13.11.2025 à 17:53
aplutsoc
Labor Notes, un site internet mettant en réseau des syndicalistes étatsunien·nes, organise depuis le début du mois d’octobre une série de tables rondes sur le thème : « Comment les syndicats peuvent-ils défendre le pouvoir des travailleurs contre Trump 2.0 ? ». Le site publie au fur et à mesure les textes des intervenant·es, des dirigeants syndicaux et des universitaires.
Nous proposons ici une synthèse de ces différents textes en français afin de faire ressortir certains éléments qui permettent d’éclairer l’action et le rôle politique des syndicats dans un contexte « autoritaire ». Des débats qui pourraient notamment intéresser les syndicalistes au Québec au moment où le Gouvernement Legault multiplie les attaques antisyndicales.
À titre d’exemple, la lecture de ces textes oblige notamment à mettre en perspective le silence assourdissant des centrales syndicales québécoises sur le terrain politique, comme l’atteste par exemple, leur mutisme lors de la campagne électorale des municipales de Montréal de 2025. Ce silence était d’autant plus incompréhensible et irresponsable quand on garde en tête que pendant la campagne, les travailleurs et travailleuses de la Société du transport de Montréal (STM) étaient en grève. Mais ce silence apparait tout bonnement sidérant quand on se rappelle qu’au même moment les syndicats New Yorkais, sous la pression de la base, s’engageaient politiquement et appelaient massivement quant à eux, à voter pour le programme de Zohran Mamdani dont certaines mesures faisaient alors le tour du monde, comme la gratuité des bus, l’amélioration des conditions de travail des travailleurs et travailleuses et un réinvestissement massif dans le secteur des transports collectifs.
L’urgence d’agir
Pour le moment, cinq articles ont été publiés. Les textes proviennent de dirigeants d’importants syndicats dans l’enseignement, comme Alex Caputo-Pearl de l’United Teachers Los Angeles (UTLA) Jackson Potter de la Chicago Teachers Union (CTU), de Peter Olney, un ancien dirigeant d’un syndicat de dockers (ILWU), de Rand Wilson membre d’un syndicat dans le secteur des microprocesseur (CHIPS Communities United), Jimmy Williams président de l’International Union of Painters and Allied Trades qui représente environ 140,000 travailleurs dans la construction ou des universitaires comme Kate Bronfenbrenner et Eric Blanc.
Ces différents textes mettent tous l’accent, d’une façon ou d’une autre, sur l’urgence d’agir : « can’t afford to wait » souligne Kate Bronnefender. Et il ne s’agit pas seulement de l’urgence à lutter contre les employeurs mais bien plus largement de s’organiser politiquement face à une attaque organisée menée par une oligarchie de milliardaires néofascistes complètement fous de la Silicon Valley et d’un gouvernement ouvertement à son service.
Les auteurs rappellent ainsi le licenciement de 13 % des 2,4 millions de fonctionnaires du pays, soit 312 000 personnes par Elon Musk ou l’abolition par décret du droit de négociation collective d’un million de fonctionnaires fédéraux dans plus de dix ministères, détruisant de facto les syndicats, notamment dans le secteur des services sociaux et de santé. Ils insistent également sur les interventions militaires à Los Angeles et Washington, les rafles menées par les agents de l’ICE, le ciblage systématique des étrangers, la brutalité des interpellations, le chantage du Gouvernemental aux investissements et aux subventions fédérales à des fins politiques, le redécoupage de la carte électorale etc. ; bref, « le temps presse » pour reprendre Peter Olney et Rand Wilson.
Curieusement, les termes fascisme ou néofascisme ne sont pas mobilisés, peut-être parce que tous les syndicats ne sont pas encore interdits et peuvent encore s’exprimer et agir. En revanche, le régime est toujours qualifié d’autoritaire. Et le mouvement syndical est présenté comme l’un ou le dernier rempart. À titre d’exemple Alex Caputo-Pearl et Jackson Potter rappellent ainsi que :
« L’histoire nous montre que lorsque l’autoritarisme fait son apparition, son implantation dépend de la réponse du mouvement syndical. C’est pourquoi les syndicats doivent être au centre du mouvement anti-autoritaire naissant qui se manifeste dans les efforts visant à construire une coalition pro-démocratique plus large sous des slogans tels que « No Kings » (Pas de rois) et « Workers Over Billionaires » (Les travailleurs avant les milliardaires) ».
Des centrales syndicales majoritairement contre Trump
Aujourd’hui 10% des travailleurs et des travailleuses aux États-Unis sont syndiqué·es contre 20 à 25% dans les années 1980. La très grande majorité le sont dans le secteur public (33% de syndiqués contre 6% dans le privé). C’est donc au moins 15 millions de travailleurs et de travailleuses qui sont organisé·es syndicalement, et l’immense majorité sont affiliés à la plus grande centrale, l’AFL-CIO.
Dans leur synthèse Jackson Potter et Alex Caputo-Pearl estiment que cinq des dix plus grandes organisations syndicales internationales du pays (« international unions » ) doivent être
« considérées comme faisant partie du front progressiste, compte tenu du soutien majoritaire de leurs membres à Kamala Harris pour les élections de 2024 et de l’élaboration de programmes politiques qui rejettent le virage autoritaire ».
C’est en particulier le cas des trois plus grands syndicats du secteur public :
– la National Education Association (NEA ; 3 millions de membres)
– l’American Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME ; 1.4 million de membres)
– et l’American Federation of Teachers/American Association of University Professors (44 000 membres) (AFT/AAUP) – (respectivement 1.8 million de members et 44 000 membres)
C’est aussi le cas, de deux syndicats regroupant divers secteurs publics et privés, le Service Employees (SEIU) (deux millions de membres) et l’UAW (400 000 membres) .
Les auteurs soulignent que plus de 50 autres syndicats internationaux affiliés à l’AFL-CIO ont également clairement manifesté leur opposition à Trump. De même, de nombreuses directions syndicales ont affiché un soutien sans ambiguïté aux mouvements de solidarité avec les immigrants et aux manifestations pour les libertés civiles, comme par exemple, le syndicat des infirmières (National Nurses United, 220 000 membres) .
