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▸ les 10 dernières parutions

30.10.2025 à 15:37

🎃 Monstres et sorcières, allié·es féministes

La Déferlante

En plus des personnages de sorcières qui peuplent depuis quelques années les imaginaires féministes, les monstres et les vampires hantent désormais essais et fictions, comme autant de manières de questionner […]
Texte intégral (2768 mots)

En plus des personnages de sorcières qui peuplent depuis quelques années les imaginaires féministes, les monstres et les vampires hantent désormais essais et fictions, comme autant de manières de questionner les normes de genre et de révéler des chemins d’émancipation.

« Tout dans l’horreur reflète les problématiques de la marginalité, du regard qu’on porte sur l’autre », écrit ainsi l’autrice Taous Merakchi au sujet de son dernier essai, Monstrueuse (éd. la ville brûle, 2025).

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On regarde

Häxan

Häxan. La sorcellerie à travers les âges est un documentaire muet réalisé en 1922. Il est depuis peu visible sur les plateformes de VOD. Détonnant par sa forme comme par son propos, il raconte comment, à toutes les époques, les hommes ont utilisé la torture pour soumettre les femmes. Entremêlant méticuleusement archives et saynètes de fiction, utilisant des effets spéciaux encore confidentiels à l’époque, son réalisateur, le Danois Benjamin Christensen, reconstitue d’abord toute la violence des chasses aux sorcières du Moyen Âge. Puis, dans un audacieux glissement vers un propos qu’on est bien obligées de qualifier de « féministe », il laisse la parole à des femmes de son époque internées en hôpital psychiatrique. Elles dénoncent les traitements qui leur sont infligés, et mettent en lumière la permanence de la violence patriarcale.

🧹Häxan. La sorcellerie à travers les âges, de Benjamin Christensen, 87 minutes. Disponible sur les plateformes de VOD.

Sinners

Dans les États-Unis des années 1930 et de la prohibition, Elijah et Elias, deux frères jumeaux, reviennent s’installer dans leur ville natale du Mississippi. Ils décident d’ouvrir un club de blues réservé à la communauté noire, dans un État où la ségrégation raciale fait loi. Mais, le soir de l’ouverture, l’arrivée de trois musicien·nes – blanc·hes – perturbe les festivités, et la soirée prend une tournure surnaturelle. Véritable hommage à la culture noire des États-Unis – sa musique, ses rituels vaudous – le film explore, à travers la métaphore du vampire, les dynamiques d’oppressions qui traversent la société à l’époque. Rythmé par une bande originale empruntant au blues et au rap, Sinners prend rapidement les allures d’une comédie musicale. C’est, selon nous, un des films les plus étonnants de l’année 2025 !

🧛🏾‍♀️Sinners, de Ryan Coogler, 137 minutes. Disponible sur les plateformes de VOD.

📖
On lit

Monstrueuse

Passionnée de films d’horreur depuis l’enfance, l’autrice et podcasteuse Taous Merakchi convie ses lecteur·ices à un voyage peuplé des monstres et des loups-garous qui ont fait son éducation. Enfant solitaire puis adolescente en marge, elle a puisé dans les films de genre les matériaux pour se construire en tant qu’adulte, mère et femme dans une société misogyne : « J’ai toujours rêvé d’inverser les rôles et de devenir la menace, la silhouette inquiétante dans la ruelle sombre, le monstre du placard. Mon rêve absolu est de faire peur aux hommes, de les déranger, de les dégoûter », écrit-elle dans ce qui sonne comme un plaidoyer pour le cinéma d’épouvante.

👹 → Taous Merakchi, Monstrueuse, éd. la ville brûle, 2025.

Ancolie

Ancolie est une sorcière de 27 ans qui trompe une existence terriblement ennuyeuse en picolant dès le petit déjeuner et en couchant avec son ex toxique. Pour éviter l’excommunication du Haut Conseil des sorcières, elle se lance dans un défi « un peu hippie-neuneu » : fabriquer un sortilège d’empathie pour enrayer la montée du fascisme, la fracture sociale, les superprofits et la pollution des nappes phréatiques.

Après La vie est une corvée (Exemplaire, 2023), Ernestine (Même Pas Mal, 2024) et Peur de mourir mais flemme de vivre (Exemplaire, 2025), Salomé Lahoche ressuscite son double maléfique sous les traits d’un personnage de fiction qui nous embarque dans un univers trash et baroque, au pouvoir hautement hilarant.

🍷 → Salomé Lahoche, Ancolie, Glénat, 2025.

Le Temps des sorcières

En 1893, alors que le combat pour le droit de vote des femmes aux États-Unis fait rage, trois sœurs – Bella, Agnès et Genièvre – racontent leur lutte quotidienne contre la misogynie et la précarité sociale, dans la ville de New Salem (Massachusetts). Quelques siècles auparavant, les sorcières ont été bannies de la région, mais, à l’instar des trois narratrices, les femmes de New Salem résistent en se reconnectant aux savoirs oubliés. Mi-politique, mi-fantastique, ce roman décortique les grands enjeux sociaux, raciaux et de genre qui secouent les États-Unis à la fin du XIXe siècle. Il est aussi un magnifique hommage à la lutte politique et à la solidarité entre femmes.

🧙🏼‍♀️ → Alix E. Harrow, Le Temps des sorcières, traduit par Thibaud Eliroff, Hachette, 2022.

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On s’abonne

Demoiselles d’horreur

Pourquoi, au cinéma, les femmes incarnent-elles des fantômes, et les hommes des serial killers ? Pourquoi le body horror est-il féministe ? Ou encore, comment le cinéma d’horreur traite-t-il les personnages queers ? Sur sa chaîne YouTube, la journaliste Judith Beauvallet interroge les représentations véhiculées par le cinéma fantastique, un sous-genre très investi par les réalisatrices et les femmes critiques.

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Un glossaire pour tout comprendre

Alors que l’actualité montre à quel point la guerre culturelle qui fait rage est aussi une bataille sémantique, il nous a paru important que La Déferlante propose à ses lecteur·ices des définitions de concepts clés pour appréhender l’époque dans une perspective féministe intersectionnelle. Toutes sont en accès libre sur notre site internet, qui sera alimenté au fil des numéros pour faciliter la compréhension des concepts mobilisés dans chaque dossier.

🔏 → Retrouvez toutes nos définitions en libre accès

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On y sera

🐤 Grandir sans tabou à Rennes

Ven 7 novembre 2025, à 18 heures
Librairie La Nuit des temps, Rennes

Claire Marcadé Hinge et Marianne Marty-Stéphan, autrices de Grandir sans tabou, rencontreront les lecteur·ices rennais·es. La discussion sera animée par Lucie Louapre, de l’association Parents et féministes, et sera suivie d’une séance de dédicaces.

👉🏼 → Informations pratiques par ici.

🐣 Grandir sans tabou à Rennes

Ven 14 novembre 2025, à 18 h 30
Librairie Les Bien aimé·es, Nantes

Les deux autrices de Grandir sans tabou répondront aux questions des lecteur·ices nantais·es et animeront un atelier destiné aux enfants, en partenariat avec l’association DisQUtons.

👉🏼 → Informations pratiques par ici.

💥 Une expo, un débat

Mer 19 novembre 2025, à 19 heures
Galerie Kadist, Paris 18e

Christelle Murhula, journaliste indépendante et membre du comité éditorial de La Déferlante, animera un échange entre la styliste Jeanne Friot et l’autrice Kiyémis, en marge d’une exposition sur les féminismes non occidentaux. Entrée gratuite sans réservation (attention, le nombre de places est limité !).

💁🏽Informations ici

🌟 Festival Les Créatives

Jeu 20 novembre 2025, à 12 h 30
Festival Les Créatives, Genève

Marie Barbier, corédactrice en chef de La Déferlante, participera à une table ronde intitulée « Investiguer et médiatiser les violences sexistes et sexuelles » aux côtés de sa consœur de Mediapart Marine Turchi et de la comédienne Anna Mouglalis.

👉🏼 → Informations et billetterie

🩺 Soirée de lancement du numéro « Soigner »

Jeu 27 novembre 2025 à 19 heures
Maison des Métallos, Paris 11e

À l’occasion du lancement du numéro 20 de La Déferlante, « Soigner dans un monde qui va mal », une table ronde rassemblera l’autrice féministe Valérie Rey-Robert, la psychiatre Loriane Bellahssen et la psychologue Salima Boutebal. La discussion sera suivie d’un concert de Louisadonna. Comme à chaque édition, des associations seront présentes et un stand proposera les revues, livres et goodies de La Déferlante.

💊 → Je prends mes places

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29.10.2025 à 15:18

L’assassinat des sœurs Mirabal : à l’origine de la Journée contre les violences faites aux femmes

Laurène Daycard

En France, la date du 25 novembre revêt, depuis plusieurs décennies, une signification particulière pour le mouvement social. En 1995 déjà, 140 organisations – dont beaucoup d’associations féministes, mais aussi la CGT et […]
Texte intégral (4154 mots)

En France, la date du 25 novembre revêt, depuis plusieurs décennies, une signification particulière pour le mouvement social. En 1995 déjà, 140 organisations – dont beaucoup d’associations féministes, mais aussi la CGT et le Parti communiste – mobilisées pour défendre les droits reproductifs, menacés par le retour de la droite au gouvernement, faisaient défiler 40 000 personnes dans les rues de Paris.

En 2018, c’est au tour de Nous toutes de rassembler 30 000 manifestant·es dans la capitale, 100 000 l’année suivante. Un an après l’explosion médiatique de #MeToo, le collectif « est né autour de cette idée de créer une mobilisation de masse, dans la rue, sur les violences », explique Maëlle Noir, une membre du comité national. Mais elle admet : « L’origine [du 25 novembre] reste méconnue, y compris dans nos cercles militants. » En 2024, lors de la rédaction de l’appel à manifester de Nous toutes, il a été question d’évoquer l’assassinat de ces trois militantes contre la dictature dominicaine, le 25 novembre 1960, mais l’idée n’a pas été retenue, même si plusieurs posts Instagram et documents du collectif l’ont abordé à plusieurs reprises.

C’est en 1999 que le 25 novembre a été choisi par les Nations unies comme « Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ». Mais dans la résolution 54/134, indiquant que « la violence est l’un des principaux mécanismes sociaux par lesquels les femmes sont maintenues en situation d’infériorité par rapport aux hommes », aucune mention n’est faite de l’assassinat de Patria, Minerva et María Teresa Mirabal. Alors même qu’en Amérique latine, notamment caribéenne, le jour de la mort des trois sœurs est célébré depuis deux décennies déjà, en mémoire des victimes de violences et de féminicide.

Photo d'une manifestation en commémoration de l’assassinat des sœurs Mirabal, le 25 novembre 2014 en République Dominicaine.
Marche de commémoration de l’assassinat des sœurs Mirabal, le 25 novembre 2014 à Saint-Domingue, en République dominicaine, lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Crédit : ERIKA SANTELICES / AFP

À Paris, la seule référence aux sœurs Mirabal se trouve dans un recoin de la place de la République-Dominicaine, dans le XVIIe arrondissement, où l’ambassade a fait apposer en 2021 une plaque de marbre à la mémoire des trois victimes de féminicide. « Mes sœurs ont fait partie de cette jeunesse qui s’est sacrifiée pour que le peuple dominicain puisse se libérer de la dictature », affirme dans ses mémoires Dedé MirabalBélgica Adela Mirabal (dite Dedé), Vivas en su jardín, Aguilar 2012 (non traduit). Le titre « Vivantes en leur jardin », fait référence au parc qui entoure la maison familiale de Salcedo, aujourd’hui transformée en musée., deuxième fille d’une sororie de quatre dont elle est l’unique survivante, et qui, comme telle a élevé ses nièces et neveux orphelin·es.

Les sœurs Mirabal ont été tuées alors qu’elles se rendaient en voiture à la prison de Puerto Plata où leurs époux étaient incarcérés pour atteinte à la sécurité de l’État. Une embuscade commanditée par Rafael Trujillo, dictateur sanguinaire arrivé au pouvoir en 1930, après avoir reçu une formation des Marines pendant l’occu­pation du pays par les États-Unis (1916–1924).

Patria, Minerva et María Teresa Mirabal, âgées respectivement de 36, 34 et 25 ans, savaient le risque qu’elles couraient en prenant la route ce jour-là, dans un pays où les opposant·es étaient souvent victimes de mystérieux accidents de voiture. Les deux plus jeunes avaient elles-mêmes été détenues quelques mois auparavant, sous le même chef d’accusation que leurs maris, et vivaient depuis assignées à résidence. La Jeep, conduite par leur chauffeur Rufino de la Cruz, est mitraillée sur le trajet retour par des agents de la police secrète du Servicio de inteligencia militar (SIM). Les passagères et le chauffeur sont battu·es à mort avant d’être précipité·es dans leur Jeep au fond d’un ravin pour maquiller le crime en accident.

La presse dominicaine, sous la coupe du régime, reprend cette version. Mais le peuple n’est pas dupe. Loin d’étouffer la contestation, l’assassinat de ces résistantes suscite une grande vague d’indignation et de colère entraînant la chute du dictateur. Trujillo, alors également dans la ligne de mire de Washington, est à son tour victime d’une embuscade mortelle six mois plus tard, le 30 mai 1961. Il faut cependant attendre la fin des années 1970 pour que la République dominicaine s’engage dans une transition vers un régime démocratique.

« Vivantes en leur jardin »

Entre 1930 et 1961, dans un pays qui comptait alors 3 millions d’habitant·es, Trujillo et son bras armé, le SIM, auraient provoqué jusqu’à 50 000 exécutions, incluant le massacre raciste de milliers de Haïtien·nes noir·es travaillant dans les plantations dominicaines. Le despote, autoproclamé « bienfaiteur de la patrie », avait érigé un véritable culte autour de sa personne, tout en accaparant une grande partie des richesses du pays. « Ce furent des années de terreur et de carnage, de trahisons, de délation et de destructions, mais ce fut aussi l’époque où l’héroïsme des gens s’est manifesté avec le plus de force », écrit encore Dedé Mirabal.

