01.10.2025 à 17:57
Dans tous les discours de tous les gouvernements, les mesures prises sont censées favoriser « la croissance et l'emploi » pour reprendre une formule usée jusqu'à la corde. Mais les résultats sont souvent éloignés de ces objectifs. Deux récentes publications de l'INSEE sur le patrimoine et le niveau de vie des ménages* livrent un éclairage édifiant sur le bilan des politiques mises en œuvre au cours des dernières années.
Depuis 2017, Emmanuel Macron assurait ainsi que ses mesures (baisse (…)
Dans tous les discours de tous les gouvernements, les mesures prises sont censées favoriser « la croissance et l'emploi » pour reprendre une formule usée jusqu'à la corde. Mais les résultats sont souvent éloignés de ces objectifs. Deux récentes publications de l'INSEE sur le patrimoine et le niveau de vie des ménages* livrent un éclairage édifiant sur le bilan des politiques mises en œuvre au cours des dernières années.
Depuis 2017, Emmanuel Macron assurait ainsi que ses mesures (baisse de l'impôt sur les sociétés et des impôts locaux des entreprises, création du prélèvement forfaitaire unique, transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière) allaient permettre à leurs bénéficiaires (soit les plus riches et les entreprises, notamment les plus grandes) d'investir, de créer des emplois et, in fine, d'améliorer la situation de l'ensemble de la population. C'est la fameuse théorie du ruissellement.
Attac a déjà montré que cette théorie ne fonctionne pas [1]. De la même manière, plusieurs travaux ont montré que ces mesures n'avaient pas relancé l'activité économique [2]. Or, l'INSEE vient de le confirmer : le ruissellement a existé, mais vers le haut.
L'institut statistique montre en effet que le niveau de vie des ménages les plus modestes a baissé en 2023, tout comme celui du second et du troisième décile. En clair, les 30 % de la population les plus pauvres ont subi une baisse de leur niveau de vie en 2023.
En revanche, en 2023, le niveau de vie des ménages les plus aisés a nettement augmenté, tout comme celui du neuvième décile et, dans une moindre mesure, du huitième décile. En clair, les 30 % les plus aisés ont connu une hausse de leur niveau de vie, cette hausse étant plus marquée chez les plus aisés. L'INSEE précise que « la majeure partie de cette hausse est due à l'augmentation des revenus financiers impulsée par la hausse des taux d'intérêt et à l'augmentation des revenus d'investissement, notamment des placements et assurance-vie ». On notera au passage que la hausse des revenus financiers, moins imposés que les revenus du travail ou les pensions de retraite, intervient sur fond de distributions record de dividendes.
L'INSEE précise par ailleurs que, « En 2023, les indicateurs d'inégalités sont en hausse après s'être stabilisés en 2022 à un niveau relativement élevé au regard des dernières années. La baisse du niveau de vie des plus modestes, concomitante à la hausse de celui des plus aisés, conduit les indicateurs d'inégalités à atteindre des niveaux parmi les plus élevés depuis 30 ans ».
Les indicateurs d'inégalités sont élevés non seulement du fait de la hausse du niveau de vie des plus aisés, mais aussi du fait du niveau record de la pauvreté monétaire qui s'établit en 2023 à 15,4 % en France métropolitaine. L'INSEE précise que cet indicateur « est au plus haut depuis 1996, date de début de la série ».
Les politiques fiscales menées depuis 2017 n'ont donc pas seulement été coûteuses (elles ont alimenté la dette publique de 308 milliards d'euros entre 2018 et 2023) et inefficaces, elles se sont traduites par une hausse des inégalités sur fond de hausse de la pauvreté. Dire cela n'est pas une opinion ou une projection, c'est un fait établi. Dans ce contexte, un autre budget est réellement vital.
*INSEE, « Les revenus et le patrimoine des ménages », édition 2024, octobre 2024 et INSEE première, « Niveau de vie et pauvreté en 2023 : taux de pauvreté et inégalités s'accroissent fortement », juillet 2025.
14.09.2025 à 10:55
C'est le principal argument de ceux qui s'opposent à toute hausse d'impôt visant les plus riches : ceux-ci partiraient à l'étranger, privant la France de leurs investissements, ce qui appauvrirait le pays, ferait augmenter le chômage et la pauvreté, tout cela sans réduire les déficits et la dette publics. Il ne resterait à la population résidant sur le territoire national que les yeux pour pleurer en quelque sorte. Cet argument est le pendant de la théorie du ruissellement : si baisser les (…)
- ActualitésC'est le principal argument de ceux qui s'opposent à toute hausse d'impôt visant les plus riches : ceux-ci partiraient à l'étranger, privant la France de leurs investissements, ce qui appauvrirait le pays, ferait augmenter le chômage et la pauvreté, tout cela sans réduire les déficits et la dette publics. Il ne resterait à la population résidant sur le territoire national que les yeux pour pleurer en quelque sorte. Cet argument est le pendant de la théorie du ruissellement : si baisser les impôts doit favoriser les investissements, donc la croissance et l'emploi (pour reprendre une formule ressassée à l'envi), les augmenter conduit nécessairement à l'inverse du fait, notamment, du départ à l'étranger des agents économiques les plus aisés. CQFD. Mais cet argument a priori simple voire limpide, ne repose toutefois sur aucune réalité, comme en attestent les travaux menés sur le sujet *
Nous reviendrons ici sur les données livrées dans ces différents travaux (1) avant d'en analyser les ressorts (2) pour conclure qu'une hausse de l'imposition des plus riches est non seulement souhaitable mais qu'elle ne se traduirait pas par un appauvrissement de l'économie française (3).
Les premiers travaux sur l'exil fiscal ont tout d'abord porté sur le comportement des redevables de l'ancien Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Sur la base de données de la Direction générale des finances publiques, ils montrent que, entre 2001 et 2006, seulement 0,12 % à 0,14 % des contribuables redevables de l'ISF quittaient la France chaque année. Par la suite, ces départs n'ont pas dépassé les 0,2 % du nombre de redevables de l'ISF.
Ces départs, très faibles en nombre et en proportion, étaient pour partie compensés par les retours de personnes autrefois redevables de l'ISF, mais qui revenaient s'établir en France après quelques années passées à l'étranger. Selon les années, les retours représentaient en effet 20 à 40 % des départs.
Il faut ajouter à cela les « faux départs » à l'étranger : chaque année en effet, l'administration fiscale identifiait entre 150 et 200 faux exilés, c'est-à-dire des redevables de l'ISF qui se déclaraient à l'étranger mais qui continuaient en réalité à vivre en France. Ceux-ci faisaient alors l'objet d'un redressement fiscal afin qu'ils paient les impôts qu'ils auraient du payer en qualité de résident fiscal en France, même si tous n'ont probablement pas été identifiés.
Enfin, récemment, dans une analyse macroéconomique, le Conseil d'analyse économique (CAE) a confirmé d'une part, que les départs des plus riches vers l'étranger étaient de longue date peu importants et d'autre part, que leur impact sur l'économie était marginal.
Les principaux résultats du rapport du CAE sont les suivants :
La mobilité du « top 1 % des revenus du capital » est réelle mais faible : seuls 0,2 % du top 1 % des revenus du capital s'expatrient chaque année, soit moins que la moyenne nationale (0,38 %).
De la même manière, la sensibilité de ces ménages à la fiscalité est relativement faible. La réforme de 2013 (qui s'est traduite par une hausse de l'imposition des revenus du capital) a augmenté les départs nets de 0,04 à 0,09 points de pourcentage. A l'inverse, la réforme de 2017-2018 (allègement avec la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière et l'instauration du prélèvement forfaitaire unique, le PFU) a réduit les départs nets de 0,01 à 0,07 points.
