06.07.2023 à 22:33
Les bourgeois ne brûlent pas de voitures
Les infiltrés
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Texte intégral (842 mots)
Les bourgeois ne brûlent pas de voitures. Ils sont en colère eux aussi mais pas pour les mêmes raisons. Bien sûr ils ont vu la vidéo du meurtre de Nahel. Ça les a choqués, ils sont humains. On n’a pas tout le contexte mais il semble quand même difficile de nier la bavure. Ils s’en remettent maintenant à la justice qui fera son travail, en toute impartialité bien sûr. Les bourgeois sont tristes, cet acte est regrettable.
S’en est suivi un déferlement de violence dans les banlieues. Certes on peut comprendre la colère de ces jeunes, mais quand même, ce ne sont pas des manières, pensent-ils. Les bourgeois sont abasourdis par cette réaction. Ont-ils peur ? Ceux qui sont au coeur du chaos et qui craignent pour leur voiture ou leur commerce ont peur, et ça se comprend. Mais les bourgeois vivent dans les beaux quartiers et la révolte ne les a atteints qu’à travers la médiation des écrans. De concret ils n’ont pu observer que le retour des barricades des Gilets Jaunes pour protéger les vitrines du 8ème arrondissement. Alors ils sont impressionnés par les images, ils craignent que ça dégénère, mais ils n’ont pas vraiment peur. Ils sont surtout hébétés, car il y a d’autres façons d’exprimer son mécontentement, avec le vote par exemple.
Quand un enfant fait une grosse colère il faut faire preuve d’autorité et rappeler les règles. Ils sont rassurés par les figures paternelles de Macron, Darmanin, Ciotti qui défilent dans les médias pour appeler au calme, rappeler le règlement intérieur de la république, promettre des sanctions exemplaires. Voilà une réponse ferme et nécessaire. Car en république quand on est en colère on ne brûle pas tout ce qui nous passe sous la main ! On s’exprime posément, avec des mots, on écrit des tribunes, on fait des éditos, on débat sur les plateaux TV. C’est ça la démocratie. La bourgeoisie est satisfaite, elle a rappelé sa supériorité morale.
D’ailleurs regardez, elle débat sur les plateaux. Est-ce la faute des jeux vidéos ? Qu’est-ce qui a manqué à l’éducation républicaine pour qu’on en soit là ? Les parents de banlieue ne sont ils pas en fait des enfants qu’il faudrait éduquer ? Est-ce qu’il y a trop d’immigrés ? Est-ce qu’il y a un lien entre l’origine des grands parents de ces jeunes et leur incapacité à exprimer leur colère dans des tribunes dans Libération comme tout le monde ? Est-ce qu’on ne devrait pas couper les réseaux sociaux qui, non contents de propager la haine et les fake news, se révèlent capable de propager des incendies ? La bourgeoisie est préoccupée, elle réfléchit.
Mais une chose la rend folle et lui fait perdre tous ses moyens. Ce sont les propos de la France Insoumise, et particulièrement de Mélenchon. A entendre les bourgeois toutes les violences seraient de leur faute, rien à voir avec la vidéo de la mort d’un jeune descendu par la police. A les entendre il aurait suffi que la FI participe à l’unanimité du sermon paternel de l’appel au calme pour que tout le monde rentre chez soi, apaisé. Sont-ils sérieux ? Non, ils sont en colère. De cette colère qui fait perdre toute mesure et toute rationalité.
Car la gauche qui a encore une colonne vertébrale prétend donner des pistes d’explication à cette violence et propose d’y apporter une réponse politique. Ainsi cette révolte ne serait pas simplement la manifestation d’un comportement immature d’une catégorie de la population qu’on peine à considérer comme des citoyens mais serait peut-être porteuse d’un message politique. Ainsi on ne pourrait pas se contenter de construire 3 médiathèques et 2 gymnases pour calmer les banlieues. Il faudrait reconnaître le racisme systémique, les violences policières, le scandale d’une police hors de contrôle (la blague de l’IGPN), la justice de classe, et plus largement l’ensemble des violences liées à l’exploitation capitaliste dont sont particulièrement victimes les habitants de ces quartiers. Voilà ce qui rend le propos de Mélenchon particulièrement odieux. Il dévoile la réalité du système inique sur lequel règne le calme bourgeois. Et ça c’est insupportable, ça mérite bien ce déferlement de haine et d’outrance à longueur d’antenne. Car le bourgeois a accès aux antennes, autant qu’il veut, sa violence peut s’exprimer verbalement puis par l’intermédiaire des institutions et de sa police sans qu’il ait à toucher une allumette.
26.06.2023 à 10:40
Hold-up sur le « partage de la valeur »
Les infiltrés
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Texte intégral (1252 mots)
Lundi 19 juin a démarré l’examen du projet de loi sur le partage de la valeur. Ce projet transpose dans la loi l’accord national interprofessionnel signé en février par quatre des cinq organisations syndicales représentatives au niveau national et a pour objectif de promouvoir un “meilleur partage des profits” avec les salariés. Il s’agit de renforcer les dispositifs de participation, d’intéressement ou de primes, ou encore de développer l’actionnariat salarié. Naturellement, on se dit qu’un tel projet devrait être soutenu très largement, sauf par le patronat qui pourrait rechigner à partager ses profits. Pourtant, le Medef a signé l’accord, pas la CGT. La France Insoumise en est extrêmement critique, serait-ce le monde à l’envers ? Le gouvernement insiste : l’opposition montre enfin son vrai visage, elle se moque du sort des salariés et du dialogue social ! En 15 jours, tout aurait donc changé : le macronisme serait soudainement devenu soucieux du sort des travailleuses et travailleurs et du compromis syndical, alors que la CGT et la France Insoumise s’y opposeraient.
Si l’on était frappé d’une amnésie profonde sur les 6 dernières années, on pourrait en rester là. Mais on se souvient des lois travail, des réformes de l’indemnisation chômage, et bien sûr de la réforme des retraites pendant laquelle le gouvernement a piétiné ce qu’il restait du “dialogue social”. Alors on se méfie, et on approfondit.
Rappelons avant tout une notion fondamentale. Le “partage de la valeur” indique traditionnellement le partage de la “valeur ajoutée” de l’entreprise (c’est-à-dire ses revenus retraités de ses coûts externes) entre : les salariés, le capital (actionnaires et créanciers) et l’Etat. Parler ainsi de “partage de la valeur” pour indiquer le seul partage du profit, c’est exclure d’emblée que partager la “valeur” créée par l’entreprise – donc, ses salariés – puisse signifier augmenter les salaires au détriment du profit. Pourtant, c’est bien de cela qu’il est question dans la comptabilité nationale de l’Insee. Il y a donc là un hold-up sémantique autour du terme de “valeur” qu’il est crucial de dénoncer. Les anglo-saxons utilisent pour désigner les dispositifs d’intéressement le terme bien plus honnête de “profit-sharing”.