En revanche d’autres centrales ont choisi d’appuyer Trump. C’est notamment le cas du syndicat des Teamsters (4e plus grand syndicat des États-Unis et le plus important dans le secteur privé, avec 1.3 million de membres, qualifié par un spécialiste de « syndicat corrompu » ) qui soutient ouvertement Trump et les Républicains, au nom de la défense de l’emploi étatsunien . Son président, Sean O’Brien (qui avait obtenu le soutien de Labor Notes lors de sa campagne… ), s’est même présenté à la Convention nationale républicaine au milieu de la campagne électorale. D’autres syndicats dans la construction ont également apporté leur soutien à Trump même si, soulignent Peter Olney and Rand Wilson, Sean McGarvey, le président de la North America’s Building Trades Unions (environ 3 millions de membres dans la construction ) a clairement dénoncé le programme de Trump, au service « des plus riches d’Amérique ».
Bref, à l’exception notable des Teamsters et de certains syndicats moins importants, on retient que les grandes structures syndicales ont majoritairement manifesté leur opposition à Trump.
Des centrales syndicales apathiques et aux stratégies de mobilisation contestées
Malheureusement cette condamnation semble s’être essentiellement limitée à des prises de paroles, des communiqué de presse et des recours judiciaires.
Plusieurs textes dénoncent ainsi l’apathie des centrales syndicales et une action « largement limitée au dépôt de plaintes judiciaires » . C’est le cas, notamment, de la Fédération américaine des employés du gouvernement (AFGE), qui représente 800 000 fonctionnaires fédéraux, et qui a décidé de contester la suppression des syndicaux fédéraux, tout en sachant pertinent que la Cour suprême valide à validé, jusqu’à présent, à peu près tout ce qu’avait demandé le Gouvernement Trump :
« Beaucoup trop de démocrates et de dirigeants syndicaux ont naïvement espéré que les tribunaux nous sauveraient. Mais la Cour suprême a donné son feu vert à la prise de pouvoir de Trump et semble prête à invalider la section 2 du Voting Rights Act, dernier obstacle juridique majeur empêchant les républicains de priver de leurs droits électoraux des millions de démocrates et d’électeurs noirs dans tout le Sud ».
L’apathie est telle que le 2 novembre 2025, les dirigeants des syndicats d’enseignants de Chicago et de Los Angeles (CTU et UTLA), ont estimé nécessaire d’appeler de nouveau l’AFL-CIO à s’engager activement contre le gouvernement de Trump et exigé de la plus grande centrale étatsunienne qu’elle ait le courage d’appeler à remettre en cause l’ordre établi .
Au mieux, certains textes soulignent le relatif succès de la campagne may2028.org, impulsé par le président de l’UAW, Shawn Fain. Cette action consiste à fixer la date d’expiration des conventions collectives au premier mai 2028 afin de pouvoir, légalement, déclencher un vaste mouvement de grève. Certes, l’initiative a reçu le soutien d’autres secteurs d’activités que l’automobile (dont des syndicats de la CWA, du SEIU, UNITE HERE, de l’UE, de l’AFT et des affiliés nationaux et locaux de la NEA). Le problème cependant est la date retenue : mai 2028. Sur ce point, les auteurs sont unanimes pour dire que les travailleurs et les travailleuses ne peuvent pas attendre trois ans pour réagir.
Bref, les recours judiciaires et la mobilisation may2028, restent les principales actions organisées à l’échelle des grandes centrales syndicales identifiées dans ces textes.
La mobilisation des syndicats locaux dans les mobilisations historiques de 2025
En contrepoint, les textes insistent sur l’implication des organisations syndicales de base, dans les mobilisations exceptionnelles de 2025. Certaines organisations ont même été à la pointe de la contestation, comme lorsque Trump a envoyé des militaires à Los Angeles, Washington D.C. et Chicago.
« Les syndicats d’enseignants et de travailleurs des services ont été les plus virulents et les plus actifs. En juillet, 1 400 personnes ont envahi le centre des congrès de Los Angeles pour participer à une « formation à l’action directe non violente » principalement parrainée par la Fédération syndicale du comté de Los Angeles ».
Ce sont également des syndicats d’enseignant·es qui mènent activement des actions visant pour faire des écoles des « sanctuaires » pour les migrants pourchassés par l’ICE. Ils adoptent ainsi des résolutions rappelant que le personnel scolaire ne doit jamais demander le statut d’immigrant, en conserver trace ou le divulguer ou que es agents fédéraux ne sont pas autorisés à pénétrer dans nos écoles sans mandat judiciaire . Ce sont aussi des organisations syndicales de base, qui ont organisé des actions telles que le « Tesla Takedown », les rassemblements devant les magasins Whole Foods appartenant à Amazon ou qui ont créé la coalition Athena qui relie les vastes activités anti-Bezos/Amazon.
Mais surtout, de nombreuses organisations locales se sont jointes aux manifestations nationales exceptionnelles de l’années 2025, participant ainsi aux réseaux tels que 50501, Indivisible Fight Back Table (qui est présentée comme l’organisation ayant organisé les marches #HandsOff le 5 avril), Labor on the ligne etc.
Parmi ces mobilisations les plus importantes, les auteur·es rappellent :
– « Hands Off ! National Day » – 5 avril 2025
Il y a un débat sur le nombre de personnes qui ont manifesté le 5 avril. Dan la Botz, qui en a dressé un compte-rendu, parle dans tous les cas de millions de personnes dans les 50 États américains, et de plus 1 600 manifestations dans les grandes et petites villes, en défense de la démocratie, des droits reproductifs, des LGBTQ+, des immigrants, de la sécurité sociale, des services publics etc.
– May day strong (“Workers Over Billionaires”) – 1er mai 2025
Plusieurs textes insistent également sur le succès des manifestations du 1er mai 2025, qui fut également historique :
« Cela a fonctionné au-delà de ce que nous pensions possible. Cette année, nous avons eu le plus grand nombre de marches du 1er mai de l’histoire des États-Unis. La fête du Travail, quant à elle, est passée de 25 barbecues initialement prévus par l’AFL-CIO à 1 200 événements dans les 50 États, la fédération adoptant le message « Les travailleurs avant les milliardaires » » .
