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08.09.2025 à 06:00

Le Yémen, nouvelle frontière israélienne

Helen Lackner

Le conflit yéménite, débuté il y a plus de dix ans, ne cesse de se transformer. L'assassinat de ministres civils liés au mouvement houthiste illustre combien le Yémen est un nouveau front de la guerre sans fin menée par Israël dans la région. Cependant, le caractère illégal de cette escalade, autant que ses effets contre-productifs, ne semblent plus inquiéter personne. Le jeudi 28 août, à la suite de multiples menaces proférées ces derniers mois, une frappe aérienne israélienne décime le (…)

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Texte intégral (2389 mots)

Le conflit yéménite, débuté il y a plus de dix ans, ne cesse de se transformer. L'assassinat de ministres civils liés au mouvement houthiste illustre combien le Yémen est un nouveau front de la guerre sans fin menée par Israël dans la région. Cependant, le caractère illégal de cette escalade, autant que ses effets contre-productifs, ne semblent plus inquiéter personne.

Le jeudi 28 août, à la suite de multiples menaces proférées ces derniers mois, une frappe aérienne israélienne décime le gouvernement nommé par les houthistes à Sanaa. Au moins douze dignitaires sont assassinés, notamment le premier ministre, Ahmed Al-Rahawi, le ministre des affaires étrangères, Jamal Ahmed Amer, et huit autres ministres. Le ministre de la défense, Mohammed Al-Atifi, est également annoncé comme blessé. Le bombardement d'une réunion de ministres constitue sans doute l'attaque israélienne la plus « réussie » à ce jour, alors que les bombardements israéliens frappent régulièrement le Yémen depuis plus d'une année.

En continuité des nombreuses attaques déjà menées contre les ports de la mer Rouge, les grandes centrales électriques et d'autres infrastructures civiles dont les avions de la compagnie aérienne Yemenia, cette frappe a visé directement et explicitement du personnel civil. Celui-ci était réuni pour évaluer « les activités et les performances du gouvernement au cours de l'année écoulée », en se concentrant sur ses tâches administratives et de gestion. Au Yémen comme au Liban et en Syrie, les assassinats ciblés sont au cœur de la stratégie militaire israélienne mais demeurent autant de violations du droit international. Ils sont susceptibles d'être qualifiés de crimes de guerre.

Nouvel armement

Le rythme des tirs de missiles houthistes contre Israël avait ralenti ces dernières semaines. En cause, les nombreuses frappes aériennes contre leurs installations militaires, menées à la fois par Israël et, plus tôt cette année, par les États-Unis durant les 52 jours de campagne de bombardements. La saisie, au cours de l'été, d'un certain nombre de cargaisons de matériel militaire à destination des houthistes — en provenance d'Iran ou de Chine — par les forces affiliées au gouvernement reconnu par la communauté internationale, a sans doute également joué un rôle.

Toutefois, les frappes houthistes contre le territoire israélien, en soutien aux Palestiniens, se poursuivent. Le 22 août, ils utilisent un missile avec des munitions à fragmentation — une escalade sans précédent. Ce nouvel armement est perçu comme une menace accrue par les Israéliens, en raison des risques durables de blessures et de morts causés par les sous-munitions dispersées. Certaines sont tombées près de l'aéroport de Tel-Aviv, initialement visé. Malgré une riposte israélienne rapide contre Sanaa deux jours plus tard, touchant en particulier une zone proche du palais présidentiel et une centrale électrique, la frappe contre les ministres prouve que les Israéliens entendaient manifestement intensifier leur réponse.

Un champ d'intervention de plus en plus large

Les assassinats de membres du gouvernement houthiste permettent à Israël de se vanter d'un nouvel « exploit » dans ses campagnes meurtrières et destructrices dans la région. Au-delà du génocide perpétré à Gaza, par la famine et les actions militaires, le champ d'intervention des Israéliens est de plus en plus large. Il est dorénavant à la mesure des logiques impériales qui guident son gouvernement d'extrême droite.

En contexte arabe, l'absence de réaction à ces assassinats constitue un signe supplémentaire de l'impuissance des États de la région face à Israël ou même, peut-être, de leur connivence. La mort des responsables civils houthistes n'a guère occasionné de condamnations par les gouvernements voisins. Hors des alliés de l'Iran, membres arabes d'un « axe de la résistance » bien affaibli, seul Ahmed Al-Khalili a diffusé ses condoléances. Le mufti d'Oman, figure devenue singulière au Proche-Orient du fait de ses déclarations incendiaires contre Israël, a rappelé l'engagement, décrit comme « héroïque », des ministres houthistes pour la Palestine.

