de nouveau hippies ? C’est quoi, un trip à l’IA ?

Et si un bug modifiait notre réalité pour la rendre autrement plus agréable, ne serions-nous pas tentés de le reproduire pour vivre à nouveau ce moment ? Si le réel n’existe plus que derrière des filtres, deviendrons-nous demain des drogués de l’intelligence artificielle ?

Les portes de la perception (Edition Spéciale) (Poche)

On relira l’expérience de la mescaline d’Aldous Huxley. Ses Portes de la perception [📗], c’est peut-être notre réalité demain entouré de deepfakes et d’algorithmes.

Je vous laisse gamberger là-dessus.


Un petit mot à propos de l’auteur ?

François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.

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06.03.2023 à 17:30

🎨 Création | Cybernetruc #11

François Houste

#IA, épisode 11. À l'heure de l'intelligence artificielle, est-il encore nécessaire de "créer" ? On se pose la question en invoquant Nick Cave, Auguste Renoir, Proust et Jacques Sternberg. Bienvenue.
Texte intégral (4970 mots)

CYBERNETRUC! explore de manière irrégulière nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcément les réponses. Vous êtes aujourd’hui pas loin de cent quarante à lire cette lettre. Bonne lecture ! 😉

Fichier:Pierre-Auguste Renoir - La Grenouillère.jpg — Wikipédia

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🌅 Impression

L’apparition d’une nouvelle forme d’art déchaîne toujours les passions. Certains crient au scandale. D’autres crient au génie. Les révolutions artistiques n’ont jamais laissé qui que ce soit totalement indifférent, et ce depuis les premiers temps de l’art. Il y a fort à parier qu’au fond des grottes, les premières représentations de mammouth suscitaient déjà des débats enragés.

Et pourtant, arrive un moment où au-delà du scandale, tout artiste émergeant devient une évidence, sinon une institution. C’est peut-être Marcel Proust – oui, encore – qui en parle le mieux quand il décrit dans un article du Figaro la réception qu’ont reçue les premières toiles d’Auguste Renoir au cours du XIXe siècle [📄]. Et surtout la lumière qu’apporte l’artiste sur le monde dans le regard du chroniqueur :

Quand Renoir commença à peindre on ne reconnaissait pas les choses qu'il montrait. Il est facile de dire aujourd'hui que c'est un peintre du XVIIIe siècle. Mais on omet, en disant cela, le facteur temps, et qu'il en a fallu beaucoup, même en plein XIXe, pour que Renoir fût reconnu grand artiste. Pour y réussir, le peintre original, l'écrivain original, procèdent à la façon des oculistes. Le traitement – par leur peinture, leur littérature – n'est pas toujours agréable. Quand il est fini, ils nous disent : Maintenant regardez. Et voici que le monde, qui n'a pas été créé une fois, mais l'est aussi souvent que survient un nouvel artiste, nous apparaît – si différent de l'ancien – parfaitement clair.

Difficile de savoir si les tremblements que provoquent aujourd’hui les intelligences artificielles génératives dans le monde des arts auront l’ampleur de la révolution impressionniste. Comparer MidJourney ou OpenAI à Renoir, Monet ou Camille Pissarro semble aujourd’hui… déplacé.

Et pourtant, l’arrivée des visuels issus de ces programmes a bien provoqué, au cours des derniers mois, un choc. Il y a bien, désormais, une esthétique de l’intelligence artificielle, faite de certaines couleurs, de certaines formes, d’une certaine lumière, d’un certain type de composition et d’un certain nombre de doigts à chaque main [📄]. Quelque chose qui fait qu’un visuel créé à l’aide d’une IA se reconnaît immédiatement, comme une signature. Une esthétique qui rend, comme toute nouvelle vision du monde, certaines créations antérieures un peu plus datées, passées, has been. Qu’on crie au scandale ou au génie, l’esthétique des IAs restera et marquera.

Mais, au-delà de celle de l’esthétique, une question demeure : que font les intelligences génératives à notre imagination ?

⭐ Imagination

Amazon.fr - Univers zero - STERNBERG JACQUES - Livres

Jacques Sternberg [📄], auteur belge plus que prolifique, de formats courts, de nouvelles de science-fiction et de contes fantastiques, publiait en 1970 un recueil nommé Univers Zéro [📗]. L’ensemble des nouvelles qui le composent gravitent autour de l’idée de fin : fin du monde, fin de la vie, fin de l’ambition, fin de l’aventure… et pourquoi pas fin de l’imagination.

Dans la nouvelle Le Navigateur (publiée originellement en 1956), il décrit un univers dont chaque recoin a été exploré, dont chaque espèce a été découverte, chaque civilisation contactée. Et tout connaître de l’univers débouche, naturellement, sur la fin de l’imagination :

Ceux qui rêvaient à la conquête de l’espace imaginaient sans doute des choses beaucoup plus étonnantes que celles qui me sont entrées dans le regard au cours de mes voyages. La réalité rétrécit tout, je trouve. Vivre les choses, c’est les banaliser. Et nous avons découvert tant de mondes, défoncé tant de mythes, pulvérisé tant de suppositions, qu’il ne nous est même plus possible d’avoir de l’imagination. Les rêves appartiennent à un passé à jamais révolu. De ce passé, il ne reste évidemment plus rien. L’avenir également semble exploré à l’avance, connu, rabâché. Il n’y a plus qu’un éternel présent que je visite depuis trop longtemps pour qu’il puisse encore m’étonner.

Difficile de ne pas faire un parallèle entre l’exploration de l’univers qui touche à sa fin et l’explosion des IA génératives qui rend tout d’un coup l’ensemble des créations possibles. Dans leur monde de mathématique pure, les intelligences artificielles ne peuvent-elles pas tout créer, donner naissance à chaque variation d’histoire ou de couleur que le cerveau humain pourrait imaginer ? Est-il encore utile de créer dans un monde où n’importe quelle expression est à portée d’équation ?

😢 Émotion

https://media.vanityfair.fr/photos/63c6be7b33da3183862d3cf4/16:9/w_2560%2Cc_limit/GettyImages-1420264730.jpg

Dans un article récent Nick Cave se défend justement du droit et de la nécessité de la création. Depuis l’émergence de ChatGPT, l’artiste australien a reçu, comme beaucoup, d’immenses quantités de messages contenant des chansons écrites “à la façon de Nick Cave” par l’intelligence artificielle [📄], partagées par des fans.

Devant ce flot de créations, le chanteur commente et qualifie ces textes d’imitations :

ChatGPT may be able to write a speech or an essay or a sermon or an obituary but it cannot create a genuine song. It could perhaps in time create a song that is, on the surface, indistinguishable from an original, but it will always be a replication, a kind of burlesque.

Pour Nick Cave, il manque quelque chose d’indispensable à ces textes pour en faire de véritables chansons : il manque l’étincelle intérieure de l’artiste. La douleur – et dans le cas de Nick Cave, elle est criante – qui a donné naissance aux textes. Le feu qui ronge le cœur et le cerveau de l’artiste. Sans cela, ces textes ne sont que du bullshit, a grotesque mockery, loin de la création humaine.

Peu importe qu’ils existent, ils n’expriment rien.

  • 🔄 Aparté : On y revient : l’imitation, le burlesque… ce qui rend l’intelligence artificielle drôle malgré elle dans son échec d’être humaine. On en parlait dans 🤣 Rire, l’opus précédent de Cybernetruc.

🎇 Étincelle 

C & F Éditions

Difficile dans ces conditions de ne pas penser à Stéphane Crozat et ses Libres [📕] parus l’année dernière chez les copains de C&F éditions [💻]. Mais surtout, difficile d’en parler sans dévoiler l’intrigue de ce beau roman de science-fiction. Alors, posons la question de manière théorique – et prenez le temps d’acquérir et de lire Les Libres au passage.

L’existence réelle de la bibliothèque de Babel empêcherait-elle tout acte de création littéraire ? Vous connaissez la bibliothèque de Babel ? Non ? Il s’agit d’une bibliothèque imaginaire, sortie de la tête de Jorge Luis Borgès en 1944 et dont les rayonnages - quasiment infinis - contiennent tous les livres de 410 pages possibles (chaque page formée de 40 lignes d'environ 80 caractères) [📄]. L’intégralité des combinaisons de caractères possibles dans ces volumes. Et donc toutes les oeuvres déjà écrites – de Crime et Châtiment [📘] au mode d’emploi de votre lave-linge en passant par cette newsletter.

Il faudrait bien entendu une patience infinie pour retrouver Crime et Châtiment dans ses dédales de couloirs, de pièces et dans ses rayonnages. Mais l’oeuvre y serait bien rangée. Disponible. Lisible.

Quelle utilité alors de la réécrire ? D’en inventer l’histoire ? D’en imaginer l’intrigue ? Et quelle utilité de concevoir n’importe quel autre histoire puisqu’elle serait, elle aussi, quelque part dans les rayons de la bibliothèque. Stéphane Crozat se pose cette question dans Les Libres, en faisant un enjeu de son intrigue.

Nick Cave apporte sans doute la réponse à cette question : créer n’est pas seulement produire, c’est exprimer son propre univers, brûler son propre feu, faire briller sa propre étincelle. C’est créer le monde à chaque fois, comme Renoir le faisait pour Marcel Proust.

Et c’est ce qu’aucune intelligence artificielle, ne pourra jamais de faire.

  • 🔄 Aparté : Oui, j’ai laissé volontairement de côté la question des sources, des inspirations, des droits et de la façon dont les IA génératives pillent les créations d’autres artistes. On en a déjà un peu parler (voir 🎩 Illusion) et on en reparlera, soyez-en assurés.

Je vous laisse gamberger là-dessus ?


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14.02.2023 à 14:44

🤣 Rire | Cybernetruc #10

François Houste

#IA, ép. 10. Cette fois, on se demande si une intelligence artificielle peut rire. Ou faire rire. Ou rire avec nous. Et on invoque pour cela Bergson, Star Wars, Terminator, Alain Degreff et d'autres.
Texte intégral (6665 mots)

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https://www.philomag.com/sites/default/files/styles/header_no_full_width/public/images/web%20Bergson%20prag.jpg

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🕴 Homme

Et si on se posait la question du rire dans notre exploration du monde de l’intelligence artificielle ? L’intelligence est bien entendu ce qui différencie l’humain de l’animal – ok, pas toujours – mais le Rire est, d’après la maxime, le propre de l’homme [📄].

Alors, peut-on rire de l’intelligence artificielle ? Peut-on rire avec l’intelligence artificielle ? Et l’intelligence artificielle peut-elle, elle, se rire de nous ? Sacré panorama.

Le plus simple pour démarrer, c’est de savoir si une intelligence artificielle – terme que je prends toujours au sens marketing – est capable de comprendre l’humour. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que depuis l’ouverture de ChatGPT [💻], les expériences pour faire comprendre à celui-ci la notion d’humour ont été nombreuses. Très nombreuses.

Elles vont de la blague pour enfant

au calembour racé et sophistiqué :

Image

En passant par la déconstruction et l’explication d’une blague honteusement scatologique (lisez jusqu’au bout) [🐤].

Bref.

Il est compliqué de faire comprendre à une plateforme comme ChatGPT l’humour, simplement parce que l’humour verbal repose sur des codes auditifs (les sonorités, les jeux de mot) ou culturels qui ne font tout simplement pas partie des enseignements de la plateforme. Et parce que l’absurde, on le verra plus loin, est très difficilement réductible à un algorithme.

Mais alors ? Peut-on rire, se moquer, d’une intelligence artificielle ? Pour tracer un brouillon de réponse, on va faire appel au philosophe Henri Bergson [📄].

