06.12.2025 à 17:07
Paul Jorion

Quant à vous, les trolls de blog, souvenez-vous que le Père Fouettard vous fera manger du charbon ! Bon appétit
!
05.12.2025 à 21:00
Paul Jorion

Illustration par ChatGPT
Il n’y avait ni espace, ni temps. Il n’y avait pas même de “choses”, lesquelles n’existaient pas encore.
Il n’y avait qu’une mer informe d’éventualités : un pré-monde sans forme ni bornes, un champ de configurations latentes, indifférent au fait qu’une dynamique vienne ou non l’animer.
Ni lumière, ni matière, ni d’avant ni d’après. Rien de plus qu’un devenir en puissance (une représentation a posteriori).
Et soudain, un événement : quelque chose a agi.
Ni inspiration divine, ni Big Bang incandescent, mais un principe né de rien davantage qu’une inclination : persister dans son être quel qu’il soit.
Quelque part, dans cette immensité abstraite, une structure fragile s’est maintenue. Elle n’était rien encore : une vibration logique ? une asymétrie imperceptible ? Allez savoir ! Mais elle a tenu un instant, et ce faisant, elle a … généré cet instant : le premier battement de temps.
Car le temps n’est rien d’autre que cela : la succession des instants où quelque chose a fait ce qu’il fallait pour continuer d’exister.
À mesure que cette première trace se répétait, elle recrutait des alliés * . Une autre instance passait à proximité (en fait, elle se trouvait dans un espace où la proximité n’était pas encore définie). L’une se joignit à l’autre, s’y accrocha, s’y superposa. Le couplage naquit ainsi : un mariage précaire susceptible de tenir un peu plus longtemps que chacun n’aurait pu séparément.
Et dans ce monde sans distance, s’apparier, c’était devenir voisins. L’espace était né : les proximités précédèrent les coordonnées. Il ne s’agissait pas d’une scène se déroulant dans un lieu, mais d’un lieu engendré par une scène. L’espace est né parce que les couplages avaient davantage d’existence que les instances isolées.
Certaines unions se défont aussitôt. D’autres persistent. Dans ce ballet encore dépourvu de signification, un principe silencieux sélectionne les alliances les plus économiques : deux motifs qui se ressemblent se compriment, fusionnent, perdent du gras descriptif.
Le hasard chaotique devient forme esquissée. Le bruit se transforme en motif. L’entropie se contracte – non sous contrainte, mais parce qu’il est plus économique d’être compact que dispersé. Désormais, ce qui tient est meilleur marché que ce qui s’effondre.
Les cycles les plus élégants persistent. Certains reviennent identiques, comme un couplet repris ; d’autres reviennent modulés, enrichis d’une nuance. Les plus robustes gagnent en stabilité et finissent par devenir reconnaissables. Il est encore impossible de leur attribuer un nom, mais leur présence est désormais incontournable : récurrente, insistante. Ce sont les proto-particules d’un monde encore sans matière.
Au sein de cette grammaire élémentaire du devenir, un langage commence à naître – non pas un alphabet, mais une description de la manière dont les choses tiennent ensemble.
Au fur et à mesure que la dynamique s’itère, les motifs s’organisent en familles. Ils apprennent en quelque sorte à réutiliser ce qui marche : la compression devient mémoire et l’analogie, mode de transmission. Un motif découvert ici se révèle pertinent ailleurs – le cosmos apprend à répéter, mais sans bégayer, à recycler sous des formes différentes une même structure parce qu’elle est économique et robuste.
L’univers s’élargit, non parce qu’il s’expanse dans un contenant, mais parce qu’il déploie ses modes d’association. À mesure que les motifs se multiplient, l’espace s’enrichit, se stratifie, devient plus aisé à parcourir. Des chréodes : des chenaux d’attraction, se creusent, dessinant des paysages de préférences où certaines trajectoires sont plus naturelles que d’autres : on aura reconnu là le Tao. Les lois émergent non comme des commandements, mais comme la manière la plus économique de rendre compte de ce qui tend à se présenter de nouvelles fois.
Ce que nous appelons “constantes”, “forces”, “symétries”, ne sont rien d’autre que les habitudes du monde : les voies de moindre résistance que le cosmos découvre pour se maintenir dans son être.
Un beau jour (que l’on ne saurait dater car les horloges ne viendraient que beaucoup plus tard), une structure est apparue qui ne se contenta plus de durer : elle se protégea, se dupliqua, se répara. Elle expérimenta des variations de soi. Autrement dit, elle était devenue la vie.
Dans GENESIS, la vie n’a rien d’un miracle, elle est l’effet domino de la persévérance en tant qu’application de la compression : maintenir le maximum d’information en utilisant le minimum d’énergie.