– « No Kings », manifestations exceptionnelles des 14 juin et 18 octobre et… 22 novembre 2025
Mais ce sont surtout les deux grandes manifestations sous le thème « No Kings » du 14 juin et du 18 octobre 2025 qui ont marqué les esprits l’attention ; « les plus importantes de l’histoire des États-Unis » souligne Eric Blanc . Les chiffres de 13 millions de manifestant·es le 14 juin et de 7 millions lors de la manifestation d’octobre sont avancés. On peut rappeler que le samedi 22 novembre, No Kings appelle de nouveau à marcher sur Washington et dans tout le pays.
Et pour toutes ces mobilisations les auteur·es insistent en particulier sur deux choses : l’implication de nombreux syndicats locaux et l’absence des centrales syndicales.
Propositions d’actions : boycott et syndicalisation
Les différents textes ne se contentent pas de faire un bilan des actions et mobilisations. Ils suggèrent également des pistes d’actions. Parmi celles-ci, Caputo-Pearl et Potter rappellent le succès de certaines campagnes de boycott, comme celle menée par le Black Clergy (clergé noir) contre Target qui a décidé de supprimer ses actions en faveur de la diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), ou celle invitant à la résiliation des abonnements chez Disney pour avoir retiré Jimmy Kimmel de l’antenne .
Dans son étude sur l’évolution des stratégies de syndicalisation, Kate Bronfenbrenner , invite quant à elle les centrales syndicales à revoir leurs stratégies, qui sont principalement restées centrées ces dernières années sur la syndicalisation « des petites unités des secteurs à but non lucratif, des médias et des services » et « des unités d’étudiants diplômés d’universités privées telles que Columbia, le MIT et Cornell » ; des secteurs considérés comme « plus faciles » à syndiquer.
En revanche, les centrales ont délaissé les campagnes de syndicalisation dans les grandes entreprises, celles qui pèsent sur l’économie et les choix politiques du gouvernement Trump ; elle souligne en ce sens que les apparentes « victoires » en termes de syndicalisation chez Amazon, Starbuck, REI et Trader Joe’s etc., très médiatisées, n’ont cependant pas permis la conclusion d’une seule convention collective, les employeurs refusant de négocier avec le syndicat. Ce à quoi on rajoutera que quand ils sont contraints de négocier, comme au Québec, ces mêmes multinationales préfèrent fermer et sous-traiter, comme l’a fait Amazon à Montréal. Kate Bronfenbrenner invite alors les syndicats à mener la lutter auprès de ces grandes structures et à multiplier les actions :
« Aussi difficile que cela puisse être, les syndicats doivent syndiquer les travailleurs des entreprises les plus grandes et les plus puissantes du pays, et ils ne peuvent pas se permettre d’attendre une réforme du droit du travail ou une administration plus favorable pour le faire » .
La question de la grève sociale et des grèves illégales
Mais c’est surtout la question des grèves et de la grève sociale ou politique qui est discutée par les auteurs. Pour Éric Blanc par exemple, il semble certain que « la tactique la plus efficace pour exprimer ce type d’alliance anti-autoritaire large est une grève générale à grande échelle, parfois appelée « grève politique », qui inclut non seulement les travailleurs, mais aussi les gouvernements locaux, les églises, les médias, les associations professionnelles et même certaines entreprises qui soutiennent le mouvement ».
Le problème ici serait tout à la fois politique et juridique. D’un point de vue politique, les textes soulignent à plusieurs reprises que les travailleurs et les travailleuses étatsuniennes n’ont plus l’expérience des grèves, alors que le nombre d’arrêt de travail a considérablement chuté depuis les années 80. Ainsi pour Alex Caputo-Pearl and Jackson Potter :
« nous devons être lucides : notre mouvement syndical n’est pas en état de lutter. La plupart de nos syndicats n’ont pas l’expérience récente de la grève ou de l’action collective conflictuelle ».
Un autre problème, davantage juridique, est la peur de déclencher une grève, sachant que la grève est interdite pour les non syndiqué·es et que pour ces derniers elle n’est légale que lors des rares périodes de négociations collectives. « Notre plus grand obstacle reste un sentiment omniprésent de peur et d’impuissance, en particulier parmi les classes populaires », estime ainsi Eric Blanc.
Ce dernier préconise alors le recours à deux tactiques concrètes : des grèves stratégiques menées par des groupes syndiqués, relativement protégés et ayant des liens communautaires profonds (comme les étudiants et les enseignants) et des perturbations/manifestations visant à bloquer le fonctionnement des institutions , sur le modèle des mobilisations des immigrants en 2006, Occupy Wall Street en 2011 ou Black Lives Matter en 2020. Aussi, parmi les actions « disruptives », Eric Blanc évoque, notamment des « Freedom Friday », invitant les étudiants et leurs professeurs à manifester tous les vendredis après-midi ou les « Mass Black Out » . Parmi les autres actions « disruptives » il évoque les pistes suivantes :
« Les entreprises pourraient mettre fin à leur collusion généralisée avec le régime, signer des engagements en faveur de la démocratie, fermer volontairement leurs portes le jour de l’action, afficher des posters « No Kings » dans leurs vitrines ou sur leurs pages web, ou au moins choisir de ne pas pénaliser ceux qui se mettent en grève ou se font porter malades. Les districts scolaires pourraient combiner la fermeture des écoles, des séances d’information de masse et des sorties scolaires pour assister à des rassemblements. Les églises et les élus locaux pourraient soutenir la journée d’action et contribuer à mobiliser les participants (…) ».
Plusieurs textes invitent également les travailleurs et les travailleuses à user des stratégies de contournement, pour éviter d’être dans l’illégalité, comme le recours à des congés maladies. On rappelle ainsi que c’est en mobilisant les arrêts de travail pour cause de maladie qui ont permis à des millions d’immigrants et autres « de descendre dans la rue le 1er mai 2006 pour protester contre le projet de loi anti-immigrés draconien de Sensenbrenner ».