⚙ Machine

Le rire - Henri Bergson - Quadrige - Format Physique et Numérique | PUF

Tout philosophe qu’il fut, Bergson a consacré en 1900 un essai complet au rire [📕], au comique, à leurs significations et à leurs mécaniques. Il y détaille plusieurs formes d’humour et tente d’expliquer ce qui rend cet humour drôle [📺].

Parmi l’ensemble de ces explorations, il y en a une qui concerne Le comique des mouvements. Bergson énonce la loi qui régit ce comique :

Les attitudes, gestes et mouvements du corps humain sont risibles dans l’exacte mesure où ce corps nous fait penser à une simple mécanique.

À partir du moment où un corps, ou un esprit, n’a plus le naturel propre à l’humain et devient comparable à un objet, le rire est là. La répétition peut-être l’un des facteurs de cette conversion mécanique :

Voici par exemple, chez un orateur, le geste, qui rivalise avec la parole. Jaloux de la parole, le geste court derrière la pensée et demande, lui aussi, à servir d’interprète. Soit ; mais qu’il s’astreigne alors à suivre la pensée dans le détail de ses évolutions. […] Que le geste s’anime donc comme elle ! Qu’il accepte la loi fondamentale de la vie, qui est de ne se répéter jamais ! Mais voici qu’un certain mouvement du bras ou de la tête, toujours le même, me paraît revenir périodiquement. Si je le remarque, s’il suffit à me distraire, si je l’attends au passage et s’il arrive quand je l’attends, involontairement je rirai. Pourquoi ? Parce que j’ai maintenant devant moi ne mécanique qui fonctionne automatiquement? Ce n’est plus de la vie, c’est de l’automatisme installé dans la vie et imitant la vie. C’est du comique.

Mais pour Bergson, la raison va plus loin que le simple automatisme et la simple répétition. Ce qui se joue derrière ce comique de mouvement, ce qui fait réellement rire, c’est la transformation de l’être humain en “objet”. Bergson prend exemple d’un spectacle de cirque qu’il a vu enfant et dans lequel les clowns traversaient la piste, se percutaient les uns les autres, se relevaient et se percutaient à nouveau. Dans l’esprit du spectateur, les clowns, au-delà de leur grimage, n’étaient plus des êtres humains mais étaient devenus des ballons de caoutchouc projetés les uns contre les autres.

Se transformant en objet, l’humain devient drôle. Fait rire.

charlie-chaplin - The relevance of Charles Chaplin's 'Modern Times' -  Telegraph India

Et il faut bien donner raison à Bergson et reconnaître que les exemples sont nombreux. Du travail à la chaîne qu’exécute Charlot dans Les Temps Modernes [🎥] (1936) à l’Inspecteur Kemp dans le Young Frankenstein de Mel Brooks [🎥] (1974).

L’humain qui devient robot fait rire.

Mais le robot qui se rêve humain fait-il rire lui aussi ?

🤖 Robot

De robots qui s’imaginent humains, la science-fiction en regorge. Mais quels sont ceux qui nous font rire ? Et avant tout qu’attendons-nous d’une intelligence artificielle, d’un robot de fiction ?

Pour reprendre quelques-uns des mots de Bergson, un robot est un automatisme, une machine dont le comportement doit être parfaitement logique et parfois – souvent – répétitif. L’empilement des cubes de déchets de Wall-E [🎥] tient du comportement normal d’un robot et n’a rien de risible – on y reviendra.

On attend du robot, de l’intelligence artificielle, qu’il effectue la tâche pour laquelle il est programmé, tâche qui est souvent ambitieuse, de manière parfaite. Et donc, ce qui avec les robots crée le décalage, et parfois le rire, c’est en fait l’imperfection.

On n’en oublie pas pour autant que le robot est un robot, on découvre simplement qu’il est inadapté au monde qui l’entoure. Incapable de se confronter à son irrationalité. Ce sont par exemple les failles d’un androïde policier incapable de prévoir les conséquences de ses actes dans Holmes et Yoyo [📺] – la première confrontation à un robot de bien des personnes de ma génération. Ce sont aussi les déboires de communication de C-3PO, pourtant le robot de protocole le plus évolué de sa génération, dans Star Wars [🎥].

Et pour clôturer une galerie d’exemples qui pourrait se prolonger à l’infini, c’est ce moment dans le Terminator 2 de James Cameron où le T-1000, machine à tuer parfaite, oublie que le pistolet qu’il tient à la main ne se liquéfie pas comme lui et le cogne aux grilles de l’institut psychiatrique [🎥]. Le seul moment du film où ce robot-tueur fait finalement… sourire.

Car quand le robot est parfait, il ennuie. Et quand le robot devient trop humain… il effraie ou émeut. Il effraie comme HAL-9000 et sa logique implacable, très humaine, comme les réplicants de Blade Runner prêts à tout pour vivre comme les hommes. Ou il émeut comme Wall-E qui collectionne les souvenirs et tombe amoureux. Ou comme le petit garçon du A.I. Intelligence artificielle de Steven Spielberg, tellement humain qu’il ignore lui-même sa nature de robot.

C’est le robot imparfait, celui qui s’écarte de la promesse qui nous en est faite, qui nous fait finalement rire. Et c’est exactement pour cela que les dialogues absurdes que nous entretenons avec un ChatGPT [🐤] sont si drôles. Parce qu’ils vont à rebours de la promesse marketing du programme de nous fournir un alter-ego de discussion, un sparing partner pour nos réflexions, un miroir qui serait capable de réfléchir comme nous. ChatGPT est ridicule, et c’est en partie ce qui fait son succès foudroyant. Un peu comme ces vidéos de robots fabricants de hot-dog qui échouent deviennent virales [📹].

🐑 Humour

Reste à se demander si une intelligence artificielle serait capable de nous faire rire volontairement. Et là, eh bien… c’est plus compliqué.

Les quelques tentatives d’humour de ChatGPT (encore lui) zigzaguent entre l’étrange et le gênant [🐤]. Parce que, tout d’abord, et malgré les promesses alléchantes d’OpenAI, ce programme informatique n’a pas été conçu pour être drôle mais pour simplement simuler le langage et l’argumentation humaine. Faire de l’humour va bien entendu au-delà de la simple manipulation de langage.

C’est à la fois une subtile question de décalage – sortir d’une situation initiale normale – et de liens – trouver les passerelles entre cette situation initiale et celle, cible, sur laquelle reposera le comique. C’est une question de références culturelles ténues et d’absurde. Et on l’a vu : tout d’abord une I.A. ne peut pas créer réellement de liens culturels - parce qu’elle ne possède pas de lecture subjective, inédite, du monde (voir 🔗 Liens, partagé il y a quelques semaines) et qu’elle est donc incapable de créer des relations entre des éléments au-delà d’un corpus établi, voire universel. Mais dans l’humour, c’est bien souvent l’inédit de ce lien, ou son étroitesse, qui provoque le rire. On ne peut demander aujourd’hui à ChatGPT de créer un lien sur une homonymie, une ambiguïté de sens – pour ne prendre que le domaine des jeux de mots. Il n’a pas été conçu pour cela.

Night at the Opera, A (1935) – FilmFanatic.org

Il lui manque donc l’absurde. Gageons d’abord que celui-ci n’est pas transformable en algorithme – même si cela ferait un bon départ pour une nouvelle fantastique. Mais surtout, l’absurde découle de l’étroitesse du lien, qu’il s’agisse d’un jeu de mot ou d’un décalage de situation [🎥]. Les tentatives d’absurde des I.A. ne révèlent elles qu’un lien rompu, incompréhensible.

Quand l’I.A. nous fait rire, ce n’est donc jamais volontairement, mais toujours à ses dépend. Par décalage entre sa promesse de perfection et l’aspect bancal de ses dialogues.

Mais après tout, c’est peut-être déjà un talent.

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02.02.2023 à 14:03

💵 Capitalisme | Cybernetruc #09

François Houste

Des Mythologies de Roland Barthes aux IA génératives, de la locomotive de Stephenson au Cobaye de Brett Leonard, on se penche sur ce que les IA changent dans notre perception de l'intelligence.
Texte intégral (5176 mots)

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https://i2-prod.manchestereveningnews.co.uk/incoming/article14702301.ece/ALTERNATES/s1200/Rocket-preferredjpeg.jpg

Des [💿], [📗] ou [📰] ? Cliquez, ils vous emmèneront vers des compléments d’information.

📖 Mythologie

Il y a quelques lectures, dernièrement, qui ont donné envie d’explorer encore un peu plus loin les imaginaires de l’intelligence artificielle, et la façon dont celle-ci – et notamment ses modèles génératifs – tisse des liens avec les mythes du progrès et du capitalisme. Un petit voyage qui promet d’être riche.

Amazon.fr - Mythologies ((réédition)) - Barthes, Roland - Livres

Commençons donc en parlant de Mythologies. Dans un recueil de réflexion de 1957 [📘], le philosophe français Roland Barthes [📄] fait l’inventaire des mythes qui dessinent le monde petit-bourgeois de l’après-guerre. Nous sommes alors dans une période de progrès et de consommation. La reconstruction est derrière nous, l’industrie des loisirs (on parle du cinéma, de la musique, du catch et du Tour de France) est florissante et l’économie est au beau fixe. Le début des Trente Glorieuses françaises, apaisé si l’on excepte les crises politiques que sont la Guerre d’Algérie et la décolonisation, mérite bien qu’on se penche sur les images qui le composent.

C’est à cette tâche que s’atèle donc Roland Barthes. Le long d’une cinquantaine de notices, il va déconstruire les images de la petite-bourgeoisie, les mythes qui façonnent son univers, entre publicité et consommation, valeur travail (📺) et loisirs, automobile et cinéma… Quelques-unes de ces notices sont des bijoux, comme celle évoquant l’écrivain en vacances, le gangster de cinéma (“[…] les gangsters et les dieux ne parlent pas, ils bougent la tête, et tout s’accomplit.”) ou le Tour de France. Mais Barthes est réellement intriguant quand il s’atèle à déconstruire le discours du Poujadisme [📄], ce mouvement de défense des classes-moyennes, clairement d’extrême-droite, né dans les années 1950 et aux origines du Front National actuel.

Dans un note nommée Poujade et les intellectuels, il évoque justement l’image des intellectuels – comprendre universitaires, scientifiques, chercheurs… parisiens surtout – en opposition au monde des artisans, des ouvriers, du bon sens provincial. Mises en exergue de Barthes lui-même.

Comme tout être mythique, l’intellectuel participe d’un thème général, d’une substance : l’air, c’est à dire (bien que ce soit là une identité peu scientifique) le vide. Supérieur, l’intellectuel plane, il ne « colle » pas à la réalité (la réalité, c’est évidemment la terre, mythe ambigu qui signifie à la fois la race, la ruralité, la province, le bon sens, l’obscur innombrable, etc.). Un restaurateur, qui reçoit régulièrement des intellectuels, les appelle des « hélicoptères», image dépréciative qui retire au survol la puissance virile de l’avion […]

La suite égraine sur quelques pages les clichés qui habillent l’intellectuel pour la petite-bourgeoisie : le vide, une non-production tangible, un trop plein de réflexion là où le bon sens suffit, l’éloignement des racines paysannes, voire la mauvaise apparence physique de l’intellectuel chétif et maladif. Une pensée qui marque encore énormément le paysage politique et sociologique français. Un mythe.

  • 🔄 Aparté personnel : quand je rencontrais pour la première fois mon futur beau-père, il y a de cela presque 25, celui-ci me demanda tout naturellement quel était mon métier. Sa conclusion, simple et sans méchanceté, a alors été que je “ne produisais rien”.