Les Mirabal sont une famille d’opposant·es politiques de haut vol, emmenée notamment par Minerva. En janvier 1959, inspirée par la chute du dictateur cubain Fulgencio Batista, elle a créé le principal réseau de résistance de gauche dominicain. C’est le point de départ du Mouvement du 14 juin – référence à la date d’une tentative avortée de débarquement révolutionnaire en juin 1959, depuis Cuba –, dont Manuel Aurelio Tavárez, l’époux de Minerva, devient président. Leur programme ? Éradiquer la tyrannie, élire une assemblée constituante, organiser des élections libres tous les quatre ans, engager une réforme agraire. Et en attendant… réunir des armes pour faire tomber le dictateur.

Durant sa clandestinité, Minerva Mirabal se fait appeler Mariposa, « papillon » en espagnol. Un clin d’œil à ceux qui volaient un peu partout dans le jardin de la maison familiale à Salcedo, dans le nord du pays, et un symbole de transformation qui devient le surnom des trois sœurs, Las Mariposas. Ce surnom renvoie aussi à la métaphore de l’effet papillon, théorisé dans les années 1970 par le météorologue étasunien Edward Lorenz, selon lequel le battement d’ailes d’un papillon au Brésil pourrait théoriquement provoquer une tornade au Texas.


« La violence est l’un des principaux mécanismes sociaux par lesquels les femmes sont maintenues en situation d’infériorité par rapport aux hommes. »

Résolution 54/134 des Nations unies, 1999

L’assassinat de trois femmes en République dominicaine peut-il pousser des centaines de milliers de femmes à travers le monde à défiler dans les rues pour dénoncer les violences de genre ? La réponse est oui. Car ce n’est pas uniquement en raison de leur engagement politique que les sœurs Mirabal ont été assassinées, mais aussi parce qu’elles étaient des femmes vivant sous un régime dictatorial d’impunité sexuelle.

L’histoire telle qu’elle est racontée par Dedé Mirabal en témoigne : le dictateur Trujillo avait, un jour de 1949, invité la famille Mirabal à une fête, avec l’intention de mettre Minerva dans son lit. Impossible de refuser l’invitation, au risque de subir des représailles. Les Mirabal viennent en nombre autour de la jeune femme dans l’espoir de servir de rempart. « Nous étions également inquiets qu’elle puisse boire dans un verre » contenant « une sorte de drogue qui faisait tomber les femmes dans [l]es bras [de Trujillo] », écrit encore Dedé. Minerva, âgée de 22 ans, est contrainte d’échanger quelques pas de danse avec le tyran.

Maintes fois répétée, l’histoire de cette rencontre se raconte désormais à la manière d’une légende nationale. Dans l’une des versions, la plus populaire, Minerva aurait giflé le dictateur. Mais, d’après Dedé, elle lui a surtout tenu tête, en lui disant qu’elle s’opposait à sa politique.

À la suite de cette soirée, Trujillo fait arrêter et emprisonner le père Mirabal, qui décédera en 1952, affaibli par sa détention. Minerva est aussi interpellée à plusieurs reprises, interrogée sur ses liens avec les dirigeants socialistes et communistes, puis assignée à résidence jusqu’à ce qu’elle puisse enfin s’inscrire à la faculté de droit, sans savoir qu’elle ne pourra jamais prêter serment.

« Une construction collective »

Pour la philosophe et sociologue française Jules Falquet, dont le travail contribue depuis plusieurs décennies à faire connaître les luttes et les penseuses d’Amérique latine, « en dehors de ce continent, les mouvements féministes n’ont pas assez fait le rapprochement entre la date du 25 novembre et l’histoire des sœurs Mirabal, encore moins avec le travail des féministes dominicaines qui ont proposé cette date ». Un constat que partage la militante dominicaine pour les droits des femmes, Sergia Galván Ortega : « Il y a une méconnaissance de notre rôle dans la commémoration de ce jour. Mais nous, les Dominicaines, n’avons pas non plus voulu nous approprier cet événement, car il s’agit d’une construction collective du mouvement féministe latino-américain. »

Des affiches de différent·es révolutionnaires martyr·es dominicain·es sont plantées dans un jardin.
Près de Salcedo en République dominicaine, la Casa Museo Hermanas Mirabal rend hommage aux révolutionnaires martyr·es dominicain·es dans le jardin de l’ancienne maison des sœurs Mirabal transformée en musée.
Crédit : PETER HOHENHAUS OF DARK-TOURISM.COM

C’est en effet lors de la première Rencontre féministe de l’Amérique latine et des Caraïbes, organisée en juillet 1981 à Bogotá (Colombie) que la date du 25 novembre a été une première fois choisie pour alerter sur les violences faites aux femmes. Près de 200 militantes venues du Mexique, de Porto Rico, d’Équateur, du Vénézuéla et de six autres pays du continent se sont réunies durant quatre jours. Quelques autres font le voyage depuis l’Europe, le Canada et les États-Unis. « Nous étions heureuses de nous rencontrer. On a discuté de la santé des femmes, de sexualité, de mortalité maternelle, d’avortement, et de très nombreux thèmes », se remémore Sergia Galván Ortega. Enseignante et activiste, elle fait alors partie de la délégation dominicaine. Composée d’une vingtaine de femmes, emmenée par la sociologue Magaly Pineda – figure incontournable du féminisme dominicain, décédée en 2016 –, elle est la délégation la plus fournie juste après la délégation colombienne. Cela a probablement pesé dans la balance quand, le dernier jour, il fut question de fixer « une journée d’actions contre la violence pour interpeller les autorités sur le sort réservé aux femmes », reconnaît-elle.

Les dates de naissance ou de mort de Flora TristanFemme de lettres franco-péruvienne, Flora Tristan (1803–1844) a subi des violences conjugales qui ont failli lui coûter la vie. Féministe et socialiste, elle a, parmi d’autres droits, milité pour celui des femmes à divorcer. sont proposées, mais c’est finalement le jour de l’assassinat des sœurs Mirabal, le 25 novembre donc, qui remporte l’adhésion. « Nous avons rappelé que leur assassinat symbolisait la violence politique, institutionnelle et sexuelle », se souvient Sergia Galván Ortega. Politique, car le meurtre a été orchestré par le dictateur. Institutionnelle, parce que Minerva Mirabal, qui était l’une des premières femmes à mener des études de droit dans son pays, avait été interdite d’exercer. Sexuelle, enfin, parce que Trujillo avait systématisé les violences sexuelles contre les femmes en kidnappant celles « qui lui plaisaient, après les avoir repérées dans des fêtes ».

Quand elles racontent cette histoire, à Bogotá en 1981, les Dominicaines font l’unanimité. À partir de là, des marches sont organisées dans plusieurs pays à cette date. À Saint-Domingue, le premier défilé a lieu le 25 novembre 1982 sur le parvis de l’université autonome et, là encore, c’est un choix symbolique. « Nous étions plusieurs centaines, de tous les secteurs, des travailleuses, des paysannes, des jeunes de classe moyenne. On a chanté des poèmes pour les sœurs Mirabal », se rappelle Sergia Galván Ortega, qui explique que l’anniversaire de la mort des sœurs Mirabal fédère aujourd’hui chaque année jusqu’à 8 000 manifestantes en République dominicaine. « Cette mobilisation a conduit à l’adoption de lois, notamment celle de 1997, la première à punir les violences intrafamiliales », précise encore l’enseignante.

Mais la mobilisation ne faiblit pas car il reste du chemin à parcourir. L’avortement reste un crime, y compris en cas de viol, ce qui fait de la République dominicaine l’un des pays les plus restrictifs en matière de droits reproductifs. Par ailleurs, selon l’ONG Human Rights Watch, les violences perpétrées à l’encontre des personnes LGBTQIA+ ne sont pas légalement reconnues comme des discriminations.

Le féminicide : une « non-idée politique »

Jules Falquet se souvient du « choc » qu’elle éprouve en atterrissant en 1989 au Mexique quand elle découvre qu’il existe, dans certains pays d’Amérique latine, des défilés féministes le 25 novembre : « C’était tellement impressionnant de voir des milliers de femmes dans les rues contre les violences, alors que ça n’existait pas en Europe. » La chercheuse effectue sur place des recherches pour son mémoire de master sur la scolarisation des femmes autochtones au Chiapas. Elle traduit notamment certains textes de l’anthropologue afro-dominicaine lesbienne Ochy Curiel qui propose une approche décoloniale du féminisme. « C’est important de souligner l’agentivité des femmes latinas en général, et dominicaines en particulier, car leur apport, pourtant conséquent, est souvent négligé », insiste-t-elle.

Dans Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence (éditions iXe, 2016), Jules Falquet étudie aussi le concept de féminicide. Largement répandu dans la sphère hispanophone, il se diffuse en France à partir des années 2010, à la faveur de la campagne de Jean-Michel Bouvier pour que le meurtre de sa fille Cassandre et de son amie Houria Moumni, survenu à Salta (Argentine) en 2011, soit reconnu comme spécifiquement lié à leur genreLes deux touristes françaises ont été violées et tuées le 15 juillet 2011 alors qu’elles randonnaient dans le nord de l’Argentine. Un seul des trois suspects a été reconnu coupable de viol et de meurtre ; il a été condamné à trente ans en juin 2014.. En 2014, l’association Osez le féminisme demande la reconnaissance officielle de ces « meurtres misogynes », avant que le mot entre dans le Petit Robert en 2015.

L’une des particularités du triple assassinat des sœurs Mirabal, c’est qu’il s’agit d’un féminicide, perpétré à une époque où ce concept n’avait pas encore été formulé. Il est alors au stade d’une « non-idée politique », au sens où l’entend la docteure en sciences politiques Margot Giacinti dans son livre Le Commun des mortelles. Faire face au féminicide (Divergences, 2025) : « Une idée qui, quoique présente dans les théorisations (des) subalternes depuis le XIXe siècle, ne sera conceptualisée sous le terme féminicide et ne fera événement qu’à l’approche du XXIe siècle. »

Le mot « féminicide » est utilisé une première fois en public, en mars 1976 à Bruxelles, à l’occasion du Tribunal international des crimes contre les femmes, un forum féministe important de cette décennie (lire notre article dans La Déferlante n° 12). Diana Russell, l’une des organisatrices venues des États-Unis, l’utilise pour qualifier les meurtres conjugaux dans un discours précurseur, dont il ne reste aucune trace dans les archives. La vraie théorisation de ce terme date de 1992, quand paraît l’ouvrage collectif Femicide: The Politics of Woman Killing (Twayne Publishers, non traduit en français), codirigé par Diana Russell et la criminologue britannique Jill Radford.

Sa définition dépasse le cadre conjugal pour recouvrir tous les pans de la vie d’une femme. Dans un chapitre intitulé « Le terrorisme sexiste contre les femmes » rédigé avec Jane Caputi, le mot est défini en ces termes : « Le féminicide se situe à l’extrême d’un continuum de terreur antiféminine incluant une grande variété de violences sexuelles et physiques, telles que le viol, la torture, l’esclavage sexuel […] l’hétérosexualité forcée, la stérilisation forcée, la maternité forcée (en criminalisant la contraception et l’avortement), la psychochirurgie, la sous-nutrition des femmes dans certaines cultures… » 

La diffusion d’un concept

L’ouvrage de Diana Russell et Jill Radford, pierre angulaire de la lutte contre les féminicides, va voyager en Amérique latine où des chercheuses s’en emparent pour inspirer des enquêtes de terrain. Celle de Ciudad Juárez, à la frontière nord du Mexique, est probablement la plus connue, car la découverte de fosses communes dans les années 1990 et le phénomène massif des disparitions forcées de femmes ont été médiatisés par la presse internationale.

Des chercheuses, elles-mêmes médiatiques, ont aussi travaillé sur ce terrain, dont l’Argentino-Brésilienne Rita Laura Segato (lire son portrait dans le numéro 14 de La Déferlante). Dans les articles de référence, le travail de Montserrat Sagot et Ana Carcedo au Costa Rica est aussi souvent mentionnéLire à ce sujet la thèse de Mariana Rojas Mora : « “Vivas en la memoria” : tensions pour la reconnaissance et luttes pour la justice autour des fémicides au Costa Rica », université Paris Cité, 2022.. On sait moins, en revanche, que les Dominicaines ont été parmi les pionnières de la recherche sur le féminicide, avec par exemple, le travail d’enquête de Susi Pola sur les féminicides perpétrés de 2000 à 2006 en République dominicaine.


« Honorons la mémoire de celles qui, comme Patria, Minerva et María Teresa, dans leurs heures les plus difficiles, ont été des colonnes de marbre qui ont résisté. »

Minou Tavárez Mirabal, fille de Minerva Mirabal

En France, les universitaires ne s’emparent véritablement du concept qu’à partir de 2016, grâce notamment à la petite-fille d’une des trois Mariposas, Camila Minerva Rodríguez Tavárez, venue étudier dans les années 2010 à Sciences Po Paris, sur le campus de Poitiers spécialisé dans le monde latino-américain. C’est elle qui fait découvrir les détails de l’histoire de ses aïeules à ses professeur·es. Sa mère, Minou Tavárez Mirabal, est invitée à participer à un colloque en 2016. Fille de Minerva et Manolo, elle est devenue femme politique en République dominicaine et préside le conseil de direction du Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale. « On connaissait l’histoire de l’assassinat des sœurs Mirabal, qui rentrait pour nous dans un cadre de violences politiques. Rencontrer sa fille nous a fait prendre conscience que c’était aussi une violence de genre », estime l’historien Frédéric Chauvaud. Sa collègue Lydie Bodiou, coorganisatrice du colloque, relève : « C’est la première fois qu’on s’emparait de ce terme et de ce concept pour en faire un objet de recherches scientifiques. »

Ce colloque a donné naissance à l’ouvrage On tue une femme. Le féminicide. Histoire et actualités (Hermann, 2019), auquel a également contribué Jules Falquet, qui sert de relais à la diffusion académique du concept de féminicide en France. Minou Tavárez Mirabal en signe l’épilogue : « Minerva Mirabal et ses sœurs ne reposent pas en paix. […] Parce que, aujourd’hui encore, les défis et les préoccupations politiques et sociales qu’elles ressentaient pour la démocratie, pour la justice, pour les droits de l’homme et ceux des femmes restent des défis pour notre société. »

Deux pancartes en hommage aux sœurs Mirabal et à la militante kurde Nagihan Akarsel lors d'une manifestation.
Le 25 novembre 2022 à Marseille, des manifestantes féministes brandissent des pancartes en hommage aux soeurs Mirabal et à la militante kurde Nagihan Akarsel.
Crédit : PHOTO12 / ALAMY / SOPA IMAGES, SOPA IMAGES LIMITED

Le 25 novembre 2024, vingt-cinq ans après que l’ONU a décrété que cette date aurait une portée internationale, Minou Tavárez Mirabal a été invitée à la tribune des Nations unies à New York pour parler du rôle politique de sa mère et de ses tantes en République dominicaine. « Honorons la mémoire de celles qui, comme Patria, Minerva et María Teresa, dans leurs heures les plus difficiles, ont été des colonnes de marbre qui ont résisté », dit-elle encore. Pour leur fille et nièce, cet héritage est un défi – conserver l’espoir, briser la peur dans ces temps obscurs – autant qu’un horizon utopique : il s’agit de se projeter « vers cet avenir meilleur que l’humanité mérite ».

