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▸ les 13 dernières parutions

25.11.2024 à 19:30

Crack occidental

dev

Texte intégral (556 mots)

le capital monstre mange mon esprit

je ne lui mets pas de limite

je le laisse me dévorer

c'est indolore

juste une petite compromission

un pacte sans effusion sanglante

j'accepte le contrat tacite

avec ces milliers d'interfaces

qui m'enlèvent l'effort

qui me consomment autant que je les consomme

j'ai ma planche numérique

je prends la vague du chiffre

la déferlante matricielle

morphée me berce

dans un rêve sans besoin d'analyse

clef en main

où rien de foufou ne s'y passe-passe

l'automate choisit

c'est moi

et un autre automate dispose

c'est l'algorithme

un dialogue sans d'autre finalité

que la délimitation personnalisée de ma servitude

que l'aménagement de mon enclôt numérique

où je broute une herbe librement

tout en étant brouté goulûment

je lève la tête

ça m'arrive parfois

je vois les autres bêtes de somme-il

ensuquées comme moi

et j'ai envie de hurler au sursaut

à l'écrabouillement du gadget

mais j'ai tous mes mails et les photos de mes enfants

ça ne m'arrange pas du tout

niqué par l'intime

niqué par les secrets que j'y dépose

niqué par la peur de leur disparition

me voilà bien gêné dans mon désir révolutionnaire

mis devant l'ironique contradiction

par le relai ultime du capital

mode d'accès au monde obligatoire

pour qui veut jouir dans la conformité

dans les clous

c'est un problème d'ingénierie complexe

de rendre le désir compatible avec l'ordinateur

d'en border ses limites

de le circoncire petit à petit

de l'orienter dans ses boucles itératives

à l'horizon médiocre de l'achat

à la satisfaction dopaminergique

frustrante et calibrée

assez pour ne pas s'ennuyer

pas assez pour ne pas y revenir

du crack cuisiné dans des bâtiments d'architectes

jouant le jeu de l'épure

de l'ascèse

du juste

de l'écologique

du crack à la sauce libertarienne

libre d'en disposer

libre d'en dépendre

un choix est-il encore un choix

quand le couteau de l'obsolescence caresse le cou

certes ce n'est pas la guerre la soif et la faim

c'est une bulle d'opulence morte

un vide sans affect

qui me coupe du réel

je le sais

j'y barbote depuis ce matin.

Arthur Viadieu

25.11.2024 à 18:53

La subversion en brèves et contre tout

dev

Le Répertoire des subversions de Martin Le Chevallier

- 25 novembre / , , ,
Texte intégral (4446 mots)

« Fini, maintenant j'interviendrai. »
Henri Michaux

Concocté par l'artiste et enseignant chercheur Martin Le Chevallier le réjouissant Répertoire des subversions (éditions Zones) dresse une typologie de méthodes d'insoumission créative (afficher, bloquer, chanter, détruire, effacer, feindre etc.) déclinée en une multitude de micro-récits d'insolence souvent drôles et poétiques, pris à travers l'histoire, des grèves de l'antiquité jusqu'à nos jours. Qu'ils déjouent la tristesse et l'abrutissement des conventions et/ou la violence des dominations, tous ces gestes d'artistes et d'activistes visent le même objectif : montrer par la révolte, par la provocation parfois absurde, qu'il ne tient qu'à nous de renverser l'emprise de l'ordre existant sur nos vies.

« Si « subvertir » signifie renverser l'ordre des choses, les subversions dont il s'agit ici sont avant tout symboliques », précise Martin Le Chevallier dans l'avant-propos. « Armes des faibles face aux forts, elles visent à déstabiliser les dogmes, ridiculiser les puissants ou édifier des alternatives insolites. Auteures de la plupart de ces actes, les artistes et les activistes ne se réclament généralement pas d'une même démarche. Pour autant, les formes qu'ils ou elles emploient se rejoignent souvent. Ce livre veut faire entendre la résonance de leurs inventivités. »

Aperçu de ce foisonnant abécédaire de la subversion [1] qui compte pas moins de quelque 1500 brèves entrées , sous forme d'un florilège bien sûr parfaitement subjectif.