Si personne ne rechigne jamais sur l’obtention d’une prime, il faut aussi comprendre pourquoi le patronat aime proposer ce type de rémunération. Étant nous-mêmes cadres dirigeants ou patrons, nous sommes bien placés pour témoigner du succès des rémunérations variables qui permettent d’éviter une hausse pérenne des salaires. Ainsi selon l’Insee, la prime “Macron” a été versée au détriment de hausses de salaires dans 30% des cas. Certes, la participation oblige à partager les profits avec les salariés, mais au moins, en cas de mauvais résultats, la participation est réduite (ou supprimée) automatiquement. Cette volatilité apparaît crûment quand le salarié recherche un bail de location ou un prêt immobilier : aux yeux du prêteur ou du loueur, ces primes n’existent pas. C’est pourtant cette volatilité des profits, contrairement aux salaires réputés fixes, qui est censée justifier le profit, la fameuse “prise de risque” des actionnaires. En variabilisant ainsi les rémunérations, l’aléa de l’activité est transféré aux salariés, ce qui annihile la justification déjà fragile du profit.
Les mécanismes de participation sont aussi un moyen de faire adhérer les salariés aux objectifs des actionnaires. « Bien sûr la fermeture du site est difficile pour vos collègues qui ont perdu leur emploi, mais elle explique nos bons résultats et le niveau de la participation que vous touchez. » C’est ainsi qu’on affaiblit la solidarité salariale, les velléités de contestation et qu’on renforce l’adhésion à la logique capitaliste.
Enfin, ces dispositifs sont bien souvent exonérés de charges, assortis de l’habituel message « win-win » : moins cher pour l’entreprise, plus de salaire net pour le salarié ! Rappelons que les charges sont des cotisations. Assécher les ressources permettra demain au gouvernement de pleurer sur le « trou de la sécu » ou des retraites et de proposer de nouvelles réformes pour raboter les droits. De leur côté, les capitalistes préparent des alternatives privées se substituant à notre système social mis en faillite. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre les articles du projet de loi qui facilitent le développement des plans épargne retraites.
Le texte prévoit aussi d’élargir les mécanismes d’actions gratuites et leurs avantages fiscaux. On pourrait s’en réjouir si cela permettait effectivement aux salariés d’exercer un vrai pouvoir dans leur entreprise, c’est-à-dire à condition qu’ils soient majoritaires. Malheureusement les actionnaires-salariés sont cantonnés à un rôle très minoritaire. Mais surtout, on rappellera que ces mécanismes bénéficient avant tout aux dirigeants et cadres « high potential » que l’entreprise souhaite fidéliser. Cet outil contribue donc plutôt à accroître les inégalités de rémunération dans l’entreprise que l’inverse.
La lecture de l’accord interprofessionnel recèle d’autres surprises comme cet article 28 qui propose de sécuriser la fiscalité des salariés dont l’entreprise établit son siège social à l’étranger, afin de leur éviter une « imposition excessive ». Nul doute que ce genre d’optimisation fiscale est une préoccupation majeure des salariés des PME françaises pour leur pouvoir d’achat !
Est-ce alors si surprenant que la CGT n’ait pas signé cet accord ? Ou que la France Insoumise dénonce la normalisation de ces mécanismes qui se substituent aux salaires ? Nous nous étonnons plutôt qu’elles soient si seules.
Il ne s’agit pas de refuser les quelques gratifications promues par ce projet de loi mais de mettre en lumière l’idéologie à l’œuvre. Derrière les grands discours de partage de la valeur, la question des salaires est soigneusement évitée au profit de mécanismes dont nous constatons tous les jours qu’ils sont au contraire des instruments de modération salariale, quand ils ne contribuent pas à creuser les écarts de rémunérations.
Au-delà de ce débat rétréci au seul partage du profit, nous pensons que la question du partage du pouvoir de décision doit aussi être posée. La démocratie semble devoir éternellement rester à la porte de l’entreprise, laissant les travailleurs impuissants sur les décisions liées à la production économique, à l’organisation du travail. C’est pourtant là qu’est l’enjeu principal car, comme le rappelle Bernard Friot, « Si les capitalistes ont le pouvoir de capter la valeur réalisée par les travailleurs, c’est parce qu’ils ont le pouvoir sur notre travail. Parce qu’ils sont propriétaires de l’outil et conditionnent les salaires à l’exécution de ce travail subordonné. Le pouvoir sur l’argent est la conséquence du pouvoir sur le travail ».
05.04.2023 à 13:26
Un moment de politique extraordinaire
Les infiltrés
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Texte intégral (1305 mots)
Nous le sentons, il se passe quelque chose. Le moment est hautement politique, un de ces moments où les repères bougent, où les mentalités se déplacent, où ce qui était inconcevable hier devient envisageable, et même souhaitable.
En négligeant toutes les oppositions à son projet de réforme des retraites, Macron et son gouvernement ont perdu tout crédit et ouvert le champ des possibles. Ils ont beau répéter en boucle qu’ils sont légitimes car tout est légal, un minimum d’objectivité devrait permettre de comprendre que les concepts de légalité et de légitimité ne se recouvrent pas. Sinon tout dictateur ayant façonné un droit à sa main serait légitime, de fait, quoi qu’il entreprenne. La légitimité démocratique est un concept plus large qui touche autant au droit qu’à la morale ou à l’éthique et qui doit en permanence se construire et rechercher sa validation par des moyens qui dépassent largement la simple procédure électorale.
Ainsi, si l’utilisation de tous les jokers constitutionnels d’une République née pendant la guerre d’Algérie a permis à Macron de faire suivre un cheminement démocratique légal à sa réforme des retraites, il est en revanche manifeste qu’une grande partie des indicateurs de légitimité sont au rouge. Toutes les épreuves de contrôle du pouvoir qui permettent d’obtenir l’assentiment de la population ont été ignorées : élection présidentielle barrage sans adhésion au projet, pas de vote du parlement, unanimité des syndicats contre la réforme, sondages sans ambiguïté contre le projet, grèves massives, manifestations record. Comment s’étonner alors que certains citoyens se résolvent à la violence ou au blocage pour se faire entendre ? Et comment ne pas voir qu’il est de plus en plus fréquent de croiser dans les manifestations des gens qui soutiennent, ou au moins comprennent, les modes d’action plus radicaux ? Sans surprise, nous vérifions une nouvelle fois que c’est le pouvoir en place qui fixe le niveau de violence, ici en ignorant les modes d’expression traditionnels et en réprimant violemment toute contestation. Et une nouvelle fois sous le règne de Macron, le pouvoir ne tient plus que par les forces armées qui répriment les manifestations, réquisitionnent les salariés en grève, mutilent, effraient, emprisonnent.
Mais la perte de légitimité du gouvernement risque d’affecter durablement et plus largement le pouvoir. Comment renouer la confiance avec un gouvernement qui, en ne respectant aucun contre-pouvoir, s’assoit sur tous les principes sur lesquels repose le pacte républicain ? Et c’est même la Constitution de la Vème République qui se trouve mise cause car elle permet d’imposer une loi combattue par une majorité des citoyens. Un fossé profond est en train de se creuser qui enferme la classe dominante et relègue le reste de la population au côté des catégories historiquement dominées. Et ne parlons pas des arguments déployés depuis des mois pour justifier le bien-fondé de la réforme, leur crédibilité a entièrement foutu le camp dans le même mouvement. Grâce notamment aux passages médiatiques redoutablement efficaces de Michael Zemmour, tout le monde a fini par comprendre qu’il y avait deux objectifs à cette réforme : 1- faire quelques économies pour poursuivre les baisses d’impôts pour le capital et 2- permettre à Macron d’entrer dans l’histoire, à côté de Margaret Thatcher, comme l’homme fort qui aura réformé la France et enfin maté les syndicats unis contre lui.