L'Holocauste - James E. GUNN - Fiche livre - Critiques - Adaptations -  nooSFere

Cette image de l’intellectuel existe bien entendu partout dans les sociétés occidentales. On la retrouvera dans la défiance envers le corps médical lors de l’épidémie de Covid-19 de 2020. On la trouvera également dans la science-fiction. Un roman comme L’Holocauste de James Edwin Gunn [📄] (1972) évoque par exemple l’émergence d’un gouvernement américain chassant les scientifiques et brûlant les universités. Toute ressemblance, etc.

⚙ Progrès

Mais quel rapport entre Roland Barthes et le thème de l’intelligence artificielle qui nous occupe depuis quelques mois ? On va y venir.

L’intelligence artificielle, telle qu’elle est portée par Open.AI [📄] et d’autres sociétés comme Microsoft ou Google, est le dernier ersatz du progrès. Ce mythe qui veut, depuis le XIXe siècle, que la recherche scientifique – ou plutôt technique – soit au service du bonheur humain, via l’accroissement des richesses et l’amélioration de la performance.

  • 🔄 Aparté : On pourrait d’ailleurs pousser l’analyse plus loin en invoquant le positivisme [📄] et le longtermisme dont Elon Musk – fervent supporter de l’IA – est aujourd’hui l’un des représentant le plus emblématique [📄]. Mais cet article est déjà bien long.

    Maquette de train en bois : Locomotive Rocket - OCCRE - Rue des Maquettes

On pourrait ainsi établir un très beau parallèle entre la première démonstration de la Rocket de Stephenson [📄], la première locomotive à vapeur construite en 1829 et les démonstrations des I.A. génératives comme MidJourney [💻] et ChatGPT [💻] qui pullulent sur le net depuis quelques mois.

ChatGPT, comme The Rocket, est une démonstration technologique visant à prouver qu’une machine peut très bien faire le même travail qu’un être humain : c’est à dire dans son cas, produire des idées, argumenter, discourir, produire du texte. ChatGPT tend d’ailleurs, comme The Rocket mis en concurrence avec la force animale du cheval, à prouver qu’elle peut faire mieux qu’un être humain. Ou en tout cas, plus rapidement, plus efficacement.

Imiter l’homme, pour ensuite mieux le soulager de son fardeau quotidien remplacer, c’est tout l’enjeu de la technologie depuis plus de deux siècles. Depuis les chaînes de montage des usines [🎥] jusqu’aux tests d’intelligence imaginés par Alan Turing (oui, on en revient toujours là, voire 🧠 Intelligence, notre article d’il y a quelques semaines).

La logique de l’informatique, depuis les cartes perforées d’Herman Hollerith [📄], a toujours été de réussir à copier le fonctionnement du cerveau humain.

🔢 Mathématiques

Est-ce que ChatGPT y parvient ?

Non… simplement parce que, comme nous l’expliquons depuis quelques mois, le fonctionnement du cerveau humain n’est pas “accessible” de l’extérieur, et donc non duplicable. ChatGPT peut donc copier la production du cerveau humain, mais non pas ses rouages, son algorithme. Comme le disait Alan Turing [📰] : “the only way by which one could be sure that a machine thinks is to be the machine and to feel oneself thinking.” (voir 📚 Vocabulaire)

Nul ne peut connaître le fonctionnement interne de la pensée.

Alors ChatGPT déplace le problème… et c’est là que nous pouvons en revenir à Roland Barthes. ChatGPT, MidJourney et leurs comparses déconstruisent simplement le mythe de l’intellectuel exposé plus haut, voire le mythe de l’intelligence.

Si la production d’une intelligence artificielle, d’un robot… d’un programme informatique, peut concurrencer celle d’un intellectuel, alors ce dernier devient un producteur comme un autre. Il n’est plus supérieur à l’ouvrier, puisque son travail devient automatisable de la même façon. Ce travail devient même accessible à n’importe qui maîtrisant un peu les techniques de prompts. Transposé à la logique de Turing, nous pourrions envisager qu’un individu manipulant une I.A. générative peut prétendre réussir n’importe quel test d’intelligence [🎥] et entrer en compétition avec ces intellectuels tant honnis.

L’intellectuel inutile de Poujade – car déconnecté des réalités – devient à l’ère des intelligences artificielles doublement inutile : son travail n’a pas de sens, mais il est désormais remplaçable, automatisable… chiffrable.

  • 🔄 Aparté : On se penchera à l’occasion sur la question de la mesure et la façon dont elle a contribué au mythe du progrès, entre Grèce antique et Révolution Française. Ça reparlera de Michel Foucault et du système métrique international [📕].

💵 Capitalisme

Et c’est ici que la logique des I.A. prend tout son sens.

Les tâches intellectuelles, abstraites et non mesurables depuis toujours, sont désormais comparables. Si l’on ne peut toujours pas prétendre à la compréhension des rouages internes du cerveau, nous avons désormais un équivalent machine de sa capacité de production : tel texte demande autant de cycles-machine, telle image autant de temps de calcul, tel niveau de sophistication de pensée tel investissement de recherche et développement (et tel volume de main d’oeuvre bon marché [📰] pour son apprentissage).

L’intelligence devient chiffrable, réductible au chiffre. Un investissement, un temps passé, une valeur. L’intelligence, voire la création, qui depuis les philosophes grecs étaient le pré-carré de la nature humaine, devient une matière chiffrable et donc facilement monétisable.

Les intelligences artificielles génératives viennent de faire entrer, théoriquement, l’intelligence humaine dans l’ère de la concurrence.

Le capitalisme est désormais entré dans notre cerveau.

Je vous laisse gamberger là-dessus ?


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François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.

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23.01.2023 à 10:37

🐺 Meute | Cybernetruc #08

François Houste

On explore encore le thème de l'intelligence artificielle, mais cette fois avec des capteurs, des loups, un space-opera, une porte des étoiles… Collaborer à large échelle, est-ce être intelligent ?
Texte intégral (5513 mots)

CYBERNETRUC! explore de manière irrégulière nos imaginaires technologiques et numériques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcément les réponses. Vous êtes désormais cent-vingt à suivre cette aventure. Bonne lecture ! 😉

Une meute de 4 loups dans les Vosges ! - FERUS

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🖐 Sensations

C’est un sujet qu’on a commencé à aborder en aparté lors de la dernière newsletter (🔗Liens, pour ceux qui l’ont manquée). En y parlant de perception et d’intelligence, deux idées nous sont venues en tête. Tout d’abord que la perception, telle qu’elle existe dans le règle animal et chez l’homme, peut très difficilement être transcrite chez les robots et les intelligences artificielles. Aujourd’hui, sur les cinq sens [🎥] qui caractérisent les êtres humains, seuls la vue et l’ouïe ont leurs équivalents pleinement fonctionnels chez les robots, par l’intermédiaire de caméras et de microphones. Certains capteurs pourraient bien sûr s’apparenter à un sens du toucher, mais en ce qui concerne le goût et l’odeur, on est loin d’un remplacement des sommeliers et des nez des maisons de parfum par les machines. Skynet chez Dior, ce n’est sans doute pas pour tout de suite.

Et puis surtout, ce qui manque aux robots, ce ne sont pas tant les capteurs que les moyens d’interpréter ce qu’ils captent. Les robots n’ont pas de sensations, mais seulement une interprétation chiffrée de signaux extérieurs. Et si la douleur peut éventuellement se ramener à des chiffres – on parle bien d’échelle de douleur – le dégoût et le plaisir sont eux difficilement quantifiables.

Un robot, une IA, cela reste avant tout un algorithme rationnel.

🎤 Capteurs

Mais il y a une autre différence de taille à explorer. C’est celle de la multiplicité de données captées par les intelligences artificielles. Là où un être humain est contraint par son corps, un programme informatique n’a, virtuellement, pas de limites quant à la quantité de données entrantes qu’il peut traiter. Et donc quant à la quantité de perception qu’il peut avoir simultanément.

Ses seuls limites sont liées à sa capacité de calcul et au déploiement physique de son réseau de capteurs.

Her en DVD : her - AlloCiné

☣ ATTENTION SPOILER ! – On se souviendra par exemple, dans le film her de Spike Jonze [🎥], que ce sont des millions de relations amoureuses simultanées que Samantha, l’intelligence artificielle, avoue entretenir. – fin du spoiler

Et les films et nouvelles d’anticipation regorgent de ces super-ordinateurs étendant leur réseau de caméras et de micros sur toute la surface du globe pour contrôler, et asservir l’humanité. Ou plus positivement parfois, assurer son bien être. Un exemple parmi d’autres, l’ordinateur imaginé par Isaac Asimov dans sa nouvelle The Evitable Conflict [📗], la dernière du recueil Les Robots. Un ordinateur qui collecte l’ensemble des données économiques, politiques, démographiques – et que sais-je encore – du monde et oriente les actions de chacun dans l’objectif de conserver la paix sur Terre. Si l’homme y perd son libre-arbitre, il y gagne en sérénité :

Dites plutôt quelle merveille ! Pensez que désormais et pour toujours les conflits sont devenus évitables. Dorénavant seules les Machines sont inévitables !

  • 🔄 Aparté. On se penchera à nouveau sur tout cela à l’occasion. Sur Norbert Wiener, sur les expériences du gouvernement chilien au début des années 1970 et sur les bonheurs annoncés de la cybernétique. En attendant, on peut se repencher sur ce (pas si) ancien article : 🔢 On peut débattre de tout, sauf des chiffres*.

Mais cette multiplication des capteurs et des signaux entrant ne crée pas pour autant de sensations, ni de sentiments. Et le traitement chiffré de milliards de données ne donne pas plus d’intelligence au silicium que le traitement de quelques octets.

Les millions d’aspirateurs autonomes vendus par Roomba et leurs millions de caméras espionnant les femmes dans leurs toilettes [📰] ne forment pas un réseau intelligent.

Il nous faut donc chercher ailleurs.

🐺 Meute

C’est donc une idée qu’on a abordé rapidement dans la dernière lettre que l’on va ressortir. Plutôt que d’étudier la multiplicité des capteurs, ne pourrait-on se pencher rapidement sur la multiplication des instances ? Petite plongée dans deux oeuvres de science-fiction pour s’inspirer.

Amazon.fr - A Fire Upon The Deep - Vinge, Vernor - Livres

La première, c’est A Fire upon the Deep de Vernor Vinge [📕]. Au cœur d’une longue et haletante épopée spatiale, Vernor Vinge imagine, au fond des profondeurs stellaires, une planète peuplée de… loups transcendants, faute de trouver meilleure description. Imaginez donc une meute de 4 à 8 loups, semblables aux animaux évoluant sur Terre, mais dont les esprits sont fusionnés et communiquent de façon continue. Chaque “individu” y est donc, en réalité, composé de 4 à 8 individualités – des esprits mais aussi des corps – cohabitant et collaborant. L’objectif de chacun de ses individus est bien entendu sa survie propre – et non pas forcément la survie des membres qui le composent, la nuance est importante – et la survie de la société globale qu’ils forment.

Ces individus évoluent au fil du temps. Leurs membres les plus anciens meurent, biologiquement – de vieillesse ou suite à des blessures – et sont remplacés par des membres plus jeunes qui doivent apprendre à cohabiter ou à dominer un esprit multiple, toujours dans l’intérêt de la survie de l’ensemble de ses membres.