Le CAE a par ailleurs étendu son analyse à l'impact des départs sur la détention d'entreprises. En effet, lorsqu'un actionnaire important (éventuellement même, dirigeant d'un entreprise ou d'un groupe) s'établit à l'étranger, on observe une baisse « brute » (soit avant compensation, voir ci-dessous) du chiffre d'affaires (-15 %), de la masse salariale (-31 %) et de la valeur ajoutée (-24 %). Si ces données paraissent de prime abord importantes, le CAE souligne néanmoins que ces effets « bruts » sont en bonne partie compensés par des réallocations (rachats, absorptions, réemploi des salariés), ce qui réduit l'impact net des départs.
Le CAE considère en effet que l'effet agrégé des départs est limité. Mieux, il montre que, même en prenant une hypothèse haute de l'impact de tels départs, une réforme générant 4 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires (≈ 0,15 % du PIB) induirait tout au plus une baisse de 0,03 % de chiffre d'affaires, de 0,05 % de valeur ajoutée et de 0,04 % de l'emploi total.
Au final, le CAE conclut que, si l'exil fiscal existe et réagit à la fiscalité, ses effets macroéconomiques sont faibles, car les flux restent réduits. S'agissant d'une éventuelle réforme fiscale visant à rehausser l'imposition du capital (sur les revenus et/ou sur le stock de capital financier), ses effets significatifs passeraient moins par les départs que par les comportements des ménages restés en France (sur l'épargne, l'investissement et l'optimisation voire la fraude fiscale). En d'autres termes, ce ne sont pas les départs qui produisent des effets significatifs, mais les comportements des résidents fiscaux nationaux qui peuvent plus ou moins consommer ou épargner, investir ou non ou encore tenter d'éviter légalement ou illégalement l'impôt (tout cela ayant des effets sur les recettes fiscales).
Le débat sur l'attractivité du pays se concentre à tort principalement sur la fiscalité et le fameux « coût de la main d'œuvre ». Or, dans les décisions d'investir, d'autres facteurs sont pris en compte : la capacité à dégager un chiffre d'affaires (ce qui est possible si les revenus sont suffisamment corrects et si les mécanismes redistributifs comme les prestations sociales permettent de soutenir la demande), l'existence d'infrastructures et de réseaux (de transport, de communication notamment), la qualité de la formation, etc. De ce point de vue, la France reste attractive : elle demeure de longue date l'une des principales terres d'accueil des investissements directs étrangers.
Dans son étude, le CAE montre que « Bien que l'effet direct des expatriations de détenteurs d'entreprises soit significatif, il est important de noter qu'une partie de ces effets directs peut, en pratique, être compensée ou au contraire amplifiée par divers mécanismes de réallocation et d'équilibre ». En d'autres termes, si des actionnaires importants partent à l'étranger, les entreprises qu'ils détiennent peuvent se restructurer, les salariés victimes de ces restructurations voire de fermetures d'entreprises peuvent retrouver du travail, etc. Au final, ainsi qu'indiqué plus haut, le CAE estime que « l'exil fiscal entraînerait au plus une baisse de -0,03 % de chiffre d'affaires, -0,05 % de valeur ajoutée totale de l'économie française, et -0,04 % de l'emploi total. » Un effet marginal à mettre en comparaison des avantages d'une meilleure imposition des plus riches : recettes publiques permettant de financer l'action publique et la protection sociale (avec un effet de soutien au pouvoir d'achat de l'ensemble des ménages), renforcement de la cohésion sociale et du consentement à l'impôt, etc.
Les conclusions du CAE confirment ce qui avait été observé dans le comportement des redevables de l'ISF. Ceux-ci disposaient de placements immobiliers (ceux-ci représentaient 20 à 40 % de leur patrimoine imposable à l'ISF) qu'ils n'emportaient évidemment pas lorsqu'ils déclaraient partir à l'étranger. Ils disposaient également de placements financiers tant en France qu'à l'étranger. Et lorsqu'ils partaient à l'étranger, ils conservaient les mêmes placements, en France et à l'étranger. Ce qui explique que l'impact sur l'économie soit nul ou marginal.
Sous le seul prisme de l'impact d'une hausse de l'imposition des plus riches sur l'économie, il est donc démontré que celle-ci est possible. En d'autres termes, contrairement aux discours de ceux qui avancent qu'une telle mesure se traduirait par une fuite des plus riches, donc par un impact budgétaire et économique négatif, elle dégagerait des recettes fiscales supplémentaires.
D'autres avantages seraient retirés de l'instauration d'un mécanisme de type « Taxe Zucman », d'un impôt sur la fortune rénové à assiette élargie par rapport à l'ex-ISF ou encore d'une rénovation de l'imposition de la transmission des patrimoines (droits de donation et de succession) grâce à l'instauration d'un plafond au pacte Dutreil par exemple [1]. Le premier consiste en la réduction des inégalités, un des objectifs historiques de la fiscalité. Le second est difficilement estimable en termes monétaires mais il est essentiel : renforcer la contribution des plus riches renforcerait le consentement à l'impôt et permettrait de mieux respecter l'un des principes fondamentaux du système fiscal : l'égalité devant l'impôt.
*Voir sur le sujet :
– le rapport du syndicat Union SNUI-SUD Trésor Solidaires (devenu Solidaires Finances publiques) sur les « expatriations fiscales », octobre 20210.
– le rapport de la Direction générale des finances publiques relatif aux contribuables quittant le territoire national, 2018.
– le rapport d' l'Institut des politiques publiques, Évaluation des réformes de la fiscalité du capital, rapport IPP n° 47, octobre 2023.
– le rapport du Conseil d'analyse économique de juillet 2025 intitué : « Fiscalité du capital, quels sont les effets de l'exil fiscal sur l'économie ? », Focus n° 118, juillet 2025. ;
[1] Ce dispositif permet à un dirigeant d'entreprise e transmettre les titres de celle-ci en bénéficiant d'une exonération de 75 % de la valeur des titres. Le Pacte Dutreil est particulièrement prisé par les ultrariches qui, en transmettant tout ou partie de leur groupe, réalisent une économie d'impôt se chiffrant en milliards d'euros, ce qui contribue à la reformation d'une société de rentiers.
16.07.2025 à 18:32
Dans le cadre de la préparation de son projet de loi de finances et de son projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le premier ministre a annoncé que, pour économiser près de 44 milliards d'euros sur 2026, il comptait instaurer une « année blanche ». François Bayrou a ainsi déclaré : « On aura exactement le même montant des retraites pour chaque pensionné que celles qu'on avait en 2025 (…) L'ensemble des prestations sociales seront maintenues en 2026 à leur niveau de 2025 et il (…)
- ActualitésDans le cadre de la préparation de son projet de loi de finances et de son projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le premier ministre a annoncé que, pour économiser près de 44 milliards d'euros sur 2026, il comptait instaurer une « année blanche ». François Bayrou a ainsi déclaré : « On aura exactement le même montant des retraites pour chaque pensionné que celles qu'on avait en 2025 (…) L'ensemble des prestations sociales seront maintenues en 2026 à leur niveau de 2025 et il n'y aura pas d'exception (…) Les barèmes de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée seront eux aussi maintenus à leur niveau de cette année ». Il a oublié de préciser qu'avec l'inflation, l'année blanche se traduira en réalité par une perte de pouvoir d'achat pour la grande majorité de la population.