Mais le sujet des retraites dépasse la question de l’âge de départ et vient interroger beaucoup plus largement notre rapport au travail. Le think tank Intérêt Général écrivait très justement dans sa dernière note que « cette période de la vie représente la fin de ce qui a précédé : la fin de la précarité, la fin du chômage, la fin de l’épuisement, la fin des cadences, la fin du diktat managérial, la fin de l’injonction à la productivité, la fin de l’absurde… La retraite, c’est l’espoir de voir le temps ralentir, de se lever quand le sommeil est épuisé, de se libérer des emplois du temps contraints, de ne plus avoir à réfléchir aux moyens de gagner sa vie, de consacrer ses journées à autre chose qu’à l’optimisation de sa propre rentabilité. ». Et c’est logiquement que l’on prend conscience que le travail sous l’empire d’un capitalisme en roue libre, qui est insupportable. Ce qui s’exprime depuis 3 mois dans les mobilisations, sur les piquets de grèves, lors de blocages, sur les pancartes des manifestants, sur les murs, dans les chants, c’est l’exigence de retrouver un sens au travail en en reprenant le contrôle. Le moment n’est plus si loin où l’on envisagera de se débarrasser des actionnaires pour décider démocratiquement de ce qu’on veut produire, de comment on veut s’organiser.
Cela rejoint d’ailleurs le combat des militants écologistes de Sainte Soline qui se battent pour sortir de l’agriculture de l’agro-business, pour empêcher la privatisation du bien commun qu’est l’eau. Rares sont les moments qui mettent aussi clairement en évidence que l’ennemi commun à l’écologie et au social est le capitalisme et son bras armé, l’État néolibéral. Et au milieu des chiens de garde médiatique, cette période de haute intensité politique nous offre des petits miracles. C’est Nicolas Framont invité plusieurs fois sur France 5 dans l’émission C ce soir pour nous parler de lutte des classes. C’est Elsa Marcel et Ariane Anemoyannis, militantes de Révolution Permanente, qui font le tour des plateaux et défont leurs interlocuteurs les uns après les autres.
Nous sommes dans un de ces moments où il faut tout donner dans la bataille. Si on « gagne » ce combat c’est magnifique. Si on « perd » on aura quand même gagné du terrain dans les têtes. Bien sûr il faut manifester, soutenir les blocages, faire la grève soi-même ou donner aux caisses de grève pour aider ceux qui sont à la pointe du combat depuis des semaines. Et parler, s’exprimer, écrire, chaque citoyen a un rôle à jouer dans la lutte.
La semaine dernière plusieurs d’entre nous, infiltrés, cadres supérieurs dans le privé, ont fait grève pour la première fois de leur vie. Et contre toute attente, ça s’est bien passé. Et nous avons même découvert dans nos organisations des soutiens inattendus. Et cela en a fait réfléchir d’autres. Et un tabou est tombé, l’acte de faire grève est passé de l’impensable au réalisable. D’autres se sont rendus sur des piquets de grève, ou à la bourse du travail, et ont tissé des liens avec des travailleurs qu’ils n’ont pas l’habitude de côtoyer. Et nous continuerons dans les prochains jours, et serons plus nombreux encore. Et la macronie et son discours hégémonique radicalisé sentent qu’ils sont contestés. Et nous avançons.
Et toi qui nous lis, que vas-tu faire ?
24.03.2023 à 14:45
Première de grève
Les infiltrés
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Cela fait longtemps que je conteste avec colère la politique menée par Macron. Une colère finalement peu visible, le genre de colère qu’aime bien Macron : la colère « légitime » qui défile pacifiquement et qui reste cachée aux yeux de l’entreprise dont je suis un des dirigeants. Car cela fait longtemps que de temps en temps, c’est en posant une demi-journée de RTT ou de congés que je me permets d’apporter mes pas et ma voix dans la rue.
Mais hier, pour la première fois de sa vie, le bon élève de 40 ans a pris son courage à deux mains. Le premier de la classe (à lunettes en plus), passé par Polytechnique, la grande école de la République, cadre dirigeant dans le privé, qui bosse 60 h par semaine, a posé un jour de grève. Pour aller manifester. A visage découvert. Sans avoir à mentir. Et c’était bon.
C’était bon, d’abord parce que la réaction au sein de mon entreprise a été très positive. Même dans l’antre du capitalisme, la situation actuelle inquiète. Les factieux ne sont pas ceux qu’on croit. Macron pense qu’en tordant le langage on peut tout imposer. Non, le peuple n’est pas illégitime, car c’est lui, le pouvoir établi. Non, les gens ne sont pas irresponsables de ne pas supporter les mensonges proférés sur les fondements de cette « réforme » passée au forceps.
Je suppute que Macron jouit devant les manifestations massives, à condition qu’elles soient sous contrôle. Ces manifestations « légitimes », dans le calme, qui lui permettent de sentir qu’il est un chef qui tient le cap contre vents et marées. Des colères factices pour un factieux.
Or, en ce moment, ca commence à déraper. Les jeunes qui mettent le zbeul en faisant courir des CRS et des gendarmes robocopés. Des éboueurs qui laissent vivre les méchants rats aux pieds des immeubles bourgeois. Des raffineries bloquées, des poubelles qui flambent, des barrières qui volent, des syndicats unis (même Laurent Berger est chagriné).
C’était bon, parce qu’il y avait des jeunes partout, plein d’énergie, de colère joyeuse, d’envie de construire autre chose. Le timing est bon. ParcourSup leur permet d’avoir passé le bac et de pouvoir se retrouver pendant 3 mois dans la rue, à tout bloquer, à tout chanter.
C’était mon premier jour de grève. Et je n’étais pas le seul intronisé. Ce ne sera pas le dernier, et ta « réforme », tu sais où on s’la met…
17.03.2023 à 17:20
Comment Frédéric Lordon m’a (dé)radicalisé
Les infiltrés
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Texte intégral (802 mots)
La crise bancaire démarrée aux Etats-Unis depuis quelques jours m’a rappelé une intervention de Frédéric Lordon dans l’émission de TV Ce soir ou jamais, en 2011. J’y repense car il y tenait des propos sur le sauvetage bancaire de 2008-2009, propos qui risquent de redevenir d’actualité dans les mois qui viennent, même si Bruno Le Maire ne voit aucun risque de contagion… A l’époque, je n’avais jamais entendu parler de Frédéric Lordon. Cela faisait quelques années que j’avais commencé à m’interroger sur l’économie. En fait, c’est la crise des subprimes de 2008 qui avait déstabilisé mes certitudes. Jusque-là, les notions d’économie enseignées à Polytechnique m’avaient conduit à rapprocher ce domaine de connaissance des sciences physiques, avec ses lois et ses équations mathématiques permettant de prévoir et de calculer, et je faisais donc confiance aux experts pour administrer le monde scientifiquement. Mais comment, alors qu’on envoie des fusées sur la Lune depuis des décennies, se faisait-il que la finance nous ait conduit aussi près du gouffre ? Pourquoi les marchés et les régulations mises en place n’étaient-ils pas aussi efficaces que dans nos modèles ? Par l’intermédiaire des médias mainstreams j’avais donc commencé à lire les quelques auteurs qui avaient voix au chapitre, à commencer par Philippe Dessertine, que j’avais trouvé très intéressant, puis Daniel Cohen qui m’avait vraiment convaincu. Oui… je viens de là, tout me destinait vraisemblablement à adhérer à la Macronie quelques années plus tard.
