03.09.2024 à 11:02
henrigasquet
« Si j’étais à la rue, affamé et démuni, je ne quémanderais pas un pain : je réclamerais la moitié d’un pain, et un livre. »
C'est la rentrée et les librairies peaufinent leurs rayonnages. De l'écologie de guerre à l'Inde antique, de Moscou à Madrid en passant par le Golfe persique, nous avons sélectionné les immanquables des nouveaux essais en cinq langues — classés par date de parution.
L’article La rentrée des essais. 27 livres à lire en septembre est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Lire à l’échelle pertinente. Que ce soit avec nos sélections mensuelles d’essais ou notre Prix Grand Continent, les dernières parutions sont au cœur de la revue, dans les principales langues du débat européen. Pour ne rien rater, abonnez-vous
« La guerre des paysans constitue, avec la Réforme, le seuil de l’ère moderne. Mais contrairement aux réformateurs, ses protagonistes ne parviennent pas à imposer leurs revendications, qui peuvent parfois sembler modernes.
Le soulèvement des paysans est réprimé dans le sang. La guerre des paysans a toujours été interprétée de manière idéologique — déjà à l’époque, elle était, selon Thomas Kaufmann, surtout un événement médiatique.
Grâce à une étude approfondie des sources, Thomas Kaufmann démasque ces distorsions idéologiques et présente une réinterprétation de cet événement majeur. Il ouvre aux lecteurs un tout nouveau regard sur la guerre des paysans. »
Paru le 12 août
« Pendant des siècles, Madrid a été une petite ville insignifiante sur le plateau central ibérique. Sous les souverains musulmans, la ville a été fortifiée et agrandie, mais même après la Reconquista, elle est restée secondaire par rapport à sa voisine Tolède. Le destin de Madrid a basculé au XVIe siècle, lorsqu’elle est devenue le centre d’un vaste empire mondial.
Luke Stegemann raconte l’histoire surprenante de l’essor de Madrid et de son influence considérable dans le monde entier. De Cervantès et Quevedo à Velázquez et Goya, la capitale espagnole a accueilli certains des artistes et penseurs les plus influents d’Europe. Elle a constitué un lien vital entre l’Europe et les Amériques et est devenue un foyer de dissensions politiques, notamment pendant la guerre civile espagnole, lorsque la ville était en première ligne dans la lutte contre le fascisme.
Luke Stegemann replace Madrid et ses habitants dans un contexte mondial, montrant comment la ville, qui a rapidement dépassé Barcelone en tant que centre de la finance internationale et du tourisme culturel, devenant un creuset au cœur de l’Europe et du monde hispanique. »
Paru le 13 août
« L’étrange hypothèse qui structure ce livre est que la seule chose plus dangereuse que la guerre pour la nature et le climat, c’est la paix. Nous sommes en effet les héritiers d’une histoire intellectuelle et politique qui a constamment répété l’axiome selon lequel créer les conditions de la paix entre les hommes nécessitait d’exploiter la nature, d’échanger des ressources et de fournir à tous et toutes la prospérité suffisante. Dans cette logique, pour que jalousie, conflit et désir de guerre s’effacent, il fallait d’abord lutter contre la rareté des ressources naturelles. Il fallait aussi un langage universel à l’humanité, qui sera celui des sciences, des techniques, du développement.
Ces idées, que l’on peut faire remonter au XVIIIe siècle, ont trouvé au milieu du XXe une concrétisation tout à fait frappante. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le développement des infrastructures fossiles a été jumelé à un discours pacifiste et universaliste qui entendait saper les causes de la guerre en libérant la productivité. Ainsi, la paix, ou l’équilibre des grandes puissances mis en place par les États-Unis, est en large partie un don des fossiles, notamment du pétrole.
Au XXIe siècle, ce paradigme est devenu obsolète puisque nous devons à la fois garantir la paix et la sécurité et intégrer les limites planétaires : soit apprendre à faire la paix sans détruire la planète. C’est dans ce contexte qu’émerge la possibilité de l’écologie de guerre, selon laquelle soutenabilité et sécurité doivent désormais s’aligner pour aiguiller vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce livre est un appel lancé aux écologistes pour qu’ils apprennent à parler le langage de la géopolitique. »
Paru le 29 août
« Est-il possible d’étudier les formes de gouvernement qui se sont succédé dans l’histoire de l’humanité sans se limiter à une description érudite des règles et des institutions et sans supposer que seuls les princes, les rois, les empereurs, les dirigeants, les chefs de parti comptent et donnent vie à ces formes de gouvernement ? Qu’est-ce qui relie les actions des gens ordinaires à l’apparition et à l’évolution d’innombrables formes de gouvernement au cours de l’histoire ?
À partir de sources archéologiques, anthropologiques et historiographiques relues à la lumière d’un schéma interprétatif qui considère les formes de gouvernement comme le produit d’une pluralité d’actions humaines, le livre traite des États, empires et républiques anciens (antiques, médiévaux et de la Renaissance) ainsi que de leurs descendants directs, les despotismes et les démocraties contemporaines. L’étude des formes de gouvernement montre combien est grande la capacité des êtres humains à donner naissance à des modes complexes et différenciés d’organisation de la vie sociale. Elle montre aussi que si les élites, et parfois certains dirigeants dotés de qualités particulières, ont un pouvoir conditionnant dans la formation et l’évolution des États et des régimes politiques, ceux qui ne font pas partie des élites ne sont jamais de simples figurants de cette histoire. »
Paru le 30 août
« Le 24 février 2022, premier jour de l’attaque totale de la Russie contre l’Ukraine, des véhicules blindés s’approchent de la centrale nucléaire de Tchernobyl, dans le nord de l’Ukraine. L’occupation russe de la centrale, qui durera trente-cinq jours, a commencé. Seuls le dévouement et la détermination du personnel ukrainien, pris en otage et travaillant par roulement pendant des semaines, ont permis d’éviter au monde un nouvel accident à Tchernobyl. Ils ont dû prendre des décisions de vie ou de mort en matière de coopération ou de résistance, en mettant en balance leur loyauté envers leurs familles, leur patrie et les civils innocents d’Ukraine et d’ailleurs qui subiraient les conséquences d’un accident nucléaire s’il se produisait. Les choix qu’ils ont faits ont permis de sauver le monde d’une nouvelle catastrophe de Tchernobyl.
Pendant ce temps, une situation bien plus dangereuse s’est développée à la centrale nucléaire de Zaporizhia, dans le sud de l’Ukraine, la plus grande installation de ce type en Europe. À la suite d’une attaque en mars 2022, l’armée russe en garde le contrôle et les services de renseignement ukrainiens mettent en garde contre le risque de terrorisme nucléaire. Nous devons faire face à une nouvelle réalité : deux sites nucléaires ont déjà fait l’objet d’une guerre et d’autres sont vulnérables.
Il existe aujourd’hui 440 sites de ce type dans le monde, et l’agression de la Russie contre l’Ukraine ne sera pas la dernière guerre de l’histoire de l’humanité. L’histoire des hommes et des femmes de Tchernobyl est plus qu’une histoire récente : c’est aussi un aperçu d’un avenir pas si lointain. »
Parution le 3 septembre
« Au XVIe siècle, l’invention de Gutenberg — l’imprimerie à caractères mobiles — a été le moteur involontaire d’une révolution. La diffusion à grande échelle de feuilles imprimées grâce à la nouvelle technologie à bas prix a permis à ceux qui n’avaient jamais eu accès au pouvoir de prendre conscience pour la première fois de revendications communes. La colère sociale qui en résulte prend une forme nouvelle et organisée, qui débouche sur la guerre des paysans, finalement réprimée dans le sang en 1525. Dès lors, le monde n’a plus jamais été le même ; à partir de ce moment, le pouvoir a commencé à s’occuper des médias pour les maîtriser et les rendre inoffensifs.
Cinq siècles plus tard, il s’est passé quelque chose de très similaire. Nous sommes le 6 janvier 2021 lorsque le rêve de la « plus grande démocratie du monde », incroyablement, s’écroule. Une foule en colère, composée essentiellement d’hommes blancs, prend d’assaut le Congrès américain au Capitole. La colère populaire de ce jour-là est canalisée et organisée par les réseaux sociaux.
Dans les deux cas, un nouveau média, échappant aux filtres du pouvoir, fait remonter à la surface la colère de ceux qui se sentent exclus du récit dominant. Dans Cinquecento anni di rabbia, Francesco Filippi évoque une thèse fascinante : il existe une relation étroite entre les soulèvements et les médias du XVIe siècle à nos jours, et il ne fait aucun doute que ce à quoi nous assistons ces dernières années est une révolution dont nous sommes les protagonistes. Jamais auparavant nous n’avons eu besoin de faire bon usage de l’histoire pour comprendre plus en profondeur le monde dans lequel nous vivons. »
Parution le 3 septembre
« L’inégalité économique est l’un des défis les plus redoutables de notre époque. Le débat public porte souvent sur la question de savoir s’il s’agit d’une conséquence inévitable des systèmes économiques et, le cas échéant, sur ce qu’il est possible de faire pour y remédier. Mais pourquoi, exactement, l’inégalité devrait-elle nous inquiéter ? The Greatest of All Plagues démontre que cette question a été au cœur des préoccupations de certains des plus éminents penseurs politiques de la tradition intellectuelle occidentale.
David Lay Williams présente de nouvelles perspectives audacieuses sur les écrits et les idées de Platon, Jésus, Thomas Hobbes, Jean-Jacques Rousseau, Adam Smith, John Stuart Mill et Karl Marx. Il montre comment ils décrivent l’inégalité économique comme une source d’instabilité politique et un corrupteur du caractère et de l’âme, et comment ils considèrent l’inégalité non maîtrisée comme une menace pour leurs valeurs les plus chères, telles que la justice, la foi, l’harmonie civique, la paix, la démocratie et la liberté. David Lay Williams apporte un éclairage sur les problèmes sociétaux engendrés par ce que Platon appelait « le plus grand de tous les fléaux » et examine les solutions mises en œuvre au fil des siècles pour y remédier. Ce faisant, il révèle comment l’inégalité économique a été un problème primordial tout au long de l’histoire de la pensée politique. »
Parution le 3 septembre
« Interroger la mémoire est un exercice difficile, un défi, parfois un pari. C’est certainement l’occasion de tirer des enseignements précieux, comme le montrent ces pages où Sabino Cassese, l’un des juristes les plus connus d’Italie, retrace sa longue carrière d’érudit. Il ne s’agit pas d’une « recherche du temps perdu », mais plutôt d’une autobiographie intellectuelle, d’un retour « sur soi », pour renouer les fils du passé et recomposer la fresque des idées, des débats et des protagonistes qui ont animé non seulement les sciences juridiques, mais aussi la vie académique, culturelle et politique du pays.
On peut y lire les expériences d’une vie passée avec humilité et curiosité. De sa jeunesse sous le fascisme à ses souvenirs familiaux, de ses études à l’École normale supérieure de Pise à ses années au bureau d’études Enrico Mattei, de ses missions dans les plus prestigieuses universités italiennes et étrangères à ses engagements dans le secteur bancaire et judiciaire, Cassese peint un tableau fait d’intérêts et de passions, de voyages et de rencontres — avant tout avec les grands auteurs du passé, grâce à ses livres les plus aimés, étudiés et médités —, de réflexions et d’analyses. Et puis la politique au sommet des institutions, la recherche internationale, la collaboration avec des journaux, des revues et des maisons d’édition comme forme d’engagement civil, l’éthique du travail, la participation informée et responsable au débat public en tant qu’observateur attentif des faits sociaux. Il en ressort un examen perspicace de l’Italie d’aujourd’hui et un jugement sur l’état de sa République. »
Parution le 3 septembre
« L’histoire du monde a commencé dans le golfe Persique. Les anciennes villes portuaires qui jalonnaient ses côtes ont créé la première façade maritime mondiale, un lieu à partir duquel les religions et les cultures venues de larges horizons ont pris la mer et sont entrées en contact. Pendant plus de quatre mille ans, le Golfe — parfois qualifié de Persique, parfois d’Arabe — a été un carrefour mondial tout en réussissant à éviter de tomber sous la coupe des plus grands empires du monde. L’histoire du Golfe est celle d’un univers en mutation rapide, de centres commerciaux fluctuants, d’une dépendance à l’égard de marchés mondiaux incertains et de rencontres interculturelles intenses qui sont le reflet du monde contemporain. En consacrant chaque chapitre à un port différent du Golfe, The Center of the World montre comment les habitants du Golfe se sont adaptés aux grands changements de l’histoire mondiale, en créant un système de libre-échange, de domination marchande et de commerce qui continue à définir la région aujourd’hui. »
Parution le 3 septembre
« Quand naît l’idée d’Europe ? À quelle période apparaissent les valeurs et les structures considérées aujourd’hui comme ses fondements politiques, économiques, culturels et religieux ? L’Antiquité, le Moyen Âge ou l’époque moderne nous ont-ils légué le libéralisme, la démocratie, l’égalité entre les peuples et les individus ? Pour répondre à ces questions, cette série d’ouvrages se penche sur l’émergence, la construction et l’évolution de l’Europe vue aujourd’hui comme un ensemble homogène, voire intangible et uniforme. Elle offre une lecture originale et pertinente de la manière dont cet espace a été perçu par les peuples qui l’ont occupé au travers des âges et sur lequel ils ont projeté progressivement un substrat religieux, politique, et parfois civilisationnel.
Ce premier volume s’ouvre sur la préhistoire pour se conclure à la fin de la période antique, au Ve siècle. L’Europe des institutions étatiques et du droit, de la science et des techniques, de l’alphabet et du plurilinguisme, de la psychanalyse et de la philosophie, des fêtes et des plaisirs, et de tant d’autres choses encore, doit en effet beaucoup à l’Antiquité. Les parois peintes de Lascaux, les mégalithes de Stonehenge, l’Acropole d’Athènes et le Colisée de Rome, Spartacus et Astérix font bien partie intégrante de l’imaginaire des Européens du XXIe siècle, et plus encore, de tous ceux qui s’affirment comme des Occidentaux. C’est pourquoi les auteurs, à travers un récit d’une richesse exceptionnelle, interrogent la géographie même de l’Europe, racontent les grandes évolutions humaines et politiques depuis les temps les plus anciens et explorent la richesse culturelle et sociale du legs antique. »
Parution le 4 septembre
« L’Inde est le cœur oublié du monde antique. Pendant un millénaire et demi, elle a exporté sa civilisation diversifiée, créant autour d’elle un vaste empire d’idées : l’art, les religions, la technologie, l’astronomie, la musique, la danse, la littérature, les mathématiques et la mythologie de l’Inde ont tracé une voie à travers le monde, le long d’une « route dorée » qui s’étendait de la mer Rouge au Pacifique.
William Dalrymple met en lumière la position souvent oubliée de l’Inde en tant que cœur de l’Eurasie ancienne et donne un nom à cette diffusion des idées indiennes qui a transformé le monde. Du plus grand temple hindou du monde à Angkor Vat au bouddhisme chinois, du commerce qui a contribué à financer l’Empire romain à la création des chiffres que nous utilisons aujourd’hui (y compris le zéro), l’Inde a transformé la culture et la technologie mondiales. »
Parution le 5 septembre
« Souvent considéré comme marginal, le culte des saints musulmans est aujourd’hui un sujet brûlant, au cœur de l’histoire de l’islam, de sa culture et de son imaginaire. Raconter ce « creux le plus douloureux » des sociétés musulmanes revient à écrire l’histoire religieuse de l’islam sous un nouvel angle.
Né dans le riche terreau de l’Antiquité tardive, lié au culte des morts et au processus d’islamisation, le culte des saints musulmans puise dans la mémoire des prophètes antéislamiques, du djihad et de la vénération du Prophète et de ses descendants. Tout un ensemble de croyances et de pratiques adressées aux saints et à des lieux sacrés apparaît en pleine lumière au IXe siècle. Il unit les dévots aux saints toujours présents dans une mystérieuse absence, à travers l’espace et le temps. Visites pieuses, pèlerinages aux sanctuaires et fêtes patronales réclament une intercession ici-bas et dans l’au-delà, aux hommes de Dieu et à de rares femmes. Du Maroc à l’Indonésie, le culte des saints s’ancre aussi dans celui des ancêtres et dans la fréquentation de lieux sacrés anonymes. En rattachant un paysage à l’islam, il affirme une identité désormais musulmane et participe à la compétition entre chiisme et sunnisme. Le phénomène, légitimé par des écrits hagiographiques et encouragé par les dynasties successives, devient massif aux XIIe et XIIIe siècles, avec l’essor des confréries soufies, le culte du Prophète, et de nouvelles vagues d’islamisation. Le culte des saints domine le paysage dévotionnel musulman jusqu’aux attaques du wahhabisme au XVIIIe siècle, puis jusqu’à celles du réformisme et enfin du salafisme actuel.
Au XXe siècle, les États indépendants privent confréries et descendants des saints de leur pouvoir, et tentent de déplacer le culte vers celui des héros et des martyrs. D’impressionnants renouveaux s’affirment pourtant à la fin du XXe siècle, avant de nouvelles ruptures au XXIe siècle, imposées par l’urbanisation et les migrations, par Internet et le règne de l’image, par la mondialisation et la sécularisation. »
Parution le 5 septembre
Quel est le rapport entre Verga et le « fétichisme de la marchandise » de Marx ? Pourquoi le personnage de Geppetto préfigure-t-il les « travailleurs pauvres » d’aujourd’hui ? Comment le droit de Pinocchio à être nourri et soigné reflète-t-il les théories d’Amartya Sen et le Sisyphe de Camus sur l’aliénation du travailleur ? Alors que l’économie n’est certainement pas ce que l’on associerait immédiatement à la littérature, l’économiste hétérodoxe Luigino Bruno nous guide à travers les pages de certains des plus grands chefs-d’œuvre de tous les temps, jetant ainsi les bases d’une petite histoire littéraire de l’économie. Dans un dialogue fructueux avec les textes, Luigino Bruni retrace les phénomènes et les concepts qui révèlent l’évolution de notre rapport à l’argent et au travail.
Il décrit les débuts du nouveau cours européen à travers le regard de Dante, critique sévère de la rente issue du pouvoir et non du travail, tandis que quelques décennies plus tard, Boccace, fils de marchands, racontera la comédie humaine du capital. Il relit Shakespeare, « prophète » du système naissant qui, dans le Londres de la fin du XVIe siècle, substitue le profit aux passions. Il interprète les miracles économiques et sociaux du XXe siècle italien comme le résultat de l’action de tant de Mazzarò, précurseurs de ce capitalisme qui aujourd’hui « emporte dans sa tombe les mers, les fleuves et les glaciers, parce qu’il ne voit rien de valable à laisser aux jeunes ».
En montrant le visage humain de ce que l’on a appelé « la triste science » dans un récit vivant et passionnant, Bruni nous invite à réfléchir sur la délicate transition de l’âge du travail à l’âge de la consommation, et nous place ainsi devant un choix, car — écrit-il — « chaque génération doit décider quelles sont les vertus d’hier qu’elle veut conserver et quelles sont celles qu’elle veut oublier ».
Parution le 6 septembre
« Les liens entre l’extrême droite française et la Russie font désormais souvent la Une, mais cet ouvrage est le premier à les mettre en perspective sur un siècle. Entre 1917 et 1945, la France a été une base arrière essentielle des Russes antisoviétiques, qui se sont greffés aux soubresauts de l’extrême droite hexagonale. Relier Paris, Berlin et Moscou est devenu une utopie mais aussi une pratique. Avec la Guerre froide, l’anticommunisme a redéfini les positionnements, mais certaines extrêmes droites ont vu Moscou comme un rempart contre Washington et sa société du melting-pot. La chute de l’Union soviétique et l’ère Poutine ont dessiné un nouvel arc : la Russie devient un modèle politique, et exerce une influence directe sur les formations françaises. Toutes les dynamiques mises en place pendant un siècle convergent lors de l’invasion de l’Ukraine. L’enjeu dépasse ainsi la question des forces partisanes : il s’agit de définir les zones entre guerre et paix. Observer les relations nationalistes entre France et Russie, c’est comprendre comment la diffusion patiente de discours permet de façonner les politiques étrangères et les rivalités géopolitiques. »
Parution le 6 septembre
« Lorsque le père de Sebastian Moll a construit une maison pour sa famille dans les années 1960, il avait un espoir : oublier le passé. En effet, il avait subi l’endoctrinement nazi, le traumatisme de la guerre ainsi que les mutilations psychologiques du culte fasciste de la virilité. En construisant une maison mitoyenne de banlieue dans le sud de Francfort, il a accompli ce nouveau départ sur le plan architectural.