En Europe et aux États-Unis, ces assassinats illégaux n'ont même pas été commentés par la presse. En février 2025, l'envoyé spécial de l'ONU pour le Yémen, le Suédois Hans Grundberg, avait réagi avec fermeté à l'arrestation, fin janvier, de huit employés onusiens par le régime houthiste. En revanche, le 31 août, il s'est contenté d'un commentaire prévisible et mesuré. Il a déclaré suivre

avec une grande inquiétude les développements récents au Yémen, où les zones contrôlées par Ansar Allah [nom officiel du mouvement houthiste] continuent de subir des frappes israéliennes après les attaques d'Ansar Allah contre Israël… Ces attaques doivent cesser.

Il a poursuivi en se déclarant « également profondément préoccupé par les morts et blessés civils lors des récentes attaques israéliennes ».

Face à une aussi grave ingérence israélienne, le silence assourdissant des dirigeants du gouvernement yéménite reconnu par la communauté internationale rend compte de leur probable satisfaction. Dans le même temps, il accroît leur discrédit, incapables qu'ils sont de défendre, y compris verbalement, le principe de la souveraineté yéménite. Fayçal Rajab, une personnalité respectée du Sud qui avait été emprisonnée pendant des années par les houthistes, a mis en garde sur les réseaux sociaux contre toute « réjouissance » face à ces événements. Il a souligné que « l'histoire retiendrait l'opprobre de ceux qui expriment de la joie face au ciblage de Yéménites » et que « l'agression contre tout Yéménite reste inacceptable malgré les différences politiques ».

La complicité des Émirats arabes unis

Malgré l'indifférence internationale, cette escalade s'inscrit dans des bouleversements régionaux significatifs qui méritent d'être éclairés. Ceux-ci sont liés en particulier au rôle que les Émirats arabes unis semblent y avoir joué. Les dirigeants à Abou Dhabi, mais aussi peut-être d'autres pays voisins, actent et participent probablement indirectement aux opérations israéliennes au Yémen.

Les réseaux et technologies d'espionnage israéliens n'ont pas réussi à pénétrer le mouvement houthiste — ses principaux dirigeants demeurent toujours hors d'atteinte —, comme ils l'ont clairement fait au Liban et en Iran. Mais des événements récents indiquent que l'étau se resserre. La qualité de l'information s'améliore comme l'illustre la dernière opération ainsi que l'attentat manqué contre Mohammed Abdel Karim Al-Ghamari, chef d'état-major des houthistes à Sanaa en juin 2025.

Les sources dorénavant mobilisées semblent aller au-delà d'un recours à la surveillance satellitaire et des communications. Elles incluent très probablement des informations de terrain récoltées par les adversaires de houthistes et transmises via les services de renseignement émiratis. Ceux-ci ont pu, à coup de prébendes, développer de solides réseaux depuis le déclenchement de la guerre en 2015. Tant et si bien qu'ils concurrencent dorénavant les Saoudiens, y compris par exemple parmi certains groupes salafistes.

Un gouvernement fantoche

Le succès opérationnel est aussi en trompe-l'œil. L'importance des figures visées dans l'appareil de l'État houthiste est moins grande que ce qu'annoncent les Israéliens. L'affirmation, le 28 août, du ministre israélien de la défense, Israël Katz, selon laquelle il aurait « porté un coup écrasant sans précédent au sommet de la direction politico-sécuritaire de l'organisation terroriste houthie », exagère l'importance et le rôle de ceux visés.

En effet, le gouvernement houthiste dit du « changement et de la Réconciliation » à Sanaa n'exerce pas la véritable autorité sur les 70 % de Yéménites vivant sous domination houthiste. Le pouvoir réel, civil, militaire et religieux, appartient à la branche idéologisée, à travers les proches du « leader de la révolution », Abdel Malik Al-Houthi. Il s'étend au petit Conseil politique suprême, dominé par l'organisation dite « Ansar Allah », nom officiel des houthistes. Le premier ministre et ses collègues ne sont guère plus que des commis. Leur autorité est limitée à la fois par les instructions d'Ansar Allah et par la présence, à tous les niveaux de l'administration, de « superviseurs » loyaux au clan Al-Houthi. Leur remplacement n'aura probablement aucun impact politique ou stratégique sur le régime houthiste. Le premier ministre Al-Rahawi était lui-même une « prise de guerre » : originaire du sud du pays — hors des zones contrôlées par les houthistes —, il appartenait à un parti politique autrefois hégémonique et devenu marginal.

