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27.09.2025 à 00:30

Arcane, vitrine queer

Martinez

Avec la série Arcane, adaptée du jeu vidéo League of Legends, les studios Riot Games ont tenté le grand reset réputationnel : personnages féminins, queers et badass, ambiance révolte sociale... Mais malgré son succès, cette petite virée dans le monde de l'inclusion n'a pas pris. La communauté la plus bruyante du jeu reste à l'image de l'entreprise qui l'a créé : toxique. En novembre 2021, Netflix diffuse Arcane, une série d'animation issue du très populaire jeu vidéo League of Legends (…)

- CQFD n°244 (septembre 2025) / , ,
Texte intégral (1179 mots)

Avec la série Arcane, adaptée du jeu vidéo League of Legends, les studios Riot Games ont tenté le grand reset réputationnel : personnages féminins, queers et badass, ambiance révolte sociale... Mais malgré son succès, cette petite virée dans le monde de l'inclusion n'a pas pris. La communauté la plus bruyante du jeu reste à l'image de l'entreprise qui l'a créé : toxique.

En novembre 2021, Netflix diffuse Arcane, une série d'animation issue du très populaire jeu vidéo League of Legends (LoL), produit par les studios Riot Games. Comment ne pas être conquis·es par l'esthétique léchée et le scénario au cordeau mettant en scène le conflit entre les sœurs Jinx et Vi, sur fond de révolte des habitant·es de Zaun contre les artistos de Piltover et leur flic Caitlyn ? Meufs badass, romance queer et ambiance lutte des classes... Alors que LoL est régulièrement pointé du doigt pour la toxicité de sa communauté, l'inclusivité de la série a été au contraire largement saluée. « J'ai l'impression que Riot a envie de reprendre le contrôle sur son image », analyse la streameuse AvaMind dans l'émission « Popcorn ». En effet, suffit-il de mettre en scène des personnages féminins, queers ou encore racisés dans une série pour rendre un tel jeu inclusif ?

Bienvenue dans la Faille de l'Invocateur
La Faille de l'Invocateur ressemble à une mancave, une « caverne d'hommes », où seules 10 à 15 % de gameuses osent se connecter

Avant de vivre une histoire d'amour sur Netflix, Caitlyn et Vi étaient surtout des personnages de LoL, comptant parmi les jeux vidéo les plus joués au monde avec 130 millions de gameur·euses régulier·es. Conçue pour coller à l'idéal de la masculinité geek tant par la représentation genrée de ses personnages que par sa forte compétitivité, la Faille de l'Invocateur (l'arène où s'affrontent les joueur·euses) ressemble à une mancave, une « caverne d'hommes », où seules 10 à 15 % de gameuses osent se connecter. Côté studios, en 2018, la presse se faisait l'écho de discriminations et de harcèlement envers les salariées et collaboratrices de Riot. L'affaire est telle que la justice américaine s'en saisit, et en 2021, deux mois seulement après la sortie d'Arcane, 80 millions de dollars sont versés aux 1 065 salariées et 1 300 femmes ayant travaillé pour Riot en tant que prestataires. Le studio espère que cet accord « démontre [sa] volonté de montrer l'exemple en faisant preuve de responsabilité et d'égalité dans l'industrie du jeu vidéo ».

Make Frostblade Irelia Big Booty Again

On est prié de le croire, car cette ambiance toxique en studio avait déjà bien ruisselé parmi sa communauté de gameur·euses. En 2018 toujours, sa frange masculiniste se mobilise pour une cause bien fumeuse : la défense du fessier d'Irelia « Danseuse des lames », l'un des personnages du jeu. Riot venait de retravailler son aspect, et notamment son skin1 « Frostblade » (« Lame de glace »), surnommé par de nombreux joueurs « Frostbutt » (« Fesses de glace »), tant il mettait en valeur le postérieur du personnage. Après refonte, l'emblématique popotin d'Irelia « Frostblade » est gommé, provoquant l'ire d'une partie de la communauté. Des milliers de posts révoltés sur les médias sociaux et une pétition plus tard, Riot recadre la vignette sur le fessier de la Danseuse des lames.