  • AFFICHER DES VISAGES D'ESPIONS. En 2015, l'artiste d'origine italienne Paolo Cirio affiche sur les murs de Berlin, Londres ou Paris des photos des principaux cadres du renseignement américain. Il dévoile ainsi, sans leur accord, les visages des responsables de la surveillance généralisée.
  • ARROSER L'ARROSEUR]. En 2020, en réponse à l'usage de la reconnaissance faciale pour identifier les manifestants, l'artiste et activiste italien Paolo Cirio expose dans un centre d'art à Roubaix 4 000 visages de policiers issus de photographies de manifestations et invite le public à les identifier sur un site Internet. Le ministre de l'Intérieur s'indigne aussitôt de ce qu'il juge être une mise en danger des policiers. Le directeur du lieu fait fermer l'exposition, et l'artiste, se sentant menacé, s'enfuit à l'étranger.
  • BLOQUER UNE RUE . Le 1er mai 2007, le collectif artistique russe Bombily bloque la circulation d'une rue de Moscou en déployant une banderole sur laquelle est écrit : « Nous ne savons pas ce que nous voulons. »
  • BRANDIR UN DRAPEAU NOIR. Le 9 mars 1883, lors d'une manifestation à Paris, la révolutionnaire Louise Michel brandit un morceau de jupon noir au bout d'un bâton. Et invente ainsi le drapeau anarchiste.
  • BRANDIR UNE PANCARTE. Les 5 et 6 octobre 1789, alors que la famine sévit à Paris, des milliers de femmes marchent vers Versailles pour protester auprès du roi. À en croire une gravure de l'époque, l'une d'entre elles porte une pancarte figurant une balance, surmontée d'un bonnet phrygien (symboles de la justice et de la République) et arbore ainsi la première pancarte protestataire connue des historiennes.
  • SE BRÛLER LES DOIGTS. En Europe, certaines personnes sans titre de séjour se brûlent les doigts au feu ou à l'acide afin d'échapper à leur identification par prise d'empreintes digitales et, espèrent-elles, à leur expulsion (on ne saurait où les renvoyer). Ainsi, à Calais en 2009, un tiers des demandes d'asile émanent de personnes aux doigts mutilés.
  • SE CACHER DERRIÈRE UN NOM. En 1514, des paysans d'Allemagne du Sud se soulèvent en se faisant tous appeler « pauvre Conrad » et se trouvent ainsi protégés par cet anonymat collectif. Ce principe de pseudonyme partagé se retrouve dans les années 1810 en Angleterre chez les luddites –qui tous peuvent prétendre être le « général Ludd »–, depuis les années 1990 chez les activistes en Europe ou en Amérique du Sud, qui signent de nombreux actions, textes ou canulars sous le nom collectif « Luther Blisset », ou encore dans les luttes françaises des années 2020, auxquelles participent d'innombrables Camille Dupont.
  • CHANGER DE VIE. Dans les années 1990, le Français Fernand Valèges s'ennuie. Ses enfants sont grands. Son activité ronronne. Son couple s'étiole. Il part pour les îles, sans prévenir personne. Là-bas, il voyage, fait des rencontres. Mais s'ennuie de nouveau. Et rentre au bout d'un an.
  • CHANTER POUR L'INDÉPENDANCE. Dans les pays baltes, de 1987 à 1991, de nombreux citoyens entonnent simultanément des chants folkloriques ou religieux interdits par le régime soviétique. Le mouvement, surnommé la « Révolution chantante » réunira jusqu'à 4 millions de personnes.
  • CHANTER DES DOLÉANCES. Depuis 2005, les artistes Tellervo Kalleinen et Oliver Kochta-Kalleinen, d'origines respectivement finlandaise et allemande, recueillent les plaintes des gens et en font des chansons. Dans chaque ville sondée, un chœur entonne ensuite de mélodieuses jérémiades : « Birmingham était mieux avant », « Mes impôts servent à payer la guerre », « Les limaces mangent ma laitue », etc.
  • NE PAS CHANTER. En 1971, lorsque le chanteur folk états-unien Pete Seeger monte sur scène pour faire un concert à Barcelone, une liste de chansons interdites par le pouvoir franquiste lui est présentée. Il décide de ne pas chanter et de simplement jouer à la guitare les accords des chansons concernées. Les 100 000 spectateurs et spectatrices présentes se mettent à les entonner.
  • ROUGIR DES FONTAINES. En 2015, le collectif féministe britannique des Sisters Uncut s'oppose aux restrictions qui ont entraîné la fermeture de trente-quatre centres d'aide aux femmes battues. Pour dénoncer ces fermetures et rendre hommage aux femmes mortes sous les coups de leurs conjoints, elles teignent en rouge les fontaines de Trafalgar Square mortes sous les coups de leurs conjoints
  • ROUGIR LA STATUE DE LA LIBERTÉ. Le soir du 25 juin 1996, profitant d'une brève pause des agents de sécurité, le duo d'artistes allemands p.t.t.red place des gélatines rouges sur les lampes éclairant la statue de la Liberté. Et teinte ainsi d'un rouge communiste cet emblème de l'Occident capitaliste.
  • COMMUNIQUER À L'AIDE D'INTERNET. Dans les années 1990 au Chiapas, lorsque le sous-commandant Marcos veut communiquer avec le gouvernement mexicain, il envoie Internet, son âne.
  • CONSTRUIRE UN CANAPÉ-LIT PUBLIC. En 2002, l'artiste d'origine allemande Leopold Kessler met au point un banc public dépliable. Les sans-abri peuvent ainsi s'allonger en couple.
  • DANSER SANS FIN. En juillet 1518, à Strasbourg, une femme nommée Troffea est exaspérée par un ordre que lui a donné son mari. Elle s'invente alors une maladie consistant à danser, chanter et sauter sans jamais s'arrêter, jusqu'à s'effondrer et s'endormir. Cette forme de désobéissance fera ensuite de nombreuses émules, si bien que cette nouvelle maladie sera considérée par tout le monde comme un châtiment de Dieu.
  • DANSER SUR UN SILO NUCLÉAIRE. En 1981 en Angleterre, un « camp de femmes pour la paix » est installé à Greenham Common, sur un site où doivent être placées des armes nucléaires. Le 31 décembre 1982, plusieurs dizaines de femmes escaladent la clôture de la base militaire, montent sur les silos et y dansent pendant des heures.
  • DÉGOBILLER. En 2004 à Montréal, le jour de la Saint-Valentin, l'exploitation consumériste du sentiment amoureux donne la nausée au collectif queer des Panthères roses. Aussi vont-elles vomir dans des boutiques et des restaurants.
  • DEMANDER LE RATTACHEMENT DE LA BELGIQUE AU CONGO. Le 21 janvier 2007 à Bruxelles, une manifestation, organisée par le collectif belge Manifestement demande le rattachement de la Belgique au Congo. Ce rattachement permettra, selon les activistes, de résoudre le problème de l'intégration (les Belges devenant des immigrés) et d'offrir une langue commune aux néerlandophones et aux francophones : le lingala.
  • SEMER PARTOUT. À partir de 1649, le groupe anglais des diggers (« bêcheux »), opposé à la privatisation des terres, plante et cultive où bon lui semble.
  • DEMANDER PLUS D'IMAGINAIRE. En 1991, l'artiste français Philippe Parreno fait manifester des enfants. Leur slogan, scandé et inscrit sur leurs pancartes, est : « No more reality ! » (« À bas la réalité ! »).
  • DÉTOURNER UN FILM. En 1973, le situationniste René Viénet détourne un film de kung-fu hongkongais en remplaçant les voix chinoises par des paroles françaises, sans rapport avec l'histoire originale. Le film qui en résulte, intitulé La dialectique peut-elle casser des briques ?, n'oppose plus des villageois coréens à des envahisseurs japonais, mais des prolétaires éclairés à des bureaucrates corrompus. Ils évoquent Marx, Bakounine ou Wilhelm Reich, sans cesser de pratiquer le taekwondo.
  • DÉTOURNER UN STATIONNEMENT. En 2005 à San Francisco, un groupe activiste s'aperçoit qu'il n'est pas interdit, légalement, d'employer une place de parking pour d'autres usages. Le 16 novembre, ses membres installent donc, sur un emplacement vacant, un banc, un arbuste et une parcelle de pelouse. La démarche sera imitée à travers le monde et un Parking Day annuel verra des stationnements se convertir en espaces militants, artistiques ou festifs.
  • DÉTRUIRE DES HORLOGES. En juillet 1830, lors des « trois glorieuses », les révolutionnaires parisiens tirent au fusil sur les horloges publiques, afin de briser le temps ou le suspendre.
  • DÉTRUIRE DES MACHINES. Dans les années 1810 en Angleterre, des ouvriers et ouvrières du textile s'opposent à la mécanisation de leur activité, qui menace leurs emplois. Ces « luddites » détruisent de nombreux métiers à tisser. En 1812, une loi instaurant la peine capitale pour le bris de machines sera proclamée, et treize luddites seront pendues.
  • DÉTRUIRE DES VOITURES. Le 14 mai 1995 à Londres, deux voitures se percutent. Leurs conducteurs, furieux, sortent de leurs véhicules et commencent à les détruire. Profitant du blocage de la circulation, plusieurs centaines de personnes viennent alors danser sur la musique techno que diffuse le collectif activiste Reclaim the Streets, metteur en scène de la fausse altercation automobile.
  • DÉTRUIRE UN MAXIMUM DE CHOSES. À partir de 1908, constatant l'inefficacité des moyens pacifiques, les suffragettes britanniques optent pour des solutions plus belliqueuses : jets de projectile sur des bâtiments officiels ou privés, sabotage de réseaux de communication, incendie de sites sportifs, destruction d'œuvres d'art, colis piégés, etc.
  • TOUT DÉTRUIRE. En 1941 en Mélanésie, John Frum, le prophète du « culte du cargo » (Voir « Attendre un bateau »), annonce à ses disciples l'avènement d'une ère de prospérité, de jouvence et d'oisiveté. Il les invite à détruire leurs maisons, les produits de leur travail et les marchandises européennes. Il n'est pas certain qu'il ait été écouté.
  • DIFFUSER DES IMAGES DE VIDÉOSURVEILLANCE. En 2005, l'artiste et chercheuse d'origine norvégienne Michelle Teran se promène dans Berlin en tirant une valise pourvue d'un écran sur lequel s'affichent les images que filment les caméras de vidéosurveillance qu'elle croise. Les passantes peuvent ainsi voir ce que voient ceux qui les surveillent. Et constater la vulnérabilité du système de
    surveillance.
  • NE RIEN DIFFUSER. Le 20 janvier 1972, l'artiste français Fred Forest fait afficher, durant soixante secondes, un écran blanc sur une chaîne de télévision française. L'œuvre est accompagnée de la voix de l'artiste qui, pour rassurer les spectateurs et spectatrices, leur précise qu'il s'agit d'une expérience du vide et que leur téléviseur n'est pas en panne
  • DORMIR AU TRAVAIL. Le 6 juillet 1997, alors qu'il est gardien dans le musée Gustave-Moreau à Paris, l'artiste français Laurent Marissal s'accorde une sieste. Les caméras de surveillance n'y voient que du feu : sur ses paupières sont collées des photographies de ses yeux ouverts.
  • ÉCRIRE DES GRAFFITIS. L'écriture de graffitis est pratiquée depuis l'Antiquité. Ainsi à Rome, en 44 avant JésusChrist, un quidam jugeant trop mou le futur assassin de César inscrit sur un mur : « Tu dors, Brutus ? »
  • EFFACER DES NOMS. En août 1968, alors que les chars russes sont entrés dans Prague, des milliers d'habitantes retirent ou repeignent les plaques de rue afin de désorienter les envahisseurs.
  • EFFACER UN SLOGAN. En mars 2022, peu après le début de l'invasion russe en Ukraine et bien que le mot « guerre » soit interdit dans les médias russes (ils doivent parler d'« opération militaire spéciale »), une femme brandit à Moscou une pancarte blanche. Elle est aussitôt arrêtée.
  • ÉLIRE LES OFFICIERS. En 1918, l'Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne (la Makhnovchtchina) est organisée sur des bases libertaires : les gradés sont élus par les simples soldats.
  • S'EMBRASSER OSTENSIBLEMENT. Le 13 avril 1990, afin de lutter contre l'homophobie et l'invisibilité des gays, lesbiennes ou bisexuelles, des membres de l'organisation Queer Nation s'embrassent dans un bar hétérosexuel de New York et inaugurent ainsi la pratique du kiss-in.
  • EMMERDER NAPOLÉON. En mai 1871 à Paris, les communardes renversent la colonne Vendôme, édifiée à la gloire (et à la demande) de l'empereur Napoléon Ier. Elle s'effondre dans un lit de fumier, que les insurgées ont disposé là pour amortir sa chute. Et mieux souiller le despote statufié.
  • S'ENNUYER. En 1982, deux universitaires français, Pierre Bazantay et Yves Helias, invitent trente-deux personnes à se rendre à la halte ferroviaire des Fades en Auvergne, afin de « contempler le spectacle étrange de la platitude » et de participer au premier Congrès ordinaire de banalyse. Face à cette promesse d'ennui, personne ne viendra.
  • S'ENRICHIR (MOMENTANÉMENT). En 2013, l'artiste française Marine Semeria s'adresse à elle-même un chèque d'un million d'euros. Grâce à cela, elle se trouve millionnaire durant quarante-huit heures.
  • ÉTEINDRE LES TÉLÉS. En 1993, l'États-Unien Mitch Altman, qui s'est libéré dix ans plus tôt de son addiction à la télévision, constate que cette lucarne devient omni présente dans les lieux publics. Il conçoit donc une télécommande ayant pour unique fonction d'éteindre les téléviseurs, puis la met en vente. Sa « TV B Gone 1 » connaîtra un vif succès : 700 000 unités seront achetées par des téléphobes.
  • ÊTRE CONSTAMMENT NUES. En Europe, au IIe siècle puis du XIIIe au XVe siècle, les adamites s'efforcent de recréer sur Terre les conditions du paradis originel en vivant nues le plus souvent possible. Les dernierères adamites seront exterminées en 1421.
  • EXORCISER LE PAPE. En 1987, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence (un mouvement LGBT) profitent de la venue du pape Jean-Paul II à San Francisco pour organiser une messe durant laquelle elles exorcisent le souverain pontife pour le débarrasser des démons de l'homophobie.
  • S'EXPOSER. De 1992 à 1993, l'artiste d'origine cubaine Coco Fusco et l'artiste mexicain Guillermo Gómez Peña s'exposent, dans une cage, à Madrid, Londres, Washington ou Sydney, en tant qu'« Amérindiens non encore découverts ».
  • FAIRE L'AMOUR À L'UNIVERSITÉ. En 1970 à Montréal, un étudiant et une étudiante, afin de tester le degré de tolérance de leur université, y font l'amour durant huit heures. À la suite de ce bed-in, le couple sera écroué.
  • FAIRE VISITER UNE VILLE SURVEILLÉE. En 1999, l'artiste français Renaud Auguste Dormeuil organise une visite guidée, en minibus, des caméras de vidéosurveillance parisiennes.
  • FAIRE VISITER DES LIEUX ORDINAIRES. De 1994 à 2021, le duo d'artistes français Dector & Dupuy propose des visites guidées de lieux non touristiques. Ils attirent l'attention de leur auditoire sur des particularités architecturales, des traces ou des détritus et exposent ce que ces détails révèlent : phénomènes sociaux, économiques, politiques ou intimes.
  • FONDER UNE RÉPUBLIQUE PIRATE. À la fin du XVIIe siècle sur l'île de Madagascar, des pirates fondent « Libertalia », une colonie multiculturelle et communautaire, dans laquelle l'argent est aboli. Mais on ignore si elle a bel et bien existé.
  • INFILTRER DISNEYLAND [1]. Dans les années 1990, un inconnu se rend à Disneyland, va aux toilettes et s'y déguise en schtroumpf. Une fois ressorti, il est rapidement appréhendé et expulsé par des agents de sécurité qui lui déclarent : « Nous ne voulons pas de schtroumpf ici. »
  • INFILTRER DISNEYLAND [2]. En 2009, l'artiste finlandaise Pilvi Takala se rend à Disneyland déguisée en Blanche-Neige. En dépit du succès qu'elle rencontre auprès des enfants, les services de sécurité lui en interdisent l'entrée. Ils arguent qu'elle pourrait être confondue avec la « vraie » BlancheNeige qui travaille dans le parc.
  • JUGER LA MORT. Le 14 juillet 2017, les metteureuses en scène néerlandaises Eva Knibbe et Bart van de Woestijne organisent, dans le palais de justice d'Amsterdam, le procès de la mort. La grande faucheuse se voit reprocher son opacité, son insouciance ou sa propension à harceler les vivants. Le tribunal se déclarera incompétent
  • MULTIPLIER LES IDENTITÉS. Au Sahel, l'apparition de frontières et la désertification ont causé le déclin du mode de vie nomade et pastoral des Touaregs. Mais, au début du XXIe siècle, certaines de leurs descendantes se sont adaptées : en multipliant leurs identités et nationalités, ils et elles se jouent des frontières, troquant ainsi nomadisme contre ubiquité. Et chèvres contre denrées illicites.
  • OFFRIR DES RATS. Au début des années 1970, le comité d'un quartier noir de Chicago, désireux de souligner l'insalubrité de ses logements, dépose plusieurs milliers de rats devant l'hôtel de ville.
  • OFFRIR LE CAPITAL. À partir du 31 mai 2009, l'artiste allemande Christin Lahr verse chaque jour 1 centime d'euro au ministère des Finances allemand, afin de l'aider à résorber son endettement. L'intitulé de chaque virement est un bref extrait du Capital de Marx. Ainsi, au bout de quarante-trois ans, l'ouvrage sera intégralement placé sur le compte de l'État fédéral.
  • PARASITER LE MARKETING. De 1991 à 2001, l'artiste français Matthieu Laurette n'achète que des produits portant la mention « Satisfait ou remboursé ». Étant toujours insatisfait, il demande à chaque fois le remboursement des produits qu'il a achetés. Et parvient ainsi à ne quasiment plus rien dépenser .
  • PARTIR AU HASARD. En 2005, James Broad visite Londres en tirant à pile ou face : face, il va à gauche ; pile, il va à droite. Grâce à cette soumission au destin, il va là où il n'aurait jamais eu l'idée d'aller.
  • PUNIR LA PROPRIÉTÉ (PROPOSER DE). En 1652, dans son livre La Loi de liberté, le réformiste anglais Gerrard Winstanley propose de condamner à mort toute personne ayant vendu ou acheté des terres.
  • RENDRE LE MONDE FICTIF [1]. Du 27 mai au 8 juin 1968 à Rosario en Argentine, l'artiste argentin Norberto Puzzolo installe, dans une boutique vide, des chaises tournées vers la vitrine, suggérant ainsi que la rue est un spectacle (Las Sillas).
  • RENDRE LE MONDE FICTIF [2]. À partir de 2010, le collectif artistique français Les Gens d'Uterpan installe des rangées de chaises dans la rue, invitant le public à s'y installer et à regarder le monde .
  • RENDRE LES LOGEMENTS, L'ÉLECTRICITÉ OU LES TRANSPORTS GRATUITS. À partir de 1969 en Italie, des comités de quartier révoltés par la misère ouvrière pratiquent l'« autoréduction ». Ils refusent de payer les loyers, l'électricité, le gaz ou les transports et réquisitionnent des logements vacants. Certains ouvriers pratiqueront aussi l'« appropriation collective » en s'emparant d'articles dans les magasins et en déclarant : « Les biens que nous avons pris sont à nous, comme est nôtre tout ce qui existe parce que nous l'avons produit. »
  • SABOTER PROPORTIONNELLEMENT. Dans l'Indiana aux États-Unis en 1908, les ouvriers d'un chantier apprennent que leurs salaires vont être réduits. Ils font alors rogner leurs pelles à la mesure de cette baisse, de manière à ajuster leur productivité à leur salaire.
  • SEMER PARTOUT. À partir de 1649, le groupe anglais des diggers (« bêcheux »), opposé à la privatisation des terres, plante et cultive où bon lui semble.
  • SUPPRIMER L'ARGENT. En 1936 en Catalogne, les républicains espagnols abolissent l'argent dans de nombreux villages. Un système de bons ou de salaire familial est institué. Et la production est répartie non pas en fonction du travail fourni, mais selon les besoins de chacun. .
  • SUPPRIMER LES HIÉRARCHIES. Au Brésil au XVIIe siècle, des esclaves en fuite se regroupent dans des communautés refusant toute forme d'État ou d'autorité et dans lesquelles les chefferies ne sont que circonstancielles et électives. Le plus important de ces quilombos durera près d'un siècle, avant d'être vaincu par les colons portugais.
  • TRAVAILLER POUR RIEN. En 1997, l'artiste d'origine belge Francis Alÿs pousse durant huit heures un bloc de glace à travers les rues de Mexico. À la fin, la glace a fondu. « Parfois faire quelque chose ne mène à rien » est le titre de l'œuvre.
  • SE TRAVESTIR EN FEMME (POUR REVENDIQUER). Entre 1972 et 1974, le groupe militant homosexuel français d'inspiration situationniste Les Gazolines pratique de manière démonstrative le travestissement et le maquillage masculins. Et déclare : « Nous ferons les prochaines barricades en robe du soir. »
  • VENDRE SA CUPIDITÉ. À partir de 2010, l'artiste d'origine allemande Thomas Geiger vend pour 1 euro de simples feuilles signées et tamponnées. En 2023 sont déjà vendus 52 459 exemplaires de ces certificats portant l'inscription « I want to become a millionaire ».
  • VENDRE SA NÉGRITUDE. En 2001, l'artiste nigériano-américain Keith Obadike met sa négritude en vente sur le site de vente aux enchères eBay. Le bien proposé est accompagné d'une notice exposant les avantages et les inconvénients d'être noir. Quatre jours plus tard, la vente, jugée inappropriée par eBay, sera annulée

Bernard Chevalier


[1] L'auteur invite les lecteur.trices à enrichir son répertoire en vue d'une réédition en lui écrivant à : subversions@martinlechevallier.net

25.11.2024 à 18:33

PFAS, polluants éternels

dev

Lire + (289 mots)

Cette semaine l'émission Mayday sur Radio Canut enquête sur la pollution au PFAS dans le couloir de la chimie au Sud de Lyon et au delà.
Ils sont partout, dans le fond de nos poêles, dans les tissus déperlants de nos vestes, dans les sachets plastiques de nos biscuits, dans une bonne partie de nos produits cosmétiques et de nos crèmes solaires, dans les joints de nos conduites d'eau ou sur les tableaux de bord de nos automobiles. Ils sont dans l'air, dans l'eau et dans les terres que l'on cultive, les œufs que l'on mange.

Depuis 2021, au Sud de Lyon, à proximité du couloir de la chimie, une association de Pierre-Bénite est entrée en guerre judiciaire contre les industriels Arkéma et Daikin qui polluent depuis plusieurs décennies la région en diffusant des perfluorés (PFAS) dans l'environnement, connaissant très bien les risques qu'elles font courir aux habitantes. Cancers, dérèglement hormonal, diabète....les PFAS c'est cette pollution éternelle qui nous tue à petits feux et sur laquelle Mayday enquête danscette émission.

