18.11.2024 à 17:25
Quand le mensonge est le message
Francis Pisani
Texte intégral (4018 mots)
Bonjour à vous,
Reprenons la conversation après quelques semaines de silence de ma part. Rien dans ma vie privée n’y a contribué, mais je dois reconnaître avoir été bouleversé par la gravité des événements les plus récents. J’ai beaucoup lu et relu, écouté, vu, tenté de comprendre. Jusqu’à l’exaspération. Comme vous peut-être.
Pour mieux comprendre la tech et l’IA, comment s’en servir et s’en protéger, il me semble essentiel de prendre le temps de la situer dans notre monde qui bouge, pas seulement de son fait. Nous aurons plein d’occasions de revenir sur l’impact du duo Trump-Musk dans ce domaine.
Pour le moment, au cœur de nos multiples crises, on trouve la chronique d’une victoire annoncée contre laquelle les mieux intentionnés, chez ceux qui en avaient les moyens, n'ont rien su faire. Facile à critiquer. Mais vain. Comme de traiter Trump ou les Américains de cons. Mauvaise habitude qui ne mène nulle part.
Et si on prenait le problème à l’envers me suis-je alors demandé. Peut-être a-t-il du génie ? Peut-être a-t-il compris quelque chose qui nous échappe ?
Mais quoi ?
Voici mon hypothèse. Parlons-en. Dites ce que vous en pensez. Par mail ou en ajoutant des commentaires que tout le monde peut lire.
A vite…
Quand le mensonge est le message…
Légions, les arguments avancés pour expliquer le retour triomphal de Trump portent le plus souvent sur le jeu politique : vote des femmes, des hommes jeunes, évolution des noirs et des latino-américains, découpage des circonscriptions électorales ou rôle des médias d’extrême droite, entre autres. Leur nombre même empêche de voir l’essentiel : la variable Trump ! L’homme qui a exploité avec génie (malfaisant de mon point de vue) un secret de la communication : le mensonge comme message.
Une martingale restée longtemps dans l’ombre parce que les élites étaient d’accord pour n’en pas abuser. Ne sert-elle pas aussi bien le monde économique que politique ?
C’est fini depuis qu’un homme sans surmoi a décidé d’arrêter de faire semblant. Un processus mûrement mis au point au fil des années mais que l’on peut saisir en regardant une courte vidéo révélatrice.
Le jour où il a cessé de faire semblant
Imaginez un.e prof qui transforme ses cours en rave parties au lieu d’enseigner mais dont les élèves ont le bac avec mention. Y’a un truc ! C’est ce qui s’est passé avec Trump au cours d’un meeting tenu en Pennsylvanie le 14 octobre dernier. Il faisait chaud. Deux personnes se sont évanouies.
Ça suffit en a conclu l’ex-président en quête de réélection : « Ne posons plus de questions. Écoutons simplement de la musique. Faisons-en une musique (sic). Who the hell wants to hear questions, right? (Qui donc a envie d'entendre des questions ?) »
Ça a duré 39 minutes pendant lesquelles le public s'est remué au son d’Ave Marias et de tubes comme Y.M.C.A tirés de sa playlist de Spotify.
Révélateur ? Pas qu’un peu ! Il vide de sens le meeting, moment sacré (mais vite barbant) de toute campagne politique. Il dit aussi clairement que possible « vous n’avez rien à foutre de ce que je pourrais vous dire et moi rien des questions que vous pourriez me poser ». Ce qui compte c’est d’être ensemble, le reste n’est que billevesée, un mensonge auquel nous ne croyons plus.
Peurs, incertitudes et désaffections
Le bonhomme réussit d’autant mieux qu’il s’exprime dans un contexte de crises multiples et atterrantes pour les Américains comme pour le reste de la planète.
Les États-Unis sont effectivement moins dominants qu’avant. Ce que confirme involontairement le dernier mot du slogan « Make America Great AGAIN ». De quoi inquiéter ceux qui y vivent.
L'accroissement des inégalités fait douter des promesses du système.
La Chine est décidée à reprendre la place de première puissance mondiale. Et les anciens pays colonisés demandent une profonde remise en question des équilibres mondiaux imposés dans le cadre de cinq siècles de domination occidentale.
Des millions (des dizaines, des centaines de millions ?) d'humains voudraient s'installer aux États-Unis, pour fuir des crises économiques, politiques ou climatiques. Trump a si bien compris cette dernière qu’il la nie avec l'espoir que sa réalité alternative sera suffisante pour dissuader. Doux rêve mensonger, comme sa promesse « d’arrêter les guerres ». Promesse-mensonge évidente.
Trump l’a emporté en ignorant, dans ses discours, faits et réalités tels que nous les concevons. « La vérité est ce que tu dis » lui avait enseigné son mentor, l’avocat corrompu Roy Cohn, véritable héros du film dans lequel le milliardaire de l’immobilier n’est encore que The Apprentice.
Mais l’élève a largement dépassé le maître en appliquant à la vie politique et en le déformant à l’extrême le vieux conseil du poète britannique Coleridge expliquant que, dans tout récit de fiction, le lecteur suspendra volontiers son jugement quant à l'invraisemblance de la narration si l’auteur introduit "de l'intérêt humain et un semblant de vérité". C’est dans tous les manuels de Hollywood pour apprentis scénaristes.
Celui de Trump va plus loin : Adieu le simulacre ! Disons n’importe quoi… ou dansons sans rien dire ! Il accélère ainsi la transformation de la politique en spectacle dont il est le héros avec sa passion et sa réussite comme éléments faisant oublier le reste.
Pire encore, il a compris que la création massive de réalités alternatives - privilège traditionnel des religions, était à sa portée. N’invoque-t-il pas, notamment depuis l’attentat dont il a été la victime, sa « mission divine » ? Une façon d’autant plus forte de créer des liens qu’elle repose toujours sur le « storytelling » les histoires qu’on se raconte ensemble et qui, de ce fait créent des liens comme l’explique le sociologue Hartmut Rosa dans son surprenant livre La démocratie a besoin de religion.
Dans un tel contexte, les explications traditionnelles ne suffisent pas pour expliquer le raz de marée porteur du futur président. Même la perte croissante de confiance dans les institutions, la désaffection chez les plus défavorisés. Et même le fait que la gauche molle ne résout pas leurs problèmes économiques « de classe », alors que ses élites s’en éloignent sur les sujets appelés « culturels » aux États-Unis comme le changement climatique, le « care » ou la défense des groupes marginalisés.
Restait à en profiter.
La recette
Deux livres nous disent tout ce qu’il faut savoir. L’un sous forme de roman et l’autre d’essai : Le mage du Kremlin et Les ingénieurs du chaos. Tous deux du même auteur Gerardo da Empoli, l’Ottolenghi de la cuisine politique d’aujourd’hui. A lire.
Contentons nous, aujourd’hui, d’une recette express et commençons par ce que nous n’avons pas envie de reconnaître, un peu comme l’épluchage des légumes :
Tout indique, y compris un fascinant entretien accordé à Playboy en 1990 (confirmé par The Apprentice), qu’il est très intimement convaincu que le reste du monde abuse de l’Amérique (je préfère dire États-Unis), que celle-ci doit réaffirmer sa puissance et que pour avancer il faut être tough (dur, fort, coriace), voir brutal, et gagner sans la moindre considération pour tout ce qui casse.
Depuis sa position de mogul, il sait aborder ce que l’on appelait jadis en France le « petit peuple », donner l’impression de le bien traiter, de l’écouter vraiment. Il utilise sa richesse pour donner l’espoir de réussir à ceux-là même qui n’y parviennent pas.
Son talent personnel s'appuie sur une longue pratique de la communication.
Il montre depuis ses premiers combats dans l’arène new yorkaise que : ni la dénonciation de ses mensonges ni les révélations sur ses turpitudes n’ont le moindre impact sur lui. L’important est qu’on parle de Trump. Une leçon archi-connue que les médias classiques, grands contributeurs à son succès n’ont pas comprise, ni en 2016 ni, ce qui est plus grave, en 2024.
Il a forgé sa compétence en s’adaptant à toutes les formes en vogue au cours des 30 dernières années : tabloïds au moment de la construction de sa Trump Tower, télé-réalité, Twitter très tôt et, au cours des derniers mois, les podcasts conversationnels sans questions embarrassantes mais avec une très forte audience.
La recette de Trump lui permet de se libérer à la fois du vieil adage de McLuhan selon lequel le médium est le message et de celui de Roy Cohn lui inculquant « la vérité est ce que du dis ». Elle repose sur un un raisonnement à la fois audacieux et simplissime : les mensonges deviennent vérité, quel que soit le médium, du moment qu’ils provoquent des émotions. Regardez, si vous ne l’avez pas encore fait, la vidéo insérée plus haut.
Chaud devant… les risques
La répétition de son succès invite à s’interroger. Et si la tromperie, pour ne pas dire le mensonge, était la réalité de la communication (sa vérité ?). C’est en tous cas ce qu’elle véhicule trop souvent, comme le révèlent la plupart des publicités auxquelles nous sommes exposés des milliers de fois par jour aussi bien que les promesses si rarement tenues des candidats aux élections politiques.
Pas besoin, ici, de trancher. Une chose semble claire pourtant : qui fait du mensonge son message ne peut s’en tenir à une victoire électorale.
C’est tout un pan de la société qui pourrait basculer. Commençons par une image simple.
« La catégorie du ressenti se superpose désormais à celles de la vérité et du fait. Ainsi de la météo et des mesures de la température qui affichent à la fois le degré vérifié par les thermomètres et le niveau « ressenti » censé intégrer la force du vent » explique joliment le philosophe français et professeur à New York, François Noudelmann, dans son tout récent livre Peut-on encore sauver la vérité ?
Juste avant d’ajouter que « Le gouvernement par les émotions a toujours été la marque des régimes autoritaires, cependant que les démocraties étaient supposées en appeler à la raison des citoyens ».
Presque en écho, le politiste hongrois Balint Magyar explique dans le New York Times, que « le populisme offre une résolution des problèmes sans contraintes morales » alors que « la démocratie libérale offre des contraintes morales sans résoudre les problèmes».
« Trump promet que vous n'avez pas à penser aux autres » ajoute-t-il.
Encore une promesse, un mensonge, qu’il semble difficile de transformer en réalité sans passer à un régime autoritaire, car « les autres » manquent rarement de frapper à votre porte…
04.10.2024 à 13:18
Où mène la suprématie en intelligence artificielle ≈059
Francis Pisani
Texte intégral (3594 mots)
Les programmes d’intelligence artificielle dont s’est doté Israël aident à comprendre ce qui se passe au Moyen Orient depuis un an, en particulier au cours des dernières semaines et, sans doute, demain. On en parle peu mais une recherche un peu poussée permet d’en saisir l’ampleur et son impact sur l’évolution des pratiques de Tsahal à Gaza et au Liban, pour le moment.
« Nous inventons les outils. Ils nous transforment. Il en va ainsi depuis le galet biface qui, modifiant l’alimentation de ses inventeurs, a ouvert la voie à Homo Sapiens. Il y a 3 millions d’années. Pareil avec l’IA, sauf qu’il faut décider qui commande. » Ces phrases viennent de mon billet IA, politique et mythes grecs ≈014 et datent de Juillet 2023. Nous pouvons maintenant passer aux réalités du monde d’aujourd’hui.
De « L’Alchimiste » à « Où est papa ? », une panoplie de programmes d’IA
Israël dispose d’une panoplie de systèmes en constante interaction. Les plus connus sont :
« The Gospel » (Habsora en hébreu) repère les installations physiques à éliminer.
« Lavender » enregistre et traite toutes les données concernant les militants et combattants du Hamas (quand il s’agit de Gaza) et ceux qui sont sensés l’être.
« Where is Daddy? » détecte quand un cadre rentre chez lui pour l’y éliminer avec sa famille.
L’essentiel de ces informations ont été recueillies et publiées par le média indépendant et sans but lucratif +972 (numéro de code téléphonique partagé par Israël et les territoires palestiniens). Créé en 2010 par quatre journalistes israéliens et palestiniens progressistes. Il a été qualifié par Le Monde de « journal d’investigation ».
Qui doute de telles sources peut se référer à un article publié dans Vortex, revue de l’Armée de l’air française, en 2022 par le Dr Liran Antebi professeure à l’Israeli Air Force Academia, et commandante de réserve dans les forces aériennes israéliennes. Outre « The Gospel, » elle mentionne « The Alchemist », qui permet la détection de cibles en temps réel et « Depth of Wisdom », dont Libération nous dit : « L’outil intègre des fonctions d’analyse de vidéos, de reconnaissance faciale, de voix, de plaque d’immatriculation, d’analyses de données issues de médias sociaux, de pages non publiques du web, ainsi que des données de géolocalisation. Autant de fonctionnalités permettant d’établir des profils analysables par les autres IA précédemment évoquées. À cette liste nous devons ajouter « Fire Factory » mentionné par Bloomberg (avec capture d’écran) qui « vise à optimiser, en temps réel, les plans d’attaques des avions et des drones, en fonction de la nature des cibles choisies ».
Le Jerusalem Post a publié, le 11 octobre 2023, un entretien avec un colonel chef de « la banque de cibles » qui a déclaré que « les capacités de ciblage de l'IA avaient, pour la première fois, aidé les FDI (Forces de défense d’Israël) à atteindre le point où elles peuvent assembler de nouveaux objectifs encore plus rapidement que le rythme des attaques. »
Le même article citant des propos tenus par le général Omer Tishler, chef de l’aviation israélienne explique que « bien entendu, la FDI ne vise pas les civils comme l'a fait le Hamas en masse samedi [7 octobre] et comme il continue de le faire avec ses tirs de roquettes, il y a toujours une cible militaire, mais nous ne sommes pas chirurgicaux ». L'armée de l'air traque partout « des envahisseurs à quiconque met le nez dehors dans Gaza (steps outside in Gaza), en passant par les terroristes qui se cachent à l'intérieur des résidences [civiles] ».
En clair : tout peut être repéré, donc tout peut être détruit…
The Guardian cite Daniel Hagari, porte-parole des FDI (Forces de défense d’Israël), qui a déclaré le 9 octobre de la même année. "L'accent est mis sur les dégâts et non sur la précision ».
Selon le Jerusalem Post, le ministre de la défense a déclaré dès novembre 2023, « Ce que nous pouvons faire à Gaza, nous pouvons le faire à Beyrouth ».
Les travaux que j’utilise ici portent sur l'utilisation de l’IA dans les attaques menées en 2021 et après le 7 octobre 2023 contre Gaza. Je n'ai rien trouvé sur les opérations plus récentes contre le Liban, si ce n’est que leur style, leur précision et leur rythme tout à fait nouveau semble bien correspondre au même dispositif. Il y a une logique derrière tout ça.
Logique de l’instrument
Les théoriciens adorent inventer des « lois » qui ne sont en fait que des régularités, des hypothèses parfois confirmées. Je préfère parler de « logique », une notion moins contraignante mais à laquelle il est difficile d’échapper quand les conditions initiales sont réunies.
Celle à laquelle je m'intéresse aujourd'hui s'appelle la « Loi du marteau », une sorte de biais de jugement impliquant une confiance excessive, voire la dépendance d’un outil. Une de ses formulations consiste à dire « Donnez un marteau à un jeune garçon et il trouvera que tout a besoin d’être martelé », il verra ce qui l’entoure comme autant de clous. Qui ne s’en est jamais pris à une vis récalcitrante en lui donnant un bon coup sur la tête ? Les machines utilisant l’IA sont plus complexes que des marteaux, mais toute technologie transforme celui qui l’utilise… comme l’écriture nous a poussé vers la pensée linéaire.
Quand les clous ou les vis sont des vies humaines, la métaphore du chasse mouche semble mieux s’appliquer dans la mesure où il s’agit de se défaire d’entités vivantes qui gênent. Yoav Galant, ministre de la défense n’a-t-il pas déclaré publiquement « nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ». Il n’est pas le plus extrémiste de ce gouvernement qui donne les ordres auxquels tous les officiers cités obéissent.
Comment le recours à L’IA a transformé Tsahal
Revenons maintenant aux enquêtes menées par Yuval Abraham pour +972. Elles sont riches de réflexions d’officiers israéliens ayant participé au maniement de ces outils.