Durcissement de l'emprise houthiste

La réaction immédiate des dirigeants houthistes a été prévisible. Une manifestation immense de soutien a été organisée à Sanaa le 29 août et les funérailles des douze dignitaires, trois jours plus tard, ont été l'occasion d'une démonstration de force. Le chef d'état-major a juré de se venger d'Israël et confirmé l'engagement de son mouvement en faveur de la Palestine.

Les attaques contre la navigation en mer Rouge ayant un lien avec Israël s'étaient espacées mais avaient gagné en efficacité. Après huit mois de calme, elles avaient repris, visant et coulant deux navires, et causant la mort de marins en juillet 2025. À la suite de l'assassinat des ministres, les attaques ont repris de nouveau. Le 1er septembre, un pétrolier a été visé au large des côtes saoudiennes. Une zone au-delà de l'aire habituelle des opérations houthistes en mer Rouge.

D'autres attaques sont à prévoir, perturbant le retour progressif à la normale du trafic maritime dans cette voie de navigation depuis l'accord surprise de cessez-le-feu de mai 2025 entre les houthistes et Donald Trump, signé grâce à l'entregent omanais. Sur le plan opérationnel, toute pénurie de munitions sophistiquées dans les rangs houthistes peut être compensée par le recours à des modes opératoires technologiquement plus simples, et notamment des bateaux drones.

Sur le plan interne, l'atmosphère de suspicion et de méfiance à Sanaa risque bien de s'intensifier, même parmi les dirigeants de premier et de second rang du mouvement. Le remplaçant du premier ministre assassiné est Mohammed Muftah, un dirigeant houthiste historique. Déjà sérieusement affecté par la diminution du soutien humanitaire et international, la crise bancaire et l'impact de la désignation américaine comme « organisation terroriste étrangère », le régime houthiste multiplie les représailles. Poursuivant ainsi sa politique d'arrestations de travailleurs humanitaires, le mouvement a procédé, le 31 août, à une série d'arrestations à Sanaa, dont 19 employés onusiens. Il les soupçonnait d'entretenir des relations directes avec des États étrangers. Les employés de l'ONU et d'ONG internationales arrêtés en juin 2024 et janvier 2025 sont restés en détention. Les rumeurs et espoirs d'une libération à l'occasion de l'anniversaire du Prophète fixé au 5 septembre ont été douchés par les attaques israéliennes. La séquence confirme combien, avant même leurs dirigeants, les premiers à souffrir de l'impact de la guerre et des bombardements, et du fait de voir dorénavant leur pays dans le viseur des Israéliens, restent les Yéménites ordinaires. Dans ces circonstances, il est difficile de trouver un motif d'optimisme.

05.09.2025 à 06:00

De Marseille à Tunis, des flottilles pour briser le siège de Gaza

Sophie Boutière-Damahi

Depuis le dimanche 31 août, plusieurs dizaines de bateaux sont partis des ports de Marseille, Barcelone, Gênes et enfin Tunis dans le cadre de la Global Sumud Flotilla. Cet élan massif vise à briser le blocus autour de l'enclave palestinienne qui subit famine et génocide. Il suscite un soutien international croissant. C'est en trombe, le 31 août, que le voilier L'oiseau de passage, de l'initiative Thousand Madleens to Gaza (Un millier de Madleens pour Gaza) a levé l'ancre du quai du Musée (…)

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Texte intégral (2768 mots)

Depuis le dimanche 31 août, plusieurs dizaines de bateaux sont partis des ports de Marseille, Barcelone, Gênes et enfin Tunis dans le cadre de la Global Sumud Flotilla. Cet élan massif vise à briser le blocus autour de l'enclave palestinienne qui subit famine et génocide. Il suscite un soutien international croissant.