Schématiquement, l'année blanche consiste en un gel de l'ensemble de la dépense publique et des différents dispositifs de type barème de l'impôt sur le revenu. En d'autres termes, les mécanismes d'indexation des prestations ou encore du barème de l'impôt sur le revenu sur l'indice des prix à la consommation (hors tabac) ou sur l'indice de référence des loyers (pour l'allocation logement) seraient neutralisés.
Une telle mesure ne peut avoir que des effets particulièrement néfastes, notamment pour la moitié de la population la plus pauvre. Concrètement, l'année blanche signifie principalement un appauvrissement des bénéficiaires des prestations sociales, notamment des plus pauvres, des classes moyennes et de nombreux retraités (même si plusieurs prestations bénéficient également à des ménages aisés, comme les prestations familiales). L'OFCE [1] a ainsi montré qu'un gel des prestations sociales permettrait une économie budgétaire d'environ 5 à 6 milliards d'euros. Les retraités en supporteraient l'essentiel (3,7 milliards d'euros). Les plus pauvres seraient par ailleurs frappés par l'absence de revalorisation des minima sociaux, ce qui contribuerait à nourrir un niveau de pauvreté déjà record.
Pour l'ensemble des bénéficiaires des prestations sociales, une année blanche signifierait donc une baisse du pouvoir d'achat. Économiquement, une année blanche est contre-productive puisque cette baisse du pouvoir d'achat provoquerait une baisse de la consommation, donc une baisse du chiffre d'affaires des commerçants et des entreprises et une baisse de leurs investissements. En clair, par ses effets récessifs sur l'activité économique, l'année blanche ne procurera pas les quelques milliards d'euros d'économies espérées par le gouvernement.
Un calcul simple permet d'illustrer l'idée selon laquelle l'économie budgétaire sera inférieure à celle officiellement attendue. À titre d'exemple, si l'on considère que ces 5 à 6 milliards d'euros sont consommés au taux de TVA moyen de 12 % (la consommation pouvant concerner des biens et des services imposés aux taux de 5,5, 10 ou 20 %), le manque à gagner découlant de cette consommation évitée se situe entre 600 et 750 millions d'euros l'économie nette se situant alors entre à 4,4 et 5,25 milliards d'euros), davantage si l'on prend en compte les autres impôts sur la consommation, et bien plus si l'on prend les effets sur la marge et l'investissement des entreprises. Comme le montre l'analyse économique, ce manque à gagner des recettes fiscales sera amplifié par l'effet multiplicateur négatif de la baisse des dépenses publiques sur la croissance économique.
L'absence d'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation augmenterait pour sa part l'impôt sur le revenu des 19 millions de foyers fiscaux déjà imposables. Mais il rendrait par ailleurs imposables plusieurs centaines de milliers de foyers fiscaux (entre 400 000 et 500 000). Selon l'OFCE, les ménages situés au niveau de vie médian perdraient jusqu'à 100 euros sur cette seule mesure.
Le cas de la contribution sociale généralisée (CSG) est plus complexe. Chaque année, les seuils en deçà desquels il est possible, pour certains contribuables, d'être exonérés de CSG (en dessous de 12 817 euros pour un célibataire en 2025) ou de bénéficier d'un taux réduit pour certains retraités (pour un revenu compris entre 12 818 et 16 755 euros, le taux de la CSG est de 3,8 %), sont déterminés par rapport au revenu fiscal de référence. Ces seuils seront gelés en 2026, ce qui signifie que certains contribuables pauvres qui connaissent une hausse, même légère, de leur revenu pourraient payer davantage de CSG.
Les estimations de l'OFCE sont instructives. Elles montrent qu'en 2026, avec une année blanche :
– près de 10 millions de ménages dont la personne de référence est retraitée verraient leur revenu disponible réduit de 280 euros par unité de consommation1 en moyenne (350 euros par ménage), ce qui représente environ 1 % de leur niveau de vie ;
– les 15 millions de ménages dont la personne de référence est salariée verraient leur revenu disponible amputé de l'ordre de 70 euros (-0,2%) et les indépendants (2,4 millions de ménages en 2023) d'environ 100 euros (-0,2%) par unité de consommation à la fois du fait du gel du barème de l'impôt sur le revenu et du gel des prestations sociales ;
– le revenu disponible des 1,3 million de ménages dont la personne dite « de référence » est au chômage se réduirait d'environ 120 euros par unité de consommation.
De manière générale, l'OFCE estime que « les 5 % de ménages les plus élevés verraient leur revenu disponible amputé de l'ordre de 260 euros par unité de consommation (390 euros par ménage)" contre environ 100 euros pour les ménages aux revenus les moins élevés. Mais rapporté au pourcentage du niveau de vie, ce sont les ménages les moins favorisés qui verraient leur revenu disponible baisser, de 1 % contre 0,3 % pour les ménages aux revenus les plus élevés ».
L'économie budgétaire attendue par le gouvernement pourrait être très réduite voire symbolique puisque certains ménages pénalisés par l'année blanche passeront sous le seuil de pauvreté (fixé à 60 % du niveau de vie médian de la population, soit à 1 288 euros par mois pour une personne seule) alors que le taux de pauvreté bat des records (15,4 % de la population se situe sous le seuil de pauvreté).
Antisociale, anti-économique, l'année blanche constitue un véritable « prélèvement » sur le pouvoir d'achat des ménages, elle ne répond qu'à un dogme : s'attaquer encore et toujours à l'action publique et à la redistribution.
Bilan anti redistributif de l'année blanche (OFCE) :
[1] Pierre Madec, « Impôts et prestations : quels effets attendre d'une « année blanche » ? », le blog de l'OFCE, 30 juin 2025.
02.07.2025 à 14:05
La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s'est exprimée sur le futur projet de loi de finances pour 2026. Dans une interview donnée au quotidien Les Échos, elle s'attaque au dogme macroniste et gouvernemental consistant à refuser toute hausse d'impôt sur les plus riches et les grandes entreprises (le gouvernement n'étant par ailleurs pas gêné par l'introduction d'une « TVA sociale »*). Elle y déclare notamment que « On ne peut exclure d'emblée toute hausse d'impôts ». Elle (…)
- ActualitésLa présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s'est exprimée sur le futur projet de loi de finances pour 2026. Dans une interview donnée au quotidien Les Échos, elle s'attaque au dogme macroniste et gouvernemental consistant à refuser toute hausse d'impôt sur les plus riches et les grandes entreprises (le gouvernement n'étant par ailleurs pas gêné par l'introduction d'une « TVA sociale »*). Elle y déclare notamment que « On ne peut exclure d'emblée toute hausse d'impôts ». Elle propose même de « se pencher sur la taxation des "super héritages" ». Elle pointe notamment une réalité statistique : « 0,1 % des héritiers reçoivent des montants supérieurs à 13 millions d'euros et ne paient en moyenne que 10 % de droits de succession ».
Ce constat est factuel et implacable. Il est pourtant peu connu car peu abordé dans les « grands médias ». Certes, Attac ne partage ni les autres pistes évoquées par Yaël Braun-Pivet (comme celle de l'année blanche, qui, en matière d'impôt sur le revenu, rendrait imposables de nombreux foyers aujourd'hui exonérés en raison du niveau de leurs revenus), ni la politique qu'elle soutient. Mais nous reconnaissons que c'est tout le mérite de la présidente de l'Assemblée nationale de remettre dans le débat public la taxation des super héritages et de pointer une des injustices majeures du système fiscal.
