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05.11.2025 à 22:03

Les bureaux vacants, symbole de la crise de l’espace urbain

Maxence Guillaud

Une importante partie de nos espaces de bureaux, manifestations quotidiennes de notre modèle économique, voient désormais leurs volumes se transformer en coquilles vides. Avec plus de 9 millions de m² de bureaux vacants en France, dont plus de la moitié en Île-de-France, il ne s’agit pas d'un phénomène qui peut être négligé. Il offre paradoxalement une voie de sortie à la crise du logement et de l'espace qui s'aggrave dans les grandes villes.
Texte intégral (4413 mots)

Une importante partie de nos espaces de bureaux, manifestations quotidiennes de notre modèle économique, voient désormais leurs volumes se transformer en coquilles vides. Avec plus de 9 millions de m² de bureaux vacants en France, dont plus de la moitié en Île-de-France, il ne s’agit pas d’un phénomène qui peut être négligé. Il offre paradoxalement une voie de sortie à la crise du logement et de l’espace qui s’aggrave dans les grandes villes.

Quelques chiffres

La crise des bureaux s’inscrit dans un contexte plus large de transformation du parc immobilier français. Selon les données du Consortium des Bureaux en France (CBF), le parc total de bureaux en France représente 173 millions de m², avec une répartition presque égale entre parc marchand (89 millions de m²) et non-marchand (84 millions de m²). Le parc non-marchand — concernant les espaces dont l’occupant est également propriétaire — se compose quant à lui de 47 millions de m² privés et 37 millions de m² publics.

La vacance touche particulièrement le parc marchand, avec plus de 9 millions de m² immédiatement disponibles, représentant un taux de vacance national d’environ 10%. Cette situation affecte inégalement les territoires : l’Île-de-France concentre 5,2 millions de m² vacants contre 4 millions de m² en région.

Plus préoccupant encore, le CBF identifie 2 millions de m² en situation de friche, dont 1,2 million en Île-de-France, correspondant à des immeubles de plus de 1 000 m² entièrement inoccupés depuis au moins deux ans et sans projet de réaffectation. Dans la région la plus densément peuplée du pays, la vacance atteint effectivement des taux records : 25,1% près de La Défense, 27,3% dans la première couronne du nord parisien…

Le parc de bureaux en France s’est démultiplié au cours des cinquante dernières années, porté par l’expansion du secteur tertiaire. En Île-de-France, cette croissance a été particulièrement spectaculaire : selon l’APUR, de 1975 à 2022, le parc de bureaux de la métropole du Grand Paris a plus que doublé, passant de 20 à 42,6 millions de m². Cette expansion s’est cependant heurtée à un mur.

Depuis quelques années, la tendance s’est inversée sous l’effet de plusieurs ruptures : développement massif du télétravail, diminution des surfaces de travail demandées par les entreprises, préférence pour les espaces collaboratifs et ralentissement structurel de la croissance des emplois tertiaires… — La Banque de France nous apprend que le taux d’occupation des bureaux a chuté de 5,4% entre 2020 et 2023.

Mais contrairement à une idée reçue, la crise des bureaux ne date pas de la pandémie du COVID-19 et des transformations subséquentes des cultures des entreprises du tertiaire. La crise des bureaux était prévisible depuis 2009, nourrie par une offre immobilière qui surpassait déjà la demande effective générée par la création de nouveaux emplois tertiaires. La pandémie de COVID-19 a surtout agi comme un catalyseur.

Combler le vide

Dans un contexte de tension immobilière aiguë, comment ne pas voir dans la reconversion des bureaux vacants une opportunité stratégique ?

De fait, la crise que traverse le marché du logement est systémique. Un rapport du Sénat d’avril 2024 en dresse un tableau toujours plus inquiétant : chute de l’offre, autant dans la construction neuve que dans la vente de l’ancien, blocage des parcours résidentiels, explosion de la demande de logements sociaux… En juin 2024, l’Union sociale pour l’habitat recensait 2,7 millions de ménages en attente de logements sociaux. Cette situation dramatique laisse aujourd’hui 4 millions de personnes en situation de mal-logement.

Dans ce contexte, toute méthode permettant de produire du logement de qualité tout en répondant aux impératifs environnementaux est à mettre en place.

Le gisement de mètres carrés non utilisés dans le tertiaire offre ainsi la possibilité de traiter conjointement deux crises de front — celle de l’immobilier d’entreprise et celle du logement. L’enjeu est alors de recharger en vie urbaine de vieux volumes tertiaires, afin de créer des lieux d’habitation au cœur de territoires déjà bien desservis par les transports et équipements.

Dans un contexte marqué par l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN), cette logique de « recyclage urbain » est vertueuse à plus d’un titre : elle limite l’étalement urbain et peut contribuer à ranimer des quartiers d’affaires en leur insufflant une mixité d’usages et une vie qu’ils n’ont jamais connues.

Ambitions des pouvoirs publics

La transformation des locaux d’activités en logements est loin d’être un phénomène nouveau en France. Selon une étude de 2024, pas moins de 216 571 logements ont été créés par ce biais entre 2013 et 2022, les bureaux représentant la catégorie la plus transformée avec 24,5 % des logements produits. Ce rythme de transformation paraît cependant modeste au regard des millions de mètres carrés de bureaux vacants qui pèsent sur le marché.

Il est difficile d’estimer la contribution que pourrait apporter à la production de logements la transformation ou la destruction-reconstruction de bureaux. Les scénarios de l’Observatoire Régional de l’Immobilier d’Entreprise en Île-de-France (ORIE) offrent cependant des perspectives encourageantes.