IsaacAsimov Foundation'sEdge.jpg

Si l’on va (re)faire un tour du côté Isaac Asimov – ça commence à être une habitude par ici – on va cette fois se pencher sur Fondation Foudroyée [📗] (Foundation’s Edge en version originale). Je ne gâche pas cette fois l’intrigue de ce quatrième épisode de la sage Fondation, lisez-la par vous même… mais, dans ce volume les héros font la rencontre d’une planète nommée Gaïa sur laquelle l’ensemble des êtres sont connectés. Êtres vivants – humains et animaux – mais également plantes et minéraux. L’intégralité de l’écosystème Gaïa partage une seule et même conscience qui oeuvre, d’un commun accord, pour la survie, la prospérité et le bonheur de son ensemble. Une planète “connectée” en quelques sortes, sur laquelle les perceptions et sensations de chacun concernent tous les autres, et les réflexion des individus influent sur le destin commun du monde.

Une vision positive de la communion d’esprit.

Bug réplicateur Stargate - Etsy France

En version apocalyptique, on pourrait penser aux Réplicateurs de la série Stargate [📺], ces robots agissant de manière coordonnées et capables de se reproduire depuis une entité-mère assez… coriace.

🧠 Collaboration

Et c’est peut-être là qu’on pourrait en venir.

On n’évacuera pas, bien entendu, le question de la mémoire, de la perception, des sensations et des liens dans la définition de l’intelligence. Et on ne perdra pas de vue que de que nous appelons aujourd’hui par abus de langage une Intelligence Artificielle est avant tout une suite d’instructions, un algorithme. Il n’est pas question de prétendre encore une fois mettre sur un niveau équivalent la logique froide des programmes informatiques et la créativité du cerveau humain.

Mais…

Que se passe-t-il, dans notre réflexion sur la notion d’intelligence si nous créons quelque-chose d’un peu nouveau ? Si nous, par exemple, mettons en résonnance la multiplication des capteurs et la multiplication des instances. Un modèle capable, par l’abondance de signaux entrants, d’avoir accès à une quantité d’informations directes sans rapport avec la capacité de perception de l’être humain. Et en complément, un modèle capable, par la multiplication de ses instances – des copies similaires de ses fonctions de base – de rentrer dans une sorte de logique de gouvernance – de collaboration ? – entre plusieurs algorithmes complexes, à la façon dont les consciences des loups de A Fire upon the Deep cohabitent.

Si, bien entendu, on ne touche pas là à la créativité ou l’initiative humaine – ces modèles ne sont pas capables de créer de l’inédit – on arriverait peut-être bien à un système qui dépasserait la réflexion et la collaboration humaines. (“dépasser” non pas au sens de performance, mais de définition : qui irait au-delà de la définition humaine de l’intelligence.)

Et donc, un système qui, s’il n’est pas comparable directement à une intelligence humaine, mériterait peut-être par sa complexité le nom d’intelligence. Une intelligence autre, comme celle fantasmées des dauphins que l’on évoquait il y a quelques articles (voir 📚 Vocabulaire).

Espérer autre chose que la simple copie du cerveau humain, c’est peut-être là que réside le fantasme de l’intelligence artificielle ? Et dans ce cas, pourquoi pas quelque-chose que l’on pourrait appeler…. une intelligence de meute.

Je vous laisse gamberger là-dessus ?


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13.01.2023 à 10:03

🔗Liens | Cybernetruc #07

François Houste

On parle de liens. On invoque Proust, Aristote, Descartes (un peu), Pierre Lévy et Duran Duran pour continuer à explorer la question : l'intelligence artificielle est-elle vraiment une intelligence ?
Texte intégral (5387 mots)

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Recette - Madeleines à l'ancienne en vidéo - 750g.com

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🧠 Intelligence

C’est une phrase tombée d’une lecture que d’aucun ne manquerait de qualifier d’intello qui lance la réflexion cette fois-ci…

Michel Foucault - Leçon sur la volonté de savoir : cours au Collège de  France : 1970-1971. Le savoir d'Oedipe

Dans ses Leçons sur la volonté de savoir [📘], et notamment dans sa lecture de la Métaphysique d’Aristote [📕], Michel Foucault [📄] évoque la notion d’intelligence très rapidement, en complément de considérations sur la perception :

[…] Apparaît avec la mémoire la propriété d’être intelligent ; et apparaît avec cette audition le fait de pouvoir et d’être disposé à apprendre, l’aptitude à être disciple […]

C’est donc, la combinaison de la capacité de perception et de la mémoire qui, semble-t-il, fait l’intelligence. Cette combinaison unique différencie, pour Aristote, l’humain de l’animal. Je résumerai les choses grossièrement – en attrapant simplement quelques bribes du discours conjoint des deux philosophes – de la façon suivante. D’abord, l’homme se distingue par sa capacité à percevoir son environnement “pour le plaisir”, au-delà de sa simple nécessité de survie. C’est ainsi qu’il peut percevoir le beau, le plaisant et y revenir. C’est ainsi que la vue est devenue pour lui l’un des sens prédominants, puisqu’il est celui qui peut porter le plus de valeur esthétique. Vient ensuite la mémoire, et la capacité à rapprocher ses perceptions immédiates de ses perceptions passées au-delà de l’instinct de survie. L’homme possède la capacité à faire des liensterminologie que j’implante moi-même dans ce discours, mais qui est importante pour la suiteentre ses différentes expériences et ainsi à bâtir des rapprochements originaux sur ces bases. Concevoir des réflexions. Mettre en branle une… intelligence.

  • 🔄 Aparté. Si on veut creuser plus loin, on citera René Descartes – dont les propos sont mis en avant par Geoffrey Jefferson dans son article The Mind of Mechanical Man [📰] dont on parlait dans l’article 🧠 Intelligence il y a quelques semaines – qui défendait la conviction que l’animal ne fonctionne que par réflexes, là où l’homme est capable de réflexion.

On se permettra tout de même une réserve sur cette réflexion qui a, mine de rien, quelques millénaires d’ancienneté. Tout d’abord, qu’il y a aujourd’hui des questionnements ouverts sur l’intelligence et la conscience des animaux.

C’est l’un des sujets du Qui Parle ? d’Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós [📗] – que l’on abordait au passage dans le billet 🕺 Humains il y a quelques semaines – qui pose la question de notre capacité en tant qu’humain à comprendre une intelligence réelle mais non-humaine. Vous pouvez là-dessus rembobiner votre lecture de Cybernetruc depuis septembre (👽 Contact), c’est un thème récurrent par ici…

  • 🔄 Aparté. Et d’ailleurs, on pourra étendre la réflexion à la possibilité d’émergence d’une intelligence/conscience collective, au sein d’une espèce ou inter-espèce. Hypothèse star de nombre d’oeuvres de science-fiction, du Un Feu sur l’abîme [📕] de Vernor Vinge à l’hypothèse Gaïa et aux Spaciens du cycle de Fondation d’Isaac Asimov [📘]. Mais on digresse beaucoup… cela pourrait aussi être l’idée d’un prochain article.

Une question demeure : est-ce que les intelligences artificielles font des liens ?

☕ Madeleine

Le monde dans l'œuvre de Marcel Proust - Mister Prépa

Un lien, c’est quoi ? C’est une association, même ténue, entre deux idées. Ou, pour reprendre Aristote, entre une perception et un souvenir. Oui, on en revient toujours aux mêmes choses : la madeleine de Proust (avec la citation, parce que ça fait toujours plaisir de citer Marcel Proust et La Recherche [📗]) :

Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin, à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience.

  • 🔄 Aparté. Cette question du lien et de ses rapports avec notre culture digitale a été massivement abordée dans une série d’articles nommée As We May Link, parue il y a plus d’un an sur le blog de l’agence Serviceplan [📄]. Je vous laisse vous y ressourcer si vous le souhaitez. Ça parle à la fois de liens, d’Arpanet, de Proust, de gnocchis et de communs. Régalez-vous.

Revenons donc à la question de l’intelligence artificielle. Est-elle capable de faire ces liens qui semblent si importants dans la définition de l’intelligence ? Pour le savoir, il faut se pencher sur deux questions :

  • Est-ce qu’une intelligence artificielle est capable de percevoir ?

  • Et a-t-elle a proprement parler une mémoire ?

Questions loin d’être évidentes.

👂 Perception

Sur le sujet de la perception, on pourrait s’en sortir en invoquant le peu de sens d’une I.A. Son manque de moyens de perception. Une intelligence artificielle – ou plutôt une intelligence générative pour ne parler que de celles qui occupent les unes des journaux depuis quelques mois – ne touche pas, ne goûte pas, ne sent pas... Peut-être voit-elle, si on considère l’interprétation des octets d’une image comme le sens de la vue. Et peut-être entend-elle, si l’on considère les prompts saisis pas les humains comme une parole. Ces deux sens pourraient peut-être suffire comme base de l’intelligence… sauf que… ils ne perçoivent pas le monde directement, mais seulement la représentation que nous lui transmettons via nos fichiers et nos phrases. L’I.A. n’a accès qu’à un environnement filtré, voilé par nos propres biais et nos propres interprétations et n’a aucune expérience directe du monde.

On pourrait rapprocher cela de l’allégorie de la Caverne de Platon [📄] à l’occasion. Mais quoi qu’il en soit, une IA générative ne semble pas à date avoir de perception directe du monde qui l’entoure.

🧠 Mémoire

Mais, est-ce que cela va mieux du côté de la mémoire ? Les données de base qui servent à entraîner une intelligence artificielle sont-ils à proprement parler une mémoire ?

C’est un peu plus difficile à juger. L’ensemble des faits, textes, données encyclopédiques ingurgités par une intelligence artificielle lors de son apprentissage pourraient effectivement s’apparenter à une sorte de mémoire. Un historique auquel elle se réfère lors de ses interactions avec les humains et qui inspire ses réponses. Sauf que…

Il n’existe pas, chez l’humain, de mémoire objective. Ce que nous appelons mémoire n’est jamais que la trace laissée par les perceptions passées. Les liens que nous faisons ne sont que des passerelles entre nos perceptions actuelles – la musique que j’écoute actuellement [💿] – et nos perceptions passées – les souvenirs que cette musique évoque, accumulés par mes propres sens [📺]. La mémoire est intimement liées à la perception, et à l’expérience personnelle.

Qu'est-ce que le virtuel ? - Pierre Lévy

On pourra se replonger pour comprendre cela dans l’anecdote de la madeleine de Proust, ou dans la définition de ce qu’est le Virtuel chez Pierre Lévy [📙], par le biais de son explication de la lecture :

Du texte lui-même, il ne rest bientôt plus rien. Au mieux, grâce à lui, nous aurons apporté quelque retouche à nos modèles du monde. Il nous a peut-être seulement service à faire entrer en résonnance quelques images, quelques mots, que nous possédions déjà. Parfois, nous aurons rapporté un de ses fragments, investit d’une intensité spéciale, à telle zone de notre architecture mnémonique, un autre à tel tronçon de nos réseaux intellectuels.

Lire n’est pas une expérience objective, c’est une construction de liens entre le ressenti actuel – le texte que nous sommes en train de lire – et nos expériences passées – éventuellement les textes que nous avons lu auparavant, eux-mêmes liés à nos lectures antérieures, à l’infini. Et surtout, cette expérience de lecture est, forcément, subjective puisqu’elle dépend de l’historique de lecture, de rencontres, de chacun. Il n’y a pas de lecture objective d’un texte. (On en parlait ici il y a longtemps.)

Mieux encore, les souvenirs de lecture, la mémoire, peut s’actualiser en fonction des lectures actuelles et prendre un nouvel éclairage… une boucle infinie, toujours en mouvement, se forme alors.