Pour compléter le constat dressé dans cette interview, on rappellera que, selon l'INSEE, la moitié des ménages français ne bénéficie d'aucun héritage et que, pour ceux qui en reçoivent un, l'immense majorité n'est pas imposable (85 à 87 %) en raison de la faiblesse de la valeur du patrimoine transmis. France stratégie a, par ailleurs, calculé que le taux moyen d'imposition effectif sur les successions en France est d'environ 5 %, il s'abaisse même entre 2 % et 3 % pour les transmissions dites « en ligne directe » (entre parents et enfants). Mais si la plupart des ménages n' héritent pas ou peu ,ceux ou celles qui héritent beaucoup ont vu leur part considérablement augmenter : le Conseil d'analyse économique a démontré que la part de la richesse héritée dans la richesse nationale s'accroît considérablement : elle en représente 60 % aujourd'hui, contre 35 % dans les années 1970.
Réformer les droits de donation et de succession pour qu'ils soient non seulement rentables sur le plan budgétaire, mais aussi plus équitables et progressifs est d'autant plus nécessaire qu'en France, d'ici à 2040, 9 000 milliards d'euros de patrimoine seront transmis.
Plusieurs chantiers doivent donc être engagés :
– plafonner le « Pacte Dutreil » (une exonération de 75 % sur la transmission de titres d'une société) afin d'épargner la transmission des PME mais de mettre davantage à contribution les transmissions organisées par les plus riches,
– remettre en cause les autres « niches fiscales », comme l'assurance-vie par exemple,
– revoir les barèmes d'imposition, aujourd'hui calculés selon le lien de parenté, afin de promouvoir un barème unique,
– revoir simultanément les abattements qui se superposent,
– rendre transparent et améliorer les données statistiques sur la valeur des patrimoines transmis par voie de donation et de succession.
* Lire l' article d' Attac "La TVA anti-sociale , d'un gouvernement anti -social"
05.05.2025 à 15:47
Comme chaque année, la Cour des comptes a publié son rapport sur le budget de l'État en 2024. Ce rapport, publié en avril 2025, se montre sévère, en des termes de moins en moins feutrés au fur et à mesure des années, sur plusieurs points avec les gouvernements qui ont officié au cours de l'année dernière. Nous revenons ici sur quelques éléments saillants de ce rapport qui en dit long sur l'approche budgétaire du pouvoir dans la période récente.
En matière de recettes, le rapport dresse le (…)
Comme chaque année, la Cour des comptes a publié son rapport sur le budget de l'État en 2024. Ce rapport, publié en avril 2025, se montre sévère, en des termes de moins en moins feutrés au fur et à mesure des années, sur plusieurs points avec les gouvernements qui ont officié au cours de l'année dernière. Nous revenons ici sur quelques éléments saillants de ce rapport qui en dit long sur l'approche budgétaire du pouvoir dans la période récente.
En matière de recettes, le rapport dresse le constat selon lequel, « les écarts entre l'exécution et la prévision des recettes fiscales nettes en loi de finances sont importants ». Cette question des écarts entre les prévisions des projets de lois de finances et les résultats budgétaires effectivement constatés a d'ailleurs été à l'origine de la création en octobre 2024 d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale « afin d'étudier et de rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 ».
Outre ces écarts, la Cour des comptes déplore qu'en 2024, aucune loi de finances rectificative n'ait été prévue. Elle remarque ainsi que « il convient de relever le paradoxe qui a vu le Gouvernement réviser sa prévision de croissance à 1,0 % dès le mois de février 2024 sans déposer pour autant de projet de loi de finances rectificative (PLFR), qui seul aurait permis d'actualiser les prévisions de recettes et les plafonds de dépenses ».
Cette question du PLFR est abordé à plusieurs reprises, notamment dans la partie qui recense les coupes budgétaires décidées en 2024 : « À défaut de recourir à une loi de finances rectificative pour tirer les conséquences des résultats 2023 dès le début de l'exercice, le Gouvernement a choisi d'annuler, d'une part, 10,4 Md€ par voie réglementaire - 10,15 Md€ en février puis 283 M€ en juillet 2024 – et, d'autre part, 6,5 Md€ à l'occasion de la loi de fin de gestion, et a redéployé en cours d'année 1,4 Md€ par décrets de transfert et de virement. Enfin, 13,4 Md€ de crédits disponibles n'ont pas été dépensés : 11,6 Md€ ont été reportés sur 2025 sur le budget général (incluant les fonds de concours) tandis que 1,8 Md€ devraient être annulés en loi de règlement »
Ces extraits soulèvent plusieurs questions.
– La première porte sur la manière dont les pouvoirs publics établissent leurs prévisions de croissance et, par suite, de recettes et de dépenses publiques. Il est manifestement apparu que Bruno Le Maire, lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances, a surévalué le taux de croissance et le rendement des recettes fiscales.
– La seconde porte sur la méthode avec laquelle le gouvernement a procédé à des coupes budgétaires, sans loi de finances rectificative, donc sans passer par un débat au parlement. Les coupes budgétaires sont en effet importantes et auraient mérité un débat parlementaire, que les 2 précédents gouvernements ainsi que l'actuel ont esquivé. Au final, les crédits annulés ou non compensés et non reportés sur 2025 s'élèvent à 17,3 milliards d'euros, un montant presque comparable au budget de la mission « cohésion des territoires » en 2024 (19 milliards d'euros).
– La troisième porte sur une forme de bricolage budgétaire, les coupes ayant été décidées précipitamment et mise en œuvre « à la hache ». Les récentes annonces de la ministre des comptes publics sur le projet de fusionner ou de supprimer certains opérateurs de l'État en attestent. Derrière l'idéologie néolibérale consistant à s'attaquer sans cesse au périmètre et aux moyens de l'action publique, la précipitation avec laquelle cette annonce a été faite, sans aucune précision, montre une absence cruelle de méthode et de vision.
Certes, Attac ne peut en aucun cas suivre ni encore moins soutenir la Cour des comptes lorsque, par exemple, elle préconise constamment une baisse des dépenses publiques ou lorsque son premier Président relativise la fraude fiscale par rapport à la fraude sociale. Ces critiques méritent cependant d'être connues car, venant d'un organisme important mais très sensible au néolibéralisme ambiant, elles montrent en quoi, en plus d'être injuste, la politique budgétaire gouvernementale est, au mieux, mal maîtrisée sur le plan technique, ou au pire, biaisée et faussée.
22.04.2025 à 18:48
La ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, a déclaré vouloir passer en revue l'ensemble des « niches fiscales » afin de « supprimer ce qui est inutile ». "Il y a 85 milliards [d'euros] de niches fiscales.Si vous avez 10% de niches en moins, ça fait huit milliards, a-t-elle ajouté. Bien que la ministre n'ait pas défini ce qui était utile de ce qui ne l'était pas, en soi, cette déclaration est intéressante : elle pointe une réalité sur le grand nombre de « niches » qui affecte le (…)
- ActualitésLa ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, a déclaré vouloir passer en revue l'ensemble des « niches fiscales » afin de « supprimer ce qui est inutile ». "Il y a 85 milliards [d'euros] de niches fiscales.Si vous avez 10% de niches en moins, ça fait huit milliards, a-t-elle ajouté. Bien que la ministre n'ait pas défini ce qui était utile de ce qui ne l'était pas, en soi, cette déclaration est intéressante : elle pointe une réalité sur le grand nombre de « niches » qui affecte le rendement du système fiscal. Il est évident que réduire le nombre et le coût budgétaire de ces dispositifs constitue un enjeu important. Pour autant, cette annonce semble surtout destinée à justifier la remise en cause de l'abattement des 10 % applicables aux retraités en matière d'impôt sur le revenu.