De plus, en tant qu’urbaniste d’une société de construction de logements de Francfort, il a marqué la reconstruction de sa patrie et a ainsi fait avancer une architecture de refoulement qui marque encore aujourd’hui les villes allemandes. Mais dans la vie privée comme dans la vie urbaine, le refoulé a fait son retour.
Das Würfelhaus est une mise à nu architecturale de l’Allemagne d’après-guerre. Sebastian Moll raconte, à travers l’histoire de sa famille, la tentative difficile et douloureuse de sa génération et, avec elle, de l’Allemagne contemporaine, d’effacer l’héritage du national-socialisme. »
Parution le 9 septembre
« Trois décennies après l’effondrement de l’Union soviétique, qui a incité Francis Fukuyama à proclamer la « fin de l’histoire », les choses semblent avoir changé. La Russie n’est peut-être plus communiste, mais Staline y est plus admiré que jamais depuis sa mort en 1953. Les États-Unis ont perdu leur pouvoir et leur prestige, parallèlement à la montée en puissance économique et à l’influence mondiale de la Chine, notamment aux États-Unis eux-mêmes. Le capitalisme démocratique libéral semble moribond, tandis que le communisme chinois assimile le monde. Comment et pourquoi cela s’est-il produit ?
Dans cette vaste histoire, Sean McMeekin étudie l’évolution du communisme, de l’idéal séduisant d’une société sans classes à la doctrine dominante des régimes tyranniques. Des écrits de Marx à la résurgence mondiale du communisme au XXIe siècle, McMeekin affirme que, malgré l’endurance de ce système politique, il reste profondément impopulaire. Là où il est apparu, il l’a toujours fait par la force. »
Parution le 10 septembre
« Quand on pense à l’élite britannique, des caricatures familières viennent à l’esprit. Aaron Reeves et Sam Friedman ont passé au peigne fin une multitude de données en examinant minutieusement les profils, les intérêts et les carrières de plus de 125 000 membres de l’élite britannique, de la fin des années 1890 à aujourd’hui. La base de données historique du Who’s Who est au cœur de cette étude méticuleuse, mais Reeves et Friedman ont également exploité des registres généalogiques, examiné des données d’homologation et interrogé plus de 200 personnalités issues d’un large éventail de milieux et de professions afin de découvrir qui dirige la Grande-Bretagne, comment ils pensent et ce qu’ils veulent. Ce qu’ils ont découvert, c’est qu’il y a moins de mouvement au sommet qu’on ne le pense. Certes, des progrès ont été accomplis en ce qui concerne l’intégration des femmes et des Britanniques noirs et asiatiques, mais les personnes nées dans le 1 % supérieur ont autant de chances d’accéder à l’élite aujourd’hui qu’il y a 125 ans. Ce qui a changé, c’est la manière dont les élites se présentent. Les élites d’aujourd’hui travaillent dur pour nous convaincre qu’elles sont parfaitement ordinaires. »
Parution le 10 septembre
« Emmanuel de Waresquiel se penche sur les mémoires et les héritages de la Révolution française. Il en explique les raisons, les continuités, les déformations jusqu’à nos jours, à travers deux siècles de notre histoire. Il a choisi quelques moments « fondateurs » de 1789 et de la Terreur. On a glorifié le serment du Jeu de paume alors qu’il avait été prêté sous l’emprise de la peur. On a fait de la prise de la Bastille la première grande victoire du peuple quand la Bastille s’est rendue aux insurgés, on a célébré Valmy et Valmy était à peine une bataille. On a chanté la liberté et la fraternité sur tous les tons et on les a un peu oubliées, on a sanctifié la guillotine avant d’en mesurer toute l’horreur. Que nous dit la Révolution d’elle et de nous-mêmes, dans l’épaisseur de ses mémoires ? Les événements, les lieux, les symboles qu’elle a retenus à la construction d’un monde nouveau, leur célébration — ou leur diabolisation — par les régimes qui ont suivi n’ont souvent pas grand-chose à voir avec la perception que les révolutionnaires en avaient sur le moment. »
Parution le 12 septembre
« Dans le monde incertain des guerres de Religion (1562-1598), survivre est tout un art. Comment mentir, se déguiser, s’échapper, simuler ou dissimuler sa confession religieuse ? Comment se faufiler, tromper ou surprendre son adversaire ? Quelles sont, en somme, les tactiques pour tenir dans un monde soudain hostile, dans lequel le voisin peut dénoncer, le boucher empoisonner, votre accent vous trahir, le fils égorger, le mari mentir et la rue naguère familière devenir guet-apens ? « Car en matière de guerres intestines, écrit Montaigne, votre valet peut être du parti que vous craignez. Et lorsque la religion sert de prétexte, les parentés mêmes deviennent peu fiables ».
En s’appuyant sur des chroniques contemporaines et sur un matériau archivistique exceptionnel, cette enquête entend rendre sensible ce que fut l’expérience concrète des « tristes hommes d’après 1560 ». Parce que la guerre civile rend incertain ce qui semblait le mieux établi — l’identité des êtres et des choses, le statut des lieux, le langage lui-même —, Survivre entreprend de mettre en lumière les savoir-faire et les savoir-vivre avec le trouble. Mais ce livre n’entend pas seulement restituer au plus près des documents ce que fut l’épreuve de la guerre intestine. Il propose une relecture ambitieuse de l’ensemble des guerres de Religion, laboratoire de notre modernité, désormais envisagées au prisme de la condition d’incertitude. »
Parution le 13 septembre
Revolutionary Warfare montre comment les efforts déployés pour contrer une révolution peuvent également s’avérer révolutionnaires. La guerre d’Algérie a fracturé l’Empire français, détruit la légitimité de la domination coloniale et contribué à lancer le mouvement tiers-mondiste pour la libération du Sud. En retraçant la manière dont les généraux, les officiers et les fonctionnaires français ont cherché à contrer l’indépendance algérienne par leur propre projet de transformation sociale radicale, Terrence G. Peterson révèle que le conflit a également contribué à transformer la nature de la guerre moderne.
L’effort de guerre français n’a jamais été défini uniquement par la répression. Comme l’explique Peterson, il a également cherché à mettre au point de nouvelles formes de surveillance et de contrôle social susceptibles de capter la loyauté des Algériens et de transformer la société algérienne. Les efforts en matière d’hygiène et d’aide médicale, les programmes sportifs et éducatifs pour la jeunesse et les campagnes de guerre psychologique ont tous tenté de remodeler les structures sociales algériennes et de les lier plus étroitement à l’État français. En retraçant l’émergence de ces programmes, Terence G. Peterson recadre l’effort de guerre français comme un projet de réforme sociale armée qui cherchait non pas à préserver le pouvoir colonial inchangé, mais à le révolutionner afin de le faire perdurer face aux défis mondiaux de la décolonisation.
Revolutionary Warfare démontre comment les efforts des officiers français pour transformer la guerre en un exercice d’ingénierie sociale ont non seulement façonné le déroulement de la guerre d’Algérie dès ses premiers mois, mais ont également contribué à forger un paradigme de guerre qui a dominé la pensée stratégique pendant la guerre froide et après : la contre-insurrection. »
Parution le 15 septembre
« Le nationalisme a fait couler beaucoup d’encre : favorablement de la part de ceux qui aspirent à avoir leur propre État, défavorablement à l’encontre de ceux qui en ont déjà un. Ce livre traite du nationalisme, mais dans un sens différent, car il remet en question toutes les formes d’appartenance, qu’il s’agisse de l’État, de la patrie ou de la nation.
Il commence par une étude de la Tour de Babel. Ces gens voulaient construire une ville monolithique, mais ils ont échoué parce qu’ils ne pouvaient pas empêcher les gens de parler et de penser par eux-mêmes. Deux modèles de coexistence sont évoqués : celui de la ville fermée, attachée à la terre, ou celui de la dispersion qui a suivi l’expérience ratée.
L’humanité n’a pas retenu la leçon. Elle a pensé, avec Aristote, que seuls ceux qui appartiennent à une polis sont humains et que les apatrides sont inhumains. Tierra de Babel démonte ce malentendu originel en suivant la trace de la minorité qui a su lire ce qui s’est passé, faisant de la diaspora une forme d’existence. À une époque comme la nôtre, où l’État montre des signes d’épuisement, parce qu’il y a l’émigration et parce qu’il y a eu Auschwitz, la diaspora est présentée comme l’alternative post-nationale au nationalisme. »
Parution le 16 septembre
« La liberté est le grand engagement américain mais, affirme Timothy Snyder, nous avons perdu de vue ce qu’elle signifie. Nous sommes trop nombreux à considérer la liberté comme l’absence de pouvoir de l’État. Nous pensons que nous sommes libres si nous pouvons faire et dire ce que nous voulons et nous protéger contre les excès du gouvernement. Mais la véritable liberté n’est pas tant la liberté de ne pas faire que la liberté de faire — la liberté de s’épanouir, de prendre des risques pour un avenir que nous choisissons en travaillant ensemble. La liberté est la valeur qui rend toutes les autres valeurs possibles.
S’appuyant sur les travaux de philosophes et de dissidents politiques, sur des conversations avec des penseurs contemporains et sur sa propre expérience de jeune adulte à l’époque de l’exceptionnalisme américain, Timothy Snyder identifie les pratiques et les attitudes qui nous permettront de concevoir un gouvernement dans lequel nous et les générations futures pourront nous épanouir. Il nous invite à apprécier l’importance des traditions (défendues par la droite), mais aussi le rôle des institutions (du ressort de la gauche). »
Parution le 17 septembre
« Pour Germaine M., née en 1937, les années 1939-1945 ont été « ludiques », tandis que pour Karl-Hans W., jeune Allemand né en 1930, la période fut insouciante et heureuse. Si ces témoignages surprennent — durant la Seconde Guerre mondiale, jamais les enfants européens n’avaient autant été la cible de violences de guerre et souffert de ses conséquences (séparations familiales, déplacement, faim, froid, etc.) —, ils sont loin d’être des cas isolés.
Comment l’expliquer ? Quelles furent les expériences des enfants et de quelle manière le conflit les a-t-il affectés ? C’est à ces questions que l’auteure propose de répondre, en donnant voix à la fois aux enfants et aux adultes qui les encadrent, grâce à un corpus archivistique riche et varié (dessins, journaux intimes, enquêtes scientifiques, rapports institutionnels et humanitaires, etc.). À partir d’une étude comparant trois pays du front occidental — la France, l’Allemagne et l’Italie — et en se concentrant sur la période de sortie de guerre, c’est-à-dire lorsque les armes se taisent mais que les traces du conflit sont encore visibles et que s’élabore un premier bilan, l’historienne dévoile non seulement de nombreuses expériences juvéniles inédites, mais aussi les facteurs qui ont contribué à l’élaboration de la figure contemporaine de l’enfance victime de guerre et dont la décennie 1940 constitue un moment clef. »
Parution le 18 septembre
« Le monde arabe est plus que la somme des pays où l’on parle principalement l’arabe. Depuis l’expansion de l’islam, il constitue un espace de résonance religieuse et culturelle avec des tentatives d’unité politique sans cesse renouvelées. Ce livre décrit comment ce « monde » s’est formé depuis la fin de l’Antiquité, quelles sont les particularités de chacune de ses régions et comment la culture arabe s’est diffusée bien au-delà de cet espace.
Avec la péninsule arabique, l’Egypte, la Syrie-Palestine, l’Irak et le Maghreb nord-africain, cinq grandes régions marquent le monde arabe. Dans ce livre, une quarantaine d’experts de renommée internationale décrivent l’histoire de ces régions, de l’Antiquité tardive à nos jours, en passant par l’expansion de l’islam depuis le VIIe siècle et l’occupation par les États européens au XIXe siècle. Des aperçus culturels et historiques sur les quatre périodes les plus importantes mettent en évidence les évolutions communes qui ont été déterminantes dans l’immense espace entre l’Atlantique et le golfe Persique. Ce livre fait également la part belle au rayonnement mondial de la culture arabe — en Europe latine et à Byzance, en Perse et dans l’Empire ottoman, en Afrique subsaharienne et en Amérique. »
Parution le 19 septembre
« La dictature franquiste a construit près de trois cents villages et districts de colonisation. La propagande du régime a tenté d’inculquer aux Espagnols que c’était la preuve que Francisco Franco était un dirigeant réformateur et bienfaisant. Ce livre, basé sur deux piliers — le travail d’archives et les souvenirs des protagonistes — réfute cette idée. Il explique de manière accessible le mythe de la colonisation et la réalité qui se cache derrière : le passé de réformes et de révolutions violemment réprimées par le régime franquiste ; la misère socio-économique du monde agraire pendant la dictature ; l’idéologie qui a soutenu la colonisation ; les véritables intérêts, souvent cachés, derrière le projet et, surtout, la réalité quotidienne des nouveaux colons et de leurs villages. »
Parution le 25 septembre
« Pour des millions de femmes, le petit anneau qui orne leur annulaire et qui symbolise traditionnellement l’amour, a été plus qu’un anneau : une chaîne symbole de l’’assujettissement imposé par le mariage sous forme d’esclavage sexuel, de captivité au foyer, d’aliénation en tant que mère-épouse et de toutes sortes de violences machistes, dans l’esprit et sur la peau.
Bien que le silence ait effacé la plupart des témoignages, de nombreuses femmes écrivains ont voulu raconter l’histoire de cette oppression dans leurs romans. George Sand, Mercè Rodoreda, Louisa May Alcott, Emilia Pardo Bazán, Edith Wharton, Elena Fortún et Alice Walker ont raconté les abus de l’institution du mariage. Purificació Mascarell retrace une constellation de femmes auteurs rebelles face au pouvoir patriarcal. Dans la main de penseuses telles que Mary Wollstonecraft, Emma Goldman, Virginia Woolf, Simone de Beauvoir et Kate Millett, qui ont affirmé que l’intime est politique, Como anillo al cuello parcourt la littérature et le féminisme à la recherche de l’envers de l’amour romantique. Un sauvetage des voix féminines qui ont osé remettre en question le destin réservé aux femmes : se marier et se taire. »
Parution le 25 septembre
« Longtemps, la notion de classique universel fut admise comme une évidence. Ce canon de la littérature mondiale est désormais contesté, en raison de la prédominance en son sein d’hommes blancs occidentaux. Mais par quels mécanismes s’est formée la « littérature mondiale » ? Comment se fabrique la gloire internationale ?
À partir d’archives, d’entretiens, d’observations et d’études quantitatives, ce livre analyse les conditions d’accès à la consécration littéraire par-delà les frontières nationales : les facteurs qui la favorisent ou l’entravent, et les acteurs et autrices qui y contribuent. Trois moments socio-historiques sont abordés : l’entre-deux-guerres, marqué par une internationalisation des échanges, d’abord en Europe puis avec les États-Unis ; l’ouverture géoculturelle après 1945, sur fond de guerre froide, avec une lente progression de la diversité linguistique, parallèlement à la féminisation ; et enfin leur intensification à l’heure de la mondialisation. Foires et festivals de livres se multiplient, mais la domination accrue de l’anglais et les concentrations éditoriales suscitent des résistances.
Gisèle Sapiro renouvelle les récits habituels de la fabrication des notoriétés littéraires et dévoile les coulisses d’un monde fait d’intermédiaires, éditeurs, médiateurs, traducteurs ou institutions de consécration (UNESCO, Nobel). »
Parution le 27 septembre
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26.07.2024 à 16:42
Matheo Malik
Sommes-nous entrés dans une répétition de la IVe République ?
Quitte à faire des comparaisons, autant savoir de quoi l’on parle. Pour vos débats animés cet été — et parce que la politique ne prend jamais vraiment de vacances — nous avons préparé une liste de lectures historiques sur le grand contexte d’un mythe français.
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Chaque mois, vous êtes des centaines de milliers à venir dans ces pages pour essayer d’y voir plus clair, de prendre du recul dans le carambolage des événements, de s’orienter dans le vertige du contemporain. Si vous jugez notre travail utile et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent
« Condamnée par la lecture gaulliste de l’histoire comme le « régime des partis », parfois devenue ensuite une sorte de modèle dont il fallait honorer la mémoire afin de mieux se démarquer de l’ombre du Général, la IVe République demeure la « mal aimée » des Français.
Fondée en partie sur l’ouverture progressive des archives et la multiplication des témoignages, cette étude se nourrit d’une approche à la fois compréhensive et connectée. Compréhensive car elle donne la parole aux acteurs. Connectée car elle met en relation des thématiques souvent séparées : dimensions internationale et nationale, réformes de structure et vie quotidienne, grands destins et vie des Français « ordinaires ».
Jenny Raflik propose ainsi une lecture profondément renouvelée de ces années où s’invente la modernité. »
« Cette somme d’une ampleur sans équivalent pour la connaissance d’une période clef de notre histoire nationale est le fruit d’une enquête de près d’un demi-siècle. Georgette Elgey a eu accès à des documents d’archives exceptionnels, qu’elle n’a cessé d’explorer, et bénéficié des témoignages des principaux acteurs politiques. Son ouvrage mêle superbement analyse et récit, entraînant le lecteur dans les coulisses du pouvoir, au plus près des événements et des hommes qui les ont initiés et parfois subis.
Le premier volume couvre la période allant de la Libération et du premier gouvernement de Gaulle à ceux de Pierre Mendès France puis de Guy Mollet. Époque invraisemblable où les drames, les intrigues se succèdent. Des scandales politico-policiers éclaboussent les dignitaires du régime : l’affaire des vins met en cause un chef d’État, l’affaire des généraux incrimine le chef d’État-major général des armées. La France vit à l’heure de la fracture du monde en deux blocs. C’est le temps du rideau de fer entre Moscou et Washington, de la guerre froide qui menace de dégénérer en troisième conflit mondial. Le pays connaît en 1947 et 1948 des grèves d’une violence aujourd’hui inimaginable. Malgré les crises mondiales et l’instabilité ministérielle, la IVe République accomplit cependant une œuvre considérable. La France se modernise, elle jette les bases de la construction européenne, une initiative française. Mais le régime doit affronter le problème de la décolonisation en Indochine et en Afrique du Nord, qui précipitera sa chute. »
« À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le plus grand défi de la France était de réparer une société civile déchirée par l’occupation nazie et la guerre totale. Le redressement passe par une transformation économique et sociale complète de la nation. Mais la forme que devait prendre cette « nouvelle France » est restée la question brûlante au cœur du combat politique français jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, plus d’une décennie plus tard. Herrick Chapman retrace le cours de la longue reconstruction de la France de 1944 à 1962, offrant un nouvel éclairage sur la manière dont l’expansion du pouvoir de l’État, censée être le fer de lance du redressement, a engendré de vives controverses à l’intérieur du pays et des conséquences inattendues à l’étranger et dans l’empire français en ruine.
Soutenu après la Libération par une nouvelle élite d’experts technocrates, l’État français en plein essor s’est infiltré dans des domaines de la vie économique et sociale traditionnellement exempts d’intervention gouvernementale. Les hommes politiques et les intellectuels se sont efforcés de concilier la modernisation dirigée par l’État avec la nécessité de renouveler la participation démocratique et de renforcer la société civile après des années passées sous le joug des nazis et de Vichy. Mais plutôt que de résoudre les tensions, le conflit entre les technocrates du sommet et les démocrates de la base s’est institutionnalisé comme une manière de formuler les problèmes auxquels était confrontée la Ve République de Charles de Gaulle. »
« L’année 1947 représente, dans l’histoire française, un moment privilégié permettant d’observer l’intersection de deux mouvements évolutifs.
Les blocages économiques, la rupture des alliances de guerre, les craquements dans l’empire colonial annoncent la fin d’un monde, celui de la Troisième République ; tandis que les nationalisations, la planification indicative, le primat des ingénieurs annoncent apparemment un renouveau et une modernisation de la France.
Mais ceux-ci se situent dans le contexte de la guerre froide qui aiguise la volonté de la France de maintenir une identité nationale menacée par un affrontement qui la dépasse. »
« L’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA) naît dans le département du Lot en 1953 avant d’étendre son organisation à l’ensemble de la France. D’abord antifiscale, l’action du mouvement Poujade évolue rapidement, pour revêtir un caractère politique à partir du mois de mars 1955, quand sont créées des unions parallèles visant à rassembler toutes les catégories sociales, dans la perspective d’une transformation institutionnelle majeure. Cinquante-deux députés poujadistes entrent au Palais-Bourbon lors des élections législatives du 2 janvier 1956.