Toutes les émissions de Mayday se réécoutent ici, sur le site de radio canutou sur les trucs de podcast. Mayday c'est en direct tous les mercredis à 18h sur le 102.2FM en région lyonnaise ou le stream de Radio Canut pour le reste du monde.

25.11.2024 à 18:20

À propos du futur DOGE (ministère de l'efficience gouvernementale) d'Elon Musk

dev

« Déportations massives », disent-ils…

- 25 novembre / , , ,
Texte intégral (2687 mots)

L'un des buts proclamés du Department of Government Efficiency (DOGE, « ministère de l'efficience gouvernementale ») de Donald Trump, avec Elon Musk et Vivek Ramaswamy à sa tête, est de réduire le budget fédéral américain d'environ un tiers, soit 2000 milliards de dollars. Trump a déclaré que le DOGE contribuerait à « démanteler la bureaucratie gouvernementale, à supprimer les réglementations excessives, à réduire les dépenses inutiles et à restructurer les agences fédérales  [1] ».

En août 2024, Trump avait déclaré durant sa campagne que, s'il était élu, il serait prêt à confier à Musk un rôle de conseiller. En réponse, Musk avait écrit un message sur X : « Je suis prêt à servir », accompagné d'une image créée par l'IA, le montrant debout devant un pupitre portant l'inscription « Department of Government Efficiency  [2] ». Le New York Times se demande si le fait que les entreprises de Musk soient des sous-traitants du gouvernement fédéral n'entraînerait pas un conflit d'intérêts avec son projet de travail au sein du nouveau ministère. Est-il encore temps de se poser ce genre de questions, sur de simples « dommages collatéraux » de la création du DOGE, alors que l'artificialisation algorithmique des modes de décision politique, économique, sociale, etc., se met en place sous nos yeux à une vitesse ahurissante ? Musk a d'ailleurs répondu par anticipation au New York Times. Il décrit la déréglementation comme la seule voie vers le programme de colonisation de Mars par SpaceX ( ! ), et, moins anecdotique, il a promis de « débarrasser le peuple du gouvernement, qui n'ira plus piocher dans ses poches  [3] ».

Selon CBS News : « Ces nominations, annoncées par M. Trump mardi, soulèvent toute une série de questions, notamment celle de savoir si M. Musk et M. Ramaswamy auront le pouvoir de modifier les dépenses fédérales, étant donné que c'est le Congrès qui autorise les dépenses de la nation, ainsi que celle des domaines dans lesquels les hommes d'affaires pourraient chercher à réduire les dépenses. Dans le cadre du plan, le DOGE n'est pas un ministère gouvernemental officiel, ce qui soulève d'autres questions quant à ses pouvoirs et à son mode de fonctionnement.

« S'exprimant jeudi soir à Mar-a-Lago lors d'un gala organisé par le groupe de réflexion de droite America First Policy Institute, M. Ramaswamy a remercié M. Trump ‘‘d'avoir fait en sorte qu'Elon Musk et moi-même soyons en mesure de commencer les déportations massives de millions de bureaucrates fédéraux non élus de la bureaucratie de Washington. Et je ne sais pas si vous connaissez déjà Elon, mais il n'apporte pas des ciseaux, il apporte une tronçonneuse, et nous allons nous attaquer à cette bureaucratie'', a ajouté M. Ramaswamy. ‘‘Ce sera très amusant''  [4] ».

Le government efficiency n'est pas une nouveauté, contrairement à ce qu'on lit çà et là dans la presse mondiale. Dès 1990, par exemple, le FMI publiait 9 Measuring Efficiency in Government : Techniques and Experience, par Jack Diamond  [5]. Il s'agissait alors d'une méthodologie de calcul de l'efficacité du gouvernement, à l'aide, avant tout, d'outils mathématiques. Dans les années 2010, Antoinette Rouvroy nous avait alertés sur la montée en puissance de la « gouvernementalité algorithmique [6] ». Ce qui est en revanche totalement nouveau, dans le government efficiency de Trump, Musk et Saraswamy, est la violence de leurs discours et de leur justification idéologique. « Déportations massives », « tronçonneuse », « très amusant » : ce sont là des termes qui, dans le domaine politique, sont des allusions explicites aux formes les plus extrêmes du totalitarisme et du cynisme – un discours libertarien « ultra ».

L'élection de Trump signe la mort de ce qu'il restait de démocratie. Certes, il n'en restait pas grand-chose, et aux États-Unis, il serait tout à fait possible de montrer que, dès l'origine, au xviiie siècle, il n'y en avait guère. L'esclavage était autorisé par la Constitution dans les États du Sud ; les Amérindiens commençaient à être chassés de leurs terres et déportés en toute légalité dans des réserves le plus souvent très loin de leur territoire d'origine  [7], et il faut ajouter, au rappel de ce double génocide, que le cœur même de la Constitution offrait d'emblée la possibilité, tout à fait réaliste, de se passer, précisément, des contraintes démocratiques – ou, à tout le moins, de les contourner, grâce à l'articulation entre le gouvernement fédéral, la Cour suprême, le Sénat et le Président. En effet, ce petit groupe pouvait, de fait, diriger l'État, sans tenir compte de l'avis de la Chambre des Représentants (laquelle n'offrait de toute façon pas la certitude d'une démocratie achevée…). Il se trouve qu'en 2024, les électeurs états-uniens viennent de placer à la tête de l'État le plus puissant du monde sur le plan militaire une camarilla de dirigeants aux aspirations totalitaires avouées.

Il serait temps d'en tirer quelques leçons. Pas la peine d'attendre un second 6 janvier : une nouvelle attaque du Capitole pourrait ne pas même être nécessaire pour que le peu du système démocratique par représentation qui subsistait aux États-Unis soit aboli. Purement et simplement. Constitutionnellement.

Il ne faut pas attendre ce moment de bascule définitive, sous peine de revivre, en pire (du fait de la puissance militaire états-unienne et de l'avilissement psychosocial des populations des sociétés industrielles), les heures les plus sombres du siècle précédent. Et ce n'est pas parce que les nouveaux untermenschen désignés à la vindicte populaire par le triumvirat Trump Musk Saraswamy sont des fonctionnaires fédéraux, Noirs, Blancs, Latinos ou Asiatiques, et non un groupe « racial » précis, que leur politique n'est pas porteuse des pires conséquences imaginables. Car l'anéantissement désormais plausible des budgets fédéraux consacrés au secteur social, à la lutte contre le réchauffement climatique, à l'éducation, à la santé et à la jeunesse en général entraînera une augmentation de la misère et de la violence, dans un pays qui enferme 0,7 % de sa population (soit une proportion six fois plus élevée qu'en France) et dans lequel le complexe carcéralo-industriel (le terme est d'Angela Davis) fonctionne déjà à plein régime  [8]. La répression est à l'ordre du jour !

Perspectives totalitaires

Le rôle de l'idéologie dans tout système politique – y compris le néolibéralisme qui se voudrait et se prétend éminemment logique, et qui ne serait qu'une conséquence pratique de l'efficience économique capitaliste – est, à certains moments de l'histoire, fondamental. En effet, lorsqu'un système « stagne » ou qu'il fait face à des difficultés, comme c'est le cas de nos jours sans le moindre doute, il lui arrive souvent de poser des perspectives par le biais de discours censés dégager un futur possible, crédible, voire souhaitable. En l'occurrence, Saraswamy emploie les termes de « déportations massives » et pas de « suppressions » d'emplois, ni de « reclassement » du personnel ou de « réorientations » des agents de l'État. L'emploi de ce terme de « déportation », que l'on n'utilise d'ordinaire que pour la déportation des esclaves d'Afrique ou celles des juifs  [9], n'est donc pas neutre. Cette terminologie n'est pas davantage neutre que « les gens qui ne sont rien » de Macron, les discours de l'Argentin Milei ou du Salvadorien Bukele (qui a battu le record en matière de taux d'emprisonnement : 1,5 % de « sa » population est incarcéré  [10]), etc., et tous les exemples de discours « négationnistes », d'une certaine façon, qui deviennent, hélas, légion chez les dirigeants.

De plus, il se trouve que l'idée de Trump d'imposer ce « ministère » qui n'en sera pas vraiment un afin de contourner sa validation par le Congrès (si tant est qu'il procède ainsi, comme le supposent le New York Times ou CBS News), tout en l'imposant comme l'organe central de sa nouvelle organisation du pouvoir, est une indication cruciale par rapport à son respect de la démocratie. Trump contournera les obstacles démocratiques formels – encore une fois : même s'il n'en reste que très peu aux États-Unis – comme il l'a déjà fait lors de l'attaque du Capitole. Ce jour-là en effet, il est parvenu à inciter une énorme foule à s'emparer de ce symbole tout en ne participant pas lui-même à l'action. Un peu à la manière de Mussolini et de sa « Marche sur Rome » qui lui a donné le pouvoir, et à laquelle Mussolini n'a pas participé en personne ! Ce qui ne l'a pas empêché, par la suite, de constituer une légende fasciste le montrant à la tête de ses troupes de chemises noires.

Ces éléments de langage et de formalisme institutionnel (ou anti-institutionnel) ne nous semblent pas neutres. Faut-il en tirer comme conclusion que notre avenir est de vivre sous un régime totalitaire ? À un niveau mondial, global ? Et si la réponse est peut-être oui, ou que c'est l'une des perspectives possibles, n'est-il pas temps de nous consacrer à éviter ce totalitarisme qui ne pourra, à terme, que déboucher sur un conflit armé généralisé ? Car ce système n'est pas viable et n'aura peut-être bientôt plus, comme seule ligne d'horizon, que la suppression d'une partie de la population mondiale afin de relâcher la pression que constituent l'ensemble des défis qui le menacent. Autrement dit : la perspective politique proche, c'est la guerre et le totalitarisme.

Un totalitarisme sans doute d'un nouveau genre, fait de contrôle tous azimuts grâce notamment aux outils numériques, d'abêtissement des populations (par le biais de la destruction des systèmes éducatifs et la généralisation de la prétendue « intelligence » artificielle), de destruction des systèmes de santé, le tout avec une croissance infinie des budgets militaires (ce qui est déjà le cas depuis plus de dix ans à peu près partout dans le monde [11]) avant d'en venir aux conflits armés ouverts. Les dirigeants, eux, cloîtrés dans leurs gated comunities (et visant l'immortalité des transhumanistes chers à Elon Musk ?), nous regarderont d'en haut alors que nous tenterons de survivre et que nous nous entredéchirerons, un peu comme des gladiateurs à Rome, ou plutôt des martyrs volontaires au cirque Maxime (eh oui, qui a élu Trump, Milei, Bukele, Macron, Meloni, etc. ?). Au peuple romain se sera simplement substituée une caste de dirigeants aux ambitions à proprement parler in-humaines. Pas même terrestres, d'ailleurs, si l'on juge plausible le programme martien de Musk…

Élisée Personne
groupe.huko@autistici.org


[1] https://www.lemonde.fr/en/internati...> .

[2] x.com/elonmusk/status/1825723913051...> .

[3] https://www.cbsnews.com/news/trump-department-of-government-efficiency-doge-elon-musk-ramaswamy/> (c'est nous qui traduisons et soulignons – sans aide d'une IA !).

[4] De nouveau cbsnews.com (c'est nous qui traduisons et soulignons).

[5] www.elibrary.imf.org/display/book/9...> .

[6] Voir entre autres www.greeneuropeanjournal.eu/la-gouvernementalite-algorithmique-et-la-mort-du-politique/> ou encore https://shs.cairn.info/revue-reseau...> .

[7] On peut lire Pieds nus sur la terre sacrée, textes rassemblés par T.C. McLuhan, photos de Edward S. Curtis, Denoël, 1974, parmi des centaines d'ouvrages publiés sur ce massacre.

[8] Voir Abolition. Feminism. Now., Angela Y. Davis, Gina Dent, Erica R. Meiners, Beth E. Richie, Penguin Books, 2022.

[9] « Celles » au pluriel : à Babylone puis dans les camps d'extermination nazis, sans oublier les déportations d'autres peuples mises en œuvre par les Assyriens, par Charlemagne avec les Saxons, par les Américains avec les Amérindiens dans les réserves…

[10] https://www.vozdeamerica.com/a/el-s...> .

[11] Voir https://www.sipri.org/sites/default...> .