Une « niche fiscale » est une disposition fiscale légale qui permet de réduire l'impôt (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, impôt sur la fortune immobilière, etc.) ; concrètement, elle prend la forme d'une réduction d'impôt, d'un crédit d'impôt, d'une déduction du revenu ou du bénéfice imposable ou encore d'un régime dérogatoire. Au final, l'impôt réellement payé est donc inférieur à ce qu'il aurait été sans l'application de cette disposition.
Une niche sociale est un allègement de cotisation sociale. Concrètement, une niche sociale s'entend, selon le ministère des comptes publics, comme toute mesure d'exonération, de réduction ou d'abattement d'assiette applicable aux contributions et cotisations sociales, entraînant une perte de recettes pour la Sécurité sociale par rapport à ce qui serait résulté de l'application du taux normal de cotisations ou de contributions sociales.
Pour Attac, une « revue des niches, fiscales et sociales » est une nécessité absolue. Une telle revue permettrait en effet d'analyser le rapport « coût/efficacité/impact sur la redistribution fiscale et sociale » de chacun de ces dispositifs dont le coût global avoisine les 200 milliards d'euros. Il faut également prévoir la suppression des niches « climaticides ». A titre d'exemple, l'Institut for climate economics estime que les niches fiscales climaticides provoquent un manque à gagner de 16 miliards d'euros.
Le coût des niches fiscales se situe entre 85 à 90 milliards d'euros et environ autant pour les « niches sociales ». Il faut par ailleurs ajouter le coût, élevé, de certains régimes dérogatoires comme l'exonération de plus-values sur cessions de titres pour les entreprises (la « niche Copé »), le régime de l'intégration fiscale (qui permet à un groupe de consolider l'ensemble de ces bénéfices et pertes) et le régime dit « filles-mère » (une exonération sur les versements de dividendes au sein d'un groupe de sociétés). Ces trois dispositifs ne sont plus mentionnés dans les documents annexés aux lois de finances depuis 2019. A l'époque, ils représentaient un manque à gagner global de 41 milliards d'euros.
Une véritable revue de ces dispositifs permettrait de supprimer ceux qui sont inefficaces et injustes (car procurant un avantage indu à leurs bénéficiaires), réformer ceux qui pourraient atteindre leur objectif voire maintenir les dispositifs justes et efficaces. On en est encore bien loin.
En réalité, les déclarations du gouvernement ressemblent surtout à un écran de fumée destiné à légitimer la mesure qu'il cherche à imposer : la suppression de l'abattement de 10 % sur les pensions de retraites. Précisons ici que, contrairement à ce qui est souvent avancé, cet abattement, instauré en 1978, n'est pas destiné à couvrir les frais professionnels des retraité·es. Il a été instauré pour compenser le fait qu'ils avaient moins la possibilité de dissimuler leurs revenus au fisc que d'autres catégories de contribuables comme les commerçants et les professions libérales notamment.
Supprimer cet abattement ne répond en rien aux objectifs qu'une « revue des niches » digne de ce nom devrait se fixer : rétablir davantage de justice fiscale, neutraliser les stratégies d'optimisation fiscale et dégager des recettes. Une telle suppression introduirait des injustices supplémentaires puisqu'elle reviendrait à rendre imposables des retraité·es qui, grâce à cet abattement, ne paient pas d'impôt sur le revenu en raison de revenus trop faibles. Les retraité·es imposables paieraient, pour leur part, davantage sans que leur pension ne soit revue à la hausse. Par ailleurs, cet abattement n'a rien à voir avec les stratégies d'optimisation fiscale mises en œuvre par les plus aisés (au point que leur taux réel d'imposition décroît au-delà d'un certain niveau de revenu) : en effet, à la différence des « niches » et autres dispositifs utilisés dans certains montages (pacte Dutreil, réduction pour placements dans certains fonds, etc), les retraités ne choisissent pas d'actionner cet abattement, celui-ci s'appliquant automatiquement. Enfin, s'agissant des recettes, le surcroît d'impôt qui serait payé par les retraité·es obérera leur consommation, donc certaines rentrées fiscales.
Une fois de plus, le gouvernement reste obstinément fermé à l'idée de mettre davantage à contribution les agents économiques les plus aisés, grands gagnants des politiques fiscales mises en œuvre depuis 2018 notamment. Ce faisant, il contribuera une fois de plus à dégrader le consentement à l'impôt, pilier d'une vie en démocratie, et à aggraver la crise démocratique. Rarement un dogme fiscal n'aura été à ce point défendu, envers et contre tout, notamment contre les travaux menés ex-post et démontrant que ces mesures ont été injustes, coûteuses et inefficaces. L'enjeu n'est donc pas de faire payer davantage les retraité·es en général, mais les personnes ls plus aisées en fonction de leurs facultés, qu'elles soient actives ou retraité·es, dans le respect de l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen. En la matière, des propositions justes existent.
La ficelle est un peu grosse. Attac met le gouvernement au défi d'engager une véritable revue des niches fiscales et sociales dont l'objectif serait de rétablir davantage de justice fiscale, donc de progressivité, et de dégager des recettes qui seraient particulièrement utiles pour financer l'action publique.
17.04.2025 à 11:04
Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, vient une fois de plus de valider cette formule en déclarant : « Ce que nous proposons d'abord, c'est de lutter contre la fraude sociale. Autant sur la fraude fiscale, on a fait beaucoup, et je ne crois pas qu'il y ait des masses à gratter, autant, sur la fraude sociale, c'est très important, c'est à peu près 4,5 milliards d'euros par an. On récupère royalement 600 (…)
- ActualitésMal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, vient une fois de plus de valider cette formule en déclarant : « Ce que nous proposons d'abord, c'est de lutter contre la fraude sociale. Autant sur la fraude fiscale, on a fait beaucoup, et je ne crois pas qu'il y ait des masses à gratter, autant, sur la fraude sociale, c'est très important, c'est à peu près 4,5 milliards d'euros par an. On récupère royalement 600 millions ».
De la part du plus haut responsable de la Cour des comptes, chargée précisément « de s'assurer du bon emploi de l'argent public et d'en informer les citoyens », cette déclaration est confondante et indécente.
Cette déclaration est tout d'abord trompeuse car, envers et contre tous les travaux menés sur la question, elle laisse croire que la fraude sociale dans son ensemble (soit la fraude aux cotisations sociales et la fraude aux prestations sociales), est plus importante que la fraude fiscale. Rien n'est plus faux. Les estimations, qu'elles soient parcellaires (comme celle de l'Insee sur la seule fraude à la TVA, estimée entre 20 et 26 milliards d'euros [1] ) ou plus globales, comme celle de 80 à 100 milliards d'euros du syndicat Solidaires finances publiques [2] ou celle de 70 à 80 milliards d'euros de Gabriel Zucman [3]), montrent que la fraude fiscale surpasse, et de très loin, les formes de fraude sociale. Celles-ci sont en effet estimées aux environ de 3 milliards d'euros pour la fraude aux prestations sociales et de 8 à 13 milliards d'euros pour la fraude aux cotisations sociales [4]. Il y a donc davantage à gratter en luttant contre la fraude fiscale.