Sergia Galván Ortega, qui a travaillé pour le ministère dominicain des droits des femmes, retient l’essentiel : « Je me sens fière d’avoir fait partie de cette histoire, qui prouve ce dont le mouvement féministe est capable. »

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29.10.2025 à 15:17

Les patient·es prennent du pouvoir

Anne-Laure Pineau

La scène se passe en 1999, dans une salle d’attente de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Catherine Kapusta-Palmer a rendez-vous avec son médecin. La jeune femme a appris sa séropositivité douze […]
Texte intégral (2827 mots)

La scène se passe en 1999, dans une salle d’attente de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Catherine Kapusta-Palmer a rendez-vous avec son médecin. La jeune femme a appris sa séropositivité douze ans plus tôt, à l’époque où la France découvre l’existence du sida et regarde, impuissante, tomber les victimes de ce qu’on considère alors comme « une maladie d’homosexuels ».

Entre 1983 et 1995, environ 30 000 personnes sont mortes du VIH/sida en France, selon l’Inserm. La trentenaire a alors déjà perdu des amis et son compagnon, qu’elle a soigné et accompagné jusqu’au bout. Pour autant, les effets secondaires de la trithérapie qu’elle subit à présent, elle ne les a jamais observés chez ses proches. Association de trois médicaments antirétroviraux, ces traitements apparus en 1995 dans les pays riches ont, par leur efficacité, marqué un tournant décisif dans la lutte contre le sida. Ils affectent toutefois grandement le quotidien des malades. La jeune femme souffre, très rapidement après le début du traitement, d’effets secondaires qui ne figurent pas dans la notice. Son corps gonfle, des problèmes gynécologiques apparaissent et elle ressent de fortes douleurs dans la poitrine. Des symptômes qui n’intéressent pas vraiment les médecins. « Nos vécus de femmes étaient balayés. On me disait que c’était des crises d’angoisse… jusqu’à ce que je fasse un infarctus, à 40 ans », se souvient-elle aujourd’hui. À la Salpêtrière, ce jour-là, son regard balaie la petite pièce qu’elle ne connaît que trop bien. Sur la table basse, une brochure de l’association Act Up-Paris présente sa commission « Femmes ». La semaine suivante, elle se rend à sa première réunion et adhère à l’association, dont elle deviendra une membre active, particulièrement investie dans la commission « Traitements et recherche ».

Dès le début de l’épidémie de sida, les malades et leurs allié·es sont organisé·es en associations militantes. En France, Aides voit le jour en 1984, et l’antenne française d’Act Up est créée en 1989. Leurs militant·es expérimentent des formes de mobilisation dans la grande tradition de l’action directe, héritée des suffragettes. Ils et elles transforment des funérailles de victimes en manifestations politiques et organisent des die-in pour rendre visible l’hécatombe. En 1993, Act Up recouvre l’obélisque de la Concorde d’un préservatif géant pour alerter l’opinion publique et met en place des systèmes parallèles de réappropriation et de diffusion du savoir médical. C’est un soutien thérapeutique « par des malades pour des malades » qui dépasse la simple lutte contre le virus. Des permanences d’accès au soin (entre autres pour l’accès aux traitements des travailleur·euses du sexe, des migrant·es, des précaires) puis aux « droits sociaux des pairs » (en 1998) permettent d’apporter aux bénéficiaires des allocations adultes handicapé·es un accompagnement juridique, un logement social.

L’engagement de Catherine Kapusta-Palmer au sein d’Act Up est à la hauteur de ce que le rétrovirus a changé dans la vie des malades, en particulier dans celle des femmes. « Nous étions à l’époque à peine 12 % dans les programmes de recherche, alors que nous formons désormais dans le monde la majorité des contaminé·esEn 2022, on estimait que les femmes étaient environ 20,2 millions à vivre avec le VIH dans le monde, soit un peu plus de 53 % de l’ensemble des adultes atteint·es par la maladie.. Les laboratoires nous disaient que c’était compliqué de nous faire entrer dans les essais thérapeutiques, car on risquait de tomber enceintes ! »

Une révolution sociale

Par sa brutalité et son ampleur, l’épidémie de VIH/sida a bouleversé le rapport entre soignant·e et soigné·e, fondé sur une hiérarchisation du savoir. Pour la première fois, les patient·es ont pris une place dans le parcours de soin. Un mouvement qui préfigure ce que deviendront plus tard les « patient·es expert·es » : des personnes atteintes de maladies chroniques ou de pathologies invalidantes dont l’expérience personnelle étayée par des formations est validée par une université ou une association. Leur expertise est ensuite mise à profit dans la recherche, la formation des soignant·es ou les prises en charge des patient·es ; leur présence apporte aux malades la sensation d’être entendu·es, compris·es et accompagné·es de façon globale.

Lucile Sergent a 30 ans quand, dans les années 2000, on lui diagnostique un syndrome génétique rare – le syndrome d’Ehlers-Danlos – qui cause des luxations et génère des plaies et des hématomes. Après une longue errance médicale, elle doit s’entourer de nombre de spécialistes pour apprivoiser son nouveau quotidien. Pour aider d’autres patient·es, elle commence à militer au sein d’associations en faveur de la démocratie sanitaireLa démocratie sanitaire est une démarche associant l’ensemble des acteur·ices du système de santé dans l’élaboration et la mise en oeuvre de la politique de santé, dans un esprit de dialogue et de concertation.. En 2019, elle publie Petit Guide de survie des patients face à la blouse blanche (éd. First) et crée un compte Instagram, @viedepatient. Son expérience a fait d’elle une patiente experte, qui met ses observations à disposition de ses frères et sœurs de galères. Juriste, elle s’est lancée dans une thèse de sociologie sur l’auto-organisation et la participation au soin des malades.

La résistance à la toute-puissance médicale peut également s’appuyer sur les armes de l’adversaire. En finançant et en produisant des données scientifiques qui remettent en cause les savoirs établis, les associations de malades démontrent que certaines pathologies (des maladies orphelines à l’intolérance au gluten) méritent d’être étudiées. Elles dénoncent également les effets à long terme d’erreurs médicales, comme les prescriptions de Distilbène, ce médicament prescrit aux femmes pour prévenir les fausses couches jusque dans les années 1970, aujourd’hui reconnu comme responsable de cancers et de malformations de l’appareil génital chez des femmes exposées pendant la grossesse de leur mère.

À Lyon, derrière la façade grise et moderne du centre bipol-AIR – un hôpital de jour qui, comme son nom l’indique, s’est spécialisé dans les troubles bipolaires – se cache l’une des meilleures prises en charge, en France, des troubles neurologiques fonctionnels (TNF), une pathologie complexe reconnue comme handicap en 2013. Résultant souvent d’un grave traumatisme, les TNF provoquent des symptômes divers : douleurs chroniques, engourdissement des membres, pertes d’équilibre ou des capacités neurologiques, troubles du langage. Des symptômes proches de ceux de maladies dégénératives comme Parkinson.

Dans cette unité, l’association Cap TNF rassemble des patient·es du centre bipol-AIR, accompagné·es par deux infirmières et soutenu·es par les autres professionnel·les. Cap TNF a mené un travail de sensibilisation auprès des soignant·es et travaillé sur les pratiques de soin en coopération avec des médecins. Le but : instaurer une alliance thérapeutique inédite. Grâce à l’association, les patient·es intégrant le parcours suivent des ateliers de psychoéducation et d’appropriation du diagnostic (pour comprendre les mécanismes physiopathologiques sous-jacents), des ateliers de gestion des crises fonctionnelles dissociatives ou encore participent à des groupes de parole. Les soignant·es sont très peu formé·es sur cette maladie qui, selon les spécialistes, touche pourtant 30 % des personnes suivies en neurologie.

Linda Moreau, 49 ans, initiatrice du collectif, a été diagnostiquée comme atteinte de TNF en 2021, après trente ans d’errance médicale. « Il y a un vrai refus du corps médical à écouter. J’ai été diagnostiquée à tort pour une épilepsie, une polyarthrite rhumatoïde, un lupus… », égrène-t-elle. Quand elle est enfin prise en charge dans le centre bipol-AIR, elle rencontre des personnes aux vécus similaires, et fonde en 2022 cette association, composée principalement de femmes à qui l’on a prescrit à tort des traitements anti-épileptiques, du tramadol, des antidépresseurs. « Les symptômes complexes s’enracinent sur des traumatismes, des vies souvent compliquées. Nous avons souvent l’impression que cela encourage les soignant·es à décharger leur stress sur nous », souligne la militante, heureuse de faire désormais partie d’une communauté de près de 900 membres, qui partagent leurs expériences, des conseils, se recommandent des soignant·es.

Le collectif a permis d’améliorer significativement la prise en charge, témoigne Axelle Gharib, psychiatre et médecin coordinatrice au centre. « Quand on a ouvert, en 2020, on ne travaillait qu’avec la littérature disponible. J’étais très interventionniste et j’avais tendance à m’agacer quand ce que je proposais ne convenait pas aux patient·es. » C’est grâce à elles et eux qu’un groupe sur la parentalité et un autre sur les aides familiales ont été créés, comblant des angles morts de parcours de soins pilotés par les non-concerné·es.

Valider l’expertise des patient·es

Dans le cadre de cette enquête, nous avons interrogé une dizaine de patientes qui, une fois leur maladie identifiée et maîtrisée, sont devenues médiatrices de santé-pairesLes médiateur·ices de santé-pair·es sont des patient·es expert·es qui travaillent auprès des patient·es (et non des soignant·es) en leur faisant bénéficier de leur expérience.. Certaines sont passées par un diplôme d’université (DU), d’autres par une association qui les a formées. Depuis 2010, l’université Sorbonne-Paris Nord, pionnière en la matière, délivre deux DU en médiation de santé-paire, dont un en rétablissement en cancérologie. Tous et toutes nous ont parlé de cette étape comme d’une reconnaissance importante de leur expertise.

Olivia Gross est titulaire de la chaire de recherche sur l’engagement des patient·es à l’université Sorbonne-Paris Nord, qui délivre une licence de sciences sanitaires et sociales – parcours médiateur de santé-paire. Selon elle, ce type de formation permet non seulement à davantage de patient·es d’être accompagné·es par une personne concernée, mais aussi aux personnes en voie de guérison de trouver un emploi dans une société validiste. Quatorze ans après le début d’une prise en charge psychiatrique particulièrement difficile, CaroleLes personnes n’ont pas souhaité donner leur nom de famille., 46 ans, a passé un diplôme universitaire en 2018 pour devenir médiatrice de santé-paire. Dans l’incapacité de travailler malgré de longues années d’études, elle exerce aujourd’hui dans un hôpital de jour et en équipe mobile à Paris : cet emploi est sa première expérience professionnelle. « C’est un choix par défaut mais j’y trouve mon compte. Je me dois d’être bien pour les patient·es, pour mes collègues, et puis, en ayant un travail, j’ai l’impression d’être intégrée dans la société et cela me fait beaucoup de bien », explique-t-elle.

Vers des relations de soin plus horizontales

Du côté associatif, la Ligue contre le cancer a mis sur pied un dispositif appelé « patients ressources » qui forme, depuis 2015, des bénévoles – malades ou ancien·nes malades du cancer – à intervenir auprès des soignant·es comme auprès des patient·es. Atteinte d’un cancer digestif alors qu’elle était mère célibataire, AnneLes personnes n’ont pas souhaité donner leur nom de famille. a rencontré de nombreux obstacles et s’est heurtée à beaucoup d’incompréhension au cours de sa prise en charge. « Comme la plupart des femmes en situation monoparentale, j’ai négligé ma santé parce que j’étais prise dans la roue du hamster. Certain·es soignant·es m’ont jugée très sévèrement quand j’ai dû retarder une opération parce que je n’avais pas de solution de garde pour les deux semaines d’hospitalisation. » C’est précisément pour agir auprès des soignant·es qu’elle a décidé de s’engager dans la pair-aidance en devenant « patiente ressource témoin » à la Ligue contre le cancer.

Selon les derniers chiffres de l’association, du fait de l’action des patient·es expert·es, 80 % des membres du personnel de santé ont modifié leurs pratiques, et 81 % des personnes malades affirment que leur qualité de vie s’est améliorée ; elles éprouvent notamment moins de stress.

Aujourd’hui, les patient·es agissent même auprès des futur·es soignant·es. Olivia Gross, de l’université Sorbonne Paris-Nord, est particulièrement fière de la mise en place, dès les premières années d’études d’infirmier·es, de kinésithérapeutes, de médecins généralistes ou de pharmacien·nes, d’un enseignement dispensé par des patient·es rémunéré·es pour leur expertise – sous le statut d’enseignant·es vacataires : « On a trop longtemps enseigné le partenariat de soin avec les patient·es sans patient·es dans l’enseignement ! Les médecins ont l’impression d’avoir toujours appris auprès d’elles et eux, mais c’était hors sol, dans un rapport où la personne était considérée comme un objet. » En plus de développer l’empathie, ces heures d’enseignements engagent depuis 2014 les futur·es soignant·es sur l’individualisation des soins ou la lutte contre les biais et les stéréotypes.