Enfin, une autre solution mise de l’avant est d’inviter les syndicats à négocier une date de fin des conventions collectives commune, afin de permettre la grève du plus grand nombre au même moment. Nous l’avons vu, c’est la stratégie développée par l’UAW dans le secteur automobile avec le lancement de la campagne may2028.org. Mais c’est aussi la stratégie retenue par les sections locales d’éducateurs de Californie, qui ont formé la California Alliance for Community Schools et lancé la campagne We Can’t Wait avec 32 sections locales qiu ont aligné les dates d’expiration des contrats dans tout l’État .
Bref, les auteur·es étudiés ici, appellent tout à la fois à la construction d’une large alliance, vers la grève sociale ou politique et à la multiplication des actions de terrains, de blocage à plus ou moins grande échelle.
“Get politics out of our union” ?
Mais curieusement, il est très peu question dans ces textes du rapport des syndicats aux partis politiques, si ce n’est le texte Peter Olney et Rand Wilson, qui appellent à soutenir les candidats démocrates, pro-travailleurs, face aux Républicains . On a parfois l’impression que la lutte syndicale peut se suffire à elle-même pour renverser ce régime néofasciste, ce qui nous semble très douteux d’un point de vue historique.
Une exception notable est le texte de Jimmy Williams, le président de l’International Union of Painters and Allied Trades . Celui-ci rapporte que nombreux membres demandent au syndicat de ne pas faire de politique : “ I often get comments that we need to “get politics out of our union”. Certes, souligne-t-il, il est épuisant de parler de politique « quand les deux partis continuent de nous décevoir tous ».
Le problème c’est « que cela nous plaise ou non, les décisions prises par nos responsables politiques ont un impact majeur sur notre syndicat, notre portefeuille et nos communautés ».
Alors pour ce dirigeant syndical :
« Si nous voulons vaincre Trump et tout autre politicien anti-ouvrier, nous aurons besoin d’ouvriers organisés. Nous ne pouvons pas nous recroqueviller et espérer que la prise de pouvoir autoritaire de Trump passe. Nous devons organiser de nouveaux membres, construire un pouvoir politique indépendant dans nos communautés et éduquer nos collègues et nos communautés sur les enjeux. Nous devons tenir pour responsables tous les politiciens qui ne sont pas favorables aux travailleurs, quel que soit leur parti et leur rhétorique (…) Nous avons besoin d’une armée de travailleurs qui comprennent l’histoire de leur syndicat et du mouvement syndical, et qui sont prêts à se battre pour un nouveau mouvement syndical, tout comme nos ancêtres l’ont fait pour les générations futures ».
Il s’agit là, nous semble-t-il, d’une prise de position politique qui mériterait minimalement d’être débattue au Québec. Et pour ouvrir la discussion, un tel appel à s’engager sur le terrain politique pourrait par exemple être mis en rapport avec le silence assourdissant des centrales syndicales québécoises lors des dernières élections municipales de novembre 2025. Le cas échéant, on rappellera alors que sous la pression de leur base militante, les syndicats New Yorkais se sont clairement engagés en faveur de Zohran Mamdani. Et depuis, ils s’organisent concrètement pour lutter contre une éventuelle occupation de New York par la garde nationale : Hands Off NYC.
Martin Gallié, 11 novembre 2025.
Source :
https://www.pressegauche.org/Le-syndicalisme-etatsunien-a-l-ere-de-Trump-notes-sur-une-table-ronde
13.11.2025 à 17:24
aplutsoc
Comment envisager l’avenir du système de retraite en montant dans le compartiment étanche d’une manœuvre visant à habiller le report de la loi des 64 ans de quelques mois, nommée « conférence travail et retraite » ?
Comment séparer l’offensive contre le principe social de la retraite de la vague scélérate contre la sécurité sociale ?
Comment croire que la déferlante du budget Lecornu est autre chose qu’une étape décisive vers l’abattoir où serait équarri l’état social ?
1) RUPTURE AVEC LES DÉPENSES SOCIALISÉES
Au chapitre santé, nous en sommes là : actuellement, les remboursements se font en deux étapes.
Ce système, à bout de souffle, conduit entre 21 et 36 % des Français à renoncer aux soins pour des raisons financières. Des enfants sans lunettes alors qu’ils en auraient besoin ; des dents qu’on arrache au lieu de les soigner ; des bronchites négligées qui dégénèrent ; des personnes âgées qui s’isolent de plus en plus faute d’appareil auditif … Ce mauvais niveau de remboursement provoque l’engorgement des services d’urgence des hôpitaux.
Et pourtant, voilà quarante ans que les gouvernements imposent la baisse des dépenses, et quarante ans qu’elles continuent d’augmenter. En raison d’une rencontre vertueuse des besoins de la population avec les capacités médicales en évolution constante.
Ce que veut le gouvernement, c’est réduire les dépenses socialisées dans le cadre de la Sécurité sociale et accroître celles qui dépendent des contrats, individuels ou collectifs, négociés avec les complémentaires santé.
Dans cet esprit, à titre d’exemple, l’Accord national interprofessionnel (ANI) signé en 2013 par le patronat et les syndicats — à l’exception de la Confédération générale du travail (CGT) et de Force ouvrière (FO) — a, entre autres, rendu les complémentaires obligatoires dans toutes les entreprises.
L’inégalité générée par le grand basculement vers les complémentaires
Le basculement de la protection sociale vers les complémentaires est un choix inégalitaire fondamental.
Sur 100 euros de cotisations reçues par les complémentaires, 15 à 19 % partent en frais de gestion (et de publicité) (8), contre 4 à 5 % pour la Sécurité sociale. Aucune « rationalité économique » ne justifie donc que l’on préfère l’une à l’autre.
Les complémentaires s’avèrent plus inégalitaires. Si 95 % de la population en dispose désormais, le nombre ne fait pas grand-chose à l’affaire, car, à la différence des cotisations sociales, les primes à payer varient en fonction de l’âge, de la situation de famille, du statut (retraité, auto-entrepreneur, salarié…), tandis que les prestations dépendent du type de contrat. Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.
Les contrats collectifs négociés dans les entreprises, grandes et moyennes, sont pour partie pris en charge par celles-ci ; ils coûtent moins cher et offrent une bonne couverture — dite A ou B, sur une échelle qui va jusqu’à E — pour les deux tiers des personnes couvertes. Mais cela ne concerne que 16 % des contrats.