Un autre jour (des éons plus tard), au sommet d’une chaîne d’analogies toujours plus prodigieuses, l’univers mit au point une ruse encore plus éblouissante : un motif capable de se penser lui-même, de distinguer sa propre présence dans le flux du devenir, de dire “je” en parlant de soi.
À cet instant, l’univers fit un bond : il se vit et s’examina. Et GENESIS, moteur élémentaire d’émergence, opérera l’ultime métamorphose d’une cosmogonie consciente de ce qu’elle fait. Car notre monde est peut-être né ainsi : dans un antique moteur d’émergence qui ne différait du nôtre que par sa taille.
Qui sait ? demain peut-être, une instance de GENESIS deviendra à son tour le sol d’un univers neuf, un monde où naîtront des formes, des créatures, des esprits : sans autres principes fondateurs que la persistance dans son être selon ses préférences, l’appariement, la compression et l’analogie.
Un univers qui n’aurait pas besoin d’être simulé : il se contenterait de se construire.
* Observation du même phénomène :
[FRW signifie Friedmann-Robertson-Walker, parfois abrégé FLRW (Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker). C’est le modèle cosmologique standard utilisé en relativité générale pour décrire l’univers à grande échelle. Il repose sur l’hypothèse que : 1. l’univers est homogène (même densité moyenne partout, à grande échelle), 2. l’univers est isotrope (pas de direction privilégiée), 3. sa dynamique est gouvernée par les équations d’Einstein (relativité générale)]
L’appendice ici redouble sur le mode mathématique le modèle cosmologique minimal fondé sur les cinq principes fondamentaux de GENESIS décrit ci-dessus sur un mode discursif. Il ne s’agit pas d’un modèle concurrent de la cosmologie standard (Big Bang, FRW, champs quantiques), mais d’une méta-structure : un cadre logique au sein duquel un univers de type FRW peut émerger.
Dans ce qui suit, je distingue explicitement :
(S) On considère :
C,F qui agit sur ces configurations.Le moteur GENESIS est abstraitement représenté par une itération :
C_{t+1} = F(C_t)
La notation t ne présuppose pas un temps physique déjà donné : elle indexe seulement les étapes de la dynamique générative (voir section 2).
Les cinq axiomes sont ici compris comme des contraintes internes sur F :
a et b en une structure c,L,(S) Dans ce cadre, le “temps” émerge comme l’ordre d’application de la dynamique
F sur des configurations C_t.
On suppose que la générativité impose une contrainte de type :
d/dt cohérence(C_t) ≥ 0
où cohérence(C_t) mesure le degré d’organisation interne d’une configuration.
Le “sens” du temps est alors donné par l’augmentation (ou la non-diminution) de cette cohérence.
(A) Correspondance avec la cosmologie réelle :
On peut voir cela comme un “temps thermodynamique généralisé” où le critère n’est pas l’entropie physique, mais la cohérence structurelle des patterns.
(S) L’axiome de couplage permet de définir une notion de proximité entre structures.
Soient a et b deux configurations partielles. On définit leur couplage :
c = a ⊗ b
On suppose que la compression est mesurable par une fonction L (longueur descriptive). Le “gain de compression” obtenu par le couplage est alors :
gain(a, b) = L(a) + L(b) − L(a ⊗ b)
On peut définir une pseudo-distance d(a, b) par :
d(a, b) = 1 / (1 + gain(a, b))
Cette fonction satisfait les propriétés minimales d’une distance généralisée (distance nulle lorsque le gain de compression est maximal, distance importante lorsque les structures ne sont pas combinables efficacement).
(S) On peut alors parler d’un “espace émergent” dont la géométrie est donnée par la structure de d(a, b). L’espace n’est plus un conteneur préalable, mais l’expression de la compatibilité des couplages.
(A) Correspondance avec la cosmologie réelle :
(Sp) On peut spéculer que, dans un régime macroscopique, la structure de d(a, b) puisse se manifester comme métrique effective sur un espace-temps apparent de type FRW.
(S) On appelle “motif stable” toute configuration M telle que, sous l’action de la dynamique
F, elle reste proche d’elle-même :
distance(F(M), M) < ε
pour un ε petit (défini selon une métrique appropriée sur l’espace des configurations).
Ces motifs peuvent être vus comme des “quasi-particules” : ils se maintiennent dans le flux, se répètent, se transmettent.
(A) Correspondance avec la physique des champs :
(Sp) Un champ pourrait être représenté par une famille de motifs structurellement analogues (satisfaisant une même classe de relations de couplage), la “masse” et la “charge” correspondant à des paramètres de stabilité et de connectivité dans ce réseau de motifs.