Mais ce soir d’octobre 2011 a ouvert une brèche. Que nous disait ce personnage étonnant, présenté comme un économiste ? Que l’effondrement de toutes les banques, si elles n’étaient pas sauvées, était de nature à faire s’effondrer toute la société, à nous faire retourner à l’état de nature. En effet, de par leur position dans la structure sociale capitaliste, les banques sont les dépositaires de deux biens publics vitaux pour une société marchande : les encaisses monétaires de la population (dépôts, épargne…) et l’intégrité du système de paiement (gestion des moyens de paiement). Par conséquent les Etats sont obligés de venir au secours des banques. Il s’agit d’une prise d’otage complète des États dont on ne parle jamais. La question est donc de savoir si un Etat peut considérer que des biens publics vitaux peuvent être confiés à des intérêts privés aussi mal éclairés que ceux de la finance. Poser la question c’est y répondre. Il faut donc envisager la déprivatisation intégrale du système bancaire, d’abord par nationalisation puis par socialisation pour reprendre le pouvoir démocratique sur ces biens publics essentiels.
L’évidence apparente de ces propos m’a frappé. Fondés ou pas, comment était-il possible que je ne me sois jamais posé ces questions fondamentales en ces termes ? Certes j’avais grandi dans les années 90-2000, à l’époque du néolibéralisme triomphant et de l’évacuation de la politique. Mais quand même ! Il m’a ensuite suffi d’ouvrir les portes vers un monde jusque-là totalement inconnu, et de l’explorer. Le lendemain de cette émission, je tapais donc “Frédéric Lordon” dans Google. De là je découvrais son blog, les émissions de Là-bas si j’y suis, puis j’ouvrais pour la première fois le Monde Diplomatique, j’enchainais avec les livres de Serge Halimi, j’en arrivais en 2015 à approfondir la pensée de Bernard Friot (mon deuxième grand choc, la vraie bascule vers la remise en question du capitalisme), et je continue.
J’ai tiré les ficelles et tout est venu, tous les dogmes de la pensée dominante se sont effondrés. Douze ans plus tard, hier, nous nous sommes croisés place de la Concorde pour exprimer notre rejet de la réforme des retraites et plus largement de tout ce que représente la Macronie. Je comprends évidemment les réticences de beaucoup de personnalités de gauche radicale à aller dans les médias mainstream, à jouer la caution du pluralisme, à tomber dans des traquenards médiatiques. Mais je me dois de témoigner aussi que parfois cela permet de semer des graines, et je suis aujourd’hui reconnaissant à Frédéric Lordon d’avoir accepté l’invitation de Frédéric Taddeï, en 2011.
31.01.2023 à 10:40
Retraites, qui soutient encore la macronie ?
Les infiltrés
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Texte intégral (1456 mots)
En janvier 2020, nous publiions une tribune en soutien aux grévistes contre la précédente réforme des retraites. Trois ans, une crise sanitaire et une réélection de Macron plus tard, les termes du projet ont changé, mais nous sommes de nouveau confrontés à une offensive du gouvernement sur le même sujet. Si la précédente réforme était déjà largement rejetée par les français, celle-ci fait quasiment l’unanimité contre elle.
Ainsi, nul besoin de développer ici tout l’argumentaire technique pour dénoncer cette réforme inutile, injuste et dogmatique. Personne n’est dupe. Nous avons bien compris que le système de retraite n’était pas en danger, les déficits prévus sont hypothétiques, temporaires et parfaitement absorbables de différentes manières le cas échéant. Les dernières semaines de pédagogie ont été un véritable fiasco et chaque prise de parole d’un représentant du gouvernement n’a fait qu’augmenter la proportion d’opposants à la réforme.
Comme il est difficile de s’y retrouver dans la valse des milliards avancés par les uns et les autres, nous avons publié sur twitter une petite infographie permettant de mieux appréhender quelques ordres de grandeurs :
Évidemment, tous les défenseurs du gouvernement nous sont tombés dessus pour nous expliquer que ces chiffres n’avaient rien à voir les uns avec les autres. Et pourtant, les multiples allègements de charges cotisations (CICE pérennisé) n’ont-ils aucun lien avec les déficits supposés du système de retraite ? N’est-ce pas le gouvernement il y a quelques mois qui expliquait qu’il fallait faire des économies sur les retraites pour financer d’autres services publics ? A l’époque il parlait de l’école ou de l’hôpital, il semble finalement que la priorité ait été donnée au réarmement… Quant à l’allègement des « impôts de production » permis par la réforme des retraites, ce n’est pas nous qui l’affirmons mais le gouvernement dans son projet de loi de finance 2023. Jamais l’Etat n’a autant financé les entreprises, jamais celles-ci n’ont versé autant de dividendes, et jamais la fortune des milliardaires n’a augmenté aussi rapidement. Pas de coïncidences ici mais un jeu de vases communicants.
Quand à ceux qui nous ont gentiment expliqué qu’il était idiot de mettre en correspondance des flux et des stocks, on leur rappellera que bien souvent en économie les flux alimentent ou vident des stocks, tout ça est une affaire de tuyauterie. On aimerait qu’ils s’insurgent avec autant de vigueur à chaque fois qu’on exprime la dette de la France (stock) en pourcentage du PIB (flux) ou bien qu’ils aillent faire la leçon aux financiers qui valorisent les entreprises en multiple d’EBITDA.
Ainsi, il ne s’agissait pas de dire que chaque ligne devait être mise à contribution pour financer les retraites, mais surtout de dessiner à gros traits les grandes tendances induites par un Etat au service du capital. Car in fine les choses ne sont pas si indépendantes, des choix sont faits, des priorités sont données, et il faut bien que les travailleurs soient mis à contribution pour financer le quoi-qu’il-en-coûte de préserver les profits. L’objectif est donc de faire des économies sur les retraites afin de financer les baisses d’impôts et autres aides aux entreprises sans contrepartie. Quant au manque à gagner pour les retraités, il devra être comblé par des économies individuelles, soit de la capitalisation, ce qui constitue peut-être une des motivations principales de la réforme, et qui a été judicieusement anticipé par la loi PACTE qui lançait en 2019 le « plan épargne retraite ». C’est un effet en tout cas largement identifié, sans doute fortuitement, par les premiers intéressés…
Quant à nous, cadres dirigeants dans le privé ou dans l’administration, nous sommes invités à acquiescer aux arguments d’autorité des prétendus experts et à soutenir la soi-disant rationalité économique développée par nos camarades qui travaillent au gouvernement. Et si nous n’étions pas complètement convaincus du bien fondé de cette réforme, il serait de toute façon de bon ton que nous l’acceptions en silence, puisque nous ne sommes pas dans la cible. En effet, ayant prolongé nos études jusqu’à 23 ou 25 ans dans les plus prestigieuses écoles de la République, il n’était de toute façon pas possible pour la plupart d’entre nous de partir à la retraite sans décote avant 65 ans.
Et pourtant, nous cherchons à contribuer à faire échouer une nouvelle fois la stratégie de ce gouvernement.
Car nous sommes de plus en plus nombreux à rejeter le capitalisme et la doxa néolibérale qui l’entoure. Nous n’y voyons plus que dogmatisme et cynisme. Dogmatisme quand certains croient encore qu’un énième allégement de charges sur les entreprises ou d’impôts sur les plus riches conduira à la prospérité de tous. Il faut avoir quitté tout lien avec la réalité et ne tirer aucun bilan des 40 dernières années pour croire encore en de telles fables. Cynisme pour ceux qui ont compris que l’affaiblissement du droit du travail, de l’assurance chômage, du droit à la retraite n’a d’autre objectif que le renforcement de l’ordre social capitaliste. Cynisme encore pour ceux qui, en conscience, affaiblissent les services publics ou le régime de retraites par répartition pour ouvrir la voie à de nouveaux marchés juteux, dont ils espèrent bénéficier d’une manière ou d’une autre.