L’histoire du poujadisme – de sa naissance en 1953 à sa transformation sous la Cinquième République en un groupuscule luttant par des voies légales en faveur de l’Algérie française, jusqu’à sa complète marginalisation au temps de l’OAS – est l’occasion de mettre à jour certains mécanismes du fonctionnement de l’appareil d’État de 1953 à 1962. Elle permet de donner des éclairages nouveaux sur la crise politique qui met fin à la Quatrième République, sur la guerre d’Algérie et sur l’antigaullisme de droite au début de la Cinquième République. »
« Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, de Sétif (mai-juin 1945) à Madagascar (1947), d’Haiphong (1946) à la Côte-d’Ivoire (1949-1950) et à Casablanca (1947), l’armée française a massacré des dizaines de milliers d’hommes et de femmes dont le seul tort était de revendiquer pour plus de libertés ou pour l’indépendance. Ce sont ces pages sanglantes de l’histoire de France, méconnues, voire effacées, qu’Yves Benot retrace dans ce livre.
Mobilisant l’ensemble des documents disponibles, il montre comment et pourquoi les gouvernements de la IVe République, bien peu soucieux du respect de la légalité républicaine, ont choisi la voie de la répression sauvage pour préserver la cohésion de l’Empire français. Il analyse aussi les débats auxquels cette politique a donné lieu en France marqués par l’opposition de certains intellectuels comme Jean-Paul Sartre ou Paul Ricoeur. »
« Pierre Mendès France (1907-1982) est, avec le général de Gaulle, le seul grand acteur de la vie publique qui, dans la seconde moitié du XXe siècle, a suscité un mythe. Sa trace dans l’Histoire ne se limite pas à son bref passage au pouvoir de juin 1954 à février 1955, sept mois et dix-sept jours marqués par le règlement de la guerre d’Indochine et le début du processus d’indépendance de la Tunisie. Le rayonnement et l’influence de cet homme de gauche réaliste se sont exercés bien au-delà de sa famille politique d’origine. Pour plusieurs générations de hauts fonctionnaires, de cadres dirigeants, d’intellectuels et de citoyens anonymes, Mendès France a été une référence morale. Si de Gaulle avait une certaine idée de la France, lui incarnait une certaine idée de la République, avec pour principes le souci du bien commun, le respect de l’adversaire, la volonté de dire toujours la vérité.
S’écartant d’une légende simplificatrice, Éric Roussel est parti à la recherche de cet homme courageux, complexe, attachant, quelquefois paradoxal. De ses débuts de jeune élu radical en Normandie à ses relations passionnelles avec de Gaulle et compliquées avec François Mitterrand, maints épisodes que l’on croyait connus apparaissent sous un jour nouveau, tandis que se révèle un être sensible, très marqué par le procès inique que lui intenta le régime de Vichy, et plus d’une fois en proie au doute. Fondé sur une vaste enquête dans les archives françaises et étrangères, les témoignages de proches de Mendès France et ses écrits inédits les plus intimes, ce livre éclaire un destin d’exception profondément ancré dans la mémoire nationale. »
« Comme était doux le temps des « Trente Glorieuses » ! La démocratisation de la voiture et de la viande ! L’électroménager libérant la femme ! La mécanisation agricole éradiquant la famine ! La Troisième Guerre mondiale évitée et la grandeur nationale restaurée grâce à la dissuasion nucléaire ! Etc. Telle est aujourd’hui la vision dominante de cette période d' » expansion « , objet d’une profonde nostalgie passéiste… au risque de l’aveuglement sur les racines de la crise contemporaine.
À rebours d’une histoire consensuelle de la modernisation, cet ouvrage dévoile l’autre face, noire, du rouleau compresseur de la « modernité » et du « progrès », qui tout à la fois créa et rendit invisibles ses victimes : les irradié.e.s des essais nucléaires en Algérie et en Polynésie, les ouvrier.ère.s de l’amiante ou des mines d’uranium contaminé.e.s, les rivières irrémédiablement polluées, les cerveaux colonisés par les mots d’ordre de la « croissance » et de la publicité…
Les conséquences sociales et environnementales des prétendues « Trente Glorieuses », de leur mythologie savamment construite par les « modernisateurs » eux-mêmes, de leurs choix technico-économiques et de leurs modes de vie, se révèlent aujourd’hui très lourdes. Il nous faut donc réévaluer la période et faire resurgir la voix des vaincu.e.s et des critiques du « progrès » (de l’atome, des pollutions, du productivisme et du consumérisme) antérieures à 1968. L’enjeu est non seulement de démonter les stratégies qui permirent alors de les contourner, mais aussi de les réinscrire dans les combats politiques et écologiques contemporains. »
« 1945. Jacques Baumel, René Capitant, Eugène Claudius-Petit, Michel Debré, Léo Ramon, André Malraux, René Pleven, Jacques Soustelle, Robert Verdier, puis François Mitterrand… L’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance est le seul parti politique à être exclusivement issu de la Résistance.
L’Union répond au projet politique de créer une vaste formation travailliste. Présidée dans un premier temps par René Pleven, puis par François Mitterrand, elle joue le rôle de parti charnière de la Quatrième République en monnayant cher ses quelques voix. 1981. Au moment où François Mitterrand accède à la magistrature suprême, Claudius-Petit souligne ironiquement que l’UDSR est enfin arrivée au pouvoir… Ses fidèles parmi les fidèles jouent encore dans l’appareil d’État ou dans ses marges un rôle non négligeable. »
« La tragédie algérienne a été la malédiction de la IVe République. C’est à Alger, le 13 mai 1958, que s’enclenche l’engrenage qui finira par emporter ce régime issu d’une guerre et défait par une autre. Son agonie n’aura duré que trois semaines.
Ce livre met au jour les protagonistes, les paroles, les arrière-pensées, les enjeux, les intrigues, les flottements, les audaces et les lâchetés qui rythment l’embrasement de ces quelques semaines haletantes. Il retrace la chaîne des événements et des affrontements, qui s’étend de l’insurrection d’Alger au retour du général de Gaulle au pouvoir. Il sonde, ce faisant, la profondeur des dissensions qui déchirent les Français jusqu’à menacer le tissu national.
Michel Winock s’interroge sur l’incurable vulnérabilité d’une République, créatrice pourtant, en maints domaines, d’un véritable « miracle français ». Ce n’est pas seulement à l’épreuve du conflit algérien que se meurt la IVe, c’est aussi en raison des tares intrinsèques d’un système politique réduit à l’impuissance et, par là même, discrédité.
Les faiblesses de ce régime, honni par l’élite militaire, entraînent l’intervention de l’armée dans la vie politique, pour la première fois depuis plus d’un siècle : c’est sous la menace des armes que se décidera l’issue de la crise, par le recours, une fois encore, à un homme providentiel. »
« En raison de son engagement dans l’Alliance atlantique, la Quatrième République a souvent été présentée comme un régime faible, contrastant en cela avec la France du général de Gaulle.
Cet ouvrage propose une approche plus « compréhensive » en regardant de façon précise les processus de décision alors que la politique atlantique française est menée par des experts et des hauts fonctionnaires.
Leur quête d’influence, dans un contexte où tout semble conduire la France à la dépendance, ne fut peut-être pas l’échec que l’on imagine trop souvent. »
« France’s New Deal pose un regard approfondi sur la refonte de l’État français après la Seconde Guerre mondiale, une époque où la nation a été dotée de toutes nouvelles institutions pour gérer son économie et sa culture.
Pourtant, comme le révèle Philip Nord, l’important processus de reconstruction de l’État n’a pas commencé à la Libération. Il a plutôt commencé durant les dernières années de la Troisième République et sous le régime de Vichy. En suivant l’évolution de la nation depuis les années 1930 jusqu’à l’après-guerre, Philip Nord décrit la façon dont une variété d’acteurs politiques — socialistes, démocrates-chrétiens, technocrates et gaullistes — ont joué un rôle dans la construction de la France moderne. »
« Remettant en cause les interprétations habituelles de la domination américaine et de la faiblesse française dans l’Europe occidentale d’après-guerre, Michael Creswell affirme que la France a joué un rôle clé dans l’élaboration de la guerre froide. Au cours de la décennie d’après-guerre, l’objectif principal du gouvernement américain était de réarmer la République fédérale d’Allemagne dans le cadre d’une force de défense européenne, la Communauté européenne de défense. Les responsables américains et français divergent cependant sur la composition de la CED et sur les règles régissant son organisation et son utilisation.
Bien que les pressions américaines aient joué un rôle, des facteurs plus décisifs — à la fois dans la politique intérieure française et dans les préoccupations internationales de la France — ont finalement conduit la France à approuver le plan de réarmement de l’Allemagne de l’Ouest. Michael Creswell décrit le défi que la France a lancé avec succès aux États-Unis, en retraçant le débat sincère, parfois houleux, entre les deux nations, qui a finalement abouti à des accords de sécurité préférés par les Français, mais acceptables pour les Américains. »
« Anticommunism in French Society and Politics évalue la prévalence de l’anticommunisme au sein de la population française entre 1945 et 1953, et examine ses causes, son caractère et ses conséquences à travers une série d’études de cas portant sur différents segments de la société française. Ces études portent notamment sur le mouvement scout, les organisations familiales, les associations agricoles, les groupes de la classe moyenne, les syndicats et autres organisations de la classe ouvrière. Aaron Clift soutient que l’anticommunisme était plus répandu et plus profondément enraciné qu’on ne le pensait, et qu’il a eu un impact substantiel sur la politique nationale et sur ces groupes et organisations sociales. En outre, il affirme que l’étude de l’anticommunisme nous permet de mieux comprendre les valeurs qu’ils considéraient comme les plus importantes à défendre.
Bien que l’anticommunisme ait été un phénomène diversifié, cet ouvrage identifie des discours communs, notamment la représentation du communisme comme une menace pour la nation, l’empire colonial, la famille traditionnelle, la propriété privée, la religion, le monde rural et la civilisation occidentale. Il met également en évidence les objectifs (tels que la réhabilitation des collaborateurs de guerre) et les tactiques (telles que l’invocation de l’apolitisme) communs. Tout en reconnaissant l’importance de la guerre froide, il rejette l’hypothèse selon laquelle l’anticommunisme serait une importation américaine ou serait étranger à la société française. Il conclut que l’anticommunisme a tiré sa force du lien, voire de l’amalgame, entre le communisme et l’antiaméricanisme. »
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21.07.2024 à 06:00
celianmartin
Charles Quint prend le large. Tallinn se vide. On intrigue à Paris.
Pour accompagner votre été, nous avons sélectionné 22 récits curieux et nouveaux parus en allemand, espagnol, italien, français et polonais.
La sélection des candidats en lice pour le Prix Grand Continent sera annoncée à l'automne.
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Lire à l’échelle pertinente. Que ce soit avec nos sélections mensuelles d’essais ou notre Prix Grand Continent, les dernières parutions sont au cœur de la revue, dans les principales langues du débat européen. Pour ne rien rater, abonnez-vous
« En chaque homme se cache un roi démissionnaire ».
Le roman raconte les derniers jours de la vie de Charles Quint. Ayant abdiqué, retiré dans un monastère à Yuste, en Castille, l’empereur végète tristement entouré d’une Cour déférente, mais qui l’indiffère. Arno Geiger imagine sa rencontre avec un petit garçon de onze ans, qui est en fait un fils naturel ignorant tout de sa noble ascendance. Les deux conviennent de s’enfuir à dos de mulet et de cheval (l’empereur prenant le mulet, le seul animal qu’il arrive encore à monter). Le roman est le récit de ce voyage improbable d’un empereur déchu, et dont les gens qu’il croise ignorent l’identité, et d’un gamin qui, peu à peu, parvient à le ramener à la vie. Un récit très prenant, d’une écriture singulière et très soignée. (Anne Weber)
Le dernier roman de Martina Hefter (lauréate du prix Ingeborg Bachmann 2005) a pour narratrice une femme entre deux âges qui s’occupe de son compagnon, très malade et handicapé. La nuit, elle se met à fréquenter des forums de rencontre où sévissent des love scammers, des escrocs, résidant le plus souvent en Afrique, qui essaient d’extorquer de l’argent à des Européennes en mal d’amour. Elle n’est pas dupe et leur raconte à son tour des mensonges sur sa vie. Elle tombe un jour sur un certain Benu qui n’a pas l’air d’être qu’un escroc. Entre les deux, une vraie histoire d’amour (virtuelle) commence, mais pleine de défiance et d’hésitations des deux côtés.
Le roman fait donc apparaître aussi l’Europe telle qu’elle est vue, espérée, rêvée de loin, une Europe vue de l’extérieur. Il a un aspect politique, qui reste cependant discret, ni démonstratif ni théorique. L’écriture émeut, dans une esthétique résolument contemporaine (la transcription de chats, par exemple, y compris d’émojis qui ne sont pas reproduits tels quels, mais qui, par les noms qu’ils reçoivent, gagnent un aspect poétique inattendu). Un livre à la fois profond, inventif et très actuel. (Anne Weber)
Le personnage principal est une femme issue d’un milieu modeste. Le récit narre la vie de Dora W., qui arrive de Silésie à Dresde. Elle devient mère à seize ans et assiste à la destruction de la ville sous les bombes à vingt-cinq ans. Être gardienne de chèvres à la campagne, puis vendeuse et aide-jardinière dans une petite ville de Basse-Silésie sont les premières étapes de sa vie avant qu’elle ne trouve l’homme de sa vie en Oskar, un compagnon boucher. Elle le suit à Dresde pour y fonder une famille. Elle y passe une courte période ; ce sont ses années d’or, semble-t-il, mais ensuite, la guerre la frappe et ses perspectives s’effondrent, comme tous les autres. Avec elle, c’est la fin de Dresde dans une société empoisonnée par la volonté de puissance et l’illusion raciale.
Avec son histoire, Dors Grünbein (lauréat du Prix Georg Büchner) suit un destin dans le contexte historique, avant et après l’invasion du national-socialisme dans chaque vie individuelle. Que fait la dictature de ces personnes qui ne sont guère à la hauteur de ses exigences et qui se débrouillent tant bien que mal ? Dans ce contexte, l’apparition de la comète de Halley en 1910, qui a alimenté les fantasmes de fin du monde, prend une signification symbolique pour l’anéantissement de la métropole saxonne dans la tempête de feu de février 1945.
À travers l’exemple de Dora W., l’auteur raconte comment l’histoire arrive à ceux qui n’ont pas d’histoire, comme une horreur et une prise de conscience trop tardive.
Dans son nouveau roman, Nora Bossong brosse le portrait de la femme qu’est devenue Magda Goebbels et celui de son jeune amant. Deux personnes prises dans les rouages des événements historiques, impliquées différemment, coupables différemment. Y compris contre eux-mêmes.
Lorsque Hans fait la connaissance de la jeune et belle belle-mère de son ami d’école Hellmut Quandt, il ne se doute pas encore du rôle que Magda va jouer dans sa vie, pour lui personnellement, mais aussi des années plus tard en tant que fanatique du national-socialisme et en tnat que mère modèle du Troisième Reich. La République de Weimar est encore en plein essor et Hans est aussi violemment que désespérément amoureux de Hellmut. Mais après un accident, Hans et Magda entament une liaison dont ils espèrent tirer réconfort et avantages : elle veut échapper à son mariage, il veut cacher son homosexualité. Ce n’est que lorsque Magda fait la connaissance de Joseph Goebbels et adhère au parti national-socialiste que Hans et elle se séparent. Alors que Magda apparaît bientôt avec ses enfants dans les actualités hebdomadaires, Hans se retrouve de plus en plus en danger. Un roman qui raconte sur vingt ans le parcours de deux personnes et celui d’un pays qui, l’un comme l’autre, n’étaient pas inéluctables.
Prada s’intéresse à la communauté d’artistes espagnols qui, après la guerre civile, se sont installés dans le Paris occupé par les Allemands, où les conditions de vie étaient particulièrement difficiles. Ils devaient donc utiliser toutes les ressources à leur disposition pour survivre, même si cela les mettait face à de grands dilemmes moraux.
Le redoutable commissaire Urraca, attaché de police à l’ambassade d’Espagne à Paris, confie à Navales une mission qui lui va comme un gant : faire adhérer des artistes espagnols du Paris occupé aux postulats phalangistes. Dans les pages de ce roman, nous retrouvons des personnalités aussi connues que Picasso, César González Ruano et Gregorio Marañón, ainsi que d’autres personnages secondaires intéressants comme Serrano Suñer, Ana de Pombo et María Casares. Une série de personnages dont les vicissitudes oscillent entre la tragédie, le portrait naturel des abîmes les plus profonds de l’abjection et le roman picaresque le plus pur.
Juan Manuel de Prada allie son immense talent narratif à sa connaissance approfondie du panorama intellectuel, artistique et surtout littéraire de l’Espagne de la première moitié du XXe siècle. Le résultat est un projet littéraire mémorable et d’une qualité extraordinaire dans la grande tradition baroque espagnole : Quevedo, Valle-Inclán et Ramón Gómez de la Serna.
Le tourisme a changé le visage de nombreuses villes. S’il a été un moteur économique, il a aussi généré des effets indésirables et est aujourd’hui clairement insoutenable. Ce livre explore la contradiction entre le luxe que les hôtels haut de gamme vendent à leurs clients et la réalité sociale, économique et professionnelle de ceux qui y travaillent.
À mi-chemin entre le travail anthropologique de terrain, la chronique et l’essai, Anna Pacheco construit un récit magistral sur le tourisme de luxe à Barcelone et réfléchit au repos dans un avenir post-capitaliste. Par une incursion dans le monde du tourisme pour examiner la dynamique du travail qu’il cache, ce livre incisif met le doigt sur un problème brûlant — et l’explore en profondeur. Il s’agit sans aucun doute d’un ouvrage essentiel pour mieux comprendre les grands défis auxquels l’Europe est confrontée en matière urbaine, économique et sociale. (Pablo Cerezo)
L’histoire de l’Espagne est l’histoire d’un passé changeant, paradoxal qui ne peut pas tomber dans la simplification. La richesse et la complexité de cette histoire retrouvent leur centralité dans ce livre. Face aux lectures essentialistes intéressées et aux batailles idéologiques pour le récit qui abondent aujourd’hui, Eduardo Manzano propose un voyage passionnant pour redécouvrir cet héritage sous la forme d’une mosaïque d’identités, de cultures, de territoires, de langues et de civilisations — qui n’est pas sans faire penser à l’histoire de l’Europe en général. De l’Hispanie romaine à la course aux Indes, de l’Al-Andalus musulman à la Transition et de la Sépharade juive à l’unification bourbonienne, on y trouve les clés d’une histoire plurielle, provocante, documentée et ironique.
Avec un récit puissant, loin du langage académique et non dépourvu d’ironie, España diversa ne se contente pas de débarrasser l’histoire espagnole de ses clichés, mais nous apprend que c’est le changement, et non le maintien des essences, qui nous caractérise.
« C’est un livre très important parce qu’il montre que l’Espagne, à travers son histoire, a toujours été un pays diversifié, avec des identités multiples, ce qui est exactement le cas de l’Europe. Pour moi, c’est le livre le plus important qui a été publié cette année en Espagne ». (Guillermo Altares)
Fin 1984, deux jeunes frères guatémaltèques, exilés depuis des années aux États-Unis, reviennent au Guatemala pour partir dans une colonie d’enfants juifs dans une forêt perdue des hautes montagnes. Ils connaissent peu leur pays d’origine et parlent à peine l’espagnol. Leurs parents ont insisté pour qu’ils viennent passer quelques jours au campement afin d’apprendre non seulement les techniques de survie en milieu sauvage, mais aussi les techniques de survie en milieu sauvage pour les enfants juifs, ce qui n’est pas la même chose, leur a-t-on dit. Mais un matin, les enfants découvrent que le camp a été transformé en quelque chose de bien plus sinistre : désormais, chacun devra trouver son propre moyen de survie.
Dans ce livre, l’auteur revient sur un événement de son enfance dans le Guatemala complexe et violent des années 1980, dont les motifs et les ramifications ne commenceront à être élucidés que des décennies plus tard, lors de rencontres fortuites à Paris et à Berlin avec certains de ses protagonistes énigmatiques. Une nouvelle pièce dans le grand roman en marche qu’est l’œuvre d’Eduardo Halfon, l’un des projets littéraires les plus importants de la scène littéraire actuelle.
Mémoire et silence de la colonisation espagnole du Maroc et du Sahara occidental
Depuis des décennies, le regard espagnol qui se pose sur le Maroc et le Sahara occidental se nourrit de malentendus, de pirouettes rhétoriques, de méfiance, de patriotisme et de nostalgie. Dans ce livre, Laura Casielles bouscule les discours les plus répétés et les confronte à des témoignages plus humbles en s’appuyant sur des scénarios historiques pour démonter les fantasmes orientalistes et les sophismes belliqueux. Cette approche permet de comprendre que les relations que l’Espagne a entretenues avec le Maroc et le Sahara occidental au cours des XIX et XX siècles étaient, effectivement, des rapports coloniaux. Dans cet ouvrage, qui associe le meilleur de la chronique et de la littérature de voyage aux outils les plus récents des études post-coloniales, l’autrice libère le passé et le présent des carcans discursifs pour nous permettre d’imaginer de nouvelles façons de nous relier les uns aux autres. Car, comme elle le dit elle-même dans un passage de ce livre, « il faut voir plus de choses, de plus en plus de choses ».
