Une importante partie de nos espaces de bureaux, manifestations quotidiennes de notre modèle économique, voient désormais leurs volumes se transformer en coquilles vides. Avec plus de 9 millions de m² de bureaux vacants en France, dont plus de la moitié en Île-de-France, il ne s’agit pas d’un phénomène qui peut être négligé. Il offre paradoxalement une voie de sortie à la crise du logement et de l’espace qui s’aggrave dans les grandes villes.
Quelques chiffres
La crise des bureaux s’inscrit dans un contexte plus large de transformation du parc immobilier français. Selon les données du Consortium des Bureaux en France (CBF), le parc total de bureaux en France représente 173 millions de m², avec une répartition presque égale entre parc marchand (89 millions de m²) et non-marchand (84 millions de m²). Le parc non-marchand — concernant les espaces dont l’occupant est également propriétaire — se compose quant à lui de 47 millions de m² privés et 37 millions de m² publics.
La vacance touche particulièrement le parc marchand, avec plus de 9 millions de m² immédiatement disponibles, représentant un taux de vacance national d’environ 10%. Cette situation affecte inégalement les territoires : l’Île-de-France concentre 5,2 millions de m² vacants contre 4 millions de m² en région.
Plus préoccupant encore, le CBF identifie 2 millions de m² en situation de friche, dont 1,2 million en Île-de-France, correspondant à des immeubles de plus de 1 000 m² entièrement inoccupés depuis au moins deux ans et sans projet de réaffectation. Dans la région la plus densément peuplée du pays, la vacance atteint effectivement des taux records : 25,1% près de La Défense, 27,3% dans la première couronne du nord parisien…
Le parc de bureaux en France s’est démultiplié au cours des cinquante dernières années, porté par l’expansion du secteur tertiaire. En Île-de-France, cette croissance a été particulièrement spectaculaire : selon l’APUR, de 1975 à 2022, le parc de bureaux de la métropole du Grand Paris a plus que doublé, passant de 20 à 42,6 millions de m². Cette expansion s’est cependant heurtée à un mur.
Depuis quelques années, la tendance s’est inversée sous l’effet de plusieurs ruptures : développement massif du télétravail, diminution des surfaces de travail demandées par les entreprises, préférence pour les espaces collaboratifs et ralentissement structurel de la croissance des emplois tertiaires… — La Banque de France nous apprend que le taux d’occupation des bureaux a chuté de 5,4% entre 2020 et 2023.
Mais contrairement à une idée reçue, la crise des bureaux ne date pas de la pandémie du COVID-19 et des transformations subséquentes des cultures des entreprises du tertiaire. La crise des bureaux était prévisible depuis 2009, nourrie par une offre immobilière qui surpassait déjà la demande effective générée par la création de nouveaux emplois tertiaires. La pandémie de COVID-19 a surtout agi comme un catalyseur.
Combler le vide
Dans un contexte de tension immobilière aiguë, comment ne pas voir dans la reconversion des bureaux vacants une opportunité stratégique ?
De fait, la crise que traverse le marché du logement est systémique. Un rapport du Sénat d’avril 2024 en dresse un tableau toujours plus inquiétant : chute de l’offre, autant dans la construction neuve que dans la vente de l’ancien, blocage des parcours résidentiels, explosion de la demande de logements sociaux… En juin 2024, l’Union sociale pour l’habitat recensait 2,7 millions de ménages en attente de logements sociaux. Cette situation dramatique laisse aujourd’hui 4 millions de personnes en situation de mal-logement.
Dans ce contexte, toute méthode permettant de produire du logement de qualité tout en répondant aux impératifs environnementaux est à mettre en place.
Le gisement de mètres carrés non utilisés dans le tertiaire offre ainsi la possibilité de traiter conjointement deux crises de front — celle de l’immobilier d’entreprise et celle du logement. L’enjeu est alors de recharger en vie urbaine de vieux volumes tertiaires, afin de créer des lieux d’habitation au cœur de territoires déjà bien desservis par les transports et équipements.