Infiltrés au sein de la pensée dominante macroniste, nous sommes regroupés en collectif depuis maintenant plusieurs années pour observer, agir et témoigner de l’intérieur. Nous voyons aujourd’hui qu’ils sont fébriles, à court d’arguments, et d’ailleurs nous nous sentons de moins en moins seuls dans nos milieux, de moins en moins « infiltrés » justement, tant leur projet de société se fissure. La sidération face à leur langue déshumanisante s’estompe, les tabous commencent à se lever, y compris dans notre classe sociale. Faisons grève, autant que possible ; donnons aux caisses de solidarité aux grévistes, sinon ; manifestons ; inventons d’autres modes de contestation et disons une bonne fois que nous rejetons cette réforme et son monde.
13.11.2022 à 21:52
Reprise en main ?
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Texte intégral (1820 mots)
Pour son premier long métrage de fiction, Reprise en main, Gilles Perret a choisi de filmer une région qu’il connait particulièrement bien, la vallée de l’Arve en Haute-Savoie. L’action se déroule dans une usine de mécanique de précision qui produit notamment des pièces pour de grands constructeurs automobiles. Très vite une scène d’enchères inversées nous plonge dans la réalité économique de ce secteur. Organisée par une grande enseigne automobile, cette procédure met en concurrence les différents sous-traitants afin qu’ils proposent leur meilleur prix, pièce par pièce, pour remporter des marchés. Derrière un écran, les principaux cadres de l’entreprise ont quelques secondes pour réagir. Le prix de départ de la pièce est de 5€. Le responsable de la production prévient, on ne sait pas produire à moins de 3,70€, en-dessous on perd de l’argent. Mais les concurrents continuent à faire baisser le prix, et rapidement on tombe sous le seuil de rentabilité. L’atmosphère est lourde, la tension palpable. Finalement, le patron prend la décision : on fait une offre à 3,45€. Victoire ! Si l’on peut dire… Mais que voulez-vous, c’était ça ou on ne faisait aucun chiffre d’affaires ! Aux opérationnels maintenant de trouver des solutions pour réduire encore les coûts de production. On dégradera la qualité, on augmentera les cadences, on reportera à plus tard les investissements, on mettra la pression sur les fournisseurs, on délocalisera.
Cette procédure d’achat est l’aboutissement de décennies d’optimisation dans la recherche de profit. Il aura fallu d’abord sous-traiter la production pour se débarrasser d’une main d’œuvre ouvrière trop revendicative, trop protégée par des conventions collectives, trop présente sous nos yeux, trop humaine. Puis on aura mis en concurrence les sous-traitants pour accentuer la pression. Et enfin on n’aura conservé que le prix comme unique critère de sélection, on aura ainsi invisibilisé derrière cette abstraction l’intégralité des conditions de production. Et, cerise sur le gâteau, le mécanisme d’enchères inversées permet de mettre toute la responsabilité des prix bas et de leurs conséquences sur les sous-traitants eux-mêmes qui sont libres de proposer le prix qu’ils veulent. Voilà, tout est plus confortable maintenant. Plus d’ouvriers pénibles, même plus besoin de passer des heures en négociation avec des sous-traitants qui pleurnichent sur leur sort, toute la violence a disparu derrière un chiffre sur un écran. Le capitalisme dans sa plus grande pureté.
Mais ce n’est pas tout, sans doute y avait-il encore de l’argent à siphonner puisque l’entreprise s’est retrouvée objet de spéculation, sous la coupe d’investisseurs lointains et avides de profit. C’est alors qu’intervient un petit groupe de salariés bien décidés à ne plus se laisser faire. Pas question qu’un fonds vautour s’empare de l’usine pour licencier à tours de bras. Voici donc ce petit groupe parti pour jouer le jeu du capitalisme, monter un fonds d’investissement et proposer une offre concurrente de rachat de l’entreprise par LBO1. Après de nombreuses péripéties, ils finissent par gagner et reprendre la direction de l’entreprise. Évidemment, une de leurs premières actions est d’investir dans de nouvelles machines pour améliorer le quotidien des ouvriers, ce que la précédente direction leur a toujours refusé. Bon rythme, du suspens, de l’humour, on passe un bon moment. Et le film a le mérite d’expliquer rapidement le fonctionnement des LBO, ces mécanismes qui permettent d’acheter une entreprise grâce à beaucoup de dette (dette qui sera payée par l’entreprise elle-même) afin de maximiser les profits à la revente. Comme beaucoup de comédies, le scénario n’est pas très crédible mais ce n’est pas très grave, il faut reconnaître qu’il est assez enthousiasmant de voir ces “amateurs” réussir leur coup. Et les scènes avec les financiers sont assez croustillantes, et plus vraies que nature.
Bref, ils ont gagné, ils ont repris le contrôle. Le film se termine sur le début d’une nouvelle séance d’enchères inversées et un traveling sur la mine réjouie de la nouvelle équipe de direction qui a repris en main l’entreprise et donc, doit-on comprendre, son destin. Générique de fin. Mais c’est là que ça ne va pas. Cette image de fin est pour moi celle du commencement. Je voudrais voir les images suivantes, celles du prix des enchères qui continue irrémédiablement à tomber sous le coût de production. La sueur qui commence à perler sur le front de nos nouveaux dirigeants qui doivent décider de ne rien vendre ou de baisser encore leur prix. Je voudrais voir si eux aussi vont choisir de baisser le prix pour assurer des revenus et ne pas mourir. Je voudrais voir comment ils s’arrangeraient alors avec les conséquences de cette décision, comment ils s’y prendraient pour être compétitifs avec leurs machines toutes neuves. Puis, je voudrais voir comment ils généreraient suffisamment de cash pour payer les dividendes nécessaires au remboursement de l’immense dette qui a permis de racheter l’entreprise. Car pas question de ne pas rembourser cette dette : dans un LBO, les dirigeants sont toujours très bien encadrés, et ils sautent au moindre faux pas. Je voudrais donc voir comment ces nouveaux patrons composeraient avec cet infini système de contraintes qui les surplombe. Finalement, je voudrais voir s’ils deviendraient des patrons comme les autres, cherchant à réduire les coûts pour survivre, supprimant des emplois pour sauver ce qui peut l’être, appelant ça un plan de sauvegarde de l’emploi pour pouvoir se regarder dans la glace.
Car ce qu’ignore le film, ce sont les structures qui conditionnent les comportements. Pourtant Gilles Perret sait tout ça, il avait parfaitement décortiqué le poids des structures dans le documentaire Ma mondialisation en 2006. Est-ce le passage à la fiction qui a conduit à abandonner toute analyse systémique ? Est-ce la volonté de faire un feel good movie qui a mené à ce choix ? Quoi qu’il en soit, on ne peut pas en rester à un conflit entre de gentils ouvriers et de méchants financiers. Un bon LBO est une chimère. Un LBO restera toujours une saloperie conçue pour extraire un maximum de valeur pour les actionnaires au détriment de l’entreprise, mécaniquement, presque sans intervention humaine. Envisager le conflit sous l’angle de la morale entre des salauds qui veulent se faire du pognon et des gentils qui veulent sauvegarder les emplois est une grande faiblesse. Et la politique ne doit pas faire dans la morale. Comme disait l’ami Begaudeau dans Notre joie, “la politique ignore la catégorie de salopards”.