C'est en trombe, le 31 août, que le voilier L'oiseau de passage, de l'initiative Thousand Madleens to Gaza (Un millier de Madleens pour Gaza) a levé l'ancre du quai du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem) de Marseille. Une foule est venue soutenir l'équipage du bateau, symboliquement escorté dans la rade de Marseille par une quinzaine de voiliers portant drapeaux palestiniens et keffiehs accrochés à leurs mâts. Avec ses 15 m³ de matériel médical, L'oiseau de passage est parti vers un point de rendez-vous en Méditerranée, tenu confidentiel pour des raisons de sécurité, pour rejoindre d'autres bateaux venus entre autres d'Espagne et de Turquie. Le nom de l'opération, Thousand Madleens, renvoie à la flottille Madleen qui a navigué vers Gaza en juin 2025, et à bord de laquelle se trouvait entre autres la militante suédoise Greta Thunberg, la députée européenne Rima Hassan ainsi que le journaliste de Blast Yanis Mhamdi. Il s'inscrit dans le cadre de l'initiative internationale Global Sumud Flotilla1.

Parmi ceux venus assister au départ, Baptiste André, le médecin marseillais qui se trouvait à bord du Madleen illégalement intercepté en juin 2025 par l'armée israélienne dans les eaux internationales. Il souligne l'importance symbolique de cet élan humanitaire bien qu'il ne soit pas du voyage cette fois :

Il y a deux mois et demi, vous étiez venus m'accueillir à la gare de retour du Madleen, et de voir qu'aujourd'hui un bateau va partir de ma ville, c'est un symbole extrêmement fort de mobilisation. Nous avons fait beaucoup de choses qui ont provoqué de l'émotion et de la motivation, mais là ça y est, c'est du concret, un nouveau bateau s'apprête à partir.

La délégation française du collectif avait annoncé fin août six bateaux de type voiliers, d'une capacité de 2 à 3 personnes, prêts à partir depuis les côtes françaises. Ils ont été préparés par une vingtaine de groupes locaux et financés par une cagnotte s'élevant à près de 200 000 euros.

Une vague mondiale

Au même moment, quatre bateaux partaient à leur tour du port de Gênes, en Italie, pour les rejoindre. Ils ont été acclamés par une foule de 40 000 manifestants et soutenus par les interventions des syndicats locaux de dockers. Le syndicat italien Unione sindacale di base (Union syndicale de base, USB) a même menacé de lancer une grève générale et de « paralyser l'Europe » si le contact avec les bateaux venait à être perdu « ne serait-ce que 20 minutes » au cours de leur expédition. L'intervention a été largement relayée sur les réseaux sociaux.

Le même jour encore, 25 bateaux avec plus de 300 activistes à leur bord sont partis de Barcelone, avant une escale à Tunis le 4 septembre. De là, en plus de la flottille maghrébine, une seconde vague de bateaux, provenant de Grèce et d'Italie, renforcera la vague de soutien humanitaire. Selon les organisateurs, une centaine serait attendue à cette dernière étape avant la navigation vers Gaza. Mais le nombre précis reste incertain : à Barcelone, les organisateurs déplorent une série de sabotages qui ont empêché une vingtaine de bateaux — sur les 43 initialement prévus — de partir.

La Global Sumud Flotilla, née d'une initiative citoyenne internationale, est organisée par quatre grandes coalitions incluant des collectifs ayant déjà participé à des actions terrestres et maritimes à Gaza : le Global Movement to Gaza, anciennement connu sous le nom de Global March to Gaza, mouvement populaire organisant des actions de solidarité mondiale en soutien à l'enclave palestinienne ; la Freedom Flotilla Coalition, qui a déjà lancé plusieurs flottilles comme le Madleen et le Handala (fin juillet 2025) ; la Maghreb Sumud Flotilla (Afrique du Nord) et la Sumud Nusantara, principalement originaire de Malaisie et impliquant huit autres pays d'Asie du Sud et du Sud-Est comme la Thaïlande.

Contourner par la mer

En juin 2025, la Marche mondiale vers Gaza lancée par près de 4 000 participants de plus de 80 pays qui se sont donné rendez-vous au Caire pour se rendre au poste-frontière de Rafah s'était confrontée à la répression des autorités égyptiennes, alors qu'un convoi maghrébin au départ de Tunis avait été stoppé dans l'Est de la Libye. Cet échec s'est soldé par l'arrestation de centaines d'activistes et des confiscations de passeports en Égypte comme en Libye. Aujourd'hui, le mouvement change de cap et s'inscrit parmi les initiatives maritimes pour tenter de briser le blocus.