Pourtant, la question de la représentation genrée dans le jeu vidéo est centrale vis-à-vis de l'inclusivité des femmes et des minorités de genre dans ce secteur. « Parmi les personnages corps-à-corps ou gros bagarreurs, les hommes vont être surreprésentés, quand les femmes occuperont davantage les [rôles de] supports », explique la chercheuse Faustine Grosjean dans le podcast « En direct de la cuisine ». En effet, dans LoL, les personnages féminins assurent majoritairement des fonctions de care et de protection. Or, « on a souvent envie de jouer des personnages qui nous ressemblent », poursuit la chercheuse. L'assignation de genre se renforce donc mécaniquement. Faustine Grosjean note néanmoins que « les stéréotypes de genre commencent à se dissiper et à s'amoindrir […] La direction prise par Riot offre aux joueur·euses des personnages de plus en plus diversifiés ». Une dynamique d'autant plus salutaire que les recherches sur le sujet montrent que l'hypersexualisation des figures féminines accroît le cybersexisme dont sont victimes les joueuses.

Flop

De là à dire que Riot est un fer de lance du wokisme, il y a un monde. En témoigne l'échec de la mobilisation de la communauté LGBTQ+ contre l'invisibilisation de l'homosexualité du premier personnage noir et gay du jeu sorti en 2022. Le studio avait en effet supprimé les références à ses amants dans certains pays. « Chaque région du monde peut modifier certains aspects du jeu pour s'adapter à la culture locale », avait tenté de justifier Jeremy Lee, l'un des développeurs du jeu. Une position qui a de quoi inquiéter dans un contexte de régression généralisée des droits des personnes LGBTQ+, en particulier aux USA où se trouve le siège de Riot.

D'ailleurs, si Arcane a bel et bien rencontré son public, son manque de rentabilité entraînera sa fin : la série ne sera pas reconduite pour une troisième saison. Alors que Riot misait sur l'intégration du public de la série comme nouvelle rente, l'opération a fait flop. La plupart des nouveaux·elles joueur·euses ne sont pas resté·es, et les ancien·nes ont boudé les skins et autres objets virtuels associés à Arcane vendus en ligne. Le studio se reconcentre désormais sur le jeu, et a même licencié 10 % de son effectif en 2024. Fin de partie.

Martinez

1 Habillage graphique qui modifie l'aspect d'un personnage.

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27.09.2025 à 00:30

La villa des fonctionnaires brisés

Niel Kadereit

Tous les six ont démissionné de la fonction publique : une magistrate, un facteur, un policier, deux enseignantes et une médecin. Pour son documentaire de création Hors-service, le réalisateur Jean Boiron-Lajous les a fait se rencontrer au sein d'un hôpital abandonné. Dans un huis clos intimiste, ils racontent leurs souffrances et désillusions au travail. Le film s'ouvre en mode urbex : caméra à l'épaule, on suit des inconnus explorer à la lampe de poche un hôpital abandonné. La ruine de (…)

- CQFD n°244 (septembre 2025) / ,
Texte intégral (664 mots)

Tous les six ont démissionné de la fonction publique : une magistrate, un facteur, un policier, deux enseignantes et une médecin. Pour son documentaire de création Hors-service, le réalisateur Jean Boiron-Lajous les a fait se rencontrer au sein d'un hôpital abandonné. Dans un huis clos intimiste, ils racontent leurs souffrances et désillusions au travail.

Le film s'ouvre en mode urbex1 : caméra à l'épaule, on suit des inconnus explorer à la lampe de poche un hôpital abandonné. La ruine de l'État Providence faite matière. Un Tchernobyl du service public en quelque sorte. Cela pourrait être le début d'un film d'horreur, à ceci près que le genre a au moins la décence de se montrer rassurant sur un point : il met en scène des fictions, des histoires inventées. Dans son dernier documentaire, Hors-service, qui sortira en salle au mois d'octobre, Jean Boiron-Lajous ne s'embarrasse pas de ces pudeurs de gazelle. L'histoire qu'il raconte, à travers les voix de six anciens fonctionnaires, est bien réelle : celle d'un service public qui se dégrade et abîme ses usagers autant que ses travailleurs et travailleuses.

Postier, juge, baqueux, profs et urgentiste, tous ont été broyés par une institution qui les a vus débarquer emplis d'espoir, de bonne volonté, de naïveté presque. « J'avais envie d'aider tous les élèves », dira l'une des anciennes enseignantes. « Ce que j'ai pu faire ou voir est loin de l'idée d'une justice protectrice des libertés individuelles, celle des livres, que l'on dit être la condition d'une démocratie », dira l'ancienne magistrate. Mais invariablement, les structures se révèlent être plus fortes que les individus, travaillés par leurs problèmes éthiques et malmenés par des techniques managériales importées du secteur privé.