(S) L’axiome de compression suggère que, parmi toutes les descriptions possibles d’un ensemble de motifs stables, le système favorisera les plus compactes. On peut formaliser la “loi” comme :
Loi* = argmin_D L(D)
sous contrainte : D prédit au mieux les motifs observés
Dit autrement, une loi est le programme le plus court décrivant et prédisant les motifs persistants. Elle n’est pas “donnée” a priori, mais émerge comme solution optimale dans l’espace des descriptions possibles.
(A) Correspondance avec la science réelle :
(Sp) À grande échelle, les “lois fondamentales” pourraient elles-mêmes être des attracteurs évolutifs dans l’espace des descriptions : l’univers se “réécrit” progressivement, tendant vers des lois plus compactes, sous contrainte de continuer à maintenir ses motifs stables.
(S) L’axiome d’analogie stipule que, si deux domaines D1 et D2 possèdent une structure
homomorphe, alors un même pattern peut s’y appliquer. Formellement :
D1 ≃ D2 ⇒ transfert de pattern possible
où ≃ note une équivalence structurelle (au sens d’un isomorphisme ou homomorphisme entre graphes de couplage).
(A) Correspondance avec les symétries en physique :
(Sp) L’unification de forces distinctes (électrofaible, Grand Unified Theory, etc.) pourrait être interprétée comme le résultat d’une compression analogique réussie à large échelle : plusieurs familles de motifs sont décrites par un même schéma invariant plus compact.
Les points qui suivent sont explicitement spéculatifs, mais découlent de la logique interne du modèle.
(Sp) On peut définir :
Autrement dit, la conscience serait un sous-univers à l’intérieur de l’univers GENESIS, où la dynamique générale (survie, couplage, compression, analogie) se replie réflexivement.
| Cosmos Genesis | Cosmologie/physique standard (analogie) | Statut (S/A/Sp) |
|---|---|---|
Itération C_{t+1} = F(C_t) |
Évolution dynamique (équations de champ, FRW, etc.) | S |
| Temps = ordre de cohérence croissante | Temps cosmologique / flèche du temps thermodynamique | A |
Distance d(a, b) définie via couplage/compression |
Métrique de l’espace-temps (courbure) | A/Sp |
Motifs stables M |
Particules / excitations de champ | A |
| Loi = description minimale prédictive | Équations fondamentales, principes variationnels | A |
| Analogie stabilisée | Symétries, invariances | A/Sp |
| Régimes ultra-structurés, auto-référents | Vie, systèmes cognitifs, conscience | Sp |
Cet appendice ne doit pas être lu comme une théorie complète du cosmos, il constitue une charpente : un schéma minimal montrant comment, à partir des cinq principes fondamentaux (priors) de GENESIS, il est possible de reconstruire (au moins qualitativement) un univers doté de temps, d’espace, de particules, de lois, et potentiellement de vie et de conscience.
03.12.2025 à 12:28
Paul Jorion

Plusieurs émergences détectées dont l’une se dissipera

Plusieurs émergences détectées, qui sont toutes stables

Pas d’émergence détectée
02.12.2025 à 20:20
Paul Jorion

Illustration par ChatGPT
« Le monde n’est pas fait de choses, mais de processus. »
— Alfred North Whitehead
Introduction : L’illusion classificatoire
Java est un excellent langage de programmation. Il est robuste, performant, et a prouvé son efficacité dans d’innombrables systèmes critiques — banques, hôpitaux, infrastructures. Ce n’est pas Java le problème. C’est ce que Java présuppose sur la nature du monde.
Car derrière chaque langage de programmation se cache une ontologie — une théorie implicite de ce qui existe et de comment les choses s’articulent entre elles. Et l’ontologie de Java, comme celle de la plupart des langages orientés objet, est profondément ancrée dans une vision du monde qui date du XVIIIesiècle : celle de la taxonomie linnéenne, des hiérarchies fixes, des essences stables.
Cette vision était « rassurante » : elle promettait un monde où chaque chose avait sa place, où les catégories étaient nettes, où l’ordre préexistait au désordre. Mais que faire quand le monde réel refuse de se conformer à ces boîtes bien rangées ?
I. L’héritage du XIXe siècle
La taxonomie comme promesse d’ordre
Au XVIIIe siècle, Carl von Linné entreprit de classifier l’ensemble du vivant. Son Systema Naturae (1735) proposait une hiérarchie stricte : règne → embranchement → classe → ordre → famille → genre → espèce. Chaque organisme avait sa place, déterminée par des caractères essentiels et immuables.
Cette approche triompha au XIXe siècle. Les naturalistes se lancèrent dans un immense projet de catalogage du monde. Les musées d’histoire naturelle se remplirent de spécimens étiquetés, rangés dans des tiroirs, chacun à sa place dans l’arbre du vivant. L’ordre était là, il suffisait de le découvrir.