25.11.2024 à 17:57

Intérieur

dev

Texte intégral (672 mots)

À l'Intérieur des hommes hument les effluves
Humectent leurs lèvres fines de l'Intérieur
Ces hommes de l'Intérieur claquent la langue
Ils savourent
Leurs papilles sont délicates
Ils veillent à l'Intérieur
Gardent le pays
Le protègent

Narines, œsophage, intestins alertes
Parapheur sous le bras
Ces hommes de l'Intérieur trient
Les gentils, les méchants
Ceux qui bossent
Ceux qui rapinent
Les assimilables, les jetables
Question de goût
Les hommes de l'Intérieur ont bon goût
Le palais sûr
Ils expulsent de l'Intérieur vers l'extérieur
Ils digèrent de l'extérieur vers l'Intérieur
C'est selon
Ces hommes de l'Intérieur édictent de l'Intérieur
Des circulaires qui circularisent les sucs gastriques
Qui absorbent, rejettent
Qui retiennent, déversent
C'est selon
De commission en commission
De gouvernement en gouvernement
Les hommes de l'Intérieur
Ne mollissent pas
Duodénum à toute épreuve
Estomac bien accroché
Les hommes de l'Intérieur légifèrent l'Intérieur
Prescrivent de l'Intérieur
Organisent de l'Intérieur l'organisme Intérieur
Ses flux et reflux
Ses remontées acides
L'Intérieur ne peut pas accueillir toute la misère du monde
Vous en avez marre
On va vous en débarrasser
Les hommes de l'Intérieur traquent les nuisibles
Les refoulent de l'Intérieur vers la mer ou le désert
C'est selon
C'est l'administration Intérieure de l'Intérieur
Ses agents actifs de l'Intérieur
Bifidus préfectoral
Centre de rétention colorectal
Les hommes de l'Intérieur ne font pas la fine bouche
Ils sont pénétrés
D'un ordre public Intérieur
Intérieur et supérieur
Pour l'Intérieur tout compte
Il n'y a pas de vains efforts à l'Intérieur
Pas une tente qui ne mérite d'être lacérée
Pas un mineur isolé qui ne mérite la rue
Pas une embarcation qui ne mérite de périr
Rentrez chez vous
Quand il y en a un ça va
C'est quand il y en a beaucoup
L'ordre Intérieur prime
Opère scrute palpe
Tapisse de l'Intérieur l'Intérieur de nos orifices
À toute heure, en continu
L'Intérieur se liquéfie de l'Intérieur
En bile en jus en selle en sang
Macule les trottoirs
Les feed rss
Nos rétines
De l'Intérieur les imbibe
L'Intérieur boit l'Intérieur
Ingère défèque ingère défèque
Occlusion Intérieure
Circuit clos
Pourrissant

Nassera Tamer

25.11.2024 à 17:46

Chiapas : Des semences rebelles aux solidarités internationales

dev

Texte intégral (2332 mots)

« (…) Peut-être que notre pensée est trop simple et qu'il nous manque des nuances et des subtilités si nécessaires, toujours, dans les analyses mais, pour nous, Zapatistes, à Gaza, il y a une armée qui est en train d'assassiner un peuple sans défense.

Qui, en bas et à gauche, peut rester sans rien dire ? »

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, 4 janvier 2009.

La première série “Semences rebelles” consacrée au mouvement zapatiste (I) [1], nous a permit d'introduire quelques-unes de ses contributions politiques - autonomie rebelle, graine zapatiste pour une autre politique (A) - et philosophiques - ontologie rebelle, graine zapatiste pour une autre philosophie (B) - pour les recherches-actions écologiques et critiques de la Modernité capitaliste et de l'Etat, et pour la résolution collective des crises écosytémiques.

Pour situer et approfondir ce que nous avons ébauché, tu peux te référer à une synthèse généalogique et à une courte bibliographie :
ici [2].

Des graines aux forêts

« Nous sommes rébellion et résistance. Nous sommes une de ces nombreuses masses qui abattront les murs, un de ces nombreux vents qui balayeront la terre, et une de ces nombreuses graines desquelles naîtront d'autres mondes.

Nous sommes l'Armée zapatiste de libération nationale ».

Sous-commandant insurgé Moíses, août 2019.

Depuis le soulèvement armé du 1er janvier 1994, le mouvement zapatiste a particulièrement cheminé en s'interrogeant, au travers des sentiers rebelles de la résistance - construction civile de l'autonomie - et de la rébellion - contributions théorico-pratiques aux basculements philosophico-ontologiques, politiques et anthropologiques nécessaires à la destitution du triptyque Modernité-Capitalisme-Etat de son hégémonie planétaire.

En chemin, entre les territoires autonomes du Chiapas et les multiples mondes qui composent la Terre, le mouvement zapatiste sème des graines de résistance-rébellion, d'imaginaires d'écologie terrestre anticapitaliste et non-moderne, de réflexions et d'analyse-critiques, de rage, de dignité et d'espoir, entre tant d'autres.

Contre la prétention unimondiste de la Modernité capitaliste et la configuration étatique du politique, les brutalités systémiques et les destructions écologiques qui affectent tant la bio-communauté et notre écosystème terrestres, des germes d'inspiration zapatiste poussent partout sur la planète Terre.

Depuis 30 ans, le mouvement zapatiste a largement contribué à nos cheminements écologiques et rebelles et au maillage international des luttes anticapitalistes et pour la vie.

Les semences écologiques et rebelles animent les cœurs-pensées de celles et ceux, de celleux, qui luttent pour la vie et la dignité, chacun.e à sa manière, sans relâche - bon, parfois, une petite sieste est bien méritée - souvent depuis en bas et à gauche. Effectivement, parfois c'est difficile de les situer. D'ailleurs, peu importe où ces personnes se situent, au fond ce qui nous importe c'est qu'elles luttent, bien que différemment, pour la vie digne, c'est-à-dire, contre l'hydre capitaliste, la Modernité occidentale et coloniale, et l'Etat.

Si l'ampleur des crises écosytémiques nous inquiète et nous effraie, si l'écocide terrestre, l'asservissement des peuples, le génocide palestinien, les féminicides, l'indifférence, le colonialisme et un long etcétéra de brutalités et d'horreurs, nous indignent et nous enragent, n'oublions pas que la Terre est aussi composée de personnes qui vivent-luttent pour la vie et la dignité, la liberté et la justice.

Ces personnes, aux multiples visages et aux diverses voix, parfois invisibles et inaudibles, qui existent et résistent malgré les obstacles et les souffrances, nous démontrent que vivre, dans ce monde mortifère, c'est lutter.

Parmi elles, nous savons que nous pouvons compter sur les zapatistes. Nous savons que depuis trois décennies, le mouvement zapatiste nous interroge et nous oriente, nous fait rêver et espérer, nous encourage à nous organiser, différemment selon nos géographies et nos calendriers, et à vivre l'utopie possible d'autres mondes écologiques et rebelles.

Ensemble, ici et maintenant. Mais aussi demain. Puis après-demain, l'année prochaine, dans 30 ans, 120 ans et pour les prochains siècles.

Parce que nous sommes des milliards, et plus encore, et que si nous peinons souvent à nous reconnaître, à nous écouter et à nous comprendre, des racines vieilles de plusieurs millénaires, sages d'histoires, de savoirs et de pratiques, nous relient par-delà les mondes et les différences.

Tant que nous lutterons pour vivre dignement, la configuration hégémonique du monde - que nous synthétisons par le triptyque Modernité-Capitalisme-Etat, ne sera JAMAIS le monde. Rien de plus qu'un système-monde pourri, meurtrier, puant, affreux, (…).

Malgré sa brutalité déconcertante, ses changements d'apparence et sa prétention de permanence, les reconfigurations actuelles du système qui détruit nos mondes nous montrent que sa reproduction est chaque fois plus difficile. Ce monde s'affaiblit. De nombreuses brèches fissurent le mur de l'Histoire sans futurs.

Sans négliger ses capacités réelles d'imposition d'un présent perpétuel, une illusion publicitaire pour nous conformer, le système que nous connaissons, que nous vivons et perpétuons n'est pas éternel.

La brutalité de l'hydre, l'imposition coloniale de la Modernité occidentale et l'Etat, nous affectent différemment, en fonction de l'être-terrestre que nous sommes et de la place systémique que nous occupons. Pas besoin de préciser que les femmes, les gens d'en bas, les peuples originaires, les personnes dissidentes et racisées sont, bien souvent, les premières affectées. Mais aussi les premières à résister, c'est-à-dire à vivre-lutter.

Parce qu'il n'y a jamais eu de continuité ininterrompue de la domination systémique. Nous avons toujours résisté.e, contourné.e, saboté.e, (…) mais aussi construit d'autres mondes et d'autres modalités d'existence au bord du système-monde dominant, souvent dans les interstices.

Le mouvement zapatiste nous démontre qu'en nous organisant, nous pouvons expérimenter d'autres mondes, d'autres imaginaires, d'autres théories et pratiques, d'autres subjectivités, etc. Ce n'est pas simple, ni idéal, mais c'est possible et largement désirable.

D'un côté à l'autre

« Il n'existe pas pour nous de frontières ni de géographies lointaines. Tout ce qui se passe dans n'importe quel coin de la planète nous affecte et nous concerne, nous inquiète et nous fait mal. (…) nous pouvons comprendre la souffrance, la douleur, la tristesse et la digne rage que provoque le système. »

Sous-commandant insurgé Moíses

« Neuvième partie : La nouvelle structure de l'autonomie zapatiste », 12 novembre 2023

A la suite des « Semences rebelles », nous allons donc nous concentrer sur l'actualité zapatiste, c'est-à-dire, sur les récents communiqués de l'EZLN et la situation des conflits politiques et armés dans l'Etat du Chiapas, au Sud-Est du Mexique.

Au gré de cette seconde série, « Solidarités internationales », nous souhaiterions contribuer à l'amplification des complicités et des alliances, de l'attention et des solidarités internationales sans lesquelles tant de luttes seraient isolées, affaiblies…et détruites.

Parce que « chaque bombe qui tombe à Gaza tombe aussi sur les capitales et les principales villes du monde », parce que l'éco-génocide de la population palestinienne et des territoires de Gaza est un bio-anthropocide qui affecte la communauté terrestre que nous sommes.

Parce que ce qui paraît lointain, affectant une autre géographie et une autre population, est en réalité très proche.

D'octobre à décembre 2023, l'EZLN a publié une nouvelle série de communiqués, esquissant l'actuel cheminement réflexif et pratique du mouvement.

La parole zapatiste témoigne de la préoccupation du mouvement pour la population palestinienne, dont l'existence est menacée par la guerre eco-génocidaire menée par Israël et ses forces armées - avec la complicité, active et passive, de la « communauté internationale ».

La « nouvelle étape » du mouvement zapatiste, entamée en 2023, approfondit la structure de l'autonomie rebelle, les analyses-critiques du système-monde et de la Tempête, et la lutte ontologico-politique. D'une certaine manière, les cheminements de la perspective ontologico-politique zapatiste, notamment depuis la Déclaration pour la vie (2021), nous permettent de penser l'actualité sanglante et destructrice de la guerre à Gaza - laquelle est une terrible illustration de l'état actuel du monde moderne-capitaliste et des États nationaux.

Alors que les communautés zapatistes sont constamment menacées, intimidées et attaquées, et que l'EZLN a récemment suspendu ses communications publiques - en raison de la situation préoccupante des conflits politiques et armés affectant principalement les communautés indigènes et zapatistes au Chiapas, allons-nous taire ces offensives contre l'autonomie civile d'un mouvement qui a tant contribué à la vie, à la dignité et à la possibilité de nos mondes résistants-émergents contre les dominations systémiques ?

Dans un texte intitulé « À propos de semis et de récoltes », le sous-commandant Marcos écrivait : « Nous ignorons si vous le savez, mais nous, Zapatistes de l'EZLN, savons combien il est important, au milieu de la mort et de la destruction, d'entendre des mots de soutien » (4 janvier 2009).

Le 17 novembre 2024, l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a célébré ses 41ans de formation. Au regard du contexte préoccupant du Chiapas, du Mexique et de la planète Terre, nous pensons qu'il est important de prendre la mesure des apports du mouvement et de propager les graines zapatistes de résistance et de rébellion, préservées et diffusées par l'EZLN depuis plus de trente ans.

C'est donc une occasion, parmi tant d'autres, pour analyser la littérature zapatiste et ses pratiques rebelles, mais aussi pour repeindre les murs de nos villes, organiser nos villages, labourer nos champs, déconstruire nos subjectivités, partager notre digne rage, semer la résistance, intensifier nos rebellions, écouter nos différences, penser nos ressemblances, nous informer, combiner nos tactiques, peaufiner nos stratégies, libérer des espaces, chanter et danser, croiser nos imaginaires utopiques, interroger nos servitudes, crier nos indignations, tisser des complicités et des alliances, cartographier nos besoins, rêver, orienter nos énergies, sentir-penser nos peurs et nos désirs, désarmer les machines, amplifier nos solidarités, préserver les racines, affirmer notre dignité, nourrir nos espoirs, construire nos mondes, ouvrir des chemins (…).

Les solidarités internationales ne sont pas inutiles.

Nos paroles rencontrent d'autres mots, d'autres langues, d'autres manières de s'exprimer, elles se transforment en un « murmure » polyphonique, puis un chant harmonieux, un bruit dérangeant, un cri enragé dont l'écho planétaire permet, peut-être, que les personnes qui luttent pour la vie à Gaza, dans les territoires autonomes zapatistes et les autres recoins de résistance et de rébellion sur Terre, sachent que nous sommes nombreuses et nombreux à nous engager.

Peut-être que nos cris et nos soutiens n'arrêtent pas les guerres. Mais ils rompent l'indifférence apparente, et nous démontrent que nous ne sommes pas seul.es à vivre-lutter.

La lutte pour la vie digne relie les géographies, de la Palestine au Chiapas rebelle, en passant par tous les corps et les territoires qui résistent et se rebellent.

Aujourd'hui, trente ans après le célèbre « Ya Basta ! » du soulèvement zapatiste, celles et ceux, celleux, qui refusent de capituler, d'abandonner, de se résigner et de se vendre, continuent de crier : « Ça suffit ! ».