Dans un contexte marqué par l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN), cette logique de « recyclage urbain » est vertueuse à plus d’un titre : elle limite l’étalement urbain et peut contribuer à ranimer des quartiers d’affaires en leur insufflant une mixité d’usages et une vie qu’ils n’ont jamais connues.
Ambitions des pouvoirs publics
La transformation des locaux d’activités en logements est loin d’être un phénomène nouveau en France. Selon une étude de 2024, pas moins de 216 571 logements ont été créés par ce biais entre 2013 et 2022, les bureaux représentant la catégorie la plus transformée avec 24,5 % des logements produits. Ce rythme de transformation paraît cependant modeste au regard des millions de mètres carrés de bureaux vacants qui pèsent sur le marché.
Il est difficile d’estimer la contribution que pourrait apporter à la production de logements la transformation ou la destruction-reconstruction de bureaux. Les scénarios de l’Observatoire Régional de l’Immobilier d’Entreprise en Île-de-France (ORIE) offrent cependant des perspectives encourageantes.
Un premier scénario envisage la création de 150 000 logements (8,8 millions de mètres carrés), en supposant que ces bureaux soient démolis pour reconstruire du logement à 80% et transformés pour les 20% restants. Un second scénario conclut à un potentiel de 127 000 logements (7,5 millions de mètres) dans l’hypothèse où 40% des opérations seraient des transformations et 60% des démolitions partielles ou totales en vue d’une reconstruction de logements. L’ORIE estime que pour 1 mètre carré de bureaux, 0,8 mètre carré de logement est créé, tandis que si l’immeuble est démoli et reconstruit par la suite, il est possible de créer 2,3 mètres carrés de logement pour 1 mètre carré de bureaux. Ce haut ratio étant permis par la densification et la surélévation.
Ces estimations pourraient être revues à la hausse si certaines mesures politiques sur le sujet étaient pleinement adoptées ; une ambition politique réaliste pourrait fixer la contribution de la conversion de bureaux en logements à hauteur de 20 à 25% de la production nette de logements dans les principales aires métropolitaines françaises. Concrètement, en Île-de-France, sur un objectif de production annuelle de 70 000 logements, la transformation des bureaux pourrait contribuer à hauteur de 14 000 à 17 500 logements par an.
Limites techniques et défis économiques
Cependant, convertir ces structures conçues pour l’efficacité économique en lieux de vie dignes représente un défi technique de taille. Ces bâtiments sont conçus comme des plateaux libres de plusieurs centaines de mètres carrés et leur grande profondeur rend complexe la création de logements répondant aux exigences minimales d’éclairement naturel et de ventilation. Conséquemment, la transformation de bureaux en logements génère un ratio entre surface habitable et surface de plancher moins favorable que dans le neuf, en raison des contraintes structurelles qui réduisent le rendement spatial.
Un immeuble de bureaux est structuré autour d’un noyau central abritant ascenseurs, cages d’escalier et, surtout, un dense réseau de gaines. Ce réseau est structurellement mal adapté à la distribution d’une multitude de logements individuels nécessitant chacun leurs propres arrivées d’eau, évacuations et compteurs électriques.
Les façades de bureaux, souvent constituées de grandes baies vitrées fixes ou de murs-rideaux, présentent des performances thermiques et acoustiques généralement très en deçà des standards de l’habitat. Leur transformation implique fréquemment le remplacement complet des menuiseries, l’ajout d’un double vitrage ou d’une isolation par l’extérieur, et la création d’ouvertures plus petites et plus conformes à l’intimité résidentielle. Ces adaptations alourdissent considérablement la facture des travaux…
Deux résultats : d’abord, tous les bureaux ne sont pas convertibles en logement. Pour chaque projet, il s’agit de déterminer, sur la base de critères à la fois financiers et environnementaux, si la transformation présente un réel intérêt ou si, au contraire, la déconstruction-reconstruction s’avère plus pertinente. Certains bâtiments, par leur configuration inadaptée ou leur localisation, ne se prêtent tout simplement pas à une reconversion viable.