Après de nombreuses années de recherche et d’écriture, reprenant mot pour mot le texte original, en y greffant des centaines de discours et de déclarations d’Hitler lui-même, Stefano Massini nous livre sa biopsie du texte maudit, une distillation féroce où la religion nazie de la rage et de la peur, le culte de l’ego et l’exaltation des masses nous apparaissent dans toute leur force de puissant déjà-vu.
Primo Levi a écrit que rien n’est plus nécessaire que la connaissance pour éviter que la tragédie ne se reproduise, surtout si elle prend lentement forme dans la séduction progressive des masses. Un siècle après qu’Adolf Hitler a dicté son manifeste politique dans une cellule de Landsberg am Lech, ces pages sont devenues l’un des symboles du mal absolu, et à ce titre soumises à l’anathème séculaire qui en a fait un livre interdit. Mais ce cône d’ombre, fils d’un retrait freudien, a contribué à accroître sa mythologie jusqu’à ce qu’en 2016, l’Allemagne décide d’autoriser à nouveau sa diffusion en librairie, précisément pour démonter sa légende et percevoir ses échos dans le présent, avec la conscience que rien ne peut plus détruire l’horreur que le sens critique, et donc la reconversion du monstre dans les périmètres de la réalité. Oui, car Mein Kampf n’est au fond que l’autobiographie d’un trentenaire délirant en quête de boucs émissaires et de débordements existentiels, avec la circonstance aggravante toutefois d’une propension marquée à l’empathie, à l’aube d’un vingtième siècle qui allait élire son apothéose dans le charisme. De cette formule, répétée et encore émulée sous toutes les latitudes, découle l’urgence de nous confronter plus que jamais à un texte qui n’est jamais mort, capable de se re-proposer sous d’autres marques et d’autres couleurs, surtout à une époque où la propagande s’est ramifiée en ligne, et nous atteint désormais par capillarité.
Un roman de guerre, ou plutôt un roman sur la guerre, dans ses multiples incarnations : la guerre proprement dite, celle d’Afghanistan ; celle, plus insaisissable mais tout aussi douloureuse, des relations intimes, affectives et familiales ; et celle, invisible et très dangereuse, de la rage contre soi-même. Un roman qui nous rappelle ce que signifie être humain.
Dans la vie d’un soldat, le « corps militaire » est une seconde maison, l’uniforme une seconde peau qui unifie celui qui le porte. Mais sous l’uniforme, les « corps humains » sont tous différents, souvent de jeunes cœurs qui battent, chacun avec ses contradictions, ses fragilités. Le lieutenant Alessandro Egitto, en Afghanistan depuis cent quatre-vingt-onze jours, le sait bien. Les vingt-sept jeunes hommes de la troisième section de la compagnie Charlie commandée par le maréchal Antonio René le savent bien. Roberto Ietri, le dernier arrivé, qui a à peine vingt ans et se sent inexpérimenté en tout, le sait très bien.Pour eux, la mission dans la vallée du Gulistan est la première grande épreuve de leur vie. Au moment de partir, ils ignorent que la région à laquelle ils sont destinés est l’une des plus dangereuses de toute la zone de conflit. C’est là où l’ennemi est, mais ne se voit pas, à l’abri d’une montagne qui domine la base militaire « Ice » et semble vouloir à tout prix montrer son innocence. Difficile de croire qu’elle abrite une myriade de ravins d’où les talibans épient le moindre mouvement, tandis qu’au camp de base, les soldats, épuisés par la chaleur et la conviction rampante que la menace est irréelle, passent leurs journées entre tours de garde et distractions en tout genre. Jusqu’à ce que la guerre explose sous leurs pieds et grêle au-dessus de leurs têtes. Le corps militaire éclate alors en plusieurs corps humains : certains agissent, d’autres sont paralysés ; certains font de bons choix, d’autres de mauvais ; certains vivent, d’autres meurent. Pour ceux qui restent, la vie change en un instant. Et lorsqu’ils rentreront chez eux, ils auront irrémédiablement franchi la ligne d’ombre qui sépare la jeunesse de l’âge adulte.
« Le jour le plus chaud d’un des étés les plus chauds de mémoire d’homme ».
Federico Desideri, jeune journaliste plein d’espoir mais peu satisfait, est chargé, par le rédacteur en chef du magazine « de niche » avec lequel il collabore, de se rendre à Rome pour interviewer un célèbre réalisateur, auteur d’un film au succès foudroyant, au centre duquel se trouve un charmeur mémorable. Federico découvre rapidement que le réalisateur est un fugitif, mais en contrepartie, lors d’une soirée mondaine, il se voit présenter l’homme qui aurait servi de modèle à ce personnage : Barry Volpicelli. Sorte de psychopompe à mi-chemin entre le joueur de flûte et le Bruno Cortona du Fanfaron de Dino Risi, Barry conduira Federico dans un lieu enchanteur : Paradiso, un immense ensemble de villas et de bungalows délabrés sur la côte du Latium, où il vit en compagnie d’un petit groupe de vieux fous attachants et farfelus. Un ambassadeur qui accumule les produits discount, un gynécologue à la retraite qui élève des poulets d’ornement, le prince Gelasio Aldobrandi qui, en proie à une perpétuelle angoisse « mystico-héraldique », poursuit le rêve irréalisable d’un héritier, un couple de lesbiennes qui regrette l’époque glorieuse où elles étaient invitées au Vatican par le pape Ratzinger, une ancienne bellone qui accuse tout le cinéma italien de lui avoir volé ses idées et, enfin, la première et la deuxième Madame Volpicelli. Entre des conversations interminables d’une futilité délirante et une nuit où l’on menace de tuer l’un des invités, entre l’arrivée d’un célèbre influenceur et une mort suspecte, le jeune Federico verra et apprendra beaucoup de choses pendant son séjour au Paradiso. Jusqu’au moment où il se rend compte qu’il ne peut pas, ou ne veut pas, partir.
« Ce qui manque furieusement à notre époque, c’est un art de vivre avec les technologies. Une faculté d’accueil et de filtre, d’empuissantement choisi et de déconnexion assumée. Des pratiques qui nous ouvrent le monde chaque fois que l’addiction rôde, un rythme d’utilisation qui ne soit pas algorithmé, une écologie de l’attention qui nous décadre et une relation aux IA qui ne soit ni brute ni soumise ». À San Francisco, au cœur de la Silicon Valley, Alain Damasio met à l’épreuve sa pensée technocritique, dans l’idée de changer d’axe et de regard. Il arpente « le centre du monde » et se laisse traverser par un réel qui le bouleverse. Composé de sept chroniques littéraires et d’une nouvelle de science-fiction inédite, Vallée du silicium déploie un essai technopoétique troué par des visions qui entrelacent fascination, nostalgie et espoir. Du siège d’Apple aux quartiers dévastés par la drogue, de rencontres en portraits, l’auteur interroge tour à tour la prolifération des IA, l’art de coder et les métavers, les voitures autonomes ou l’avenir de nos corps, pour en dégager une lecture politique de l’époque et nous faire pressentir ces vies étranges qui nous attendent.
« Comment meurt-on ? En faisant beaucoup d’histoires. La vie des morts est un récit sans fin. Les vivants ne font pas le poids, même quand ils font tout pour se faire remarquer. Le silence et l’invisibilité sont des leurres. La mer d’Alborán, l’entre deux mers, selon son nom arabe, puisqu’outre qu’elle joint ce que les temps ont voulu séparer à tout prix, lie aussi la Méditerranée et l’Atlantique, nous attendait. Ainsi que l’archipel des Baléares ».
Que fait la politique d’immigration européenne aux liens, aux familles et aux corps ? Que faire des corps des disparus de l’exil et comment leur rendre la dignité humaine qui leur a été niée jusque dans la mort ? Sur les côtes de la mer d’Alborán, Marie Cosnay explore la question des morts sur les routes de l’exil, le refus européen de leur accorder une inhumation ou un rapatriement dignes. Elle démasque les meneurs d’un commerce sordide, les vautours qui s’enrichissent du désespoir des familles de disparus, autour de la recherche de ces corps, de leur identification et cherche inlassablement le frère de son ami Ryad, disparu en mer d’Alborán, en tentant de voir les bateaux, de modéliser les naufrages, pour comprendre ces drames.
Des îles (mer d’Alborán 2023) est le dernier volume d’une trilogie qui restera, comme un témoignage au présent de la période que nous traversons, à la fois « l’instruction d’un procès à venir » et le récit d’une catastrophe humanitaire.
« À dix heures, Tallinn est vide, en suspension entre deux occupants. Ce silence d’une heure, une heure précisément, marque la césure entre quatre années de guerre et une nouvelle occupation soviétique de cinquante ans. Dans la partition estonienne, ce n’est même pas une pause : un simple soupir ».
En septembre 1944, les Allemands fuient l’Estonie qu’ils occupaient depuis trois ans, tandis que l’Union soviétique s’apprête à envahir de nouveau le petit État balte. Quelques Estoniens vont tenter de s’infiltrer dans cet interstice pour former un gouvernement indépendant et restaurer la République. Ils n’ont que quelques jours pour réaliser cette mission ; un navire envoyé par la résistance en exil doit les sauver de la descente du rideau de fer. À leur tête, l’avocat Otto Tief, retiré de la vie politique depuis dix ans, soucieux d’accomplir son devoir et de retrouver sa famille à Stockholm. Tief s’engage aux côtés de son ami Jüri Uluots, dernier Premier ministre d’une République condamnée par l’Union soviétique de Molotov et de Staline. Autour d’eux cheminent la poétesse Marie Under, prise au piège d’une capitale assiégée, et tous les destins soumis aux décisions impossibles, aux renoncements et au déracinement. Captivé par le silence entourant ces événements, Xavier Bouvet a souhaité raconter le sursaut des individus face à l’irruption de la violence et de l’inexorable, et décrire les résonances intimes du fracas de l’Histoire. Il compose une fresque haletante, dont on achève la lecture le cœur serré.
Un soir d’automne, un trentenaire russe est visité par des fantômes. Fantômes de sa jeunesse et de toutes les autres : celles et ceux qui crurent un temps que leur pays ne les rangeait plus dans la catégorie des espèces dangereuses, des « pervers sexuels ».
Il décrit une Russie peu connue des Occidentaux, une Russie progressiste qui, le temps d’une décennie, a cru aux droits de l’homme et à l’amour libre. Il évoque l’espoir frémissant des jeunes Russes de ne plus faire semblant, d’être enfin acceptés par leur famille et par la « patrie ». Pouvoir se tenir la main dans les rues de Moscou, oser embrasser son amoureux lors du premier concert de Mylène Farmer à Saint-Pétersbourg, s’éblouir de l’Europe et des États-Unis, ouvrir grand les yeux sur les opportunités d’un monde nouveau.
Espèces dangereuses est le récit polyphonique d’un rêve auquel « on » a cru ensemble. « On », ce pronom qui n’existait pas dans sa jeunesse russe mais qui lui permet aujourd’hui d’y retourner en y emmenant tous les autres : les disparus, les oubliés, les gommés.
« Sergueï Shikalov s’est installé en France en 2016, après l’adoption de lois liberticides et discriminatoires visant les homosexuels en Russie. Il a écrit, directement en français, un premier roman fort sur cet exil, les années de liberté que sa génération a vécues sans voir le pire arriver. Récit d’une mémoire qui excède la sienne, texte sociologique émouvant, interrogation sur une communauté impossible, Espèces dangereuses dépasse ses enjeux propres par une pensée de l’usage de la langue et des formes du récit ». (Hugo Pradelle, En attendant Nadeau)
Au début des années 1980, pour échapper à l’étroitesse de son appartement, une enfant explore avec curiosité ce qui l’entoure : son quartier, l’école au bout de la rue, et l’usine aux trois cheminées où son père travaille. L’enfant habite rue du Passage, au cœur d’une communauté d’habitants venus de l’autre côté de la Méditerranée. Pour la guider dans cet immense terrain de jeu, elle s’est mis en tête de trouver son ange-gardien : serait-ce le passeur de cassettes, qui fait transiter des enregistrements audio d’un continent à l’autre ? La doseuse d’épices, cette diva capricieuse ? Ou la caftanière, dont le talent de couturière rachète la mauvaise réputation ? Au fil des aventures joyeuses de l’enfant, ces métiers précieux, et d’autres encore, sont pour la première fois nommés, et racontés. Car sinon, qui s’en souviendra ?
Dans ce récit saisissant, à la puissance évocatrice, Fatima Ouassak restitue un monde resté aux marges de l’Histoire et de la sociologie : la classe ouvrière immigrée. Rue du Passage célèbre ces passeurs et passeuses, dont le travail a permis aux exilés de faire communauté, de survivre et de transmettre savoirs et résistance.
« Convaincue de la force de l’imagination, dans le sillage de Castoriadis, Ricœur ou Glissant — pour ne citer que des hommes —, Fatima Ouassak travaille farouchement à transmettre ce qu’elle voit de merveilleux dans le monde, sans jamais dissoudre dans le conte l’expérience réelle de ceux qui le peuplent. La vie du quartier se déroule, au rythme des naissances et des morts, des douleurs de l’exil, des joies des retrouvailles à la mosquée, dans le square de l’île aux oiseaux — non sans lutte contre la municipalité — ou au moyen de cassettes qui dressent des ponts invisibles sur la Méditerranée grâce à un facteur boiteux qui n’est pas sans rappeler le colosse de Rhodes, un pied sur chaque rive (ou presque) ». (Sirîne Poirier, En attendant Nadeau)
Il ne saisissait pas tellement l’intérêt de vivre avec les gens. Il a su assez tôt qu’il n’y arriverait pas. Il n’avait pas envie d’apprendre un métier, de gagner de l’argent, d’avoir un savoir-faire ou même de la beauté. Il ne voyait pas pourquoi il aurait dû séduire, les femmes ou bien les hommes, faire le beau, être fort. Il s’en fichait vraiment. C’était quelqu’un de très doux. Vivre lui suffisait. Regarder le ciel, les rochers, les oiseaux. Le reste n’était rien. Il n’avait pas envie de s’extraire de sa condition. Il n’avait pas envie de conquérir quoi que ce soit.
Sa vie durant, Benoît Labre parcourt l’Europe à pied, jusqu’à l’épuisement. Dans Je vais entrer dans un pays, Guillaume Marie retraverse avec justesse et dépouillement son histoire, celle d’une solitude au milieu du XVIIIe siècle, qui se confronte d’abord au rejet de tous puis devient, à l’encontre de ce qu’il cherche, un objet de fascination.
« Peut-on encore composer des “vies de saints”, comme il y a mille ans ? Après Christian Bobin, Pascal Quignard, Pierre Michon et quelques autres, Guillaume Marie se confronte à ce défi, et le résultat est plus que convaincant : extrêmement touchant. Ici, pas de miracles hautement glorifiés, ni de pieuses exagérations destinées à l’édification des fidèles. Pour cette hagiographie contemporaine, l’auteur se place au ras du sol, là où avancent péniblement les pieds noirs de crasse de son personnage, ce jeune homme roux et maigre en rupture de ban […] : Benoît-Joseph Labre (1748-1783), le saint patron des vagabonds et des délabrés en tout genre, canonisé en 1881. Un cœur pur en qui l’auteur semble vouloir trouver un frère ». (Denis Cosnard, Le Monde des Livres)
Lorsqu’Isaac retourne dans son appartement encombré, il le trouve inopinément complètement vide. Que s’est-il passé ici ? Dans une ville étrange, sans nom, soumise à l’état d’urgence depuis des temps immémoriaux, les gens sont porteurs d’un grand mystère. Tout le monde parle de Boris, tout le monde le cherche. Qui est cet homme insaisissable ? Un premier roman courageux de l’auteur de Mrożek. Le strip-tease d’un névrosé.
« Boris ou un jour d’été de Małgorzata I. Niemczyńska est un roman sur une ville balnéaire gouvernée par l’omniprésent Boris et dans laquelle l’état d’urgence prévaut depuis des années. À l’instar de Tomasz Różycki dans Les voleurs d’ampoules et de Georgi Gospodinov dans L’abri du temps, l’auteur recrée avec succès le climat et les spécificités de la dépression d’Europe centrale ». (Karolina Felberg, Kultura Liberalna)
Il y a d’abord eu Albina. Elle a suivi quelques cours à l’école du village, mais son père ne lui a pas permis d’aller plus loin. Ensuite, il y a eu Hanka, déjà titulaire d’un diplôme d’études secondaires, employée de bureau à la mine, et même sportive dans sa jeunesse. Et après Hanka, il y a Maciek, qui a fait de bonnes études et qui fait partie de l’intelligentsia urbaine. À première vue, il s’agit d’une histoire exemplaire de promotion dans le contexte du XXe siècle. Cependant, une question troublante traverse les pages de cet essai autobiographique : s’agit-il vraiment d’une promotion ? Car, après tout, pour parler d’une vie meilleure, il faut supposer que la précédente était pire. Et quand on reconnaît qu’on est enfin devenu quelqu’un, on suppose tacitement que ses prédécesseurs dans le relais des générations étaient des moins que rien.
Maciej Jakubowiak prend sa propre famille comme un cas d’étude, mais il utilise sa propre histoire comme point de départ d’une réflexion plus large sur la promotion sociale. Quel rôle l’éducation, l’État et le travail jouent-ils réellement ? Que nous laisse-t-il : les histoires des parents et des grands-parents, l’attitude face à l’argent et aux voyages, ou peut-être le ventre ? Et comment décrire le fait que, bien que les choses aillent mieux, elles n’ont peut-être pas tout à fait fonctionné ?
« Si, comme moi, vous attendiez un Eribon polonais, le voici. Cet essai magnifiquement écrit raconte l’histoire d’une famille ordinaire et explique comment la pauvreté et l’exclusion ont frappé plusieurs générations de Polonais. Hanka, qui se sentait nulle, a eu de la chance : un fils talentueux qui voyait en elle une grande héroïne littéraire. Mais c’est lui qui a une dette envers elle, et c’est aussi ce dont parle ce livre. Plein d’esprit, émouvant et important ». (Joanna Kuciel-Frydryszak)
Les « débris » (Rumowiska) sont des ruisseaux nombreux, avec chacun sa propre source. Il y a l’histoire du grand-père Tomasz, opposant clandestin et député, les secrets de la grand-mère Helena et de leur petit-fils. C’est l’histoire d’une maison pleine de souvenirs, d’objets mémorables, de secrets cachés et de locataires mystérieux. C’est l’histoire de ceux dont on n’a jamais parlé à voix haute dans la famille. Ces histoires peuvent-elles se rencontrer et se croiser, se fondre en une seule rivière ? Ou resteront-elles à jamais séparées ?
Se fondant dans le courant du roman, Rumowiska est un essai sur la rivière à la façon d’un Élisée Reclus autant qu’une histoire sur les petites gens, pleine de méandres et d’embranchements que l’on découvre à la volée. Faut-il voir dans ces histoires des formes illustrées de l’essai ? Qui raconte vraiment ces vies minuscules, et d’où nous viennent-elles ?
Un roman métaphysique et blasphématoire sur la tragédie de la guerre, qui ne se termine pas avec la signature des traités de paix, mais reste dans ses victimes et se transmet aux générations suivantes. Malwina, une jeune fille dotée d’une sensibilité extraordinaire, fait des rêves de guerre — souvenirs de sa grand-mère — ce qui la fait vivre simultanément dans deux réalités, celle de la guerre (principalement celle du Kresy et de Sibérie) et celle de la Pologne des années 1990.
Les réalités s’interpénètrent, se chevauchent. Malwina, l’attrape-rêves de sa grand-mère, qui a survécu à la tourmente de la guerre, devient une sorte de dibbouk qui donne la parole aux morts. Pour elle, la guerre continue sur les fronts de la nuit et du jour. Une prose puissante, émouvante et brillamment construite.
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31.05.2024 à 14:21
celianmartin
De Van Gogh à Beauvoir en passant par la sécurité nucléaire et l'histoire de l'antisémitisme en Europe, juin est riche parutions.