25.11.2024 à 17:26

Méga-bassines : « désarmement astucieux » d'une entreprise de BTP

dev

La lutte contre les méga-bassines menée depuis plus de trois ans dans le Marais Poitevin draine en elle-même de grandes questions philosophiques. Est-il souhaitable qu'une minorité de possédants s'accaparent ce qui jusqu'à présent n'appartenait à personne et donc à tous (l'eau) ? Un modèle industriel d'agriculture à rebours de toutes les préconisations écologiques peut-il être soutenu et encouragé par les instances politiques sensées représenter l'intérêt collectif ? Quels moyens peut-on (…)

- 25 novembre / , ,
Texte intégral (1030 mots)

La lutte contre les méga-bassines menée depuis plus de trois ans dans le Marais Poitevin draine en elle-même de grandes questions philosophiques. Est-il souhaitable qu'une minorité de possédants s'accaparent ce qui jusqu'à présent n'appartenait à personne et donc à tous (l'eau) ? Un modèle industriel d'agriculture à rebours de toutes les préconisations écologiques peut-il être soutenu et encouragé par les instances politiques sensées représenter l'intérêt collectif ? Quels moyens peut-on légitimement se donner pour empêcher un désastre à venir ou une aberration en cours ? Le chantage aux ressources est-il substantiellement et moralement différent d'un chantage au désarmement ?
Les rassemblements de Sainte-Soline malgré la répression féroce comme les « débâchages nocturnes » et autres modalités d'intervention dans le débat public ont eu le grand mérite d'ouvrir grand ces problématiques. Nous publions ici une revendication anonyme reçue ce jour et qui peut être comprise comme une nouvelle pièce apportée au débat. Selon ses rédacteur.ice.s, des engins de chantiers d'une méga-entreprise de BTP s'enrichissant sur la construction des fameuses bassines auraient pris feu dans la nuit. Nous n'avons pas pu vérifier l'information mais les auteur.ice.s souhaitent dissiper tout malentendu ou incompréhension : « Au cas où notre propos ne serait pas clair pour certains. TP Charpentier a réalisé les travaux de différentes bassines. Tout acteur qui s'associera aux futurs chantiers de Méga-Bassines, que ce soit à St- Sauvant, à la Clouère, dans les Deux-Sèvres, en Vienne, et partout ailleurs où des projets sont à l'ordre du jour, en subira les conséquences. »

Tôt ce matin, le 25 novembre 2024, nous avons mis le feu aux engins de chantiers du groupe Charpentier, plus particulièrement ceux de sa filiale de travaux publics. Le désarmement de ces machines sur le site de l'Oie dans la Charente, est une réponse directe à la participation de cette entreprise dans les chantiers de Méga-Bassines. En effet, TP Charpentier est la plus impliquée, que ce soit en Vendée, Charente-Maritime et bien sûr dans les Deux-Sèvres. Mettre hors d'état de nuire ces machines, permet de stopper concrètement les chantiers en cours et de rappeler qu'aucun responsable de ceux-ci n'est inatteignable.

Ce désarmement n'est pas le premier. Il intervient dans un contexte où l'opposition contre les Méga-Bassines, son modèle d'accaparement de l'eau et sa promotion de l'agro-industrie, n'a fait que s'intensifier et s'approfondir depuis plus de trois ans. Cette lutte historique a pris un tournant en multipliant et diversifiant les formes de luttes contre ces projets. Dès lors, le mouvement ne cesse de s'étendre et de montrer des possibilités d'enrayer le désastre en cours.

Nous avons marché sur ces chantiers à maintes reprises, comme le 25 mars 2023 où nous étions plus de 30 000 à Sainte-Soline, dans une journée qui restera à jamais gravée dans nos mémoires et dans nos chairs. Nous avons semé des cultures, débâché des Méga-Bassines, fait des irruptions festives, réalisé un blocage paysan du port de La Rochelle, construit des alliances internationales, etc. À travers ces actions, nous avons visibilisé la filière des Méga-Bassines, et les accapareurs qui en tirent le bénéfice. Plus largement, nous avons ouvert une faille dans la lutte contre l'agro-industrie.

Nous pensons en effet que si le système agro-industriel est un système aux multiples tentacules, nous pouvons le combattre en de nombreux lieux. Les méga-bassines, dernière fuite en avant d'un système à l'agonie, sont des prises concrètes pour lutter contre l'accaparement d'un bien commun.
La lutte contre l'agriculture extractiviste est une brèche qui permet de se réapproprier notre rapport matériel et politique à l'alimentation, ses conditions de production et de consommation. Ce système détruit notre territoire, fait disparaître les paysans, spécule sur le fruit de notre exploitation, et participe activement au pillage néo-colonial.

Dans ce processus, le Groupe Charpentier, loin d'être la petite entreprise familiale qu'elle se dit être, est l'acteur majeur des chantiers. Ce sont ces machines qui ont terrassé en Vendée, drainé en Charente-Maritime et creusé en Deux-Sèvres. Cet ogre du Poitou a bâti son empire sur l'artificialisation des terres et les grands projets inutiles. Avec ses 130 millions d'euros de Chiffre d'Affaires et ses 19 sociétés, ce groupe néfaste s'est largement engraissé en échange de son rôle dans les chantiers qui détruisent le Marais Poitevin et le pays Mellois. Il en a profité pour se doter de tout l'arsenal nécessaire afin d'être un acteur incontournable des métamorphoses de l'agro-industrie lors des prochaines décennies.

Par notre geste, nous prenons acte que la séquence dans laquelle nous entrons n'est plus celle de visibiliser les acteurs déjà connus de tous, maintes fois interpellés, mais bien d'impacter clairement la poursuite des chantiers afin de tout bonnement les faire cesser. Si nous avons connu une répression sans bornes ces dernières années, par le succès de notre action, nous renouons avec ce qui a fait la force de notre mouvement : d'astucieux désarmement. Il est possible de faire cesser les projets de bassines par de nombreux biais, recours juridique, mobilisations populaires, réappropriation matérielle, luttes paysannes. C'est cette subtile multiplicité de pratiques qui nous permet aujourd'hui d'enfoncer le clou.

Au cas où notre propos ne serait pas clair pour certains. TP Charpentier a réalisé les travaux de différentes bassines. Tout acteur qui s'associera aux futurs chantiers de Méga-Bassines, que ce soit à St- Sauvant, à la Clouère, dans les Deux-Sèvres, en Vienne, et partout ailleurs où des projets sont à l'ordre du jour, en subira les conséquences.

25.11.2024 à 15:08

Marseille en plan

dev

« Se berner soi-même ou seulement ses administré.es »

- 25 novembre / , ,
Texte intégral (3496 mots)

Laisser en plan signifie quitter quelqu'une alors qu'on devrait rester à ses côtés, ou quitter une activité dont on devrait pourtant s'occuper. La Cour des comptes vient de publier un rapport sur le dispositif Marseille en Grand qui jette une lumière crue sur ce qui parait à première vue être une incompétence mais qui s'inscrit pourtant dans un système d'abandons et d'oppressions.

Les enfants de la famille Gaudin souffraient de nombreux manques. Mal nourris et mal logés, ils avaient plusieurs rêves. Un rêve de vacances où ils pourraient enfin admirer la tour Eiffel, puis un rêve quant à leur futur métier d'ingénieur. Face au constat de l'incapacité de leur père à satisfaire leurs besoins ainsi que leurs droits les plus basiques, deux oncles vinrent, tels des sauveurs, apporter leur secours. Ces deux bienfaiteurs, qu'on appellera Emmanuel et Benoit, ont ainsi offert à leurs neveux une journée à Paris où ils purent goûter des mets délicieux et visiter le quartier de la Défense. Ils les inscrivirent également en lycée professionnel parce qu'il était urgent « qu'ils s'offrent de l'autonomie et de la liberté grâce au travail ». Ah, oui : ils ont également repeint les murs moisis de leur chambre.

Lorsque les enfants exprimèrent leur déception (la tour Eiffel sera visitée par de futurs ingénieurs qu'ils ne seront pas) les oncles pourfendirent leur ingratitude face à « plus de 5000 euros mis sur la table ».

Voilà à quoi ressemble globalement le plan Marseille en Grand, au sujet duquel la Cour de comptes vient de publier un rapport. Dans ce rapport et dans tout ce qu'on sait sur ce plan, on retrouve tous les éléments de l'anecdote introductive, et bien plus que ça.

Marseille en Grand est un plan annoncé par M. Emmanuel Macron le 2 septembre 2021 dans un discours fleuve prononcé au palais du Pharo. Ce plan a été présenté comme un dispositif complexe qui devait non seulement répondre à une « situation d'urgences sécuritaire, sanitaire et sociale », mais aussi saisir cette occasion pour aller bien plus loin et engager des réformes sur le plus long terme.

Les constats que faisait M. Macron sont identiques à ceux de la Cour des comptes et rejoignent tous ceux que les habitant.es et usager.es des services publics marseillais font depuis de trop nombreuses années. L'état des écoles publiques est indigne, le réseau des transports est très insuffisant, la qualité des services sanitaires se dégrade sans cesse, les logements sont non seulement insuffisants mais aussi dans un état très dégradé etc.

Tout ceci était connu depuis très longtemps mais les réponses qu'on y apportait étaient la plupart du temps uniquement sécuritaires. Et les seules augmentations successives du nombre des policiers n'ont évidemment jamais réussi à régler les problèmes, qu'ils soient marseillais ou pas. Mais, comme le rappelle la Cour des comptes, d'autres réponses d'ampleur avaient déjà été annoncées, notamment en 2013. Le Premier ministre d'alors, Jean-Marc Ayrault, avait annoncé le 8 novembre 2013 un plan à « plus de 3 milliards d'euros » pour Marseille. Un budget faramineux qui était censé se pencher sur la rénovation des quartiers défavorisés et sur l'amélioration du réseau des transports, déjà. Mais ces annonces n'ont depuis fait l'objet d'absolument « aucune évaluation ». Qu'à cela ne tienne, certains projets qui y figuraient seront réintégrés dans le plan Marseille en Grand. Voilà une filiation qui n'augure rien de bon.

La lecture du rapport de la Cour des comptes peut donner l'impression d'une grande incompétence mais ce n'est pas là que se trouve l'essentiel. Essayons de nous pencher sur ce que nous dit ce plan Marseille en Grand sur la gouvernance de notre société en général.

Comme tout dispositif banalement néolibéral, Marseille en Grand est un plan tombé du ciel. Ou plutôt de l'imagination des experts qui sont censés régir, grâce à leur savoir, notre société et nos vies. Il se pourrait même qu'il s'agisse ici de l'expert en chef, à savoir celui qui occupe la fonction du Président de la République. La Cour des comptes pointe un manque de préparation flagrant : « le plan Marseille en Grand n'a été précédé d'aucune étude d'ensemble. Il ne repose donc pas sur un diagnostic préalable global […] Le plan Marseille en Grand n'a pas fait l'objet d'une concertation préalable à son annonce. Outre l'apport qu'aurait pu représenter une telle concertation en termes d'identification des besoins de la population et de solutions à mettre en œuvre, l'association de la société civile constitue un facteur d'adhésion à une politique publique ».

Plutôt qu'un « oubli » ou une « incompétence », il faut voir cette absence de concertation comme révélatrice du rapport ordinairement paternaliste qu'entretiennent les gouvernants avec leurs administré.es dans notre société. Le néolibéralisme comme gouvernance des experts se doit parfois de donner l'illusion de démocratie et donne ainsi la parole aux « citoyen.nes ». Mais à force de rendre cette parole purement décorative, c'est le sens même du concept « démocratie » qui se trouve érodé. Rien que ces dernières années nous avons eu un bon nombre de « concertations » qui ont toutes abouti au même résultat, c'est-à-dire à rien. Le « Grand débat national », les cahiers de doléances, les diverses conventions citoyennes… tant de dispositifs pour accueillir la parole pour mieux l'ignorer. De plus, même ce qui constitue le socle minimal de la démocratie, c'est-à-dire le vote, tend à être ignoré lui aussi. Alors, voir que le plan Marseille en Grand n'a pas été précédé d'une concertation, on peut voir cela comme un signe d'honnêteté et de gain de temps.

La concertation n'est pas la seule absente pointée par le rapport de la Cour des comptes. D'autres manques y sont soulignés :

Pas de contractualisation d'actions, de calendrier prévisionnel global donc pas de vision ni de suivi global du plan : « Le contenu du plan ne s'appuie sur aucun autre document que la transcription du discours du président de la République[...] les objectifs du plan ne sont pas explicités et ne peuvent qu'être déduits de la nature des mesures proposées. Ils font dès lors l'objet d'interprétations diverses voire concurrentes de la part des acteurs, qui ne s'entendent pas sur la gouvernance adéquate. »

Pas de coordination entre les différents volets du plan qui sont pourtant souvent interdépendants (l'ouverture ou la taille d'une école peut dépendre de l'offre de transports ; le volet de l'aide à la création d'entreprises aurait pu être orienté de telle manière à bénéficier des retombées d'un autre volet du plan, par exemple celui de la rénovation des écoles ou logements…).

Pas d'évaluation de satisfaction des besoins. Il n'y a même pas de suivi de dépenses globales : seules les dépenses engagées par l'Etat sont centralisées dans un tableur à la préfecture, et parfois de façon très grossière : « L'outil de suivi financier à la disposition de l'État apparaît sous-dimensionné au regard de l'enjeu que représente le pilotage d'un plan de plusieurs milliards d'euros. En premier lieu, il retrace les seuls crédits de l'État. Les dépenses des collectivités territoriales, qu'elles agissent en qualité de maître d'ouvrage ou de cofinanceur, ne sont pas indiquées. Ainsi, il n'existe pas de consolidation budgétaire du plan Marseille en Grand et le montant total des engagements des administrations publiques n'est pas connu. »

D'après la Cour, le plan se « présente donc davantage comme un catalogue de mesures, dont l'utilité n'est pas contestée, que comme une politique globale ». Certaines mesures dudit catalogue ne correspondant même pas aux objectifs affichés (notamment dans le volet transports où on n'a fait que financer des projets préexistants, sans cohérence globale, et dont certains ne répondent aucunement à l'objectif affiché de désenclavement des quartiers nord ni à celui de décongestion routière).