La Global Sumud Flotilla a levé plus de 3 millions d'euros sur sa plateforme de financement participatif Chuffed. Une somme récoltée auprès de 60 000 contributeurs à travers le monde, qui a permis l'achat de 45 tonnes d'aide humanitaire et couvert les frais opérationnels liés à la logistique. De nombreuses structures de la société civile, comme le Climate Action Network (CAN), un réseau mondial d'organisations environnementales, ont exprimé leur solidarité avec la flottille, appelant les gouvernements à garantir le passage sûr des navires humanitaires. La Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et le Syndicat des journalistes tunisiens (SNJT) comptent aussi parmi les soutiens de la Maghreb Sumud Flotilla.

La militante suédoise Greta Thunberg a de nouveau embarqué à bord de la Global Sumud Flotilla. Dans une lettre officielle, le président colombien Gustavo Petro a également donné son appui au mouvement. Il dénonce régulièrement le caractère génocidaire du gouvernement israélien dans son offensive contre les civils de l'enclave palestinienne et le « négationnisme historique » que la politique israélienne porte à la mémoire du génocide juif.

Depuis le mois de juillet, selon les chiffres communiqués par Global Sumud Flotilla, plus de 15 000 participants à travers 44 pays ont participé à sa mise en œuvre jusqu'au départ groupé ayant eu lieu à Barcelone le 31 août.

À Marseille, les prises de parole à l'occasion du lancement de la flottille du collectif Thousand Madleens ne manquent pas de souligner la dimension politique de ce mouvement citoyen : « Il ne s'agit pas que d'une crise humanitaire. Nous faisons le lien entre nos luttes locales contre le racisme et celle contre le colonialisme menée par le peuple palestinien », rappelle Lola Michel, présidente de l'association Marseille à Gaza.

Hanane2, navigatrice qui a mis ses compétences au profit de l'équipe du pôle mer, est lucide par rapport à ce qui attend les militants à bord de la flottille : « Depuis fin juin et notre retour du Caire, grâce aux cagnottes, on a acheté des bateaux et on les a réparés. Il nous faut des circuits d'eau douce, c'est important, car nous devrons peut-être rester très longtemps en mer sans pouvoir faire d'escale. » Elle rappelle que différents gouvernements des pays du bassin méditerranéen pourraient empêcher les bateaux d'amarrer ou de reprendre la mer une fois ravitaillés, d'autant que les bateaux prévoient notamment de longer les côtes libyennes et égyptiennes à l'approche de Gaza.

Une histoire qui n'a pas commencé le 7 octobre

Après la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006, Israël impose un blocus terrestre et maritime à la bande de Gaza. À l'époque déjà, de petits navires affrétés par des activistes du Free Gaza Movement réussissent à atteindre les côtes gazaouies à cinq reprises. Mais après l'offensive israélienne de décembre 2008 — janvier 2009, Tel-Aviv durcit son blocus maritime, jusqu'à rendre impossible tout accostage de bateau étranger sur les côtes de l'enclave palestinienne.

Cette chape de plomb entraîne un durcissement dans la répression des flottilles approchant de Gaza. Le 31 mai 2010, la Flottille de la liberté, composée de six navires, dont le Mavi Marmara, et transportant plus de 300 militants, est attaquée par l'armée israélienne, toujours dans les eaux internationales. L'assaut fait dix morts et des dizaines de blessés. Dans la foulée, l'administration étatsunienne de Barack Obama bloque une enquête internationale de l'Organisation des Nations unies (ONU) et soutient une enquête israélienne « rapide et crédible »3. Joe Biden, alors vice-président, appuie le récit fourni par les Israéliens, soulevant des doutes sur la cargaison transportée par les bateaux et invoquant un risque pour la sécurité d'Israël4.

Depuis, d'autres flottilles ont cherché à atteindre Gaza, comme celle en soutien à la Grande marche du retour, en 2018, quand des milliers de Palestiniens ont manifesté le long de la frontière séparant Gaza et Israël. Selon les chiffres du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l'ONU, l'armée israélienne a tué 195 Palestiniens, dont 41 enfants, lors de ces manifestations, et fait plus de 29 000 blessés. Plusieurs bateaux comme Al-Awda Le Retour » en arabe) sont alors interceptés, encore une fois, dans les eaux internationales.