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« Il est devenu tout à fait clair que les effets de l’accélération du changement climatique seront catastrophiques, qu’il s’agisse de la montée des eaux, des tempêtes plus violentes ou de la désertification. Dès lors, pourquoi les États-nations éprouvent-ils tant de difficultés à mettre en œuvre des politiques transnationales susceptibles de réduire la production de carbone et de ralentir le réchauffement de la planète ? Dans Oceans Rise, Empires Fall, Gerard Toal désigne la géopolitique comme coupable. Les États préféreraient réduire les émissions dans l’abstrait, mais dans la grande compétition mondiale pour le pouvoir géopolitique, ils donnent toujours la priorité à l’accès aux combustibles à base de carbone, nécessaires pour générer le type de croissance économique qui les aide à rivaliser avec les concurrents. Malgré ce que nous savons aujourd’hui des effets à long terme du changement climatique, les luttes géopolitiques continuent donc de mettre à l’écart les tentatives d’arrêter ou de ralentir le processus.
Le conflit ukrainien, en particulier, met en lumière nos priorités. Pour éviter de dépendre des vastes réserves de pétrole et de gaz de la Russie, les États ont augmenté la production de combustibles fossiles, ce qui accroît nécessairement la quantité de carbone dans l’atmosphère. Les impératifs de contrôle territorial des grandes puissances empêchent toute collaboration pour relever les défis communs. Les drames territoriaux, technologiques et de ressources qui se jouent sur l’échiquier géopolitique masquent actuellement la détérioration des systèmes de survie de la planète. Dans la compétition entre la géopolitique et les politiques climatiques durables, la première a la priorité, en particulier lorsque la concurrence se transforme en conflit ouvert. »
Parution le 4 juin
« En octobre 1949, Theodor W. Adorno est revenu de son exil américain dans sa ville natale pour enseigner à nouveau dans une université allemande. Francfort était en ruines, les nazis n’avaient fait que changer de vêtements, mais les étudiants affluaient. Le philosophe fut bientôt entendu chaque semaine à la radio et devint un maître à penser et un “éducateur” de la jeune République fédérale. Lorsque Adorno mourut en 1969, l’Institut de recherche sociale et son directeur étaient connus dans toute l’Allemagne. L’École de Francfort était au zénith de son influence.
Cet espace de pensée et ses métamorphoses entre l’après-guerre et la réunification sont le sujet de ce livre, douze collaborateurs d’Adorno ses protagonistes. Après la mort du “maître”, ils se sont dispersés des rives du Main vers Giessen, Lüneburg ou Starnberg. Jörg Später suit leurs parcours et décrit la façon dont ils ont accepté et transformé l’héritage d’Adorno dans les domaines de la science, de la politique et des nouveaux mouvements sociaux. Adornos Erben réécrit l’histoire de la théorie critique comme un grand récit polyphonique de l’ancienne République fédérale — un pays qui a existé vingt ans avec Adorno et vingt ans sans lui. »
Parution le 17 juin
« Pourquoi la guerre a-t-elle été si présente dans le passé de l’humanité ? Richard Overy n’est pas le premier chercheur à se pencher sur cette question. En 1931, à la demande de la Société des Nations, Albert Einstein invita Sigmund Freud à collaborer à un court ouvrage examinant s’il existait “un moyen de délivrer l’humanité de la menace de la guerre”. Publié l’année suivante sous la forme d’un pamphlet intitulé “Pourquoi la guerre ?”, cet ouvrage présente la conclusion de Freud selon laquelle la “pulsion de mort” rend toute délivrance impossible, l’impulsion psychologique à la destruction étant universelle dans le règne animal. Les guerres mondiales de la fin des années 1930 et des années 1940 semblaient être une preuve suffisante de cette triste conclusion. Historien éminent de ces guerres, Richard Overy apporte ses vastes connaissances et ses années d’expérience pour démêler les motivations complexes de la guerre. Son approche consiste à distinguer ses principaux moteurs et motivations et à examiner la manière dont chacun d’entre eux a contribué à l’organisation des conflits. »
Parution le 4 juin
« L’ascenseur social fonctionne-t-il en Espagne ? Est-il vrai que l’inégalité est nécessaire à la croissance économique ? Dans quelle mesure l’héritage influence-t-il la réussite professionnelle ? Lorsque l’inégalité est étudiée, les réponses à ces questions proviennent généralement exclusivement de l’économie, des sciences politiques ou de la sociologie, mais pas, comme le propose cet ouvrage, d’un point de vue transversal. Les thèmes abordés vont des racines historiques de l’accumulation des richesses au fossé entre les générations, en passant par l’influence du système fiscal, le fossé professionnel entre les hommes et les femmes ou la relation entre la génétique et l’inégalité. Plus de trente experts — nationaux et internationaux — se réunissent dans ces pages pour démonter les mythes qui soutiennent et perpétuent l’inégalité en Espagne. Ce livre offre non seulement une radiographie exhaustive du sujet, mais lance également un appel à l’action pour parvenir à une société plus juste et plus égalitaire. »
Paru le 22 mai
« Dans l’Europe médiévale, les Juifs n’étaient pas des victimes passives de la communauté chrétienne, comme on le croit souvent, mais ils s’affirmaient de manière surprenante, formant une civilisation juive au sein de la société chrétienne latine. Juifs et chrétiens se considéraient tous deux comme le peuple élu de Dieu. Ces revendications contradictoires ont alimenté l’essor de leurs deux cultures, qui sont devenues des rivales pour la suprématie. Dans How the West Became Antisemitic, Ivan Marcus montre comment la concurrence entre chrétiens et juifs dans l’Europe médiévale a jeté les bases de l’antisémitisme moderne.
Les juifs acceptaient les chrétiens comme des pratiquants égarés de leurs coutumes ancestrales, mais considéraient le christianisme comme une idolâtrie. Les chrétiens, quant à eux, considéraient les juifs eux-mêmes — et non le judaïsme — comme méprisables. Ils dirigeaient leur haine contre un Juif réel ou imaginaire : un implacable “ennemi intérieur”. Pour eux, les juifs étaient définitivement et ontologiquement autres, donc impossibles à convertir au christianisme. C’est ainsi que les chrétiens en sont venus à haïr les Juifs, d’abord pour des raisons religieuses, puis pour des raisons raciales. Même lorsque les Juifs ne vivaient plus parmi eux, les chrétiens médiévaux ne pouvaient pas oublier leurs anciens voisins. L’antisémitisme moderne, fondé sur l’image d’un Juif puissant et dominant le monde, est une transformation de cette haine médiévale. »
Parution le 11 juin
« Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les grandes puissances occidentales ont cherché à redéfinir les normes internationales selon leur vision libérale. Elles ont mis en place des organisations multilatérales dirigées par l’Occident pour réguler les flux transfrontaliers, qui ont joué un rôle essentiel dans l’établissement d’un ordre mondial interconnecté. À rebours de cette transformation bien étudiée, Samuel Hirst examine en détail les réponses de l’Union soviétique vaincue de l’entre-deux-guerres et de la Turquie du début de la République, qui ont défié ce nouvel ordre.
Alors que Mustafa Kemal Atatürk prend les armes en 1920 pour renverser les termes de l’accord de Paris, Lénine lui fournit une aide militaire et économique dans le cadre d’un partenariat que les deux parties qualifient d’anti-impérialiste. Au cours des deux décennies suivantes, les États soviétique et turc ont coordonné des mesures communes pour accélérer leur développement dans des domaines allant de l’aviation à la linguistique. Plus important encore, les ingénieurs et architectes soviétiques ont aidé leurs collègues d’Ankara à lancer un plan quinquennal et à construire d’énormes usines d’État pour produire des textiles et remplacer les importations occidentales. Alors que la coopération des kémalistes avec les bolcheviks a souvent été décrite comme pragmatique, ce livre démontre que Moscou et Ankara se sont en fait rapprochés dans le cadre d’une convergence idéologique ancrée dans l’anxiété du sous-développement par rapport à l’Occident, aboutissant progressivement à un internationalisme étatique comme alternative à l’internationalisation libérale de l’Occident. »
Parution le 27 juin
« La polis grecque, ou cité-État, était une institution politique résiliente et adaptable, fondée sur les principes de citoyenneté, de liberté et d’égalité. Apparue vers 650 avant notre ère et ayant perduré jusqu’en 350 de notre ère, elle offrait un moyen de collaboration avec les autres cités-états et de négociation sociale entre une communauté et ses élites, mais à quel prix ? Polis propose un panorama exhaustif de la cité-État grecque antique, de ses diverses formes et de ses caractéristiques durables sur une période d’un millénaire.
Il livre une nouvelle histoire de la polis, retraçant son expansion et son développement en tant que dénominateur commun pour des centaines de communautés, de la mer Noire à l’Afrique du Nord et du Proche-Orient à l’Italie. Il explore ses remarquables réalisations en tant que forme politique offrant à ses membres communauté, autonomie, prospérité, biens publics et espaces de justice sociale. Il nous rappelle également que derrière les succès de l’idéologie et des institutions civiques se cachent des liens avec la domination, l’impérialisme et l’esclavage. Le récit de John Ma, vaste et multiforme, s’appuie sur un riche ensemble de preuves historiques, tout en se confrontant aux vifs débats universitaires et en proposant de nouvelles lectures d’Aristote en tant que grand théoricien de la polis. Polis transforme notre compréhension de l’Antiquité tout en nous mettant au défi de nous attaquer à l’héritage moral d’une idée dont le succès même reposait sur l’inclusion de certains et l’exclusion d’autres. »
Parution le 15 juin
« Prague est entrée dans la Première Guerre mondiale en tant que troisième ville de l’empire des Habsbourg. En 1918, elle est devenue la capitale d’un tout nouvel État-nation, la Tchécoslovaquie. Claire Morelon explore l’aspect, la sonorité et la sensation de cette transition au niveau de la rue. Grâce à des recherches approfondies dans les archives, elle a soigneusement reconstitué la texture sensorielle de la ville, depuis les affiches placardées sur les murs jusqu’aux vitrines des magasins, en passant par les badges portés par les passants et les foules qui se rassemblent pour protester ou célébrer. Le résultat est à la fois un récit atmosphérique de la vie au milieu de la guerre et du changement de régime, et une nouvelle interprétation de l’effondrement impérial vu d’en bas, dans laquelle l’expérience de la vie sur le front intérieur des Habsbourg est essentielle pour comprendre l’ordre mondial de l’après-Versailles qui s’en est suivi. Prague offre un terrain d’étude de cas idéal pour examiner la transition de l’empire à l’État-nation, qui repose sur les rêves révolutionnaires d’une distribution plus équitable et de nouvelles formes de participation politique. »
Parution le 6 juin
« Le Oxford Handbook of Nuclear Security propose un examen complet des efforts déployés pour sécuriser les actifs nucléaires sensibles et atténuer le risque de terrorisme nucléaire émanant d’acteurs non étatiques. Il vise à donner au lecteur une compréhension globale de la sécurité nucléaire en explorant ses dimensions juridiques, politiques et techniques aux niveaux international, national et organisationnel. Reconnaissant qu’il n’existe pas d’approche unique de la sécurité nucléaire, l’ouvrage explore les éléments et concepts fondamentaux dans la pratique à travers un certain nombre d’études de cas qui montrent comment et pourquoi les approches nationales et organisationnelles ont divergé. Bien qu’il soit axé sur la critique des activités passées et actuelles, l’ouvrage aborde également des aspects inexplorés mais pourtant cruciaux de la sécurité nucléaire, ainsi que la manière dont les lacunes des efforts internationaux pourraient être comblées. »
Parution le 20 juin
« José María Barreda, qui se définit comme un “militant de base”, offre dans ce livre des clés pour comprendre les motivations des étudiants qui se sont engagés contre le franquisme et ont contribué à ce que, si le dictateur est mort dans son lit, la dictature soit vaincue dans la rue. L’auteur rend compte de leur évolution idéologique, parallèle à celle de la gauche dans son ensemble, depuis l’influence de Vatican II, en passant par l’abandon du léninisme par le PCE, l’abandon du marxisme par le PSOE, jusqu’aux convictions sociales-démocrates qui conduisent à la lutte pour que tous les êtres humains soient traités avec dignité et bénéficient d’une sécurité du berceau à la tombe. Tout cela dans un contexte historique où la sortie de la dictature se jouait dans la tension entre les réformistes du régime et les rupturistes de l’opposition démocratique. »
Parution le 3 juin
« Le missionnaire est l’une des figures clés de la modernité : un homme prêt à partir vers des contrées lointaines en obéissant à un ordre ou à cette voix intérieure que l’on appelle la vocation. Il est alors le médiateur de la rencontre entre les hommes, le professionnel du contact entre des peuples qui s’ignorent, le témoin placé à la jonction de cultures et d’univers mentaux différents, souvent incompatibles. Il lui revient de concilier l’idée occidentale de Dieu comme personne avec les notions totalement différentes des cultures orientales.
Son modèle devait se heurter à celui du croisé, prêt à toutes les violences, y compris la guerre, pour obtenir par la force l’adhésion qui lui était refusée. Au fil du temps, le pouvoir de donner la missio, longtemps concentré entre les mains du pontife, a été progressivement délégué à d’autres figures de la hiérarchie ecclésiastique, mais aussi aux souverains des États européens qui voyaient dans l’organisation des ordres missionnaires un puissant instrument de domination coloniale. »
Parution le 21 juin
« La résistance des Noirs à la suprématie blanche est souvent réduite à une simple dialectique binaire entre la non-violence de Martin Luther King Jr. et le “par tous les moyens” de Malcolm X. Dans We Refuse, l’historienne Kellie Carter Jackson nous invite à dépasser cette fausse alternative en proposant un examen sans complaisance de l’ampleur des réponses apportées par les Noirs à l’oppression blanche, en particulier celles mises en œuvre par les femmes noires.
Le rejet de la “violence noire” comme forme illégitime de résistance est lui-même une manifestation de la suprématie blanche, une distraction de la violence insidieuse et implacable du racisme structurel. La force, qu’il s’agisse d’arrêts de travail, de destructions de biens ou de révoltes armées, a joué un rôle essentiel dans l’obtention de la liberté et de la justice pour les Noirs depuis l’époque des révolutions américaine et haïtienne. Mais la violence n’est qu’un outil parmi d’autres. Kellie Carter Jackson examine d’autres tactiques, non moins vitales, qui ont façonné la lutte des Noirs, depuis le pouvoir réparateur de la joie face à la souffrance jusqu’à la force tranquille du simple fait de s’éloigner. »
Parution le 4 juin
« Simone de Beauvoir a sans doute été l’intellectuelle de gauche la plus influente en France et dans le monde, des années 1950 jusqu’à sa mort, en 1986. Comme toute célébrité, elle a reçu des milliers de lettres. Mais contrairement à d’autres figures publiques et de façon tout à fait exceptionnelle, elle en a conservé environ 20 000 et a entretenu de nombreuses correspondances suivies, notamment avec ses lectrices “ordinaires”. Lorsqu’il y a dix ans je me suis lancée dans la lecture de ces lettres, j’ai eu l’immense privilège de rencontrer cinq des correspondantes les plus assidues de Simone de Beauvoir : Colette Avrane, Huguette-Céline Bastide, Mireille Cardot, Claire Cayron et Blossom Margaret Douthat Segaloff. Ce sont leurs lettres, accompagnées des réponses de l’écrivaine, qui sont publiées dans ce recueil.
Véritable plongée dans l’intimité de cinq femmes, ces lettres donnent aussi à voir le tissu culturel et social des Trente Glorieuses. L’adolescence, le lesbianisme, la contraception, le couple, les violences conjugales, la lutte contre l’ordre dominant bourgeois ou encore l’anticolonialisme et le racisme sont autant de sujets abordés. On y découvre en même temps un aspect inédit de la personnalité et de la trajectoire intellectuelle de Beauvoir qui permet de renouer avec la radicalité et la portée révolutionnaire de sa pensée. »
Parution le 12 juin
« Vincent van Gogh (1853-1890) est le plus souvent présenté comme le peintre de la nature par excellence, dont l’œuvre tire sa force de ses rencontres directes avec des paysages intacts.
Michael Lobel bouleverse cette vision banale en montrant comment les tableaux de Van Gogh sont inséparables de l’ère industrielle moderne dans laquelle l’artiste a vécu — depuis ses usines et ses ciels pollués jusqu’à ses mines de charbon et ses usines à gaz — et comment son art s’est inspiré des déchets et de la pollution pour ses sujets, voire pour les matériaux mêmes dont il était fait. Michael Lobel souligne comment l’engagement de Van Gogh dans les réalités environnementales de son époque constitue un avertissement répété des menaces de changement climatique et de destruction écologique auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui. »
Parution le 25 juin
« Comment articuler histoire et tradition orale ? À cette question structurelle pour l’histoire de l’Afrique — et bien au-delà —, il est répondu ici par l’exemple, par l’établissement d’une source nouvelle : les récits historiques de la région de Maroua, aujourd’hui au nord du Cameroun, du traditionniste Oumarou Tchinda, enregistré au tournant des années 1980 et 1990. Placés en première partie du volume, ces récits originaux en fulfulde, traduits en français, conservent toute la spontanéité et la musicalité de la parole vive. Ils sont éclairés par une introduction qui donne les clés de l’histoire de la région et présente les conditions d’enquête comme celles de l’établissement du texte. En deuxième partie, la chronique en langue originale est enrichie d’un vaste commentaire, nourri des récits de plusieurs autres traditionnistes rencontrés et enregistrés au fil des années, parmi lesquels Saïdou Mal Hamadou et Hamadou Dalil.
Cet ensemble documentaire d’une très grande richesse permet de revenir sur les principaux moments qui ont marqué la région du XVIIIe au début du XXe siècle — entre conquête peule, chefferies traditionnelles et période coloniale. Il nous transmet des mémoires enchâssées conduisant de la période mythique des hommes à queue qui vivaient jadis dans les termitières jusqu’aux hauts faits de Zigla Greng, le prince des brigands, qui défrayait la chronique à l’heure de l’occupation allemande. »
Parution le 13 juin
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03.05.2024 à 06:00
celianmartin
De Nietzsche à Matteotti en passant par Charlie Chaplin, notre sélection des nouvelles parutions en sciences sociales pour le mois de mai vous fait voyager en cinq langues. De l’Asie centrale du « Grand jeu » à l’importance des épices venues des îles Moluques — et de celle de la poésie à l’âge du désenchantement.
L’article 20 livres à lire en mai 2024 est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Lire — à l’échelle pertinente : chaque mois, le Grand Continent vous propose une sélection des dernières sorties en sociale en plusieurs langues. Pour ne rien rater, abonnez-vous
« La Grande-Bretagne et la Russie ont maintenu une civilité glaciale pendant quelques années après la défaite de Napoléon en 1815. Mais dès les années 1820, leurs relations ont dégénéré en une rivalité acrimonieuse et constante autour de la Perse, de l’Empire ottoman, de l’Asie centrale — le Grand Jeu — et, vers la fin du siècle, de l’Asie de l’Est.
The First Cold War restitue le point de vue russe sur ce « jeu », en s’appuyant sur les archives tsaristes. Chacune des deux puissances mondiales est alors convaincue des visées expansionnistes de l’autre, qu’elle considèrent comme s’exerçant à ses dépens. Quand l’une réussit, l’autre fait monter les enchères, et c’est ainsi que les choses s’enveniment. Londres et Saint-Pétersbourg n’ont certes été en guerre ouverte qu’une seule fois, lors de la guerre de Crimée. Mais la russophobie et l’anglophobie se sont enracinées de part et d’autre tandis que ces deux grands empires restaient au bord des hostilités pendant près d’un siècle.
Ce n’est que lorsque la Grande-Bretagne et la Russie ont reconnu qu’elles avaient plus à craindre de l’Allemagne wilhelminienne qu’elles ont largement mis de côté leurs rivalités par la convention anglo-russe de 1907, qui a également eu des répercussions majeures sur l’équilibre des pouvoirs en Europe. »
« Les épices ont été le moteur de l’économie mondiale au début des temps modernes et, pour les Européens, elles représentaient une richesse sans précédent. Les clous de girofle et les noix de muscade ne pouvaient atteindre l’Europe qu’en empruntant un réseau complexe de routes commerciales et, pendant des décennies, les explorateurs espagnols et portugais ont rivalisé pour trouver leur source insaisissable. Mais lorsque les Portugais ont finalement atteint les îles à épices des Moluques en 1511, ils ont déclenché une compétition féroce pour leur contrôle.
Roger Crowley montre comment cette lutte a façonné le monde moderne. De 1511 à 1571, les puissances européennes ont relié les océans, établi de vastes empires maritimes et donné naissance au commerce mondial, tout cela dans le but de contrôler l’approvisionnement en épices. Nous emmenant en voyage depuis les chantiers navals de Séville jusqu’à l’immensité du Pacifique, en passant par les îles volcaniques aux épices d’Indonésie, le cercle arctique et les côtes chinoises, cette histoire est riche en témoignages vivants des aventures, des naufrages et des sièges qui ont marqué les premières rencontres coloniales – et remodelé l’économie mondiale pour les siècles à venir. »
Parution le 14 mai
Sous la direction de Giuliano da Empoli.