Elle est par conséquent politiquement très orientée, puisqu'elle s'inscrit de fait dans la droite ligne des personnalités qui nient l'importance de la fraude fiscale et mettent l'accent sur la fraude sociale, notamment la fraude aux prestations sociales. Ces personnalités, qui n'étayent jamais sérieusement leurs travaux, mènent en réalité un combat acharné contre le système de protection sociale. Elles lui préfèrent en effet un système largement privatisé. Les mêmes tentent par ailleurs de stigmatiser les immigrés, supposés vivre de la redistribution sociale, afin de légitimer leurs propres positions anti-immigration, voire xénophobes. Or, il est désormais démontré que la fraude sociale est le fruit, dans son immense majorité, de la fraude aux cotisations sociales organisée par des employeurs et de la fraude aux prestations sociales organisée, pour sa part, par des professionnels de santé. Dans le contexte, il est utile de le rappeler.
Elle méconnaît la réalité des comptes publics. En effet, au-delà des questions liées aux estimations des diverses formes de fraudes, dans sa déclaration, Pierre Moscovici avance une estimation hasardeuse de 4,5 milliards d'euros, il semble manifestement cibler son propos sur la fraude aux prestations sociales. Ce faisant, il oublie fâcheusement de préciser qu'en matière de minima sociaux (souvent vilipendés par les néolibéraux et néolibertariens de tout poil), la fraude est très largement inférieure à l'économie procurée par le non recours. De très nombreuses personnes ne demandent pas les prestations auxquelles elles ont droit. Le taux de non recours se situe entre 30 % et 40 % [5]. Au final, les caisses publiques réalisent une économie d'environ 10 milliards d'euros (7 milliards d'euros nets en déduisant la fraude aux prestations sociales). Il n'y a donc rien à gratter de ce coté là.
En matière de rendement budgétaire, il est par ailleurs démontré dans les résultats financiers livés par les pouvoirs publics que la lutte contre la fraude fiscale est beaucoup plus rentable (ce qui est logique, la fraude fiscale étant elle-même beaucoup plus importante sur les diverses formes de fraudes sociales réunies). En 2024, le contrôle fiscal a ainsi identifié 16,7 milliards d'euros de fraude fiscale tandis que 11,4 milliards d'euros ont été encaissés, soit des sommes comparables aux années antérieures. Or, de l'aveu même de Pierre Moscovici dans sa déclaration, un peu plus de 600 millions d'euros ont été récupérés dans la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Enfin, tout à sa hâte de jeter l'opprobre sur les prestations sociales, Pierre Moscovici oublie par ailleurs de préciser que 1,6 milliard d'euros ont été récupérés dans la lutte contre le travail dissimulé et la fraude aux cotisations sociales. En matière de rendement budgétaire du contrôle, les ordres de grandeur ne peuvent donc pas être comparés.
« Gratter », oui mais comment ? Face à la réalité des chiffres, implacable, la principale anomalie réside dans la tendance lourde et historique de l'affaiblissement des moyens alloués aux services de contrôle engagés dans la lutte contre la fraude fiscale. La baisse des moyens humains est une réalité et se traduit de longue date par une baisse du nombre de contrôles [6]. L'utilisation croissante de l'intelligence artificielle (IA) se révèle pour l'instant très décevante : l'IA est à l'origine de la moitié des contrôles fiscaux mais représentent péniblement 14 % des résultats financiers du contrôle2 [7].
Renforcer les moyens humains de l'ensemble des services engagés contre la fraude fiscale est donc une nécessité absolue. Il faut par ailleurs renforcer la coopération entre les administrations nationales (fiscale, douanière, judiciaire, etc.), car les fraudes fiscales et aux cotisations sociales sont parfois étroitement liées, notamment au sein de certains circuits organisés. Renforcer la coopération internationale demeure par ailleurs indispensable tant les stratégies d'évasion et de fraude fiscale menées au plan international sont coûteuses. Enfin, il faut également des moyens juridiques à la hauteur des enjeux. Attac propose de longue date l'instauration d'une « taxation unitaire », qui neutraliserait notamment la manipulation des prix de transfert. L'élargissement de l'assiette des différents impôts (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, TVA, etc.) grâce à la suppression de niches fiscales injustes et inefficaces réduirait la fraude à ces dispositifs, tous assortis de conditions parfois non respectées. Tous comptes faits, la Cour et les pouvoirs publics sont encore bien loin de montrer une telle ambition.
[1] Insee, « Estimation des montants manquants de versement de TVA : exploitation des données du contrôle fiscal », juillet 2022.
[2] Rapport de Solidaires finances publiques, « Quand la baisse des moyens du contrôle fiscale entraîne une baisse de sa présence », septembre 2018.
[3] Post sur X de Gabriel Zucman, « Au total on peut estimer la fraude fiscale totale à 70-80 milliards d€/an », 16 avril 2025.
[4] Dossier de presse du gouvernement présenté par Gabriel Attal, « Agir contre toutes les formes de fraudes aux finances publiques », mai 2023 et rapport du Haut Conseil au Financement de la Protection Sociale, « Lutter contre la fraude sociale : état des lieux et enjeux », juillet 2024.
[5] Drees, « Non-recours aux prestations sociales : le manque d'information en tête des motifs selon les Français », décembre 2022. Saisine du Conseil économique, social et environnemental, « Quel accès et effectivité des droits sociaux en France ? », février 2024.
[6] Rapport Attac-Union syndicale Solidaires, « Fraudes fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible », mars 2022.
[7] Voir notamment, Délégation à la prospective du Sénat, « L'IA et l'avenir du service public », rapport n° 491(2023-2024).
17.03.2025 à 17:04
La ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, et la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, ont présenté ce vendredi 14 mars un bilan chiffré de l'action des différents services de lutte contre la fraude aux recettes et aux dépenses publiques. Ce bilan porte sur la fraude fiscale, la fraude aux cotisations sociales, la fraude douanière et la fraude aux aides publiques. S'il reste à analyser ces résultats plus en détail lorsque (…)
- ActualitésLa ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, et la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, ont présenté ce vendredi 14 mars un bilan chiffré de l'action des différents services de lutte contre la fraude aux recettes et aux dépenses publiques. Ce bilan porte sur la fraude fiscale, la fraude aux cotisations sociales, la fraude douanière et la fraude aux aides publiques. S'il reste à analyser ces résultats plus en détail lorsque les données précises seront connues, plusieurs enseignements peuvent en être tirés.
Alors qu'Amélie de Montchalin vante des montants records, le montant de la fraude fiscale détectée est loin d'atteindre un montant record historique (pour mémoire, plus de 21 milliards d'euros avaient été détectés en 2015). Certes, les résultats de l'année 2024 s'annoncent supérieurs à ceux des années précédentes avec 16,67 milliards d'euros de fraude détectée et 11,44 milliards d'euros de montants encaissés contre respectivement 15,1 et 10,59 milliards d'euros en 2023. Le gouvernement annonce par ailleurs qu'en matière de lutte contre la fraude sociale, 2,9 milliards d'euros de fraude aux cotisations sociales ont été détectés.
Comment analyser ces résultats ?
Ces montants confirment l'ampleur de la fraude fiscale, estimée entre 80 et 100 milliards d'euros. Ils donnent tort aux voix qui en minimisent l'importance et affirment que la fraude sociale (la fraude aux cotisations sociales est estimée entre 6 et 8 milliards d'euros, voire entre 10 et 20 milliards d'euros selon les travaux), notamment celle aux prestations sociales (estimée entre 2 et 3 milliards d'euros), est plus élevée.