Tous ces manques compromettent clairement l'atteinte des objectifs affichés : « En l'état de sa mise en œuvre, le plan Marseille en Grand présente des insuffisances intrinsèques et organisationnelles de nature à compromettre la pleine satisfaction des besoins qu'il vise en priorité. »

Alors, après avoir lu et constaté tous ces dysfonctionnements majeurs dont fourmille ce plan, on se dit que carence rime avec incompétence. Mais alors, que d'incompétences dans cette ville depuis des dizaines d'années ?! Incompétence des équipes municipales successives ? Incompétence des responsables métropolitains ? Incompétence gouvernementale et étatique enfin puisque les plans précédents sont tombés à l'eau et celui-ci semble plus que mal fichu ? Et des incompétences souvent bien sélectives car la plus grande part de carences se concentre dans les quartiers les plus pauvres. Alors, tout comme un chat, même masqué, doit être appelé un chat, une telle systématicité en politique reste au mieux et inconsciemment du mépris de classe, mais plus certainement et de façon volontaire une politique discriminatoire.

Puisque si peu de soin est accordé à la réussite effective quant aux objectifs affichés, nous devons réexaminer l'utilité réelle de ce plan du point de vue de ses concepteurs.

Ce plan est venu éteindre un incendie qui couvait dans une ville martyre. Il y a eu le 5 novembre 2018, la rue d'Aubagne, des décennies de gestion paternaliste et il était devenu impossible de ne rien faire. Mais ce rapport de la Cour des comptes, en révélant l'indigence du plan, révèle également le cynisme avec lequel on traite la précarité et les classes populaires. Ceux qui sortiront gagnants de ce processus, ce sont les gagnants éternels : les détenteurs du capital ainsi que leurs représentants, à savoir les classes dominantes.

Ce plan Marseille en Grand est un plan purement néolibéral car il en contient tous les marqueurs :

Une conception dans les hautes sphères, sans aucune consultation des populations locales, comme déjà évoqué plus haut.

Un investissement massif de l'argent public dont la majeure partie finira dans les caisses de grandes entreprises privées (du BTP mais pas uniquement), le tout donc sans garantie quant à la satisfaction des besoins des premiers concernés.

La poursuite de la soumission des services publics aux logiques concurrentielles et financières qui régissent la sphère des entreprises privées. Sur ce point, la situation de l'AP-HM (Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille) est paradigmatique. La situation financière de l'établissement étant très difficile, la Cour des comptes précise que « outre le fait que les mesures du plan ne permettent pas de restaurer les marges de manœuvre financières de l'établissement, la persistance de ses difficultés financières structurelles est de nature à faire peser des risques sur la réalisation du volet investissement du plan Marseille en Grand pour les hôpitaux de Marseille. » Ainsi, l'argent public peut aider à régler des problèmes financiers (la dette) mais on se refuse de sortir de la logique financière elle-même qui coule l'hôpital public et la qualité de ses prestations au moins depuis l'instauration du principe de la tarification à l'acte et l'introduction des logiques du marché dans le service public hospitalier. Si on se rappelle que ces logiques marchandes y ont été introduites par souci d'efficacité et pour améliorer le service, on se surprend à rire jaune.

Enfin, c'est à l'école qu'on fait subir la plus grande « expérimentation » néolibérale. Tout en venant donc prévenir des drames imminents, au vu de l'état scandaleux du bâti scolaire, la plan Marseille en Grand a rajouté aux urgentes et indispensables rénovations des écoles une prolétarisation sous forme d'autonomisation. Le principe est simple : dans les « écoles innovantes » participant à l'expérimentation, il s'agira de supprimer les règles statutaires qui protègent les personnels. Le/la directeur.ice d'école devra pouvoir choisir les enseignant.es avec lesquel.les iel va travailler.

Actuellement, les mutations des enseignant.es se font en fonction de leurs vœux et d'un barème objectif constitué de plusieurs éléments (ancienneté de service, ancienneté sur le poste occupé etc.) Faire voler tout cela en éclats et le remplacer par des critères tout sauf objectifs et transparents, c'est créer de l'insécurité et de la précarité pour les personnels enseignants. Si on y ajoute l'obstination du ministère à imposer des méthodes qu'il juge efficaces, des réformes rétrogrades et un abandon des élèves issus des classes populaires, cette précarisation prend alors des airs de prolétarisation, réduisant les enseignant.es en agents obéissants appliquant des méthodes ministérielles expertes. Savoir qu'il n'y a plus de statut ou de barème objectif qui protège d'une mutation forcée rend les gens beaucoup plus dociles et prêts à abandonner ce qui fait le cœur même de leur métier : l'expertise pédagogique.

Enfin, le rapport de la Cour des comptes précise que le seul avantage réel de ces écoles innovantes, à savoir le financement des dispositifs pédagogiques, ne comporte aucune garantie de pérennisation. Vu les tendances restrictives du budget, il se peut que de tout ceci ne subsiste finalement que ce qui représente le cœur du projet néolibéral pour l'école : la soumission de ses personnels aux règles du marché de travail, donc aux injonctions de l'employeur de plus en plus strictes et précises et donc la prolétarisation au bout du compte. Cette prolétarisation doublée d'une transformation des directeur.ices d'écoles en hiérarchie intermédiaire n'est pas uniquement le fruit de ce plan mais découle d'une stratégie mûrie à travers la loi Rilhac ou le Grenelle de l'éducation.

Cette introduction des lois du marché de travail au sein de l'école publique va de pair avec la subordination de l'institution scolaire elle-même aux besoins du capital, c'est-à-dire des entreprises privées. Cela ne peut être le sujet de ce billet, mais nous devons mentionner que toutes les réformes convergent vers la réduction du rôle de l'école publique à la fabrication d'une main d'œuvre pas chère et docile. Que ce soit la réduction de contenus enseignés en école primaire aux « fondamentaux » et à des techniques efficaces, le « Choc des savoirs » avec le tri social des élèves dès le collège ou encore la réforme indigente des lycées professionnels abandonnant les élèves de ceux-ci aux désirs des entrepreneurs, toutes ces évolutions convergent vers ce qu'on nommait plus haut une politique discriminatoire à propos des carences constatées à Marseille. Bref, il s'agit d'une politique de classe assumée.

De plus, la particularité de Marseille du point de vue historique et sociologique à travers son lien avec les populations issues des colonies n'est pas étrangère ni à la politique paternaliste de l'ère Gaudin ni non plus à sa désignation comme lieu de l'expérimentation. Quant au choix de l'école et de ses personnels comme objets de la prolétarisation à venir, il n'est pas sans lien avec la proportion qu'y occupe une autre catégorie dominée, à savoir les femmes.

La question se pose maintenant sur l'attitude que nous devons adopter face à tout cela.

Certains ont choisi de collaborer et de nier les aspects plus que gênants du plan. Ainsi, le maire de Marseille, Benoit Payan, a déclaré dès le 30 octobre 2021 dans une interview au journal La Marseillaise que le recrutement des enseignant.es par les directeur.ices « ne se fera pas » et que cette idée était « oubliée ». Ainsi, le voilà dans le beau rôle de celui qui a obtenu des moyens importants pour sortir les écoles d'une situation indigne et qui a fait reculer le président et le ministère sur ce sujet de prolétarisation des enseignant.es. Sauf que…

Sauf que le réel ne sort pas de la tête de M. Payan mais est le résultat d'un rapport de forces. Ainsi, les affectations dans les écoles innovantes ne se font plus sur la base d'un barème objectif et transparent mais sur un entretien avec un jury composé du/de la directeur.ice ainsi que de son supérieur hiérarchique, l'Inspecteur de circonscription. Pourtant, en homme « de gauche » M. Payan aurait pu se douter du caractère rétrograde du plan présenté par M. Macron. Il aurait pu saisir certains indices dans le discours présidentiel du palais du Pharo.

Mais lorsque le président lui dit « vous avez un problème avec vos personnels municipaux et vous avez trop de grèves », il ne fait qu'appuyer là où M. Payan avait déjà mis son doigt. En effet, quelques mois plus tôt, alors que la situation des écoles marseillaises était ce qu'elle était, la priorité du maire fraîchement arrivé avait été de délibérer et de limiter le droit de grève des agents municipaux. Alors un président qui dans son discours évoque « trop de grèves », « l'absentéisme », des agents « qui ne sont jamais là », d'autres qui « viennent juste prélever leur dîme », non seulement cela éclaire l'actualité et nous rappelle que ce qui se trame en ce moment avec la proposition de porter à 3 le nombre de jours de carence des fonctionnaires est inscrit dans une idéologie instillée dans les esprits depuis de trop longues années, mais cela peut aussi éclairer la position des gens qui se prétendent opposés à M. Macron mais qui dans les faits ne s'en différencient guère que par le style ou la couleur de la veste.

Donc, lorsque M. Payan avait clamé que le recrutement des enseignant.es par les directeur.ices était « une idée oubliée », la réalité lui a donné tort. On aurait pu penser qu'il s'agissait justement là d'une tentative d'installation d'un rapport de forces où le maire tentait de faire pencher la balance du côté de la protection du statut des enseignant.es. Mais lorsqu'on lit, trois ans plus tard dans le même journal La Marseillaise (dont la qualité ne peut être remise en cause par l'indigence des interviewés), M. Ganozzi (adjoint au maire de Marseille en charge du Plan écoles) déclarer : « Emmanuel Macron liait le projet d'écoles innovantes au fait que le directeur choisirait ses enseignants. […] Ça a été abandonné et tant mieux. » On voit là qu'il s'agit d'une simple négation ou d'un travestissement de la réalité.

Voilà, face à cette stratégie qu'on peut qualifier au choix de celle de l'autruche ou de mystification, selon qu'on imagine si l'équipe municipale tente de se berner soi-même ou seulement ses administré.es, il en est une autre. L'autre stratégie, la seule conséquente politiquement face à ce plan, à ce rapport et à cette politique de classe, c'est de se dresser en face de façon lucide et de lever les draps que les uns et les autres ne cessent de jeter tant sur le réel que sur leurs véritables desseins. La solidarité avec les dominé.es, les opprimé.es et les abandonné.es passe par là. Le temps des compromis n'est plus.

Jadran Svrdlin

25.11.2024 à 15:03

Le Hirak, boussole de la vérité historique sur l'Algérie

dev

À propos d'un article paru dans lundimatin Serge Quadruppani

- 25 novembre / , ,
Texte intégral (2376 mots)

En général, celles et ceux qui écrivent dans Lundimatin s'intéressent à ce que « le peuple veut », surtout quand « le peuple veut la chute du régime ». Le slogan des insurrections arabes restera l'emblème de la décennie ouverte à Sidi Bouzid en décembre 2010 et close en 2021 par le grand renfermement mondial sous couvert de Covid. De cette décennie d'agitation et de soulèvements qui, partis de l'aire arabo-musulmane, se sont étendus en plusieurs vagues à toute la planète – des États-Unis à l'Espagne, du Chili à Hong Kong en passant par la Turquie du parc Gezy à la France des Gilets jaunes et des grandes manifs contre les lois de destruction des droits sociaux –, de ce moment de craquement dans la gouvernance mondiale, subsiste une conviction solidement ancrée dans la pratique comme dans la théorie. La conviction – récemment ravivée par de nouveaux soulèvements, de l'Iran au Bangladesh – qu'il existe une conflictualité fondamentale entre les gouvernements de la planète et leurs « peuples », cette fraction majoritaire de la population principalement constituée par l'alliance des classes subalternes et d'une fraction de la bourgeoisie intellectuelle. C'est avec cette boussole, « le peuple veut la chute du régime », qu'il s'agit de penser, quand on veut s'opposer au cours catastrophique du monde.

Or, il semble que dans la très légitime volonté d'offensive contre un éditorialiste réactionnaire du Point (pardon pour le pléonasme) récemment goncourisé, cette boussole ait été perdue ici-même. Dans cet article de Yassid ben Hounet, il est en effet prétendu que Houris, le roman de Kamel Daoud [1], repose sur une fausse rumeur répandue en Algérie et surtout diffusée en France par « quelques journalistes passe-plats, naïfs, ethnocentrés, arrogants et/ou qui dédaignent l'Algérie ». Cette rumeur porte sur l'histoire de la « décennie noire » : ces années 90, durant lesquelles l'État algérien et les maquis islamistes se sont affrontés, principalement aux dépens de la population civile (150 000 morts). Ceux qui, comme moi, prennent au sérieux la prétendue « rumeur », soutiennent que le Groupe Islamique Armé était infiltré par le DRS, le Département du Renseignement et de la Sécurité (qui a remplacé la Sécurité militaire de Boumediene, et qui est devenu en 2016 Département de Surveillance et de Sécurité). Il s'agissait pour le principal Service secret algérien d'utiliser ces maquis pour affaiblir ceux du Front islamique de salut, de punir par une série de massacres les zones rurales qui soutenaient les maquis du FIS et de faire pression sur la France. Selon ben Hounet, « aucune recherche sérieuse ne corrobore cette thèse ». Or, ce qu'il prétend être « une grande fake news », « un grand récit complotiste », est en réalité une description de la réalité très largement documentée.

Rappel historique

Tout l'argumentaire de l'article litigieux repose sur un sol particulièrement mouvant : l'assimilation, sous le nom générique d'« Algérie », du gouvernement et du peuple algérien. Comme si c'était tout un. Mais si tel était le cas, pourquoi ces émeutes récurrentes depuis les années 1980 (Kabylie - 1980 ; Oran et Saïda - 1982 ; Oran - 1984 ; Casbah d'Alger - 1985 ; Constantine et Sétif -1986) ? Pourquoi les émeutes de 1988, si atrocement réprimées (plus de 500 morts, une grande créativité dans les tortures infligées aux émeutiers interpellés) ? Et, la parenthèse de la décennie noire refermée, pourquoi le Hirak (voir ici et ici) ? En réalité, dès que le peuple algérien se manifeste, il n'hésite pas à faire exactement ce que ben Hounet reproche aux « intellectuels décadents » français : jeter « l'opprobre sur les actions des services de sécurité de l'État algérien (police, gendarmerie, armée) ».