Grâce à une photographie soignée et des choix de mise en scène empruntant à la fiction, le spectateur est transporté dans un rêve brumeux où il côtoie les fantômes de la fonction publique, leurs souvenirs et leurs tourments. Rapidement, la caméra réussit à se faire oublier et l'on se retrouve plongé au cœur d'une thérapie collective. Les six « affranchis », selon l'expression de l'ancienne médecin du groupe, se reconstruisent peu à peu en habitant ensemble cet ancien hôpital à travers différentes activités : séance de sport, bricolage, discussions à cœur ouvert, dîner, fête. Une sorte de télé-réalité pour fonctionnaires brisés.

Au moment des crédits, un léger goût d'inachevé demeure pourtant. Tout au long de l'heure et demie de film, la fonction de ces institutions – la police, la justice ou encore l'école – n'est jamais interrogée. Leur violence est-elle uniquement la conséquence de coupes budgétaires successives ou bien se loge-t-elle au cœur même de leurs structures ? On aurait aimé que la question soit au moins effleurée.

Niel Kadereit

1 Exploration urbaine, une pratique consistant à visiter des lieux construits et abandonnés par l'homme.

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27.09.2025 à 00:30

Le monde selon Bernard

Thelma Susbielle

Inspiré des travaux de Bernard Friot sur le salaire à vie, Camille Leboulanger imagine un monde sans propriété où chaque habitant·e touche un revenu garanti à vie. Son roman, Eutopia, n'est pas une utopie, c'est mieux que ça : une alternative concrète au capitalisme. Le salaire universel, ça fait rêver, non ? À celleux qui balaient l'idée comme une illusion naïve, Camille Leboulanger répond non pas utopie, mais Eutopie. Un monde alternatif, pensé de bout en bout. CQFD est passé à côté de (…)

- CQFD n°244 (septembre 2025) /
Texte intégral (628 mots)

Inspiré des travaux de Bernard Friot sur le salaire à vie, Camille Leboulanger imagine un monde sans propriété où chaque habitant·e touche un revenu garanti à vie. Son roman, Eutopia, n'est pas une utopie, c'est mieux que ça : une alternative concrète au capitalisme.

Le salaire universel, ça fait rêver, non ? À celleux qui balaient l'idée comme une illusion naïve, Camille Leboulanger répond non pas utopie, mais Eutopie. Un monde alternatif, pensé de bout en bout. CQFD est passé à côté de sa sortie en 2022 aux éditions Argyll, mais ce roman méritait bien qu'on y revienne. Puisant dans les recherches de Bernard Friot, sociologue et économiste, l'auteur dessine un horizon où la planète et le bonheur des habitant·es passent avant tout.

Le récit se construit autour d'Umo, narrateur qui retrace toute son existence dans ce monde débarrassé de la propriété. Ici, « propriétariste » est devenu une insulte. Les biens appartiennent à tous·tes, et même la famille a été défaite. Les enfants, élevés par la communauté, connaissent leurs géniteur·ices mais circulent librement d'un foyer à l'autre. Fini les patronymes : on ne transmet plus que des prénoms. Et à la sortie du secondaire, tombe le premier salaire. Tandis qu'Umo choisit de bosser dans un atelier de luminaires, son pote Ulf part voyager, Gob se consacre à l'écriture et Livia à la recherche. Liberté totale : chacun·e trace sa voie, porté·e par ce revenu garanti qui tombe chaque mois. La vie d'Umo se déroule entre amours, découvertes, doutes et accomplissements personnels, jusqu'au crépuscule de son existence, où il finit par créer sa propre communauté avec les trois personnes qu'il aime.

Si les propositions des économistes sur le salaire à vie peuvent paraître abstraites, Eutopia a le mérite de les incarner. C'est un roman biographique, presque documentaire, qui lève le voile sur la réalité quotidienne d'un monde décroissant, écologique et anticapitaliste. Un sacré pavé, certes, mais d'une lecture fluide, capable peut-être de convaincre même les « propriétaristes » de signer la fameuse Déclaration d'Antonia qui fixe qu'« il n'y a de propriété que d'usage ». Leboulanger détaille l'organisation du travail, des transports, de la production alimentaire, ou encore des décisions collectives avec une précision réjouissante.