Sur le niveau des résultats proprement dits, il est assez évident que l'année 2024, bien que meilleure que l'année 2023, est loin d'être un record. Certes, les résultats des années 2024 à 2017 ont été boostés par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR, qui traitait les déclarations de régularisation sur les comptes ouverts à l'étranger). Il n'en demeure pas moins que le STDR faisait partie d'une stratégie du contrôle fiscal et qu'il a participé des résultats de cette période. Surtout, ainsi que cela a démontré dans un rapport « Attac-Solidaires » sur la fraude [[Rapport Attac-Union syndicale Solidaires, « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible ! », mars 2022., les suppressions d'emplois dans les services de contrôle pèsent sur les résultats du contrôle fiscal.
On imagine ce que les résultats du contrôle fiscal auraient pu être si le niveau des emplois des services engagés dans la lutte contre la fraude fiscale avaient été maintenus. La DGFiP connaît en effet chaque année des vagues de suppressions d'emplois qui fragilisent ses missions, parmi lesquelles la détection de la fraude et le contrôle fiscal. Les pouvoirs publics préfèrent tabler sur l'intelligence artificielle (IA). Si un traitement rapide des données est évidemment utile, il reste que, d'année en année, les résultats des contrôles dont l'IA est à l'origine sont décevants. L'IA est en effet à l'origine de plus de la moitié des contrôles fiscaux, mais ceux-ci représentent moins de 14 % des résultats financiers.
De la même manière, le discours gouvernemental consistant, depuis l'annonce du plan « Attal » en 2023, à vanter le renforcement des services de contrôle en emplois est trompeur. Si certains services de contrôle sont effectivement renforcés, il ne s'agit en réalité que d'un redéploiement interne à la DGFiP. Concrètement, certains services perdent des emplois, ceux-ci étant « transférés » vers d'autres même si, au plan national, la DGFiP continue de perdre des emplois. Il reste donc beaucoup à faire en matière de renforcement de l'ensemble des moyens pour combattre la fraude fiscale.
Comme toutes les fraudes économiques et financières, l'évitement fiscal prend plusieurs formes, il évolue sans cesse, se sophistique et se complexifie.
Analyser l'évitement fiscal et son évolution implique d'examiner les différentes possibilités, légales ou non, de réduire l'impôt dû. Au sens large du terme, l'évitement fiscal consiste à utiliser toutes les possibilités offertes tant par les législations fiscales nationales que par les conventions fiscales internationales. Il les contourne également dans des schémas complexes. Il tient compte de l'évolution de l'économie (numérique, propriété intellectuelle, etc) et des possibilités qu'elles offrent, notamment en raison de règles fiscales souvent dépassées, dans ses stratégies.
En la matière, les orientations d'Attac consistent principalement à :
• réformer la législation fiscale pour la rendre plus juste et moins « contournable » : une « revue des niches fiscales », par exemple, doit permettre d'en réduire le coût budgétaire et le nombre en supprimant celles qui sont injustes, inefficaces ou anti-écologiques, et, par la même occasion, de réduire la fraude à ces dispositifs. De la même manière, une « taxation unitaire » permettrait de neutraliser l'évasion fiscale de multinationales,
• renforcer les moyens du contrôle fiscal : créer des emplois dans l'ensemble des services de gestion, de recherche, de contrôle et de recouvrement de la DGFiP, des douanes et des services spécialisés, améliorer les moyens juridiques avec le renforcement à l'accès aux informations et l'extension de la liste des territoires coopératifs par exemple, renforcer les moyens matériels, etc.
• améliorer la coopération internationale, avec la création d'un cadastre financier par exemple.
06.03.2025 à 08:58
Le gouvernement a annoncé un changement de méthode, qu'il qualifie « d'inédite », dans le suivi et la conduite des finances publiques. Trois séries d'annonces ont été faites. L'organisation d'une « grande conversation » sur les finances publiques. La création d'un comité d'alerte. L'instauration d'un « cercle des prévisionnistes » Il importe de remettre ces annonces en perspective.
L'organisation d'une « grande conversation » sur les finances publiques. La ministre chargée des comptes (…)
Le gouvernement a annoncé un changement de méthode, qu'il qualifie « d'inédite », dans le suivi et la conduite des finances publiques. Trois séries d'annonces ont été faites.
– L'organisation d'une « grande conversation » sur les finances publiques.
– La création d'un comité d'alerte.
– L'instauration d'un « cercle des prévisionnistes »
Il importe de remettre ces annonces en perspective.
L'organisation d'une « grande conversation » sur les finances publiques.
La ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, a ainsi déclaré : « Nous allons ainsi ouvrir dans quelques semaines ce que j'appelle une “grande conversation” avec eux sur notre nation et nos finances », afin de « mettre de la transparence, de partager un diagnostic, de répondre aux idées reçues, voire aux fake news ». Pour le gouvernement, la tenue d'un « événement national » baptisé « Notre Nation, nos finances » serait ainsi l'occasion de partager des « données indiscutables qui permettent d'engager cette conversation nationale sur le sujet du budget ».
La création d'un comité d'alerte qui porterait sur l'ensemble de la dépense publique (Etat, Sécurité sociale et collectivités locales) associant les parlementaires .
L'objectif de ce comité serait de faire périodiquement le point sur la mise en œuvre du budget afin, le cas échéant, de proposer des « corrections adaptées ».
L'instauration d'un « cercle des prévisionnistes » .
Celui-ci serait composé de différents « experts académiques et institutionnels » dont l'objectif serait de suivre et de s'adapter aux évolutions du contexte macroéconomique.
Officiellement, cette nouvelle méthode vise à répondre tout à la fois aux critiques sur les prévisions budgétaires et de lancer une réflexion plus globale sur l'évolution des finances publiques « à l'horizon d'une génération ». L'idée du gouvernement est de se projeter à l'horizon 2050 afin d'identifier ce qui, selon lui, doit être prévu en matière de transition écologique, d'investissements en matière de défense ou encore de conséquences du vieillissement de la population.
Si l'on ne peut que souscrire à toute volonté de mieux informer la population et d'associer davantage les parlementaires aux décisions politiques, la prudence s'impose. Il importe en effet de remettre ces annonces en perspective. Pour le gouvernement, celles-ci n'ont par exemple aucune vocation à remettre en cause la « trajectoire » budgétaire consistant à ramener le déficit budgétaire à 3 % du produit intérieur brut (PIB) en 4 ans, au prix d'une véritable austérité. Le gouvernement ne cache d'ailleurs pas sa volonté de réduire les dépenses publiques, dans l'ensemble des « sphères » (Etat, collectivités locales et Sécurité sociale). La méthode évolue (peut-être), mais les orientations demeurent (certainement)...
A plus long terme, les orientations portées par le gouvernement consistent manifestement à prioriser certaines dépenses sur d'autres et, au passage, s'agissant de l'impact du vieillissement de la population, à arguer qu'il faut éviter de remettre la « réforme » des systèmes de 2023 en question. Autrement dit, la grande conversation pourrait prendre les allures du « grand débat » qui avait été l'occasion pour Emmanuel Macron d'occuper le terrain et de conforter ses positions. Quant au comité et au cercle des prévisionnistes, on peut s'interroger sur la création de nouvelles instances dans un environnement qui en compte déjà un certain nombre (Cour des comptes, Haut conseil des finances publiques, etc). Associer les parlementaires au quotidien, renforcer leurs moyens, améliorer leur information et tenir compte de certaines de leurs positions constituerait une alternative plus démocratique.