Ensuite, lorsqu’elle est envisageable, la transformation de bureaux en logements engendre un surcoût systématique par rapport à la production de logements neufs. Les données issues de la Foncière de Transformation Immobilière (FTI) indiquent un coût moyen de travaux de 2 550 € HT/m² SHAB. Ce coût est structurellement supérieur à celui, par exemple, de la maîtrise d’ouvrage directe dans le logement social, qui se situe, en moyenne, entre 1 900 € en région et jusqu’à 2 200 € HT/m² SHAB en Île-de-France. Ainsi, en raison des défis techniques, la reconversion se heurte à une réalité économique simple : convertir un bâtiment existant est plus onéreux que de construire du neuf.
D’un point de vue strictement financier, il est certain que le résidentiel locatif souffre d’un déficit structurel d’attractivité face à l’immobilier tertiaire, qui offre des rendements locatifs plus élevés et une gestion moins complexe. Il serait ainsi tout à fait illusoire de penser que le marché se réorienterait spontanément vers la production de logements par reconversion.
En outre, certains élus locaux peuvent redouter la conséquence budgétaire de ces transformations. Elles peuvent créer à court terme une équation financière défavorable pour les communes. Les charges d’équipement augmentant avec l’arrivée de nouveaux habitants, tandis que les recettes fiscales issues des logements restent inférieures à celles des activités économiques. En d’autres termes, la transformation d’une forte proportion de bureaux en logements induit une croissance démographique locale qui génère des besoins spécifiques en équipements publics, pesant sur le budget communal.
S’ajoute à cela la dimension symbolique : les tours de bureaux incarnent traditionnellement un géosymbole du dynamisme économique et l’attractivité territoriale. Une perte d’identité économique peut être vécue comme une régression, un effacement du statut de pôle d’emploi effectif ou en devenir. Des enjeux politiques et électoraux plus subtils — relatifs à la modification de la sociologie d’un quartier — peuvent également entrer en ligne de compte.
Face à ces limites techniques, économiques et financières, l’intervention déterminée de la puissance publique devient la condition sine qua non pour permettre cette métamorphose de l’espace urbain. Seule une action publique volontariste peut permettre d’imposer la réalisation de l’intérêt général.
Quand l’État veut bâtir la réversibilité
Promulguée en 2018, la loi ELAN a renforcé un régime dérogatoire au PLU en faveur des reconversions vers du logement. Ces dernières peuvent par exemple déroger aux règles relatives à la densité et aux obligations en matière d’aires de stationnement, tout en bénéficiant d’un « bonus de constructibilité » de 30 % par rapport au gabarit de l’immeuble initial. Cela sous réserve d’une discussion entre le porteur de projet et la collectivité.
La loi Climat et résilience de 2021 a introduit l’obligation, à partir du 1er janvier 2023, de réaliser une « étude du potentiel de changement de destination et d’évolution » avant toute construction ou démolition. Cette mesure — provenant à l’origine des propositions de la Convention citoyenne pour le climat — vise à réduire le nombre de démolitions de bâtiments existants et inciter à l’intégration, dès la conception d’un nouveau bâtiment, de sa possible transformation ultérieure.
Mais plus récemment, la loi n° 2025-541 du 16 juin 2025 visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements, dite « Loi Daubié », a marqué une étape importante concernant l’environnement juridique encadrant la transformation du bâti. Elle consacre plusieurs innovations destinées à faciliter les changements de destination.
La première avancée significative est l’introduction d’un nouveau mécanisme de dérogation au PLU. Désormais, l’autorité compétente peut autoriser un changement de destination — notamment des bureaux vers du logement — même lorsque le PLU ne le prévoit pas initialement. Ce pouvoir n’est toutefois pas discrétionnaire : tout refus doit être spécialement motivé et ne peut s’appuyer que sur des motifs limitativement énumérés, tels que l’existence avérée de risques de nuisances, une accessibilité insuffisante aux transports, l’incapacité démontrée des équipements publics locaux à absorber de nouveaux habitants, ou une atteinte aux objectifs de mixité sociale.