Quand ben Hounet prétend que durant la décennie noire « l'Algérie a dû faire face, seule, au terrorisme des groupes islamiques armés », cette prétendue solitude dans la lutte contre l'islamisme mérite un petit rappel historique. Après l'indépendance de l'Algérie et l'illusion lyrique des premières années, où l'on parlait d'autogestion dans les usines [2], le coup d'État de Boumediene a cadenassé le pouvoir politique autour d'une caste militaire prédatrice qui, trop occupée à se remplir les poches, n'a jamais développé un pays à fortes potentialités économiques en se contentant d'acheter la paix sociale grâce à la rente du pétrole. C'est la crise de cette dernière, entraînant l'appauvrissement général de la population (hormis la caste militaire) et de sa jeunesse en particulier, qui explique les émeutes des années 1980.

Après le soulèvement de 1988, un processus de démocratisation est lancé et les premières élections libres se déroulent en janvier 1991, à la suite de quoi il apparaît clairement que « le peuple veut la chute du régime » - fut-ce en portant au pouvoir un parti réactionnaire. Le Front islamique du salut avait été, dans un premier temps encouragé en sous-main par un pouvoir soucieux avant tout d'affaiblir les oppositions démocratiques – comme cela s'était passé dans l'Égypte d'Anouar el-Sadate bienveillante envers les islamistes et comme il adviendra en Palestine avec la politique israélienne favorisant le Hamas. Fort de son implantation locale et des services sociaux qu'il assumait à la place d'un État défaillant, le FIS frôle la majorité absolue au premier tour des élections. Sur quoi, le président Chadli démissionne et l'armée prend le pouvoir : il n'y aura jamais de deuxième tour. Le paradoxe est que ce coup d'État, qui s'oppose directement au fonctionnement du suffrage universel, est accueilli par le soulagement diversement dissimulé des démocraties occidentales. Ni la France ni l'Europe n'auraient aimé avoir un régime islamiste à leurs portes. Cependant, le gouvernement français, bien renseigné sur le fait que son homologue algérien s'est lancé dans une guerre sans merci contre une bonne partie de sa population, est partagé sur l'idée d'afficher son soutien à la politique de ceux qu'on a surnommé les « éradicateurs », à savoir les généraux partisans d'en finir avec l'islamisme à force de massacres. Le Monde diplomatique, peu soupçonnable de sympathies néocolonialistes, dans un article de 2005 écrit par deux spécialistes du Maghreb, résume bien la situation au début de la décennie noire :

« Fin 1993, le commandement militaire algérien, engagé depuis près de deux ans dans une guerre sans merci contre l'opposition islamiste, cherche à faire basculer la France en sa faveur. À Paris, au ministère de l'Intérieur, M. Charles Pasqua et son conseiller Jean-Charles Marchiani soutiennent fidèlement sa politique “éradicatrice”, contrairement à l'Élysée et au Quai d'Orsay – où François Mitterrand et M. Alain Juppé souhaitent une attitude moins répressive. Pour mettre Paris au pas et neutraliser les opposants algériens réfugiés en France, les chefs du DRS et M. Jean-Charles Marchiani prennent l'opinion en otage en organisant, fin octobre 1993, le “vrai-faux” enlèvement des époux Thévenot et d'Alain Freissier, fonctionnaires français en poste à Alger. M. Édouard Balladur finit par autoriser M. Pasqua à déclencher l'opération “Chrysanthème”, la plus importante rafle d'opposants algériens en France depuis le 17 octobre 1961. Satisfaits, les services algériens montent une opération “bidon” afin d'accréditer l'idée qu'ils sont parvenus à libérer les otages français des griffes de leurs “ravisseurs islamistes”. »

« Fin 1994, le DRS franchit un pas supplémentaire dans la “guerre contre-insurrectionnelle” en favorisant l'arrivée, à la tête du sanguinaire Groupe islamique armé (GIA), d'un “émir” qu'il contrôle, M. Djamel Zitouni. D'octobre 1994 à juillet 1996, celui-ci et son groupe vont revendiquer des actions sanglantes : détournement d'un Airbus d'Air France en décembre 1994, attentats dans le RER parisien en 1995, enlèvement et assassinat des moines de Tibhirine en 1996, massacres de civils… Tout cela sert, de facto, les objectifs des généraux éradicateurs : discréditer les islamistes, confirmer le soutien de Paris et torpiller toute perspective de compromis politique en Algérie. »

Une thèse très étayée

De l'utilisation des attentats du GIA en France (juillet-octobre 1995) pour empêcher celle-ci de soutenir le processus des pourparlers de paix avec le FIS lancés par les principaux partis algériens sous l'égide de la communauté de Sant'Egidio jusqu'à l'infiltration du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (2003) dont un chef, ancien garde du corps d'un des principaux généraux « éradicateurs » s'est retrouvé promu chef d'Al Qaeda au Sahara, (avant d'être ultérieurement remplacé par un ancien contrebandier lui aussi manipulé), le double jeu des services algériens avec l'islamisme est trop documenté pour qu'on puisse le présenter comme une fake news. Critiquer un éditorialiste réactionnaire et islamophobe et sa vedettarisation par tout ce que la France compte de traqueurs de wokistes, d'obsédés de l'islamo-gauchisme et de laïcards islamophobes est une bonne chose. En profiter pour refiler le récit mensonger produit par une kleptocratie régnant sur l'Algérie depuis 50 ans, c'est d'autant plus douteux que l'auteur s'appuie principalement sur le témoignage d'un Mohamed Sifaoui, dont le c.v. de faux témoin professionnel, proche des Services algériens, est long comme le bras. Et jeter au passage le soupçon sur l'engagement pour l'émancipation des peuples du regretté François Gèze, militant depuis sa jeunesse du Cedetim, c'est vil [3]. Comme dans la guerre des mémoires engagée entre une France qui refuse de reconnaître le crime contre l'humanité que fut la colonisation et un pouvoir clanique qui instrumentalise les horreurs coloniales pour se légitimer ad vitam aeternam, certains critiques du néo-colonialisme nous somment de choisir entre d'un côté le narratif de Daoud et de la France réac, qui comporte pourtant, dans son flot islamophobe, un élément vrai : l'implication des Services algériens dans les crimes de la décennie noire, et de l'autre côté, le récit des dits services niant leur implication tout en avançant une vérité : le caractère effectivement répugnant et criminel de l'islamisme. Mais dans les deux cas, comme disaient les situationnistes, le vrai est un moment du faux. Le Hirak et les mouvements qui l'ont précédé, nous indiquent au contraire la voie à suivre : ni avec les uns ni avec les autres.

La vérité historique travaille aussi pour la chute du régime, en Algérie comme ailleurs.

Serge Quadruppani


[1] Que je n'ai pas lu, ce qui n'a aucune importance puisqu'il ne s'agit pas de juger l'œuvre littéraire du personnage.

[2] Sur cette période, on peut lire par exemple, du « Pied rouge » François Cerutti, D'Alger à Mai 68 : mes années de révolution (Éditions Spartacus, deuxième édition, 2018).

25.11.2024 à 15:00

La critique démunie

dev

Le résultat des élections américaines ou la nécessité d'aller au-delà des idées convenues [Temps critiques]

- 25 novembre / , ,
Texte intégral (4015 mots)

Les analyses des résultats des élections américaines, quand elles sont en provenance de l'extrême gauche [1], ne sont pas très originales et rejoignent d'ailleurs parfois les interprétations avancées par des journalistes ou politologues indépendants : pas de programme clair chez les démocrates, discours ultra urbain en direction des classes moyennes supérieures, abandon des couches populaires et mépris de classe, adresse aux « communautés » comme si elles étaient homogènes, l'approche erronée de la place de femmes, qui prend tout simplement le contrepied de leur image traditionnelle avec en plus une erreur d'appréciation sur l'importance des « droits reproductifs » dans la campagne électorale, etc. Ces analyses ne sont pas fausses pour autant, mais ce n'est pas là, la question ou le problème.

En effet, on est relativement nombreux et dans nombre de pays, à avoir fait la remarque critique d'un abandon de la question sociale au profit de questions sociétales, de la part des pouvoirs en place, mais aussi de la gauche et pas seulement de la gauche dite de gouvernement, puisque l'extrême-gauche a introduit le genre, la race, la préférence sexuelle comme politique, la mise en avant des minorités à la place de la majorité, la lutte contre les discriminations à la place de la lutte contre les inégalités, dans les problématiques actuelles.

Mais parmi les commentateurs d'extrême-gauche, il y en a un bon nombre là aussi qui posent cela en termes de choix stratégique et politique comme s'il y avait juste à bien cibler les sujets et les électeurs (c'est, par exemple, la stratégie de Rufin). Un choix franchement électoraliste, parce que cela reviendrait à un échange standard de la même stratégie en direction du « peuple » qu'il s'agirait seulement de toucher. Or, il ne s'agit plus de « conscientiser » des masses incultes pour les « éclairer » à l'énergie renouvelable et propre de la postmodernité. Ou alors, d'un point de vue plus radical, comme s'il suffisait juste d'une décision politique individuelle à prendre, qui serait de faire le bon choix théorique, avec une perspective révolutionnaire alternative en paquet cadeau (du type, « Moi je choisis la question sociale, et toi ? »). Or, rien de tout cela. Nous ne sommes plus dans le contexte social et politique des années 1960 de l'imagination au pouvoir. Aujourd'hui, nous sommes passés aux imaginaires mis en concurrence où « la notion d'intersectionnalité est moins faite pour annoncer le rassemblement des dominés, que pour cartographier les tendances qui ne cessent de l'ajourner [2] ».

Si les raisons de la défaite des démocrates sont souvent bien ciblées par la critique, ce sont les raisons de la victoire des républicains et surtout de Trump qui sont occultées. L'impression d'absence de pilote dans l'avion, d'être livrés à la machine bureaucratique (États-Unis) ou technocratique (UE) par des politiciens sans envergure, qui seraient incapables de répondre aux besoins essentiels de la population, représente aujourd'hui une constante dans « l'opinion »… et un crève-cœur pour les « degauche ». Or, ces besoins essentiels, dans la société capitalisée, que cela nous plaise ou non, sont plus focalisés sur l'idée de liberté, d'accession individuelle au confort et au bonheur que sur celle d'égalité. Il n'y a donc rien de très étonnant que, dans sa pointe avancée, les libertés d'expression (via les réseaux sociaux et les organes privés de l'information) et d'entreprendre (le mimétisme pour le tous winners plutôt que le souci vis-à-vis de loosers à qui on réservera le care) soient perçues comme absolues, l'égalité et les solidarités considérées comme relatives [3]. L'appel de Trump, lui-même entrepreneur milliardaire, à Musk comme conseiller du gouvernement est un signe fort de cette tendance, quand la France en reste encore au pantouflage du public vers le privé pour son personnel politique et à des appels du pied macronistes à des renforts issus de la « société civile » (cf. critique infra) pour renouveler le cheptel politicien. À un degré moindre, les phénomènes Tapie et surtout Berlusconi étaient annonciateurs d'un nouveau type d'autocrate ne correspondant absolument pas aux vieilles figures de chefs fascistes aujourd'hui discrédités.

Quand l'absence de direction se fait sentir et qu'aucune perspective de prise en charge alternative et dans la lutte collective ne se dégage, il n'est donc pas illogique que la question du chef se pose et ce, dans les termes d'une surenchère autoritaire autour d'une ambition de pouvoir personnel contournant les règles des régimes démocratiques traditionnels, a fortiori dans des pays à régime mixte, présidentiel comme aux États-Unis ou semi-présidentiel comme en France. Cette politique autoritaire s'avérant d'autant plus efficace, au moins au niveau de sa propagande informationnelle plus qu'idéologique, qu'elle taillera dans la masse en cherchant à établir des lignes de séparation entre amis et ennemis (y compris sous la forme nationaux/migrants-étrangers) et proposera une politique d'état d'exception (Carl Schmitt). Le paradoxe résidant dans le fait que ce sont ceux qui revendiquent l'union autour du peuple redéfini et retrouvé qui se proposent d'exclure pour reformer l'unité, alors que ceux qui disent défendre l'inclusion pour l'unité sombrent dans les particularismes, y compris radicaux, avec leurs batailles internes picrocholines. Ce méli-mélo, plus grand monde ne cherche à le démêler si on excepte les politologues et autres experts en tout genre. Alors, cela n'a plus grand sens de chercher à délimiter les critères de vérité entre d'un côté des politiciens traditionnels parlant la langue de bois et pratiquant la polémique à fleuret moucheté (ou la fuyant par peur d'incompétence comme Harris) et de l'autre les nouveaux spécialistes de l'esbroufe et de la grande gueule, via la diffusion de fake news sur des réseaux sociaux et des radio-télés à réalité virtuelle. Comme le dit à peu près Kamel Daoud, sur un tout autre sujet (le conflit israélo-palestinien depuis le 7 octobre) : dans certaines situations, le mieux est d'invoquer « le droit au silence », quand la raison ne peut pas être dépliée dans le raisonnable (Discours devant les étudiants de l'IEP, le 19 octobre 2024, in Libération, le 20 octobre 2024).

Ouvrons ici une parenthèse sur la notion d'opinion publique.

Jusqu'au XVIIIe siècle, l'opinion publique était celle qui méritait d'être rendue publique (par exemple, celle qu'exprimaient Montesquieu, Rousseau, Voltaire, en somme, les Lumières). C'était donc une parole en provenance des élites éclairées. Puis la notion d'opinion publique s'est démocratisée au sein de la société civile bourgeoise, un processus facilité par le développement de la presse, de la radio, puis de la télévision. Même si cette opinion publique était façonnée en partie par les médias, il n'y en a pas moins eu une autonomisation relative de cette opinion par rapport à un pouvoir politique conduit, en régime démocratique, à resserrer au possible l'écart entre politique à mener, état de la loi et état de l'opinion (cf. par exemple, la question de la peine de mort ou celle sur l'avortement ou sur le divorce en Italie). L'opinion publique, et donc sa connaissance par le pouvoir, formait un ensemble (cf. l'utilisation massive des sondages à partir des années 1980 en Europe), le premier servant d'intermédiation au second afin d'atteindre un « peuple » dont on ne parlait plus autrement qu'au travers de la figure du citoyen-électeur. [Il faudrait revenir sur les analyses de Bourdieu sur l'opinion publique, mais nous n'allons pas alourdir ce texte d'autant que Bourdieu est le seul ancien d'approche holiste ou globaliste à l'origine (cf. sa critique du sujet et sa thèse de la reproduction sociale) à ne pas avoir été repêché par les thèses postmodernes).]