Avec les contributions d’Anu Bradford, Josep Borrell, Julia Cagé, Javier Cercas, Dipesh Chakrabarty, Pierre Charbonnier, Aude Darnal, Jean-Yves Dormagen, Niall Ferguson, Timothy Garton Ash, Jean-Marc Jancovici, Paul Magnette, Hugo Micheron, Branko Milanovic, Nicholas Mulder, Vladislav Sourkov, Bruno Tertrais, Isabella Weber, Lea Ypi.
« En 1925, des femmes se présentent aux élections municipales sous la bannière communiste, alors même qu’elles n’ont pas le droit de vote, et encore moins celui d’être élues. Parmi elles, Joséphine Pencalet à Douarnenez, en Bretagne. Fille de marin, elle fait partie de ces sardinières, les Penn Sardin, qui quelques mois plus tôt ont défrayé la chronique pour avoir mené une grève dure, longue et victorieuse. Elle est élue. C’est une première dans la vie politique française. Mais la victoire est de courte durée. L’élection est invalidée et Joséphine Pencalet tombe dans l’oubli jusqu’à sa redécouverte progressive à la faveur des initiatives de passeurs de la mémoire locale et du renouveau féministe. Mais qui était vraiment Joséphine Pencalet ? Une Louise Michel bretonne ? Une féministe avant l’heure ?
Pour répondre à ces questions, Fanny Bugnon se penche sur les archives, les traces et les silences laissés par cette femme au destin tout à la fois ordinaire et remarquable. Retraçant son itinéraire, elle dévoile les enjeux sociaux, politiques et économiques qui ont traversé la condition féminine au cours du XXe siècle, bien au-delà du port breton. »
Parution le 10 mai
« Cet ouvrage rédigé par deux historiens de renom propose une étude complète du tirage au sort en tant qu’institution centrale de la société grecque antique. Les auteurs explorent l’état d’esprit égalitaire, « horizontal », exprimé par le recours au tirage au sort, qui s’oppose à une vision descendante de l’autorité et de la souveraineté. Le tirage au sort présuppose l’égalité entre ceux qui y prennent part. Il était utilisé pour distribuer des terres, des héritages, du butin, de la viande sacrificielle, sélectionner des individus, fixer des tours, mélanger et réorganiser des groupes, ou encore connaître la volonté des dieux.
Le tirage au sort cristallisait les frontières de la communauté et soulignait sa souveraineté. Le livre étudie ensuite la transposition du tirage au sort au gouvernement de la polis. L’égalitarisme implicite du tirage au sort est souvent en conflit avec les perceptions descendantes de la société et les valeurs d’inégalité, de statut et de mérite. Le tirage au sort a été introduit dans les oligarchies et les démocraties à un rythme et à une échelle inégaux. »
Parution le 21 mai
« Après la Première Guerre mondiale, l’influence américaine se répand dans le monde entier, et l’Espagne n’y échappe pas. À une époque de modernisation intense de la société, l’irruption de la culture de masse américaine y suscite une passion soudaine. Pour de nombreux Espagnols nés avec le siècle, la « Yanquilandia », comme Unamuno appelait le vieil ennemi de 98, devient un modèle de civilisation et façonne de manière décisive leur vision du monde. Les émigrants transmettent dans leurs lettres et leurs photographies l’image des États-Unis comme une terre promise, pleine de progrès techniques et sociaux, et les architectes construisent des gratte-ciel — ou « rascacielitos » — qui tentent d’imiter ceux de New York et de Chicago.
Juan Francisco Fuentes décrit l’esprit des « happy twenties » espagnoles, une époque marquée, malgré le nationalisme et le puritanisme officiels, par l’hédonisme, la liberté et la fascination pour l’American way of life. En Espagne, on danse le fox-trot et le charleston, le jazz et les marques américaines triomphent, les stars du cinéma muet comme Charles Chaplin et Buster Keaton font fureur et inspirent l’avant-garde artistique et littéraire et, en particulier, la Génération de 27. Cette idylle avec les États-Unis, qui touche aussi la gauche, même en pleine guerre de Sécession, est un phénomène aussi révélateur que méconnu. »
Parution le 23 mai
« Ce livre tente d’élaborer une histoire intellectuelle de la déficience mentale en retraçant les débats sur la valeur de la vie handicapée tels qu’ils ont été menés au cours des 150 dernières années. L’abîme de cette époque a été un projet de meurtre de masse presque inimaginable, qui a une histoire complexe et une postérité étonnamment longue. Désapprendre l’eugénisme s’est avéré être un processus extraordinairement tenace en Allemagne, qui n’est toujours pas terminé aujourd’hui.
Dagmar Herzog décrit les conflits récurrents sur l’interprétation des faits et les conséquences pratiques à en tirer. Dans ces débats à forte charge tant politique qu’émotionnelle, des concepts issus de la médecine et de la pédagogie se sont mêlés à des conceptions théologiques, mais aussi à celles concernant le travail et la sexualité, la vulnérabilité humaine et l’interdépendance. Comment penser et ressentir les concitoyens atteints de troubles cognitifs et de diagnostics psychiatriques les plus divers ? Comment les traiter ? En débattant de ces questions, les Allemands se sont toujours interrogés sur l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes en tant que nation. »
Parution le 20 mai
« Les Européens ont été les premiers à faire le tour du globe, en 1522. Ils ont donné à la mondialisation son impulsion par les voyages, le commerce et la colonisation, unifiant le monde comme leur vaste empire. Ils n’étaient pas une civilisation, ils étaient la civilisation.
Aujourd’hui, ils assistent au retour du balancier : désormais, l’histoire, c’est les autres. La rivalité entre les États-Unis et la Chine relègue au second plan un Vieux Continent confronté à nouveau à la guerre contre la Russie. Voilà le phénomène que Pierre Haroche met en lumière : le rôle de plus en plus crucial de la nouvelle compétition mondiale entre puissances dans le destin européen. Sous l’effet des dernières crises, dont l’électrochoc ukrainien, les Européens sont contraints d’innover, de se repenser, pour surmonter leurs faiblesses. Une nouvelle Europe est en train de sortir de la forge du monde. Explorer cette boucle inattendue, cette valse séculaire entre deux entités titanesques — l’Europe et le monde —, tel est le projet de ce livre. Car nous sommes à la croisée des chemins. »
Parution le 2 mai
« Le 10 juin 1924, à 16h30, à Rome, sur le lungotevere Arnaldo da Brescia, un homme est embarqué de force dans une voiture. Il s’agit de Giacomo Matteotti, opposant indomptable au fascisme et à Benito Mussolini. Le « crime de Matteotti », dont on commémore cette année le centenaire, est sans doute la plus grande « affaire » de l’histoire italienne.
Fabio Fiore commence par analyser la scène et décrire les mécanismes du crime. Ensuite, il en débusque les auteurs et leurs commanditaires — le Duce et son entourage — et raconte la formidable lutte pour le pouvoir et la survie d’hommes divisés sur tout, mais unis par le mensonge et par la certitude que pour se sauver, ils doivent sauver Benito Mussolini à tout prix. Il s’interroge ensuite sur les motivations possibles du crime. Enfin, comme dans tout crime, il y a un « après », les multiples « issues de secours » de l’affaire : des procès de 1926 et 1947 au sort de chaque protagoniste dans les décennies suivantes. Mais il y a surtout Giacomo Matteotti. Jusqu’à présent, cette figure était comme un fantôme : une absence, un corps, la victime. L’auteur nous invite à nous demander : qui est Matteotti, qui était-il ? Et pourquoi lui ? »
Parution le 17 mai
« Ce livre décrit et explique les principaux événements, personnalités, conflits et convergences qui ont façonné l’histoire du monde musulman. Le corps de l’ouvrage conduit le lecteur des origines de l’islam à la veille du XIXe siècle, et un épilogue poursuit l’histoire jusqu’à nos jours. Michael Cook propose ainsi une vaste histoire d’une civilisation remarquable à la fois par son unité et sa diversité.
Après avoir planté le décor dans le Moyen-Orient de la fin de l’Antiquité, le livre dépeint la montée de l’islam comme l’un des grands cygnes noirs de l’histoire. Il présente ensuite l’essor spectaculaire du califat, un empire qui, au moment de son éclatement, a favorisé la formation d’une nouvelle civilisation. Il couvre ensuite les diverses histoires des principales régions du monde musulman, en fournissant un compte rendu détaillé des principaux développements militaires, politiques et culturels qui ont accompagné l’expansion de l’islam vers l’est et vers l’ouest, du Moyen-Orient aux rives de l’Atlantique et du Pacifique. »
Parution le 7 mai
« Le corps est un langage à Rome, dont Sarah Rey propose d’étudier la grammaire à travers le prisme riche et original de la main. Que nous apprend-t-elle du monde romain, de sa symbolique et de ses usages, des plus traditionnels aux plus surprenants ?
La main prête serment à Rome, scelle les contrats, pratique les rituels, soigne, commande, exécute, affranchit, est aussi éloquente que la voix…, mais elle peut encore se montrer impie, défaillante ou disgracieuse, et être frappée d’interdit. Dextra ou sinistra, célébrée ou crainte, et parfois même mutilée, la main se révèle un outil essentiel dans l’élaboration des codes moraux, sociaux et religieux des débuts de la République à l’avènement de l’Empire. Sarah Rey montre combien son importance est manifeste au sein de toutes les couches de la population romaine, des élites dirigeantes aux travailleurs manuels, artisans comme paysans, en passant par les soldats, les prêtres et les médecins. On explore ainsi, à travers la main, toute une série d’expressions de ce qui fait au quotidien la romanité. »
Parution le 2 mai
« Le mouvement socialiste plonge ses racines dans les idées révolutionnaires internationalistes du XIXe siècle, se développe dans les pays industrialisés d’Europe au long du XXe et façonne le visage politique, social et culturel du Vieux Continent — à la différence de son « frère ennemi », le communisme, qui se déploie dans le même temps à l’échelle mondiale.
Gilles Vergnon élargit la focale au-delà de la France, met l’accent sur les temps forts du socialisme européen, ses combats, ses principales figures, ses controverses et ses échecs. Il suit son accommodation progressive aux contraintes de l’exercice gouvernemental et ses transformations au contact du réel.
Tout à la fois idée, formalisée en doctrine, tendance partisane et culture politique le socialisme semble affaibli cent cinquante ans après son émergence, et traverse dans certains pays une crise identitaire majeure. Il n’en reste pas moins un mouvement omniprésent et un acteur essentiel de la scène politique et sociale européenne. »
Parution le 30 mai
« Les Cours, conférences et travaux sont des témoignages inédits du « travail » de Foucault avec Nietzsche. Ces textes datent des deux grandes périodes de sa vie intellectuelle : d’abord le début des années 1950, quand il s’intéresse à Hegel et à la phénoménologie, ainsi qu’au marxisme. Le jeune Foucault expérimente alors de nouvelles approches pour développer une philosophie fondée sur l’expérience et l’analyse du discours. Ensuite, après la publication des Mots et les Choses en 1966, lorsque Foucault revient avec élan à Nietzsche pour élaborer sa propre méthode généalogique, relançant ainsi son projet d’une histoire de la vérité et du dire vrai.
C’est à travers la confrontation avec Nietzsche que Foucault aura construit sa propre manière de philosopher. Ces Cours, conférences et travaux sont indispensables pour comprendre comment Foucault a lu Nietzsche, en particulier au moment décisif où il le découvre. Ils sont essentiels pour saisir le Nietzsche de Foucault. »
Parution le 31 mai.
« Depuis le 23 mai 1992, date du massacre de Capaci, Francesca Morvillo a été enfermée et invisibilisée, réduite au statut de « femme de » Giovanni Falcone, morte d’une tragique fatalité. Au contraire, elle fut une magistrate d’une extrême valeur, pendant plus de seize ans substitut du procureur au Tribunal des mineurs de Palerme où, avec une approche avant-gardiste, elle a tenté de réhabiliter des mineurs qui s’étaient retrouvés en prison. Plus tard, à la Cour d’appel, elle a suivi des procès cruciaux contre la mafia, dont celui contre Vito Ciancimino. À partir de témoignages exclusifs, comme celui de son frère Alfredo, et de documents inédits, Sabrina Pisu esquisse un portrait profond de Francesca Morvillo : une femme libre et réservée, éprise d’un idéal de justice, qui préférait aux mots l’engagement silencieux et le devoir quotidien. »
Paru le 30 avril
« La guerre civile espagnole, traditionnellement délimitée entre 1936 et 1939, a eu un autre visage : celui de la guerre irrégulière, un affrontement aux caractéristiques très différentes qui a d’ailleurs duré jusqu’en 1952. Dans ce livre, Arnau Fernández Pasalodos se penche sur cette guerre et sur les dynamiques qui ont déterminé le fonctionnement de la Garde civile au début du régime franquiste. Il en ressort un portrait à multiples facettes de la brutalité et de la répression exercées à tous les niveaux à l’encontre des partisans, de leurs collaborateurs, de leurs familles et même des civils en dehors du conflit. Mais en même temps, ce livre met en lumière un autre aspect que l’historiographie a négligé : la réalité de l’action de la garde civile dans la lutte anti-guérilla. De nombreux membres de ce corps n’étaient pas là pour des raisons idéologiques, mais par nécessité. Ils recevaient l’un des salaires les plus bas en échange d’une vie de misère. Ils avaient peur et évitaient souvent d’obéir aux ordres qu’ils recevaient. »
Parution le 8 mai
« Réagissant à la chute des ordres cosmiques à la fois métaphysiques et moraux, les romantiques ont eu recours à la poésie pour reprendre contact avec la réalité placée au-delà de leur existence fragmentée. Ils ont cherché à surmonter le désenchantement et ont tâtonné vers un nouveau sens de la vie. Leurs réalisations ont été prolongées par les générations post-romantiques. Charles Taylor nous emmène de Hölderlin, Novalis, Keats et Shelley à Hopkins, Rilke, Baudelaire et Mallarmé, puis à Eliot, Miłosz et au-delà.
En recherchant une compréhension plus profonde et une orientation différente de la vie, le langage de la poésie n’est pas simplement une présentation agréable de doctrines déjà élaborées ailleurs. Au contraire, insiste Taylor, la poésie nous persuade par l’expérience de la connexion. La conviction qui en résulte est très différente de celle obtenue par la force de l’argumentation. Par sa nature même, le raisonnement de la poésie est souvent incomplet, provisoire et énigmatique. Mais en même temps, sa perspicacité est trop émouvante — trop manifestement vraie — pour être ignorée. »
Parution le 21 mai
Sous la direction de Giuliano da Empoli.
Avec les contributions d’Anu Bradford, Josep Borrell, Julia Cagé, Javier Cercas, Dipesh Chakrabarty, Pierre Charbonnier, Aude Darnal, Jean-Yves Dormagen, Niall Ferguson, Timothy Garton Ash, Jean-Marc Jancovici, Paul Magnette, Hugo Micheron, Branko Milanovic, Nicholas Mulder, Vladislav Sourkov, Bruno Tertrais, Isabella Weber, Lea Ypi.
« Les relations de Goethe avec les juifs de son temps étaient plus qu’ambiguës. À côté d’une certaine fascination, il y avait des préjugés et — surtout dans les dernières années de Goethe — une véritable hostilité, qu’il n’exprimait toutefois qu’en privé. Sur la base de sources jusqu’ici inexploitées, W. Daniel Wilson dévoile cet aspect difficile de l’œuvre et de l’activité de Goethe.
« Selon les anciennes lois, aucun juif ne peut passer la nuit à Iéna. Cette louable disposition devrait certainement être mieux maintenue à l’avenir que jusqu’à présent ». C’est ce qu’écrivait Goethe dans une lettre de 1816. Dans ses déclarations et activités publiques, il se présentait le plus souvent comme un ami des juifs, afin de ne pas perdre ses nombreux admirateurs et admiratrices juifs. Mais c’est surtout à partir de 1796 qu’il s’opposa fermement à l’émancipation des juifs. Cette attitude n’était d’ailleurs qu’en contradiction apparente avec ses contacts amicaux avec certains juifs cultivés. »
Parution le 16 mai
« Le 9 juillet 1860, une foule en colère déferle sur les quartiers chrétiens de Damas. Pendant huit jours, la violence fait rage, causant la mort de cinq mille chrétiens, le pillage de milliers de magasins et la destruction d’églises, de maisons et de monastères. Cette flambée soudaine et féroce a choqué le monde entier, laissant les chrétiens syriens vulnérables.
S’appuyant sur des témoignages inédits, Eugene Rogan raconte comment une ville multiculturelle paisible a été engloutie par les massacres. Il retrace la manière dont les tensions croissantes entre les communautés musulmanes et chrétiennes ont conduit certains à considérer l’extermination comme une solution raisonnable. Il raconte également la suite de ce désastre, et comment le gouvernement ottoman s’est empressé de reprendre le contrôle de la ville, de mettre fin à la violence et de réintégrer les chrétiens dans la communauté. Ces efforts de reconstruction de Damas ont été couronnés de succès et ont permis de préserver la paix pendant les 150 années suivantes, jusqu’en 2011. »
Parution le 7 mai
« La Sainte-Alliance est aujourd’hui associée à une conspiration réactionnaire. Dans ce livre, Isaac Nakhimovsky montre qu’elle puise ses origines dans la pensée des Lumières, expliquant pourquoi de nombreux contemporains libéraux l’ont d’abord accueillie comme la naissance d’une Europe fédérale et l’aube d’une ère de paix et de prospérité pour le monde. En examinant comment la Sainte-Alliance a pu représenter à la fois une idée de progrès et un emblème de réaction, Isaac Nakhimovsky offre un nouveau point de vue sur l’histoire des alternatives fédératives à l’État-nation. Il en résulte une meilleure compréhension de l’attrait récurrent de ces alternatives et des raisons pour lesquelles la politique de fédération a également été associée à une résistance bien ancrée aux objectifs émancipateurs du libéralisme.
Isaac Nakhimovsky relie l’histoire de la Sainte-Alliance à l’histoire transatlantique mieux connue du constitutionnalisme du XVIIIe siècle et des efforts déployés au XIXe siècle pour abolir l’esclavage et la guerre. Il montre également comment la Sainte-Alliance a été intégrée dans divers récits libéraux de progrès. De la Société des Nations à la guerre froide, des analogies historiques avec la Sainte-Alliance ont continué à être établies tout au long du XXe siècle, et Isaac Nakhimovsky montre comment certains des problèmes politiques fondamentaux soulevés par la Sainte-Alliance ont continué à réapparaître sous de nouvelles formes et dans de nouvelles circonstances. »
Parution le 28 mai
« Depuis plus de quarante ans que le sujet migratoire s’est imposé dans le débat public, la presse n’a pas cessé de souligner le tabou qu’il représenterait pour les formations se réclamant, de façon très large, du socialisme. Pourtant, pendant près d’un siècle et demi, celui-ci a mobilisé l’imaginaire de l’« internationalisme » comme un moyen d’expier les effets mortifères des frontières. Cette aspiration a-t-elle été à la hauteur de ses ambitions, et peut-elle l’être encore ? Ou bien était-elle déterminée par un contexte historique et des expériences individuelles aujourd’hui périmées ?
Cet ouvrage de synthèse historique propose un tour d’horizon mondial du rapport des gauches aux migrations, depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Nous y croisons des adeptes de Jakob Frank pris dans le tourbillon révolutionnaire français, des travailleurs chinois chassés de Californie à la fin du XIXe siècle, des ouvriers vietnamiens employés dans les usines est-allemandes puis engagés comme experts en Angola… Par-delà leur diversité, ces trajectoires interrogent la tension constitutive de la modernité socialiste, entre un horizon mondial et des réalités nationales ou locales qui lui résistent. »
Parution le 22 mai
« Le continent européen fait face à une série de crises sans précédent dont la guerre en Ukraine, la crise climatique et la montée du populisme sont les plus saillantes à ce jour. Sous-équipée par rapport à la Chine et aux États-Unis pour y répondre et incapable d’investir massivement au même titre que ses concurrents, l’Europe décroche.
Cette faiblesse de l’Union trouve son origine dans l’illégitimité congénitale du Parlement européen. Les nombreuses tentatives des parlementaires fédéralistes pour l’imposer comme le garant de la démocratie européenne ont échoué : impuissante à mobiliser les ressources collectives des sociétés, l’institution semble jouer contre elle-même. D’autres voies sont pourtant possibles pour permettre à l’Union d’agir démocratiquement, comme la création, à côté du Parlement européen, d’une seconde chambre constituée de représentants des parlements des États membres, dont la légitimité, notamment en matière fiscale, ne fait pas question. »
Parution le 17 mai
L’article 20 livres à lire en mai 2024 est apparu en premier sur Le Grand Continent.