Deuxième innovation fondamentale : le permis de construire « réversible » ou « multi-destinations ». Inspiré par l’expérience des constructions des Jeux Olympiques de 2024, ce nouveau type de permis, valable pour une durée de vingt ans, introduit une véritable flexibilité dans la gestion du patrimoine bâti. Il permet d’autoriser par anticipation un bâtiment qui comportera plusieurs destinations et états successifs au cours de son existence. Cette disposition reconnaît ainsi la vie du bâtiment comme un cycle évolutif, permettant sa réversibilité programmée entre différents usages — tertiaire, résidentiel… — sans avoir à recourir à de nouvelles demandes d’autorisation, offrant ainsi une sécurité juridique aux investisseurs et favorisant l’optimisation du foncier déjà artificialisé.
Au niveau des collectivités, l’approche par appel à projets est utilisée comme levier opérationnel pour lancer les initiatives. Des programmes comme « Réinventer Paris 3 » (lancé en 2021) et « Inventons la Métropole du Grand Paris 3 » (2022) ont spécifiquement ciblé la conversion de bureaux vacants.
Plan Létard : promesses et faiblesses
Face à l’ampleur du défi, l’ancienne ministre du Logement Valérie Létard avait présenté le 27 mars 2025 un plan visant à créer 25 000 logements à court ou moyen terme, et jusqu’à 70 000 à long terme par la transformation des bureaux vacants.
Deux mesures fiscales, intégrées à la loi de finances 2025, sont présentées. D’une part, une exonération de la taxe sur les bureaux (TSB) qui s’applique en Île-de-France et dans certains départements de la région PACA est accordée aux propriétaires qui déposent un permis de construire pour une reconversion en logements. Cette exonération a pour objectif de neutraliser un coût pouvant « excéder 20 €/m² par an » selon le dossier de presse du plan ministériel.
S’il est vrai que cette taxe peut excéder les 20 €/m² par an, il convient toutefois de souligner que le montant de la TSB varie fortement selon les circonscriptions d’application : en 2025, il atteint jusqu’à 25,77 €/m² par an dans certains arrondissements parisiens, 11,87 €/m² par an dans les communes de l’unité urbaine de Paris (hors Paris et Hauts-de-Seine), 5,74 €/m² par an dans les autres communes d’Île-de-France situées hors de cette unité urbaine, contre seulement 0,99 €/m² par an dans les départements concernés de la région PACA… Autant dire que l’impact réel de cette exonération dépendra fortement du code postal du bien concerné.
Le dispositif prévoit également un mécanisme de compensation pour les collectivités territoriales. Celles-ci se voient accorder la possibilité de percevoir une taxe d’aménagement sur les opérations de transformation de bureaux en logements, dès lors qu’un permis de construire ou une déclaration préalable est requis. Cette recette fiscale est destinée à soutenir le financement des équipements publics induits par le changement de destination des bâtiments. Si cette mesure peut lever une appréhension pour les collectivités, on peut douter qu’elle puisse motiver les propriétaires de biens à transformer.
Le choix d’articuler la politique publique autour de dispositifs de prêts (PHB 2.0 de 140 M€) ou d’appels à manifestation d’intérêt (20 M€ sanctuarisés dans la programmation 2025 des aides à la pierre — somme pouvant être jugée peu suffisante au regard des surfaces à transformer) repose sur une logique de stricte incitation à l’initiative par la mobilisation de l’argent public pour garantir la rentabilité des opérateurs, sans que les collectivités ne conservent un contrôle réel sur l’aboutissement des projets et leur intégration dans une stratégie urbaine globale.
Conformément aux annonces de ce plan, deux groupes de travail, qui ont désormais rendu leurs conclusions, furent constitués. Le premier était consacré au modèle économique et au financement de la transformation. Le second avait pour mandat d’identifier les freins et de proposer des simplifications réglementaires et normatives.
Ces conclusions — du fait de la nature de la commande ministérielle — consistent principalement en des solutions technico-administratives, pour beaucoup intéressantes, pour d’autres nécessaires, mais peu suffisantes pour opérer un réel changement de paradigme.