Toutefois, ce n'est pas un récit complètement utopique… Gob, l'une des amoureuses d'Umo, confesse sa peine d'avoir dû quitter ses parents – des propos qui sonnent décalés aux oreilles de ses lecteur·ices. Elle fait aussi partie de celles et ceux qui contestent la règle d'un demi-enfant par personne, fixée pour limiter la croissance démographique et régénérer la planète. Le roman donne ainsi voix à plusieurs tensions, et fait circuler Umo à travers des milieux contrastés. On regrettera toutefois certaines zones d'ombre : rien, ou presque, sur les prisons, la criminalité, la colonisation… Reste une fresque qui donne envie. Un roman pour qui veut rêver d'un monde sans exploitation, sans hiérarchies écrasantes, sans violences institutionnelles, ni contre les humain·es ni contre les autres êtres vivants.

Par Thelma Susbielle
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21.09.2025 à 16:43

Privés de leurs terres, les agriculteurs du nord-ouest du Nigéria travaillent désormais pour des terroristes

Dans HumAngle, média subsaharien, le journaliste Labbo Abdullahi propose une enquête sur le calvaire d'agriculteur·ices nigérian·es qui font face à l'accaparement de leur gagne-pain par des groupes armés. Extraits. « La voix d'Isa Adamu est à la fois résignée et remplie de colère. “L'insécurité a vraiment affecté notre rendement”, confie cet agriculteur de 45 ans à HumAngle, en périphérie de Shinkafi, dans l'État de Zamfara, au nord-ouest du Nigéria. […] Ce qui avait commencé en 2011 (…)

- CQFD n°244 (septembre 2025) /
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Dans HumAngle, média subsaharien, le journaliste Labbo Abdullahi propose une enquête sur le calvaire d'agriculteur·ices nigérian·es qui font face à l'accaparement de leur gagne-pain par des groupes armés. Extraits.

« La voix d'Isa Adamu est à la fois résignée et remplie de colère. “L'insécurité a vraiment affecté notre rendement”, confie cet agriculteur de 45 ans à HumAngle, en périphérie de Shinkafi, dans l'État de Zamfara, au nord-ouest du Nigéria.

[…] Ce qui avait commencé en 2011 comme des troubles ruraux isolés dans le Zamfara s'est transformé, en une véritable crise nationale, s'étendant au reste d'une région qui nourrissait autrefois une grande partie du Nigéria. Rien qu'en 2022, plus de 453 000 personnes ont été déplacées.

La mauvaise gouvernance, l'injustice, la pauvreté extrême et l'analphabétisme sont les causes profondes de ce terrorisme rural”, déclare Déborah Ibrahim, cheffe communautaire et habitante de Juji, dans l'État de Kaduna. [...] Le vide laissé par l'absence de l'État a été comblé par des acteurs non étatiques, des hommes armés qui dictent leurs règles.

Les conséquences sont graves. Dans la région, près de trois millions de personnes souffrent d'insécurité alimentaire critique – un chiffre qui, selon un rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), est monté à 4,3 millions au premier trimestre 2025.

Le terrorisme rural, autrefois limité à quelques gangs, a évolué en groupes armés vaguement coordonnés opérant à travers le Nigéria et jusque dans la République du Niger voisine. Leurs activités sont dévastatrices : meurtres, expulsions et enlèvements d'agriculteurs ; vol de bétail valant des milliards de nairas1 ; incendies de récoltes prêtes à être moissonnées ; et imposition de “taxes” pour avoir simplement le droit de semer, de récolter ou de vivre. “Nos fermes sont devenues leurs fermes. Nous sommes devenus des ouvriers sur des terres que nous possédions autrefois”, fait part Muhammadi Dadi, un agriculteur du Zamfara. […]

Les communautés, autrefois fières de leurs migrations agricoles saisonnières, sont aujourd'hui dispersées pour échapper à la mort. […]

Résilience fragile

Face à l'abandon de l'État, les communautés improvisent. Certaines cèdent, payent des taxes ou négocient des accords de “paix” fragiles avec les groupes terroristes. D'autres s'arment, réunissant leurs maigres ressources pour équiper des réseaux de vigilance locale. [...]

Quand nous allons dans les champs, nous y allons à quinze. Dix travaillent pendant que cinq surveillent les environs pour détecter les groupes armés”, explique Jumi Adamu, un jeune membre d'une milice de vigilance. […]

Rompre le cercle vicieux

Selon les experts, les déploiements militaires ne suffiront pas à résoudre la crise qui secoue le nord-ouest du Nigéria. Il faut une réponse à plusieurs niveaux, et pas seulement des armes et des points de contrôle.