Le black-out médiatique aggrave le blocus de la bande de Gaza. Israël y refuse l'accès aux journalistes étrangers et les reporters palestiniens sont pris pour cible par son armée — plus de 210 journalistes ont été tués depuis le 7 octobre 2023 selon Reporters sans frontières (RSF)5. Le collectif Palestine Witness a lancé l'initiative Witness for Gaza, une flottille à bord de laquelle se trouvent des journalistes internationaux, des observateurs juridiques et des défenseurs des droits humains, visant à garantir symboliquement et pacifiquement un accès à Gaza et à documenter les événements. L'action, prévue à la veille de l'Assemblée générale de l'ONU (du 9 au 23 septembre 2025) s'ajoute à la liste d'initiatives maritimes en vue de briser effectivement ou symboliquement le blocus.

Rappelons enfin que le blocus imposé par Israël à Gaza est considéré comme illégal au regard du droit international humanitaire, au vu de ses effets disproportionnés sur la population civile. Selon la quatrième Convention de Genève, toute puissance occupante a l'obligation de ne pas priver les civils de biens essentiels tels que la nourriture, l'eau, les médicaments ou les services de santé, ce que le blocus restreint de manière sévère. Le droit international humanitaire garantit également le passage sûr de l'aide humanitaire vers les populations en détresse. L'interception répétée de navires transportant nourriture et médicaments constitue une violation supplémentaire de ces normes.

Samedi 30 août 2025, un responsable israélien a encore affirmé, sous couvert d'anonymat, que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou allait bientôt suspendre « l'aide humanitaire » dans le nord de Gaza, alors que l'armée israélienne vient de déclarer la ville de Gaza « zone de combat ».

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1NDLR. Le terme soumoud n'a pas d'équivalent exact en français. Il renvoie au fait de tenir bon dans la résistance.

2Thousand Madleens demande de ne pas préciser leurs noms de famille pour leur garantir un minimum d'anonymat.

3Statement by the Press Secretary on Israel's investigation into the flotilla incident, The White House, 13 juin 2010.

4Richard Adams, «  Gaza flotilla raid : Joe Biden asks “So what's the big deal here  ?”  », The Guardian, 3 juin 2010.

5«  Plus de 210 journalistes tués à Gaza : RSF et Avaaz appellent les médias du monde entier à une mobilisation médiatique d'ampleur le 1er septembre  », RSF, 28 août 2025.

05.09.2025 à 06:00

« La responsabilité n'est pas celle de l'occupant, c'est celle de l'occupé »

Rami Abou Jamous

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, il a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l'armée israélienne. Ils se sont réfugiés à Rafah, ensuite à Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat. Un mois et demi après l'annonce du cessez-le-feu de janvier 2025 — rompu par Israël le (…)

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Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, il a dû quitter en octobre 2023 son appartement de Gaza-ville avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, trois ans, sous la menace de l'armée israélienne. Ils se sont réfugiés à Rafah, ensuite à Deir El-Balah et plus tard à Nusseirat. Un mois et demi après l'annonce du cessez-le-feu de janvier 2025 — rompu par Israël le 18 mars —, Rami est rentré chez lui avec Sabah, Walid et le nouveau-né Ramzi. Pour ce journal de bord, Rami a reçu le prix de la presse écrite et le prix Ouest-France au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.

Jeudi 4 septembre 2025.

Il y a quelques jours, j'ai reçu un appel téléphonique d'une amie qui vit en France :


— Rami, là apparemment c'est sérieux. Les Israéliens vont occuper toute la bande de Gaza et ils vont déporter la population. Le projet est sur la table et il va se faire. Est-ce que ce n'est pas mieux pour toi qu'on essaye de t'évacuer ?
— Pourquoi devrais-je partir ?
— Pour préserver ta vie et la vie de ta famille, de tes enfants. Pour ne pas, être massacrés.

Cela m'a fait penser à la question de la responsabilité. En fonction du choix que je ferais — ou ne ferais pas —, je serais responsable de ce qui peut m'arriver – voire nous arriver. De même, les mouvements armés palestiniens seraient responsables des massacres commis par les Israéliens. Cette idée a refait surface récemment dans les médias occidentaux. Et pas seulement par rapport à ce qui se passe aujourd'hui à Gaza : nous, les Palestiniens, nous serions responsables de tout ce que nous subissons depuis le partage de la Palestine, depuis 1948, et même avant !