21.04.2024 à 17:30
Matheo Malik
Incendire, le dernier livre d'Hélène Cixous, part de l’expérience vécue d’un méga-feu pour remonter le fil de ses vies.
Dans une conversation fleuve avec le critique d’art Hans Ulrich Obrist, elle jette des ponts entre la permanence d’un ailleurs très ancien et le motif tout proche de la fin du monde pour penser son rapport à la langue et à l’inachevé — accompagnée par Montaigne, Kafka, Rilke, Ronsard, Moïse et la Méduse.
L’article « Tout commence avec le feu », une conversation avec Hélène Cixous est apparu en premier sur Le Grand Continent.
La traduction est au cœur du projet de la revue. Depuis notre lancement, nous avons ouvert nos pages aux plus grandes voix de la littérature mondiale — des Prix Nobel Wole Soyinka ou Mario Vargas Llosa à la romancière Scholastique Mukasonga ou au poète Philippe Jaccottet. Premier prix qui reconnaît chaque année un grand récit européen et dont la dotation est sa traduction dans les autres langues continentales, le Prix Grand Continent a été remis l’année dernière au polonais Tomasz Różycki.
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Je commencerai par dire que, lorsqu’on m’a posé cette question, une pensée m’a directement traversé l’esprit : en réalité, l’espoir est quelque chose que je ne connais pas. D’ailleurs, vous utilisez le mot espoir et non celui d’espérance. Au fond, on se confronte déjà à un problème linguistique. L’espérance ne renvoie pas à la même chose que l’espoir. Je pense qu’en allemand, il n’existe qu’un seul et unique mot pour exprimer ces deux réalités. En français, nous en avons deux ; quelque chose s’introduit, qui distingue et affirme que l’espoir et l’espérance, ce n’est pas du tout la même chose. En français, l’espérance renvoie à une vertu. On dit que c’est une liberté théologale : l’espérance, la foi, la charité, ce sont des émotions chrétiennes.
L’espoir, c’est tout à fait autre chose. À y réfléchir, je me dis qu’en Algérie, quand j’étais petite, j’ai abandonné tout espoir. Je n’attendais ni n’espérais rien de ce pays, dévoré par les démons, par les haines et par les racismes. Et toute jeune, je me suis dit que c’était un pays qu’il fallait fuir — ce que j’ai fait. Je n’ai pensé qu’à ça, et dès que j’ai eu dix-huit ans, j’ai fui, parce que je n’avais pas d’espoir. Ça, c’est très important.
L’espérance, au fond, c’est un état. Par la suite, je me suis demandé dans ma vie : ai-je espéré ? Et si oui, quoi ? A alors émergé une question très importante : celle de l’attente. Car en français et, plus généralement, dans les langues romanes, nous fonctionnons avec le mot esperanza qui renvoie à l’idée d’attente — idée beaucoup moins présente dans Hoffnung où il n’y a pas d’attente, où l’on est déjà dans un autre monde.
Zuversicht, c’est autre chose : c’est ce qui va, c’est le moteur de l’espoir. On ne peut imaginer d’espoir vivant sans Zuversicht. Il faut qu’il y ait un acte de foi, c’est-à-dire qu’il faut croire, et qu’il faut qu’il y ait de la confiance. Rétrospectivement, je suis arrivé à la conclusion que quand j’étais enfant, je ne croyais pas. Je ne croyais pas que l’Algérie puisse un jour avoir la chance d’atteindre une forme d’idéal, qui aurait reposé sur la liberté de penser, le désir de progresser, voire même l’écologie, ce genre de choses. Quand je regarde mon existence, qui est très ancienne, je me dis que je ne crois pas avoir véritablement exercé beaucoup d’espoir — de l’urgence peut-être, à la limite.
D’un autre côté, je ne peux pas nier le fait de connaître l’espoir, d’abord puisque c’est une idée qui infuse la langue courante. On l’invoque constamment, par exemple lorsqu’on dit « j’espère bien ». Au fond, cela signifie que les humains n’existent pas sans cette dimension temporelle ; un avenir doit impérativement se dessiner. Mais dans ce cas-là, est-ce de l’espoir ou une simple rationalité ? J’ai la ferme conviction que l’humanité va poursuivre sa route. Bien que le risque qu’elle s’auto-détruise totalement soit réel, je ne crois pas que cela arrivera — ce qui ne doit pas nous empêcher de faire mieux. Mais il y a bel et bien des menaces, et je les prends très au sérieux ; je reviens longuement là-dessus dans Incendire.
Il y a des moments où on peut légitimement se dire, par exemple en Algérie, qu’on ne peut pas faire mieux, qu’il n’y a rien à faire. Quand je vois la situation entre l’Ukraine et la Russie, je me dis que pour le moment et pour longtemps — peut-être un siècle, peut-être deux — on ne peut pas espérer mieux. Tout ça, ce sont des raffinements, des nuances que l’on place et entasse dans l’image globale de l’espérance. En tant qu’individu, en tant que singularité absolue, il y a des moments où on peut s’autoriser à espérer ; mais ce n’est pas du tout mon genre.
C’est une évidence, je n’invente rien quand j’affirme que littérature, feu et guerre sont parties prenantes. J’observe et je me dis que tout commence avec l’incendie. C’est lui qui inaugure l’histoire de mon livre. Je suis convaincu que l’histoire, l’historicisation, l’historicité de notre mémoire et de nos vies commencent avec le feu, c’est-à-dire avec quelque chose qui détruit et qu’on appréhende comme une force radicale qui annihile. Sauf qu’après le feu, il y a parfois quelque chose.
Venons-en à la littérature. En Occident — je ne peux pas rendre compte de ce qui se passe littérairement ailleurs —, la littérature constitue notre héritage. Alors prenons le feu, celui qui nous guide dans notre esprit mythologique. Troie tombe et est détruite par le feu. Il y a des textes tellement beaux qui racontent cet épisode, et ils ne sont pas dans l’œuvre d’Homère mais dans celle de Virgile, qui nous donne à penser la morale publique dans sa totalité et représente dans ses vers l’allégorie, la métaphore et la prophétie de toutes les pestes. Pour moi, le nazisme constitue son incarnation la plus totale.
Troie brûle. La plupart des gens ont péri comme les Juifs avec les nazis. C’est un peuple détruit par une force maléfique. Ceux qui survivent — ils sont très peu — assistent à la dévoration par le feu de leur ville, c’est-à-dire leur pays, leurs racines et leur sol. Et puis le personnage qui va incarner l’espoir dort : c’est Énée. Il dort à poings fermés et, comme le dit Virgile avec une expression absolument admirable : « Jam proximus ardet Ucalegon » (« déjà, tout proche, la demeure d’Ucalégon s’embrase »). La demeure de son voisin brûle déjà. Et Énée dort.
Ce motif de l’homme qui dort alors que l’incendie ravage son monde s’est transmis et continue de structurer notre époque, en étant par exemple mobilisé par les chefs d’État au XXe siècle : « vous dormez ? ça brûle ! mais vous ne voyez pas que ça brûle ? ». Freud l’a quant à lui identifié dans des rêves archétypiques où le rêveur rêve que « tu ne vois pas que ça brûle ? Tu ne vois pas que… », « non, je dors ! ». C’est un thème qui illustre la nécessité d’être éveillé, de voir la catastrophe, de la voir revenir. Quant au réveil, au réveil dans les flammes, il s’agit de la grande question des Juifs en Allemagne : « Toi-même, tu te livres au feu, réveille-toi ! Mais si tu es réveillé, qu’est-ce que tu vas faire ? » La même question revient à chaque fois — je l’ai vécue personnellement dans ma maison du Sud-Ouest.
Ce cauchemar était bien réel et a eu lieu dans ma région du Sud-Ouest qui a été ravagée par le feu. On pourrait tenir le même discours sur le Canada qui a été en proie aux flammes l’été dernier et de tous les endroits dans l’univers qui ont flambé, qui sont d’ailleurs de plus en plus nombreux — je pense à la Californie qui en est constamment victime.
Ça s’est passé autour de ma maison, dans cette région qui est habituellement paisible. Le Sud-Ouest n’est pas central — il est par exemple épargné par la politique. Il dispose d’une forêt, la forêt des Landes. Ma maison est à cent mètres de la forêt, je vis avec elle depuis maintenant soixante ans. Tout d’un coup, quelque chose que j’ai toujours aperçu comme une sorte de fantôme lointain, m’en estimant préservée s’est brusquement imposé. Le feu était là.
Il dévore la forêt de la manière la plus spectaculaire, la plus terrifiante possible. Il approche. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai véritablement fait l’expérience de l’incendie. J’y avais déjà été confrontée à plusieurs reprises par le passé. Mais celui des Landes était différent : il a commencé à tout détruire. Je me suis interrogé en me demandant comment nommer cette chose. Le mot qui m’est venu à l’esprit, qui m’a accueilli, c’était « biblique ». Je n’avais jamais vu une chose pareille, aussi destructrice, aussi meurtrière.
Le feu a détruit et a dévoré. Mais comment celui qui voit approcher le feu réagit-il ? C’est la question des Juifs qui m’occupent très souvent et que ma famille a vécu très directement. Le nazisme est déjà là en 1929. En 1933, il est au pouvoir, ma mère est alors partie depuis trois ans. Pourquoi vivre dans un pays en proie aux flammes ? C’est une jeune femme qui va donc voir s’il existe sur terre des pays qui sont moins menaçants et effrayants que l’Allemagne qui commence déjà à souffrir de la peste.
Les dates sont instructives car l’histoire nous apprend beaucoup de choses, par exemple qu’en 1929, on peut déjà être réveillé à l’image de ma mère qui n’avait que 19 ans mais qui était suffisamment alerte pour savoir qu’il fallait partir — sans savoir qu’elle ne reviendrait jamais. Elle est de fait revenue très souvent, en particulier à Osnabrück, pour chercher ma grand-mère qui y vivait avec une grande partie de sa famille. Elle lui disait, « viens, sors, suis-moi, on va ailleurs ! ». Et celle-ci lui répondait « Non ». Ce « non » m’a beaucoup occupée lorsque j’étais petite. Je me demandais constamment pourquoi ma grand-mère n’était pas partie, tout comme le reste de ma famille, mes oncles et mes tantes, mes cousins et mes cousines.
Certains sont partis, la moitié peut-être, tous à une date différente, en 1932, 1933, 1934, 1935… À chaque fois, ce sont d’autres personnes, quelque chose d’autre s’est réveillé, ou ne s’est pas réveillé. Et voilà. Lorsque j’examine cela, je me dis que je reviens à ce qui m’arrivait du temps de l’incendie, au moment où je découvrais ce que c’était un grand incendie, un incendie meurtrier, destructeur et radical.
J’ai justement été surprise, je pensais qu’un incendie se percevait d’abord par la vue, comme dans l’Énéide et dans l’Iliade, mais en réalité, la première expérience physique qui s’est abattue sur nous — si on ne l’a jamais ressenti, on ne peut l’imaginer — c’est d’abord l’odeur. Et l’odeur s’apparente à des sons de trompette, à une attaque, une sorte de rafale de mitraillette, comme un bombardement. On sent des choses qu’on n’a jamais senties dans la vie et qui ne sont pas stables, on demande alors aux gens s’ils ont sentis la même chose, tout le monde s’interroge sur l’odeur et seulement après, dans un second temps, la fumée apparaît.
On pense souvent qu’elle prend la forme de colonnes verticales qui montent, mais cette représentation n’est pas exacte. Je me suis rendu au bord de la mer pour l’observer et elle m’a davantage fait penser à une sorte de train monstrueux, horizontal et homogène. La fumée de l’incendie s’apparente à une colonne de blindés au ras de la terre qui envahit tout l’horizon, et est tous les jours d’une autre couleur. Contempler ce spectacle suscite un questionnement profond. J’ai demandé au feu et à l’odeur quand tout cela cessera.
On entendait aussi un bruit terrible dans la maison. Je ne peux même pas le décrire, c’est absolument indescriptible de violence et d’archaïsme. Ce fracas était causé par les avions bombardiers, volant vingt mètres au-dessus du sol.
Lorsque les pompiers et la police sont venus réveiller les habitants de Cazaux en pleine nuit et leur ont donné un quart d’heure pour partir, j’ai ressenti que j’avais accompli une forme de cycle. La petite localité allait brûler. On n’a pas donné aux gens qui habitaient ici la liberté de rester isolés. Seulement, à trois heures du matin, ils n’ont pas pu réunir leurs animaux. Il y avait de tout : des chats, des chiens, des poules… Cent cinquante animaux domestiques ont brûlé vif. J’ai eu la conviction que la vie n’était plus ici mais là-bas, loin.
Par hasard, j’avais la chance d’être accompagnée par une amie qui avait une voiture très performante. Je l’ai réveillée le matin pour lui dire qu’on embarquait les chats et qu’on s’en allait immédiatement. En face de nous, il y avait Arcachon et l’océan : on ne pouvait pas aller plus avant. Nous nous sommes donc lancés sur une route qui pénétrait dans les terres pour fuir et avons emprunté des tunnels complètement enfumés sur des kilomètres, sans lumière. Sur le côté de l’autoroute se trouvaient des centaines de camions immobilisés à qui on avait donné l’ordre de s’arrêter. Ils ne pouvaient pas rebrousser chemin. C’était une vision de fin du monde. La route derrière nous était coupée : on ne pouvait plus sortir ni revenir, ce qui m’a profondément marqué et m’a rendu physiquement malade. Au fur et à mesure que j’examinais la situation et rentrais dans une forme d’introspection en me demandant ce qu’il m’arrivait, je me suis rendu compte que j’étais confrontée à une sorte de terreur pure mais concrétisée, qui correspondait exactement au contenu du mot « traumatisme », qui a toujours été un mot abstrait pour moi, mais qui là, touchait, hantait et animait tous mes membres et tout mon corps.
Plus tard, quand je suis revenue — j’étais partie sans rien, en laissant la maison telle quelle — je me suis dit que tout était perdu. J’avais des amis résiniers, qui sont nés et vivent dans la forêt — ce sont en quelque sorte des indigènes de la forêt. Leurs vies sont complètement parties en fumée sous leurs yeux : leur univers a disparu d’un seul coup. Je les entendais pleurer et je ne m’en suis jamais remise. J’étais angoissé pour l’éternité, convaincue que ça allait recommencer, que ça ne pouvait pas ne pas recommencer. Il y avait déjà des signes avant-coureur. Quand, après des semaines et des semaines, les feux ont fini par se stabiliser, les pompiers — dont on apprend progressivement le vocabulaire — ont affirmé que l’incendie était maîtrisé, ce qui ne veut pas du tout dire que le feu est éteint mais simplement encerclé. L’incendie s’est éteint bien plus tard, ce qui constitue du reste une illusion, car le sol et la terre en dessous continuent de brûler.
Et là, plongée dans l’histoire des êtres humains, je me suis aperçue que l’humanité s’auto-détruisait sans cesse. Il était évident que le désastre allait recommencer. Par exemple, à peine trois mois après la fin de ces incendies géants, des gens recommençaient à fumer dans la forêt, le long des sentiers forestiers parcourus par ces espèces de crayons géants que forment le tronc des pins calcinés.
C’est une question de médiatisation et d’idéologie. La perception de l’incendie de Notre-Dame était structurée par l’histoire de l’Église et de la géopolitique française, tandis que celle de la forêt est relative à une forme d’humanité primitive éternelle. Qu’on ne s’intéresse pas aux habitants de Cazaux, aux poulets ou aux chats qui ont brûlé n’est pas très étonnant. En revanche, l’argent a afflué dans le cas de Notre-Dame. Il n’était pas donné par des millionnaires, mais par des catholiques ordinaires. C’est une toute autre histoire, un tout autre rapport au feu.
Mais moi, ce qui m’accompagne sans cesse, c’est l’histoire d’un peuple qui va inévitablement être réduit en cendres. Le sort des juifs livrés au nazisme — ceux qui ont fui, ceux qui n’ont pas fui — c’est une histoire, une tragédie, des millions de tragédies tout à fait singulières.
Une autre chose qui m’a toujours accompagnée depuis que je suis toute petite — je suis une littéraire et j’ai la chance d’être angliciste — c’est le merveilleux Journal de l’Année de la Peste, de Daniel Defoe. C’est un chef d’œuvre inimaginable, il est même incroyable qu’un tel ouvrage existe. Ce faux journal qui est en réalité un roman constitue la matrice de toute la littérature anglaise, et de la nôtre également. Defoe se met dans la peau d’un archiviste et décrit la grande peste de Londres et d’autres épisodes de peste qui ont secoué l’histoire européenne. Il faut garder à l’esprit que ces épidémies pouvaient détruire une population en quelques mois, des millions de gens étaient anéantis. Chaque paroisse envoie chaque jour le bilan de ses morts : certaines en ont trois ou quatre, d’autres déjà cinquante et le lendemain, le bilan atteint la centaine. Le nombre de morts est exponentiel et se pose encore et toujours la question du départ et de la fuite. La seule différence est que lorsque je me trouvais à Arcachon et que le feu gagnait, l’unité de décompte n’était pas le nombre de morts mais le nombre d’hectares partis en fumée. Mais à l’image de la peste de Defoe, je voyais la mort avancer tous les jours.
C’est la même chose dans la Bible, où l’histoire de l’exode trouve un fort écho chez moi : les Juifs ne veulent plus être esclaves, ils décident de partir, mais ils ne partent pas. Les pourparlers entre Moïse et Dieu sont incessants. Dieu lui dit qu’il va envoyer tel fléau et que Pharaon cédera. Sauf qu’économiquement et politiquement, un temps incroyable est nécessaire avant de pouvoir passer à l’acte. Mais qu’attendent-ils ? On pourrait commenter à l’infini. Pour moi, cet épisode de la Bible est riche d’enseignement et résonne avec notre époque. Nous tous, maintenant, qu’attendons-nous ? Nous savons pertinemment que l’incendie est là et que les gouvernements agissent comme Pharaon, comme le peuple juif qui attend et diffère son départ : « Non, mais ce sera plus tard ! Mais plus tard, c’est déjà maintenant ! ».
Pendant le confinement, le temps s’est arrêté. Dès lors, comment et pourquoi écrire ? Après tout, on écrit toujours pour l’avenir. On n’écrit pas pour maintenant. S’il n’y a plus de futur, que faire ? Que devient l’écriture ? Le sentiment qui m’habite, c’est que quand j’écris en 2023, j’écris en et pour 2033, mais également en 1033. On écrit pour tous les siècles passés, mais aussi pour ceux qui vont venir. On est déjà dans un là-bas qu’on ne connaît pas.
Pendant le confinement, je me suis dit qu’il y avait peu de temps. Or quand il n’y a plus de temps, on ne fait plus rien. On est dans un autre univers et l’une des premières choses que j’ai remarqué, c’est que je ne pouvais rien dire. Les gens autour de moi m’incitaient à écrire et à dire quelque chose. Et quand mon pays a brûlé, je me suis dit que quelque chose touchait le vital, c’est-à-dire l’écriture. Il me faut faire un effort absolument colossal pour me dire qu’il y a à vivre. Même si ce qu’on vit, c’est la mort.
Je reviens à pourquoi Incendire « contient tout ». Peut être tout d’abord parce que l’âge joue. Je n’ai plus beaucoup de temps devant moi : c’est quelque chose qui m’accompagne comme une sorte de fantôme quotidien. C’est objectif et c’est une question qu’il faut toujours se poser. Combien de temps a-t-on devant soi ? Quand on écrit, on a en général dix, vingt, trente, quarante ans devant soi. Mais moi, j’ai cinq ans maximum. Dès lors, que fait-on quand la vie dure cinq ans ? Ce sont des questions importantes, énormes.
Avec ce livre, je devais d’abord réussir à nommer quelque chose qui m’arrivait, que je n’avais jamais vécu mais qui dans le même temps avait eu lieu je ne sais combien de fois dans l’histoire de l’humanité sans que j’y assiste directement. Cette fois-là, cela m’arrivait. Tout d’un coup, voilà la destruction, la faim, l’incendie et la mort. Tout ce qu’on éprouve, c’est quelque chose qu’on n’a jamais éprouvé, qu’on n’éprouvera jamais. Cela a battu le rappel d’expérience de mon archive à moi, de mes mémoires qui m’ont toujours accompagné, comme ce qui me détermine dans ma vision du monde, donc l’expérience du nazisme et de la destruction du peuple juif et l’expérience du colonialisme, ce qui se passait en Algérie, et comment on a réduit les peuples en esclavage.
Tout cela est constamment avec moi. Cela me constitue. Observant ma vie comme si elle était une pièce jouée au théâtre de mon existence, j’ai trouvé que les mots venaient naturellement, m’aidant à comprendre. Chaque fois que je trouvais le mot juste, une révélation se produisait : tout se déroulait « exactement comme la peste ». Ces réflexions m’ont amené à contempler mes origines et mes racines, empreintes d’un héritage de destruction et de survie.