[…] Alors que le soleil se couche sur Gusau, l'agriculteur déplacé Isiyaka Ahmad Muhammad regarde l'horizon, là où s'étendaient autrefois ses terres. “Avant, je récoltais 100 sacs de mil, de sorgho et de maïs. Aujourd'hui, à peine 20”, dit-il. “Mais je n'abandonnerai pas. L'agriculture, c'est notre identité.” »

Labbo Abdullah

1 Monnaie du Nigéria

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21.09.2025 à 16:27

Sous contrat

Loïc

Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ? « Désolée mais j'ai 300 mails auxquels je n'ai pas répondu, je vous rappelle dans la semaine. » On est le 18 août, et la responsable des contractuel·les en Lettres-Histoire au (…)

- CQFD n°244 (septembre 2025)
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Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ?

« Désolée mais j'ai 300 mails auxquels je n'ai pas répondu, je vous rappelle dans la semaine. » On est le 18 août, et la responsable des contractuel·les en Lettres-Histoire au rectorat de Marseille n'est pas capable de me dire si je suis réembauché à la rentrée. Pourtant, après deux années dans le même établissement, et un avis favorable du proviseur, j'ai de l'espoir. « Ça ne dépend pas que de ça, il faut qu'aucun titulaire ni contractuel avec plus d'ancienneté ne demande le poste. Mais comme ton établissement est dans les quartiers nord, t'as tes chances ! » m'explique une collègue renseignée. Depuis fin juin je poirote et attends en vain des nouvelles du rectorat. Faut dire que devant la pénurie de profs et le recours massif aux contractuel·les, la responsable doit avoir la tête sous l'eau. Puis, on est sûrement beaucoup à patienter en croisant les doigts, avec la perspective du chômage technique au mois de septembre qui pointe le bout de son nez.

Au-delà du porte-monnaie, ces recrutements de dernière minute sans formation jouent sur la qualité de l'enseignement et mettent profs et élèves dans la panade. Lors de ma prise de poste, il y a deux ans, l'inspectrice m'avait déclaré « notre discussion me fait penser que vous êtes fiable, vous commencez la semaine prochaine ! » après un appel de seulement dix minutes. S'il est obligatoire de disposer d'un bac +3 pour être recruté·e, devant l'urgence, les recruteur·ices mettent cette exigence de côté. Au détriment des élèves qui devront se coltiner de longues heures devant des profs non formé·es, qui cherchent à exercer un métier qui ne s'invente pas. Alors que les titulaires, jouissent de deux ans de formations, pour les contractuel·les, le rectorat de Marseille avait réussi à dégotter deux jours. « Vous avez de la chance avant c'était zéro », déclarait le formateur. L'enjeu de cette formation reposait moins sur l'apprentissage pédagogique que sur notre propre survie à moyen terme. On y apprenait comment être autonome plus rapidement sans trop déranger l'administration, ou encore comment « tenir » sa classe tout le long de l'année. Le tout mêlé d'esprit d'entreprise et de paternalisme : « Dans le travail, il y a des patrons, il en faut. Dans la classe c'est pareil ! »

Dans son enquête « Les enseignants contractuels sont-ils des enseignants comme les autres ? », la chercheuse Célestine Lohier confirme que cette expérience précaire creuse un fossé avec les titulaires. Dernière roue du carrosse dans les zones et les établissements que les titulaires fuient, comme les lycées pro ou les collèges de banlieue, les contractuel·les ont un salaire moins élevés que leurs collègues. D'autant qu'ils subissent les aléas du marché de l'emploi scolaire : pauses non rémunérées entre deux contrats ou temps partiels non souhaités. Rendez-vous le 10 septembre ?

Loïc
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21.09.2025 à 16:25

En Belgique aussi la police tue

Sam Amaro

Depuis le début de l'année, en Belgique, au moins quatre personnes sont décédées suite à l'intervention de la police. Alors que juges et tribunaux couvrent l'institution policière, familles et militant·es tentent de connaître la vérité et d'obtenir justice. Le 2 juin dernier à Bruxelles, Fabian, 11 ans, roule en trottinette électrique lorsqu'il croise une patrouille de police. Du fond de leur SUV, ils décident de prendre l'enfant en chasse, semble-t-il parce qu'il n'avait pas l'âge légal (…)

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Depuis le début de l'année, en Belgique, au moins quatre personnes sont décédées suite à l'intervention de la police. Alors que juges et tribunaux couvrent l'institution policière, familles et militant·es tentent de connaître la vérité et d'obtenir justice.