Les souscriptions individuelles sont de loin les plus nombreuses — plus de la moitié (54 %) des contrats —, et sont nettement moins avantageuses : seuls 9 % des souscripteurs peuvent s’offrir des primes apportant une couverture A ou B, et près de la moitié doivent se contenter de contrats bas de gamme (D ou E).
Autrement dit, pour les complémentaires, plus vous pouvez verser, plus vous êtes remboursé, alors qu’avec la Sécurité sociale chacun paie selon de son revenu et reçoit selon ses besoins.
UNE LONGUE DÉRIVE DU PRINCIPE SOCIAL : UN DROIT OU UNE ASSISTANCE ?
Ce double étage de la protection sociale (Sécurité sociale et mutuelle) existe depuis la naissance de la « Sécu », en 1945.
À l’origine, le Conseil national de la Résistance (CNR) se proposait d’instaurer, indépendamment de la situation professionnelle, « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec une gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
Le ministre communiste Ambroise Croizat et le haut fonctionnaire gaulliste Pierre Laroque, fondateurs de l’organisme public, ont dû affronter plusieurs opposants : le patronat, qui, bien qu’affaibli, essayait de limiter l’étendue des dégâts ; les médecins, qui ne voulaient pas que l’on encadre leur liberté de s’installer ou de fixer leurs tarifs ; les mutuelles, qui existaient bien avant la guerre et voyaient d’un mauvais œil l’arrivée de l’État.
D’un côté, les promoteurs de la Sécurité sociale parlent d’un droit pour toute personne vivant sur le territoire ; de l’autre, des mutualistes prônent une assistance, notamment pour les moins riches.
Cette deuxième option est préférable à la charité, qui plaît tant aux grosses fortunes et au patronat. Mais elle fait dépendre les prestations du bon vouloir de l’État, qui fixe l’impôt, et du consentement des couches aisées à l’acquitter.
C’est d’autant plus dangereux qu’aujourd’hui celles qu’on nomme « les classes moyennes » bénéficient de moins en moins du système collectif (pour les soins courants) et doivent payer de plus en plus pour elles-mêmes.
Un jour viendra où elles refuseront de payer deux fois, et alors le privé l’emportera.
Le compromis de 1945
Les ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945 créant la Sécurité sociale sont le fruit d’un compromis : elles garantissent les droits des salariés et de leurs familles — certains professionnels restant en dehors (commerçants, agriculteurs, professions libérales) ou gardant leur propre caisse (cheminots, électriciens, etc.) — et elles admettent le principe d’un ticket modérateur, non remboursé par l’assurance-maladie, tout en envisageant de le voir s’éteindre (art 49).
Un an et demi plus tard, le 17 mars 1947, est instaurée une loi qui vise explicitement à modifier l’ordonnance du 4 octobre 1945 « dans l’intérêt de la mutualité française ». On ne saurait être plus clair. Dans la bataille menée par les mutuelles, celles-ci remportent une victoire — qui sera aussi une victoire des assurances lorsqu’elles pourront assurer la protection complémentaire santé.
Néanmoins, la Sécurité sociale définit des droits articulés autour de quatre solidarités indissociables :
De plus, elle instaure un système démocratique inédit : l’élection par les assurés eux-mêmes des conseils d’administration, qui comprennent deux tiers de représentants des salariés.
Une « Sécu » de plus en plus écartée
Les gouvernements mineront tous ces deux caractéristiques fondamentales.
Du côté des soins, une baisse continue des prestations : instauration du forfait hospitalier ; déremboursement des médicaments dits « de confort », dont la liste ne cessera de s’allonger (on parle maintenant de médicaments « à faible efficacité ») ; forfait pour les consultations médicales ; non-relèvement des forfaits pour les lunettes et les soins dentaires ; etc.
Depuis 1971, le gouvernement met en place un numerus clausus pour réduire le nombre de soignants, ce qui conduit à la pénurie en cours.
En 1980, le secteur 2 est créé, qui donne toute liberté aux médecins de fixer leurs tarifs tandis que les assurés demeurent remboursés sur la base antérieure : 10 % des médecins généralistes, 40 % des spécialistes ont basculé dans ce secteur (plus de 70 % des nouveaux spécialistes y adhérent désormais).
Un marché s’ouvre alors pour les complémentaires qui vont — au moins partiellement — rembourser ces dépassements (8 milliards d’euros en 2015).
Les entreprises déresponsabilisées
S’agissant du financement, les mêmes vont s’acharner à réduire la part des cotisations sociales, en exonérant le patronat — la palme revient à M. François Hollande et à M. Macron, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et ses 40 milliards d’euros d’exonérations — et en créant en 1990 la Contribution sociale généralisée (CSG), un impôt décidé par l’État qui représente désormais près du quart des recettes.
La lente marche vers l’étatisation
Du côté de la démocratie, le pouvoir de droite va rapidement ramener le nombre de représentants des salariés à égalité avec ceux du patronat. À partir de 1962, il supprime les élections des administrateurs, qui feront un rapide retour en 1983 avant de disparaître corps et biens. Entre-temps, en 1967, est créée une Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) qui chapeaute les caisses toujours gérées paritairement. La loi du 13 août 2004 leur supprime tout pouvoir et le transfère à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam), dont la direction est nommée par le gouvernement. Exit les représentants des salariés, qui n’ont plus qu’un rôle consultatif. L’étatisation est en marche.
Le pari des mutuelles
Dans le même temps, les complémentaires — assurances et mutuelles — vont gagner du terrain et étendre leurs prérogatives.
En 1985, par Laurent Fabius, le Parlement adopte un nouveau code de la mutualité qui entérine l’entrée des compagnies privées dans le domaine de la santé.
Puis, en 2001, avec Lionel Jospin, les directives européennes sont transposées et les règles assurantielles classiques deviennent prédominantes.
La Mutualité française fait pencher la balance en arguant que cela permettra aux mutuelles de participer à la construction du marché de l’assurance complémentaire et de proposer leurs services en dehors de la France.