Quant à mes recherches généalogiques, elles sont principalement axées sur ma lignée allemande, en partie parce qu’elle est plus facilement accessible. Néanmoins, il existe une autre branche familiale, distincte et éloignée, mais tout aussi essentielle pour comprendre qui je suis. Est-il approprié de la qualifier d’algérienne ? Pas tout à fait. Le parcours commence en réalité en Espagne avec les Juifs d’Espagne, et par un hasard providentiel, je détiens des archives anciennes de cette partie de ma famille. Ces archives, qui sont de véritables joyaux historiques, révèlent qu’un de mes ancêtres est né à Gibraltar en 1820. Ce personnage, bien qu’anglais de naissance, a rejoint l’armée française en tant qu’interprète à l’âge de quinze ans, une singularité en soi. Cette période coïncide avec le début de la conquête de l’Algérie en 1830, un tournant qui s’inscrit dans une histoire s’étendant sur deux ou trois siècles.
Et après, je me suis souvent interrogée : « Qu’est-ce qu’un interprète de quinze ans, britannique, qui se retrouve à travailler pour l’armée française ? En 1835 ? » Cette réflexion m’emmenait à 1835, une époque où je vivais, pour ainsi dire, en France. À cette époque, j’avais un témoin exceptionnel, Victor Hugo, qui documentait ces années dans les moindres détails. Je savais donc précisément ce qui se passait en France en 1835. Je pensais à ce petit Jonas, débarqué en Algérie avec l’armée française, une armée de conquête. Qu’est-ce qu’il savait, lui, à quinze ans ? Je ne sais même pas quelle langue il parlait. Il était affilié au bureau arabe de l’armée française, probablement un organisme de communication et d’échange. Ce jeune homme, à seulement quinze ans, devait maîtriser plusieurs langues, se débrouiller. Savait-il qui était le roi de France à cette époque ? Je ne pouvais le deviner, et je pense que lui-même s’en moquait éperdument. Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses, mais j’ai en ma possession tous les documents très précis de cette période.
Tandis qu’en France se déroulait le long chemin vers la République, l’Algérie et l’Afrique du Nord étaient en pleine transformation. Ce processus marque le continent africain jusqu’à aujourd’hui.
Durant ce temps, je pouvais aussi me tourner vers l’Allemagne, suivant l’impact de la Révolution française et de Napoléon dans l’imaginaire germanophone. C’est incroyable de voir Napoléon observé par Hegel, suivi par le fantasme allemand à travers la littérature, la musique. Beethoven, par exemple, est omniprésent. Tout cela se déroulait alors que mon petit personnage, lui, naviguait entre les langues et les continents. C’est mon histoire. Et pendant ce temps, je me demandais quelles archives j’avais à ma disposition.
D’un côté, il y avait l’Afrique, européanisée, et de l’autre, les archives allemandes. Je me concentrais sur ce que je connaissais — les archives de ma famille, un mélange entre l’Autriche et l’Allemagne, dominées par cette dernière. Et je me demandais qui avait laissé des traces. Il y en avait une qui était extraordinaire. Il s’agissait d’un autre Jonas : Horst Jonas. C’est un cousin de ma mère, le seul de la famille à avoir survécu à trois, quatre camps de concentration successifs, et à en être sorti vivant. La question juive s’imposait alors.
Tout à fait, c’était un communiste. Je me demandais pourquoi on ne parlait pas tellement de Horst Jonas dans la famille ? Qu’avait-il fait ? Et bien il n’avait pas été déporté en tant que juif, mais comme résistant. C’est une autre histoire. De plus, il adhérait complètement à l’idéologie communiste. Il était en RDA. Je me rappelle toujours du regard un peu gêné de ma mère qui me disait : « Oui, mais Horst, c’est Horst ».
Ce livre est une sorte de recueil complet — une démarche peu courante — qui rassemble deux ou trois siècles sous un tout petit volume. C’est donc très théâtral et cela conserve tous ces mystères. Peut-être que, dans le futur, il y aura des réponses, je n’en sais rien, un certain mystère demeure.
Surtout du côté, justement, des archives d’Afrique du Nord, qui sont bien plus courtes que celles d’Allemagne. Pour moi, c’est tout à fait passionnant. Mais je me dis aussi qu’il a fallu du temps. En effet, être l’archiviste de ces familles innombrables, c’est un rôle pour lequel je semble être née. Et je me demande pourquoi. Parce que c’est comme si j’étais perchée, là, en haut d’un arbre, observant ces mouvements de l’humanité. C’est un peu comme un cadeau que m’a offert le temps qui passe. Quand je suis arrivée à Osnabrück, j’étais déjà riche de connaissances : le traité de Westphalie, la fondation de la ville par Charlemagne 1500 ans plus tôt — toutes ces traces historiques qui sont là, immenses et vivantes. Ce que je ne savais pas, c’était la proximité avec Osnabrück de la forêt de Teutoburger Wald, à seulement dix kilomètres, où s’est déroulée la bataille d’Arminius en 9 ap. J-C, la Hermannsschlacht. Cet événement, fondateur pour l’Allemagne, a longtemps été recherché dans les régions de Hanovre et de Westphalie. On savait qu’il devait se trouver là, mais il est resté introuvable jusqu’à il y a deux ou trois ans.
À Osnabrück, ils ont immédiatement érigé deux musées extraordinaires. Le musée Nussbaum, qui raconte un autre univers, et le musée de la Hermannsschlacht, construit récemment, très beau d’ailleurs, où ils accumulent progressivement tout ce qu’ils ont trouvé sur le champ de bataille. Et ils en trouvent sans cesse. Ce sont des signes, des mondes qui émettent constamment des signes, des signes qui semblent raconter le passé, mais en même temps désignent précisément ce qui nous attend, comme la fin du monde, par exemple !
C’est de lire et donc d’écrire. En tant qu’écrivain de notre époque, une époque révolutionnaire marquée par un changement complet des médiums, je me dis souvent que j’écris les dernières lettres au monde. J’écris encore des lettres, mais de moins en moins. Il y a des problèmes avec la Poste, des soucis de timbres. Toutes ces petites choses que j’observe me fascinent. Souvent, j’entends mes éditeurs dire que c’est fini, que les gens ne liront plus. Mais moi, je persiste à dire non. La littérature ne s’est jamais éteinte, tout comme la musique, même interdite, car c’est essentiel, c’est l’air que nous respirons. Les hommes en ont besoin, même s’ils essaient de le minimiser. Même aujourd’hui, alors qu’on nous menace avec l’IA, l’intelligence artificielle, je garde confiance. Je me dis que c’est structurel. On ne peut pas dire à un homme qu’il va vivre sans cœur, sans poumons.
Incendire, c’est parce que cet incendie parle. Et comment exprimer l’incendie ? Comment décrire cette force qui nous dépasse totalement ? C’est un défi, et il faut le relever. La question qui se pose est : qu’emportons nous ? C’est ce que je me demandais lors de mes premiers incendies. Mon tout premier incendie, c’était ici, là où nous sommes. L’immeuble a pris feu en pleine nuit, les flammes se propageant rapidement. Les pompiers sont intervenus, montant jusqu’au septième étage, mais pas plus haut. Or je vis au dixième. Chez moi, j’avais des trésors : mes chats, mes manuscrits, de nombreux écrits précieux. Alors, je me suis interrogée : « Si les pompiers atteignent mon étage, que dois-je sauver en priorité ? » La pensée qui s’est imposée à moi était que, même si mes manuscrits, destinés à la Bibliothèque nationale, disparaissaient, je ne pourrais pas supporter la perte de mes chats. Mais comment choisir ? J’en ai deux. À chaque fois, cette question biblique ressurgit : qui sauver, qui sera sauvé ? On ne peut en choisir qu’un, et je n’ai jamais trouvé de réponse à cette question. Heureusement, l’incendie a été maîtrisé, mais cette interrogation m’a hantée. C’était pareil là bas, j’ai revécu cette question cruciale de l’incendie à une échelle titanesque : qui vas-tu sauver ?
J’étais en train d’écrire un texte intitulé « Écrire aveugle ». Justement, je tentais d’explorer ce qu’est l’acte d’écrire. En français, quand on dit « écrire aveugle », cela peut se comprendre de deux manières : soit écrire en étant aveugle, soit écrire rend aveugle. Cette ambivalence, tu ne peux pas la trancher, c’est indécidable. En anglais, ça devient « writing blind », mais cela perd une partie du sens, et c’est là que réside la complexité de l’interprétation. J’essayais de décrire, de capturer ce geste étrange qu’est l’écriture, où on devient un aveugle qui voit, avançant à tâtons, presque comme un animal. Ce n’est pas une question de maîtrise, de rationalisation, ou de construction délibérée. C’est plutôt ce qui vient naturellement. Et cela m’arrive constamment, dans tous mes textes. Ils regorgent de néologismes.
Bien sûr, il y en a qui essaient, des chercheurs par exemple, et cela demande un travail colossal. Pour moi, si le mot n’est pas là, il finit par venir. Je ne vais pas me contraindre simplement parce qu’un mot n’existe pas encore. J’ai rapidement adopté l’usage de plusieurs langues. Ce n’est pas seulement parler plusieurs langues en français, mais un dialogue entre les langues. Souvent, je puise dans l’anglais, l’allemand, ou d’autres langues, parce que parfois le mot que je cherche n’existe pas dans une langue mais dans une autre. Et cela fonctionne ainsi. Au début, il y avait des lecteurs qui disaient : « Mais on ne comprend pas. Ça veut dire quoi ? » Puis, je me suis demandé pourquoi je devrais me limiter, ou limiter mon livre, à un lecteur qui ne veut pas s’aventurer au-delà de sa propre langue, qui est limitée, alors que nous sommes européens — mondiaux, même. On peut jouer avec à l’infini, avec les langues. Les mots ont leur propre vie : ils apportent toutes sortes de choses, comme des chats, des chiens. Ils sont vivants, ces mots. Ils se cachent et réapparaissent, travaillant sans cesse.
Il s’agit d’expériences primitives, que j’ai couchées sur le papier. Je raconte ma rencontre avec Max und Moritz, qui sont des compagnons de toujours. C’est par eux que j’ai découvert Wilhelm Busch, un écrivain génial qui manque en France.
Personne ne devrait ignorer Max und Moritz — même Freud en parle. Je les ai vraiment rencontrés à l’âge de sept ans, bien que je devais déjà les connaître. Mais c’est ma mère qui nous a présenté Max und Moritz, à mon frère et à moi. Nous avions ces personnages et elle a commencé à nous les lire, puis à nous les traduire. Et quelle traduction ! Je n’ai jamais vu une traduction aussi remarquable, faite spécialement pour nous, pendant que nous jouions. Ces histoires étaient des airs de mirlitons. Je peux écrire à la manière de Max und Moritz, et d’ailleurs, j’utilise beaucoup leur style dans ce texte. C’est une langue très « Max und Moritz ». J’ai vécu avec Max et Moritz : tous ces personnages sont réels, ils sont vivants…
C’était pendant la guerre que ma mère nous les lisait — ce motif de la mère qui lit à son enfant est présent dans toute la littérature. On se rend compte que c’est un thème récurrent, à commencer par la mère du narrateur dans À la recherche du temps perdu. Sans oublier Rousseau, initié à la littérature par sa mère, qui, à sa mort, lui a légué sa bibliothèque. On constate un lien profond entre la littérature et le maternel.
Montaigne est une présence constante dans ma vie, je ne fais rien sans lui : il est comme une sorte de grand-oncle. Il occupe une place très spéciale, incarnant ce que je considère comme le plus noble et le plus merveilleux en France. Du reste, je trouve extraordinaire que Shakespeare ait lu Montaigne.
Mais, ces derniers temps, je me rends compte que la figure avec laquelle j’entretiens un lien permanent, aussi durable que celui avec Montaigne, c’est Kafka. À chaque fois que je rencontre un problème, je sens la présence des deux, quand bien même ils ne relèveraient pas du tout des mêmes univers.
Je pense que c’est la perfection même.
Montaigne est un raffiné, c’est un aristocrate et son écriture est aristocratique, elle est tellement belle, elle est tellement riche, elle est tellement… Et puis il est tellement noble, noble moralement, c’est incroyable à quel point… Il est contre la peine de mort, contre le racisme. C’est inouï, sa modernité, alors je me dis qu’on est béni avec un ancêtre comme Montaigne.
Mais avec Kafka, je ressens une compréhension totale. Je pense que le judaïsme de Kafka, qui n’était pas valorisé initialement, a été grandement minimisé dans les premières éditions de ses œuvres ici. On n’en a peut-être pas toujours conscience, mais Kafka a été présenté et traduit avec une réduction incroyable de tout ce qui était essentiel à son identité. Ce n’est que récemment, avec l’apparition de nouvelles traductions et la nouvelle édition de Kafka en Allemagne, que quelque chose d’immense a émergé : la présence constante et complexe de son héritage juif. Je pense que l’aventure de Kafka se situe aussi, ou a pu se situer, dans cette exploration non destinée à la publication, mais qui était la sienne, dans sa recherche au sein des mondes contradictoires où il a forgé son être.
Je pense que la marginalisation de ce gigantesque fleuve souterrain que Kafka traverse et analyse, un fleuve sans limites ni interdits, a été l’œuvre de Max Brod. Et je crois qu’il l’a fait par amitié, en se disant : « Si je révèle toute la dimension juive de Kafka, il ne sera pas bien accueilli ». Cette décision de Max Brod, pensant protéger l’œuvre et l’héritage de Kafka, a en quelque sorte occulté une part essentielle de son identité et de son écriture.
Un des éléments que j’affectionne particulièrement chez Kafka, et qui le distingue de Montaigne — car, dans sa prodigieuse richesse, Montaigne demeure ancré dans la raison — c’est cette présence constante de la fable. Pour Kafka, la fable n’est pas une simple narration ; elle est une expérience vécue. Prenons l’exemple du texte sur l’Unmacht — un terme allemand que je trouve fascinant. En français, cela équivaut à une syncope, qui évoque « une défaillance, un évanouissement ». Quand Kafka évoque la visite de l’Unmacht, il le vit authentiquement. De la même manière, je perçois des événements qui ne se manifestent pour moi qu’à travers des figures, des allégories.
Considérons cela : est-ce une impuissance, une paralysie ? Ces concepts prennent une dimension fabuleuse chez Kafka. Son écriture est constamment imprégnée de ce caractère. Dans un de ses textes, il décrit la visite de Madame Unmacht. Pour Kafka, c’est un concept colossal car l’Unmacht lui rend visite jour et nuit. Elle apparaît, haletante et plaintive : « Que c’est haut chez vous ! J’ai mal partout, mais ça suffit. Oh là là ! » Elle se présente avec sa longue robe et son chapeau orné de longues plumes. S’effondrant sur un fauteuil, elle est désagréable et se plaint continuellement. Elle demande à Kafka : « C’est haut chez vous, n’est-ce pas ? ». Il engage avec elle une longue conversation, une connaissance de longue date qu’il n’avait pas revue depuis longtemps. Je l’appelle « Madame » car elle se présente ainsi. À la lecture, on s’imagine : « Ah oui, c’est une dame, une vieille un peu excentrique ».
Cela renvoie aussi à l’époque de Montaigne, dont l’objectif était de philosopher. Montaigne se positionne en transformateur, capable d’interroger, de décrire, de recueillir toutes les anecdotes et incidents de ses voyages. Il observe minutieusement les détails de la vie quotidienne et les soumet à une analyse profonde. Il les pèse, dans le sens où l’on pèse un jugement. C’est un sage qui cherche à démêler les contradictions et les périls de la nature humaine. Kafka, en revanche, est un artiste, alors que Montaigne ne se voit pas comme un artiste, mais plutôt comme un philosophe.
Elle jouait du piano, non ?
C’est en effet incroyable, il n’y a plus personne aujourd’hui qui a connu Kafka. Quand j’étais petite, j’étais fascinée par Kafka, je le percevais presque comme un membre de ma famille. J’ai toujours cru qu’il était de petite taille, mais j’ai été surprise d’apprendre plus tard qu’il était en réalité très grand, mesurant au moins 1 mètre 85.
Il y en a sûrement beaucoup, mais je ne les connais pas tous. Quand je vous dis qu’il me reste cinq ans, je le pense vraiment. Mais cinq ans, cela peut être très peu ou beaucoup. Je le dis en me résignant au sort, au destin humain. C’est une question d’âge. Et puis, autour de moi, mes amis approchant ou ayant 90 ans, je constate qu’aucun créateur n’est plus créatif à partir d’un certain âge. Je calcule, en me disant « attention », et je me rappelle ma mère qui aimait tant les dictons : « Qui veut voyager loin, ménage sa monture ».
Je ne sais pas exactement quels sont ces projets, car il y en a constamment, et j’écris toujours quelque chose auquel je n’avais pas pensé. Il y a des projets auxquels j’ai pensé toute ma vie, et maintenant, je commence à me dire que certains ne verront jamais le jour. Ils étaient peut-être destinés à rester non réalisés.
Non.
Vous savez, à plus de 80 ans, tout devient imprévu. Avec ma mère, qui a vécu jusqu’à 103 ans, chaque jour était une surprise. Pour moi, c’est la même chose. Je suspecte que ce que je me racontais ne se réalisera jamais, et c’est peut-être mieux ainsi.
Cela ne m’est jamais venu à l’esprit : je ne suis pas conseillère.
Oui, mais cela, c’est ma mère. Je ne peux pas imaginer avoir un rôle de conseiller, cela ne peut être universel. Ce n’est pas que je ne peux pas, mais pour moi, ce n’est pas juste. Et puis, savez-vous, avec les jeunes poètes, par exemple, il y a quelque chose que je n’aime pas et qui me fait bien rire — c’est juste un aparté — : on parle d’une époque où le mot « poète » avait un sens. Je mentionne cela parce qu’on m’a récemment demandé d’intervenir sur Cocteau. Et j’ai répondu : pourquoi Cocteau ? Je ne le connais pas bien, je ne peux pas vraiment en parler. Pour le travail, j’ai quand même regardé Orphée. Le film a des qualités, certes, mais aussi des défauts gigantesques. Et je me disais tout le temps que cela m’amusait, car pour Cocteau, il y avait une profession, une position qui était celle de « poète ». Et c’est presque comique, c’est comme dire « informaticien » ou quelque chose du genre… Mais lui y croyait, et les autres aussi. Et même quand Rilke écrit à un jeune poète, il y croit aussi. Il croit vraiment qu’on peut donner des conseils à un jeune poète. En réalité, il se donne des conseils à lui-même — et c’est très bien.
Ah oui, bien sûr, mais cela me semble évident. Il y a un moment où l’on peut exprimer ces évidences. Mais pour moi, cela implique par exemple de toujours franchir les frontières. Ce qui est magnifique, c’est ce va-et-vient, cette absence de fixation, de définition stricte. C’est ce que j’appelle une « nidentité », pas des identités, mais des « ni identités » ou des ni d’entités. C’est ce que je disais à mes contemporains. Mais si l’on remonte, chez Shakespeare, par exemple, on ne trouve que cela. Partout, il y a des personnages qui glissent d’une identité à l’autre, comme dans As You Like It, c’est incroyable. Le seul conseil, c’est « As You Like It », mais c’est un conseil dangereux car il s’adresse à la vie affective. Si on le dit à des bandits, on autorise aussi le vol, l’escroquerie, l’assassinat…
Oui complètement ! L’identité, c’est l’horreur ! C’est le « ni d’entités » qui est intéressant, car cela conserve quelque chose de l’identité. Et il y a même du « nid ». Vous pouvez avoir un nid avec plein d’identités et faire tout ce que vous voulez !
La grande littérature l’a toujours fait. Elle ne s’est jamais limitée. Pensez à la Renaissance avec Ronsard : tout est rose. Il n’y a pas que Rilke, il y a déjà Ronsard avant. On peut très bien être Rose ou tout ce que l’on veut. Ensuite, on a confiné toutes ces capacités de fluidité, de transfiguration permanente dans Ovide, où l’on passe son temps à changer d’espèce.
Le Rire de la Méduse c’était cela. Cela touche aussi au récit, au mythe que l’on fabrique tout le temps et certains sont tenaces pour l’éternité. J’ai choisi la méduse, mais il y a d’autres personnages féminins négatifs — et ce sont des constructions. Qui a écrit ? Si on essaie de trouver des autrices aux origines de l’écriture, il n’y en a pas beaucoup.
L’article « Tout commence avec le feu », une conversation avec Hélène Cixous est apparu en premier sur Le Grand Continent.