Un premier scénario envisage la création de 150 000 logements (8,8 millions de mètres carrés), en supposant que ces bureaux soient démolis pour reconstruire du logement à 80% et transformés pour les 20% restants. Un second scénario conclut à un potentiel de 127 000 logements (7,5 millions de mètres) dans l’hypothèse où 40% des opérations seraient des transformations et 60% des démolitions partielles ou totales en vue d’une reconstruction de logements. L’ORIE estime que pour 1 mètre carré de bureaux, 0,8 mètre carré de logement est créé, tandis que si l’immeuble est démoli et reconstruit par la suite, il est possible de créer 2,3 mètres carrés de logement pour 1 mètre carré de bureaux. Ce haut ratio étant permis par la densification et la surélévation.

Ces estimations pourraient être revues à la hausse si certaines mesures politiques sur le sujet étaient pleinement adoptées ; une ambition politique réaliste pourrait fixer la contribution de la conversion de bureaux en logements à hauteur de 20 à 25% de la production nette de logements dans les principales aires métropolitaines françaises. Concrètement, en Île-de-France, sur un objectif de production annuelle de 70 000 logements, la transformation des bureaux pourrait contribuer à hauteur de 14 000 à 17 500 logements par an.

Limites techniques et défis économiques

Cependant, convertir ces structures conçues pour l’efficacité économique en lieux de vie dignes représente un défi technique de taille. Ces bâtiments sont conçus comme des plateaux libres de plusieurs centaines de mètres carrés et leur grande profondeur rend complexe la création de logements répondant aux exigences minimales d’éclairement naturel et de ventilation. Conséquemment, la transformation de bureaux en logements génère un ratio entre surface habitable et surface de plancher moins favorable que dans le neuf, en raison des contraintes structurelles qui réduisent le rendement spatial.

Un immeuble de bureaux est structuré autour d’un noyau central abritant ascenseurs, cages d’escalier et, surtout, un dense réseau de gaines. Ce réseau est structurellement mal adapté à la distribution d’une multitude de logements individuels nécessitant chacun leurs propres arrivées d’eau, évacuations et compteurs électriques.

Les façades de bureaux, souvent constituées de grandes baies vitrées fixes ou de murs-rideaux, présentent des performances thermiques et acoustiques généralement très en deçà des standards de l’habitat. Leur transformation implique fréquemment le remplacement complet des menuiseries, l’ajout d’un double vitrage ou d’une isolation par l’extérieur, et la création d’ouvertures plus petites et plus conformes à l’intimité résidentielle. Ces adaptations alourdissent considérablement la facture des travaux…

Deux résultats : d’abord, tous les bureaux ne sont pas convertibles en logement. Pour chaque projet, il s’agit de déterminer, sur la base de critères à la fois financiers et environnementaux, si la transformation présente un réel intérêt ou si, au contraire, la déconstruction-reconstruction s’avère plus pertinente. Certains bâtiments, par leur configuration inadaptée ou leur localisation, ne se prêtent tout simplement pas à une reconversion viable.

Ensuite, lorsqu’elle est envisageable, la transformation de bureaux en logements engendre un surcoût systématique par rapport à la production de logements neufs. Les données issues de la Foncière de Transformation Immobilière (FTI) indiquent un coût moyen de travaux de 2 550 € HT/m² SHAB. Ce coût est structurellement supérieur à celui, par exemple, de la maîtrise d’ouvrage directe dans le logement social, qui se situe, en moyenne, entre 1 900 € en région et jusqu’à 2 200 € HT/m² SHAB en Île-de-France. Ainsi, en raison des défis techniques, la reconversion se heurte à une réalité économique simple : convertir un bâtiment existant est plus onéreux que de construire du neuf.

D’un point de vue strictement financier, il est certain que le résidentiel locatif souffre d’un déficit structurel d’attractivité face à l’immobilier tertiaire, qui offre des rendements locatifs plus élevés et une gestion moins complexe. Il serait ainsi tout à fait illusoire de penser que le marché se réorienterait spontanément vers la production de logements par reconversion.

En outre, certains élus locaux peuvent redouter la conséquence budgétaire de ces transformations. Elles peuvent créer à court terme une équation financière défavorable pour les communes. Les charges d’équipement augmentant avec l’arrivée de nouveaux habitants, tandis que les recettes fiscales issues des logements restent inférieures à celles des activités économiques. En d’autres termes, la transformation d’une forte proportion de bureaux en logements induit une croissance démographique locale qui génère des besoins spécifiques en équipements publics, pesant sur le budget communal.

S’ajoute à cela la dimension symbolique : les tours de bureaux incarnent traditionnellement un géosymbole du dynamisme économique et l’attractivité territoriale. Une perte d’identité économique peut être vécue comme une régression, un effacement du statut de pôle d’emploi effectif ou en devenir. Des enjeux politiques et électoraux plus subtils — relatifs à la modification de la sociologie d’un quartier — peuvent également entrer en ligne de compte.

Face à ces limites techniques, économiques et financières, l’intervention déterminée de la puissance publique devient la condition sine qua non pour permettre cette métamorphose de l’espace urbain. Seule une action publique volontariste peut permettre d’imposer la réalisation de l’intérêt général.

Quand l’État veut bâtir la réversibilité

Promulguée en 2018, la loi ELAN a renforcé un régime dérogatoire au PLU en faveur des reconversions vers du logement. Ces dernières peuvent par exemple déroger aux règles relatives à la densité et aux obligations en matière d’aires de stationnement, tout en bénéficiant d’un « bonus de constructibilité » de 30 % par rapport au gabarit de l’immeuble initial. Cela sous réserve d’une discussion entre le porteur de projet et la collectivité.