Le gouvernement sait que l'enjeu des finances publiques et du partage des richesses est essentiel. Mais, accroché à ses dogmes, il refuse de mener le débat de fond. De ce point de vue, ces annonces s'apparentent davantage à un brassage d'air. Si le gouvernement veut démontrer sa bonne foi (mettons-le au défi !), il a au moins deux occasions de traduire très rapidement en actes ses récentes promesses. La première serait de soutenir (après l'avoir combattue), la proposition de loi sur l'instauration d'une contribution sur les plus riches votée par l'Assemblée nationale. Une telle mesure dégagerait des recettes et améliorerait un consentement à l'impôt mis à mal par des années d'injustice fiscale. Elle répond à la demande de la grande majorité de la population (exprimée dans les enquêtes d'opinion et dans les cahiers de doléance notamment) d'instaurer un impôt sur la fortune. La seconde serait d'entendre les propositions de l'association Attac et de nombreuses organisations qui s'expriment de longue date sur les idées reçues en matière de fiscalité, le rôle de l'impôt, la justice fiscale, les choix budgétaires à faire, etc. Chiche ?
31.01.2025 à 06:38
Tout débat sur l'évolution des finances publiques et de la politique fiscale en vient nécessairement à aborder la question de la dette publique. Parmi les facteurs qui expliquent son niveau figure bien entendu la fiscalité. Une baisse d'impôt se traduit par un manque à gagner, à moins qu'elle ne parvienne à relancer tel ou tel secteur économique, ce qui est somme toute rarement démontré. Si on songe spontanément à des mesures comme la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (…)
- ActualitésTout débat sur l'évolution des finances publiques et de la politique fiscale en vient nécessairement à aborder la question de la dette publique. Parmi les facteurs qui expliquent son niveau figure bien entendu la fiscalité. Une baisse d'impôt se traduit par un manque à gagner, à moins qu'elle ne parvienne à relancer tel ou tel secteur économique, ce qui est somme toute rarement démontré. Si on songe spontanément à des mesures comme la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière, il convient également d'analyser l'impact de certaines « dépenses fiscales » (les fameuses « niches fiscales ») et l'évolution de la mécanique de certains impôts. C'est l'objet du présent billet.
De très longue date, de nombreuses mesures, toujours existantes, présentent en effet un coût budgétaire important. Le coût de ce qu'il est convenu de nommer « niches, fiscales ou sociales », a ainsi atteint en effet des niveaux record au cours des dernières années, sans que ces dispositifs aient démontré leur efficacité en termes de relance de l'activité économique et par voie de conséquence, de rentrées fiscales et sociales.
On dénombre plus de 470 « dépenses fiscales » (la dénomination budgétaire officielle des « niches fiscales ») auxquelles il faut ajouter des mesures dites « déclassées » (c'est-à-dire n'étant plus considérées comme des dépenses fiscales mais comme des modalités particulières de calcul de l'impôt) parmi lesquelles le régime « mère-fille », le régime de l'intégration fiscale ou l'exonération de certaines plus values des sociétés (dite « niche Copé » du nom de son instigateur). Le coût global des dépenses fiscales s'élevait à 96,1 milliards d'euros en 2023. Le coût des « modalités particulières de calcul de l'impôt » mentionnées ici était évalué dans le projet de loi de finances pour 2019 à 7 milliards d'euros pour la niche « Copé », 17,6 milliards d'euros pour le régime « mère fille » et 16,4 milliards d'euros pour le régime de l'intégration fiscale. Ils ne font plus l'objet d'évaluation depuis, sans qu'une explication n'ait été apportée par le pouvoir. Le coût des différents allègements de cotisations sociales, également dénommées « niches sociales », avoisine pour sa part les 90 milliards d'euros.
Tous les ans, un rapport spécial des deux commissions des finances (Assemblée nationale et Sénat) est consacré aux « remboursements et dégrèvements », qui constituent des restitutions trouvant leur origine « dans le fonctionnement concret de certaines impositions (remboursement de trop versés), dans la mise en œuvre de politiques publiques (crédits d'impôt) ou encore dans la rectification du montant d'un impôt (correction d'une erreur matérielle, conséquences d'un contentieux fiscal ou application d'une convention internationale par exemple) [1]. Le coût budgétaire de ces « remboursements et dégrèvements » est élevé : il représente un peu moins de 30% des recettes fiscales brutes en 2025. Et il est en constante évolution : il a en effet globalement progressé de 142 % depuis 2001 et de 182 % pour les impôts d'État.
Depuis plusieurs années, ces rapports parlementaires s'inquiètent plus particulièrement de la hausse du coût de deux dispositifs, l'un lié à la mécanique fiscale (les remboursements de crédit de TVA), l'autre découlant d'une dépense fiscale (le crédit d'impôt recherche).
En effet, une entreprise est tenue de déclarer à l'administration fiscale la TVA qu'elle paie sur ses achats et celle qu'elle collecte sur la vente de ses biens ou services. La plupart du temps, l'entreprise reverse la différence. Mais lorsque la TVA qu'elle a payée sur ses achats (la « TVA déductible ») est supérieure à celle qu'elle a encaissée sur ses ventes (la « TVA collectée »), elle peut, sous conditions, demander le remboursement de la différence (qui constitue un crédit de TVA). Or, le Sénat [2] relevait que les remboursements de crédit de TVA, estimés à 80,3 milliards d'euros en 2025, sont en forte hausse tendancielle « de 2014 (exécution) à 2025 (prévisions PLF), la progression des remboursements de TVA s'élève à 68,6 %, représentant 32,7 milliards d'euros ». Le Sénat précise que, si les restitutions de TVA découlent de la mécanique classique de fonctionnement de la TVA ; « le niveau élevé des remboursements ainsi que la hausse continue, dans des proportions plus élevées que l'évolution de la valeur ajoutée elle-même, impose une vigilance accrue sur les risques de montages frauduleux ».
Le Sénat relève par ailleurs que le coût du crédit d'impôt recherche (CIR) est en forte hausse depuis la réforme de 2008 : « en 2009, il s'établissait à 4,5 milliards d'euros pour un peu plus de 14 000 dossiers, il devrait représenter, en 2025, 7,7 milliards d'euros pour près de 15 500 entreprises ». Le CIR est très concentré sur les grandes entreprises : « les cinquante premières entreprises bénéficiaires du CIR concentrent à elles seules près de 45 % du bénéfice du dispositif, tandis que les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total ». Le Sénat s'interroge sur l'efficacité de ce dispositif, puisque « l'effet du CIR sur l'effort supplémentaire de recherche fourni par les entreprises se limite à un réinvestissement égal au bénéfice du dispositif ». En d'autres termes, un CIR accordé est reconduit sur les dépenses du même type sans effort supplémentaire de la part de l'entreprise. Le Sénat s'inquiète également des difficultés de contrôler le CIR.
Par ailleurs, alors que la fraude fiscale est évaluée entre 80 et 100 milliards d'euros, la baisse des moyens des administrations fiscales et douanières notamment contribue également à affecter le rendement des recettes fiscales, comme cela a été démontré dans un rapport de 2022 consacré à l'évaluation des résultats du contrôle fiscal [3]. Dans leurs multiples annonces, les gouvernements successifs ont en effet omis de préciser qu'année après année, ils sapaient les moyens humains de l'administration fiscale et de ses services de contrôle…
Tout gouvernement sérieusement attaché aux comptes publics devrait tirer des conclusions de la lecture de ces travaux parlementaires. Il devrait également engager une stratégie globale contre l'évitement de l'impôt.
[1] Rapport de la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2025, annexe 39, « Remboursements et dégrèvements », 19 octobre 2024.
[2] Rapport de la Commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances 2025, annexe n° 27, « Remboursements et dégrèvements », 21 novembre 2024.
[3] Rapport Attac-Union syndicale Solidaires, « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible », mars 2022.