Avec la « révolution du capital », il n'y a plus de « société civile » ; les anciennes médiations que formaient la famille, l'école, l'église, l'armée, les classes, mais aussi les institutions publiques ne jouent plus leur ancien rôle de l'époque bourgeoise. C'est pourtant cette référence des médias et éventuellement des pouvoirs en place à la société civile qui est venue supplanter celle à l'opinion publique dont on ne perçoit plus guère d'écho aujourd'hui. Elle correspond à un discours performatif qui veut recréer des intermédiations là où il y a surtout aujourd'hui de l'immédiateté ; d'où, à mon avis, la montée en puissance de ce que les différentes fractions du pouvoir appellent le « populisme », c'est-à-dire, la prise en compte de la nouvelle situation de confrontation directe et sans filtre (cf. la vulgarité des deux langages utilisés de part et d'autre pendant le mouvement des GJ) entre pouvoir et peuple. Prise en compte au niveau des forces politiques nouvelles (cf. RN et LFI pour la France, mouvement Cinque stelle en Italie, Alliance pour la raison et la justice de Sahra Wagenknecht en Allemagne, partis écologistes partout) ; prise en compte aussi à la base par un mouvement comme celui des Gilets jaunes avec son refus de toute représentation et son attaque au cœur de l'État, et au niveau idéologique par les orwelliens de service qui en appellent au « bon sens ». Il est vrai qu'ils ont des excuses puisque les mêmes à gauche qui proclament que la vérité est relative reprochent à la droite de répandre des fake news. Dans tous les cas, la tendance est à l'illibéralisme du côté du pouvoir politique et à la critique des élites de la part de ceux qui se perçoivent comme dominés ou exclus d'un « système » qui, paradoxalement, ne s'est jamais autant affirmé « inclusif ». Mais alors qu'en Europe et en France, les partis d'extrême-droite cherchent à se rallier le peuple « réel », aux États-Unis Trump et les nouvelles élites conservatrices cherchent à liquider « l'État profond » de l'élite précédente, c'est-à-dire l'élite bureaucratique et financière avec sa kyrielle d'experts, certes diplômés, mais jugés déconnectés de la réalité. Face à cette accusation d'illégitimité par rapport aux anciennes élites portée par le vote Trump, le procès déjà programmé que vont intenter les démocrates et la gauche européenne sur l'incompétence crasse de leurs remplaçants (plusieurs de ceux qui sont pressentis pour les postes les plus influents faisant l'objet de controverses politiques, voire d'enquêtes judiciaires) risque d'être un flop.

Dans la révolution du capital, l'État sous sa forme nation est en crise. Il se redéploie sous sa forme réseau et, dans ce redéploiement, c'est la notion même d'opinion publique qui n'a plus de sens. Par exemple, il était encore possible de la sonder au moment de la prise de position sur la peine de mort à l'arrivée de la gauche française au pouvoir, puisque la finalité d'une loi dans la modernité était soit d'anticiper l'évolution de l'opinion en la précipitant, soit de la ratifier avec le moins de retard possible. Mais dans tous les cas, en cherchant à s'appuyer sur un sentiment majoritaire. Cela devient difficile voire impossible aujourd'hui que les identités multiples et les particularismes s'invitent dans le débat public sur les « sujets de société » en tant que forces politiques visibles et organisées (LGBT+) et non plus comme associations affinitaires (Arcadie), agissant aussi bien au sein des réseaux de pouvoir, dans les coulisses parlementaires et sur les plateaux-télé, qu'au travers des réseaux sociaux. L'opinion publique était encore, malgré le vague de la terminologie, une tentative de se référer à la totalité, mais dans un cadre, celui de l'individualisme, ne permettant qu'une approximation de la « vérité » du moment. Il n'en est plus de même quand c'est l'émiettement qui tend à prédominer, que les droits prolifèrent, voire s'opposent entre eux.

Ce sens de totalité, l'opinion publique ne l'a sans doute jamais eu aux États-Unis du fait du fort fédéralisme interne, mais en Europe, cela a pu coller à la forme nation et son pouvoir centralisé. Comme la nature a horreur du vide, la dynamique actuelle a créé de nouveaux intermédiaires, mais sur des bases plus ou moins identitaires/ communautaires, à travers les réseaux sociaux. Certains de ses réseaux représentent la voie et la voix des sans-voix et plus généralement ceux qui étaient invisibles ou invisibilisés et le sont restés (ça brasse très large puisque les réseaux militants en font partie, comme les sans-papiers) ou qui le sont devenus (les ouvriers) ; d'autres représentent ceux qui sont devenus ou qu'on a rendus visibles parce qu'ils représentent maintenant un facteur dynamique du capitalisme, par exemple par leur travail dans les nouvelles technologies, par une présence qui tend à lever certains des anciens tabous de la société bourgeoise de façon à ce que les anciennes dominations et humiliations laissent place aux nouvelles fiertés (place des femmes, tentative de sauvetage de la famille par l'inclusion de nouvelles formes). Ce tintamarre produit par la nouvelle guerre idéologique pour l'hégémonie culturelle à la Gramsci n'a plus rien à voir avec l'ancienne bataille pour « se gagner » l'opinion publique sur la base d'un programme global ; les milliards de donations à Kamala Harris n'y ont rien changé. La totalité est devenue le faux et il ne s'agit plus de la saisir à travers ses évolutions, mais d'enregistrer et décrire des faits significatifs (« stylisés », disent les experts).

Mais revenons à notre premier paragraphe. Si nous sommes hors de la bataille pour l'hégémonie culturelle qui se mène actuellement, c'est que nous avons perdu la guerre de classes et même plus largement dans ce qui transparaissait aussi comme une lutte au-delà des classes (dans le 68 français et le 77 italien comme tension vers la communauté humaine), et les théories marxistes encore audibles au sens d'entendables à l'époque, bien que déjà critiquées par Cardan (Castoriadis) dans le no 35 de la revue via son « Bilan » (conseillisme d'une part, opéraïsme de l'autre), ne le sont plus (voir par exemple le devenu de l'opéraïsme chez Lazzaratto, Negri et Virno). Résultat, « Le désert de la critique » comme l'écrit Renaud Garcia dans son ouvrage éponyme. La défaite n'ayant pratiquement été reconnue que par ceux qui sont partis cultiver leur jardin, la plupart de ceux qui restent sur la brèche ne le font que parce qu'ils sont façonnés par un habitus de mélange de révolte, de lutte et d'effort, étant entendu qu'ils n'ont candidaté à aucun poste de pouvoir leur donnant accès à une « position » valorisante ou qu'ils s'en sont vu fermer les portes pour des raisons politiques ou de contexte (après la révolution du capital, les fractions au pouvoir n'ont même plus besoin des sociologues comme c'était le cas dans les années 1960) ; ou bien, pour la plupart, d'autant que ce n'est pas incompatible avec la première proposition, parce que ce sont des croyants, au sens religieux du terme. Pour eux, il suffirait de retrouver la question sociale finalement dans les termes que la sociologie n'emploie même plus ou alors avec des pincettes comme Castel (Les métamorphoses de la question sociale) pour ressusciter la « Question sociale » au sens politique qui était le sien entre 1848 et 1936. [Nous avons déjà abordé ce point dans la brochure « Les chemins de traverse de la question sociale » en insistant sur ce qu'a produit le décentrage de la société capitalisée, par rapport à la question du travail et en conséquence, sur la perte d'importance objective des luttes sur le lieu de travail, la valeur sans le travail (vivant), etc.]

Si on revient au cas spécifique des États-Unis, on peut aussi se demander ce que veut dire « question sociale » quand l'ouvrier américain se pense depuis presque un siècle comme membre à part entière de la classe moyenne et qu'aujourd'hui, en l'absence de véritable politique de revenus, là-bas comme en Europe de l'Ouest d'ailleurs, ce n'est pas une conscience de classe qui s'exprime, mais un ressenti de déclassement et son lot de ressentiment d'un côté ou alors de l'autre, une révolte contre le racialisme de la police, qui prend une forme émeutière comme dans les manifestations à la suite de la mort de George Floyd. Mais qui, en l'état, semble produire plus de peur de la part du pouvoir et chez les « possédants » que de débouchés et perspectives pour mettre à bas l'ordre établi. Dépassant la question américaine, on peut quand même se poser la question : quels seraient les antagonismes porteurs d'une « question sociale », à la fois « dans et contre » la société capitalisée ? On n'en est même plus à se poser la question du nouveau sujet, comme à l'époque du Marcuse de la fin des années 1960 ou de la nouvelle composition de classes dans l'évolution de l'opéraïsme. Par ailleurs, est-ce bien sérieux de le rechercher dans la figure du sans-papiers, forme radicalisée de l'ancien travailleur immigré, ou dans l'ancienne classe ouvrière en espérant que la crise capitaliste empire, afin qu'elle retrouve son essence révolutionnaire ou la conscience de ses intérêts ? D'autant que, aujourd'hui, le messianisme a changé de camp. Que cela ait été une erreur du jeune Marx de le concevoir à l'origine comme force révolutionnaire importe peu, quand cette voie est reprise et prospère aujourd'hui à travers l'idéologie et les pratiques de big tech sous la forme libertarienne. Ce nouveau discours du capital se moque de contradictions (alliance de forces de globalisation et de cosmopolitisme avec le protectionnisme, l'isolationnisme [4] et l'exclusion des étrangers) qui s'avèrent sans danger à court terme parce que non antagoniques. Cette hybridation des intérêts publics et privés est symptomatique du fonctionnement de l'hyper-capitalisme (le niveau I de la domination du capital).

Le désarroi est tel que même dans une situation comme celle du mouvement des GJ, la plupart des « degauche » et même de l'extrême-gauche ne le reconnurent pas comme intéressant et a fortiori aujourd'hui les mêmes, qui ne l'ont pas reconnu à l'époque, vont être confortés dans leur position d'alors, parce que bien sûr que beaucoup de GJ ont dû voter RN ou sont partisans de Trump, mais qu'est-ce que ça prouve ? C'est toute la différence entre un événement et un mouvement qui interagissent d'une part et un résultat électoral d'autre part qui va donner lieu à des exégèses sur le vote par âge, sexe, couleur de peau, milieu social.

Le « dans » est déjà problématique du fait de l'inessentialisation de la force de travail et de la caducité d'une armée industrielle de réserve interne vue la division internationale du travail, mais de quoi peut être fait le « contre » ? De n'importe qui et n'importe quoi effectivement quand d'un côté, Trump est perçu et élu comme représentant « antisystème » ; et quand de l'autre, on n'a que le « choix » entre des politiques identitaires qui ne font qu'imposer une nouvelle morale en phase avec la société capitalisée et un anticapitalisme sans principes pour certains, puisqu'il confine jusqu'à certaines fractions de l'extrême droite, superficiel pour d'autres qui ne critiquent que la financiarisation du capital et le néo-libéralisme.

Temps critiques, le 23 novembre 2024


[1] Cet article était à l'origine une lettre de réponse au groupe « soubis » qui avait fait circuler le texte : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/un-revers-cinglant-pour-une-bonne-lecon-de-realisme-sociologique/74¬36735

[2] – Michel Fréher, Producteurs et parasites : l'imaginaire si désirable du RN (La Découverte, 2024), cité dans « Cinq ouvrages pour penser le risque de l'extrême droite », Libération, le 21 novembre 2024.

[3] – Des observateurs relèvent le rôle de la hausse de l'inflation imputée à Biden dans la victoire de Trump. Or, cette hausse et en partie due aux efforts de solidarité et de redistribution pendant la crise sanitaire, puis de relance par la demande. Le soutien à la syndicalisation et à la hausse du salaire minimum est allé dans le même sens, mais n'a pas empêché les incohérences de l'administration Biden, par exemple par rapport à la tentative de grève des cheminots pour la sécurité en 2022, où elle a réussi à bloquer toute grève. Or, quelques semaines plus tard, en février 2023, un train de 2,8 kilomètres de long bourré de produits chimiques déraillait et s'enflammait, provoquant un désastre environnemental majeur en Ohio et en Pennsylvanie. Dans les jours suivants, un sénateur de l'Ohio a dénoncé l'impéritie des autorités fédérales et promettait de ne pas oublier la classe laborieuse des Appalaches. Son nom : J. D. Vance, futur vice-président élu de Donald Trump (Le Monde, le 21 octobre 2024).

[4] – Contre les apôtres de l'anti-impérialisme ciblant en priorité les États-Unis, on peut renvoyer au discours de Trump aux Nations Unies en 2019 où il a déclaré : « Le futur n'appartient pas aux mondialistes. Le futur appartient aux patriotes. Le futur appartient aux nations souveraines et indépendantes, qui protègent leurs citoyens et respectent leurs voisins et honorent les différences qui rendent chaque pays spécial et unique. » Ce discours rompt complètement avec le tropisme raciste de Trump parlant précédemment de « pays de merde » et de « trous à rats » à leur encontre. Il s'inscrit plus concrètement dans la concurrence que se livrent les États-Unis, la Chine et la Russie sur le continent africain et plus globalement dans leurs rapports avec le « Sud global ».

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