En finançant et en produisant des données scientifiques qui remettent en cause les savoirs établis, les associations de malades démontrent que certaines pathologies méritent d’être étudiées.


Pourtant, malgré toutes ces initiatives, la sociologue et patiente experte Lucie Sergent n’est pas très optimiste sur l’horizontalisation du soin en France. « La tendance participative fait beaucoup de bien, et des projets de recherche conçus par les patient·es avec des méthodologies féministes sont désormais financés par l’Agence nationale de la recherche. Mais, malheureusement, dans nombre de cas, les patient·es sont consulté·es, mais ne sont pas impliqué·es dans la coréalisation des prises en charge. »

De son côté, dans un rapport publié en décembre 2023, l’Ordre national des médecins regrette que ses membres ne soient pas encore suffisamment informé·es sur les bénéfices de l’action des patient·es expert·es. Que ce soit dans l’enseignement médical, dans l’éducation thérapeutique de la patientèle, dans la recherche ou dans le soin des maladies chroniques.

Malgré cela, Catherine Kapusta-Palmer en est convaincue : depuis les années sida, de l’eau a coulé sous les ponts, et la démocratie sanitaire a gagné du terrain. Mais elle décèle toujours dans les luttes actuelles le reflet des batailles politiques des années 1990. « À l’époque, nous étions 200 à nous battre pour faire reconnaître les lipodystrophies [des déformations causées par une mauvaise répartition des tissus graisseux] comme des effets secondaires de la trithérapie. Depuis, d’autres se battent de la même façon pour que les diagnostics de l’endométriose soient facilités, ou pour se dresser contre le scandale des implants EssurePrésentés comme l’avenir de la contraception définitive, des implants Essure ont été posés à 200 000 femmes en France entre 2002 et 2017, avant d’être retirés en raison d’effets désastreux sur la santé de certaines d’entre elles.… » Forte d’années d’activisme, de centaines de colloques organisés avec patient·es et soignant·es, la militante voit dans la puissance des patient·es récemment éclose une raison d’espérer des relations de soin plus horizontales.

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29.10.2025 à 15:00

Basket en hidjab : occuper le terrain

Su Cassiano

*Le hidjab est un foulard couvrant la tête et le cou.
Texte intégral (2821 mots)
↑ Diaba, 24 ans, enceinte, se rend régulièrement à la salle de sport de son quartier, aux Ulis (Essonne). Depuis 2024 et son retour des États-Unis, où une bourse lui a permis d’étudier et de jouer au basket, elle se sent isolée. Pour passer professionnelle, il lui faudrait s’expatrier ; cela l’oblige à choisir entre sa famille et sa carrière. Elle dit ne s’être jamais sentie, outre-Atlantique, discriminée à cause de son foulard.
Diaba, 24 ans, enceinte, se rend régulièrement à la salle de sport de son quartier, aux Ulis (Essonne). Depuis 2024 et son retour des États-Unis, où une bourse lui a permis d’étudier et de jouer au basket, elle se sent isolée. Pour passer professionnelle, il lui faudrait s’expatrier ; cela l’oblige à choisir entre sa famille et sa carrière. Elle dit ne s’être jamais sentie, outre-Atlantique, discriminée à cause de son foulard.

Diaba ne pourra plus porter son maillot de l’équipe de France. Elle a pourtant reçu récemment la médaille de la Ville de Paris. « C’est un sentiment étrange que d’être à la fois célébrée et rejetée, souffle-t-elle. Finalement, je n’ai pas d’autre choix que de lutter contre cette interdiction. Ça m’impacte moi, mais aussi les générations futures. Dans notre communauté, on a peu de représentations. Or, je pense que c’est crucial : il y a du talent chez nous. Le problème, c’est qu’on ne peut pas montrer ce talent-là et porter le voile.
Diaba ne pourra plus porter son maillot de l’équipe de France. Elle a pourtant reçu récemment la médaille de la Ville de Paris. « C’est un sentiment étrange que d’être à la fois célébrée et rejetée, souffle-t-elle. Finalement, je n’ai pas d’autre choix que de lutter contre cette interdiction. Ça m’impacte moi, mais aussi les générations futures. Dans notre communauté, on a peu de représentations. Or, je pense que c’est crucial : il y a du talent chez nous. Le problème, c’est qu’on ne peut pas montrer ce talent-là et porter le voile. »

Diaba et Assia jouent sur un terrain de basketball public à Paris. C’est l’un des seuls endroits où elles peuvent librement pratiquer leur sport en gardant leur hidjab. Musulmanes visibles, elles subissent une ostracisation grandissante dans tous les domaines de leur vie. Elles racontent devoir constamment, dans le travail, le sport ou même dans le cas d’une simple sortie, vérifier si elles ont « le droit d’être là ». 
Diaba et Assia jouent sur un terrain de basketball public à Paris. C’est l’un des seuls endroits où elles peuvent librement pratiquer leur sport en gardant leur hidjab. Musulmanes visibles, elles subissent une ostracisation grandissante dans tous les domaines de leur vie. Elles racontent devoir constamment, dans le travail, le sport ou même dans le cas d’une simple sortie, vérifier si elles ont « le droit d’être là ».

Assia, ci-dessus lors d’un match à Vincennes, en septembre 2024 et ci-contre avec Diaba, à Paris. Coache à l’Union sportive Ivry Basketball (Val-de-Marne), Assia n’a plus le droit d’exercer ce rôle depuis le banc 
du fait de l’article 9.3 du règlement de la FFBB. Ayant décidé de porter une capuche par-dessus son voile, elle a été sanctionnée par le comité départemental de la fédération pour « dissimulation de couvre-chef à connotation religieuse », et elle s’est résignée à diriger son équipe depuis les tribunes. Elle affirme que, même à cette place où elle ne commet aucune infraction en gardant son voile, un membre du comité lui a demandé de s’asseoir, de se taire et qu’elle a été bousculée et intimidée verbalement.
Assia, lors d’un match à Vincennes, en septembre 2024 et ci-dessous avec Diaba, à Paris. Coache à l’Union sportive Ivry Basketball (Val-de-Marne), Assia n’a plus le droit d’exercer ce rôle depuis le banc du fait de l’article 9.3 du règlement de la FFBB. Ayant décidé de porter une capuche par-dessus son voile, elle a été sanctionnée par le comité départemental de la fédération pour « dissimulation de couvre-chef à connotation religieuse », et elle s’est résignée à diriger son équipe depuis les tribunes. Elle affirme que, même à cette place où elle ne commet aucune infraction en gardant son voile, un membre du comité lui a demandé de s’asseoir, de se taire et qu’elle a été bousculée et intimidée verbalement.
« Pourquoi on décide de se battre ? C’est simple : on voit nos droits sucrés petit à petit ! », dénonce Assia, 25 ans. Celle qui s’amuse de « casser les stéréotypes de la femme voilée casanière, mère au foyer » – parce qu’elle fait de la moto, travaille et porte des tenues sportives – souligne ce paradoxe : « D’une part, on nous reproche notre communautarisme, notre manque d’intégration, et, de l’autre, quand on veut s’émanciper, faire du sport, de la compétition, on nous exclut, juste parce que notre apparence déplaît. »
« Pourquoi on décide de se battre ? C’est simple : on voit nos droits sucrés petit à petit ! », dénonce Assia ( ci-dessus), 25 ans. Celle qui s’amuse de « casser les stéréotypes de la femme voilée casanière, mère au foyer » – parce qu’elle fait de la moto, travaille et porte des tenues sportives – souligne ce paradoxe : « D’une part, on nous reproche notre communautarisme, notre manque d’intégration, et, de l’autre, quand on veut s’émanciper, faire du sport, de la compétition, on nous exclut, juste parce que notre apparence déplaît. »

Hélène (à gauche) pose avec Léna – qui ne porte pas le hidjab mais a intégré le collectif par solidarité – sur un terrain de basket public du 13e arrondissement de Paris. Après avoir étudié le droit et les sciences politiques à Paris, Hélène, 24 ans, n’a pas continué ses études pour devenir avocate, une profession incompatible avec le port du voile en France. « Je trouve ça dommage de se battre contre sa propre fédération, regrette celle qui a cofondé le collectif Basket pour toutes. La FFBB devrait gérer bien d’autres problèmes, notamment les violences sexuelles et sexistes. »
Hélène (à gauche) pose avec Léna – qui ne porte pas le hidjab mais a intégré le collectif par solidarité – sur un terrain de basket public du 13e arrondissement de Paris. Après avoir étudié le droit et les sciences politiques à Paris, Hélène, 24 ans, n’a pas continué ses études pour devenir avocate, une profession incompatible avec le port du voile en France. « Je trouve ça dommage de se battre contre sa propre fédération, regrette celle qui a cofondé le collectif Basket pour toutes. La FFBB devrait gérer bien d’autres problèmes, notamment les violences sexuelles et sexistes. »
Hélène a été invitée à participer à une table ronde sur l’islamophobie organisée par le député de La France insoumise-Nouveau Front populaire Raphaël Arnault à l’Assemblée nationale le 12 mars 2025. La députée Hanane Mansouri (Union des droites pour la République) a fait irruption dans la salle pour demander l’arrêt de cette rencontre. Pour Haïfa Tlili, sociologue et cofondatrice du collectif Basket pour toutes, « il faut que les personnes concernées aient la parole. Le problème du hidjab en France, c’est que les décisionnaires dans 
les institutions ne vont jamais parler avec ces femmes. »
Hélène a été invitée à participer à une table ronde sur l’islamophobie organisée par le député de La France insoumise-Nouveau Front populaire Raphaël Arnault à l’Assemblée nationale le 12 mars 2025. La députée Hanane Mansouri (Union des droites pour la République) a fait irruption dans la salle pour demander l’arrêt de cette rencontre. Pour Haïfa Tlili, sociologue et cofondatrice du collectif Basket pour toutes, « il faut que les personnes concernées aient la parole. Le problème du hidjab en France, c’est que les décisionnaires dans les institutions ne vont jamais parler avec ces femmes. »
Hélène a été invitée à participer à une table ronde sur l’islamophobie organisée par le député de La France insoumise-Nouveau Front populaire Raphaël Arnault à l’Assemblée nationale le 12 mars 2025. La députée Hanane Mansouri (Union des droites pour la République) a fait irruption dans la salle pour demander l’arrêt de cette rencontre. Pour Haïfa Tlili, sociologue et cofondatrice du collectif Basket pour toutes, « il faut que les personnes concernées aient la parole. Le problème du hidjab en France, c’est que les décisionnaires dans 
« Il est plus facile pour moi de remporter un prix à l’étranger que de jouer au basketball dans mon propre pays », a déclaré Hélène à la soirée de cérémonie des TRT World Citizen Awards le 17 janvier 2025, à Istanbul, en Turquie. Cette manifestation organisée par la radiotélévision turque vise à récompenser des personnes ou des organisations qui apportent un « changement positif ». La jeune femme y a reçu le prix Jeunesse pour son engagement contre l’islamophobie dans le basketball en France au travers du collectif BPT.
« Il est plus facile pour moi de remporter un prix à l’étranger que de jouer au basketball dans mon propre pays », a déclaré Hélène à la soirée de cérémonie des TRT World Citizen Awards le 17 janvier 2025, à Istanbul, en Turquie. Cette manifestation organisée par la radiotélévision turque vise à récompenser des personnes ou des organisations qui apportent un « changement positif ». La jeune femme y a reçu le prix Jeunesse pour son engagement contre l’islamophobie dans le basketball en France au travers du collectif BPT.

« La discrimination et l’exclusion, ça crée des militantes acharnées », estime Hélène. Ici (à droite), elle s’entraîne avec Léna sur un terrain public de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le 8 mars 2025, lors de la Journée internationale des droits des femmes. Amnesty International, mais aussi des expert·es de l’Organisation des Nations unies mandaté·es par le Conseil des droits de l’homme, s’est élevée contre les décisions des fédérations françaises de football et de basketball d’écarter des compétitions les joueuses portant le hidjab. « Quand la société oblige une femme à faire ou ne pas faire une chose, on entre dans une violence basée sur le genre », dénonce Johanna Wagman, d’Amnesty France.
« La discrimination et l’exclusion, ça crée des militantes acharnées », estime Hélène. Ici (à droite), elle s’entraîne avec Léna sur un terrain public de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le 8 mars 2025, lors de la Journée internationale des droits des femmes. Amnesty International, mais aussi des expert·es de l’Organisation des Nations unies mandaté·es par le Conseil des droits de l’homme, s’est élevée contre les décisions des fédérations françaises de football et de basketball d’écarter des compétitions les joueuses portant le hidjab. « Quand la société oblige une femme à faire ou ne pas faire une chose, on entre dans une violence basée sur le genre », dénonce Johanna Wagman, d’Amnesty France.

*Le hidjab est un foulard couvrant la tête et le cou.

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29.10.2025 à 11:37

Aller bien dans un monde qui va mal

Marie Barbier

Comme souvent depuis qu’Emmanuel Macron est installé à l’Élysée, plane dans l’air un « brouillard de mots et d’injonctions paradoxalesMarc Joly, La pensée perverse au pouvoir, Anamosa, 2024. » qui nie nos […]
Texte intégral (722 mots)

Comme souvent depuis qu’Emmanuel Macron est installé à l’Élysée, plane dans l’air un « brouillard de mots et d’injonctions paradoxalesMarc Joly, La pensée perverse au pouvoir, Anamosa, 2024.» qui nie nos réalités et nous plonge dans la confusion.