La loi Climat et résilience de 2021 a introduit l’obligation, à partir du 1er janvier 2023, de réaliser une « étude du potentiel de changement de destination et d’évolution » avant toute construction ou démolition. Cette mesure — provenant à l’origine des propositions de la Convention citoyenne pour le climat — vise à réduire le nombre de démolitions de bâtiments existants et inciter à l’intégration, dès la conception d’un nouveau bâtiment, de sa possible transformation ultérieure.

Mais plus récemment, la loi n° 2025-541 du 16 juin 2025 visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements, dite « Loi Daubié », a marqué une étape importante concernant l’environnement juridique encadrant la transformation du bâti. Elle consacre plusieurs innovations destinées à faciliter les changements de destination.

La première avancée significative est l’introduction d’un nouveau mécanisme de dérogation au PLU. Désormais, l’autorité compétente peut autoriser un changement de destination — notamment des bureaux vers du logement — même lorsque le PLU ne le prévoit pas initialement. Ce pouvoir n’est toutefois pas discrétionnaire : tout refus doit être spécialement motivé et ne peut s’appuyer que sur des motifs limitativement énumérés, tels que l’existence avérée de risques de nuisances, une accessibilité insuffisante aux transports, l’incapacité démontrée des équipements publics locaux à absorber de nouveaux habitants, ou une atteinte aux objectifs de mixité sociale.

Deuxième innovation fondamentale : le permis de construire « réversible » ou « multi-destinations ». Inspiré par l’expérience des constructions des Jeux Olympiques de 2024, ce nouveau type de permis, valable pour une durée de vingt ans, introduit une véritable flexibilité dans la gestion du patrimoine bâti. Il permet d’autoriser par anticipation un bâtiment qui comportera plusieurs destinations et états successifs au cours de son existence. Cette disposition reconnaît ainsi la vie du bâtiment comme un cycle évolutif, permettant sa réversibilité programmée entre différents usages — tertiaire, résidentiel… — sans avoir à recourir à de nouvelles demandes d’autorisation, offrant ainsi une sécurité juridique aux investisseurs et favorisant l’optimisation du foncier déjà artificialisé.

Au niveau des collectivités, l’approche par appel à projets est utilisée comme levier opérationnel pour lancer les initiatives. Des programmes comme « Réinventer Paris 3 » (lancé en 2021) et « Inventons la Métropole du Grand Paris 3 » (2022) ont spécifiquement ciblé la conversion de bureaux vacants.

Plan Létard : promesses et faiblesses

Face à l’ampleur du défi, l’ancienne ministre du Logement Valérie Létard avait présenté le 27 mars 2025 un plan visant à créer 25 000 logements à court ou moyen terme, et jusqu’à 70 000 à long terme par la transformation des bureaux vacants.

Deux mesures fiscales, intégrées à la loi de finances 2025, sont présentées. D’une part, une exonération de la taxe sur les bureaux (TSB) qui s’applique en Île-de-France et dans certains départements de la région PACA est accordée aux propriétaires qui déposent un permis de construire pour une reconversion en logements. Cette exonération a pour objectif de neutraliser un coût pouvant « excéder 20 €/m² par an » selon le dossier de presse du plan ministériel.

S’il est vrai que cette taxe peut excéder les 20 €/m² par an, il convient toutefois de souligner que le montant de la TSB varie fortement selon les circonscriptions d’application : en 2025, il atteint jusqu’à 25,77 €/m² par an dans certains arrondissements parisiens, 11,87 €/m² par an dans les communes de l’unité urbaine de Paris (hors Paris et Hauts-de-Seine), 5,74 €/m² par an dans les autres communes d’Île-de-France situées hors de cette unité urbaine, contre seulement 0,99 €/m² par an dans les départements concernés de la région PACA… Autant dire que l’impact réel de cette exonération dépendra fortement du code postal du bien concerné.

Le dispositif prévoit également un mécanisme de compensation pour les collectivités territoriales. Celles-ci se voient accorder la possibilité de percevoir une taxe d’aménagement sur les opérations de transformation de bureaux en logements, dès lors qu’un permis de construire ou une déclaration préalable est requis. Cette recette fiscale est destinée à soutenir le financement des équipements publics induits par le changement de destination des bâtiments. Si cette mesure peut lever une appréhension pour les collectivités, on peut douter qu’elle puisse motiver les propriétaires de biens à transformer.

Le choix d’articuler la politique publique autour de dispositifs de prêts (PHB 2.0 de 140 M€) ou d’appels à manifestation d’intérêt (20 M€ sanctuarisés dans la programmation 2025 des aides à la pierre — somme pouvant être jugée peu suffisante au regard des surfaces à transformer) repose sur une logique de stricte incitation à l’initiative par la mobilisation de l’argent public pour garantir la rentabilité des opérateurs, sans que les collectivités ne conservent un contrôle réel sur l’aboutissement des projets et leur intégration dans une stratégie urbaine globale.

Conformément aux annonces de ce plan, deux groupes de travail, qui ont désormais rendu leurs conclusions, furent constitués. Le premier était consacré au modèle économique et au financement de la transformation. Le second avait pour mandat d’identifier les freins et de proposer des simplifications réglementaires et normatives.

Ces conclusions — du fait de la nature de la commande ministérielle — consistent principalement en des solutions technico-administratives, pour beaucoup intéressantes, pour d’autres nécessaires, mais peu suffisantes pour opérer un réel changement de paradigme.

Ces deux rapports privilégient une approche incitative plutôt que des financements directs ou des mesures coercitives, ainsi que des dispositions « d’acupuncture institutionnelle ». L’État y est surtout conçu comme un facilitateur et un régulateur, dont le rôle principal est de créer un environnement favorable à l’initiative.