En clair : tu vis dans une jolie maison tranquille, tu accueilles tout le monde chez toi, et d'un seul coup, il y a des gens qui ont décidé de promettre ta maison à un autre, parce que sa famille a été massacrée en Europe.

Le propriétaire de la maison a dit « Non, c'est ma maison. Si quelqu'un veut venir chez moi, je l'accueillerai avec grand plaisir. Mais c'est ma maison. Je ne la donne pas, je ne la partage pas avec quelqu'un d'autre. » Et voilà, grossière erreur ! Si le propriétaire refuse le partage de sa maison, décidé par l'Occident, il est responsable de ce qui va lui arriver. Pour le forcer à accepter, on va commettre des massacres, on va tuer ceux qui habitent cette maison, pour forcer les survivants à fuir. Ainsi, on obtient la moitié de cette maison. Mais c'est le spolié qui est responsable, pas ceux qui ont promis sa maison au voleur. Le propriétaire de la maison a juste fait le mauvais choix.

Le partage de la maison ne suffit pas. Le voleur veut maintenant l'occuper entièrement. Si le propriétaire veut tout de même rester dans ce qu'il reste de son foyer, s'il s'imagine pouvoir le récupérer, il doit être massacré. Et là encore, il sera responsable de sa propre mort.

Visiblement, nous n'aurions pas dû résister

Les Israéliens ont réussi à implanter cette idée dans les esprits des Occidentaux, parfois relayée, avec plus ou moins d'honnêteté. Mais elle infuse aussi chez les hommes et les femmes de bonne foi, qui veulent sincèrement notre bien. On dit que l'histoire est écrite par le plus fort. Il continue à la falsifier en direct. En plus de 77 ans d'occupation, et même en remontant plus loin dans le temps, aux accords Sykes-Picot et à la déclaration de Balfour, ils ont réussi à « cuire les pensées » de l'Occident, comme on dit chez nous, c'est-à-dire à influencer leur mode de pensée.

Sous le mandat britannique, les Palestiniens auraient eu tort de se révolter contre l'emprise grandissante du sionisme et de réclamer leur indépendance. Pour éviter d'accueillir les juifs persécutés, l'Europe et les États-Unis avaient dit « Allez trouver un autre endroit pour vous ».

Nos ancêtres et nos dirigeants ne l'ont pas accepté. Il y a eu plusieurs grandes révoltes sous le mandat britannique. Des groupes armés ont affronté les Anglais, puis les milices juives. En 1948, ces dernières ont commis des dizaines de massacres de civils à grand échelle, comme celui de Deir Yassine. Les Israéliens ont expulsé 800 000 personnes et détruit des centaines de villages. Mais visiblement, nous n'aurions pas dû résister. L'Occident a reconnu l'État d'Israël, mais pas celui de Palestine, et c'était encore la faute des Palestiniens, parce qu'ils avaient refusé le partage – alors qu'on ne leur avait même pas demandé leur avis. Voilà le narratif que l'on retrouve encore aujourd'hui dans de nombreux médias, ressassés par des ignorants.

Ces derniers recyclent toujours les mêmes arguments : des dirigeants palestiniens ont pris une mauvaise décision. Par conséquent, les Palestiniens méritent leur sort. La responsabilité n'est pas celle de l'occupant ni de ses soutiens, c'est celle de l'occupé. Je l'ai déjà dit, nous devons être des victimes gentilles, des victimes silencieuses. Nous ne devons pas résister. Et maintenant, nous devons partir. Certes, le monde commence à bouger un peu devant les massacres, les bombardements et la famine. Nous le voyons. Tout le monde veut que la guerre s'arrête, mais en même temps, la plupart des pays occidentaux continuent à soutenir Israël, politiquement, militairement et financièrement. Parce que les dirigeants du Hamas ont fait l'erreur du 7 octobre, 2,3 millions de personnes en sont toutes responsables, et donc méritent d'être tuées ou déportées.