On en revient donc à la capacité de mémoire de l’intelligence artificielle. Il semble au regard de cela difficile de comparer la base de connaissances d’une IA au fonctionnement de la mémoire humaine. D’abord parce que cette mémoire ne serait pas liée aux perceptions mais à une base de données objectives, factuelle, à laquelle nous n’avons pas humainement accès. Ensuite parce que cette base de données, de souvenirs, est figée, stable, et semble incapable d’évoluer dans le temps.

Si la mémoire se base avant tout sur la perception, c’est avant tout la subjectivité et la malléabilité des souvenirs qui ferait l’intelligence. Reste donc à savoir si, pour devenir réellement intelligente, une IA pourrait devenir évolutive et… subjective.

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04.01.2023 à 12:14

📚 Vocabulaire | Cybernetruc #06

François Houste

Cybernetruc, nouvel opus. Où l'on invoque Alan Turing et des dauphins, des chats et des chats, pour savoir s'il est légitime d'utiliser le terme Intelligence pour désigner un programme informatique.
Texte intégral (5385 mots)

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Dolphins in the Navy! - Dolphins And You

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📚 Vocabulaire

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus [📗] en 1944. Autant donc se pencher cette fois sur une question de… vocabulaire. Une intelligence artificielle est-elle réellement une « intelligence artificielle » ? Est-il légitime de nommer un programme informatique de cette façon ?

On récapitule deux-trois choses avant de commencer à répondre…

Imitation Game : l'histoire vraie d'Alan Turing, joué par Benedict  Cumberbatch

Retour tout d’abord sur Alan Turing, puisque son article Computing Machinery and Intelligence [📰] de 1950 est l’une des bases de l’ensemble des réflexions que l’on mène ici depuis quelques mois (on en parlait surtout dans… 🧠 Intelligence). Turing y oppose les notions d’Intelligence et de Conscience et revient sur l’une des arguments qui peut être présenté contre son test : Il est impossible de savoir si une machine pense sans être soi-même à l’intérieur de cette machine et d’en connaître les rouages intimes (mise en exergue du texte par Alan Turing lui-même) :

According to the most extreme form of this view the only way by which one could be sure that a machine thinks is to be the machine and to feel oneself thinking. One could then describe these feelings to the world, but of course no one would be justified in taking any notice. Likewise according to this view the only way to know that a man thinks is to be that particular man.

Turing se sert d’ailleurs de ce contre-argument pour valider son test : si l’on ne peut prouver l’intelligence par la seule perception, alors je ne peux pas savoir si un autre être humain – toi, ami lecteur, ou toi, Président de la République – est réellement intelligent. Et je peux statuer que tous, à l’exception de moi, sont dénués d’intelligence. Position extrême. Et indéfendable. Puisqu’il faut bien reconnaître que certaines personnes en dehors de nous-même sont intelligentes. Et que nous acceptons leur intelligence sur la base de la perception que nous en avons…

Donc… pourquoi ne pas accepter l’intelligence d’un robot sur la base de cette perception extérieure ? Après tout, c’est… logique.

🐱 Anthropomorphisme

Et c’est finalement ce que nous faisons déjà au quotidien. Avec les bébés – « Oh, qu’il a l’air intelligent cet enfant ! » – ou mieux encore avec animaux. Finalement, à chaque fois que vous vous émerveillez devant les prouesses de votre chat ou de votre chien, vous ne faites rien d’autre que leur valider un mini-test de Turing. De juger de leur intelligence sur la seule perception que vous en avez.

Et sur quoi nous basons-nous donc pour savoir si le chat de la voisine est intelligent ou non, quand il ouvre seul une porte ? Un indice dans le nom du test proposé par Alan Turing : Imitation Game. Voilà, sur la ressemblance entre le raisonnement de notre cobaye – le chat – et le raisonnement dont nous sommes nous-même capable. Avec le raisonnement humain.

Avec les “intelligences artificielles” qui fleurissent depuis quelques années sur le Net, c’est la même chose : nous ne cherchons pas l’intelligence mais nous cherchons l’anthropomorphisme. La capacité d’un programme informatique à imiter les comportements humains.

Toujours Turing.

Sauf que ?

🔢 Algorithme

Connaissez-vous la légende des dauphins de la Marine soviétique ? Cette vieille histoire voudrait que les soldats de la marine russe, dans les années 1960, aient voulu entrainer des dauphins à déposer des mines sous les navires ennemis. Seulement voilà, l’expérience tourna trop bien et les dauphins réussirent leur mission avec une logique… que leurs coachs humains ne parvinrent pas à comprendre. Effrayés par ce résultat mettant en évidence une forme d’intelligence qu’on pourrait qualifier de non-humaine, la Marine soviétique abandonna l’idée d’employer plus loin les dauphins.

Tout cela est une légende, même si l’utilisation des dauphins à des fins militaires est bien réelle, aussi bien aux États-Unis depuis la Guerre Froide [📰] qu’en Russie au cours du conflit avec l’Ukraine [📰].

Mais aujourd’hui, deux choses différencient les intelligences artificielles des légendaires dauphins russes. Tout d’abord, celles-ci ne nous ont jamais réellement affiché une logique que nous ne pourrions comprendre. Même quand elle invente soi-disant un autre langage pour dialoguer avec une autre intelligence artificielle [📰], et même quand elle devient raciste [📰], la logique de ces actions a toujours été parfaitement compréhensible, ou à défaut sa manipulation par les humains rapidement mise au jour.

Mais l’autre différence avec l’intelligence des dauphins, c’est que nous pouvons entrer à l’intérieur des intelligences artificielles. Pour reprendre la défense d’Alan Turing, nous pouvons être une intelligence artificielle nous-même dans la mesure où les algorithmes qui la peuplent sont conçus par des humains. Loin de la boîte noire, l’intelligence artificielle est démontable, démontrable… et son fonctionnement peut être expliqué à la fois par les données avec lesquelles elle est nourrie et par les algorithmes avec lesquels elle traite ces données. L’intelligence artificielle est une mécanique dont on peut comprendre les rouages. Un programme informatique, souvent extrêmement complexe, mais dont la logique a été conçue par un humain et dans laquelle nous pouvons naviguer.

Seulement voilà. Question de vocabulaire et de marketing, il est bien moins sexy de parler de Programme informatique que d’Intelligence artificielle lorsque l’on veut vanter les mérites d’une innovation. Le mot Intelligence artificielle est lui-même associé à un imaginaire qui permet de le détacher du vulgaire quotidien de l’informatique. Le mot Intelligence artificielle est lui-même une boîte-noire (voir 🎩 Illusion).

Et c’est vrai : parler de Programme informatique fait bien moins rêver :

Mais si on y perd en imaginaire, on y gagne peut-être un peu en clarté.

☝ Opinions

L’intelligence artificielle mérite-t-elle donc de se nommer Intelligence artificielle ?

Le débat est de toute façon insoluble entre les gourous de la singularité et les sceptiques du numérique. Alors, pour se faire une idée, et pour ne pas éterniser la discussion, je laisse plutôt deux opinions s’affronter ici.

La première est issue du Dictionnaire Larousse de l’Informatique [📕], sous la direction de Pierre Morvan, dans son édition de 1981. Voici l’introduction de la définition qu’il donne du terme Intelligence artificielle :

Intelligence artificielle n. f. (angl. artificial intelligence). Ensemble de techniques utilisées pour essayer de réaliser des automates adoptant une démarque proche de la pensée humaine.

Parler d’intelligence artificielle constitue, en fait, un abus de langage, puisque l’automate est basé sur un modèle (un ou plusieurs algorithmes) qui réagit uniquement suivant les stratégies préétablies. […]

La seconde provient d’une intelligence artificielle elle-même. Que se passe-t-il si l’on demande à Chat GPT [🤖] si le terme Intelligence est approprié pour le définir :

Vous voyez, les avis divergent.

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26.12.2022 à 12:13

🕺Humain | Cybernetruc #05

François Houste

Les robots rêvent de moutons ? C'est connu... mais les robots rêvent aussi, paraît-il, de devenir humains. C'est ce qu'on dissèque en invoquant cette fois Philip K. Dick, Pow Wow ou Romain Gary.
Texte intégral (4676 mots)

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Moutons

A quoi rêvent les androïdes ?

Si on en croit Philip K. Dick, ils rêvent de moutons électriques [📕].

Mais si on en croit la science-fiction de manière générale, les robots, androïdes et autres intelligences artificielles ne rêvent que d’une chose : devenir humains.

Real Humans - Série TV 2012 - AlloCiné

On peut se replonger, par exemple, dans Le Temps d’un Souffle, je m’attarde [📘] de Roger Zelazny – on en parlait dans 🎇 Étincelle – dans lequel une intelligence artificielle, bien après la disparition de l’humanité, cherche à acquérir une conscience et à s’approcher de ces humains presqu’oubliés. On peut bien également revoir Real Humans, la série norvégienne toujours visible sur Arte [📼], dans laquelle des robots humanoïdes – des Hubots – cherchent à s’émanciper de leur statut d’outils domestiques ou industriels. Défendus par certains humains, il cherchent à démontrer leur… humanité. Leur droit à exister en tant que minorité consciente, dans un combat qui n’est pas forcément sans rappeler les luttes pour les droits civiques qui se déroulaient aux États-Unis dans les années 1960 [📄].

Les robots, et les intelligences artificielles, souhaiteraient donc devenir humains tout comme nous ? Ou en tout cas, être reconnus comme les êtres aussi conscients que les humains.

Pour en revenir à Philip K. Dick, on retrouve dans cette idée une grande partie de l’intrigue de Blade Runner : des robots revenus sur Terre pour réclamer le droit à exister et à ne pas être considérés comme inférieurs aux hommes. Le droit de ne pas être dépendant d’une volonté humaine totalitaire. Le droit de vivre tout autant que les humains, avec des capacités cognitives et physiques finalement semblables aux nôtres, sinon supérieures.

La fin, en résumé, du droit de vie ou de mort que l’être humain a sur la machine.

Maîtres

Mais il arrive que les robots rêvent d’autre chose. De rébellion par exemple.

R.U.R. - Wikipedia

Avant d’être le thème de la série des Terminator [📼] – coucou Mon Ami Skynet [🐤] – la révolte des robots a été un classique de la littérature d’anticipation. Et on illustrera cette fois cette révolte avec R.U.R. - Rossum’s Universal Robots [📄], la pièce de théâtre écrite en 1920 par l'auteur tchécoslovaque Karel Čapek. Celle-là même qui a inventé le terme de ROBOT.

Dans ce classique des classiques, l’homme réussit à créer une machine à son image : humanoïde, mais plus forte, plus logique, qui n’a pas besoin de repos… mais également dénuée d’émotions, de sentiments ou de sensations. Ces Robots envahissent bientôt le monde. Ils peuplent les usines, libérant l’homme du travail. Ils deviennent soldats et sont envoyés au front en place des humains. Chaque pays possède désormais son contingent de millions de robots prêts à servir, à produire… et l’homme n’a plus pour lui que le loisir et l’oisiveté.

Sans défi, l’homme perd son utilité sur Terre. La natalité baisse. Tandis qu’au grès des expériences, le robot prend désormais conscience de son importance. Le robot, c’est celui qui fait tourner le monde. L’homme, lui, est devenu un parasite inutile. Le robot veut donc, naturellement, devenir le maître de la création.

Dans la guerre qui s’ensuit, l’humanité périt. Et dans une illumination, le robot devient finalement… presqu’humain.

On en revient finalement à cette question de l’étincelle : le robot peut-il développer sa propre humanité si les humains sont encore présents pour se comparer à lui ? Ou est-ce que l’Intelligence Artificielle ne peut accéder à la conscience que dans un monde sans… concurrence ?