On peut y lire des propositions relevant de la création de statuts et de régimes fiscaux et juridiques dédiés (VIT — vente d’immeuble à transformer —, FTB — foncières de transformation de bureaux), d’exonérations de taxes (TVA à 5,5 %, aménagements de taxe foncière) et d’assouplissement des normes (élargissement du régime de la déclaration préalable, dérogations diverses au CCH) qui visent à « débloquer » la valeur économique des actifs et à rendre la transformation plus rentable que la passivité pour les propriétaires.

Parmi les mesures intéressantes proposées, on retiendra également la création d’un permis de démolir suspensif pour favoriser la recherche préalable de solutions de reconversion, ainsi que la réflexion autour de l’éligibilité des opérations de transformation aux Certificats d’Économies d’Énergie (CEE). S’ajoutent à cela un élargissement des Opérations de Requalification des Territoires (ORT) aux projets de transformation et, mesure essentielle, la cartographie de la vacance tertiaire.

Les recommandations d’exonérations en tout genre peuvent interpeller. En défiscalisant plutôt qu’en finançant directement certaines opérations — ce qui peut revenir au même dans la balance — l’État renonce à une capacité d’intervention plus fine et ciblée. Il s’agit d’une politique de la carotte, sans le bâton.

On note dans ces rapports de nombreuses propositions intéressantes, mais assez peu de considération pour l’équilibre des comptes publics, et aucune reprise de l’idée d’une taxation dissuasive de la vacance structurelle, préconisée par André Yché, dont le rapport avait également été commandé par la ministre.

Une lecture attentive de ce dernier, remis en juin 2024 par l’auteur à l’ancienne ministre déléguée au Logement, révèle des propositions autrement plus structurantes que les mesures annoncées.

Pour une stratégie systémique de la reconversion

Le rapport Yché propose un dispositif complet articulé autour de plusieurs leviers complémentaires. Sa mesure phare repose sur l’instauration d’une taxation progressive de la vacance : au-delà d’une période de vacance frictionnelle de deux ans, une taxe additionnelle, équivalente au montant de la taxe sur les bureaux, serait perçue par l’État. Celle-ci serait majorée de 50 % chaque année supplémentaire d’inoccupation. Ce mécanisme vise à compenser le manque à gagner lié à l’absence d’activité économique, tout en dissuadant fortement les foncières de laisser leurs actifs à l’abandon.

Cette taxe permettrait également de modifier l’attitude de certains gestionnaires ayant tendance à masquer la décote réelle des actifs et à ralentir les ventes. Alors que le passage à la cotation semestrielle des SCPI n’a jusqu’ici eu qu’un impact limité sur ces pratiques, la stratégie de taxation progressive proposée par Yché posséderait la force nécessaire pour véritablement débloquer la situation.

La taxe serait suspendue dès le dépôt d’un dossier de transformation, mais réactivée si les travaux ne débutent pas dans un délai de deux ans. Là où la vision globale du plan Létard est de récompenser l’action, le rapport Yché préconise également de pénaliser l’inaction.

En contrepartie, il préconise également un crédit d’impôt de 20 % sur les coûts de transformation pour les projets de logements intermédiaires et sociaux. Cette mesure permettrait, en théorie, de compenser le surcoût des opérations de reconversion par rapport au neuf.

Le rapport mise également sur des leviers politico-administratifs pour accélérer les projets : 50 % du produit de la taxe seraient reversés aux collectivités qui instruisent les autorisations d’urbanisme dans les délais. À l’inverse, un mécanisme de transfert de compétence à l’État pourrait être activé en cas de blocage persistant.

Surtout, l’approche se distingue par sa vision systémique. Yché propose la création de « bouquets d’actifs », regroupant plusieurs bâtiments dans un portefeuille. Certains seront déconstruits pour créer des espaces verts, d’autres reconstruits pour un autre usage ou transformés, en s’appuyant sur une logique de péréquation économique. Face à l’hétérogénéité des besoins urbains et des potentialités de transformation, cette approche globale permettrait d’arbitrer de façon cohérente entre contraintes techniques et objectifs d’aménagement.

Ce modèle préfigure une planification stratégique où la puissance publique ne se contente pas d’inciter, mais organise activement la recomposition du tissu urbain par blocs fonctionnels. En envisageant de loger chaque bouquet dans une société de projet dédiée, bénéficiant d’avantages fiscaux et financiers, le rapport esquisse les contours d’un urbanisme de la transformation à la hauteur des enjeux : systémique, financièrement soutenable et territorialement cohérent.

À côté de cette vision structurante, le plan Létard apparaît plus timoré, moins abouti, et globalement peu soucieux de l’équilibre des comptes publics.

Au-delà du logement : la ville en partage

Au-delà de la déconstruction des immeubles tertiaires — qui peut permettre de créer des espaces verts ou d’engager une reconstruction — ou de la transformation de leurs espaces en logements, une approche complémentaire, qui peut également s’implanter dans l’attente d’opérations plus lourdes et pérennes, consiste à mobiliser ces locaux vacants pour répondre à d’autres besoins.

Le rapport Yché propose ainsi d’imposer la mise à disposition temporaire des surfaces inutilisées à des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Ainsi, en amont des conversions structurelles, l’urbanisme transitoire offre des réponses agiles à des besoins socio-économiques concrets.

Cette pratique trouve une illustration significative avec le projet des Arches Citoyennes, plus grand tiers-lieu de Paris, qui occupe depuis 2023 l’ancien siège de l’AP-HP juste en face de l’Hôtel de Ville. Ces espaces gérés par la coopérative Plateau Urbain créent ainsi un véritable pôle de vie sociale et culturelle en permettant à plus de 450 structures (entreprises sociales et solidaires, associations, artistes) de trouver leur place dans la ville, et cela à prix réduit.