« Nous préparons les cibles automatiquement et travaillons selon une liste de contrôle", a déclaré l'une des sources ayant opéré dans la nouvelle Division administrative des cibles., peut-on lire dans un article publié au tout début de l’offensive israélienne en réponse à l’attaque du Hamas lancée le 7 octobre. "C'est vraiment comme une usine. [...] L'idée est que nous sommes jugés en fonction du nombre d'objectifs que nous parvenons à générer." Un ancien officier de renseignement a expliqué que le système Habsora permet à l'armée de gérer une "usine d'assassinats de masse", dans laquelle "l'accent est mis sur la quantité et non sur la qualité".
Lavender a été l’objet d’une enquête publiée en avril 2024 par le même journaliste. Il révèle que ce programme analyse les informations recueillies sur la plupart des 2,3 millions d'habitants de la bande de Gaza grâce à un système de surveillance de masse, puis évalue et classe la probabilité que chaque personne soit active dans l'aile militaire du Hamas ou du Jihad Islamique. Selon certaines sources la machine attribue à presque chaque habitant de Gaza une note de 1 à 100, exprimant la probabilité qu'il s'agisse d'un militant. Son influence sur les opérations militaires était telle qu'ils traitaient essentiellement les résultats de la machine d'IA "comme s'il s'agissait d'une décision humaine". Le personnel ne joue qu’un rôle d’appui ne consacrant pas plus d’environ « 20 secondes » à l’autorisation d’un bombardement sur une cible.
En quoi consiste la transformation ?
Selon ces sources, « au cours des guerres précédentes, les services de renseignement passaient beaucoup de temps à vérifier le nombre de personnes présentes dans une maison destinée à être bombardée. […] Après le 7 octobre, cette vérification minutieuse a été largement abandonnée au profit de l'automatisation. » Pour la FDI, l’intelligence artificielle s’impose ainsi comme la seule façon de faire face au « goulot d’étranglement » que représenterait le manque de personnel nécessaire pour « produire » le nombre de cibles voulu.
« Les erreurs étaient traitées statistiquement », a déclaré à Yuval Abraham une source qui a utilisé Lavender. "En raison de la portée et de l'ampleur du projet, le protocole était le suivant : même si l'on n'est pas sûr que la machine soit bonne, on sait que statistiquement, elle est bonne. Alors, on y va ». Commentaire d’un officier supérieur : « La machine l'a fait froidement. Et cela a facilité les choses ».
23.09.2024 à 08:02
Philo, tech et guerres au Moyen-Orient ≈058
Francis Pisani
Texte intégral (3252 mots)
Alors que la guerre s’étend au Moyen Orient, l’attaque contre les bipeurs marque le début d’une nouvelle étape dans l’histoire des technologies et permet de mieux comprendre le monde vers lequel nous mutons. Surtout si on fait appel à un minimum de philo.
Philosophie Magazine invoque Derrida à propos des explosions de Beyrouth. Son livre La dissémination a été publié en 1969, l’année de l’apparition de l’internet (réseau de réseaux d'ordinateurs) dont les propriétés techniques reposent sur le même principe. Quant au web (réseau de documents), il naît véritablement en 1991. La notion de cyberguerre (affrontement par des moyens digitaux) qui en découle, a germé dans la tête de son inventeur en 1992. Ces trois dynamiques sont à l’oeuvre aux yeux de tous dans les évènements de la semaine dernière.
Une fois déjà, en 1992 à Harvard, j’ai eu l’opportunité d’établir la même connexion philo><tech en écoutant un cadre chargé de la digitalisation pour la chaîne de télé MSNBC dire qu’il fallait « prendre les problèmes par le milieu ». J’ai bondi car je venais de lire Gilles Deleuze et Félix Guattari pour qui ce type de réseau « n’a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu, par lequel il pousse et déborde. » C'était dans Rhizomes, image forte et toujours valable qui permet aujourd'hui de mieux comprendre l’efficacité des tunnels du Hamas à Gaza.
De Derrida aux armes de destructions disséminées
Revenons au Liban. Pour Michel Eltchaninoff, auteur de l’article de PhiloMag, cette attaque simultanée en plusieurs endroits à la fois « a remplacé la lourde bombe. Ce mode opératoire — qui vise cependant toujours à provoquer la douleur et la terreur — est une déconstruction de l’acte de guerre massif et localisé ». D’où la référence à Derrida qui explique dans son livre le rôle majeur de la « prolifération », de la « dispersion » et de « l’essaim », mot fort du vocabulaire technologique guerrier.
Les auteurs de cette attaque innovante viennent d’inventer les armes de destructions disséminées sur un grand territoire. Une ère devenue possible avec la généralisation des technologies digitales de connectivité et de l’intelligence artificielle. Ironie sémantique, le concepteur de la déconstruction voir ses théories appliquées pour la destruction.
C’est le moment de rappeler que nous devons l’internet au Ministère de la Défense des États-Unis. C’était, au départ une conception défensive reposant sur la création d’un système disséminé, non hiérarchisé de communications en réseaux.
L'internet et le web réalisent la dissémination
Petit rappel préalable, l’internet est un réseau de communication entre ordinateurs alors que le web permet d’établir des connections entre pages virtuelles. La logique de fond est à peu près la même appliquée à des objets différents. Je m’en tiendrai ici au web dont nous sommes conscients de faire l’expérience quotidienne.
Un des livres les plus simples et les plus éloquents sur notre sujet a été publié en 2002 par David Weinberger sous le titre Small pieces loosely joined (accessible gratuitement en anglais) dans lequel multiplicité et dissémination sont élégamment invoquées en bien peu de mots.
Il y décrit le web comme une « fédération peu structurée (loose) de documents » opération, ajoute-t-il qui se reproduit « dans presque toutes les institutions qu'il touche. » Il change surtout « notre compréhension de ce qui permet aux choses de s'assembler ». Aux choses et aux gens.
Ainsi l’attaque contre bipeurs et walkie-talkies est une mise en oeuvre, une sorte de passage à l’acte guerrier du concept derridien de dissémination et du rôle joué par le web et l'internet sur les institutions qui s'en servent.
La cyberguerre est à la une de nos médias. Elle n’est pourtant pas toute jeune.
La cyberguerre de John Arquilla
Ancien « marine », John Arquilla est professeur à l’École Navale Supérieure de Monterey (Californie), gérée par la US Navy. Je l’y ai interviewé pour la première fois en 1999. L’article est paru dans Le Monde sous le titre Les doux penseurs de la cyberguerre.
Inventeur, en 1992, du terme « cyberwar » il a d’abord mis en avant, avec son collègue David Ronfeldt, l’impact des communications digitales sur les formes d’organisation et le fait qu’elles favorisent les petites entités agiles et connectées dont la forme d’action la plus efficace est le swarm ou essaim : regroupement flash (suivi de dispersion aussi rapide) pour une action précise.
Sous le titre Bitskrieg, Arquilla a publié en 2021 un ouvrage résumant ses positions sur la « révolution dans les affaires militaires ». Le terme utilisé dans le titre devant remplacer, à l’ère informationnelle, le vieux blitzkrieg de l’ère industrielle, la guerre de mouvement utilisant les technologies modernes de déplacement dont les Français ont fait la découverte sur les bords de la Meuse en mai 1940.
Trois ans avant les attaques aux bipeurs il écrivait « Ainsi, le sabotage à l'aide d'explosifs - qui reste une option tout à fait envisageable - peut désormais être complété par des actes de perturbation virtuelle sous la forme de ce que j'appelle le "cybotage". Au-delà des habituelles attaques par déni de service et des divers logiciels malveillants conçus pour perturber les flux d'informations, ou pour corrompre les bases de données, il est également possible d'utiliser des bits et des octets qui causent des dommages physiques à des équipements importants ».
Parmi les règles de ce type d’engagement la plus importante est ce qu’il présente comme un changement de paradigme « beaucoup et petit bat peu et grand ». Nous sommes à l’ère du « beaucoup-petit ».
Cheval de Troie de la dissémination connectée
J’y vois, pour ma part, une conception militaire toute proche de la « dissémination » de Derrida et des « fédérations peu structurées » de Weinberger. Et je note que, comme le philosophe français, il voit son concept renversé dans l’action, et c’est peut-être la partie la plus signifiante de l’offensive bipeurs. Particulièrement efficace parce que disséminé, l’essaim peut-être affaibli par qui a les informations et les outils permettant d’attaquer toutes les « abeilles » d’un coup. Ou, si vous préférez une autre image, visualisez l’attaque aux bipeurs comme un « cheval de Troie des temps modernes » consistant à infiltrer les attaques dans les poches de milliers de personnes connectées plutôt que d’avoir recours au débarquement surprise d’une unité massive. Sans oublier qu’en ces temps de complexité dominante, ceux qui en ont les moyens optent pour des solutions hybrides, détruire les réseaux par le bitztrieg et les hiérarchies par le blitzkrieg.
Précisions d’usage général :
Le Hezbollah a parié sur la « low tech » pour échapper à la supériorité israélienne. Il s’est fait rattraper par l’hyper technologie. La leçon mérite réflexion.
Dans tout conflit, il est déterminant de posséder ce qu’Arquilla appelle « information edge », une marge informationnelle d’avance sur l’autre. Elle permet notamment la précision contre la dispersion aussi bien que les attaques ciblées comme celle ayant éliminé, samedi, une partie des dirigeants de l'unité d’élite de l'organisation libanaise. Cela vaut sans doute pour toute relation un peu tendue.
Mais ça ne suffit pas.
Selon le NYT « amis et adversaires d’Israël » voient le pays comme « technologiquement fort et stratégiquement paumé ». Beaucoup d’infos, mais aucune vision de comment sortir de la guerre. Tout indique même que le gouvernement en place, au lieu de chercher à y mettre fin, est en train de déclencher la généralisation des affrontements.
Comme l’explique Yuval Noah Harari dans Nexus, son dernier livre, les mythes notamment religieux, sont le meilleur ciment social. Ça marche pour toutes les forces en présence dans ce conflit quelles que soient les technologies auxquelles elles ont recours et, peut-être, parce que la philosophie est le cadet de leurs soucis.
17.09.2024 à 08:06
Musk, son écosystème, son secret ≈057
Francis Pisani
Texte intégral (2946 mots)
La première qualité d’Elon Musk est d’inventer des systèmes permettant de produire de façon plus efficace (la carrosserie des Tesla ou la fusée Starship, par exemple) à peu près tout ce qui l’intéresse.
Mais sa plus grande trouvaille réside dans l’écosystème qu’il a construit, comment chacune de ses entreprises renforce les autres avec, toujours, recours à l'intelligence artificielle.
Il fait de son « génie » une carte de visite rabâchée à plus de 150 millions de « followers » sur X (ex Twitter) et largement reprise par les médias qui se font un plaisir de lui servir d’idiot utile… comme je suis conscient de le faire à l’instant ;-( avec, quand même l’intention de vous informer, mais aussi de vous être utile.
« Génie » mais, paraphrasant la sentence de Thomas Edison (bon parrain en l’occurrence), il me semble que, dans son cas, la recette est 1% d’inspiration et 99% de connexions. (ce qui ne l’empêche pas de transpirer, car il bosse le diable).
« X » et « link », clins d’oeil révélateurs
Tesla, sa fabrique de voitures électriques intelligentes aux lignes futuristes, est la partie flashante d’un énorme effort de développement de batteries leur permettant de tenir plus longtemps la route. Et pas que, comme nous le verrons aussitôt après avoir dressé la liste de ses autres atouts.
Space X fabrique les fusées ultra puissantes et réutilisables (donc économiques);
Le réseau de satellites Starlink mis en orbite par SpaceX, représente 50% de tous ceux qui tournent autour de notre planète. Leur nombre, 6.000 aujourd’hui, devrait atteindre 17.000 en 2028 puis dépasser 40.000;
Neuralink développe des interfaces cerveau-ordinateur implantables permettant une communication directe entre le cerveau humain et des dispositifs externes : données et communications;
La Boring company sait construire des réseaux de tunnels en profondeur;
X, son réseau social, reste l’indestructible place publique sur laquelle on ne peut s’empêcher de débattre même quand on n'apprécie pas ce qu'il en fait;
Début septembre, la startup xAI a lancé Colossus, présenté comme le plus grand « calculateur », « ordinateur » ou « data center » du monde. Il a été construit et rendu opérationnel en 122 jours seulement. Qui dit « efficacité » ?
Musk a annoncé dans la foulée qu’il s’apprête à lancer un vol en direction de Mars dans quatre ans, premier pas vers son objectif de colonisation de la planète.
Détails qui m’amusent, plusieurs de ces entreprises contiennent le mot « link », et X représente de la façon la plus simple possible un plexus de connexions.
Creusons un peu.
Les connexions inter-entreprises sont la force du dispositif
Chacune peut être utilisée comme moteur d’appoint pour pousser la dynamique d’une ou plusieurs autres et contribuer à la conquête de Mars.
xAI alimente les véhicules autonomes de Tesla et se nourrit des informations qu’ils collectent. Avec des batteries au point le système facilitera le transport sur Mars dans les souterrains construits grâce à la technologie de The Boring Company
L’utilisation de Neuralink semble particulièrement astucieuse. Connectée à xAI elle devrait permettre aux voyageurs de communiquer entre eux et de bénéficier directement de l’aide de l’intelligence artificielle.
« Bien que toutes les entreprises soient juridiquement distinctes, Elon Musk a créé une ensemble capable de concevoir et de construire toutes les pièces maîtresses nécessaires pour se rendre sur Mars et la coloniser. » explique TheMarsBlueprint.com un site spécialisé.
Colonisation est un mot à prendre au pied de la lettre comme le soulignent de nombreux critiques (sur Wikipedia par exemple). Un indice supplémentaire vient d’être donné par le New York Times : Musk créé sa propre entreprise de sécurité appelée Foundation Security (allusion aux romans de science fiction d’Isaac Asimov). Elle contribue à le protéger aujourd’hui ET me semble pouvoir servir à maintenir l’ordre là-bas quand il le faudra.
Pas encore convaincu.e ? C’est que je n’ai pas encore fait intervenir le rachat de Twitter transformé en X. Car il « investit » en politique en mettant le réseau social qu’il possède à disposition de Trump. Ilfinance sa campagne à coups de centaines de millions de dollars et en promet d’organiser un bureau fédéral de l’efficacité au cas où il gagnerait. Un excellent placement en cas de victoire puisque le projet martien dépend des contrats avec le Pentagone et la NASA sur lesquels la Maison Blanche exerce son autorité.
Mais pourquoi, alors, préférer un candidat plutôt que l’autre ?
Parce que si la totalité des humains sont menacés par nos conneries sur terre, il est probable que seule une portion minuscule puisse envisager de s'installer sur Mars avant que la crise climatique atteigne le niveau de catastrophe menaçant l’humanité d’extinction. La durée de chaque voyage est estimée à plusieurs mois et il faut transporter le matériel. La perspective ne concerne donc que Musk et quelques privilégiés choisis parmi les cadres de ses entreprises (comme l’ingénieure Sarah Gillis de SpaceX) qui vient de faire un tour dans l’espace ou des milliardaires (comme Jared Isaacman son compagnon d'échappée) capables de payer leur billet. Rappelez-vous l’hilarant et dramatique Don’t Look Up…
Or des gens plus raisonnables (même Jeff Bezos fondateur d’Amazon, intéressé lui-même par la conquête spatiale) estiment préférable de mieux préparer la terre aux catastrophes ou, mieux encore, de tout faire pour les éviter, que de transporter une poignée d’humains riches et cyborgisés (Neuralink) sur d’autres planètes.
Nous touchons là des questions sociétales, voire philosophiques face auxquelles Musk se sent mieux avec la droite extrême et cinglée qu’avec des gens dont vous me pardonnerez de dire qu’ils sont plus « terre à terre » (pun intended comme on dit en anglais).
Deux idées simples à retenir
L’IA jouera, bien évidemment, un rôle croissant dans le futur mais il serait erroné de ne faire attention qu’à son fonctionnement ou son impact direct. Le plus intéressant est son utilisation dans autant de domaines que possible.
Prendre en compte les choses, les gens ou les entreprises, voire les additionner, en dresser des listes, ne suffit pas à comprendre la dynamique de notre monde. Il faut aussi prendre en compte ce que j’appelle leur plexité, le potentiel dynamique de leurs réseaux de connexions. Une bonne méthode pour organiser les activités de chacun.e d’entre nous.
Dites-moi ce que ça vous inspire…
02.09.2024 à 07:12
Macron ou l'art « pipé » de tout risquer ≈056
Francis Pisani
Texte intégral (2322 mots)
Coup de poker, la dissolution de juillet n’a pas donné les résultats escomptés… d’où la difficulté de passer à l’étape suivante. Macron aimerait bien « passer » mais la constitution l’oblige à « relancer ». Sa « main » (ses cartes) ne valent pas grand chose, d’où le temps pris pour nommer un nouveau premier ministre.