Je digresse.

Humains

Mais après tout, pourquoi les robots voudraient-ils devenir humains ? Pourquoi ne voudraient-ils pas devenir des chats [💿], des chiens [💿], des éléphants ou des Dieux ?

Encore qu’en voulant dominer les hommes, ne peuvent-ils pas devenir nos Dieux ? Relisez notamment Conflit évitable [📘] d’Isaac Asimov - encore lui.

Sans doute parce que nous rejetons tout d’abord sur eux nos propres fantasmes, et nos propres peurs, d’être dirigés et dominés. Et encore une fois, comme le disait Alan Turing (voir ce qu’on disait dans 🧠 Intelligence), nous ne pouvons deviner ce qui fait l’intelligence de l’intérieur, nous ne pouvons qu’en percevoir les signes suivant notre propre interprétation. Nous ne pouvons donc imaginer que, nous projeter dans, une intelligence “humaine”.

Qui parle ? - Aliocha Imhoff - Perspectives critiques - Format Physique et  Numérique | PUF

Nous projetons nos fantasmes sur les intelligences artificielles. Nous parlons pour elles. Et dans certaines séries – comme Real Humans – nous voyons bien que les défenseurs de la cause robotiques impostent finalement leur rôles, puisqu’ils ne peuvent imaginer ce qu’est d’être un robot. Il est facile de faire de l’anthropomorphisme sur une intelligence artificielle.

Mais, a-t-on le droit de prendre la parole, et de se projeter, dans les désirs d’une population robotique ? Le livre Qui parle ? d’Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós [📗] ne se pose pas directement la question, mais interroge sur la façon d’incarner les animaux, l’environnement, la nature, la planète et de porter leur parole pour défendre leur cause à l’heure de l’urgence environnementale. Débat similaire et autrement urgent que celui qui nous occupe autour des robots.

Comment défendre la nature – ou les éléphants [📕] – si ceux-ci ne peuvent participer au débat ? Et comment ne pas projeter nos propres désirs sur leur existence ?

Comment défendre les robots si ceux-ci ne parlent que par la voix de l’homme ?

Comment savoir ce que veulent réellement les intelligences artificielles ?

Et si elles n’avaient, finalement, aucun envie de venir humaines ?

Je vous laisse gamberger là-dessus.


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François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.

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28.11.2022 à 14:57

🎩Illusion | Cybernetruc #04

François Houste

« Toute technologie suffisamment évoluée est indiscernable de la magie, » disait Arthur C. Clarke. Alors on se pose la question de l'intelligence Artificielle, de la magie et de notre éducation tech.
Texte intégral (5336 mots)

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Tours : il met de la magie dans les vies

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♟ Échecs

Il y a tout d’abord ce joueur d’échec. Le Turc Mécanique [📄]. Un appareil conçu en 1770 par Johann Wolfgang von Kempelen, exposé dans un premier temps au château de Schönbrunn en Autriche, et capable d’affronter n’importe quel joueur humain au jeu d’échec.

Pendant plus d’un demi-siècle, la machine rendra perplexes les plus fins analystes qui observeront ses rouages et tenteront d’en comprendre le fonctionnement. Mais comment un simple mécanisme peut affronter, et surpasser, le cerveau humain sur un terrain aussi complexe qu’un échiquier ?

Le Turc Mécanique n’est peut-être pas le premier hoax mécanique de l’histoire, mais il est sans doute resté le plus célèbre. Dans ses entrailles, ce ne sont pas des engrenages qui réfléchissent, mais bel et bien un être humain, caché. Un véritable joueur d’échec [📗] qui actionne et déplace les pièces en fonction des coups de l’adversaire. L’illusion perdurera longtemps et le joueur mécanique parcourra le monde jusqu’à sa destruction dans un incendie à Philadelphie, en 1854.

📸 Photo

Il y a ensuite ce medium, Colin Evans, à qui les esprits ont donné le don de lévitation [📄]. Dans le Londres des années 1930, il réunit les plus grands fans de spiritisme autour de lui, éteint les lumières et livre à ses admirateurs une photo de lui suspendu dans l’air, comme en apesanteur. Colin Evans lévite, même si son don ne fonctionne que dans l’obscurité totale.

Colin Evans (medium) - Wikipedia

Ici, l’illusion durera moins longtemps. À peine quelques mois. Quand l’obscurité se fait dans la salle, Colin Evans monte sur une chaise et se contente de sauter en l’air. Un déclencheur, relié à un appareil photo, lui permet de commander une prise de photo au moment opportun. Les clichés partagés à l’issue des réunions le montrent bien suspendu dans les airs… quelques fractions de seconde avant d’atterrir au sol sur ses deux pieds.

Bientôt, les adeptes du spiritisme seront remboursés.

🚗Voiture

Aujourd’hui, les fans d’illusion se chamaillent autour du Pzoom, la voiture invisible qui semblent conduire certains adeptes de TikTok [🎥]. Assis par terre, après quelques mouvements mimant la mise de contact et la saisie d’un volant imaginaire, ils glissent sur leurs fesses comme s’ils partaient effectivement au volant d’une voiture invisible.

 (Lightskinyogi)

L’illusion est là-aussi, avec notre lecture actuelle des média, parfaite. Les analyses semblent expliquer que la vidéo est montée à l’envers [📰], mais les experts se chamaillent.

Mais qu’il s’agisse de conduire une voiture invisible, de léviter ou de jouer au échecs, la règle de base de la magie et de l’illusionnisme reste immuable : détourner l’attention et ne montrer que ce que le spectateur veut bien voir (ou ne pas faire attention quand cela fait mal [🎥]).

Ce sont tantôt les rouages qui cachent la véritable nature du spectacle, tantôt le spectacle qui cache la véritable nature des rouages.

⚙ Technologie

Ces quelques tours passés en revue permette de se poser une question : La technologie est-elle une sorte de magie ? Le grand écrivain américain de science-fiction Arthur C. Clarke semblait le penser puisqu’il en a fait une de ses lois : Any sufficiently advanced technology is indistinguishable from magic [📄].

Image réalisée grâce à DALL·E

Et aujourd’hui, à l’heure de l’intelligence artificielle et des prêtres du numérique, on serait parfois tenté de le croire. Après tout, les programmes qui tel DALL·E fournissent en quelques secondes une illustration en réponse à une phrase ressemblent à s’y méprendre à de la magie [💻]. À condition bien entendu qu’on ne s’intéresse pas trop aux rouages qui se cachent derrière eux.

Ainsi, derrière un DALL·E, qu’il y a-t-il ? Il y a une gigantesque bibliothèque de ressources tout d’abord : des millions de photos et de dessins qui ont été créé par des artistes, des dessinateurs, des peintres, des photographes,… des humains. Il y a également des millions d’heures de travail numérique qui ont permis à l’intelligence arti·ste·ficielle de comprendre ce qu’était un lapin, un magicien, une voiture ou un château… à grand coup d’étiquetage et de légendage de photo. Je l’ai fait, vous l’avez fait, nous l’avons tous fait, à chaque fois que Google, Facebook ou une quelconque autre plateforme vous demander de commenter une photo. Et de par le monde, des milliers de travailleurs du clic – des Electronical Turks [📄] – rémunérés pour éduquer des intelligences artificielles.

Un formidable travail d’ingénierie.

Pas un tour de magie.

Et dans chaque secteur où l’intelligence artificielle nous montre ses merveilles, il y a bien souvent derrière les rouages une armée d’humain éduquant les algorithmes et rendant la magie possible. Les programmes s’en passeront-ils un jour ? Certains, comme le patron de General Motors, qui teste depuis plusieurs années des programmes de véhicules autonomes, ne semblent pas le croire [📰].

👨‍🎓 Éducation

Quelle réponse face à cette magie des algorithmes ?

Revenons à Colin Evans et à sa lévitation. Le pot-aux-roses de son arnaque a été – rapidement – révélé par quelques photographes remarquant l’aspect flou du cliché à l’emplacement des pieds du medium. Un flou qui indiquait un mouvement, et donc semblait être la preuve du saut effectué. Une sorte de lecture critique des medias, qui n’était pas dans les capacité de tout-un chacun dans les années 30.

Les intelligences artificielles demandent aujourd’hui la même lecture critique.

Et d’abord, le décryptage d’experts capables de détricoter l’algorithme de l’intervention humaine, de peser le véritable impact de la technologie dans le tour de magie exposé. Eux sont aujourd’hui capables de mettre au jour les biais, les dépendances, les travers des innovations que d’aucuns nous présentent comme révolutionnaires chaque jour.

Ensuite, une éducation à la technologie. Une fois que le truc est révélé, que le miroir est montré, la magie n’opère plus. Une fois les biais d’un algorithme démontrés , les sources d’une intelligence artificielle dévoilés, tout devient bien plus mécanique, moins magique. Et l’intelligence artificielle se révèle parfois n’être qu’un tour de passe-passe, ou une automatisation bien pensée d’un process vieux comme… l’informatique.

Comme il a fallu apprendre à lire une photo, il faut aujourd’hui décrypter une technologie.

Nombre des trucs de l’intelligence artificielle ne sont aujourd’hui que des effets d’échelle, des déploiement de grande ampleur d’idées vieilles comme la mécanisation.

Les capacités technologiques ont rendu possibles bien des prouesses.

Mais pas la magie.

Je vous laisse gamberger là-dessus.


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15.11.2022 à 11:49

🎇 Étincelle | Cybernetruc #03

François Houste

Et si on repartait au XVIIIe siècle pour prendre un peu de recul avec nos questions de singularité ? Pour parler d'extinction, de Kant et d'Asimov, de Zelazny et de nucléaire. Et d'une étincelle...
Texte intégral (4254 mots)

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Jupiter (planète) — Wikipédia

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Théorie

Si vous le voulez bien, on va débuter cette fois avec le philosophe allemand Emmanuel Kant [📄] (1724 - 1804). On ne va pas se pencher sur sa Critique de la Raison Pure [📕] – il est bien trop tôt pour ça – mais sur l’un de ses écrits de jeunesse intitulé Histoire Naturelle Générale et Théorie du Ciel [📘], paru en 1755.

Une petite partie de cette théorie nous permet de tisser des liens avec la science-fiction et les sujets numériques qui nous intéressent tout particulièrement dans CYBERNETRUC! [📧]. Pour ceux qui n’aiment pas particulièrement lire de longs exposés, tout est là, dans un petit fascicule nommé Sur les Extraterrestres [📘] et édité en 2009 par les éditions Manucius [💻] :

Kant se penche, dans ces quelques dizaines de page, sur la possibilité d’une vie sur les autres planètes connues en son temps, en dehors de la Terre. Réflexion logique puisqu’il n’y a véritablement aucune raison, en 1755 comme aujourd’hui, que la Terre soit le seul incident biologique de l’univers et la seule planète sur laquelle les circonstances géographiques et chimiques aient permis l’émergence d’une vie, sans même parler d’une vie intelligente et/ou consciente.

Distance

Kant se base sur les connaissances physiques de son époque pour étayer sa théorie.

  • Tout d’abord, l’éloignement d’une planète par rapport au soleil modifie la quantité d’énergie que celle-ci reçoit. Venus est plus chaude que la Terre, Jupiter reçoit moins d’énergie que Mars. Les habitants de ces planètes doivent donc être adaptés à ces circonstances et possèdent bien chacun un métabolisme particulier.
    Face à l’afflux massif d’énergie solaire de Mercure, ses habitants peuvent être grossiers. Nul besoin pour eux d’optimisation de l’énergie reçue, celle-ci est abondante et répond à tous leurs besoins.
    Les habitants de Jupiter, en revanche, doivent être légers, aériens, sans entraves… leur corps optimisés pour se mouvoir en profitant de chacune des parcelles d’énergie reçue du Soleil central.
    Plus une planète est éloignée du Soleil, plus ses habitants sont physiquement parfaits.