Reprenons donc dans l’ordre. Non ce n’est pas une question de volonté : jamais les structures de la finance n’auraient laissé ces ouvriers monter un fonds d’investissement et prendre le contrôle de la société. Tout est verrouillé, il faut les codes pour en être. Et quand bien même : non, il ne suffit pas d’être un gentil patron pour que ça se passe bien. Soit on se plie aux règles du jeu, soit on dégage, c’est écrit dans les règles.
Finalement, je crois que ce film est assez représentatif du problème auquel est confronté la gauche aujourd’hui. Elle s’intéresse beaucoup trop à la morale et pas assez aux structures. J’en ai marre d’entendre ces qualificatifs qui ne sont en fait que des jugements moraux : indécence des riches, profiteurs de crises, actionnaires qui se gavent. Et ces slogans qui laissent bien tranquilles les structures : taxer les actionnaires, partager les richesses.
La gauche ne cesse de valider les structures qu’elle prétend dénoncer. Quand on se bat pour taxer les actionnaires et redistribuer les profits, on accepte finalement que les profits se forment au profit des détenteurs des moyens de production. On propose même d’adosser le budget des services publics à ces profits, ils ont donc intérêt à ne pas disparaître ! Et puis c’est vrai que les actionnaires sont méchants mais il faut faire avec, ils sont nécessaires à l’investissement, croit-on. Tout comme les ultra-riches dont on veut partager la fortune, validant ainsi les sous-entendus de droite : il faut qu’il y ait des riches pour le bien-être de tous (variante du fameux ruissellement).
Il semble que nous soyons victime d’une sorte de syndrôme de Stockholm. Nous avons fini par intégrer le discours de nos maîtres. Les structures qui conditionnent nos existences nous semblent naturelles. Et, inconsciemment, nos revendications finissent par renforcer notre asservissement.
Les révolutionnaires de 1789 n’ont pas réclamé un meilleur partage des privilèges, ils les ont abolis. Il ne s’agit pas de prendre le contrôle d’un LBO pour diriger l’entreprise avec humanité et bienveillance, il s’agit d’interdire ces montages néfastes. Il ne s’agit pas de réclamer des actionnaires raisonnables ou de les taxer, il s’agit de réaliser que nous n’avons pas besoin d’eux. Il s’agit de se redire que nous sommes les seuls créateurs de valeur et que nous pouvons par exemple cotiser la valeur créée dans des fonds et décider démocratiquement de leur allocation plutôt que de remettre notre destin dans les mains de ceux qui nous dépossèdent. Bref, il s’agit de lire Bernard Friot, Frédéric Lordon et d’autres qui ont encore une colonne vertébrale et de les prendre au sérieux pour dire que le capitalisme n’est pas indépassable. Il en va même maintenant de la préservation d’une planète habitable d’en finir avec sa logique. Il est grand temps de se reprendre en main, vraiment.
16.02.2022 à 16:11
Entrepreneur ou capitaliste, monsieur Roux de Bézieux ?
Les infiltrés
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Texte intégral (2403 mots)
Face à M. Mélenchon sur France 2 le 10 février 2022, M. Roux de Bézieux nous a donné l’occasion d’entendre à nouveau une des arnaques classiques du discours capitaliste, arnaque qui tient en un mot : “l’entreprise”. Dès son entrée sur le plateau le ton est donné, il corrige immédiatement la présentation des journalistes : il n’est pas le “patron des patrons”, il est le “porte-parole des entreprises, de toutes les entreprises”. Il ne sera ensuite question que de défendre “l’entreprise”, de s’intéresser à ses besoins, à sa réussite. Par glissement on est prié de comprendre que le Medef travaille au bon fonctionnement de l’activité économique et finalement à l’intérêt général. Pourtant, au bout de quelques minutes, sa langue fourche : “nous, les capitalistes”, qu’il corrige aussitôt par “nous, les entrepreneurs”.
De quoi et de qui parle-t-il ? Parle-t-il du chauffeur uber, du boulanger du coin de la rue, de la PME de 50 salariés sous-traitante d’un grand groupe international, des entreprises du CAC40 ? Toutes ces structures font face à des difficultés et des réalités variées. En particulier, les PME et TPE ont leur propre organisation patronale (CGPME) et ne se sentent pas toujours bien représentées par le Medef, connu pour être plutôt le porte-parole des plus gros employeurs.
Mais plus largement, “l’entreprise » en elle-même renvoie à des parties prenantes aux intérêts différents, voire opposés. Le site officiel “vie publique” la définit ainsi : « un ensemble de moyens humains, matériels et financiers, orientés vers une finalité économique ». Ainsi, s’il parlait réellement au nom des « entreprises », M. Roux de Bézieux devrait en représenter toutes les parties prenantes. Dans une telle perspective, il pourrait être favorable à une amélioration du bien-être des travailleurs qui découlerait d’une augmentation du SMIC ou d’une baisse du temps de travail. Puisque ce n’est pas le cas, il semblerait que M.Roux de Bézieux ne défende pas les ”entreprises”, dont il faut rappeler qu’il n’existe pas de définition juridique, mais bien les “sociétés”, fictions juridiques et comptables qui réduisent les entreprises au seul groupement de leurs associés ou actionnaires, et dont les patrons sont les chargés de pouvoir.
Il convient en effet de rappeler, pour finir de briser la confusion amenée volontairement par l’utilisation du terme “entreprise”, que le Medef est avant tout un syndicat patronal qui négocie pour le compte des employeurs des accords face aux syndicats représentant les salariés. L’intérêt qu’il défend dans ces négociations est celui des employeurs et les employeurs sont des “sociétés” et non des “entreprises”.
Rappelons également quelques fondamentaux qui découlent de la “société” comprise comme personne morale. D’abord, son objectif n’est jamais de créer de l’emploi, contrairement à ce qu’affirme le Medef, mais de générer du profit pour ses actionnaires. La création d’emplois n’est qu’un effet secondaire, on pourrait même dire un mal nécessaire, nécessaire car il faut bien que quelqu’un fasse le travail. Les sociétés capitalistes ont toujours rechigné à embaucher, préférant la sous-traitance, l’uberisation, tout ce qui permet d’éviter ce pénible rôle d’employeur qui contraint à accorder des droits aux salariés en contrepartie de leur subordination. La maximisation du profit incite ensuite à minimiser le coût du travail par tous les moyens possibles : réduction d’effectifs, baisse des cotisations sociales, limitation des salaires, flexibilisation du droit du travail pour adapter rapidement sa masse salariale à la conjoncture, etc.
Président d’une organisation patronale, il ne représente donc pas les entreprises comme bloc uni mais bien le capital face aux travailleuses et travailleurs, et, semble-t-il, plutôt celui des multinationales que du plombier indépendant. Bien-sûr, le tour de passe-passe n’est pas neuf, il s’est même matérialisé dans le changement de nom de l’organisation patronale, le CNPF (Conseil National des Patrons Français) devenant le Medef (Mouvement des entreprises de France) en 1998. La combine langagière a été largement commentée et analysée depuis mais pour autant, la manœuvre fonctionne toujours. Si l’effort n’est pas fait pour définir de quoi et de qui on parle, toutes les confusions sont permises.