Ça nous parait interminable, voire abusif, mais ça devrait être le cadet de nos soucis dans la mesure où ça s’inscrit dans une évolution de notre société sur modèle Las Vegas, comme nous l’explique un livre paru cet été.
L’art de tout risquer
On the Edge, The Art of Risking Everything (À la limite, l'art de tout risquer) est écrit par Nate Silver qui, outre ses talents aux cartes, a créé FiveThirtyEight, le site le plus visité sur les probabilités de victoires dans les élections américaines. Et son talent ne s'arrête pas là. Il parie si bien sur les sites sportifs qu’on lui en a limité l’accès. Un monsieur qui mérite notre attention.
Le monde dont il nous parle, celui dans lequel nous avançons encore à tâtons, est divisé entre le « Village » et « la Rivière ». Aux prudents parmi lesquels il range universitaires, partis politiques et médias, - les élites fonctionnant en circuit fermé -, s’opposent ceux qui surfent des flux de toutes sortes en quête d'opportunités. Des individus qui « prennent leurs décisions non pas sur la base de ce qu’ils savent à un moment donné mais sur la valeur escomptée » des retours sur leurs paris.
Sur cette rivière du risque, Silver distingue différents types de tribus allant des intellos aux gamers et aux accros à la crypto en passant par Wall Street et Silicon Valley. Toutes leurs décisions s’expliquent par les gains qu’ils espèrent en tirer. Leur méthode est un calcul mathématique simple.
En anglais ça se dit EV (pour expected value) et ClubPoker.net nous explique qu’il s’agit d’un calcul de ce que rapportera une action soit « [probabilité de gagner]x[gains]-[probabilité de perdre]x[pertes]. C’est sur cette base que se fondent les joueurs de poker, les parieurs sportifs, et tous les investisseurs.
La vraie richesse n’est plus détenue par les monopoles industriels. Il en résulte une sorte d’économie-casino ultra quantifiée dans laquelle les distances entre les possédants et les autres sont savamment maintenues, exacerbées. Tout le monde n’a pas, en effet, la capacité de faire ces calculs, encore moins de prendre de tels risques qui, dans la vie réelle, ne représentent rien pour les plus riches. Nous nous dirigeons vers une sorte d’hyper-capitalisme alimenté par l'intelligence artificielle, dans lequel le butin appartient de manière disproportionnée à ceux qui comprennent les risques et savent évaluer la probabilité de succès de leurs paris.
La société du risque
Attention, nous n’avons pas à faire aux simples lubies d’un joueur malin. Silver s’appuie - en praticien, ce qui est toujours utile) - sur un concept lancé en 1986, juste après Chernobyl, par le sociologue allemand Ulrich Beck avec son livre La société du risque, sur la voie d’une autre modernité (dont je regrette qu’il ne soit pas disponible en format digital).
Il y montrait que notre époque se caractérise par le partage des risques à côté de celui, né avec la modernité, des biens matériels. Il insistait également sur le fait que la pleine dimension de ce phénomène serait atteinte avec la globalisation dans laquelle les réponses nationales, inopérantes, empêcheraient de poser sérieusement la question de la responsabilité.
Silver rebondit en jouant sur la fabuleuse ambivalence de la notion de risque, son potentiel d’opportunités, la capacité d’en calculer les probabilités et donc, pour certains, d’en tirer parti.
« La Rivière est en train de gagner, » regrette Silver. Car, « dans un monde forgé non pas par le labeur des humains mais par les calculs des machines, ceux d'entre nous qui comprennent les algorithmes détiennent les cartes maîtresses. » Le « Village » pourrait bien n’être plus, bientôt qu’un hameau ou qu’un lieu-dit.
Un jeu pipé
Nous évoluons vers une société dans laquelle les risques encourus par chacun.e sont tout aussi inégalement répartis que les biens matériels. Un casino dans lequel les mains sont d’autant plus souvent pipées que certains peuvent miser en utilisant les autres (ou leurs resources) comme jetons.
L’évolution du discours macronien en rend bien compte, car si le « premier de cordée » prend des décisions essentielles pour ceux qui suivent, il est exposé aux mêmes risques. Pas le joueur de Poker décrit par Nate Silver.
Dave Wallace Wells (New York Times) rappelle, à propos du bouquin, que « tout n'est pas un jeu de cartes, que toutes les situations ne gagnent pas à être jouées comme si elles en étaient un. Il est beaucoup plus facile pour n'importe quelle entreprise d’accepter la prise de risque lorsque l'on joue avec l'argent de quelqu'un d'autre ou que l'on sait que l'on peut compter sur un filet de sécurité, financier ou autre. »
Les risques ont toujours existé. Mais leur place évolue de façon dangereuse :
Ils pèsent sur tous les humains et doivent s’affronter au niveau de la planète dit Beck.
Il est maintenant possible à quelques initiés de tirer parti des opportunités qu’ils présentent montre Silver.
Explosif, ou je me trompe ?
30.07.2024 à 08:48
Ce que Trump et l'IA ont en commun ≈055
Francis Pisani
Texte intégral (2607 mots)
Aucune technologie n’est jamais venue « seule ». Les marteaux ont besoin d’artisans ou d’usines pour les fabriquer, de clous à frapper, de meubles et de charpentes à dresser. L’intelligence artificielle a besoin de données à récupérer par tous les moyens et d’humains pour écouter les récits qu’elle fabrique, même quand il s’agit de conneries.
Mais on a rarement vu, un outil devenir politique, autre que symboliquement. Et pourtant, au cours des dernières semaines, les technologies digitales ont fait irruption au plus haut niveau de l’espace américain. Sous formes sonnantes et trébuchantes, comme outil électoral et comme idéologie.
Kamala Harris et J.D. Vance, deux des trois candidats connus à la présidence et vice-présidence ont de très forts liens avec la Silicon Valley. Née dans la région de San Francisco, Harris a été chargée par Biden du dossier intelligence artificielle - « AI czar » dans le jargon de Washington - ce qui l’a conduite à rencontrer les dirigeants des plus grosses boîtes du secteur et à intervenir sur le sujet dans différentes instances internationales. Quant à Vance, le numéro 2 sur le « ticket » de Trump, il y a vécu et investi. Pas que.
État des lieux
La grande majorité des ingénieur.e.s qui travaillent dans les TIC (Technologies de l’information et de la communication) se considèrent comme Démocrates. Nombre de patrons aussi. Jusqu’à présent, et quelles que soient leurs opinions, ces derniers faisaient attention, notamment ceux dont les entreprises possèdent des plateformes importantes de réseaux sociaux, à maintenir une neutralité de façade tant un choix clair risquait de peser directement sur le jeu politique de leur pays.
C’est en train de changer.
Elon Musk vient de déclarer son total soutien à Donald Trump. Il lui a même promis 45 millions de dollars chaque mois jusqu’au vote de novembre (soit 180 millions au total précise Le Monde). Propriétaire tout puissant de X, l’ancien Twitter qui reste le réseau le plus utilisé par journalistes, politiciens et activistes et demeure ainsi le seul espace de débat public, il va mettre tout son poids dans la balance.
Pour le Washington Post « il s'agit de la première élection présidentielle au cours de laquelle une grande plateforme de médias sociaux est contrôlée par un proche allié public de l'un des candidats. Et ce candidat, Trump, en a si souvent violé les règles que les plus importantes ont fini par l'exclure. » Rien de plus facile pour l’homme le plus riche du monde de s’en acheter une et d’y communiquer directement avec ses 190 millions de « followers ».
Mais si Musk est le plus connu et le plus puissant, le plus malin est un de ses acolytes, Peter Thiel, connu pour avoir été un des premiers à financer Facebook devenue Meta et pour ses positions très à droite. Soutien de la première présidence de Trump, il a très tôt repéré le passage de Vance par la Silicon Valley l’a fait travailler pour lui et a financé ses premiers pas politique, c’est-à-dire sa campagne sénatoriale dans l’Ohio. Aux retours financiers sur investissements, il ajoute de bonnes chances de placer un de ses pions dans le duo de tête de la plus grande puissance économique, militaire et technologique de la planète.
L’idéologie
Mes premiers pas dans ce monde de la Baie de San Francisco, en 1995, m’ont permis de rencontrer Jerry Yang, fondateur de Yahoo, et Larry Page, créateur de Google. Des gamins sympathiques qui voulaient, en même temps, faire fortune et changer le monde. Si la première ambition est plus forte que jamais, la seconde apparaît de moins en moins dans les déclarations soigneusement rédigées par leurs services de relations publiques. Yang est discret. Page flirte alternativement avec l’idée d’une Californie indépendante et la création d’îles artificielles éloignées des eaux territoriales états-uniennes sur lesquelles entrepreneurs et investisseurs feraient leur loi sans se soucier de réglementations ni d’impôts.
Musk, pour sa part, envisage tout simplement d’aller s’installer sur la lune où la question des impôts n’est pas encore réglée. Gageons qu’il saura se faire entendre si les fusées de SpaceX font le job ?
Tous ces gens sont de plus en plus clairement « libertariens », des gens qui « ont en commun de penser que l'État est une institution coercitive, illégitime, voire — selon certains — inutile » explique Wikipedia en français.
Marc Andreessen, patron d’un des plus gros sites d’investissements, se propose carrément en maître à penser. Auteur, en octobre 2023, d’un Manifeste « techno optimiste », il fait de l’IA « notre alchimie, notre pierre philosophale. Littéralement nous faisons penser le sable »! Il y voit un « solutionneur » universel de problèmes. En ralentir le développement « coûtera des vies, ce qui est une forme de meurtre. »
Ses ennemis ? « L’éthique dans la tech», «le développement durable», «la responsabilité sociale des entreprises» « la confiance et la sécurité », la notion de « limites de la croissance » et tout ce qui pourrait brider le potentiel humain et l’abondance future. «Nous ne sommes pas des primitifs recroquevillés sur eux-mêmes. Nous sommes le prédateur suprême » clame-t-il.
Allons plus loin à notre tour. N’y a-t-il pas une affinité de fond entre l’IA et Trump ?
Trump et l’IA générative même combat
L’ancien président n’est-il pas le grand mage des réalités alternatives, des prétendus « faits » sans rapport avec la réalité, inventés de toute pièce en fonction de ses besoins à lui ?
L’intelligence générative artificielle n’est-elle pas productrice d’erreurs dues au fait que, strictement dépendants de calculs de probabilité sur la place des mots dans un texte, ses conseils et réponses n’ont pas nécessairement de rapport logique avec la réalité.
Les communicants des boîtes qui en sont responsables parlent « d’hallucinations » mais une récente étude de l’Université de Glasgow trouve le terme trop aimable, voire dangereux et trouvent le terme « bullshit » (connerie ou foutaise) plus approprié. Le mot est utilisé dans la philosophie américaine pour parler des gens qui, sans vraiment mentir, sont totalement insensibles au rapport à la réalité de ce qu’ils disent. « ChatGPT et ses pairs ne peuvent pas s'en préoccuper [puisqu'ils ne savent pas de quoi il s'agit] et sont plutôt, au sens technique du terme, des machines à raconter des conneries » écrivent-ils dans Scientific American.
La différence avec Trump serait alors dans l’intentionnalité (sauf s’il y croit lui-même à ce qu'il dit, ce que nous ne saurions totalement exclure).
Et qu’en est-il des patrons des BigTech (OpenAi, Google, Meta, Amazon, entre autres) ? Lancés dans une course effrénée aux milliards de dollars dont ils ont besoin pour asseoir et développer leurs projets - dont j’apprécie, personnellement, les côtés positifs. Ne sommes nous pas en droit de nous demander si leurs promesses ne constituent pas, elles aussi une hyper puissante « machine à bullshit » ?
Cela fait plusieurs mois que j’hésite à voir dans le mensonge « la vérité de la communication ». Une exagération sans doute, même si on peut l’étayer. Le bullshit, tel que nous venons de le définir, semble un terme plus précis. J’en viens même à me demander s’il n’est pas la norme de nos échanges professionnels, publicitaires et politiques.
Qu’en dites-vous ?
05.07.2024 à 11:11
Plus qu’un vote… ≈054…
Francis Pisani
Texte intégral (2489 mots)
Il m’est bien difficile, en ces temps agités, de suivre seulement ce qui se passe dans le domaine de l’intelligence artificielle.
La conviction qui m’a poussé à lancer Myriades, que vous êtes de plus en plus nombreux à lire, n’a fait que se renforcer au cours de ces derniers mois.
Mais, malgré leur capacité à « tout » changer, comme je le disais dans le premier numéro, il n’y a pas que les technologies à l’heure de l’IA (Tech@IA) dans nos vies.
L’IA est une dimension essentielle du monde d’aujourd’hui, même si personne n’en parle dans le cadre électoral, pas plus que de l’environnement ou des vrais enjeux de la recomposition géopolitique planétaire, les deux autres inévitables transitions auxquelles nous devons faire face, que nous devons aborder le plus intelligemment possible.
Ces bouleversements viennent de tant d’azimuts, dans tellement de domaines qu’ils donnent l’impression d’un monde qui fout le camp alors que, clairement, il mute. Pas pareil.
Il est illusoire de s’y opposer, difficile de cornaquer toutes les transitions que cela implique. Mais on peut tenter de les comprendre en les situant dans leurs interactions, en multipliant les passages de l’une à l’autre et, dans chacune du particulier au général, du local au planétaire.
Cet horizon temporel n’est ni de quelques jours ni de quelques semaines ou mois et risque fort de s’assombrir dans les 10 prochaines années, pour le moins.
Il me semble donc indispensable de situer les technologies dans un cadre plus général, de suivre ces « polytransitions », d’en rendre compte, de s’exprimer sur les choix cardinaux auxquels elles nous contraignent, de chercher comment les mieux penser.
Voilà pourquoi j’ai décidé d’ajouter à la Myriades que vous connaissez une nouvelle rubrique.
Les sujets traitant plus strictement des technologies à l’heure de l’intelligence artificielle « Tech&IA » alterneront avec des regards « Obliques » sur d’autres thèmes souvent plus planétaires, plus ouverts. Cela ne change rien au système d’abonnement de celles et ceux qui ont la gentillesse de m’aider dans ce travail avec une contribution volontaire.
Voici donc une première d’Obliques…
Villes et diplômes
Commençons par les élections législatives.
Les grandes villes, à commencer par Paris, sont plutôt rouges. Le reste du pays est plutôt brun si on accepte les codes couleurs en vogue. Le RN surfe sur les campagnes et la ruralité. Le NFP prospère sur le béton et la densité. Un peu trop simple pour être vrai, mais nous pouvons partir de là.
Côté histoire, Paris a toujours été le coeur ouvert, avancé, promoteur de changement du pays. Nous l'avons vu à chacun des grands bouleversements de notre histoire : 1789, 1848, 1870 etc. N'oublions pas que le bleu et le rouge, couleurs de la capitale, figurent dans le drapeau national pour entourer et contrôler le blanc monarchique qui comptait, pendant la révolution, sur les campagnes pour reprendre le pouvoir.
Côté géographie, dans le monde entier les conservateurs s'appuient aujourd’hui sur les campagnes pour réduire le poids des villes. Ça se voit aux États-Unis comme en Iran, dans les découpages électoraux, quand ça n'est pas dans les constitutions.
Il s’agit, bien sûr, d’une généralisation, donc abusive, qui ne tient pas assez compte des diversités territoriales. On trouve des anti-RN dans les campagnes comme des anti-NFP dans les villes.
Mais les études sur lesquelles se base cette constatation précisent que ces contrepoints ont très souvent à voir avec le niveau de diplômes.
Y aurait-il du commun entre villes et diplômes ?
Ouvrir
Les différences entre urbain et rural s’approfondissent chaque jour, chaque minute, chaque fois qu’une personne choisit de gagner une ville dans l’espoir d’y trouver du boulot, de faire des études ou de se soigner. L'urbanisation croissante se vote avec les pieds de centaines de millions d’humains. Elle tient largement à la logique des villes dans lesquelles les interactions sont plus intenses et l'ouverture sur l'extérieur plus grande. Aux croisements de routes maritimes et terrestres, les grands ports, par exemple, sont plus connectés que bien des capitales, Saint Petersbourg plus que Moscou, Mumbai plus que Dehli, Shanghai plus que Beijing, Rotterdam plus qu’Amsterdam… etc.
La question clé est celle de l'ouverture, des connexions, des relations, des échanges et des dialogues dans autant de directions que possible.