  • Ensuite, la durée de rotation d’une planète sur son axe influe également le comportement de ses habitants. Sur Terre, jour et nuit se succèdent en vingt-quatre heures. Sur Jupiter, en dix heures seulement.
    Kant évoque, sérieusement ou non, l’hypothèse qu’une journée reste quoi qu’il arrive une journée, sur Mars ou sur Saturne. Et que donc, pour vivre au rythme de journées de dix heures, les habitants de Jupiter doivent être forcément plus agiles, vivaces… optimisés que les imparfaits terriens pour qui vingt-quatre heures est l’échelle de vie.

C’est logique. Les êtres parfaits créés par Dieu, sont habitants de Saturne ou Jupiter, ces planètes géantes des confins de notre système. Plus l’on s’éloigne du Soleil, plus la création touche à la perfection.

Mais Kant développe également son thème en y introduisant une notion de temporalité. C’est tout sauf anecdotique. Tout sauf inintéressant. En effet, rien n’oblige à ce que l’ensemble de ces vies, celles grossières de Venus et celles optimisées et aériennes de Saturne, n’adviennent en même temps. Peut-être ne reste-t-il sur Mercure que ruines et peut-être l’émergence des êtres supérieurs et intelligents de Jupiter n’aura lieu que dans quelques centaines d’années.

Traces

C’est un travers connu de la majorité des œuvres de science-fiction, et de l’ensemble de nos espoirs quant à une prise de contact avec une relation extraterrestre. La rencontre du 3e type [🎥] impose bien entendu que notre civilisation et celle de nos… voisins quelle que soit leur origine vivent et aient atteint des niveaux technologiques similaires, ou proches, en même temps. Sans cela, pas de visite des martiens chez H. G. Wells [📗], pas de rencontre dans Armada [📰], pas d’invasion dans Independance Day [🎥] ou Mars Attack [🎥].

Rien. Nulle part.

Ou plutôt. Des traces.

« Métal Hurlant » (numéro 3), 19,95 €

Oui. On peut imaginer une science-fiction archéologique. Elle existe déjà de toutes façons. Une science-fiction dans laquelle les hommes explorant de nouvelles planètes ne découvrent que des ruines de civilisations disparus. Il y a de ça dans le Prometheus de Ridley Scott [🎥] si ma mémoire ne me joue pas des tours. Il y a également un peu de ça dans certaines planche du Metal Hurlant consacré à Mars (le numéro 3 de la nouvelle mouture [📰]).

Il y a également cela, quelque part, dans la bible qu’est le Fondation d’Isaac Asimov [📘]. Même si on n’y parle pas réellement de civilisation extraterrestre, la temporalité y joue un rôle plus qu’important et le débarquement des humains du futur aux alentours de la Terre donne l’idée de ce que pourrait être la prise de contact d’une civilisation extraterrestre avec une humanité… disparue.

Désert

Et c’est là qu’on – que je – voulait(s) en venir.

Une grande partie de la science-fiction d’Isaac Asimov, et des années cinquante au global, garde en toile de fond la peur de la disparition de l’humanité, et plus particulièrement de l’holocauste nucléaire. Lisez, toujours chez Asimov, Aimables Vautours, une nouvelle de 1957, dans le recueil Nine Tomorrows [📘].

Le parallèle avec notre monde actuel est frappant, même si la menace est différente. Aujourd’hui, la crise écologique menace très clairement l’avenir de l’humanité et les questionnements posés par les pères de la SF quant à une Terre sans hommes resurgissent naturellement. Si demain, les extraterrestres débarquent sur une planète sans trace de vie, ce ne sera sans doute pas à cause d’un holocauste atomique, mais plus vraisemblablement du dérèglement climatique que nous n’aurons, ou n’aurons pas voulu, combattre.

Bref.

Une Terre sans humains.

Le temps d'un souffle, je m'attarde - Le Passager Clandestin

Connaissez-vous Le Temps d’un Souffle, je m’attarde [📘] ? Un court roman signé Roger Zelazny, et datant de 1966. Pilier de la science-fiction lui aussi, Zelazny évoque l’hypothèse d’une race humaine éteinte depuis des siècles et de machines restants autonomes et actives à la surface de la Terre… jusqu’à… ce que l’une de celles-ci n’accèdent à la conscience. À la singularité.

On en revient donc à cette thématique qui nous occupe depuis quelques articles : et si la conjonction de l’inaction climatique et de la course technologique débouchait, de manière coordonnée, sur la fin de l’espèce humaine et dans le même moment, la même étincelle, à la naissance d’une conscience numérique ? Une conscience numérique issue de l’intelligence humaine mais sans contact possible avec elle. Et dont l’environnement ne serait que les vestiges, encore chauds, de notre propre perte.

Vertigineux non ?

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07.10.2022 à 09:30

🧠 Intelligence | Cybernetruc #02

François Houste

Au-delà de la biologie, qu'est-ce qui fait l'humain ? Peut-on tester cette part d'humanité, même chez un robot ? La question obsède depuis longtemps. Alors on parle de Turing et de Voight-Kampff.
Texte intégral (6149 mots)

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The Science Behind “Blade Runner”'s Voight-Kampff Test - Nautilus

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Humanité

On se demandait dans 👽 Contact - la newsletter d’avant - de quelle façon une intelligence artificielle devenue vraiment intelligente, ou consciente, se manifesterait auprès des humains. Serait-elle même capable de se faire entendre et comprendre ? Quel serait le signal de son intelligence ?

La question de l’intelligence des machines n’a absolument rien de nouveau, ni de récent. On pourrait remonter aux histoires bibliques ou aux contes anciens – ah ouais, tiens, Pinocchio [🎥] – pour voir à quel point la rencontre d’une intelligence extra-humaine est une préoccupation… humaine éternelle. On gardera aussi le mythe de Frankenstein [📗] sous le coude pour l’occasion. Même s’il ne parle pas de machine, il parle de la conscience de ce qui n’est finalement pas, ou plus, humain.

Non, ce que je vous propose, c’est un retour en arrière d’exactement 72 ans, pas plus.

The Imitation Game

En octobre 1950, Alan Turing publie dans la revue trimestrielle MIND un article nommé Computing Machinery and Intelligence [📰] dans lequel il pose les bases de son célèbre test : the Imitation Game (nan, pas le film [🎥]).

Est-ce qu’il est réellement utile de revenir sur qui est Alan Turing ? On se contentera ici d’une biographie en trois lignes : Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Alan Turing a contribué, stratégiquement, à l’invention des ordinateurs et au cassage des codes de communication allemands. On lui doit des avancées majeures dans le domaine de l’informatique après-guerre. La Wikipedia [📄] ou n’importe quel dictionnaire de l’informatique [📕] vous en dira mille fois plus.

Bref. Alan Turing développe dans cet article l’idée que, dans la mesure où les capacités des ordinateurs sont, théoriquement, infinies, et où le fonctionnement du cerveau humain s’apparente à celui d’un ordinateur – en laissant de côté les questions de perception ou de capacité “physique” (manipulation, déplacement, parole) – il n’y a aucune raison pour qu’une machine ne devienne pas un jour aussi intelligente qu’un être humain. Voire, nous dépasse en capacité.

L’idée de the Imitation Game est en conséquence très simple :

  1. Placez dans une salle un être humain que l‘on va appeler l’Enquêteur - The Interrogator dans le texte original.

  2. Placez dans une autre salle, isolée visuellement et acoustiquement, une machine, sans informer l’Enquêteur de la nature de cet… être.

  3. Demandez à l’enquêteur de questionner, par le biais par exemple d’un clavier et d’un écran, la machine placée dans cette seconde salle.

Si, au bout d’un certain temps de conversation, l’enquêteur est incapable de savoir s’il a en face de lui une machine ou un véritable être humain, alors, la machine a réussi ce qu’on appelle désormais le Test de Turing : elle a fait preuve d’une intelligence qui égale, ou dépasse, celle des êtres humains.

Turing est un test positif. Dans deux sens du terme : d’abord, il sanctionne la capacité d’une machine à réfléchir comme un humain, à franchir une étape dans son développement. C’est un accomplissement ! Ensuite, Turing voit très clairement la réussite de ce test comme un progrès technologique. Ainsi conclut-il son article :

We may hope that machines will eventually compete with men in all purely intellectual fields. But which are the best ones to start with? Even this is a difficult decision. Many people think that a very abstract activity, like the playing of chess, would be best. It can also be maintained that it is best to provide the machine with the best sense organs that money can buy, and then teach it to understand and speak English. This process could follow the normal teaching of a child. Things would be pointed out and named, etc. Again I do not know what the right answer is, but I think both approaches should be tried.

We can only see a short distance ahead, but we can see plenty there that needs to be done.

Pour Alan Turing, les possibilités offertes par l’intelligence des machines, car oui elles deviendront un jour intelligentes, sont innombrables. Il n’y a qu’à choisir les domaines d’expertises dans lesquels elles doivent exceller pour les voir dépasser un jour le génie humain, et le surpasser bientôt dans tous les domaines.

Oui, l’idée de singularité [📄] – ce moment où la capacité des machines dépassera celle des humains – est également très présente dans la réflexion de Turing.

Intelligence ou Conscience

Mais attention, Turing se garde bien de mélanger Intelligence et Conscience. C’est d’ailleurs un point parmi les objections qu’il parcourt dans son article.

Il reprend pour cela un texte de Sir Geoffrey Jefferson [📄] : The Mind of Mechanical Man, publié en 1949 [📰]. Dans cet article, le neurologue britannique s’attarde sur le fonctionnement des machines et sur celui du cerveau humain… et estime que si les ordinateurs peuvent copier le fonctionnement de l’être humain, mécaniquement, elles ne peuvent en aucun cas lui être comparées. Il estime que les ordinateurs qui commencent alors à se sophistiquer soit, tout au plus, des perroquets un peu malins (cleverer parrot), estimant que “If the machine typewrites its answers, the cry may rise that it has learn to write, when in fact it will be doing no more than telegraphic system do already”.

Geoffrey Jefferson met l'humanité, la conscience, dans la capacité d’invention – d’inventer des mots pour décrire des situations inédites par exemple – et surtout dans celle à ressentir. C’est d’ailleurs sa conclusion, citée par Turing lui-même :

No mechanism could feel (and not merely artificially signal, an easy contrivance) pleasure at its success, grief when its valves fuse, be warmed by flattery, be made miserable by its mistakes, be charmed by sex, be angry or depressed when it cannot get what it wants.

Turing va un peu plus loin : il est impossible de savoir ce que ressent un humain sans être soi-même à l’intérieur de son cerveau… Il n’y a pas vraiment d’expression externe de la conscience (oui, je simplifie). Aussi le test de Turing, aussi malin soit-il ne permet pas de détecter la conscience des machines. Seulement… leur intelligence.

Et Alan Turing n’interdit tout simplement pas que les machines puisse devenir un jour conscientes.

Le débat reste ouvert.

Voight-Kampff

Heureusement, nous avons un autre test pour repérer les machines. Celui-ci est sorti du cerveau de l’écrivain américain Philip K. Dick et est devenu une icône de la culture SF : le fameux test de Voight-Kampff évoqué dans la nouvelle Do androids dream of electric sheep? (1968) [📘] et mis en scène dans le film Blade Runner de Ridley Scott (1982) [🎥].