D’un côté, la casse de tout le système de protection sociale (réforme des retraites, de l’assurance chômage), l’annonce de l’austérité à venir (5 milliards à économiser sur les dépenses de santé), la loi qui réintroduit des pesticides cancérogènes, à quoi s’ajoute la passivité de nos dirigeant·es dans un monde en feu (guerre au Congo, génocide à Gaza, violences policières, violences racistes, féminicides…). De l’autre, une injonction répétée par ces mêmes dirigeant·es à aller bien : « La santé mentale, grande cause nationale en 2025 », un « plan psychiatrie » pour le « repérage précoce » des troubles psychiques chez l’enfant ou une « charte d’engagement pour la santé mentale » proposée aux entreprises. Sans que jamais ne soient interrogées les causes de nos maladies et de nos souffrances.

Dans ce numéro 20 de La Déferlante, dont le dossier s’intitule « Soigner dans un monde qui va mal », nous nous sommes demandé comment nous pouvions aller bien dans un monde aussi mal en point et qui maltraite les plus fragiles d’entre nous : les personnes étrangères avec ou sans titre de séjour, les classes populaires, les femmes, les personnes trans ou racisées… L’injonction à la bonne santé mentale – au départ un concept progressiste issu du champ de la psychiatrie – est un piège qui s’est refermé sur nous tous et toutes. Elle est devenue un outil de contrôle social au service du système capitaliste. Jusque dans les textes officiels émis par l’Organisation mondiale de la santé, la santé mentale est décrite comme une condition de la productivité des individus, « un état de bien-être qui permet à chacun […] d’apporter une contribution à la communauté ».

Et gare à celles et ceux qui protesteraient un peu trop fort ou dérogeraient aux attendus de leur condition. Comme l’ont démontré les travaux de terrain de la sociologue Isabelle CoutantIsabelle Coutant, Troubles en psychiatrie. Enquête dans une unité pour adolescents, La Dispute, 2012., il n’est pas rare que des adolescents racisés vivant dans des quartiers populaires soient admis dans des unités psychiatriques pour des comportements qui relèvent en réalité de la transgression sociale. Déjà, dans les années 1960, aux États-Unis, nombre de militant·es noir·es pour les droits civiques ont été interné·es. Et dans beaucoup de pays occidentaux, des femmes diagnostiquées comme dépressives ou hystériques ont été envoyées à l’asile, voire lobotomisées.

En 2025, l’injonction faite aux citoyen·nes à être en bonne santé, mentale et physique, sans être placé·es dans des conditions qui le permettent, relève toujours d’une stratégie politique de normalisation et de contrôle des corps minoritaires ; les luttes menées depuis les années 1970 nous ont appris que le soin pouvait être le terreau d’une révolution. Dans ce numéro, nous mettons en lumière des tentatives, collectives ou individuelles, pour repenser le lien entre soignant·es et soigné·es, pour rendre leur agentivité à celles et ceux qui souffrent.

On parle ici des approches communautaires de santé, adoptées par des soignant·es engagé·es dans des quartiers populaires. On parle aussi de ces malades chroniques qui parviennent à faire reconnaître leur vécu de la maladie comme une expertise par le corps médical. On parle enfin de ces soignantes maltraitées, parfois maltraitantes malgré elles, qui se battent pour que de meilleures conditions de travail leur permettent de mieux prendre soin des autres. Parce que, comme l’affirme une aide-soignante interviewée dans ce numéro : « Quand on soigne bien quelqu’un·e, on se sent bien. » On aimerait que, à l’heure de faire passer des lois, nos dirigeant·es s’en souviennent. •

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28.10.2025 à 16:54

« Les hormones du malheur » : une BD inédite de Sole Otero

Sole Otero

Pour les personnes utilisant un lecteur d’écran, les planches de cette bande dessinée sont décrites dans le corps du texte.
Texte intégral (4210 mots)

Pour les personnes utilisant un lecteur d’écran, les planches de cette bande dessinée sont décrites dans le corps du texte.

Une planche de BD en 6 cases qui racontent les premières règles de l'autrice. Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Sole Otero est assise sur un avion en direction de l’Europe depuis l’Argentine. Des hormones stylisées lui font coucou depuis chaque continent. Elle dit : « Bonjour ! Bonsoir ! Je m’appelle Sole. Je suis une femme cis de 40 ans. Artiste argentine, j’ai émigré en France il y a environ 5 ans. Enchantée ! »
  • Deuxième case : Sole Otero marche, suivie de petites hormones. Cartouche : « Quand j’étais une jeune fille, les hormones, pour moi, c’était juste quelque chose que j’avais étudié à l’école, quelque chose qui accompagnait mon cycle menstruel, et rien de plus.»
  • Troisième case : Plusieurs visages parlent. Cartouche : « Quand j’ai eu mes premières règles, ma mère et mes professeur·es m’ont avertie des effets secondaires qu’elles pouvaient entraîner. Je ne m’en suis jamais vraiment inquiétée.»
  • Quatrième case : Sole Otero est en position fœtale, pliée de douleur. Elle explique : « Environ une fois par mois, une partie de mon corps commençait à me faire mal, annonçant que j’allais bientôt saigner. N’importe quelle partie de mon corps pouvait être douloureuse. Il était très rare que je ne souffre pas. La douleur était forte mais elle passait très facilement dès que je prenais du paracétamol. »
  • Cinquième case : La mère de Sole Otero la rassure. Cartouche : « À en juger les commentaires de ma mère, il s’agissait d’un syndrome prémenstruel.» Sa mère dit : « Tu vas sans doute avoir tes règles. »
  • Sixième case : Sole Otero s’énerve contre un petit copain qui fait une remarque sexiste. Cartouche : « Mes petits amis étaient du même avis. Son petit copain dit : « Tu es sûre de vouloir rompre ? Tu n’aurais pas tes règles ? » Légende : « D’une certaine manière, à cette époque-là, mon problème hormonal ne me paraissait pas si grave.»
Une planche de bande-dessinée en 8 cases qui racontent une relation toxique et les problèmes hormonaux de l'autrice. Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Un homme se tient debout, pointé par une flèche. Cartouche : « À 28 ans, j’ai rencontré lui.”
  • Deuxième case : Le même homme est dessiné trois fois – amoureux, penaud, en colère – face à Sole Oero qui est perplexe. Cartouche : « Ma relation avec lui a été marquée par la manipulation et l’emprise psychologique.»
  • Troisième case : Sole Otero est allongée par terre sous un cœur et un symbole peace and love brisés. Cartouche : «J’ai subi une forme de gaslightingForme de manipulation mentale qui a pour effet de faire douter la victime de sa mémoire et de sa santé mentale. qui m’a fait me méfier de ma propre perception de la réalité. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à souffrir non seulement de violentes migraines, mais aussi d’une profonde dépression et de crises d’angoisse.»
  • Quatrième case : Sole Otero se tient seule au milieu de la case. Cartouche : «J’ai réussi à me séparer de lui au bout d’un an. J’ai ensuite consacré beaucoup de temps à tenter de me reconstruire. À essayer de croire à nouveau en ma vision du monde.»
  • Cinquième case : Sole Otero est assis par terre devant des papiers. Cartouche de la case : « À sublimer mon expérience. Tout simplement à survivre.” Bulle qui pointe vers les papiers : (Ma première BD raconte toute cette histoire.)
  • Sixième case : Sole Otero pleure, debout sur un pèse-personne les bras remplis de mots dans une bulle qui dit :
    « Mais après ça, pendant 4 ans, les maux de tête, problèmes de poids, crises d’angoisse et dépression… ont été mon quotidien.»
  • Septième case : Sole Otero dans plusieurs sens et états (joie, tristesse, incompréhension…). Cartouche : « Mon ex s’était-il mal comporté avec moi parce que j’étais dépressive et insupportable ? Ou bien suis-je tombée en dépression parce qu’il se comportait ainsi ? La douleur ? Était-elle une sorte de punition ?»
  • Huitième case : Sole Otero assise par terre, devant des silhouettes en noir et blanc. Cartouche : « Mon cas n’est pas isolé. D’après une étude publiée par Santé Publique France (2022), les femmes victimes de violences conjugales sont dans un état de santé général moins bon, ont plus de problèmes physiques, psychologiques et mentaux, consomment plus de soins médicaux que les femmes non victimes.»
Une planche de bande-dessinée en 9 cases qui racontent la découverte d'une tumeur sur l'hypophyse de l'autrice qui explique ses problèmes hormonaux. Elle raconte ensuite les effets bénéfiques de son nouveau traitement.  Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Cartouche : « La réponse à mes questions est arrivée après avoir couru chez le médecin.» Sur l’image Sole Otero se représente pendant un rapport sexuel, les seins giclant sur son nouveau copain. Elle fuit, honteuse.
  • Deuxième case : Cartouche : « J’ai alors découvert que…» : un médecin lui annonce « Votre taux de prolactine est très élevé. »
  • Troisième case : Légende : « Et que… : le médecin lui dit « Vous avez une tumeur à l’hypophyse. » La tumeur est dessinée sur l’épaule de Sole Otero, désignée comme « Lui ».
  • Quatrième case et cinquième case : Sole Otero passe par plusieurs états de détresse émotionnelle, accompagnée de sa tumeur. Ses copain·es parle à la tumeur « Comment ça va le “microchipPuce électronique en anglais” ? ». Cartouche : “Cette nouvelle a eu un “certain” effet sur moi. Pour me rassurer et apaiser mon inquiétude, et sachant que la tumeur était bénigne, mes ami·es lui ont donné un surnom affectueux.»
  • Sixième case : Des cachets se battent avec la tumeur. Cartouche : “Ma tumeur était trop petite pour qu’on risque une intervention chirurgicale mais elle pouvait être soignée par des médicaments.»
  • Septième case : Sole Otero est heureuse au soleil. Un cachet et la tumeur se font un câlin à ses pieds. Elle dit : « Je me sens merveilleusement mieux ! » Cartouche : « Effectivement, dès que j’ai commencé à prendre de la cabergoline pour tenter de réduire sa taille…»
  • Huitième case : Cartouche : « …c’était comme si quelqu’un m’avait enlevé un poids énorme. Mon quotidien s’est nettement amélioré.» Sole Otero est dans son lit et dit à la tumeur « Plus de migraines ! ».
  • Neuvième case : Sole Otero est entourée de femmes enceintes. Cartouche : « Les médecins m’ont informée que, à cause d’un taux élevé de prolactine pendant toutes ces années, j’avais sans le savoir traversée une période d’infertilité. La prolactine est l’hormone qui régule la croissance des seins et la production de lait pendant l’allaitement. Sa présence réduit la probabilité de tomber enceinte, mais aucun médecin ne m’a jamais dit que la dépression dont j’avais souffert pendant toutes ces années pouvait être liée à ce qui se passait au niveau de ma glande pituitaireAutre nom de l’hypophyse.»
Une planche de bande-dessinée en 8 cases qui racontent la vie quotidienne avec un traitement hormonale, la dysphorie prémenstruelle et leurs conséquences.  Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Sole Otero entourée de post-it et d’alarmes dans différentes situations de la vie quotidienne. Cartouche : « J’ai également découvert que chaque fois que j’oubliais de prendre une de mes pilules de cabergoline, je courais le risque d’avoir des maux de tête pendant une semaine et d’éprouver une tristesse extrême.»
  • Deuxième case : Sole Otero dit «Je veux mourir. » agenouillée avec sa tumeur à côté. Cartouche : «Et j’ai commencé à souffrir de ce que les médecins appellent la dysphorie prémenstruelle.»
  • Troisième case : Sole Otero est la tête au sol et dit « Mais si je meurs, je détruis ma famille… Je ne peux pas. » Sa tumeur est à côté d’elle. Cartouche : « Plusieurs fois, j’ai pensé que plus rien ne valait la peine.»
  • Quatrième case : Sole Otero, accompagnée de sa tumeur, est à genoux, le poing levé, et dit « Le monde est horrible, je le vois clairement maintenant. » Dans le fond, on lit le mot « Frustration » et le début de « Problème » et « Difficile ». Cartouche : « Et même si je savais que c’étaient mes hormones qui parlaient, je ne pouvais pas m’empêcher de les écouter.»
  • Cinquième case à huitième case : Sole Otero envoie le message « Cher ex, je t’aime. », déchire des papiers, bloque quelqu’un sur son téléphone et pleure en rendez-vous de travail, toujours accompagnée de sa tumeur. Cartouche : « Tout n’est pas que de la faute de mon syndrome prémenstruel, ou de mon microchip, mais à cause d’eux, j’ai fait des choses parmi les plus stupides de ma vie. Un peu comme si j’étais ivre d’anxiété et de dépression. Ce malaise m’appartenait, mais le syndrome prémenstruel me faisait l’exprimer de la manière la plus inappropriée.»
Une planche de bande-dessinée en 10 cases qui racontent l'impact du Covid sur les troubles hormonaux et comment l'autrice s'est rapprochée d'autres personnes avec les mêmes troubles pour trouver des réponses à ses questions.  Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Sole Otero, accompagnée de sa tumeur, sautille d’un côté de la case à l’autre. Sole Otero dit : « Au moins, il me restait trois semaines par moi où j’étais bien. Et, comparé à mon état précédent, c’était merveilleux pour moi. »
  • Deuxième case : Le virus du Covid demande la tumeur en mariage sur l’épaule de Sole Otero. Cartouche : “Mais quand j’ai contracté le Covid en 2020, avant d’être vaccinée, j’ai eu une rechute.»
  • Troisième case : Cartouche : “Et quand j’ai finalement réussi à trouver un médecin, j’ai découvert que le microchip avait grossi et que le dosage de mon traitement devait être augmenté.» Sole Otero a sa tumeur sur le dos. Elle explique que « C’était compliqué parce que je n’avais pas encore d’assurance maladie en France. »
  • Quatrième case : Sole Otero dans différentes positions avec le virus du Covid et sa tumeur. Elle explique : « Peut-être que c’était le virusOn suspecte des atteintes à l’hypophyse dans les formes graves de Covid. du Covid long qui m’a épuisée pendant des mois. Ou simplement le hasard. Peut-être que c’était à cause du stress du confinement. »
  • Cinquième case : Un médecin donne une ordonnance à Sole Otero. Cartouche : « Heureusement, tout s’est arrangé avec l’ajustement de la médication.»
  • Sixième case : Sole Otero tient son ordonnance dans la main. Cartouche : « Mais je n’ai trouvé aucun médecin capable d’expliquer de qui m’arrivait. Alors j’ai commencé à en parler avec des personnes qui avaient des problèmes similaires au mien.»
  • Septième case : Une personne à Hollywood dit « Si j’oublie de prendre mon médicament, je deviens dépressive. » Cartouche : « Quelqu’une avec le même type de tumeur et les mêmes symptômes.»
  • Huitième case : Une personne dans une ville dit « Le médicament qu’on m’a donné a provoqué chez moi une crise psychotique. J’ai eu des hallucinations et j’ai failli me jeter d’un balcon. J’ai dû arrêter immédiatement et apprendre à vivre avec. » Cartouche : « Quelqu’une avec le même type de tumeur et les mêmes types de problèmes.»
  • Neuvième case : Une personne à la campagne dit « J’ai commencé à voir double et à avoir des vertiges. Finalement des médecins m’ont opéré pour retirer la tumeur. Cartouche : « Une personne avec la même tumeur mais d’un autre sexe.»
  • Dixième case : Une personne à Paris dit « Je ne savais pas ce qui m’arrivait, j’ai abandonné mes enfants et ma famille et je voulais juste faire la fête. J’ai dépensé tout l’argent que j’avais. J’ai eu une période maniaque, en gros. » Cartouche : « Quelqu’une avec une tumeur dans une autre glande.»
  • Cartouche des cases 7 à 8 : « Je me suis donc demandé à quel point les problèmes en particulier des femmes, étaient étudiés.»
Une planche de bande-dessinée en 4 cases qui explique combien de personnes sont affectées par les troubles et qui elles sont ainsi que leurs conséquences et leur traitement par la société.  Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Un fond bleu marine unie. Cartouche : « Après avoir consulté des sites et des revues spécialisées, j’ai compris que les problèmes hormonaux peuvent être la cause de sérieuses difficultés à mener une vie normale, conduisant même certaines personnes au suicide. En fait, ils peuvent tuer.»
  • Deuxième case : Sole Otero et son petit ami se disputent. Il dit : « Qu’est-ce qui t’arrives ? Tu as tes règles, non ? ». Elle répond : « Non, je suis en colère parce que tu es toxique ! » En gris, à côté de sa réponse, il y a écrit « Je n’ai jamais réussi à répondre ça » avec un petit smiley triste. Cartouche : « Mais les problèmes hormonaux ont tendance à se dissoudre dans le sexisme ordinaire.»
  • Troisième case : Plusieurs hommes et femmes sont les uns à côté des autres, en noir et blanc. L’une d’elleux dit « Certaines femmes, pas toutes, sont fortement affectées par les hormones. » Sole Otero, en couleur et devant ajoute « Et quelques-unes le sont de manière extrême. »
  • Quatrième case : Des personnes sur la Terre sont découpée en trois groupes. L’un d’eux représente 25 % de la population mondiale et l’autre 65 %. Cartouche : « Combien de femmes souffrent de problèmes de dépression ou d’anxiété liés à leurs hormones ? Les statistiques ne sont pas claires. En ce qui concerne le « microchip », un quart de la population mondiale serait porteuse d’une tumeur bénigne de l’hypophyse, et 65 % des gens subiraient des variations hormonales, avec les effets qui vont avec. Mais bien sûr, on peut souffrir d’une dépression liée à des déséquilibres hormonaux sans nécessairement avoir une tumeur à l’hypophyse.»
Une planche de bande-dessinée en 5 cases qui expliquent le cycle hormonal des personnes qui ont leur règles et comment cela affecte leur vie quotidienne dans un monde capitaliste.  Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Sole Otero est face à un graphique des variations d’hormone lors d’un cycle menstruel. Le 14e jour marque l’ovulation, le 28e le dernier jour du cycle. Avant le 28e jour, une « période difficile » est indiquée. La progestérone augmente entre l’ovulation et les règles, l’œstrogène augmente au moment de l’ovulation avant de diminuer et réaugmenter légèrement au moment des règles puis de diminuer fortement. La FSHHormone folliculo-stimulante qui agit sur la maturation des follicules ovariens. augmente entre les règles et l’ovulation puis au moment même de l’ovulation. La LHHormone lutéinisante qui déclenche l’ovulation. augmente en pic le jour de l’ovulation. Cartouche : « Le cycle menstruel est régulé par les hormones. Le saignement marque le début de la phase d’émission d’œstrogènes : à ce moment-là, les femmes cisgenres retrouvent souvent de l’énergie. Puis l’ovulation provoque la sécrétion de progestérone. La concentration dans le sang de ces deux hormones diminue à la fin du cycle. C’est au cours de la phase prémenstruelle que les femmes cisgenres sont naturellement fatiguées.»
  • Deuxième case : Sole Otero fait sa valise et se rend dans un aéroport, en se précipitant, accompagnée de la tumeur dans sa valise. Elle dit : « Mais que se passe-t-il si, au cours de cette phase, au lieu de se reposer, elles sont stressées et fonctionnent à plein régime, comme l’exige le monde capitaliste ? Des troubles émotionnels peuvent-ils provoquer l’apparition de tumeurs ou modifier l’équilibre de nos hormones ? Est-il possible que le fait d’avoir été dans une relation si stressante et violente ait également pu générer l’apparition d’une tumeur chez moi ? Ou est-ce que la tumeur m’a privée d’une énergie et d’une clairvoyance qui m’auraient permis d’échapper à cette relation toxique à temps ?
Une planche de de bande-dessinée en 6 cases qui expliquent les liens entre les activités de la vie quotidienne et les variations d'hormones. Elle explique également le peu de recherches, de connaissances et de traitement transversaux ainsi que les tabous qui empêchent de soigner correctement les troubles hormonaux.  Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Sole Otero nage dans une piscine. Cartouche : « La dopamine, le neurotransmetteur qui permet à beaucoup de nos activités cérébrales de se dérouler normalement, et qui est connue comme la molécule du bonheur, augmente naturellement grâce à l’activité sportive.» Sole Otero dit : « C’est sans doute pour cela que la meilleure solution que j’ai trouvée au cours de ces années pour soulager la dysphorie du syndrome prémenstruel était de maintenir une routine d’exercice stricte. »
  • Deuxième case : Sole Otero s’étire sur un tapis de yoga avec sa tumeur. Cartouche : « Le lien entre les différentes glandes est encore à l’étude, il existe de nombreuses statistiques et certaines relations claires ont déjà été établies. Cependant, chaque organisme a des particularités qui échappent à un système médical proposant de moins en moins de traitements personnalisés et holistiques. »
  • Légende des case cases 3, 4 et 5 : « Les études de laboratoire ne suffisent pas. Sans un suivi transversal des patientes, de nombreux problèmes passent inaperçus.»
  • Troisième case : Un psychiatre dit « C’est un problème neurologique. »
  • Quatrième case : Un endocrinologue dit « C’est un problème psychiatrique. »
  • Cinquième case : Un neurologue dit « C’est un problème hormonal. »
  • Sixième case : Une militante féministe point levé dit « Arrêtez de dire que les hormones nous affectent. » Derrière elle, Sole Otero pense « Mais elles m’affectent. ». Une flèche la désigne avec la légende « Mauvaise féministe ». Cartouche : Et en plus le sujet est encore tabou.
Planche de bande-dessinée en 4 cases qui expliquent la tension entre les clichés sexistes sur l'instabilité émotionnelle des femmes et la sensibilisation nécessaire sur les troubles hormonaux.  Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Sole Otero se bat avec une épée contre un monstre « Stigmate» à plusieurs bras. Cartouche : «Je trouve parfois compliqué de lutter contre le stéréotype selon lequel les femmes seraient folles ou instables »
  • Deuxième case : Sole Otero est agenouillée aux pieds du monstre qui hausse les épaules. Cartouche : « tout en assumant que les hormones causent chez moi de réels problèmes d’instabilité émotionnelle et psychologique.»
  • Troisième case : Sole Otero dit « Merde, c’est long ! » en essayant de lire « Neuropsychoimmunoe… » Le mot est coupé. Cartouche : « Heureusement, ces sujets sont de plus en plus souvent médiatisés et, ces dernières années, des remèdes sont apparus qui permettent de réduire les effets du syndrome prémenstruel et de la dysphorie du syndrome prémenstruel. Il y aurait aussi tant à dire sur la dépression post-partum et les hormones pendant la grossesse ou la ménopause tous ces problèmes hormonaux doivent encore faire l’objet d’études approfondies.»
  • Quatrième case : Plusieurs femmes à travers les époques sont représentées avec des états émotionnels compliqués. Sole Otero demande : « Combien de problèmes psychiatriques dont tant de femmes ont souffert au cours de l’histoire ont été causés par des déséquilibres hormonaux comme le mien ? Combien de femmes souffrent encore sans être diagnostiquées ? »
Planche de bande-dessinée en 3 cases qui conclut sur l'équilibre auquel l'autrice est arrivé pour vivre avec ses troubles hormonaux.  Voir sous l'image pour une description plus détaillée.
  • Première case : Sole Otero regarde un bébé qui s’étonne. Elle explique : « J’ai vécu 4 ans avec les hormones d’une femme allaitante. C’est sans doute pour cela que je ne suis pas tombée enceinte. Et maintenant je ne veux plus d’enfant. »
  • Deuxième case : Cartouche : « J’ai cette théorie qu’en réalité ma production de prolactine était peut-être tout simplement un mécanisme de défense. Si je n’avais pas eu de tumeur, je serais probablement tombée enceinte, ce qui m’aurait liée à jamais à un homme toxique. Cela aurait grandement compliqué ma vie.» Sole Otero est illuminée par un projecteur dans son lit. Elle ajoute : « Le prix à payer était élevé. Et de toutes façon, ce n’est que de la pensée magique. »
  • Troisième case : Cartouche : « Heureusement, grâce à mon expérience, l’aide de mes proches et de traitements médicaux, j’ai maintenant une vie presque normale. Il me faut juste :
    - Faire de l’exercice.
    - Recherche l’exposition au soleil.
    - Prendre rigoureusement ma cabergoline.
    - Prendre soin de moi, éviter le stress et la fatigue (surtout vers la fin de mon cycle).»
    Sole Otero conclut : « Je souhaite vraiment aux femmes souffrant de troubles hormonaux un chemin vers l’équilibre plus doux que le mien. »
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28.10.2025 à 14:58