En modifiant l’équilibre dans la répartition des profits entre le travail et le capital, M. Mélenchon ne s’attaque donc pas à “l’entreprise”, à “tous les salariés du privé” comme le dit M. Roux de Bézieux, mais aux actionnaires. M. Roux de Bézieux nous met en garde, “une entreprise ne fait pas grève” mais “les entrepreneurs poseront le crayon, ils arrêteront d’embaucher, ils arrêteront d’investir”. La menace est donc la suivante : réduisez la part des dividendes dans les profits et nous, détenteurs du capital, arrêterons d’embaucher et d’investir.
Cet argument est bancal. En effet, la seule et unique motivation pour investir dans l’appareil productif ou embaucher est la perspective de profit. Si “le carnet de commandes” est plein alors l’entreprise réalisera les investissements nécessaires et embauchera. Une solvabilisation de la demande par une augmentation des salaires ou une baisse du chômage par la réduction du temps de travail pourrait donc avoir un effet bénéfique pour l’activité économique, même si elle n’est pas favorable au taux de profit.
Sur le fond, l’argument du patron du Medef est étonnant quand on se souvient que les profits réalisés qui ne sont pas distribués aux salariés peuvent soit rester dans l’entreprise pour l’investissement productif immédiat ou futur, soit être reversés aux actionnaires sous forme de dividendes ou de rachats d’actions. Au niveau de “l’entreprise”, le versement de dividendes se fait donc au détriment de l’investissement. Plus l’entreprise verse des dividendes, moins elle a de capacité d’investir. Ce sont deux postes en concurrence dans les statistiques de la Banque de France et de l’INSEE.
La question qu’il faut poser est alors la suivante : les dividendes, versés aux actionnaires au détriment du réinvestissement dans l’entreprise, sont-ils à un moment réinvestis dans d’autres entreprises, pour créer de l’activité et des emplois comme le laisse entendre le patron du Medef, ou bien servent-ils à acheter des titres de propriété sur le marché secondaire (ce qui, on le rappelle, ne finance pas l’investissement des entreprises) ? En d’autres termes, les dividendes oeuvrent-ils au grand ruissellement ou participent-ils au grand casino ? Les récents records battus par les actifs financiers ou immobiliers légitiment la question.
Alors que près de 70 milliards d’euros ont été versés en dividendes ou utilisés pour du rachat d’actions pour les seules entreprises du CAC40 en 2021 au profit de leurs actionnaires, on pourrait s’attendre à observer des investissements colossaux en face ! Mais là, grosse déconvenue. On mesure en bourse ce qui est apporté par les actionnaires dans le financement par les levées d’actions sur le marché primaire. Et ces financements représentent une somme dérisoire en comparaison – autour d’une dizaine de milliards voire moins selon les chiffres de la BCE et de l’AMF. Dans le même temps, les investissements réalisés par les entreprises représentent 310 milliards d’euros selon l’INSEE. Ce ne sont donc pas les profits prélevés par les actionnaires qui financent l’activité en premier lieu, mais l’autofinancement, c’est-à-dire précisément les bénéfices qui n’ont pas été distribués aux actionnaires. Quant aux start-ups, une étude de la direction générale du Trésor estime qu’elles ont levé 5,4 milliards d’euros en 2020, en comptant le financement des fondateurs et en grande partie sous l’impulsion de BPI France. Là encore, les montants semblent bien faibles en regard des profits prélevés.
Il semble bien que l’argument des dividendes nécessaires à l’investissement soit pour le moins exagéré, voire complètement bidon. Les marchés de capitaux, publics (boursiers) et privés (private equity) ne financent pas l’économie, ils organisent au contraire une extraction toujours plus grande des profits vers les actionnaires, entraînant la pression sur les salaires, l’emploi, le sous-investissement chronique, l’explosion des inégalités et l’alimentation des bulles spéculatives. Rien d’étonnant à ces chiffres, la financiarisation de l’économie n’est au final que l’évolution nécessaire d’un capitalisme que la baisse de la croissance de l’activité et de productivité n’arrive plus à nourrir. Il est aujourd’hui plus rentable et moins risqué de spéculer, c’est-à-dire de parier sur la hausse artificielle de la valeur d’un titre de propriété quelconque (immobilier, action) que d’investir dans l’appareil productif. Pourtant, l’idéologie dominante nous enjoint à nous plier aux désirs des capitalistes alors qu’ils retirent plus à l’économie réelle que les quelques miettes qu’ils daignent lui apporter.
Tous ces efforts n’auront finalement servi qu’à rappeler une banalité : l’objectif de la propriété lucrative n’est pas de financer des projets et des emplois mais de s’enrichir sur le travail des autres.
Il nous faut donc aller un cran plus loin en remettant en question le cœur du capitalisme, c’est-à-dire la propriété lucrative des moyens de production. Il faut se rendre à l’évidence, avec la financiarisation de l’économie les capitalistes nous coûtent un pognon de dingue, nous n’en avons plus les moyens ! Ne pourrait-on pas s’affranchir des actionnaires, les virer comme le proposait Benoit Borrits dans un récent ouvrage ? Il faut ainsi rappeler que les investisseurs ne détiennent que ce qu’ils ont prévu de prélever sur la valeur créée par les travailleurs (les “discounted cash flows”, les flux de cash dont les actionnaires disposent une fois tout le reste payé, y compris les salaires). Plutôt que de verser des dividendes aux actionnaires, ne serait-il pas beaucoup plus efficace de cotiser ces montants dans des caisses d’investissement tel que le propose Bernard Friot ? D’abord, les montants cotisés pourraient être moindres, abaissant ainsi la pression sur les salaires et l’investissement. Ensuite, et surtout, il serait possible de décider démocratiquement de l’investissement des montants cotisés dans ces caisses au niveau de délibération le plus pertinent (local, régional, national).
Mélenchon présente la planification écologique et les grands investissements qu’il propose de lancer comme une opportunité pour “les entreprises”. Cette planification leur donnerait la visibilité nécessaire à la mise en mouvement de leurs ressources et l’investissement. Nous suggérons toutefois à M. Mélenchon de s’astreindre à une plus grande précision que ne le fait M. Roux de Bézieux dans l’emploi du terme « entreprise ». Si le Medef l’assimile à la société de capitaux privés, et donc à un objectif de profit, le candidat de la France Insoumise pourrait clarifier qu’il entend par là des collectifs de travailleuses et de travailleurs et leurs moyens de production. Ainsi, en conditionnant par exemple la commande publique à des entreprises ayant des structures de gouvernance alternatives à celle des traditionnelles sociétés de capitaux, comme des coopératives, il pourrait assurer que la commande publique permette effectivement l’investissement dans les capacités productives, les compétences, la structuration de filières, sans que celle-ci ne serve à garantir les profits des actionnaires. Il serait ainsi porteur d’une véritable proposition d’organisation de la production alternative au capitalisme sur les secteurs dans lesquels l’Etat investit.
L’entreprise prend la forme qu’on décide de lui donner. La classe dominante en a préempté la définition à son avantage en vue de l’exploitation du travail mais il nous faut œuvrer à construire une autre relation au travail et à nous réapproprier collectivement la souveraineté sur l’organisation de la production. Une organisation alternative n’ayant pas le profit pour moteur est, de toute façon, indispensable pour permettre une quelconque sobriété matérielle et énergétique.