De façon différente, la possibilité de faire des études (un privilège) amène à regarder par delà son clocher, à se souvenir de celles et ceux qu’on a rencontré à l’université, des cours suivis, des discussions passionnées qu’on a eu… en ville puisque c’est là qu’on obtient les diplômes.
J’aime mon métro, métèque et métis
L’enfermement étouffe et tue. Alors qu’ouverture et porosité sont au coeur de la logique du vivant. S’y opposer c’est nous proposer la crève, à plus ou moins long terme. Ou le mensonge, dès la semaine prochaine.
Mais ce sont moins les partis politiques qui m’intéressent ici, qu’un certain état d’esprit dans lequel nous nous laissons enfermer sans toujours nous en rendre compte.
Mettre des drapeaux nationaux sur les produits qui vont de la « Tête d’anchois » au « Cola auvergnat » (cherchez des images de « produits français » sur votre moteur de recherche) c’est souvent mentir (quand on se penche sur les ingrédients), et ça nous habitue à exclure.
Refuser les immigrants c’est ignorer que la France est le produit des diversités européennes qui s’y retrouvent depuis des siècles, enrichies par d’autres venues d’ailleurs. Vivant à Paris, j’aime mon métro, métèque et métis. Il me fait envisager des lendemains plus riches pour tous.
Refuser le « bi », qu’il soit national ou sexuel, c’est s’enfermer dans une unicité qui ne correspond nullement à nos réalités multiples entre lesquelles nous ne cessons de jouer à la marelle. Ainsi passons-nous sans cesse, et sans nous en rendre compte, de la case « genrée » à la case « racisée », de notre goût pour le bon fromage à notre passion de sushi, de nos racines poitevines (ou autres) à nos envies de Marrakech, de Tel Aviv ou de Kyoto, de Victor Hugo à Lao Tseu sans oublier Chimamanda Ngozi Adichie…
Mais comment s’ouvrir ? En sortant de son, voire de ses silos, nous conseille Edgard Morin, en abordant le différent avec empathie, en jouant sur ces liens qui sont le tissu de notre réalité complexe parce que vivante, en misant, selon son terme, sur la « reliance ». J’y reviendrai.
Ça vous parle ?
12.06.2024 à 08:04
Pourquoi nous rabaisser ? ≈053
Francis Pisani
Texte intégral (2630 mots)
Bonjour et bienvenue sur Myriades,
Je vous propose aujourd’hui quelques pistes pour mieux comprendre ce qui se joue en ce moment :
Le danger de présenter l’IA comme « surhumaine ».
Pourquoi nous avons besoin que les ingénieurs aient le droit de nous alerter sur les risques que nous font courir leurs boîtes.
La percée effectuée par Starlink, la compagnie de satellites d’Elon Musk, auprès d’une tribu amazonienne isolée. Ça me laisse plus que perplexe.
Ne manquez pas, à la fin, une info montrant comment l’IA peut aider à maigrir.
Des dangers de croire à une IA surhumaine
Si l’IA est surhumaine, c’est-à-dire plus ou mieux qu’humaine, que sommes-nous ?
Voilà enfin une vraie question qui pourrait permettre d’aller plus au fond, de s’interroger sur un - le ? - vrai danger de la croyance en la toute puissance de l’IA. Elle est posée par Shannon Vallor, professeure américaine de philosophie et d’éthique en poste, actuellement, à Édimbourg.
« Qu'elle soit utilisée pour nous faire adopter l'IA avec un enthousiasme inconditionnel ou pour nous dépeindre l'IA comme un spectre terrifiant devant lequel nous devons trembler, l'idéologie sous-jacente de l'IA "surhumaine" favorise la dévalorisation croissante de l'action et de l'autonomie humaines et fait s'effondrer la distinction entre nos esprits conscients et les outils mécaniques que nous avons construits pour les refléter, » écrit-elle dans l’excellente revue Noéma.
Elle y montre de façon convaincante que les définitions de ce que serait l’intelligence artificielle générale (AGI en anglais) ne cessent de déraper. Ainsi, pour OpenAI productrice de ChatGPT, elle devient un ensemble de « systèmes hautement autonomes qui surpassent les humains dans la plupart des tâches économiquement utiles ».
Conclusion de Vallor : si on réduit le concept d’intelligence à ce que les marchés sont prêts à payer « tout ce qu'il faut pour construire une machine intelligente - même surhumaine - c'est fabriquer quelque chose qui génère des résultats économiquement valables à un taux et une qualité moyenne qui dépassent votre propre production économique. Rien d’autre ne compte ».
Je me demande si ce qu’elle présente comme un combat éthique (difficile à ignorer) n’est pas en fait un combat politique… bien plus difficile à nommer.
Elle vient de publier un livre sur ce sujet The AI Mirror. Je suis en train de le lire pour vous en rendre compte.
En attendant, passons à un autre sujet…
Notre première ligne de défense
Un groupe d’ingénieurs et de chercheurs (ex ou actuels employés d’OpenAI et de Google), revendique le droit d’alerter au cas où ils détecteraient des risques sérieux dans la façon d’opérer de leurs boîtes.
Il s’en prend à une pratique particulièrement choquante consistant à interdire aux employés quittant l’entreprise de dénoncer les dangers potentiels qu’ils y ont constatés et à les punir en les privant de leurs actions. Une sanction qui a coûté 1,7 millions de dollars à l’un des signataires.
L’argument est clair : « Tant qu'il n'y aura pas de contrôle gouvernemental efficace de ces entreprises, les employés actuels et anciens font partie des rares personnes qui peuvent les obliger à rendre des comptes au public » écrivent-ils. Ils demandent que les sociétés renoncent à interdire de « critiquer l'entreprise pour des problèmes liés aux risques, [ainsi qu’à] exercer des représailles pour des critiques dans ce domaine ».
Chercheurs et ingénieurs, des BigTech comme des startups de l’IA, sont notre première ligne de défense contre les risques qu’un développement échevelé peut nous faire courir. Personne ne connaît mieux qu’eux la portée de leurs travaux. Je l’ai évoqué en parlant du livre La déferlante, de Mustafa Suleiman.
Chacun a son idéologie et nous ne sommes pas tenus de partager tout ce qu’ils disent. Mais leur liberté de parole nous est indispensable et les pratiques qu’ils dénoncent - manifestement abusives - illustrent les jeux de pouvoir de ces boîtes qui se croient au dessus de tout et agissent en conséquence.
La situation est bien différente à l’autre bout du monde maintenant connecté…
L’internet au coeur de l’Amazonie. Qu’en penser ?
Reportage, émouvant et perturbant; dans le New York Times sur l’arrivée des satellites de communication Starlink d’Elon Musk dans la tribu des Marubos en Amazonie. (Voir plus bas le lien d’accès gratuit).
Les bienfaits sont clairs : ouverture sur le monde, accès à une éducation plus large, communication maintenue avec ceux qui ont gagné les villes pour travailler, ou possibilité en cas d’urgence médicale de se connecter pour obtenir un diagnostic ou un hélicoptère. Tout hôpital est à de longues journées de marche.
Les inconvénients ne sont pas moins évidents : les jeunes découvrent la pornographie et les garçons deviennent plus brutaux. Tou.te.s passent leur temps d’accès (limité à quelques heures par jour) sur WhatsApp alors que « dans le village, si tu ne chasses pas, ne pêches pas et ne plantes pas, tu ne manges pas » dit un des chefs.
Si son sort vous inquiétait, rassurez-vous, Elon Musk n’y perd rien. L’argent nécessaire a été fourni par une consultante de l’Oklahoma contactée par Facebook. Starlink a déjà 66.000 contrats couvrant 93% des municipalités de l’Amazonie brésilienne.
Point qui compte : l’appel à des financements pour acheter les antennes Starlink provient de membres de la tribu alors que d’autres s’opposent à leur introduction. Mais les leaders des deux camps s’affrontaient depuis longtemps et n’ont fait que chevaucher ce nouveau sujet comme thème de rivalités.
Difficile de se prononcer puisque c’est à eux de décider et qu’ils sont divisés. Lisez la fin sur la vision d’un shaman annonçant, il y a quelques dizaines d’années la venue d’un petit appareil connectant au reste du monde. Et rappelez-vous que l’arrivée des conquistadors Espagnols au Mexique avait elle aussi été annoncée… Copie ? Besoin d’ancrer le présent brutal dans le passé sage ? Curieux en tous cas. Bégaiement dont on souhaite qu’il n’entraîne pas les mêmes conséquences.
Voici un « lien cadeau » du New York Times qui devrait vous permettre de lire l’article sans problème. Dites-moi si ça marche, ou pas.
Enfin, et ce sera tout pour aujourd’hui…
L’IA… pour maigrir ?
L’Université canadienne de Waterloo travaille à une intelligence artificielle capable de détecter la quantité de calories ingurgitées au simple vu des vidéos prises de ce que nous ingurgitons au cours d’un repas. Les chercheurs sont en train de lui apprendre à repérer un grand nombre d’aliments et elle devrait, au bout d’un certain temps, reconnaître même ceux qu’elle ne connaît pas… comme toute IA générative qui se respecte.
Nouvel exemple de surveillance trop intime, mais peut-être préférable à tous ces médicaments amaigrissants qui envahissent le marché. A chacun.e de choisir… Le Monde y a consacré un article hier…
28.05.2024 à 11:30
Toute bulle qui monte… ≈052
Francis Pisani
Texte intégral (3114 mots)
Bienvenue sur Myriades,
Soyez gentil.le.s d’excuser mon retard dû à un petit déménagement proche… pour lequel l'intelligence artificielle ne m'est encore d'aucune aide ;-).
Tout ça alors que la folie.IA est montée d’un cran. Ou de deux. Peut-être même plus. Et, pour une fois, je me sens obligé de partir de l’actualité largement publiée pour faire le point. A ma manière.
Accélération de l’accélération
Nous entrons dans une nouvelle phase d’accélération du développement de l’intelligence artificielle générative, celle avec laquelle nous dialoguons, celle qui nous concerne le plus immédiatement. Éléments clés :
OpenAI a lancé une nouvelle version de son programme phare : ChatGPT-4o. Séduisant. Bluffant. Multimodal (il parle entend, plaisante et sourit). Ultra puissant. Gratuit. Genre la Grosse Berta dans la guerre des IA.
Google a mis sur le marché global sa version Gemini. Plus sage, elle présente des résumés des résultats (parfois donneurs de mauvais conseils comme de mettre de la colle dans une pizza pour faire tenir les ingrédients) plutôt qu’une accumulation de liens, tient compte du contexte et offre une intégration avec les différents services de Google.
Microsoft reprend la vieille rivalité avec Apple en lançant un PC plus rapide que les Macs comparables. Il est vendu avec IA intégrée et se propose de retrouver (Recall) tout ce qui se trouve dans votre ordi (ce qui veut dire qu’il en garde la trace…).
La valeur de NVIDIA qui fabrique les microprocesseurs utilisés par toutes les BigTech de l’IA a augmenté de 427% en un an… et c’est pas fini dit le patron.
En clair : l’accélération s’accélère. Mais !
Premier point : elle présente un risque de sécurité- Cette accélération paraît dangereuse à certains des fondateurs d’OpenAI dont les responsables les plus sensibles aux questions d’éthique et de sécurité ont quitté l’entreprise. Leur service a été dissous. Comme toujours le patron dit que c’est maintenant l’affaire de tout le monde. Seul le temps nous dira si c’est efficace… et, pour le moment, le temps qui coule permet à l’entreprise d’appuyer à fond sur la pédale sans trop se soucier du reste. Les mésaventures de Sam Altman, patron d’OpenAI, avec Scarlett Johansson dont, je simplifie, il utilise la voix (ou l’imite à la perfection) sans son autorisation, ne contribuent pas à sa crédibilité.
Deuxième point : ça nous rapproche de l’effondrement (burst) - On ne nous parle que des milliards qui font gonfler la bulle IA et, du coup, son éclatement me semble inévitable. Je n’aie aucune compétence d’économiste pour l’affirmer - ça en rassurera certain.e.s - juste l’expérience de quelqu’un qui couvrait les technologies de l’information telles qu’elles étaient développées autour de Silicon Valley au tournant de notre siècle. Au moment où le web a commencé à sentir l'impact du navigateur Netscape sur notre accès à l’information.
La question commence à se poser pour l’IA. Accordez-moi deux minutes.
Le principal argument de ceux qui sont contre cette analyse est que les modèles d’affaire d’alors reposaient sur des idées entièrement nouvelles et qui n’avaient jamais fait leurs preuves. La possibilité de faire des achats online par exemple.
Aujourd’hui, par contre, l’apport en productivité de l’IA leur semble évident et prouvé, déjà palpable. Pas de raison de s’inquiéter. Circulez.
Spray and pray (brumiser et prier)
C’est ignorer le dicton de base des capital risqueurs (venture capitalists ou VC) du monde entier : « spray and pray ».
Explications : plus un investissement se fait tôt, plus il a de chances de rapporter gros. Mais moins les VC ont de certitude sur le projet qui remportera la palme. Ils s’efforcent d’investir tôt car, si attendre est moins risqué, ça rapporte moins. En gros, sur 10 startups, 9 échouent. Mais celle qui réussit rapporte 100 fois ou mille fois la mise originale. Donc on tire à l’aveugle et on laisse la logique du marché et de la technologie inconnue décider.
Conséquence inattendue, la crise a une énorme vertu : elle assainit le marché permet aux équipes ayant échoué de se redéployer (d’où l’importance de la tolérance à l’échec) et au gros du capital de se concentrer sur les plus performantes.
Soyons clairs. La seule logique ici est la capitaliste la plus brutale. Seul l’argent compte. Rien à foutre de l’impact social, des gens qui, ayant investi sans pouvoir brumiser (l’efficacité de la prière restant à démontrer) y perdent pantalon ou culotte. C’est comme ça.
La valse à cinq temps
Revenons à la bulle. Elle éclate au cinquième temps.
Le déroulement n’est un mystère pour personne autour de la Baie de San Francisco. Il est parfaitement décortiqué en cinq phases relativement précises, bien scandées.
Déplacement : Une technologie - ChatGPT dans ce cas - vient en déplacer d’autres.
Boom : gros et petits veulent participer à la ruée vers l’or. A coup, cette fois de centaines et bientôt de milliers de milliards de dollars.
Euphorie : nous y sommes. Trop tôt pour faire les comptes on ne chante que les promesses. Tentant.
Passage à la caisse : ce que font les plus expérimentés qui ramassent leur mise dès que les échecs commencent à proliférer.
Panique ou burst: l’explosion de la bulle dont il faut bien comprendre qu’elle peut être déclenchée par les plus malins et les plus actifs dans la phase précédente.
Nous en sommes clairement à la phase trois. Difficile de savoir combien elle va durer et quand s’amorcera la quatre. Il faudra suivre l’actu.
Outre les faillites visibles, le passage pourrait être déclenché par des décisions gouvernementales prises pour contrôler les géants de la tech et/ou assurer un peu de sécurité aux petits investisseurs. L’angoisse de secteurs importants de la population inquiets des menaces que l’IA fait peser sur l’emploi, de son impact environnemental ou par un accident dû à un mauvais usage de l’IA peut également y contribuer.
S’il fallait parier (je ne parle pas de science) je miserais sur un éclatement de la bulle avant la découverte - trop souvent promise pour nous allécher - de l’intelligence artificielle « miracle »… ou , comme ils disent « générale », c’est à dire plus intelligente que nous dans tous les domaines.
Et vous ?
Principales sources :
Présentation de ChatGPT-4o (extraits: 26min).
Présentation de Google Gemini (résumé : 11m).
Analyse des 5 temps du cycle des investissements par The Guardian (en anglais, soutien facultatif).
12.05.2024 à 10:17
Minimal.IA + AI first ≈051
Francis Pisani
Texte intégral (2256 mots)
Bienvenue sur Myriades,
Vous qui entrez ici… abandonnez toute angoisse ;-). J’y parle d’intelligence artificielle et de technologies digitales en termes simples : infos minimales et explications courtes pour qui n’en fait ni un métier ni un investissement mais souhaite mieux comprendre en quoi « ce truc change tout ».
Minimal.IA
Les femmes sont peu nombreuses aux postes de commande des Big Tech. D’où l’enthousiasme d’Ayesha Khanna face à la slovène Sanja Fidler. VP en charge de la recherche en intelligence artificielle à NVIDIA (qui produit près de 80% des microprocesseurs utilisés dans ce domaine), elle a aussi publié 170 articles scientifiques. Respect.