Chirinne Ardakani : « La résistance féministe antiguerre n’a pas dit son dernier mot »

Chirinne Ardakani

Dans l’Europe de 1938 en proie au fascisme, Virginia Woolf revendiquait déjà, dans son essai Trois Guinées, la force transformatrice du féminisme pour assurer une paix juste et la démocratie […]
Texte intégral (1204 mots)

Dans l’Europe de 1938 en proie au fascisme, Virginia Woolf revendiquait déjà, dans son essai Trois Guinées, la force transformatrice du féminisme pour assurer une paix juste et la démocratie mondiale : « Dans l’histoire, rares sont les êtres humains qui sont tombés sous les balles d’une femme. »

L’actualité internationale récente donne immanquablement raison à l’autrice : à Gaza, à Kyiv et à Téhéran, l’habit, ou plutôt le treillis, fait le mâl(e). Partout, le pouvoir militarisé des Khamenei, Nétanyahou, Poutine, Trump et consorts tue les civil·es, accapare les terres et détruit le vivant.


La guerre de douze jours entre Israël et l’Iran en juin 2025 fut, de ce point de vue, un cas d’école du patriarcat en bande organisée et de la menace qu’il fait peser non seulement sur les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais aussi sur celles et ceux qui sont les plus menacé·es par la militarisation et le réarmement des sociétés : les femmes, les étranger·es et les communautés LGBTQIA+, ethniques ou confessionnelles opprimées, voire persécutées.


Sous les décombres, en plein cœur de la capitale iranienne, riche de ses neuf millions d’habitant·es, les corps sans vie de centaines de civil·es parmi lesquel·les des citoyen·nes ordinaires ayant pris part au mouvement « Femme, Vie, Liberté » ; mais aussi, les prisonnier·es politiques de la prison d’Evin, bastion de la résistance non violente à la dictature, détruite en quelques secondes par une frappe « symbolique » israélienne. Une goutte dans un océan de sang, en comparaison avec les dizaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes en proie, au même moment, à la famine, à l’apartheid et au génocide et, à une tout autre échelle, avec les peuples de la région, Syrien·nes, Libanai·ses, Irakien·nes et Yéménites en tête, victimes des impérialismes régionaux de Nétanyahou comme de Khamenei.

Se souvenir de Jina Mahsa Amini

Revendiquer, en féministes, le droit universel de vivre (ou de ne pas être tué·e) fait particulièrement sens quand, partout, plus encore en République islamique d’Iran, on ne naît pas femme : on en meurt. Voilà trois ans, presque jour pour jour, que Jina Mahsa Amini n’est plus. Elle a été tuée non pour un voile mal porté, mais pour avoir refusé de se soumettre à la loi de l’État patriarcal qui impose un contrôle politique et social sur le corps des femmes. Ce féminicide nous rappelle que, de tous les adversaires des femmes, c’est le pouvoir clérical militarisé qui est le plus à craindre.

Certes, les Iraniennes subissent chaque jour les lois de ségrégation et de domination injustes. Mais c’est la main répressive de l’État coercitif, de sa police infâme (la police des mœurs) et de ses milices (les gardiens de la révolution) qui les font violemment appliquer. « Nous ne voulons ni les balles du dictateur ni les bombes de l’agresseur. Nous revendiquons notre droit légitime à l’existence », écrivait, en persan, une internaute anonyme. Mais sous le vacarme des bombes, nul·le
n’entend plus le cri des Iraniennes en lutte pour la liberté et l’égalité.


Nous, les féministes, n’essentialisons pas les femmes lorsque nous disons que la guerre contre la démocratie est toujours une affaire de patriarcat. Officiellement, tous mènent des guerres « préventives » et « chirurgicales » illégales au nom du père. Pour garantir le droit de la patrie (le pays des pères) à exister, à se défendre, sinon à s’étendre ou pour réaliser la prophétie d’un saint patron au terme d’un récit mythologico-religieux opposant les civilisations. Conclusion ? Pour éradiquer le mensonge de la guerre « propre », il nous faut tuer politiquement l’homme fort.