Le 2 juin dernier à Bruxelles, Fabian, 11 ans, roule en trottinette électrique lorsqu'il croise une patrouille de police. Du fond de leur SUV, ils décident de prendre l'enfant en chasse, semble-t-il parce qu'il n'avait pas l'âge légal pour conduire ces trottinettes. Les policiers s'engagent alors à toute allure sur la pelouse d'un parc public et finissent par tuer Fabian l'écrasant de leur véhicule. Il était 17 heures 50, l'heure où les enfants jouent.

En Belgique, les courses-poursuites sont régulièrement létales et font l'objet de luttes pour un plus fort encadrement légal

Cette affaire n'est pas un cas isolé. Au premier semestre 2025, au moins trois autres personnes sont mortes suite à l'intervention des forces de l'ordre : Christophe-Amine Chollet, 21 ans, percuté le 12 mai par un policier qui conduisait sans permis, Jidel, 9 ans, renversé le 18 juin et Adem, 19 ans, mort dans un accident le 28 juin dernier après une course-poursuite. En Belgique, les courses-poursuites sont régulièrement létales et font l'objet de luttes pour un plus fort encadrement légal. Si les autorités font preuve d'une grande opacité sur le nombre de personnes décédées au contact de la police, les travaux d'ONG et de militant·es, tels que ObsPol, Getting the Voice Out ou Bruxelles Panthères donnent certains indicateurs. En 2023 par exemple, ce sont au moins 9 personnes qui sont mortes à la suite d'une intervention policière. Et derrière, une même mécanique se met en place : alors que les médias dominants relaient en priorité les discours des autorités et présentent les victimes, pratiquement toujours issues de l'immigration, comme des criminels, la répression s'abat sur les mouvements de solidarité et l'institution judiciaire protège une police raciste.

Les familles en lutte

Alors, ce sont les proches eux-mêmes qui se retrouvent à chercher les témoins, les images, les preuves, afin de comprendre ce qui s'est passé, produire des contre-enquêtes et des contre-récits. Pour se donner une chance dans ce combat inégal, des comités se forment : « Justice pour Adil », « Justice pour Mehdi », « Justice pour Lamine », « Justice pour Sourour », « Justice pour Imad » et tant d'autres encore. En parallèle, plusieurs collectifs militants apportent leur soutien aux familles. Outils solidaires contre les violences policières (OSVP) est l'un d'eux. Il voit le jour en 2020 : l'année du confinement, des mobilisations BlackLivesMatter, et de la mort d'Adil Charrot, 19 ans, percuté volontairement sur son scooter par une voiture de police.

Carla, membre d'OSVP raconte : « Quand Adil a été tué, il y a eu un véritable mouvement dans son quartier qui a duré plusieurs jours. C'est par la suite que nous avons eu l'idée de faire le lien entre les différentes familles de victimes, et de réunir tous les outils dont celles-ci pouvaient avoir besoin. Car bien souvent les familles qui perdent un proche à cause de la police se trouvent en situation de précarité. » Trouver des avocat·es spécialisé·es, organiser des manifestations et des événements pour récolter de l'argent, médiatiser les affaires : pour OSVP, les moyens d'aider les proches des victimes sont nombreux. « Souvent le premier désir des familles, c'est de faire appel à la justice d'État », ajoute Carla.

Dans cette quête, c'est un mur qui s'érige contre les familles. En ce même mois de juin, un non-lieu1 a été prononcé dans l'affaire Mehdi Bouda, tué à 17 ans le 20 août 2019. Le jeune homme a été percuté sur un passage piéton par une voiture de police qui roulait à 98 km/h sans sirène et à contresens. Après 6 ans et déjà un long parcours de lutte pour la famille, la justice refuse qu'un procès ait lieu. Pire, les parties civiles, dont la famille, sont condamnées à payer un dédommagement de 18 000 euros aux policiers responsables. « On a été condamné pour avoir choisi le chemin de la justice », résume le frère de Mehdi.

Sam Amaro

1 Décision par laquelle le juge d'instruction déclare qu'il n'y a pas lieu de poursuivre en justice.

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