Les Arches Citoyennes préfigurent ainsi le projet définitif « Hospitalités Citoyennes », porté par un groupement conduit par BNP Paribas Real Estate, associant Apsys et RATP Solutions Ville, lauréat de l’appel à projet « Réinventer Paris 3 ». Premier ensemble immobilier à mission parisien, ce projet transformera le site à l’horizon 2030 et mêlera logements, bureaux et commerces dans une démarche inclusive et solidaire. Cette occupation transitoire permet dans le cas en question de préfigurer concrètement la vocation sociale et solidaire qui caractérisera le projet définitif.

En somme, ces usages transitoires permettent de maintenir l’animation des quartiers tout en expérimentant de nouvelles fonctions urbaines. Ils peuvent ainsi servir de laboratoire pour préparer la transformation pérenne des espaces, tandis que la collectivité peut jouer un rôle de médiateur entre les différents acteurs. Les propriétaires des locaux ont également beaucoup à y gagner, leur permettant notamment d’économiser en frais de gardiennage et de limiter la dégradation des locaux.

Relancer le débat

La crise des bureaux vacants est une opportunité qui peut permettre de répondre à certains besoins. Mais la transformation de notre économie immobilière exige une véritable ambition politique. Si les solutions existent, si les réglementations évoluent dans le bon sens, l’audace politique manque pour réellement bousculer le secteur de l’immobilier et accélérer cette transition.

Du reste, si l’immobilier tertiaire accapare l’attention, il n’en demeure pas moins que, comme le rappelle le rapport Yché, « la transformation des bureaux fait figure de cas d’école et peut inspirer, à bien des égards, les principes de la transformation de toutes les classes d’actifs immobiliers ».

Face à l’ampleur des défis, nous devons faire preuve de la même ambition que ceux qui, dans les précédentes décennies, ont bâti ces immeubles qui aujourd’hui nous questionnent.

03.11.2025 à 19:12

Zohran Mamdani face à l’establishment

Peter Dreier

Sur le point de remporter les élections municipales à New York, Zohran Mamdani émerge comme figure radicale et « socialiste ». Durant sa campagne, il a dû affronter de violents tirs de barrage issus du Parti républicain et de l'establishment démocrate. Outre des critiques libérales sur son programme économique, il a dû essuyer les infamantes accusations en antisémitisme traditionnellement dirigées contre les candidats propalestiniens. Mais les véritables défis sont encore à venir : à la tête de la ville, il devra passer maître dans l'art du compromis, au niveau du Conseil municipal et de l'Etat de New York (à qui reviennent une partie des décisions budgétaires). Un précédent pourrait inspirer son action : celui de Fiorello La Guardia, maire de New York durant le New Deal (1933-1945), qui avait fait de la ville un avant-poste réformateur. Par Peter Dreier, traduction Alexandra Knez.
Texte intégral (3754 mots)

Sur le point de remporter les élections municipales à New York, Zohran Mamdani émerge comme figure radicale et « socialiste ». Durant sa campagne, il a dû affronter de violents tirs de barrage issus du Parti républicain et de l’establishment démocrate. Outre des critiques libérales sur son programme économique, il a dû essuyer les infamantes accusations en antisémitisme traditionnellement dirigées contre les candidats propalestiniens. Mais les véritables défis sont encore à venir : à la tête de la ville, il devra passer maître dans l’art du compromis, au niveau du Conseil municipal et de l’Etat de New York (à qui reviennent une partie des décisions budgétaires). Un précédent pourrait inspirer son action : celui de Fiorello La Guardia, maire de New York durant le New Deal (1933-1945), qui avait fait de la ville un avant-poste réformateur. Par Peter Dreier, traduction Alexandra Knez.

Zohran Mamdani a marqué les esprits avec une campagne électorale dynamique, mobilisant massivement les électeurs, en particulier les plus jeunes. À trente-trois ans, ce membre de l’Assemblée de l’État du Queens et figure du courant socialiste démocrate a créé la surprise en remportant la primaire démocrate du 24 juin face à l’ancien gouverneur Andrew Cuomo [Zohran Mamdani est membre du mouvement Democrat Socialists of America, NDLR]. Loin d’abandonner la course malgré sa défaite aux primaires démocrates, celui-ci s’est présenté comme indépendant.

Les défis auxquels il a fait face durant sa campagne ont été nombreux. Ceux qui l’attendent comme maire le sont plus encore.

Avant Zohran Mamdani, Fiorello La Guardia

Zohran Mamdani devra d’abord affronter une opposition farouche de puissants secteurs économiques, notamment Wall Street, l’industrie immobilière et les géants de la tech. Son programme mêle à la fois des idées très pragmatiques et des mesures avant-gardistes. Parmi ses propositions-phares : le gel des loyers dans les logements à loyer contrôlé (dans lesquels vivent 2,4 millions de New-Yorkais), la gratuité des bus, la création d’épiceries municipales et une hausse des impôts ciblant les résidents et entreprises les plus fortunés. Des figures du monde des affaires l’ont déjà qualifié d’anti-business et menacent de quitter la ville si son projet venait à se concrétiser.

Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à l’ère du New Deal, les villes américaines ont été le théâtre d’un progressisme audacieux, né en réaction à l’emprise croissante des robber barons.

L’expérience du républicain Fiorello La Guardia peut servir de point de réflexion [dans l’Amérique du début des années 1930, le Parti républicain n’est pas encore nettement celui des classes supérieures et le Parti démocrate n’est pas encore celui des classes populaires NDLR]. À la tête de New York pendant trois mandats, de 1933 à 1945, en pleine Grande Dépression et Seconde Guerre mondiale, La Guardia a su imposer une gouvernance intègre, efficace et résolument progressiste. Son action a profondément marqué la ville, en redonnant espoir et en améliorant les conditions de vie de sa classe ouvrière. Sur la scène nationale, il s’est imposé comme un réformateur indépendant.