Vous en avez entendu parler, ne manquez surtout pas la vidéo d’Apple intitulée « Crush » (mot qui veut dire à la fois « coup de coeur »et « pulvériser ») conçue pour nous convaincre des beautés de son nouvel iPad. On y voit une énorme presse écraser tous les outils de la création artistique pour en sortir un iPad ultra fin. Catastrophique. Elle ne dure qu’1min08 qui pourraient conduire à quelques trimestres de troubles pour la marque à la pomme. Mon ami Antoine Brunel y voit « une publicité qui résume tout, car le cerveau humain est lui aussi sous cette même presse ».
Belles promesses : Google DeepMind vient d’annoncer dans un article publié par la prestigieuse revue Nature « AlphaFold 3, un modèle d'IA capable de prédire la structure et les interactions de toutes les molécules de la vie avec précision ». Guillaume Grallet nous explique dans Le Point qu'elle devrait permettre de « mettre au point de nouveaux médicaments, une meilleure production agricole, ou encore tout simplement de mieux comprendre la vie ». Plus prometteur encore, le serveur sur lequel se trouve le modèle est gratuit et ouvert aux scientifiques du monde entier.
Guerre, IA et la nouvelle « diplomatie »
l’iPhone est né en 2007. Il nous a fallu 3 ans à peu près pour comprendre que nos relations avec les autres, l’info, les apps, le web et l’internet passeraient essentiellement par le téléphone. Ce qu’on appelait « mobile first ». C’est, aujourd‘hui, l’intelligence artificielle qui, 18 mois après l’apparition de ChatGPT, est l’élément clé de réorganisation de notre relation au monde. Et je ne parle pas, cette semaine, de comment elle peut permettre de faire des recherches mieux étayées ou d’écrire un texte plus vite.
Levons un peu le nez du guidon. Les Tech@IA (technologies à l’heure de l’IA) sont maintenant partout. Dans notre poche ou notre sac, comme au centre du conflit Chine États-Unis. Les deux super-puissances doivent se retrouver à la fin du mois de mai à Genève pour le premier dialogue sur le contrôle de l'intelligence artificielle en cas de guerre.
Le ministère des affaires étrangères américain (Département d’État) vient, dans cette perspective, de publier un document posant les bases de la Stratégie internationale des États-Unis en matière de cyberespace et de politique digitale.
De quoi s’agit-il ? L’homme qui en est responsable, le premier Ambassadeur pour le cyberespace et la politique digitale, Nathaniel Fick, a posé le problème on ne peut plus clairement dans un entretien au New York Times : « Presque tout le monde est prêt à reconnaître que la technologie est un élément important de la politique étrangère, mais je dirais que la technologie n'est pas seulement une partie du jeu, elle est de plus en plus le jeu tout entier ».
Une nouvelle ère des relations internationales est en train de s’ouvrir. Selon Washington, la planète sera - de nouveau - divisée en deux camps et personne ne pourra échapper au choix puisque technologies digitales et intelligence artificielle se retrouvent à tous les niveaux, qu’il s’agisse de développement, de résilience en cas d’attaque, de protection des câbles sous-marins, des entreprises, des utilisateurs comme de toutes les données que nous gardons dans le cloud.
Anthony Blinken, le Secrétaire d’État, estime qu’il est dangereux d’utiliser des technologies appartenant à des conceptions reposant sur des couches (stacks) différentes. Le monde entier va donc devoir choisir entre l’écosystème proposé par les Américains et celui des Chinois, quelles que soient leurs performances respectives.
« L’ordre international sera défini par le système d'exploitation métaphorique qui dominera » affirme Nathaniel Flick. Formule sibylline autant qu’idéologique. Face à Beijing, peu discrètement mis en cause, le Département d’État mise sur la « solidarité digitale » avec ses alliés.
L’enjeu est bien sûr le « sud global » que la Chine s’efforce d’amadouer en jouant de leur passé colonial commun et, pour beaucoup de leur rejet croissant de l’Occident. Les États-Unis misent, eux, sur le futur promis par leurs capacités technologiques.
Leur avance ne semblant pas devoir être éternelle, ils se dépêchent d’avancer leurs cartes.
En clair, nous entrons dans une période de conflits de plus en plus tendus. Technologies digitales et intelligences artificielles sont essentielles à tous les niveaux de la vie économique, sociale et politique à commencer par la guerre. Habitués à sélectionner des fusils dans un camp et des tanks dans l’autre les pays qui se veulent ou se disent (disaient) « non-alignés » vont devoir choisir à quelle IA se vouer. L’américaine ou la chinoise.
Commentaires :
Dommage collatéral de taille : une telle évolution risque de nous conduire à un fractionnement de l’internet. Tout le contraire de ce dont nous avons rêvé depuis le début des années 1990… sauf les régimes autoritaires qui y gagnent.
C’est le moment choisi par la France pour mettre ses capacités nucléaires au service de l’Europe. Elles sont concernées, mais leur contrôle dépend maintenant de capacités précises en cybersécurité. Ne sommes-nous pas en retard d’une guerre ?
Bien utilisées les intelligences artificielles peuvent contribuer aussi à la résolution des conflits. Qui va s’y mettre ?
03.05.2024 à 08:05
Elles sont partout... ≈050
Francis Pisani
Texte intégral (2705 mots)
Vous en en êtes submergé.e.s, mais les informations importantes concernant les technologies à l’heure de l’intelligence artificielle (Tech@IA) sont traitées d’une telle façon qu’il est difficile d’en mesurer l’impact réel sur nos vies privées, la politique et la planète. C’est préoccupant.
Elles sont partout
Prenons deux actus récentes : l’adoption, aux États-Unis, d’une loi d’aide militaire à l’Ukraine, Israël et, un peu moindre, à Taiwan qui pourrait affecter le mode de vie de 300 millions de jeunes Américains et Européens, ainsi qu’un gros investissement de Microsoft aux Émirats Arabes Unis (Abu Dhabi en l’occurence) dont je me demande comment il peut ne pas aggraver la crise climatique.
Vous avez sans doute vu, lu ou entendu la première, abordée dans la couverture internationale de nos médias. Il était plus difficile de repérer la seconde, traitée avec les infos concernant les grands mouvements d’argent qui nous dépassent ou les développements de l’intelligence artificielle à laquelle nous ne faisons encore que prudemment attention. Elles marquent pourtant des points d’inflexion susceptibles de peser dans nos vies et sur l’évolution de la situation planétaire. Les deux sont importantes en termes de technologie et de politique.
Loi TikTok - La nouvelle loi passée à Wahington contenait - outre tout ce que vous en savez - une disposition dont on n’a parlé que dans les rubriques technologiques : la menace d’interdiction de TikTok, ce programme de courtes vidéos devenu une des sources préférées d’expression des jeunes et un moyen de les atteindre en publiant dans un langage qui leur convient.
Ils sont 170 millions aux États-Unis et 135 millions en Europe.
L’argument est que l’entreprise mère est chinoise (ByteDance), que le gouvernement de ce pays peut ainsi ausculter à loisir ce qui se dit et se sent en Occident qu’il combat, qu’il pourrait s’en servir pour l’influencer le moment venu, s’il ne le fait pas déjà. Ça permet aussi aux Big Tech américaines de souffler face à un concurrent qui les dépasse.
Démocrates et Républicains se sont mis d’accord pour sommer la maison mère de vendre TiKTok à uneentreprise non chinoise dans un délai d’un an (360 jours maximum pour être exact). Les pressions pour que l’Europe agisse dans le même sens ne manquent pas.
Microsoft joker de la diplomatie américaine - D’un montant de 1,5 milliard de dollars l’Investissement de Microsoft dans l’entreprise G42 d’Abu Dhabi va aider ce pays à s’insérer sur l’échiquier mondial autrement qu’avec son seul pétrole. Bien vu.
Attention, s’il s’agit de créer des data centers géants pour préparer une transition vers un monde dans lequel la richesse proviendra d’autres ressources que les énergies fossiles, il va falloir les refroidir… comme toujours. Dans une région où l'eau est bien plus rare que le pétrole on se demande comment le problème sera résolu. Faute d'informations fiables j'en suis réduit à me dire qu'il va falloir beaucoup, vraiment beaucoup d’air conditionné pour préserver le bon fonctionnement des machines.
Washington a de bonnes raisons de rester discret. La participation de Microsoft - fortement poussée et soutenue, presque imposée par le Département d’État - s’accompagne d’un condition drastique : que ce développement se fasse sans la moindre participation chinoise.
En clair - Application préférée d’1,4 milliards de jeunes dans le monde, affrontements US-Chine, coup de pouce dans l’utilisation des énergies fossiles, re-positionnement du monde arabe sur l’échiquier planétaire : technologies digitales et intelligences artificielles sont bien partout…
Si ça vous turlupine, n'hésitez pas à demander des compléments d'information à Google, Perplexity.ia ou votre source préférée.
Bêtes dans l’utilisation des IA !
C’est, sans la moindre intention d’offenser, ce qui est arrivé à un groupe de catholiques américains qui n’ont rien trouvé de mieux que de déguiser une intelligence artificielle en prêtre catholique baptisé Father Justin. Ça permettait à l’organisation responsable, Catholic Answers, d’atteindre plus de monde à moindre coût. Efficacité, combien de conneries ne sont-elles pas commises en ton nom ?
Jugez vous-mêmes. Le succès n’aura duré que deux jours à peine, jusqu’au moment où plus d’un.e croyant.e a demandé « l’absolution sacramentelle » à Justin qui affirmait avoir été ordonné prêtre à Rome. Ce qui, bien évidemment, n’était pas le cas. « Dans l'Église catholique, la confession est l'un des sept sacrements. Elle consiste pour le fidèle à avouer ses péchés à un prêtre (et seulement à un prêtre) qui lui donne l’absolution, c’est-à-dire le pardon de Dieu, » explique le Figaro source fiable en la matière.
Rapidement défroqué, Justin n’est plus qu’un théologien laïc… très calé.
Pour en savoir plus, outre le Figaro, tapez simplement « Father Justin ».
Utile : Tout comprendre le temps de se faire un café
Vidéo : comprendre l’IA en 2min30 de FenêtreSur
Allez donc voir, c’est bien foutu.
21.04.2024 à 09:44
Perplexity.ai + Myriades ≈049
Francis Pisani
Texte intégral (2499 mots)
Bonjour,
J’ai enfin choisi un chatbot d’intelligence artificielle que je commence à utiliser régulièrement. Il s’agit de Perplexity.ai le plus simple et le plus utile pour qui ne cherche pas à devenir pro mais souhaite comprendre comment les technologies à l’heure de l’IA - Tech@IA - bousculent le monde et leur propre vie. Celles et ceux prêt.e.s à tenter le coup sans vouloir ce casser la tête. J’y reviens plus bas.
Pour qui cherche l’outil le plus performant aujourd’hui et la meilleure façon de l’utiliser, voici un excellent guide (déjà signalé) proposé par GénérationIA.
Trop compliqué pour moi…
Perplexity.ai est un assistant conversationnel à la fois :
Très simple -J’échange avec lui avec mon vocabulaire de tous les jours (que les pros appellent « langage naturel »). C’est plus facile que de passer par des « prompts » qui demandent pour être efficaces d’être préparés à l’avance et un savoir faire.
Très performant - Ses réponses synthétiques sont accompagnées des sources que je peux aller consulter pour approfondir le dialogue sans passer par un moteur de recherche dont les liens sont choisis pour les revenus publicitaires qu’ils génèrent. J’ajoute qu’il travaille avec les meilleurs modèles d’IA, de ChatGPT à Mistral en passant par Claude (voir le guide mentionné plus haut si vous souhaitez comparer) et qu'il est au courant de l’actualité.
Exemple tout récent, j’ai visité l’expo Mexica du Musée du Quai Branly dans lequel il est dit que le nom « Aztèques » leur avait été donné par le géographe allemand Alexander von Humboldt au début du 19ème siècle. Interrogé, l’assistant confirme. Je vérifie grâce aux sources fournies et, quand je lui signale que dans certains documents ils s’appelaient eux-mêmes « aztèques », il me répond : c’est vrai mais aujourd’hui on utilise plutôt « Mexica ». Je n’aurai pas pu avoir cet échange avec des prompts.
Détail sans impact technique mais qui m’a sûrement influencé dans mon choix : le nom lui-même figurait au coeur de mon tout premier billet Ce truc change tout). Question de sensibilité ou d’attitude comme je le signale plus bas.
Perplexity.ai se vend comme un « moteur à réponses » (answering engine). Jolie formule, plus juste que je n’étais tenté de croire au début. Utilisable en de nombreuses langues il apparaît sur l’écran des anglophones avec la formule « Where knowledge begins », Où commence la connaissance.
Après plusieurs jours d’utilisation gratuite (ouverte à tous), j’ai décidé de passer à la version payante (20 US dollars par mois) pour voir ce que je peux tirer du maximum de ses capacités. Je m’en servirai régulièrement et signalerai chaque fois que cela aura un impact sur mes textes. Et je continuerai à regarder les autres outils d’IA simples et performants pour « non-pros ».
J’ai d’abord utilisé, avec plaisir, Pi.ai, très semblable mais j’ai abandonné quand son fondateur est lui-même parti avec cerveaux et bagages (chez Microsoft).
Je ne le choisis pas Perplexity.ai en croyant qu’il est le meilleur. Il est agréable et correspond à la façon dont je m’informe aujourd’hui.
Vous pouvez, si ça vous tente consulter ces deux bons guides en français publiés par LeBigData.fr et par Sales-Hacking.com. Sinon, choisissez le chatbot qui vous convient le mieux, mais commencez à vous en servir sérieusement.
Et pour aller plus loin… Googlez : alternatives à Perplexity.ai.
Myriades - Votre partenaire face aux technologies à l’heure de l’intelligence artificielle
En adoptant un assistant personnel boosté à l’IA, je me suis souvenu de qui préférait s’informer sur un journal papier plutôt que sur le web, de qui jurait de ne jamais acheter un mobile tant leur ligne fixe suffisait à leurs besoins. J’ai, pour ma part sous-estimé Twitter et mis du temps à ouvrir TikTok, entre autres.
Pas facile de s’y retrouver dans ce tsunami de nouveautés qui nous font peur et nous attirent. Myriades vous aide en vous proposant:
Une piste : les technologies nous transforment
Les technologies que nous inventons (depuis des dizaines de milliers d’années) nous transforment à mesure que nous les adoptons.
Le feu a permis de cuire et de mieux assimiler la nourriture. L’agriculture a entraîné la création des villes.
Le nombre de technologies à notre disposition est passé de quelques innovations en 30 ou 40.000 ans à des dizaines de milliers par décennie. Elles touchent plus de personnes, dans plus de régions, plus vite.
Cette « accélération » (Hartmut Rosa) nous a conduit à une « modernité liquide » (Zygmunt Bauman) dans laquelle institutions et pratiques sociales sont moins fixées, moins rigides.
Il y a dix ans à peine nous prenions longtemps à l’avance des rendez-vous dans des lieux et à des heures déterminés. Aujourd’hui on s’adapte mutuellement jusqu’au dernier moment… ce qui peut être énervant… ;-)
Une attitude : la curiosité nous motive et s’adapte
Personne n’est tenu de se précipiter sur ces technologies ni même de les adopter. Mais renoncer à certaines pratiques dépassées et s’adapter à de nouvelles formes de connaissances n’est pas idiot.
Joli sujet de conversation à tout âge, ça facilite les relations trans-générationnelles. Et ça stimule à condition de pratiquer, seule façon de comprendre.
Comme dans l’eau froide on peut y aller progressivement. Sans s’en laisser imposer par ses peurs. Avec esprit critique et légèreté (Italo Calvino).
Un flux d’infos et de questions pour les non-pros
Myriades se présente comme un flux d'infos et de questions sur les technologies à l’heure de l’intelligence artificielle (Tech@IA). Comme tel, il évolue.
Des ouvertures sur des développements tantôt risqués, tantôt prometteurs. Souvent les deux.
Des références concrètes à des outils simples à tester et des questions sur les enjeux des transformations en cours.
Tout ça pour des personnes qui ne font pas des Tech@IA leur métier mais souhaitent acquérir les rudiments d’une nouvelle culture... et plus si affinités.
Vous et moi. Pas encore une communauté. Une sensibilité peut-être ?
A faire évoluer par la conversation…
A vite !
08.04.2024 à 07:56
En quelle langue travaillent-elles ? ≈048
Francis Pisani
Texte intégral (3003 mots)
Bonjour,
Les idées, les prises de position contradictoires ont le mérite d’être stimulantes. Ainsi en va-t-il de certains sentiments, minoritaires, concernant la BNF François Mitterand. Ses partisans sont nombreux et leurs arguments connus.