Israël a le droit de s'étendre

Selon ce narratif, l'occupant n'est pas responsable parce que le Hamas est considéré comme un groupe « terroriste » partout dans le monde. C'est Israël qui en a décidé. Yasser Arafat a conclu un accord de paix, ce qui n'a pas empêché les Israéliens, par la suite, de recommencer à le qualifier de « terroriste ».

Pour Israël, toutes les factions qui résistent aux armes par les armes sont des terroristes. La victime ne doit pas bouger, elle ne doit même pas crier sa souffrance. Elle doit seulement se taire et surtout ne pas résister. Et à cause du 7 octobre, il faut expulser 2,3 millions de personnes.

Je sais que mon amie, celle qui me presse de partir, veut mon bien et celui de ma famille. Elle veut nous éviter la mort.

Mais quand j'entends « Rami, pense à ta famille », c'est comme si c'était moi le responsable si ma famille était tuée sous les bombes, dans les boucheries, les israéleries que nous sommes en train de vivre. Ce ne serait pas le tueur le responsable. On dira « il fallait partir ». Comme s'il n'avait pas fallu plutôt arrêter le génocide, l'occupation, libérer la Palestine. Non, ce serait seulement : vous avez fait une erreur, vous devez assumer collectivement. Si vous ne quittez pas Gaza, vous allez être massacrés et ce sera votre faute. Ainsi, tout ce qui arrive, et tout ce qui peut arriver à ma famille, c'est de ma faute. Ce ne serait pas la faute de l'occupant, pas la faute de celui qui appuiera sur la détente ou sur le bouton. Ce ne serait pas la faute des pays occidentaux qui vendent à Israël les armes qui nous tueront. Les Occidentaux disent qu'Israël a le droit de se défendre. Ils n'osent pas dire leur vraie pensée : qu'Israël a le droit de s'étendre.

Cela ne date pas d'aujourd'hui

Voilà les réflexions que m'ont inspirées cette proposition de départ, venant d'une amie chère, à qui je tiens beaucoup. Je la comprends, et en même temps j'ai compris à quel point l'Occident en est arrivé à renverser les valeurs. Comment on en est arrivé à admettre que seul Israël a le droit de se défendre, pas les Palestiniens. Comment il peut tout voler, la maison et le jardin. Et si les habitants de cette maison font quoi que ce soit contre les colons, s'ils tentent de dissuader ce voleur, il est normal qu'il se livre aussitôt à des massacres. Et ceux qui l'ont amené dans notre maison et qui le soutiennent comprennent très bien ce qu'il est en train de faire, parce que pour eux, c'est justifié. On arrive, à la fin, à ce qu'une amie me supplie de sortir de Gaza. Parce que si je reste et s'il arrive quoi que ce soit à ma famille, c'est ma responsabilité à moi. Tout ce qu'on a subi depuis 1948 et même avant comme massacres, déplacements, les colonies et l'annexion des territoires, tout cela c'est notre faute. Parce que nos leaders n'ont pas pris la bonne décision : accepter de céder notre Palestine.

Je parle souvent de la guerre médiatique. Mais celle-ci ne consiste pas seulement à empêcher les journalistes étrangers de couvrir les massacres de Gaza. C'est aussi d'agir en profondeur sur l'opinion publique, trouver des excuses aux massacres. Cela ne date pas d'aujourd'hui. Pendant la guerre de 2014, quand de 40 à 50 personnes étaient tuées dans le bombardement de leur immeuble, beaucoup de médias posaient tout de suite la question : « Est-ce qu'il y avait un membre du Hamas dans l'immeuble ? » Et si la réponse était oui, alors c'était justifiable. On pouvait tuer tout le monde parce qu'il y avait dans l'immeuble quelqu'un qui résistait par les armes. Un « terroriste », donc.

Le but est d'apprendre à la population de s'éloigner de toute personne qui veut résister, pour défaire le tissu social de notre société, pour détruire nos façons de penser et nous plonger dans l'incertitude. Est-ce qu'il faut céder ? Est-ce qu'il faut partir ? J'ai répondu à mon amie que, pour le moment, je préfère rester chez moi. Nous pouvons tous être tués, ma famille et moi. Cette décision-là, je l'assume. C'est celle de quelqu'un qui veut résister et rester dans son pays, tant qu'il peut le faire. N'oubliez pas : ce ne sera pas moi qui appuierai sur la détente. Mais ils diront que c'était ma responsabilité.

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