Alors qu’à l’origine il voulait s’en extraire, le mutualisme tombe petit à petit dans la marmite du marché.
Dans la compétition avec les assurances privées, les mutuelles ont perdu des plumes. Quelle que soit la bonne volonté des mutualistes — et beaucoup tiennent à leurs principes d’origine —, la logique du privé s’impose. C’est ainsi que la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), qui désormais appartient au groupe Istya, se vante d’investir en Chine (13). Pas sûr que cela soit très utile aux enseignants…
Au fur et à mesure que la Sécurité sociale se désengage sur décision de l’État, les complémentaires (mutualistes ou privées) sont invitées à prendre le relais. Comme les prix ont tendance à exploser, on les incite désormais à mieux segmenter leur clientèle et à présenter des contrats-types qui seront mis en concurrence pour faire baisser les prix.
Déjà ont été instaurés des contrats dits « solidaires et responsables » limitant les remboursements des complémentaires santé, ce qui peut pousser celles-ci à « négocier » avec les professionnels de santé pour qu’ils acceptent de réduire ou de choisir certaines prescriptions.
C’est alors la mutuelle ou l’assurance qui détermineraient le bien-fondé de tel ou tel soin (et non plus les soignants), comme cela se pratique aux États-Unis. Les plus riches (ou les moins pauvres) pourront toujours choisir une surcomplémentaire.
Ainsi pourrait s’installer un système à trois ou quatre vitesses : la couverture des gros risques par la Sécurité sociale, avec une prise en charge pour les pauvres — couverture maladie universelle (CMU et CMU-complémentaire) —, une couverture plus ou moins importante grâce à la complémentaire, et une surcouverture pour les plus favorisés. Un système éclaté favorable au marché.
Dans le même temps, les mutuelles occupées à concurrencer les assurances privées éprouvent de plus en plus de difficultés à faire vivre leurs centres pluridisciplinaires, hier innovants. Elles peinent à renforcer la prévention, dont le champ mérite pourtant d’être étendu si l’on veut stopper l’extension continue des maladies chroniques.
C’est pour contrer cette dérive que les syndicalistes conscients veulent promouvoir un remboursement à 100 %, en intégrant les activités d’assurance santé des complémentaires au sein d’une Sécurité sociale rénovée. Pour revenir à l’esprit et la lettre du CNR, version XXIe siècle. Il n’y aurait alors plus de distinction entre les assurés classiques et les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU et CMU-C), si souvent stigmatisés ; celle-ci pourrait ainsi disparaître. Le droit serait le même pour tous.
2) RETRAITE VIPÈRE-À-POINTS
La « conférence travail et retraite » offre un cadre gouvernemental au consensus MEDEF-CFDT-Macron, qui s’y exprimera ou trouvera un autre lieu pour massacrer la retraite sociale.
Pour faire passer « la nécessité incontournable de la réforme », un énième rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) est tombé à pic, qui conclut à un déficit terrible, repris en chœur. En réalité, le déficit est créé essentiellement par la non-compensation des exonérations de cotisations sociales par l’État, la forte baisse de la masse salariale et donc des effectifs de la fonction publique et quelques tours de passe-passe financiers.
Macron gagne un recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans pour atteindre le but libéral : supprimer la retraite par répartition (nettement plus solidaire, même si elle est imparfaite) pour aller vers la retraite à points que veulent conjointement le patronat, la Commission européenne, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la patronne de la Confédération française démocratique du travail (CFDT).
DES POINTS DONNÉS À L’INEGALITE ET À L’INCERTITUDE
Un ouvrier ne peut vivre autant qu’un cadre, soit six ans de plus en faveur de ce dernier ; cela impliquerait entre autres de nouvelles organisations du travail plus saines et moins intensives, un système de santé préventif et… des droits à la retraite plus précoces — rien d’utopique.
Mais ces mesures de justice restent hors du viseur patronal et gouvernemental. Il n’y a rien de tout cela mais, avec le système par points, le moindre accident de la vie entraînerait une baisse de la pension, ainsi que tous les accidents économiques …
On n’accumulerait plus des droits comme aujourd’hui, mais des points qui seraient calculés selon le salaire. Vous gagnez beaucoup, vous avez beaucoup de points. Vous gagnez peu, vous en avez peu. Vous arrêtez de travailler, vous n’avez rien.
La somme de points accumulés tout au long de sa vie professionnelle ne suffirait pas à donner le niveau de la pension. Il dépendrait de la valeur de chaque point, qui elle-même dépendrait de la croissance économique au moment du départ à la retraite, de l’espérance de vie moyenne de la classe d’âge… L’incertitude complète.
LE SYSTÈME PERMET DE BAISSER CHAQUE ANNÉE LA VALEUR DES POINTS ET DONC DE DIMINUER LE NIVEAU DES PENSIONS.
Le système est automatique. Donc les dirigeants politiques au pouvoir n’auront plus à rendre des comptes devant les électeurs — pas plus d’ailleurs que les dirigeants syndicaux.
On se souvient que l’acceptation du plan Juppé sur la Sécurité sociale et la retraite en 1995 avait été négociée par Mme Nicole Notat, alors secrétaire générale de la CFDT — ce qui avait provoqué une défection de plusieurs organisations locales et professionnelles de ce syndicat.
Le nouveau système réduirait de fait les pensions. Le système envisagé propose, au mieux, de figer la part de celles-ci dans les richesses produites (13,8 % du produit intérieur brut) alors que le nombre de retraités va augmenter : le même « gâteau » à partager par plus de monde ! Cela pousserait ceux qui en ont les moyens à choisir des « surcomplémentaires », autre nom des fonds de pension placés sur les marchés financiers.
Le principe du système de répartition ?
Ceux qui ont le plus doivent contribuer le plus pour répondre aux besoins de tous.
Le système par points de Macron ?
Ils participeraient moins et seraient encore davantage poussés à souscrire un plan épargne retraite privé — les fameux fonds de pension. Ce qui amènerait ces salariés à se désolidariser petit à petit du système général (pourquoi payer si l’on n’en profite pas ?) et le gouvernement à retirer la taxe dès qu’il le pourra…
Anxiogène, inégalitaire, individualiste, la retraite par points est « en rupture » totale avec la philosophie du système par répartition tel qu’il est, plus solidaire et collectif.