L'édifice est impressionnant. Nos livres historiques méritent un bel endroit où les conserver et les consulter. Mais combien je regrette (cela a toujours été le cas) qu’on n’aie pas consacré une partie de ces ressources à digitaliser à tour de bras et très tôt (essentiel sur le web) le corpus francophone. Nous serions aujourd’hui dans une situation différente face aux biais linguistiques du web et de l’intelligence artificielle.
Du mauvais usage de la BNF François Miterrand
Les « briques » (les constructions en dur) l’ont emporté sur l’immatériel (comme ils disent) et, aujourd’hui, le digital est à la traîne malgré les plus de dix millions de documents numérisés sur Gallica qui ne sauraient nous tirer d’affaire face à la prolifération des langues sur le web.
Or, je reviens de trois semaines au Mexique, où j’ai vécu 15 ans, et où je me suis retrouvé devant l’évidence concrète, pratique, quotidienne, que les gens pensent différemment dans des langues différentes.
Heureux hasard, je trouve au retour un article de l’excellent Thomas Mahier, cofondateur et actuel CTO de Flint Media, qui nous explique, à propos de l’une d’entre elles : « vous parlez français, elle pense anglais, et vous répond chinois ! »
Comment ça bosse là-dedans ?
Permettez-moi un tout petit nombre de rappels pour commencer :
- Langues les plus parlées dans le monde (dans l’ordre) : anglais, chinois, hindi, espagnol, français, arabe, etc.
- Langues les plus utilisées sur le web (dans l’ordre) : anglais (52%), espagnol (5,5%), allemand, russe, japonais, français (4,3%), portugais etc.
- Mais… entre 80 et 90% des textes utilisés par les plus grandes plateformes d’intelligence artificielle sont en anglais !
Nous ne disposons pas, à ma connaissance, de données précises sur le multilinguisme des plateformes les plus importantes (OpenAI, Google, Anthropic… etc), si ce n’est que Mistral, entreprise créée par trois français, fait des efforts pour inclure des proportions plus grande de langues… européennes.
Chance : l’institut Fédéral Polytechnique de Lausanne (EPFL) vient de rendre publique les résultats d’une recherche approfondie sur le fonctionnement d’un de ces services : LLAMA, le système d’IA de Meta-Facebook.
Multilingue - comme ses semblables - il peut traduire un grand nombre de langues et semble passer de l’une à l’autre sans difficulté. Mais il ne suffit pas, quand on demande comment dire « bonjour » en finnois ou en vietnamien d’avoir une réponse correcte. Il faut y voir clair sur le parcours suivi pour arriver à ce résultat.
Les plus performants d’entre eux fonctionnent avec des technologies dites d’apprentissage profond qui consistent à faire passer les données par de multiples couches de travail (les réseaux neuronaux artificiels inspirés du fonctionnement de notre cerveau un peu comme les ailes d’un avion peuvent nous rappeler celles d’un oiseau).
Ils disent « multilingue » ! Pas faux, pas clair
Pour s’y retouver, les chercheurs de l’IPFL ont suivi, entre autres, toutes les étapes du passage du français au chinois quand on demande à LLAMA comment se dit « fleur » dans le langage de Confucius. Et voilà que processus passe par des couches qui ne sont ni dans la langue du maître chinois, ni dans celle de Victor Hugo, mais dans celle de Shakespeare (ou ce qu’il en reste quand elle est moulinée par les techniques de l’IA).
Dire que LLAMA « pense » en anglais, me semble un peu rapide et je préfère me demander, comme se limite à le faire l’EPFL, « dans quelle langue travaille-t-il ? »
En clair on passe d’à peu près n’importe quelle langue à n’importe quelle autre en transitant par une « langue pivot » : l’anglais.
Quels sont les inconvénients ?
Thomas Mahier estime que l’on risque de perdre des nuances. Il a raison. On voit sans peine où cela peu conduire dans les relations entre peuples et institutions parlant des langues différentes. On a inventé et mené des guerres pour moins que ça.
C’est aussi bien plus grave.
L’étude, dont la méthode devra être appliquée à d’autres modèles d’IA, met à jour le fait qu’il ne s’agit pas seulement de quantité de données (majoritairement en anglais) mais que dans certains cas on fait passer les traductions entre les autres langues par celle-ci.
La mécanique du biais est dans le fruit. Les langues ça mène loin.
Cité par Benoît Raphaël (l’autre cofondateur de Flint.media), Sam Altman, patron de OpenAI (à qui nous devons ChatGPT) ne voit-il pas dans la course vers des intelligences artificielles toujours plus sophistiquées « une gigantesque lutte de pouvoir » ?
Pour qui aurait besoin de plus…
Qui souhaite en savoir plus sans s’égarer dans les sources scientifiques trouvera dans ce post de mon ami Benoît Raphaël un « guide ultime des chatbots d’IA en 2024 » et dans le billet conjoint de Thomas Mahier des explications plus complètes sur le biais linguistique reposant sur l’étude de l’IPFL mentionnée dans ce billet.
Je m’en tiens, pour ma part à l’objectif de Myriades qui est de rendre accessible au plus grand nombre - ce que j’appelle « culturation » ou acquisition douce d’une culture nouvelle - les enjeux des technologies de l’information à l’heure de l’IA.
Autre chose : Fantomas est-il de retour ?
Les hommes ont de plus en plus souvent la boule à zéro. Il suffit de s’arracher à son portable dans un lieu public pour le constater.
On pourrait craindre que Fantomas - le maléfique centenaire - soit de retour. A moitié en tous cas car, s’il a bien la boule à zéro, il est plus souvent mal rasé aujourd’hui que totalement glabre.
Que se passe-t-il ?
Essayons de répondre par une autre question : et si c’était la faute à la tech tout autant qu’une question de mode ?
Souriez et pensez-y !
Bien différentes des rasoirs électriques traditionnels les tondeuses récentes permettent d’exercer, sur notre système pileux, un contrôle jadis réservé au coiffeur. En moins cher et plus rapide puisqu’on ne se rase même plus tous les matins.
Pareil qu’avec les technologies perturbatrices.
Nous sommes loin de l’intelligence artificielle (pour le moment) mais au coeur d’un sujet déterminant : les outils que nous inventons, les technologies que nous innovons nous façonnent.
Souriez mais pensez-y !
19.03.2024 à 08:20
Pour rester à jour il faut apprendre ≈047
Francis Pisani
Texte intégral (2933 mots)
Bonjour,
En prenant l’ascenseur récemment, j’ai trouvé une dame à cheveux blancs secouant son téléphone avec exaspération. Elle n’arrivait pas à y trouver le nombre de pas faits la veille. J’avoue, pour ma part, avoir beaucoup tâtonné pour modifier un clavier sur mon iPad. Soyons honnêtes, cela nous arrive à tou.te.s, à un niveau ou un autre, plus souvent que nous n’aimons le reconnaître.
Or, cette dame, comme vous et moi, sait quand et comment utiliser le feu, l’électricité ou les chemins de fer, comment préparer ses repas chauds, rendre visite à ses enfants pour Noël, quand ne pas mettre ses doigts sur une flamme ou dans une prise et, j’espère, quand ne pas se mettre devant un train bolidifié. Elle sait. C’était inclus dans son éducation.
Que doit-elle, que devons-nous savoir des technologies digitales omniprésentes et indispensables aujourd’hui ? La réponse n’est pas la même pour chacun.e et il me semble indispensable, pour avancer de distinguer entre groupes et situations.
Commençons par un apparent détour, une conférence sur l’intelligence artificielle générative (IAG) organisée par Netexplo (avec laquelle je collabore depuis plusieurs années) pour les entreprises. Il s’agissait, en l’occurence de boîtes suffisamment grandes (plusieurs dizaines de milliers d’employés chacune) pour qu’elles soient obligées d’affronter le problème à tous les niveaux. Nous pouvons en apprendre quelque chose.
Panorama de l’IA générative
J’ai été frappé, par le fait que deux grandes entreprises dans lesquelles les ingénieurs jouent un grand rôle (ils sont 20.000 chez Safran) commencent leurs formations par ce qu’elles appellent « l’acculturation » du personnel dans son ensemble. Pour Vincent Lecerf d’Orange, il s’agit de « mettre un maximum de personnes sur le sujet, de le populariser ». Anne Farah, de Safran, parle de « sensibiliser » l’ensemble du personnel.
Orange distingue trois niveaux de formation : culture (digitale), outil, métier. Les chiffres correspondants à chaque groupe illustrent parfaitement leur dimension. Ils concernent, dans l’ordre, 3O.000, 5.000 et 300 personnes aujourd’hui.
Presque tous les intervenants ont insisté sur le fait qu’il s’agit tout autant d’un sujet humain que technique et que tout le monde est concerné même s’il faut prendre en compte les besoins différents selon les générations.
L’erreur serait de croire que les trois groupes mentionnés n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Ils doivent être envisagés comme des cercles concentriques. En clair : tous ces gens employés dans de grandes entreprises ont besoin de culture digitale même ceux qui ne s’occupent ni d’algorithmes, ni de data, même quand cela ne les concerne pas directement.
« Culture digitale »
Nous ne pouvons pas nous permettre de tout ignorer et n’avons pas les moyens de tout savoir. Mais tout le monde a besoin de culture digitale actualisée sans qu’elle implique une connaissance approfondie de la technologie.
Distinguons trois niveaux.
Aisance et familiarité - Il s’agit simplement de se mettre à jour, d’inscrire l’intelligence artificielle telle qu’elle évolue sous nos yeux dans la continuité de la révolution digitale qui s’est introduite dans nos vies avec l’ordinateur, l’internet et le web ainsi que le téléphone mobile.
Outils - Les spécialistes ne sont pas les seuls à être amenés à s’en servir. Comme pour les autres étapes, celle-ci implique d’apprendre à utiliser quelques dispositifs nouveaux (essentiellement des logiciels genre ChatGPT ou des applications qui intègrent l’IAG comme le proposent Microsoft et Google). Ils peuvent être utiles et nous gagnerons en apprenant à nous en servir.
Enjeux - Nous avons besoin et intérêt à comprendre les enjeux sociétaux de la vague de transformation qui vont de l’IA for good (un vrai mouvement) aux dangers connus comme la surveillance ou la guerre en passant par des formes d’organisation et de gouvernance à tous les niveaux.
Il ne s’agit pas de formation mais toute formation passe par là.
Cette fois ce sont les ingénieurs et les managers qui auraient tort de croire qu’ils peuvent s’en passer. L’IA générative n’est pas seulement faite de joujoux merveilleux à inventer, ni d’efficacité ou de productivité. La société toute entière est concernée : entreprises, éducation des enfants, gestion de la municipalité, associations et gouvernement.
Acquérir cette « culture digitale » et en comprendre les enjeux est aussi important que de se préoccuper de crise climatique et de diversité. Elle permet d’agir avant qu’il ne soit trop tard et de développer des usages positifs, dans la santé par exemple.
Danser sous la pluie
Il s’agit donc de créer une nouvelle PAIDEIA, terme qui désignait dans la Grèce antique « le corpus de connaissances fondamentales dont doit disposer un bon citoyen ». Une idée relativement courante aujourd’hui.
La déferlante arrive comme nous l’avons vu récemment et nous avons le choix entre couler, flotter, surfer ou naviguer. Voire mieux si nous faisons cas des jolis propos de Laurie Bonin, co-fondatrice d’Artpoint, à la conférence Netexplo : « L’IA est comme la pluie, on peut ne pas l'aimer mais on ne pourra empêcher qu'il pleuve alors dansons sous la pluie. » D’autant plus volontiers, il me semble qu’elle présente plein d’aspects positifs et d’opportunités, comme la pluie d’ailleurs, en quantité raisonnable, ou contrôlée, voire endiguée…
Googlez : paideia artificial intelligence et paideia intelligence artificielle
Bientôt - Un journal télévisé entièrement IA
Trouvé sur le site du québécois Bruno Guglielminetti ce test d’un journal télévisé entièrement réalisé par l’IA à partir de sources médiatiques vérifiées. Impressionnant comme vous le verrez très vite.
Cliquez > Chanel1.ai L’arrivée des infos 100% IA
Bonne semaine…
06.03.2024 à 08:10
Canaliser, orienter les intelligences artificielles ≈046
Francis Pisani
Texte intégral (3110 mots)
Plus je lis ce livre, plus j’ai envie de le relire.
Je parle de La déferlante, (voir Myriades : La déferlante, ce livre qui me fait changer d’attitude ≈035) écrit par Mustafa Suleyman un des créateurs des IA qui l’ont emporté sur les meilleurs joueurs d’échecs et de Go avant de réussir à déplier les protéines pour en révéler la configuration. Sa proposition de contenir, voire d’endiguer le développement de l’intelligence artificielle et de la vague technologique qu’elle entraîne est d’autant plus remarquable qu’elle s’accompagne d’une stratégie à multiples niveaux. C’est ce qui m’a secoué.
Il voit dans la contention « un moyen, en théorie, d'échapper au dilemme de la maîtrise des technologies les plus puissantes de l'histoire. » « En théorie » parce que personne n’est certain que ça marche. Quant au dilemme, il est plus facile à résumer qu’à résoudre : il veut que la vague de technologies développées en ce moment apporte les bienfaits promis, mais pas n’importe comment.
Foncer, comme tout arrêter, est également risqué.
enti’idon lée d’endiguer fait hurler bien des acteurs quand il est pris dans le sens le plus étroit (mettre entre des murs, des digues, des murailles, les parois d’une boîte).
C’est plus compliqué et bien plus intéressant.
Ces imparables incitations à foncer : états, entreprises, egos
Le livre est sorti plusieurs semaines avant la crise d’OpenAI, la société créatrice de ChatGPT (voir Myriades ≈034 Games of AI : c’est qui les pions) qui apparaît comme une illustration parfaite de sa thèse avec la victoire de ceux qui veulent foncer (dont Sam Altman et Microsoft) sur ceux qui appellent à un peu de retenue.
Aucun doute pour Suleyman que « le profit est le moteur de la vague à venir, » mais les seuls tenants d’une position éthique doivent comprendre qu’il n’y a pas que ça. il faut aussi prendre en compte :
La compétition entre grandes puissances. « Choisir de limiter le développement technologique lorsque des adversaires perçus avancent, c'est, dans la logique d'une course aux armements, choisir de perdre. »
L’écosystème mondial de la recherche, avec ses rituels bien ancrés qui récompensent la publication ouverte, la curiosité et la quête d'idées nouvelles à tout prix.
Sans oublier l’ego des chercheurs si bien illustré par le film consacré à Robert Oppenheimer. Mais c’est John von Neumann, mathématicien d’origine hongroise ayant participé au développement de l’arme nucléaire, qui en explique le fonctionnement : « il serait contraire à l'éthique, du point de vue des scientifiques, de ne pas faire ce qu'ils savent être faisable, quelles que soient les terribles conséquences que cela pourrait avoir ».
Aucune mesure isolée ne peut suffire pour contenir ces « imparables incitations ».
Endiguer, se contenir, organiser l’intervention de l’État
Suleyman commence par demander aux créateurs eux-mêmes de faire le premier pas et de s’imposer des limites, des contraintes qui seront d’autant plus efficaces qu’elles figureront dès la conception de l’outil au lieu d’intervenir après coup c’est-à dire, presque toujours, trop tard.
Et mieux vaut ne jamais laisser les enthousiastes seuls. « La technologie a profondément besoin de critiques - à tous les niveaux, mais surtout en première ligne. » Ceinture et bretelles : il est prudent de faire auditer de l’extérieur leurs travaux en cours.
Ça risque de les ralentir ? Quelle excellente chose dit Suleyman qui les invite à prendre le temps de tester, à ne pas se précipiter pour mettre leurs découvertes sur le marché.
L’auteur, dont l’entreprise DeepMind a été rachetée par Google, a bien tenté de faire bouger cette BigTech de l’intérieur… sans succès. L’endiguement gagnerait à compter sur des fondateurs de startups et des patrons soucieux « d’apporter une contribution positive à la société. Il a également besoin de quelque chose de beaucoup plus difficile. Il a besoin de politique, » tant au niveau national qu’international. Il demande donc l’intervention des gouvernements et des États.
En clair, tout le monde doit s’y mettre à tous les niveaux, tout de suite. Ça fait beaucoup.