Résister à la guerre

C’est dire si le mouvement féministe est, de tous les mouvements sociaux, le cadre le plus pertinent pour résister au complexe militaro-industriel et à la production de la violence comme norme hégémonique virile. Au-delà du pacifisme, le féminisme est un antimilitarisme parce qu’il refuse le système de valeurs rétrogrades suivant lesquelles on deviendrait un « homme en rampant », pour citer la sociologue turque Pınar Selek, tandis que les femmes resteraient à l’arrière, au soutien d’une économie de réquisition des corps et des utérus toute tournée vers la production de soldats.


En contexte de guerre, intervenir sur les plateaux télévisés fut, pour l’avocate et militante féministe que je suis, particulièrement éprouvant. D’abord parce que l’intensification des bombardements donne matière aux experts balistiques à vanter, en direct, les dernières prouesses de l’industrie de l’armement pour tuer davantage et à moindre coût. Puis, aux éditorialistes d’assurer le service après-vente de la guerre pour tenter de légitimer, contre le droit, la mort des civil·es au nom de la sécurité, ou pire, de leur propre « liberté ».


Si le gaslighting est « l’art de faire taire les femmes », pour reprendre le titre d’un livre d’Hélène Frappat, les va-t-en-guerre excellent dans cette discipline. Célébrées pour leur révolte chantante et dansante ou lorsqu’elles faisaient tomber le voile obligatoire en signe de résistance à la tyrannie, voici que, tout à coup, les mêmes Iraniennes ne méritaient plus de vivre. « Chair à viol On doit l’expression à la philosophe féministe Françoise d’Eaubonne dans Le Féminisme ou la mort, 1974 (réédité au Passager clandestin en 2020). » ou chair à canon, définitivement, pour les femmes, il faut choisir.


Mais la résistance féministe antiguerre n’a pas dit son dernier mot : « Don’t wowan life freedom us murderer » (« Ne parle pas de “Femme, Vie, Liberté” avec nous, criminel »), pouvait-on lire sur une pancarte brandie par une manifestante iranienne en juin 2025. Dans leur révolution pour la vie, les femmes et les peuples en lutte n’ont besoin ni de sauveurs ni de libérateurs. Elles pourront compter sur la force démocratique, solidaire et non violente du mouvement transnational de libération des femmes, par elles-mêmes, pour vaincre le pacte des brutes. •

Chirinne Ardakani est avocate. Elle exerce en droit pénal international et en droit des étranger·es. Fille d’Iranien·nes ayant fui la dictature de Khamenei, elle préside l’association Iran Justice pour documenter les crimes d’État en Iran.
Elle a cosigné Des Iraniennes. Femme, vie, liberté, 1979–2024, éd. des femmes, 2024.

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28.10.2025 à 14:37

« Être aide-soignante, ce n’est pas seulement faire la toilette »

Iris Ouedraogo

Ma vocation a débuté grâce à ma mère. Mes parents étaient immigré·es. Mon père était ouvrier, ma mère sans emploi, mais elle a eu besoin d’un salaire pour élever ses […]
Texte intégral (1044 mots)

Ma vocation a débuté grâce à ma mère. Mes parents étaient immigré·es. Mon père était ouvrier, ma mère sans emploi, mais elle a eu besoin d’un salaire pour élever ses dix enfants.

Dans les années 1980, elle a donc commencé à travailler comme aide à domicile à Sèvres dans les Hauts-de-Seine. Elle se rendait chez des personnes âgées plutôt aisées. Elle les aidait à faire leurs courses, leur toilette, elle leur préparait les repas. Moi, j’étais petite, je la suivais au travail, et j’aimais bien l’échange qu’elle avait avec ces gens, je l’admirais. Il y avait un dialogue, une relation proche.


En grandissant, j’ai décidé de travailler, moi aussi, auprès des personnes âgées. J’ai commencé dans une USLD, une unité de soins de longue durée. Le personnel était nombreux. On avait vingt-six patientes et patients pour cinq soignantes. Le travail était dur, mais il y avait une bonne organisation. On arrivait à 7 h 30 et on repartait à 14 h 30. L’après-midi, on pouvait se reposer. Aujourd’hui, dans les Ehpad [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], on travaille quatre heures de plus, on fait des journées de douze heures. Ça a accentué la dégradation de nos conditions de travail.

Dans les années 1990, on avait le temps de coiffer les patientes, de les maquiller. On fêtait les anniversaires, on communiquait, on parlait de leur vécu. C’étaient de vraies relations humaines. Je ressentais vraiment une satisfaction. Quand on soigne bien quelqu’un·e, on se sent bien. Quand j’arrive à soulager leur souffrance, je me dis que j’ai réussi à me rendre utile. Lorsque j’ai débuté, ce que j’aimais dans mon métier, c’était m’asseoir à table avec les résidentes et les résidents, discuter autour d’un café, écouter leurs histoires. Mais aujourd’hui, c’est devenu impossible.


Et puis aussi, au fil des années, on vieillit. On est plus fragiles, notamment sur le plan de la santé. Moi, par exemple, je n’ai plus de souplesse. J’ai des douleurs au niveau du genou, je n’arrive plus à le plier. La santé mentale aussi en prend un coup, parce que la charge est énorme. Parfois, on n’arrive pas à accomplir nos missions quotidiennes. On rentre chez soi, on se dit : “Je ne me suis pas occupée de ça.” Une fois, j’ai oublié de passer voir une résidente en fin de vie, parce que j’étais trop prise par le travail. J’essaie d’être très attentive pour ne pas les laisser partir seul·es. Et là, de ne pas être allée la voir, de ne pas lui avoir bien mis sa table, de ne pas avoir placé son verre à côté… Je m’en suis voulu.

Dans cet établissement, nous étions trois soignantes sur douze heures pour nous occuper de quarante résident·es. C’est du travail à la chaîne, qui rend impossibles les soins de qualité. Être aide-soignante, ce n’est pas seulement faire la toilette. Il y a aussi les attentes des résident·es : l’envie de boire un verre d’eau, qu’on leur ouvre le volet, le besoin qu’on les change. Si les résident·es n’ont pas cet accompagnement, c’est une souffrance…


Pendant le covid, ça a été très dur. Quand la pandémie a démarré [en 2020], j’étais syndicaliste à temps plein à la CGT depuis 2015. Pour soutenir les collègues, j’ai repris mon poste d’aide-soignante en Ehpad quand les contaminations ont explosé. Je suis arrivée avec ma tenue et je me suis retrouvée seule dans un service de quarante résident·es. Deux autres aides-soignantes sont arrivées deux heures plus tard. Il fallait mettre en place toutes les protections sanitaires : enfiler des gants, faire le nettoyage. On avait tellement peur. Au début, on manquait de moyens et les premières protections fournies étaient d’abord pour les médecins. J’étais très inquiète, je me disais qu’on allait tous·tes mourir.

Quand les hôpitaux ont été saturés, ils ont transféré des patient·es contaminé·es dans l’Ehpad. C’est à ce moment-là que le covid s’est propagé et que nous avons commencé à perdre des personnes âgées. Dans notre service, le personnel n’a pas été touché, mais à côté, tout un service a été contaminé. Les résident·es décédé·es partaient sur des brancards plastifiés, sans être lavé·es, dans des frigos qui attendaient dans la rue. Il y a eu des séquelles chez les collègues après le covid : des infarctus, des AVC, une perte de vue temporaire… Personne n’en parle.


On n’a pas protégé nos personnes âgées. Il y a quand même une responsabilité d’avoir laissé ces résident·es mourir et ces personnels sombrer dans le désespoir. Pendant la pandémie, on nous applaudissait, on faisait preuve de bienveillance envers nous. Il y a eu un élan de solidarité, même la direction mettait la main à la pâte et venait nous aider à distribuer les repas. Mais aujourd’hui, toute cette histoire est finie. Les directions font comme avant : on ne nous parle que de restriction des budgets. L’argent est redevenu la priorité. Terminée la bienveillance envers le personnel, il faut suivre les directives et c’est tout.


Aujourd’hui, je reste engagée et je suis sur le terrain en tant que syndicaliste. On m’appelle “la reine des Ehpad”, car j’y passe tout mon temps. Je vais voir mes collègues, je leur fais à manger, je leur donne des conseils pour prendre le temps de bien accompagner les résident·es, je me bats pour les conditions de travail. Et là aussi, je sens que je prends soin des autres. » •

Propos recueillis par téléphone le 23 mai 2025.

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28.10.2025 à 14:06

D’où vient le mot queer ?

Marie Kirschen

Voilà un mot qui, en seulement quelques années, s’est largement répandu dans l’espace public. On le retrouve dans les manifestations pour les droits des personnes LGBTQIA+, bien sûr, mais aussi […]
Texte intégral (2480 mots)

Voilà un mot qui, en seulement quelques années, s’est largement répandu dans l’espace public. On le retrouve dans les manifestations pour les droits des personnes LGBTQIA+, bien sûr, mais aussi dans la presse (« Sophia Bush fait son coming out queer et confirme son couple avec Ashlyn Harris », titrait par exemple le HuffPost en avril 2024), le cinéma (Queer, de Luca Guadagnino, sorti en 2024), sur Netflix (les programmes Queer Eye, Ultimatum: Queer Love, Queer Force), lors du Festival de Cannes (avec sa Queer Palm), etc.

Initialement injurieux, ce terme anglais signifiant « étrange » ou « bizarre » a fait l’objet d’une réappropriation et a été brandi comme étendard par celles et ceux qu’il stigmatisait, particulièrement depuis les années 1990. Peu usité par le grand public il y a encore dix ou quinze ans, le mot s’est peu à peu fait une place dans le langage des milieux culturels, urbains ou militants, aux côtés des sigles LGBT ou LGBTQIA+ (et parfois à leur place). Il est même très officiellement entré dans le dictionnaire Robert en 2019, défini ainsi : « Personne dont l’orientation ou l’identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants. »

Comment expliquer ce succès ? Désignant toutes les personnes qui s’écartent de l’hétéronormativitéEnsemble des normes qui présentent l’hétérosexualité comme étant l’orientation sexuelle « naturelle » et qui font que toute personne est présumée hétérosexuelle par défaut., que ce soit en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, le terme est pratique. Là où le sigle LGBT a besoin d’être augmenté de nouvelles lettres pour devenir plus inclusif, « queer » a l’avantage de l’être par défaut. Et intègre bien mieux les nuances possibles et les entre-deux. « Contrairement à d’autres formes de réappropriations d’insultes, comme “gouine” ou “pédale”, “queer” opère une réappropriation tout en questionnant les frontières des catégories et les normes qui nous constituent », observe Bruno Perreau, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et auteur du livre Qui a peur de la théorie queer ? (Presses de Sciences Po, 2018).

Le « pédé » des années 1930

Mais le terme a, en réalité, plusieurs usages. Et pour bien comprendre toutes ses nuances, il faut se replonger dans l’histoire de ses occurrences. On en trouve la trace en Grande-Bretagne, où dès le XVIe siècle il désigne des comportements atypiques ou étranges. À partir du XIXe siècle, il prend une connotation sexuelle et commence à être utilisé, en Grande-Bretagne comme aux États-Unis, pour stigmatiser les comportements déviants de la norme, et plus particulièrement l’homosexualité… avant d’être repris à leur compte par les premier·es concerné·es. Dans son Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (Larousse, 2003), le philosophe et sociologue Didier Eribon note que, dans les années 1920 et 1930, « désireux de se dissocier de l’image sociale dominante de l’homosexuel efféminé […], nombre de gays des classes moyennes, d’apparence plus discrète ou conventionnelle, se désignent comme queers, le mot devenant alors, pour eux, synonyme de ce que nous appellerions “pédé” ou “gay”. » Après la Seconde Guerre mondiale, et particulièrement à partir des années 1970, il est progressivement abandonné au profit du mot « gay » – plus lisse, plus positif – avec le succès que l’on sait.

Oublié, le « queer » ? Le terme connaît une nouvelle vie à la fin des années 1980 et au début des années 1990, à la fois dans le champ de l’activisme et au sein du monde académique. À cette époque, les associations militant en faveur des droits des homosexuel·les peinent à obtenir des victoires. Les malades du sida meurent sans que les pouvoirs publics ne prennent de mesures à la hauteur du drame. Une nouvelle génération s’investit alors dans un activisme plus radical, notamment au sein d’un groupe créé en 1990 pendant une réunion d’Act Up New York : Queer Nation. Lors des gay prides de l’été 1990, à Chicago et à New York, ce collectif distribue un tract qui restera célèbre : « Queers Read This ! » (« Queers, lisez ça ! »). Reprenant à leur compte l’insulte « queer », les activistes entendent ainsi s’opposer aux tentatives d’assimilation portées par les groupes gays ou lesbiens plus institutionnels : le but n’est plus de montrer que les homos, les bis, les trans sont tout aussi « normaux » que les hétéros, mais de rejeter avec force le modèle hétéropatriarcal. « Pour cette génération, cet usage politique de la queerness est une manière de dire qu’elle souhaite penser un autre projet de société, qui serait radicalement différent », décrypte Nelly QuemenerLire son article « Queer », coécrit avec Maxime Cervulle, dans Encyclopédie critique du genre, coordonné par Juliette Rennes, La Découverte, 2021., professeure en sciences de l’information et de la communication au Celsa Sorbonne Université (Paris). Au sein de collectifs souvent mixtes, femmes et hommes, la jeunesse queer investit de nouveaux modes d’action, comme les zaps, les die-in, les kiss-inLes zaps sont des actions-éclairs ciblant des institutions. Les die-in sont une forme de manifestation dans laquelle les participant·es s’allongent au sol pour simuler la mort, tandis que, dans les kiss-in, les manifestant·es s’embrassent pour visibiliser l’homosexualité dans l’espace public., pour s’opposer aux dérives consuméristes du mouvement LGBTQIA+ et pour articuler l’activisme homosexuel avec les questions de sexisme et de racisme – s’inscrivant, de fait, dans une dynamique intersectionnelle.