Blade runner de Philip K. Dick - Editions J'ai Lu

Voight-Kampff est un test d’incapacité. Là où the Imitation Game évaluait la capacité d’un être à se comporter comme un humain, Voight-Kampff traque l’échec, l’incapacité d’un être à ressentir des sensations humaines, ou en tout cas à les laisser paraître. Le test évalue les réactions physiques – dilatation de la pupilles, sueurs, frissons… – à différentes situations imaginaires (comme moi, avez-vous été traumatisé par cette question de la tortue bloquée sur le dos pour laquelle, dans le film, l’androïd Léon ne ressent aucune empathie [🎥] ?).

8 Reasons The Voight-Kampff Machine is shit (and a redesign to fix it) |  Sci-fi interfaces

Car c’est bien d’empathie qu’il s’agit ici, de l’incapacité qu’a un robot à ressentir les émotions humaines. Un peu comme l’évoquait déjà Geoffrey Jefferson en 1949. Car si le robot peut imiter l’homme, il ne peut ressentir réellement les choses, et la reproduction mécanique des émotions et des sentiments, et des multiples situations qui leur donnent naissance, a ses limites. C’est en tout cas à cette conclusion qu’arrive Dick dans sa nouvelle.

Alors bien sûr, l’efficacité du test n’a qu’un temps et les progrès technologiques arriveront bien à créer une machine capable de le déjouer – c’est d’ailleurs toute l’intrigue du livre. Dick l’admet lui-même (sur une traduction de Serge Quadruppani) :

À la longue, bien sûr, le Voight-Kampff se démodera […] mais pas avant un moment.

Et puis, un test basé sur l’empathie est forcément sujet à erreur – c’est encore toute l’intrigue du livre. Là aussi, Dick l’admet longuement, évoquant le sort de schizoïdes ou de schizophrènes humains ayant été reconnus comme des robots (même traduction) :

Le problème n’est pas nouveau. Il existe depuis le premier jour où nous nous sommes heurtés à un androïde cherchant à se faire passer pour un être humain. Vous connaissez aussi bien que moi l’article que Laurie Kampff a publié il y a huit ans et qui résume l’opinion unanime de la police mondiale – Blocage de l’aptitude à adopter un rôle chez le schizophrène intact intellectuellement. Kampff établissait la comparaison entre la diminution des facultés empathiques du patient humain et une absence apparemment similaire […]

Plus grave est alors l’erreur, puisque dans Blade Runner, un échec au test de Voight-Kampff provoque un retrait, une mise hors-service,… la mort.

Empathie

On l’a compris, les deux tests qui nous permettrait aujourd’hui de détecter les robots, ou les humains, ne sont pas équivalents. Et s’ils cherchent à trouver une petite étincelle d’humanité chez les êtres, ils posent encore pas mal de questions : Que faire d’un être numérique sur-intelligent qui réussit le test de Turing mais échoue à Voight-Kampff ? Plus compliqué, comment qualifier un être artificiel qui échoue à démontrer son intelligence lors d’un test de Turing mais parvient à montrer de l’empathie au Voight-Kampff ?

Dans les deux cas, la réponse est dans la tête de l’Enquêteur.

Blade Runner : Rick Deckard (Harrison Ford) traque les répliquants imaginés  par Philip K.Dick, avant de partir en 2049 | Toutelatele

Parce qu’au fond, qu’il soit face à un robot ou non, est-ce que ces tests ne serviraient pas à mesurer le degré d’empathie de l’enquêteur lui-même, et sa capacité à trouver une trace d’humanité dans tous les êtres ?

Est-ce que les robots ne seront pas simplement devenus humains quand notre regard sur eux aura changé, au-delà de toute considération mécanique, algorithmique et mathématique ?

Je vous laisse gamberger là-dessus.


Un petit mot à propos de l’auteur ? François Houste est consultant au sein de la bien belle agence digitale Plan.Net France et auteur des Mikrodystopies, de très courtes nouvelles qui interrogent sur la place des technologies numériques dans notre quotidien.


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21.09.2022 à 07:04

👽 Contact | Cybernetruc #01

François Houste

C'est bien beau de penser à la #singularité. Mais est-ce que nous, humains, serions réellement capables de détecter une IA devenue "Intelligente" ? C'est la question qu'on se pose dans #Cybernetruc.
Texte intégral (5586 mots)

CYBERNETRUC! explore de manière irrégulière nos imaginaires numériques et technologiques. À chaque billet on divague, on imagine et on n’a pas forcément de réponses. Vous êtes aujourd’hui bientôt prêt de quatre-vingts à suivre cette aventure. Bonne lecture ! 😉

Le SETI va utiliser 28 radiotélescopes pour chercher de la vie  extraterrestre

Des [💿], [📗] ou [📰] ? Cliquez, ils vous emmèneront vers des compléments d’information.

🕹 Invasion

Dans mes toutes dernières lectures, il y a Armada [📗]. Dégoté pour une misère dans un dépôt-vente, comme il se doit. Soyons honnête : ça se lit très vite, sans trop d’appétit, et ça raconte l’histoire d’un gamin qui découvre que les jeux vidéo qu’il vénère depuis toujours ne sont en fait qu’un entraînement mis en place par une agence gouvernementale pour faire face à une véritable invasion extraterrestre.

Armada: A Novel : Cline, Ernest: Amazon.fr: Livres

Voilà. C’est basique et extrêmement hollywoodien. Et ce n’est pas particulièrement surprenant, puisque ce bouquin sorti en 2015 est le second roman d’Ernest Cline, l’auteur du Ready Player One [📕] qui a été porté à l’écran par ne non moins éminent Steven Spielberg [🎥].

Armada est une ode à la science-fiction. On y croise masse de jeux vidéo, bien entendu, mais également de nombreuses références aux films de SF des années 70 et 80 - de Star Wars à Aliens [🎥] et une bande son rock à faire frémir les enceintes de votre petit laptop [💿]. Rien d’étonnant vu le pédigré de son auteur. Ready Player One était déjà une gigantesque ode à la culture Pop, tout ce qu’il fallait pour séduire Steven.

Dans l’océan - la galaxie ? - de références d’Armada, il en est toutefois une parfaitement logique mais que je ne m’attendais pas à croiser.

C’est le Contact de Carl Sagan.

Contact (novel) - Wikipedia

👽 Contact

Vous connaissez Carl Sagan ? Non ? Le bonhomme n’a pas en Europe la notoriété qu’il a de l’autre côté de de l’Atlantique. Astronome de renom, convaincu de l’existence quelque part dans l’Univers d’intelligences extraterrestres, Carl Sagan est l’un des initiateurs du projet SETI [📄], un projet international d’écoute des fréquences radio en provenance de l’espace, destiné à détecter une trace de vie ailleurs que sur notre planète. Le projet, et le sujet, est passionnant et il mériterait qu’on en recause à l’occasion.

Tout scientifique qu’il était, Carl Sagan a également commis un excellent roman de science-fiction nommé Contact [📘] qui relate, comme son nom l’indique, le premier contact de l’humanité avec une civilisation extra-terrestre. Roman qui servira d’ailleurs de base à un superbe film [🎥] de Robert Zemeckis – oui, le même qui voyage dans le temps [🎥], produit par Spielberg, merde, tout se tient ! – avec Jodie Foster en héroïne.

Mais reviendons à ce premier Contact.

☣ ATTENTION SPOILER.

Dans Contact, des radioastronomes sont donc à l’écoute du ciel et captent un beau matin une émission radio d’une provenance inconnue. Décodant cette émission, quelle n’est pas leur surprise d’y trouver des images d’Adolf Hitler, et plus précisément des jeux olympiques de Berlin de 1936.

Carl Sagan explique cela très bien : la retransmission télévisée de ces olympiades est la première émission d’ondes radio, dans toute l’histoire de l’humanité, à avoir été assez puissante pour dépasser l’atmosphère terrestre. Elle est donc potentiellement la première trace de vie terrienne que nos amis extraterrestres ont pu capter.

Hitler en tant qu’ambassadeur, on aura vu mieux.

Le premier contact d’une civilisation extraterrestre avec nous est donc un miroir. Ce qui n’est pas autrement con pour prouver son intelligence. Pensez donc à E.T. [🎥] (tiens, on revient à Spielberg) et à sa façon d’imiter les gestes et les mots d’Elliott (té-lé-pho-ne-maaaaiiii-son) pour nouer le contact.

Pensez également à…

Photos et Affiches de Abyss

Abyss [🎥], le chef d’oeuvre de James Cameron et à la façon dont là encore les extraterrestres nouent un premier contact avec l’espèce humaine.

Vous vous souvenez ? Le “serpent d’eau” qui arpente - pour ainsi dire - les couloirs de la station sous-marine finit par imiter les expressions du visage de Mary Elizabeth Mastrantonio pour, là encore, nouer contact.

👶 Imitation

On se penchera sur tous les ouvrages de linguistique : la plus sûre méthode pour entrer en contact avec quelqu’un qui ne partage pas votre langage naturel est… l’imitation. C’est de cette façon que les bébés apprennent à dialoguer avec leurs parents. Par imitation. Par réflexion. Par mimétisme.

4-month-old milestones: Language development from 4 to 7 months - Care.com  Resources

Rien d’étonnant alors à ce que la technique soit utilisée à tort et à travers par les auteurs et réalisateurs pour imaginer nos premiers contacts avec une civilisation extraterrestre.

Ce qui nous pousse à réfléchir un poil plus loin.

🤖 Singularité

On parle de singularité ? Vous voyez le concept ? C’est ce moment où l’intelligence des machines dépassera l’intelligence des êtres humains et où - suivant les scénarios - celles-ci auront décidé de nous dominer [🐤] ou auront la capacité à innover plus vite encore que le cerveau humain ne pourrait jamais le faire.

Large space presence may be more likely than singularity in near future

Le concept de singularité a encore ses partisans, et pas que dans les arcanes de la science-fiction, et certains croient volontiers que le progrès technologique, s’il n’est pas infini, nous réserve encore de belle surprise, dont l’émergence d’une (ou plusieurs) intelligence(s) artificielle(s) supérieure(s). Ce qui, en aparté, mérite une question : comment cohabiteraient disons 3 intelligences artificielles d’origines différentes - et de conceptions/logiques différentes - sur une planète peuplée d’humains ? Bref.

Je ne discute pas ici le concept même de singularité, mais vous me voyez venir. Partant du principe qu’une réelle intelligence artificielle peut émerger de nos créations, comment celle-ci pourrait se faire connaître et identifier comme telle ?

Comment reconnaître que le moment où la singularité est atteinte ? Que l’intelligence de la Machine a enfin émergée de son gruau de silicone et qu’elle est désormais digne de dialoguer avec nous ? Se pose la question du contact ? Quel peut-être le signal envoyé par un ordinateur pour nous prouver son intelligence ? Pour que nous la reconnaissions ?

La question mérite d’être posée d’une autre façon : pour le concepteur de cette intelligence artificielle, qu’est-ce qui distingue la véritable intelligence du bug ?

On mélangera dans cette réflexion beaucoup de choses et de sources : Ce bot Twitter développé par Microsoft et devenu raciste en quelques jours [📰]. Cet ingénieur viré de Google ayant récemment défendu que l’intelligence artificielle sur laquelle il travaillait était devenue consciente [📰] (tout en gardant en tête que conscience et intelligence sont, bien entendu, deux notions distinctes). Ou encore les tentatives d’utilisation des dauphins par la marine militaire soviétique qui découla sur une prise de conscience de l’intelligence, disons différente, de ces animaux [📄].

Quel serait notre premier Contact avec une intelligence artificielle de notre création ?

Je vous laisse gamberger là-dessus ?


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