11.02.2022 à 09:22
Solidarité, j’écris ton nom
Les infiltrés
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Texte intégral (788 mots)
Orpéa.
Le monde solidaire et à impact s’étrangle devant les « révélations » de Castanet.
Tout le monde livre son constat et propose une analyse de fond.
Saddier, Président du Crédit Coopératif, Président de l’Avise, ancien conseiller de Hamon ministre de l’ESS (Economie Sociale et Solidaire), responsable de mutuelle, un chantre de l’ESS quoi, s’indigne : pratiques odieuses, témoignant du ressort profond des EHPAD, à savoir la financiarisation, en l’occurrence la Bourse. Saddier, spécialiste du care et des personnes fragiles est révolté en découvrant que l’eau chaude est chaude. Est révolté par la Bourse qui tue les EHPAD. Ne dit quand même pas un mot d’un des pionniers de la finance solidaire détenant 4% d’Orpéa. Mais nous y reviendrons. Saddier est tellement ému que le couperet tombe, implacable : ce scandale est la preuve qu’il faut réformer le label ISR (Investissement Socialement Responsable)…
A mon tour d’être ému devant une telle radicalité. Heureusement qu’on peut compter sur de tels visionnaires pour transformer nos économies vers l’Economie de Demain. Ca crève en EHPAD, le cul des petits vieux n’est pas torché le 20 du mois, le bout de pain a rétréci jusqu’aux miettes pour serrer les coûts afin d’assurer la rentabilité indécente rendue possible par l’argent public (une grosse partie des revenus des EHPAD est assurée par la Sécu et les départements). Mais Saddier propose de réformer le label ISR pour arranger les choses. Pauvre Saddier. Il a dû oublier que ses propres équipes, devant le scandale de la financiarisation de la santé et du médico-social, fourmillaient d’idées pour soutenir les acteurs ESS à but non lucratif. Il a préféré, en égrenant son espèce de chapelet qu’il aimait avoir en réunion pour se donner une cool attitude (ce qui devait l’empêcher d’écouter ce qu’on lui disait) suivre la stratégie de sa DG de l’époque, qui entre deux coups de sulfateuse bien au chaud dans son carré HermESS, lançait : « à quoi ca sert, vous ne ferez jamais mieux que Korian ». Visionnaires, je vous dis.
Heureusement, quand on ne peut pas compter sur les pontes de l’ESS, on peut avec confiance se tourner vers les acteurs de la finance solidaire. Quand Saddier veut réformer le label ISR, Zaouati, toujours bon pour lancer de grands poncifs plein de bons sentiments, à la tête de Mirova, l’un des plus gros collecteurs d’épargne salariale solidaire en France, tire enfin les leçons de ce scandale dont il n’était pas au courant. Car il n’est jamais facile d’avoir du courage, du vrai courage, pour investir avec sincérité dans l’impact, quand on peut se voiler la face pour sécuriser une partie du rendement à délivrer. Le care est un vrai business, hyper rentable et pérenne : un EHPAD, vu qu’il en manque beaucoup dans notre société qui fait mourir ses seniors en établissements spécialisés, c’est très cash flow predictable : taux de remplissage au taquet, revenus stables (merci la puissance publique), hébergement vendu aux familles avec plein d’options pour compléter le prix fort. Le prix à payer pour se rassurer face à la mort sans s’en occuper. Sauf qu’il n’y a pas d’options, quand on refuse à ses propres soignants des moyens. Zaouati tire donc, lui, enfin, les leçons de ce scandale : non pas donner des moyens, non pas repenser le modèle de santé. Non, il franchit une marche haute : transformer Orpéa en société à mission. Car les parties prenantes seront bien évidemment les garde-fous devant la cupidité des actionnaires… Et ne surtout pas vendre ses actions Orpéa. Car c’est un actionnaire responsable. Tellement responsable et professionnel qu’il a fait de sacrées due diligences avant d’investir. Peut-être s’est-il en fait contenté de vérifier que des fonds éthiques et sociaux, fonds de pension canadien CPPIB ou BlackRock en tête, étaient intéressés par l’entreprise. Champion.
Pour les chantres de la solidarité il n’existe pas de problème structurel qui ne trouve sa solution dans un label plus responsable. Quand vous mettrez vos parents en EHPAD ou vos enfants dans une crèche cotés en bourse, pensez à vérifier qu’ils adhèrent bien à toutes les chartes éthiques et équitables.
08.10.2021 à 21:52
L’usine à produire du sens
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Texte intégral (621 mots)
Un témoignage qui nous vient du monde merveilleux du conseil en conduite du changement.
Je découvre à l’occasion de la rédaction d’une proposition commerciale pour un « plan de transformation » la méthode de « conduite du changement » de Roland Berger. J’y vois l’appropriation par les détenteurs des moyens de production d’une connaissance plus approfondie du fonctionnement cognitif de l’homme et de la société mise au service d’une aliénation d’autant plus grande des travailleurs qu’elle contribue faussement au « développement personnel » des salariés de l’entreprise.
Le plus gros commence dès le début de la présentation : telle que comprise par le monde du conseil en stratégie en vue d’une application efficace et pragmatique, l’analyse des sciences cognitives montre que ce qui est important, c’est « le sens ». Conclusions : « étape 1 : s’il n’y a pas de sens, créez-en un ! ; étape 2 : si le sens ne convient pas, changez-le ! ; étape 3 : si le sens est le bon, allez-y ! ». L’entreprise a compris qu’elle devait avoir un sens pour ses salariés, résultat : elle en commande un sur Amazon. Peu importe qu’il en ait ou pas, de sens, ce sens, du moment qu’il permet de motiver les salariés. Dans les jeunes pousses qui ont déjà sur-intégré ce principe, le sens c’est de « disrupter » n’importe quel secteur pour « mieux servir le client ». Le « sens », comme tout, devient commodité tellement il tend à être standardisé, tellement il fait l’objet d’une demande de la part des entreprises.
Pourquoi le sens est-il si important ? Parce qu’avec la tertiarisation, la spécialisation par la mondialisation et la machinisation, ça n’est plus la force physique du travailleur qu’il faut exploiter, mais sa matière grise. L’aliénation passait par l’accaparement de la plus-value de la force physique, désormais, elle est plus profonde et plus insidieuse car elle passe par l’accaparement de la force mentale. Pour capter des gens éduqués sans trop les payer, c’est-à-dire, capter une plus grande part de leur valeur, il faut réussir à générer la même chose que pour des professions à vocation (médecins, militaires, etc.) : motiver. Le « sens » a ce but de mettre en mouvement les individus. L’entreprise a compris que pour plus tirer profit du travail de leurs salariés, il faut accepter d’investir dans leur développement. Cette progression est à double-tranchant car c’est paradoxalement en donnant plus aux salariés qu’on en tire plus d’eux ; c’est donc un processus « gagnant-gagnant », mais en réalité, proportionnellement plus gagnant pour l’entreprise. Pour ce faire, on responsabilise, on « incentivise », on estompe les relations hiérarchiques pour permettre le « développement personnel » du salarié, mais sans lui en donner les fruits. La perversion de ce mécanisme réside dans le fait qu’on responsabilise les individus – ils choisissent les moyens et les méthodes pour atteindre un objectif, c’est ce qui est présenté comme les rendant libres – mais qu’on ne leur donne pas la liberté des objectifs : ils portent ainsi toute la culpabilité de la non-réussite, sans la joie de la vraie liberté.
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