Dans le même temps, le terme « queer » se diffuse aussi dans le monde universitaire. Dès les années 1980, la penseuse et poétesse étasunienne d’origine mexicaine Gloria Anzaldúa l’utilise pour décrire son parcours, à la croisée de plusieurs frontières, territoriales, sexuelles ou ethniques (lire son portrait dans La Déferlante no 13). En 1990, sa collègue de l’université de Californie à Santa Cruz, la théoricienne féministe Teresa de Lauretis, organise un colloque pour lequel elle forge l’expression « queer theory ». Accoler ainsi une injure au terme « théorie », la démarche de Lauretis se veut provocatrice. L’universitaire entend montrer que les études gays et lesbiennes se focalisent généralement sur les gays, négligeant d’autres groupes sociaux en marge des minorités sexuelles, comme les personnes transgenres ou racisé·es. La même année, deux ouvrages obtiennent un écho important après leur parution aux États-Unis : Trouble dans le genre, de Judith Butler, et Épistémologie du placard, d’Eve Kosofsky Sedgwick. Ils ont en commun de déconstruire les catégories de genre et de remettre en cause une vision binaire des identités. Ces deux ouvrages vont être considérés a posteriori comme fondateurs de cette nouvelle théorie queer – quand bien même leurs autrices n’utilisent pas cette expression.

Dé-binariser le monde

Dans les années 1990, l’expression « théorie queer » se diffuse rapidement dans les cercles universitaires. Derrière l’intitulé se cache non pas une théorie unifiée, basée sur une doctrine claire, mais une diversité de textes qui ont pour point commun de s’inspirer de la pensée post­structuralisteLe poststructuralisme est un courant philosophique et critique né en France dans les années 1960 qui postule qu’un phénomène social ne peut s’étudier en dehors de la structure dans lequel il s’est construit. – les auteurs français Michel Foucault et Jacques Derrida, entre autres – pour analyser les normes de sexualité. Ces travaux montrent que les identités de genre et les orientations sexuelles ne sont pas naturelles mais construites. Elles présentent généralement le queer comme quelque chose que l’on fait, un regard porté sur les choses, plutôt que quelque chose que l’on est. « Il y a toute une réflexion sur le fait que les catégories habituellement en usage sont très binaires et ne peuvent embrasser la complexité des expériences de soi, détaille Nelly Quemener. La queerness, c’est aussi penser des corps, des subjectivités, des expériences qui se construisent autour de frontières poreuses, sans tenter de re-binariser le monde. »

Institutionnalisées au sein des universités étasuniennes au cours des années 1990, les études queers vont rapidement se voir reprocher d’être mises à toutes les sauces et de perdre de leur fertilité intellectuelle. « Ce qui, au départ, était une révolte contre les étiquettes, une “insubordination”, pour reprendre un terme de Judith Butler, est devenu une étiquette aussi figée que celles que l’énergie queer avait pour but de subvertir », se désole ainsi Didier Eribon dès 2003, dans son Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes. Teresa de Lauretis elle-même prend ses distances avec la théorie queer, estimant que le terme est devenu « une créature de l’industrie du livre conceptuellement vide ». Reste que, dans la continuité des études de genre et des études gays et lesbiennes, la critique queer a permis d’ouvrir les réflexions sur les transidentités et les expressions de genre non normatives, jusqu’ici restées dans les marges, et a renouvelé les questionnements sur l’imbrication entre genre et sexualité.

En France, des universitaires comme Didier Eribon, Françoise Gaspard, Éric Fassin, Paul B. Preciado, ou encore Sam Bourcier contribuent à faire connaître les écrits des pionnier·es de la pensée queer, telle Judith Butler. Des collectifs militants queers voient le jour, souvent nourris de textes universitaires. On pense aux Panthères roses, « association de gouines et de pédés » créée en 2003, ou aux Tordues, qui organisent une contre-marche des fiertés en 2005, ou encore au groupe nantais des DurEs à queer.

Terme fluide

Avec cette multiplication de textes et d’actions se réclamant d’une stratégie queer, le terme gagne peu à peu les sphères de la pensée dominante – mais il est généralement débarrassé de sa charge politique radicale. Ainsi, la première série télévisée mettant en scène un groupe d’hommes gays s’intitule Queer as Folk (1999) – sans qu’il y soit vraiment question de subvertir les identités… Et quand, en 2003, la télé étasunienne lance une émission mettant en scène cinq experts homosexuels, elle l’appelle « Queer Eye for the Straight Guy », ce qui donne « Queer, cinq experts dans le vent » pour l’adaptation par TF1. « Le nom de cette émission était vraiment une façon de ne pas nommer les choses, pointe Bruno Perreau du MIT. Dans ce contexte, il y a ici le risque que “queer” euphémise une réalité. » Le mainstream se précipite pour utiliser le terme « queer », de peur d’avoir à utiliser des termes plus explicites, comme « gay » ou « lesbienne ».

Une personne tient une pancarte sur laquelle on lit « Kwir ansanm nou sobat » (« Queers ensemble, nous luttons ») lors d’une marche des visibilités LGBTQIA+ dans le sud de l’île de La Réunion en juillet 2024.
À l’occasion d’une marche des visibilités LGBTQIA+ dans le sud de l’île de La Réunion en juillet 2024, organisée par les différents collectifs de l’île. Sur la pancarte : « Kwir ansanm nou sobat » (« Queers ensemble, nous luttons »). Le mot « kwir » est une créolisation militante du mot « queer » par la communauté LGBTQIA+ réunionnaise.
Crédit : MARIE-JULIE GASCON

Aujourd’hui, plusieurs usages du mot cohabitent. Ainsi, dans son livre Queer, coécrit avec Philippe Liotard (éd. Anamosa, 2025), la doctorante Inès Liotard identifie cinq utilisations du terme par les participant·es des soirées techno queers qu’elle a étudiées. La principale est synonyme de LGBTQIA+, mais intègre « le fait que le genre serait davantage fluide ». Dans une deuxième acception, le mot « rassemble tout ce qui est en mesure de contrer l’hétéronormativité », en référence à la théorie queer. Dans un troisième usage, l’adjectif « queer » désigne un type de fête. Il est également employé « pour dire un mouvement politique ». Enfin, l’intitulé est utilisé pour désigner une culture « avec une esthétique et des apparences propres ». « Ce qui est à retenir, c’est la flexibilité, la souplesse du terme, résume de son côté Bruno Perreau. Chercher à avoir une définition canonique du queer serait un geste assez contradictoire avec ce dont on parle. »

Preuve de la souplesse du terme, si « queer » n’a jamais eu de traduction en français, il existe une adaptation du mot en créole réunionnais, « kwir ». « Ce n’est pas une simple traduction, fait valoir l’artiste plasticien·ne Brandon Gercara, qui l’utilise dans ses productions, car “kwir” s’ancre sur un territoire donné. Il opère la fabrication d’un “nous” qui conscientise les oppressions que nous vivons en commun, et qui ne sont pas vécues de la même manière dans d’autres territoires, tels que l’Europe ou les États-Unis. » Plus de vingt-cinq ans après sa réappropriation par Gloria Anzaldúa, le terme poursuit sa trajectoire féconde.

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28.10.2025 à 12:53

Miguel Shema : « Beaucoup de personnes sont discriminées dans le soin médical »

Yasmine Choukairy

Quelles sont les catégories de personnes les plus discriminées dans le système de santé ? L’histoire de la médecine est traversée par bon nombre de maltraitances et de pratiques injustifiées, dont nous, […]
Texte intégral (1306 mots)

Quelles sont les catégories de personnes les plus discriminées dans le système de santé ?


L’histoire de la médecine est traversée par bon nombre de maltraitances et de pratiques injustifiées,

dont nous, soignant·es, sommes en partie responsables. Le problème est que la plupart des gens ont une définition fausse de ce qu’est la maltraitance et pensent qu’elle résulte d’une volonté de maltraiter de la part de personnes qui auraient mauvais fond ou de mauvaises intentions. Penser ainsi, c’est minimiser l’importance des systèmes de domination [entre personnes racisées et personnes blanches, entre hommes et femmes, etc.]. Il existe une étude « Do emergency medicine health care workers rate triage level of chest pain differently based upon appearance in simulated patients? », European Journal of Emergency Medecine, décembre 2023. réalisée en 2024 auprès de médecins, d’internes et d’infirmier·es de services d’urgence en France, en Belgique, en Suisse et à Monaco. On leur a présenté une même situation clinique, avec pour seule différence le genre ou la couleur de peau de la personne à diagnostiquer. En l’absence de différence médicale biologique permettant de justifier un traitement différencié, les femmes, d’une part, et les personnes noires, de l’autre, étaient considérées comme des cas moins graves. Mais il est difficile de faire une liste exhaustive de toutes les personnes discriminées dans le soin médical, car il y a autant de dominé·es que de systèmes de domination.

Vous parlez dans votre livre du syndrome méditerranéen. De quoi s’agit-il ?


Dans l’inconscient du monde médical, certaines communautés font l’objet de stéréotypes particuliers : par exemple, les Roms, les Arabes et les Noir·es seraient bruyant·es, alors que les personnes originaires d’Asie seraient discrètes. Cela alimente des croyances : la plus connue est le « syndrome méditerranéen », l’idée que les personnes originaires du Maghreb auraient tendance à exagérer, voire à simuler leur douleur. J’ai moi-même pu constater l’existence de ce préjugé à plusieurs reprises. Une patiente arabe, admise dans un service d’urgences parisien où j’effectuais un stage, présentait une douleur à la mâchoire inhabituelle, sans avoir chuté ni reçu de coups. L’une des cheffes a demandé à une interne de faire un électrocardiogramme : les résultats présentaient les signes clairs d’un infarctus, alors l’interne a voulu appeler en urgence le service de cardiologie. Mais une autre cheffe a refusé et demandé des examens complémentaires, en avançant qu’il s’agissait sans doute d’un « syndrome méditerranéen ». Or, par la suite, l’infarctus a été confirmé.

Vous racontez également comment les discriminations sont nourries par la pression exercée sur les hôpitaux pour faire des économies.


On nous répète sans cesse en cours de médecine que le plus important dans le soin, c’est l’anamnèse, l’interrogatoire qu’on réalise à l’arrivée du ou de la patient·e. Mais il y a des individus avec lesquels la communication est difficile, voire impossible : les enfants, les personnes inconscientes, les patient·es qui ne maîtrisent pas le français. J’évoque dans mon livre deux internes qui travaillaient dans une permanence d’accès aux soins hospitaliers à Paris. La majorité des patient·es étant étranger·es, elles faisaient régulièrement appel à des traducteur·ices. Mais au bout de quelques semaines, elles ont été convoquées par leur responsable : cela revenait trop cher à leur service et on leur en a limité l’accès. Pourtant, cela revient moins cher de faire appel à un·e interprète pour réaliser une bonne anamnèse et poser un bon diagnostic, que de voir revenir une personne qui présente des complications. Le mépris vis-à-vis de ces patient·es étranger·es découle de préjugés racistes, sur ce que devrait être l’intégration « à la française ».

Qu’en est-il des discriminations contre les personnes LGBTQIA+ ?


Une étude de Santé publique France publiée en 2024 montrait que pour 17 % des gays et 20 % des lesbiennes, le premier lieu de traitement inégalitaire est la consultation médicale. Des discriminations sont susceptibles d’intervenir à chaque étape du parcours de soins, de la prise de rendez-vous à la consultation, en passant par le retrait d’un traitement thérapeutique. Dans le contexte médical, l’homophobie relève pour les personnes concernées – et j’en fais partie – d’un événement banal. Je raconte dans le livre l’histoire d’un ami qui est allé voir un proctologue pour des douleurs anales. Il lui a notamment expliqué avoir mal lors de l’acte sexuel. En guise de solution, le médecin lui a conseillé de « faire l’amour normalement ». Mais la médecine n’est pas là pour dire ce qui est normal ou ce qui ne l’est pas, mais bien pour diminuer les souffrances ! Son seul rôle est d’accompagner les individus.

Vous-même, futur médecin, noir et bisexuel, vivez-vous aussi des discriminations dans l’exercice de votre métier ?


Du côté des patient·es, il est déjà arrivé qu’on me prenne pour un brancardier, parce que je suis noir. Les autres soignant·es font parfois des commentaires racistes en ma présence. Par exemple, un jour, dans une salle réservée au personnel, une aide-soignante qui se plaignait d’un patient, a dit « si cette espèce de Noir continue à me regarder comme ça, ça va mal aller ». Mais ce n’est pas plus fréquent qu’ailleurs. En revanche, en tant que patient, ça m’arrive souvent. Un jour, alors que j’allais consulter un ORL dans le XVIe arrondissement de Paris, j’ai oublié ma carte Vitale. La secrétaire m’a demandé : « Vous êtes à la CMU Désormais remplacée par la Complémentaire santé solidaire, cette assurance santé proposée par l’État fait office de mutuelle complémentaire pour les personnes à faibles revenus. ? », pensant que parce que j’étais noir, j’étais forcément étranger et précaire. Je lui ai expliqué ma situation et lui ai montré mon attestation de droits. Alors elle m’a regardé pleine d’empathie et s’est exclamée : « Oh, alors ils ne vous ont pas donné la carte Vitale quand vous êtes arrivé ? »

Dans le titre de votre livre, vous posez la question : « La médecine soigne-t-elle vraiment tout le monde ? » Avez-vous une réponse ?


Pourquoi les gens qui soignent seraient exempts des préjugés qui traversent l’ensemble de la société ? Si on est capable de faire une analyse critique des biais qui imprègnent les médias ou la police, on doit pouvoir le faire avec les soignant·es. Pour que la médecine soit moins inégalitaire, il faudrait que nous développions une analyse sociologique critique de son fonctionnement. Sans travail sérieux sur ses préjugés inconscients et sur les rapports sociaux de genre et de race qui la traversent, elle continuera à maltraiter les gens. •

Entretien réalisé par téléphone, le 10 juin 2025.

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