Malgré cela, Fiorello La Guardia a longtemps été la cible des milieux d’affaires, qui le décrivaient comme un idéologue déconnecté des réalités. Alors qu’il présidait le conseil municipal, il proposait que la ville anticipe les tempêtes hivernales en achetant du matériel de déneigement – une mesure de bon sens, selon lui. Le contrôleur municipal Charles Craig la qualifia pourtant de « radicale et socialiste ». Républicain collaborant étroitement avec les démocrates, La Guardia s’est imposé comme l’un des maires les plus emblématiques de New York. Mais ses idées audacieuses, bien que pragmatiques, ont continué à susciter l’hostilité des conservateurs.

Un jour, dans les colonnes du New York Times, il s’est insurgé contre les étiquettes trop vite apposées à ceux qui remettent en question le statu quo : « Dès que l’on soulève une objection à l’ordre établi, on vous classe comme réformateur ou radical. J’ai eu l’honneur d’être qualifié de radical. Pourquoi ? Parce que je me suis toujours opposé à ce que je jugeais injuste et dangereux. » Fidèle à ses convictions, il ajoutait sans détour : « Si combattre les injustices en place fait de moi un radical, alors j’accepte ce titre sans réserve. »

Conflits redistributifs

Deux époques, mais une rhétorique similaire du côté de l’establishment. En 2012, syndicats et travailleurs à bas revenus ont lancé une campagne pour faire passer le salaire minimum de 9 à 15 dollars en l’espace de trois ans. À l’époque, les lobbies patronaux ont tiré la sonnette d’alarme, prédisant un effondrement de l’économie new-yorkaise. Mises en garde largement infondées : les New-Yorkais ont injecté leurs revenus supplémentaires dans les commerces locaux, dynamisant ainsi l’activité économique. Aujourd’hui, le salaire minimum s’élève à 16,50 dollars, soit un niveau encore en deçà de celui pratiqué dans plusieurs grandes métropoles. Zohran Mamdani propose de le porter progressivement à 30 dollars d’ici 2030.

Le slogan de campagne de Zohran Mamdani, « Une ville que tout le monde peut se permettre », résonne auprès des électeurs new-yorkais, sensibles à sa volonté de s’attaquer aux inégalités et à la flambée du coût de la vie. Une analyse menée par James Parrott, directeur des politiques économiques et fiscales au New School Center for New York City Affairs, révèle que la part du revenu total détenue par le 1 % des New-Yorkais les plus fortunés est passée de 12 % en 1980 à 36 % en 2022. Le loyer médian d’un appartement deux pièces dans la ville atteint aujourd’hui près de 5 500 dollars par mois.

À lire aussi... Zohran Mamdani : un radical à la mairie de New York ?

Zohran Mamdani devra affronter une élite économique new-yorkaise souvent inflexible et peu encline au changement. Parviendra-t-il à convaincre certains de ses membres que les niveaux actuels d’inégalités sont devenus intenables ? Il pourrait y parvenir en adoptant un langage qui parle à leurs intérêts : celui de la « prospérité partagée », bénéfique pour l’ensemble de la ville car elle stimule la consommation, renforce le tissu social et offre une alternative à la gentrification galopante. En redéfinissant ce que signifie un « climat d’affaires sain », un cadre où la richesse est distribuée plus équitablement permettant aux familles de sortir de la précarité, Mamdani pourrait rallier des soutiens inattendus. Cela implique de garantir à tous un accès abordable au logement, aux soins de santé, à l’alimentation, à la garde d’enfants et aux transports publics.

Il pourrait entamer son mandat en sollicitant le soutien public de plusieurs figures influentes du monde des affaires new-yorkais contre l’envoi de forces fédérales par Donald Trump, accusées d’interpeller arbitrairement des immigrés.

« Gouverner sainement »

Zohran Mamdani tente de reprendre à son compte le principe du « bon gouvernement », profondément ancré dans l’histoire municipale américaine. Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à l’ère du New Deal, les villes ont été le théâtre d’un progressisme audacieux, né en réaction à l’emprise croissante des robber barons [qualificatif désignant les grandes fortunes propriétiares de monopoles dans le secteur du pétrole ou de la banque au début du XXè siècle NDLR]. Face à eux, une coalition hétéroclite s’est formée : syndicalistes, philanthropes issus des élites, réformateurs de la classe moyenne ont uni leurs forces pour améliorer les conditions de vie et de travail dans des métropoles en pleine expansion.

Les figures politiques issues de cette coalition – parmi lesquelles les maires Tom Johnson (Cleveland, 1901-1909) et Samuel « Golden Rule » Jones (Toledo, 1897-1904) – ont mené des réformes ambitieuses pour transformer la vie urbaine. Leur action visait à sécuriser les usines et les logements, renforcer la santé publique et les réseaux de transport, étendre les espaces verts et les aires de jeux, encadrer les tarifs de l’électricité et de l’eau, et développer des services municipaux accessibles. Ils ont également instauré une fiscalité plus équitable en ciblant les grands propriétaires et œuvré pour que les travailleurs disposent d’une voix plus influente dans les affaires de la ville.

Par le biais d’organisations telles que la Conférence des maires des États-Unis et la Ligue nationale des villes, ces élus locaux peuvent faire pression sur le Congrès.

Par la suite, plusieurs maires progressistes – parmi eux Fiorello La Guardia, Daniel Hoan à Milwaukee (1916-1940), Jasper McLevy à Bridgeport (1933-1957), Harold Washington à Chicago (1983-1987) et Ray Flynn à Boston (1984-1993) – ont pris fait et cause pour les travailleurs lors des conflits syndicaux, et se sont engagés aux côtés des communautés locales dans leur résistance face aux puissances commerciales et aux promoteurs immobiliers.