Ces deux rapports privilégient une approche incitative plutôt que des financements directs ou des mesures coercitives, ainsi que des dispositions « d’acupuncture institutionnelle ». L’État y est surtout conçu comme un facilitateur et un régulateur, dont le rôle principal est de créer un environnement favorable à l’initiative.
On peut y lire des propositions relevant de la création de statuts et de régimes fiscaux et juridiques dédiés (VIT — vente d’immeuble à transformer —, FTB — foncières de transformation de bureaux), d’exonérations de taxes (TVA à 5,5 %, aménagements de taxe foncière) et d’assouplissement des normes (élargissement du régime de la déclaration préalable, dérogations diverses au CCH) qui visent à « débloquer » la valeur économique des actifs et à rendre la transformation plus rentable que la passivité pour les propriétaires.
Parmi les mesures intéressantes proposées, on retiendra également la création d’un permis de démolir suspensif pour favoriser la recherche préalable de solutions de reconversion, ainsi que la réflexion autour de l’éligibilité des opérations de transformation aux Certificats d’Économies d’Énergie (CEE). S’ajoutent à cela un élargissement des Opérations de Requalification des Territoires (ORT) aux projets de transformation et, mesure essentielle, la cartographie de la vacance tertiaire.
Les recommandations d’exonérations en tout genre peuvent interpeller. En défiscalisant plutôt qu’en finançant directement certaines opérations — ce qui peut revenir au même dans la balance — l’État renonce à une capacité d’intervention plus fine et ciblée. Il s’agit d’une politique de la carotte, sans le bâton.
On note dans ces rapports de nombreuses propositions intéressantes, mais assez peu de considération pour l’équilibre des comptes publics, et aucune reprise de l’idée d’une taxation dissuasive de la vacance structurelle, préconisée par André Yché, dont le rapport avait également été commandé par la ministre.
Une lecture attentive de ce dernier, remis en juin 2024 par l’auteur à l’ancienne ministre déléguée au Logement, révèle des propositions autrement plus structurantes que les mesures annoncées.
Pour une stratégie systémique de la reconversion
Le rapport Yché propose un dispositif complet articulé autour de plusieurs leviers complémentaires. Sa mesure phare repose sur l’instauration d’une taxation progressive de la vacance : au-delà d’une période de vacance frictionnelle de deux ans, une taxe additionnelle, équivalente au montant de la taxe sur les bureaux, serait perçue par l’État. Celle-ci serait majorée de 50 % chaque année supplémentaire d’inoccupation. Ce mécanisme vise à compenser le manque à gagner lié à l’absence d’activité économique, tout en dissuadant fortement les foncières de laisser leurs actifs à l’abandon.
Cette taxe permettrait également de modifier l’attitude de certains gestionnaires ayant tendance à masquer la décote réelle des actifs et à ralentir les ventes. Alors que le passage à la cotation semestrielle des SCPI n’a jusqu’ici eu qu’un impact limité sur ces pratiques, la stratégie de taxation progressive proposée par Yché posséderait la force nécessaire pour véritablement débloquer la situation.
La taxe serait suspendue dès le dépôt d’un dossier de transformation, mais réactivée si les travaux ne débutent pas dans un délai de deux ans. Là où la vision globale du plan Létard est de récompenser l’action, le rapport Yché préconise également de pénaliser l’inaction.
En contrepartie, il préconise également un crédit d’impôt de 20 % sur les coûts de transformation pour les projets de logements intermédiaires et sociaux. Cette mesure permettrait, en théorie, de compenser le surcoût des opérations de reconversion par rapport au neuf.
Le rapport mise également sur des leviers politico-administratifs pour accélérer les projets : 50 % du produit de la taxe seraient reversés aux collectivités qui instruisent les autorisations d’urbanisme dans les délais. À l’inverse, un mécanisme de transfert de compétence à l’État pourrait être activé en cas de blocage persistant.