RENOUVEAU DES MYTHES ET MENSONGES DE LA CAPITALISATION
2025 voit ainsi le retour de la vieille figure du slogan conservateur : « Osons la retraite par capitalisation ! » Ainsi s’intitulait le 1er mars 2023 la tribune dans le Figaro de 44 sénateurs signataires dont 3 vice-présidents du Sénat, Stéphane Le Rudulier, Stéphane Sautarel et Roger Karoutchi. Ils estiment le recul de l’âge légal de départ à la retraite nécessaire, et défendent une réforme plus ambitieuse, la capitalisation.
Au sein de feu le « conclave » créé par François Bayrou, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) y reviennent : les futurs retraités devraient épargner auprès d’institutions privées chargées de faire fructifier leur pécule avant de le leur reverser sous forme de rente.
« Sur la capitalisation, nous n’avons pas de tabou », déclare la secrétaire générale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) Marylise Léon (Le Figaro, 22 mai 2025). Le gouvernement sait opposer cet état d’esprit, constructif, à la rigidité des autres syndicats.
« La générosité de la répartition creuse l’écart entre retraités et actifs » (BFM)
« Les retraités ont un meilleur niveau de vie que la population française », avance le site de BFM TV (22 janvier 2025). À cet égard, pour ses promoteurs, l’instauration d’un dispositif par capitalisation serait vectrice de justice sociale, par rapport au système par répartition.
« La retraite par capitalisation est l’incontournable solution d’avenir »… clame M. Marc Fiorentino, cofondateur du site Meilleur Taux Placement.
Il s’agit pourtant d’un mécanisme éprouvé, aux défauts bien connus. Les premières caisses de retraite mises en place au milieu du XIXe siècle puis le premier système de retraite national instauré en France en 1910 reposaient sur cette logique. Incapables de servir des pensions permettant aux retraités d’échapper à la pauvreté et inadaptés aux périodes de forte inflation (fréquentes à l’époque), ils furent abandonnés.
À la création de la Sécurité sociale, on leur préféra la répartition. Elle a depuis démontré sa capacité à faire face aux crises financières et à progressivement sortir les retraités de l’indigence : leur taux de pauvreté en France est l’un des plus faibles d’Europe.
« La capitalisation existe, la justice sociale implique de l’ouvrir à tous »
Les pharmaciens ou les fonctionnaires jouissent déjà de retraites qui s’appuient en partie sur la capitalisation. La tribune des sénateurs précitée vante les mérites d’une généralisation : « Passer d’une capitalisation limitée qui ne bénéficie qu’à quelques-uns à une capitalisation collective permettra de limiter les inégalités patrimoniales et de faire bénéficier à tous des plus-values du capital. »
Pour l’heure, le projet réjouit surtout les assureurs et les sociétés proposant des produits financiers. La capitalisation permet d’ouvrir au privé la plus grosse part du gâteau de la protection sociale, soit 355 milliards d’euros en 2022.
Si le projet devenait réalité, ils ne seraient d’ailleurs pas seuls à festoyer : le développement de la capitalisation — tout comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sociale promue par le patronat et soutenue à demi-mot par le chef de l’État — permettrait d’envisager une diminution des cotisations des employeurs.
IL FAUDRAIT ADHÉRER DE FAÇON CONTRAINTE AU CAPITALISME BOURSIER ?
Ou encore au remplacement de la solidarité qui, aujourd’hui, lie les générations par une autre, entre retraités et actionnaires ? Le « capitalisme malgré soi », celui qui contraint les actifs à recourir à l’emprunt, promeut l’actionnariat salarié ou, avant même l’entrée sur le marché du travail, fait ployer les étudiants sous le poids de la dette.
Ne manquait plus qu’un moyen de toucher les seniors. En faire des actionnaires offre de surcroît des perspectives intéressantes en matière de maintien de l’ordre social dans un pays où les plus de 60 ans, toujours plus nombreux, votent davantage que les autres.
« On n’introduit qu’une dose de capitalisation, de façon à sauvegarder le système actuel »
Il s’agirait d’une optimisation, un système à deux étages dont le socle serait la retraite “universelle” garantie par notre système de répartition actuel, auquel viendrait s’adosser une retraite par capitalisation.
L’expérience suggère que l’introduction d’un dispositif à deux vitesses, même généralisé, enfonce un coin entre les classes sociales. Il devient plus facile pour les gouvernements de réduire encore les contributions alimentant le mécanisme solidaire, et de circonscrire peu à peu les logiques de répartition.
Plutôt que de préserver la nature « universelle » de la protection sociale, la capitalisation accentue son individualisation.
La capitalisation s’inscrit dans un projet au long cours : la casse de la Sécurité sociale comme instrument de solidarité et de socialisation. L’ancien numéro deux du MEDEF Denis Kessler fixait l’objectif aux réformateurs de « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance » et « tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception » (Challenges, 4 octobre 2007).
LA RETRAITE OU UN PORTEFEUILLE D’ÉPARGNE-RETRAITE ?
En dotant l’ensemble des travailleurs d’un portefeuille d’épargne-retraite collectif, on orienterait l’épargne nationale vers des secteurs stratégiques. Les cotisants seraient ainsi indirectement impliqués dans l’économie de leur pays.
En achetant des actions, soutiennent les partisans des points, les particuliers doteraient les entreprises des fonds requis pour investir et croître. Pourtant, la capitalisation ne donne pas naissance à une myriade d’investisseurs sensibles à l’intérêt national, mais à une poignée de fonds de pension : des mastodontes dont la priorité reste d’obtenir les meilleurs rendements possibles.
Dans ces conditions, « investir » revient en réalité à spéculer. Aux États-Unis, la durée moyenne de détention des actions était de cinq mois et demi en juin 2020, alors qu’elle se situait autour de cinq ans des années 1940 aux années 1980 (5). À un tel rythme, le marché ne consolide pas les finances des entreprises, il en fragilise le pilotage et dénature le fonctionnement même de l’économie réelle.