Zohran Mamdani n’ignore rien de cette tradition politique. L’an dernier, lors d’un entretien avec Brian Lehrer sur les ondes de WNYC, il a évoqué les succès des socialistes municipaux qui ont gouverné Milwaukee et bien d’autres villes. En 1912, près de 1 200 socialistes occupaient des fonctions publiques dans quelque 340 municipalités à travers le pays. Comme Mamdani l’a souligné, on les surnommait parfois les « socialistes des égouts » — non pas par dérision, mais parce qu’ils se consacraient à des projets concrets : parcs, logements, écoles, infrastructures de traitement des déchets et autres équipements essentiels à la vie quotidienne des classes populaires. Ces électeurs, reconnaissants, les ont réélus sans relâche entre 1910 et 1960. Ces élus se distinguaient aussi par leur gestion exemplaire, à l’abri des scandales et de la corruption.

À l’image des socialistes de Milwaukee et de La Guardia, Zohran Mamdani devra prouver sa capacité à diriger une administration municipale rigoureuse et efficace. L’un de ses défis majeurs sera de garantir le bon fonctionnement des services publics essentiels, ce que l’on pourrait appeler les tâches d’« entretien civique ». Comme le soulignait La Guardia : « Il n’existe pas de manière républicaine, démocratique ou socialiste de nettoyer une rue ou de construire un égout, il n’y a que la bonne façon et la mauvaise. »

Zohran Mamdani est pleinement conscient de l’importance de s’entourer de conseillers et de responsables aguerris, dotés d’une solide expérience en administration municipale, en gestion étatique, notamment pour faciliter les relations avec Albany – la capitale de l’Etat de New York, qui gère une partie du budget municipal -, mais aussi dans les domaines du monde des affaires, des syndicats, de l’engagement communautaire et du secteur associatif. Nombre de New-Yorkais espèrent qu’il nommera Brad Lander, actuel contrôleur municipal et troisième lors des primaires, au poste de premier adjoint au maire. Leur collaboration durant la campagne, marquée par des soutiens mutuels et des apparitions communes rend cette nomination tout à fait plausible.

L’une des décisions les plus déterminantes que devra prendre Zohran Mamdani sera de maintenir ou non Jessica Tisch à la tête de la police, dans un contexte où les New-Yorkais expriment de vives préoccupations concernant la sécurité dans leurs quartiers, le profilage raciste et les abus de pouvoir des forces de l’ordre. Mamdani a proposé la création d’un département indépendant dédié à la sécurité des quartiers, distinct de la police, afin de mieux prendre en charge les personnes en détresse psychologique et de permettre à la police de concentrer ses efforts sur la résolution des crimes graves. Il souhaite également fonder une nouvelle agence spécialisée dans la lutte contre les crimes à caractère haineux. Toutefois, si une collaboration constructive ne s’instaure pas avec les forces de l’ordre et leur syndicat, ces derniers pourraient chercher à entraver la mise en œuvre de ses réformes.

Défis budgétaires

Zohran Mamdani devra affronter les défis budgétaires majeurs auxquels New York est confrontée, notamment sa forte dépendance à l’égard de l’État de New York pour le financement de nombreux services essentiels (comme le métro) et pour l’autorité législative sur des questions clés telles que le contrôle des loyers. Il lui faudra établir une collaboration étroite avec les démocrates du parlement de l’État de New York ainsi qu’avec la gouverneure Kathy Hochul, peu progressiste.

La situation pourrait se compliquer davantage si Donald Trump et les républicains du Congrès adoptent une version du « Big Beautiful Bill », qui prévoit des coupes dans les financements fédéraux de services publics afin de financer des baisses d’impôts pour les plus riches. Dans ce contexte, Mamdani devra rappeler régulièrement aux électeurs que certaines réformes ne peuvent être menées à bien sans l’appui législatif ou financier de l’État de New York ou du gouvernement fédéral.

Il pourrait tirer parti de son aura nationale, comme maire de la plus grande ville des États-Unis, pour fédérer d’autres maires autour d’un programme fédéral ambitieux, tourné vers une nouvelle ère post-Trump et la relance d’une politique urbaine et métropolitaine progressiste. Par le biais d’organisations telles que la Conférence des maires des États-Unis et la Ligue nationale des villes, ces élus locaux peuvent faire pression sur le Congrès pour obtenir davantage de financements en faveur du logement et des infrastructures génératrices d’emplois, renforcer la régulation des pratiques bancaires abusives, instaurer une loi fédérale garantissant les congés maladie payés, et accroître les investissements dans les crèches et les établissements scolaires. Ils pourraient aussi s’engager collectivement à mettre fin aux « guerres d’enchères », ces compétitions coûteuses entre villes et États pour attirer les entreprises à coups de subventions et d’exonérations fiscales, comme ce fut le cas avec Amazon à New York il y a quelques années.

Penser en organisateur

Maire, Zohran Mamdani gagnerait à conserver une posture d’organisateur. Chaque enjeu politique majeur exige une véritable campagne structurée, avec un noyau dur, un cercle de soutien engagé, des partenaires stratégiques et des adversaires clairement identifiés, comme par exemple les propriétaires pratiquant des loyers abusifs ou les institutions financières aux pratiques prédatrices. Pour mener ces batailles à bien, il lui faudra s’appuyer sur la mobilisation active de sa base et sur une dynamique collective forte.

Zohran Mamdani devra embrasser la tension inhérente à sa position : celle d’un progressiste aux commandes de l’institution municipale. Il lui faudra encourager les mouvements de base à exercer une pression constante, y compris par la protestation, pour inciter les grandes banques, les employeurs, les établissements de santé, les maisons de retraite, les propriétaires et les promoteurs immobiliers à adopter des pratiques plus responsables. Il ne pourra pas se soustraire à la critique : il sera parfois lui-même la cible de manifestations, face à laquelle il devra se montrer résilient.