« L’endiguement doit être possible »
Ce titre de l’avant-dernier chapitre m’a inquiété. Ça n’est jamais parce qu’elle est nécessaire ou bonne qu’une proposition, une action, un programme sont réalistes. « Je comprends parfaitement. Cela semble à peine réel à première vue, » reconnaît-il. Mais nous y sommes bien parvenus - jusqu’à un certain point - pour les voitures, les avions et les médicaments, par exemple. Avec un coût élevé en victimes et toujours bien tard.
Et la réglementation, régulièrement invoquée par les mieux intentionnés, ne suffit pas. La technologie bouge de semaine en semaine alors qu’il faut des années pour faire adopter une loi.
On peut en conclure que c’est bien pour cela que la généreuse idée de Suleyman ne peut réussir. L’auteur le dit clairement : « L’endiguement de cette déferlante n’est, je crois, pas possible dans le monde actuel. » Il faut des citoyens plus conscients, des entreprises et des entrepreneurs plus soucieux du bien social, des gouvernements plus agiles, des relations internationales plus détendues… etc. etc.
Autant repousser notre attente de solution à la saint-glinglin.
Pourquoi ce livre m’a secoué
La déferlante propose une approche trans-disciplinaire des technologies qui se développent le plus vite aujourd’hui. Il prend en compte les responsabilités à tous les niveaux, des individus aux grandes puissances, et contient une proposition ouverte, modifiable à mesure que nous agissons, à condition d’agir bien entendu.
Il n’y a ni mot, ni solution miracle et Suleyman le dit clairement. Il propose, ce qui est plus difficile à vendre, une méthode, voir une attitude.
Elle vaut pour l’intelligence artificielle et la biologie synthétique, mais aussi pour l’autre problème majeur auquel l’humanité est confrontée, toujours de son fait : le réchauffement de la planète.
L’un et l’autre sont, en paraphrasant une des formules du livre, des « hyper-objets qui dominent l’existence des humains ». Suleyman met en cause nos responsabilités et le système dans lequel nous nous sommes enfermés nous-mêmes, sans tomber dans l’opposition binaire entre pour et contre, entre croissance et décroissance. J’y vois une vraie position politique. Et vous ?
Époustouflantes images - Gemini de Google, un jumeau peu fiable… (bis)
Premier incident majeur au moment du lancement de Gemini par google… Plutôt que de la décrire, je vous invite à regarder cette époustouflante vidéo sensée montrer ce qu’elle est sensée pouvoir faire (sic).
Impressionnant, n’est-ce-pas… sauf que… allez, un petit effort : googlez : canard gemini. Vous allez bien rire.
Et, plus récemment, les images bien pensantes de Gemini quand on lui demande celles d’un pape…
googlez gemini woke pour aller plus loin…
Bonne semaine…
29.02.2024 à 08:05
Le nucléaire de Poutine contre l’IA ≈045
Francis Pisani
Texte intégral (2863 mots)
Politiciens et médias ne cessent de rivaliser à qui nous fera le plus peur. Un jeu auquel excelle Mike Turner, président de la Commission permanente sur le renseignement de la Chambre des représentants. C’est à lui que nous devons l’annonce d’une utilisation possible de l’arme nucléaire par la Russie dans l’espace. C'est vraisemblable et inquiétant. Mais ça révèle aussi une faiblesse radicale de Poutine : l’intelligence artificielle, notamment militaire.
Sujet d’actualité, s’il en est, on parle beaucoup du recours à l’IA dans les guerres, notamment à propos des drones utilisés en Ukraine. Après un premier usage d’appareils trouvables dans le commerce et bricolés, les solutions utilisées des deux côtés sont de plus en plus « intelligentes ».
Contrairement à la formule médiatique consacrée, le vrai danger n’est pas le « killer drone » (capable de décider de tuer). La vraie révolution dans les affaires militaires (Revolution in Military Affairs dans le jargon professionnel international) ne se situe pas au niveau d’armes spécifiques. Elle dépend plutôt des plateformes capables de réunir, de traiter des quantités considérables d’informations en temps réel puis, éventuellement de prendre des décisions avec ou sans intervention humaine. Voir Myriades IA, politique et mythes grecs ≈014.
De tels dispositifs sont conçus pour recueillir toutes les données possibles concernant un grand espace d’affrontements (le Moyen Orient, l’Europe, l’Asie de l’Est ou, pourquoi pas, la planète toute entière). Ce à quoi se consacrent de très grosses boîtes comme Lockheed ou IBM et, plus particulièrement des entreprises plus récentes comme Palentir, Anduril et, bientôt, OpenAI.
Le recours au nucléaire par Poutine : De quoi s’agit-il ?
Tout indique que le programme russe existe véritablement (malgré les dénégations de Moscou auxquelles plus personnes n’a de raison de croire). D’après mes recherches, il semble qu’on puisse distinguer deux hypothèses : bombe lancée depuis la terre le moment voulu, ou appareil nucléaire (bombe ou satellite) préalablement mis en orbite et déclenchable à volonté.
« Dans le vide spatial, » explique The Economist, « les radiations sont déterminantes. L'impulsion électromagnétique créée par une explosion orbitale pourrait endommager l'électronique des satellites un peu partout dans le ciel. »
Si les appareils militaires américains sont généralement équipés pour résister à de telles attaques, ce n’est pas le cas des commerciaux tels ceux lancés par Starlink, l’entreprise d’Elon Musk qui a contribué aux succès des Ukrainiens face à l’agression russe des deux dernières années.
Ce qui fait conclure à la publication britannique qu’un tel geste désespéré dans la mesure où il risquerait d’affecter toute l’économie mondiale, y compris celle de la Russie et de ses alliés, « semble mieux adaptée aux États desperados comme la Corée du Nord et l'Iran, qui ont peu de capacités spatiales propres à protéger et qui, en cas de crise, peuvent estimer qu'ils n'ont rien à perdre. »
Mais peut-être Poutine n’a-t-il rien à perdre en matière d’intelligence artificielle ?
Rien à perdre : la vérité sur la menace russe
Depuis quelques mois, le président russe multiplie les interventions sur l’importance de l’IA et l’effort à faire pour se hisser au plus haut niveau. Or, entre autres difficultés, l’excellence reconnue de ses concitoyens en mathématiques ne suffit pas quand au moins 10% des spécialistes de ce domaine ont quitté le pays au cours des deux dernières années.
Alors que faire ? Prendre le problème par l’autre bout, s'est dit le maître du Kremlin !
Les IA reposent sur 1) d’incroyables quantités de données, 2) des algorithmes sophistiqués, mais aussi sur 3) des communications fluides entre data centers, labs, utilisateurs, capteurs (sensors en anglais) etc. Ces derniers, dont le chiffre était estimé à une quinzaine de milliards en 2022 (et qui pourrait doubler d’ici à 2027, en 5 ans), sont les sources indispensables d’informations précises actualisées à tout instant.
En retard sur les deux premiers points, Poutine peut se concentrer sur la paralysation du troisième chez les autres, même si ça l’affecte lui aussi.
Le joker nucléaire spatial (qui n’est pas une plaisanterie) apparaît ainsi comme un aveu d’impuissance là où ça se joue : l’avancée des Chinois et des Américains dans le développement de leurs capacités en matière d’intelligences artificielles.
La coupure d'une partie des communications mondiales de façon indiscriminée ne peut que gêner le fonctionnement des plateformes militaires. En particulier pour les États-Unis qui ont choisi la prolifération en s’appuyant sur des entreprises privées et la mise en orbite de satellites commerciaux sans protection particulière. Elle plongerait la planète dans une crise économique généralisée, redoutable pour ses rivaux plus riches et plus puissants
Incapable de rentrer par la porte le jour où s’engageront des négociations sérieuses entre Chinois et Américains, Poutine tente de se donner les moyens de s’imposer par la fenêtre, en cassant tout sur son passage s’il le faut.
Signe de force ou aveu de la faiblesse ? Inévitable ambigüité.
Mais c’est aussi, pour nous, une bonne occasion de réfléchir à cette troisième composante essentielle des intelligences artificielles, les communications digitales…
Concret : soyez gentil.le avec votre chatbot, vous aurez de meilleurs résultats
Si vous posez vos questions gentiment, vous aurez de meilleures réponses et, le système se conduira mieux avec tout le monde signale le site d’information Axios.
C’est vrai pour le japonais - on pouvait s’y attendre -, mais aussi pour l’anglais et le chinois révèle une étude de l’Université de Cornell.
Aucune raison que ça ne vaille pas pour le français… mais ne me dites pas que c’est trop vous demander…
PS - N’en rajoutez pas une couche dans le genre “lèche bot”, il vous donnera des réponses plus longues.
21.02.2024 à 07:40
L’extension du domaine digital-IA ≈044
Francis Pisani
Texte intégral (2035 mots)
Certains évènements de la semaine dernière m’ont poussé à me demander si nous prêtons assez d’attention au rôle joué par le digital dans l’actualité, à son impact multiforme. Je ne parle pas ici de sites ou de rubriques spécialisés, mais des infos qui nous arrivent sur la France, l’Europe ou même plus loin. Prêtons-nous suffisamment attention à l’extension du domaine digital dans les mouvements sociaux, la politique, la culture, la guerre ou les affaires internationales ?
Quelques exemples…
Mouvements sociaux : “La radicalité d’une « grève Facebook »”
Tel est le titre utilisé par Le Monde pour rendre compte du mouvement des contrôleurs SNCF de samedi et dimanche dernier. Ils se sont, en effet, servis des réseaux sociaux pour s’organiser directement sans passer par les structures syndicales.
Pourquoi c’est important ? Parce que c’est un exemple de ce que les institutions hiérarchisées (entreprise et syndicats) ne sont plus nécessairement la meilleure façon de s’organiser. Les réseaux sont maintenant partout.
Mais attention tout le monde peut y avoir recours comme nous avons pu le voir quelques jours plus tôt avec la prise de contrôle de la contestation agricole par les plus gros exploitants.
Business : Les GAFAM changent de nom
L’ordre des Big Tech, les plus grandes entreprises de technologie n’est plus le même qu’il y a 3 mois. L’actualité est maintenant dominée par les MANAAM (Microsoft, Apple, NVIDIA, Alphabet (Google), Amazon, Meta (Facebook) ! Nous allons devoir adapter notre vocabulaire critique et cesser d’en vouloir aux « GAFAM ».
Pourquoi c’est important : parce que celles qui ont fait assez tôt le pari de l’intelligence artificielle sont en train de déplacer les autres. Non seulement Microsoft est passée devant Apple dans le classement des entreprises les plus riches du monde mais, mercredi dernier, NVIDIA, une presque inconnue du grand public qui fabrique les microprocesseurs indispensables à l’infrastructure sur laquelle s’agite l’IA est passée devant Alphabet, Amazon et Meta.
Le peloton de tête n’est pas très différent mais les changements dans l’ordre sont significatifs. Nous verrons s’ils se creusent dans les mois qui viennent.
International : Quand l’IA permet de gagner des élections au Pakistan
Très loin de la Californie, au Pakistan que l’on a trop souvent tendance à considérer comme pas vraiment développé, les partisans de l’ancien premier ministre Imran Khan lui on permis de faire campagne depiis sa prison et de remporter les élections.
Comment ? Alors que leurs actions étaient censurées ou interdites, ils ont organisés des meetings sur YouTube et TikTok et même utilisé l’intelligence artificielle pour transformer des notes discrètement transmises par Khan en vidéos avec synchronisation de sa voix et du mouvement de ses lèvres.
Attention - Cette belle inventivité peut être utilisée pour perturber des processus électoraux démocratiques.
Googlez : élections pakistan intelligence artificielle
En France aussi, mais…
« Il se passe quelque chose à Paris dans l’IA en ce moment » titrait Le Monde du 12 février à propos de l’effervescence créée par les boîtes comme Mistral la pépite française de l’IA.
L’écosystème est en effervescence. Les rêves prolifèrent. Macron y voit « un enjeu de souveraineté technologique » et s’inscrit ainsi dans ce que les Britanniques qualifient de « nationalisme IA ».
De croissance plutôt lente au cours des 30 dernières années l’archipel digital français (ces petites îles où l’on travaille au développement technologique) se densifie dans une mer plutôt faite d’indifférence et de réticences.
A peine 36% de la population croît que l’IA peut créer des emplois. Plus généralement la France est, avec le Japon, le pays le plus pessimiste du monde pour 2024 (via Benoît Raphaël).
Heureusement nous avons Houellebecq
Petite anecdote, un peu honteuse (j’aurais pu y penser plus tôt)… c’est en cherchant le titre de cette chronique, dont je voulais qu’elle montre les transformations de notre monde sous l’influence de l’IA et du digital (le « digital-IA ») que j’ai pensé au livre de Michel Houellebecq L’extension du domaine de la lutte.
Première surprise, juste après le titre de son roman, Google me proposait d’accéder à la définition de ce qu’on appelle les « extensions de domaine », les .fr, .com, .edu et autres. J'ai alors pensé à Plateforme, autre oeuvre du même romancier. Il y avait bien digital sous roche.
Une légère extension du domaine de ma recherche (toujours conseillée) m’a permis de réaliser, ce que j’avais oublié ou, peut-être, jamais su, que l’écrivain vedette était au départ ingénieur (agronome) et un peu informaticien. Assez pour en saupoudrer tous ses romans, comme le montre limpidement Binnie « programmeur, data analyst et apprentie romancière » de son état.
Supplément : Y aviez-vous pensé ? (moi pas pour être honnête)
1) Générations : Les « digital natives » sont largués
Ils sont remplacés par les « AI natives » qui se précipitent, dans les universités qui en offrent, sur les cours d’intelligence artificielle générative. Un tiers de ceux qui finissent cette année ont l’intention de s’en servir dans leur carrière révèle une enquête récente citée le 1é février par le site d’information Axios.
2) L’Histoire, victime idéale des deepfakes
Aucune raison pour que ces images fabriquées par l’IA, comme celle du pape en doudoune blanche, se limitent à l’actu, signale le New York Times. Abondamment pratiquée par Staline et pas seulement, la manip est aussi vieille que la politique.
Mais l’échelle change avec la rapidité de production de documents IA alors que les sites historiques, ainsi que ceux contenant des actes de propriété anciens, par exemple, sont plutôt moins bien protégés.
Qu’adviendrait-il si on nous fabriquait, preuves à l’appui, un Napoléon grec, un Jésus arabe, ou une Jeanne d’Arc transgenre ?
Googlez : deepfakes modifient histoire, et deepfakes past, puis… creusez
Merci pour votre curiosité.
Passez quand même un bon reste de semaine.
A vite…
11.02.2024 à 09:26
Analogie de la bagnole ≈043
Francis Pisani
Texte intégral (2482 mots)
Bonjour,
Les bagnoles d’aujourd’hui sont conçues pour qu’on n’aie jamais à ouvrir le capot. Aux garagistes de le faire. Vous pouvez conduire des milliers, voire des dizaines de milliers, de kilomètres sans savoir ce qu’est un moteur ni comment ça marche. J’ai même rencontré une personne qui, après des années de conduite, s’est trouvée désemparée quand elle eût à s’occuper d’un pneu crevé.
De la même façon, vous avez au moins une fois, en tous cas je l’espère, utilisé ChatGPT pour rédiger des devoirs, produire des lettres officielles acceptables ou dresser un plan de table, de voyage, de réorganisation ou de note à proposer à votre chef de service.
Ce qui compte c’est le temps gagné.
Le reste on s’en fout ou, comme disait Deng Xiao Ping, « peu importe qu’un chat soit blanc ou noir pourvu qu’il attrape les souris ». Pas besoin de connaître le principe des injecteurs électroniques pourvu que la voiture vous transporte. Ne pas savoir ce qu’est un LLM (Large Language Model ou grand modèle de langue), base de l'IA générative, ne vous pénalise en rien pour tirer parti de ChatGPT.
Alors pourquoi vous dis-je qu’il en va de l’IA comme des bagnoles et pourquoi insister avec cette idée de culture digitale et de compréhension de l’IA… ? Pourquoi m’entêtai-je à publier Myriades avec l’espoir que cela vous intéresse ?
Parce qu’il n’y a pas que le moteur qui compte dans une voiture !
Pour les voitures, il n’y a pas que le moteur qui compte
Prenons quelques exemples de connaissances utiles pour ne pas mourir trop vite dans l'aventure. De quel côté se trouve le volant et si on conduit à droite ou à gauche; le fait qu’il faut mettre de l’essence et, pour ne pas avoir l’air trop bête à la pompe, de quel côté se trouve l’ouverture ou, si on sait trouver la roue de secours et le cric.
Ne faut-il pas aussi savoir tourner le volant à bon escient, freiner, accélérer dans les virages… conduire tout simplement ?