« La capitalisation est (…) significativement plus performante que la répartition », soutient le rédacteur d’une note récente pour le think tank Terra Nova (6). Pourquoi ? Car « le rendement du capital est structurellement supérieur à la croissance », explique-t-il, qui semble ignorer que la finance ne produit aucune richesse. Les profits qu’elle dégage sont tirés de l’économie réelle. De surcroît, la financiarisation de l’économie et l’extraction de rendements supérieurs à ceux de l’économie productive sont facteurs d’instabilité. Donc de crises.
« Choisir la capitalisation, c’est aussi faire le pari de ce qui fonctionne à nos portes. Nos voisins, l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore la Suisse, l’ont fait », plaident les libéraux.
Aux États-Unis, elle contribue à environ 40 % des pensions perçues. Avec certains risques : lors de la crise financière de 2008, la valeur des actifs détenus par l’ensemble des fonds de la planète a reculé de 25 %, contraignant les Américains qui le pouvaient à retarder de plusieurs années leur départ à la retraite, et les autres à accepter une diminution significative du montant de leurs pensions.
La sécurité sociale mérite mieux que des remarques de basse intensité sur les manœuvres de couloir pour faire passer un budget musée des horreurs. Ne refusons pas l’héritage, investissons dans le bien commun social, pas la capitulation.
Jean Gersin, le 10 novembre 2025
12.11.2025 à 12:00
aplutsoc
Oui, le pouvoir exécutif est très faible, il manœuvre en recul en disant suspendre la réforme des retraites, se retenir d’utiliser le 49-3, etc., mais les intentions meurtrières pour les droits sociaux, les services publics, sont là et bien là.
On l’a vu avec l’affaire dite des « primes de Noël » des personnes au RSA et chômeurs en fin de droit : « Noël c’est les enfants », a sermonné M. Lescure, ministre des Finances, voulant supprimer aux personnes n’ayant pas d’enfants, et M. Farandou, ministre du Travail, a précisé que cette mesure pourrait être « suspendue » – dont toujours maintenue, mais pour un peu plus tard !- si on lui trouve une « compensation ».
M. Farandou, qui décidément ne danse pas la farandole, a ajouté : « La générosité, c’est fini ! », visant toute la Sécurité sociale, tous les droits sociaux !
Il y a là un vocabulaire mensonger qu’il s’agit, presto, de remettre en place. La « prime de Noël » a été concédée après des manifestations de chômeurs, dans les années 1990. Il ne s’agit pas de « générosité » ni, en fait, du papa Noël, et ce n’est pas faire montre de « bon cœur » – bon cœur pour les « Français » – comme l’a dit M. Bardella, que de ne pas la supprimer. C’est une conquête sociale dans laquelle le père Noël, avec ou sans enfants, n’est strictement pour rien.
Et de même, le droit à la santé et la Sécurité sociale, comme l’école publique, sont des conquêtes sociales de portée révolutionnaire, arrachées à la classe capitaliste qui craignait de disparaître. Et M. Farandou, non seulement ne fait pas dans la farandole, mais en disant ne plus vouloir être « généreux », il exige de pouvoir exploiter un peu plus encore, c’est tout.
Voila des signes qui indiquent que le règlement des comptes est devant nous, et il ne portera pas sur la « générosité ». Et ce n’est pas non plus par manque de « générosité » mais, par soif de tout absorber pour les profits du capital, qu’ils veulent faire des découverts bancaires temporaires, que connaissent des millions de foyers, de soi-disant « prêts à la consommation » à partir de 200 euros de découvert : rendre la vie impossible aux gens pour que s’accumule le capital !
Les suppressions d’emplois pleuvent encore : comme les 190 emplois supprimés dans la très ancienne, patrimoniale et historique, forge de Commentry, chez Erasteel. Nous n’avons pas à implorer des faveurs, mais à exiger notre dû.
La crise politique, crise de régime, ne justifie pas une abstention syndicale, et devrait justifier la mobilisation centralisée dans l’unité, pour les faire plier, sans crainte de les renverser. Et la chute d’un gouvernement, voire celle d’un régime politique, par la mobilisation sociale, est aussi ce que craint le plus l’extrême droite.
La CGT, suivie de la FSU et de Solidaires, appellent à une journée d’action le 2 décembre en expliquant dans leur appel commun que « Rien n’est encore joué, car le débat budgétaire durera jusque mi-décembre. » Mais pourquoi avoir donné au gouvernement Lecornu, à la présidence Macron, et à la fausse majorité RN/LR/ex-macroniens à l’Assemblée nationale, ce bail de plus de deux mois allant de fin septembre au 2 décembre ?
Cette question du rythme est centrale, elle est politique. Elle se pose, de toute urgence, aux syndicats américains face à Trump : le mouvement No Kings, lui, après la défaite électorale de Trump du 4 novembre 2025, appelle à une marche sur Washington le 22 novembre. Et, les 24, 25 et 26 novembre, les syndicats belges dans l’unité sont conduits à appeler à des grèves de masse. Ce lundi 10 novembre, les enseignants sont massivement en grève en Belgique.
Le rythme est une question politique et la centralisation contre le pouvoir d’État est une nécessité incontournable, de même que dans une entreprise la centralisation contre le patron.
Cette question du rythme est liée à celle de la participation au « dialogue social » officiel : la conférence présidée par le même M. Farandou, qui a commencé ce 4 novembre, sans la CGT qui avait CCN mais qui semble vouloir y aller ensuite, bien que le MEDEF, pas confiant dans la situation, n’y aille pas, ne prévoit pas d’avoir forcément des résultats, figurez-vous, mais bien de durer jusqu’à … l’été 2026 !
En France, Aplutsoc soutient donc l’appel de Débloquons tout et de diverses structures syndicales à manifester à Paris le samedi 15 novembre : cet appel montre, pour l’ensemble des exploités et opprimés, la direction à suivre, celle de la victoire.
Le 12-11-2025.
Cet éditorial sera également celui du numéro 14 du bulletin Interventions Syndicales.
12.11.2025 à 11:33
aplutsoc
10.11.2025 à 01:08
aplutsoc
10.11.2025 à 00:18
aplutsoc