Mamdani devra encourager les mouvements de base à exercer une pression constante, y compris par la protestation, pour inciter les grandes banques, les employeurs, les établissements de santé, les maisons de retraite, les propriétaires et les promoteurs immobiliers à adopter des pratiques plus responsables.

Il devra trouver les moyens de collaborer avec le mouvement progressiste new-yorkais, souvent éclaté en une multitude d’organisations et de leaders, chacun porteur de son agenda propre. Pour mener des réformes ambitieuses, il lui faudra tisser des liens solides avec les syndicats du public et du privé, les groupes d’organisation communautaire, les militants écologistes, les défenseurs des droits des locataires, les promoteurs immobiliers à but non lucratif, les réformateurs du système éducatif, ainsi que les associations engagées pour les droits civils et les libertés individuelles. Tous devront apprendre à naviguer dans la dynamique « intérieur/extérieur » à un moment où les enjeux politiques et sociaux sont particulièrement cruciaux.

Ils voudront bien sûr demander à Mamdani de rendre des comptes sur ce qu’il a promis. Toutefois, ils devront faire preuve de patience et garder à l’esprit que les transformations politiques majeures exigent du temps, une hiérarchisation des priorités et, souvent, des compromis – qui n’est pas le renoncement : le compromis peut permettre des avancées concrètes, poser les jalons d’une réforme plus vaste et orienter l’action publique dans une direction vertueuse.

Cela revêt une importance particulière pour les Socialistes démocrates d’Amérique (DSA), une composante modeste mais dynamique de la base de soutien de Mamdani. La direction nationale du mouvement, ainsi que certaines de ses sections locales, ont parfois été critiquées, à juste titre, pour des prises de position jugées trop radicales et un certain désintérêt pour les compromis politiques. Toutefois, plusieurs antennes locales, notamment celle de New York, ont su évoluer en collaborant avec des organisations communautaires, syndicales et écologistes, et en s’impliquant activement dans le Parti démocrate pour faire élire des candidats progressistes, y compris ceux qui ne se revendiquent pas explicitement du socialisme.

Comme ils l’ont montré lors des campagnes d’Alexandria Ocasio-Cortez au Congrès, les membres de la DSA de New York engagés aux côtés de Mamdani ont fait preuve d’organisation, de rigueur et de sens stratégique. Aujourd’hui, cette même discipline et cette intelligence politique seront essentielles pour éviter les critiques publiques systématiques à l’encontre de Mamdani lorsqu’il sera amené à faire des compromis – que ce soit avec le conseil municipal ou la législature de l’État – dans le but de faire progresser des mesures concrètes qui améliorent le quotidien des New-Yorkais.

Restaurer la confiance

Dans une période marquée par l’incertitude, une victoire progressiste d’envergure offre un souffle d’espoir et peut servir de catalyseur pour renforcer le mouvement, à la fois en opposition à Donald Trump et en faveur d’un avenir plus équitable. À l’instar de Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, Zohran Mamdani se distingue par sa capacité à communiquer les idées progressistes dans un langage accessible et concret. Toutefois, il est important de reconnaître que tous les candidats démocrates ne peuvent remporter des élections en se revendiquant ouvertement progressistes, et encore moins socialistes. Le camp républicain, Trump en tête, l’a bien compris et cherchera à instrumentaliser la victoire de Mamdani pour peindre l’ensemble du Parti démocrate en rouge.

Le lendemain de la victoire de Mamdani à la primaire, Trump s’est emporté sur son réseau Truth Social, qualifiant Mamdani de « lunatique 100 % communiste ». À l’instar d’Alexandria Ocasio-Cortez, Mamdani est appelé à devenir une figure polarisante, utilisée par les républicains pour mobiliser leur base et tenter de renverser les démocrates dans les circonscriptions clés lors des prochaines élections à la Chambre. Il lui faudra alors convaincre des poids lourds du Parti démocrate, comme Chuck Schumer et Hakeem Jeffries (tous deux originaires de New York) de le soutenir plutôt que de s’opposer systématiquement à lui, ce qui reste incertain compte tenu de leurs différends répétés avec l’aile gauche du parti. Par ailleurs, certains candidats démocrates engagés dans des batailles électorales serrées pourraient chercher à se distancier de ses positions pour préserver leur propre crédibilité auprès d’un électorat plus modéré.

L’un des accomplissements les plus significatifs de Zohran Mamdani pourrait être de raviver la confiance des jeunes électeurs dans le pouvoir de la politique électorale et dans la capacité des institutions publiques à répondre concrètement aux besoins de la population. Sa victoire pourrait servir de catalyseur, incitant libéraux et progressistes à travers le pays à s’engager davantage dans des organisations locales. À l’approche des élections de mi-mandat l’an prochain, on peut espérer une mobilisation accrue de bénévoles prêts à s’investir sur le terrain.

La façon dont Zohran Mamdani dirigera la ville de New York sera déterminante. S’il réussit à devenir maire, il fera plus que transformer la vie des New-Yorkais de la classe ouvrière : il pourrait inspirer une nouvelle génération de militants à se lancer dans la vie politique – que ce soit au sein des conseils scolaires, de la législature de l’État ou du Congrès. Ce renouvellement pourrait contribuer à affaiblir l’establishment qui domine encore le Parti démocrate et à éloigner le parti de son aile corporatiste, en faveur d’un projet résolument progressiste centré sur les besoins réels de la population.

Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre « How Zohran Mamdani Can Succeed as Mayor », traduit et édité pour LVSL.

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