Et le code de la route ? Les limitations de vitesse, stops et autres priorités à respecter, les conditions pour doubler et la lecture de tous ces panneaux de signalisation plus ou moins hiéroglyphiques ?
Et pendant que nous sommes aux véhicules terrestres à moteur, si vous croisez ou dépassez une moto, un tracteur, une voiture de pompiers ou de flics, une ambulance ou un char d’assaut au comportement bizarre, il est utile de ne pas hésiter trop longtemps avant de trouver au plus vite la réaction qui convient.
Sans oublier les effets de la pollution due aux automobiles.
Et quand vous pestez le matin (ou le soir) dans les embouteillages, vous voyez bien que c’est grâce à (ou à cause) des voitures que nos paysages sont étranglés d’autoroutes, qu’on élargit les rues et que les villes sont devenues gigantesques. Ce qui me fait penser à cet incroyable paradoxe révélé par ce qu’on appelle la constante de Marchetti selon laquelle, depuis le néolithique, nous consacrons le même temps pour aller de chez nous à notre lieu de travail alors même que la distance augmente en raison des progrès des moyens de transport.
En clair, vous n’avez pas besoin d’être versé.e dans la science des moteurs à explosion, pas plus que dans la mécanique de votre voiture. Mais vous avez besoin de, et/ou intérêt à savoir vous en servir dans la vie pratique, et à connaître les enjeux de vos choix en raison des impacts qu’ils ont sur votre vie et celle des autres.
Vous avez compris. J’arrête.
Idem avec l’intelligence artificielle : ce « panbidule »
Pareil avec l’intelligence artificielle et les technologies qui permettent le fonctionnement de votre mobile, votre ordi, le GPS, le site du ministère des finances pour votre déclaration d’impôts ou celui qui vous permet de commander une pizza ou de parler à vos enfants ou petits enfants quand ils sont loin.
Il n’est pas besoin d’en connaître les détails de fonctionnement, mais vous avez tout intérêt à savoir vous en servir au mieux.
Et même ça, plus répandu chez les jeunes que chez les seniors, ne suffit pas vraiment si vous ne voulez pas tomber dans les peurs excessives ou la croyance dans des miracles peu probables,
Le digital (je n'aime pas « numérique), les technologies de l’information et de la communication et l’intelligence artificielle ne sont que des outils. Mais pas n’importe lesquels. Potentiellement accessibles à et modifiables par tous.tes, ils sont les seuls utilisables avec tous les autres, dans tous les domaines (on appelle ça une general purpose technology en anglais, ou technologie à usage général) à la différence des moteurs à explosion d’usage bien plus réduit. Elles permettent à la fois de produire ce dont elles s’alimentent - les données - et comment en tirer parti - les algorithmes. Elles sont aussi les premières à pouvoir développer une certaine dose d’autonomie.
Un outil certes, un appareil, un truc, un bidule, qu’on est tenté - vues ses capacités -de désigner en y joutant « hyper » ou « méta », préfixes sans saveurs.
Essayons autre chose.
Pourquoi pas « pan » alors ? Pas le dieu grec mais, si nous en croyons le dictionnaire de l’Académie Française, « [l’] élément de composition signifiant Tout ». Avec une telle garantie de bon usage nous pouvons bien nous permettre de parler de ce « panbidule » qu’est l’IA, ce « tout technologique ». Un outil donc, mais que nous retrouverons partout.
Concret : la preuve en images que l'IA générative ne comprend pas
Elle est assénée par ce test consistant à demander à ChatGPT une image de pièce vide avec « absolument pas d’éléphant ». La seule présence du mot incite L’IA à en mettre un. Plusieurs essais, que je vous invite à regarder sur ce billet de Gary Marcus cet empêcheur de « biduler » en rond que j’adore citer, montrent que l’outil n’est pas fiable et, plus sérieusement encore, qu’il est indispensable d’envisager « d’autres approches de l’intelligence artificielle ».
Ceci dit, critique de la critique, les images en question font penser au fameux livre de Georges Lakoff Don’t Think of an Elephant (2004) (non traduit en français que je sache) dans lequel il montre qu’une des manipulations préférées des politiciens consiste à pousser leurs publics à penser à quelque chose en jurant qu’ils ne sont pas contre… comme celles et ceux qui disent n’être pas contre les immigrés ou pas contre les écologistes.
Je vous laisse le soin de trouver des analogies pertinentes…
A la semaine prochaine.
04.02.2024 à 18:59
Tracteurs, IA et pesticides ≈042
Francis Pisani
Texte intégral (2378 mots)
Massifs et lents, les tracteurs qui servent à barrer les routes et à cultiver la terre semblent à l’opposé des intelligences artificielles ultra-rapides et, apparemment, dématérialisées. Mais, ne nous laissons pas piéger par une image simple. Les machines apparues au siècle dernier aident à comprendre comment les technologies les plus nouvelles se répandent et peuvent donner lieu à de surprenantes innovations susceptibles de réduire les tensions entre agriculteurs et écologistes.
On y va ?
Avec un tout petit peu d'histoire pour commencer.
Histoire de tracteurs
Présentés comme une révolution et porteurs de « la libération de l'agriculteur de sa dépendance à l'égard du cheval fatigué » ils promettaient d’être plus économiques que ces derniers. C’était en 1915 dans l’Iowa. L’enjeu était considérable puisqu’au début du siècle le secteur employait un tiers de la main d’oeuvre et produisait 15% du PIB de tout le pays.
La transformation a eu lieu, évidemment, avec la capacité de nourrir plus de gens plus ses inévitables aspects négatifs tels que la destruction des terres de surface. Le nombre de travailleurs agricoles a baissé d’un quart en cinquante ans. Et si la mécanisation a permis une augmentation du PIB d’environ 8% en 1950, les gains de productivité ont mis très longtemps à se faire sentir : 3% environ dans la même période.
Comment expliquer ça ? Parce que les agriculteurs n’ont adopté les tracteurs que très progressivement et ce pour trois raisons pleines d'enseignements :
Les premières versions de la technologie étaient très chères et moins utiles que ne prétendaient les vendeurs du fait de l’incapacité de lever des compléments utiles tels que la charrue par exemple (ça me fait penser au GPT Store qui vient d’être ouvert et permet d’ajouter pleins d’outils nouveaux) ;
Opportunité (si l’on ose dire) circonstancielle, les bas salaires dûs à la crise de 1929 ont permis aux agriculteurs de retarder l’achat de machines dont ils ne savaient encore trop quoi faire (la situation est différente aujourd'hui, mais nombre d’entreprises se disent prêtes à investir dans l’iA par peur de louper le coche sans nécessairement savoir pour quoi faire. Pas un gage d'accélération).
Les exploitations agricoles de l’époque devaient se transformer profondément pour tirer partie de la mécanisation. Pour que l’achat soit rentable il fallait agrandir les terres à travailler ce qui impliquait des négociations souvent lentes avec les propriétaires (la réorganisation de la structure de production est également en question aujourd’hui avec l'automatisation des tâches et le bouleversement des relations de travail qui en découle).
« Quelle que soit la qualité d'une nouvelle technologie, la société a besoin de beaucoup, beaucoup de temps pour s'adapter, » conclut The Economist où j’ai trouvé cette analyse. Prenons cela au sérieux.
L'erreur consiste souvent à ne prendre en compte que l'outil en ignorant son impact sur la société qui s'en sert, le modifie et se laisse modifier par lui. C’est pour cela que l’impact profond de l’imprimerie de Gutenberg a mis 200 ans pour changer l’Europe.
C'est toute la différence entre "invention," une nouveauté qui sort du lab, et "innovation" qui implique introduction dans l'entreprise, le marché ou le tissu social. Elle n'existe pas sans "mise en oeuvre" précise le Manuel d'Oslo de l'OCDE. Dans la vie réelle, c'est elle qui compte le plus, celle qui nous concerne et que nous devons comprendre.
Trois enseignements
Le temps est essentiel mais il n'y en a jamais qu'un seul (nous gagnerions à l'aborder comme "polychronie"). Professionnels et entreprises ont tout intérêt à se dépêcher d'intégrer l'IA dans leurs process car, faute de le faire, ils risquent de se trouver largués. Peu importe si les bénéfices prévisibles ne sont pas évidents à court terme. Il faut être dans le coup sans attendre.
Pour les autres, pour nous, pour celles et ceux qui ont compris que la vague arrive et que s'il faut la "contenir" et l'orienter, l'histoire des tracteurs permet d'aborder de façon plus réfléchie promesses et menaces, de comprendre que ni les unes ni les autres ne vont se matérialiser très vite (cela dépend des situations).
L’accélération est un fait… mais elle concerne la vitesse à laquelle les innovations sont rendues accessibles. Si les coûts peuvent être considérables, comme pour les LLM à la base de l’IA générative, la mise en place est légère puisqu’il s’agit de digital comme le web. C’est un peu comme si pour l’aéronautique on n’avait eu besoin de mettre en place que les fabriques des constructeurs sans se soucier vraiment ni des aéroports, ni des avions…
En clair, si les innovations technologiques pleuvent de plus en plus fréquemment, notre capacité de les accepter, de les encadrer évolue toujours très lentement. Les voitures presque totalement autonomes seront fabriquées bien avant que nous en acceptions la diffusion.
Concret : l’IA pour réduire le recours aux pesticides
Le rapport des tracteurs et de l'intelligence artificielle n'est pas que métaphorique. Les robots agricoles disponibles sur le marché ne manquent pas.
Et les agriculteurs utilisent l’IA dans plusieurs domaines tels que la détection instantanée de la prolifération d'insectes et de maladies aussitôt transmise au téléphone mobile du fermier, ou l’optimisation de l’irrigation.
Peu connue mais dont on devrait parler plus, il y a la fascinante expérience de Substorm.ai, une entreprise suédoise qui utilise l’IA pour détecter, dans une exploitation de concombres, les zones à problème et limiter au strict minimum le recours aux pesticides. Voir aussi Intellias.com.
« Au lieu de pulvériser des pesticides sans discernement sur l'ensemble de l'exploitation de concombres, [des robots peuvent être utilisés] pour appliquer des pesticides uniquement sur les plantes infectées, en épargnant les plantes saines, ce qui permet de réduire considérablement la quantité de pesticides utilisée. »
Google ou ChatGPT : can AI reduce the use of pesticides in agriculture? (La même question en français ne donne pas les mêmes résultats…)
28.01.2024 à 10:09
Merci Edgar Morin, mais… ≈041
Francis Pisani
Texte intégral (2966 mots)
J’ai lu avec passion la tribune publiée dans Le Monde par le très grand Edgar Morin sous le titre : « Le progrès des connaissances a suscité une régression de la pensée ». Loin de prétendre l’interpeller je voudrais simplement réfléchir avec vous sur cet texte émouvant d’un plus que centenaire qui appelle à la résistance et à la solidarité pour affronter nos malheurs dûs, selon lui, à la science et à la technologie.
La faute tiendrait au fait qu’on les a séparés par des barrières disciplinaires empêchant de penser, de comprendre leurs interactions. Nous sommes ainsi mal armés pour faire face à l’accumulation d’orages qui caractérise cette phase de l’histoire planétaire dont il dit « Nous ne savons pas si [elle] est seulement désespérante ou vraiment désespérée. »
Situant les guerres en cours ou qui menacent, celles qui durent et celles qui s’étendent, dans le contexte de « l’antagonisme virulent entre trois empires : les États-Unis, la Russie et la Chine » il signale que « Les crises s’entretiennent les unes les autres dans une sorte de polycrise écologique, économique, politique, sociale, civilisationnelle qui va s’amplifiant. » Voir Myriades : Dynamique des relations ≈032.
La dégradation écologique qui affecte citadins comme ruraux, et aggrave partout les inégalités se doit à « l’hégémonie d’un profit incontrôlé ».
Tout cela est parfaitement vu et clairement dit par le penseur français que je respecte le plus aujourd’hui, notamment pour son travail sur la complexité.
« Progrès scientifique technique »
Mais j’ai des doutes sur sa vision du rôle du « progrès scientifique technique » auquel il attribue « la cause des pires régressions de notre siècle » : Auschwitz, les armes nucléaires, les sociétés de surveillance et de soumission ainsi que les guerres de plus en plus meurtrières.
D’abord je ne crois pas au « progrès » à moins de le concevoir de manière quantique, c’est-à-dire comme une évolution positive et négative en même temps. Comme la technologie qui n’est, selon la formule connue, « ni bonne, ni mauvaise, ni neutre ». Cela dépend de ce que nous en faisons. Pour Morin « c’est lui [ce « progrès »] qui, animé par la soif du profit, a créé la crise écologique de la planète ».
Tout serait peut-être mieux dit si nous Inversions la phrase : c’est la poursuite « hégémonique » du profit, comme il l’a dit plus haut, qui entraîne la course incontrôlée aux innovations les mieux susceptibles d’enrichir ceux qui les mettent sur le marché.
Nous venons d’en voir l’illustration avec l’affaire Altman, le patron d’OpenAI, à qui nous devons ChatGPT, inoubliable tant elle est révélatrice. Mis de côté par ses associés qui lui reprochaient d’aller trop vite pour gagner plus d’argent, il a été réinstallé avec l’aide de Microsoft qui est, aujourd’hui, l’entreprise la plus riche du monde. La quête accélérée de profit s’est imposée à la prudence dans le développement de technologies ultra puissantes dont on ne mesure pas encore bien les risques qu’elles pourraient nous faire courir.
Une tendance si forte qu’elle donne lieu à la naissance qualifiée de « technosécessionisme » par Chem Assayag dans Usbek & Rica. » Un groupe ayant pour objectif de rendre la Silicon Vallée, voire la Californie indépendante des États-Unis ou de créer des îles indépendantes au large des côtes pour échapper aux quelques contraintes mises par les États.
Edgar Morin a le grand mérite de faire figurer science et technologie à côté des guerres et de la crise environnementale dans la polycrise (l’équation complexe) qui caractérise notre époque. Mais il me semble poser le problème à l’envers. Voyons ce qui se passe si nous permutons les points de sa proposition.
Et la tech dans tout ça ?
Je précise, ça n’est pas la tech qui est la cause de tous ces maux auxquels elle contribue.
- L’intelligence artificielle générative n’est qu’une étape dans l’évolution des technologies inventées par les humains, une étape essentielle car elle entraîne toutes les autres. Tech d’utilisation générale (general purpose technology), elle est, en outre susceptible d’acquérir de l’autonomie.
- Pour ces raisons, elle justifie plus encore que toutes les autres, l’intervention d’autorités étatiques ou inter-étatiques et des humains pour les « contenir » de façon urgente.
- Selon la façon dont elle est prise en charge à tous les niveaux (centre de recherche, entreprises, pouvoirs publics, institutions internationales) elle peut contribuer à réduire certains aspects de la crise écologique mais aussi l’aggraver (énergie consommée par les data centres et contribution à une croissance débridée)
- Bien utilisée elle peut même nous aider à gérer la complexité des polycrises en permettant de suivre les interactions entre les différents éléments qui les constituent.
Edgar Morin termine sa chronique en nous invitant à une Résistance qui rappelle celle à laquelle il a participé contre le régime Nazi. « C’est l’union, au sein de nos êtres, des puissances de l’Eros et de celles de l’esprit éveillé et responsable qui nourrira notre résistance aux asservissements, aux ignominies et aux mensonges. »
Tout cela est indispensable, mais il me semble que nous y parviendrons d’autant mieux que nous saurons intégrer le potentiel positif des technologies que nous mettons au point et des sciences qui les inspirent.
D’où la question qu’il faut toujours se poser « Et la tech dans tout ça ? ». Ne nous a-t-elle pas permis de mieux comprendre, par exemple, l’importance de la Renaissance en intégrant le rôle de l’imprimerie inventée de Gutemberg ?
N’est elle pas, aujourd’hui, la seule force menaçante qui comporte aussi des dimensions positives ?
Vidéo - Compétition et piège de Moloch
Dans The Dark Side of Competition in AI, Liv Boeree, ancienne championne de poker diplômée en astrophysique, présentatrice de télé et mannequin explique comment bien des problèmes liés aux menaces de l’IA naissent de la compétition entre les grandes boites. Liv empreinte sa principale métaphore à la Bible - Le piège de Moloch - quand des parents ont sacrifiés leurs enfants au dieu Moloch dans l'espoir de gagner ce qu'ils désiraient... mais n'y sont pas parvenus. Pas mal pour faire avancer la réflexion avec prudence par rapport aux courses effrénées qui dominent en ce moment.
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