Surtout, l’approche se distingue par sa vision systémique. Yché propose la création de « bouquets d’actifs », regroupant plusieurs bâtiments dans un portefeuille. Certains seront déconstruits pour créer des espaces verts, d’autres reconstruits pour un autre usage ou transformés, en s’appuyant sur une logique de péréquation économique. Face à l’hétérogénéité des besoins urbains et des potentialités de transformation, cette approche globale permettrait d’arbitrer de façon cohérente entre contraintes techniques et objectifs d’aménagement.
Ce modèle préfigure une planification stratégique où la puissance publique ne se contente pas d’inciter, mais organise activement la recomposition du tissu urbain par blocs fonctionnels. En envisageant de loger chaque bouquet dans une société de projet dédiée, bénéficiant d’avantages fiscaux et financiers, le rapport esquisse les contours d’un urbanisme de la transformation à la hauteur des enjeux : systémique, financièrement soutenable et territorialement cohérent.
À côté de cette vision structurante, le plan Létard apparaît plus timoré, moins abouti, et globalement peu soucieux de l’équilibre des comptes publics.
Au-delà du logement : la ville en partage
Au-delà de la déconstruction des immeubles tertiaires — qui peut permettre de créer des espaces verts ou d’engager une reconstruction — ou de la transformation de leurs espaces en logements, une approche complémentaire, qui peut également s’implanter dans l’attente d’opérations plus lourdes et pérennes, consiste à mobiliser ces locaux vacants pour répondre à d’autres besoins.
Le rapport Yché propose ainsi d’imposer la mise à disposition temporaire des surfaces inutilisées à des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Ainsi, en amont des conversions structurelles, l’urbanisme transitoire offre des réponses agiles à des besoins socio-économiques concrets.
Cette pratique trouve une illustration significative avec le projet des Arches Citoyennes, plus grand tiers-lieu de Paris, qui occupe depuis 2023 l’ancien siège de l’AP-HP juste en face de l’Hôtel de Ville. Ces espaces gérés par la coopérative Plateau Urbain créent ainsi un véritable pôle de vie sociale et culturelle en permettant à plus de 450 structures (entreprises sociales et solidaires, associations, artistes) de trouver leur place dans la ville, et cela à prix réduit.
Les Arches Citoyennes préfigurent ainsi le projet définitif « Hospitalités Citoyennes », porté par un groupement conduit par BNP Paribas Real Estate, associant Apsys et RATP Solutions Ville, lauréat de l’appel à projet « Réinventer Paris 3 ». Premier ensemble immobilier à mission parisien, ce projet transformera le site à l’horizon 2030 et mêlera logements, bureaux et commerces dans une démarche inclusive et solidaire. Cette occupation transitoire permet dans le cas en question de préfigurer concrètement la vocation sociale et solidaire qui caractérisera le projet définitif.
En somme, ces usages transitoires permettent de maintenir l’animation des quartiers tout en expérimentant de nouvelles fonctions urbaines. Ils peuvent ainsi servir de laboratoire pour préparer la transformation pérenne des espaces, tandis que la collectivité peut jouer un rôle de médiateur entre les différents acteurs. Les propriétaires des locaux ont également beaucoup à y gagner, leur permettant notamment d’économiser en frais de gardiennage et de limiter la dégradation des locaux.
Relancer le débat
La crise des bureaux vacants est une opportunité qui peut permettre de répondre à certains besoins. Mais la transformation de notre économie immobilière exige une véritable ambition politique. Si les solutions existent, si les réglementations évoluent dans le bon sens, l’audace politique manque pour réellement bousculer le secteur de l’immobilier et accélérer cette transition.
Du reste, si l’immobilier tertiaire accapare l’attention, il n’en demeure pas moins que, comme le rappelle le rapport Yché, « la transformation des bureaux fait figure de cas d’école et peut inspirer, à bien des égards, les principes de la transformation de toutes les classes d’actifs immobiliers ».
Face à l’ampleur des défis, nous devons faire preuve de la même ambition que ceux qui, dans les précédentes décennies, ont bâti ces immeubles qui aujourd’hui nous questionnent.