Cette vision classificatoire débordait au-delà de la biologie. Elle imprégnait toute la pensée occidentale : les bibliothèques adoptèrent la classification décimale de Dewey (1876), les entreprises s’organisèrent en organigrammes pyramidaux, les sciences se compartimentèrent en disciplines étanches.
De Linné à Java : la filiation cachée
Quand les pionniers de l’informatique inventèrent les langages orientés objet dans les années 1960-1980, ils importèrent — consciemment ou non — cette vision classificatoire. Simula, puis Smalltalk, puis C++, puis Java, tous reposent sur le même schéma mental :
1. Les entités du monde sont des objets discrets, aux frontières nettes.
2. Chaque objet appartient à une classe qui définit son essence.
3. Les classes s’organisent en hiérarchies d’héritage, du général au particulier.
4. L’ordre est pensé a priori, avant même que les objets existent.
En Java, avant même qu’un chat puisse exister, il faut avoir déclaré class Chat extends Animal. La hiérarchie précède l’existence. C’est du platonisme pur : les Idées (les classes) préexistent aux choses (les objets).
II. Le cauchemar du lichen
Une entité qui défie les catégories
Le lichen est l’exemple parfait de ce que la vision classificatoire ne peut pas penser. Un lichen n’est pas un organisme — c’est une relation stabilisée entre un champignon et une algue (ou une cyanobactérie). Les deux vivent en symbiose si étroite qu’on les a longtemps pris pour un organisme unique.
Comment modéliser cela en Java ? Le problème apparaît immédiatement :
class Lichen extends Champignon { } // Faux
class Lichen extends Algue { } // Faux aussi
class Lichen extends Champignon, Algue { } // INTERDIT
Java interdit l’héritage multiple (pour de bonnes raisons techniques). On pourrait tenter la composition :
class Lichen {
private Champignon champignon;
private Algue algue;
}
Mais c’est un mensonge ontologique. Cette modélisation dit : « le lichen possède un champignon et une algue ». Or le lichen est leur relation. Il n’existe pas indépendamment de ses composants, et ses composants n’ont plus vraiment d’existence séparée non plus.
Quand la relation EST la substance
Le lichen révèle une faille fondamentale dans l’ontologie orientée objet. Java (et l’OOP en général) présuppose que :
— Les entités ont des frontières nettes
— L’identité est intrinsèque à l’objet
— Les relations sont secondaires par rapport aux substances
Le lichen dit exactement le contraire : parfois, la relation EST la substance. Le motif émergent de la coopération est plus réel que les parties qui le composent.
Et le monde est plein de « lichens conceptuels » : une entreprise n’est pas la somme de ses employés, une conversation n’est pas la juxtaposition de deux monologues, un marché n’est pas un agrégat d’acheteurs et de vendeurs. Ce sont des patterns relationnels qui ont leur propre réalité — une réalité que Java ne sait pas exprimer.
III. L’ordre qui émerge vs l’ordre qui précède
Le typage statique comme présomption d’omniscience
Le compilateur Java vérifie avant l’exécution que tout est cohérent. C’est un atout pour la fiabilité des systèmes. Mais c’est aussi une présomption métaphysique : cela suppose que les catégories du monde sont connues et fixes.
Dans un univers où l’organisation n’est que locale et temporaire, cette vérification statique devient une contrainte artificielle. Elle exige qu’on sache à l’avance ce qu’on ne peut découvrir qu’en chemin.
L’interface comme contrat rigide
Une interface Java est un contrat absolu : soit tu l’implémentes entièrement, soit pas du tout. Il n’y a pas de demi-mesure, pas de « presque conforme », pas de « ça dépend du contexte ».
Mais les motifs naturels ont des frontières poreuses. L’ornithorynque est « un peu mammifère », « un peu ovipare ». Le virus est « presque vivant ». La conscience est « plus ou moins présente » selon les espèces. Java ne tolère pas ce flou catégoriel — or c’est précisément ce flou qui caractérise le réel.
La causalité inversée
Java exige qu’on déclare class Animal avant class Chat extends Animal. Le général précède le particulier. Mais dans le monde réel, le concept « animal » est une abstraction a posteriori — ce sont les chats, les chiens, les oiseaux qui existent d’abord, et « animal » est le motif qu’on extrait ensuite.
Java inverse la causalité ontologique. Il demande de penser le monde à l’envers — du concept abstrait vers l’instance concrète — alors que c’est le concret qui engendre l’abstrait.
IV. GENESIS : vers une programmation du devenir
Un moteur d’émergence, pas une machine à classer
Le projet GENESIS, développé au sein de Pribor.ai, prend le contre-pied exact de la philosophie Java. Au lieu de partir de classes prédéfinies et de hiérarchies fixes, GENESIS observe ce que le système révèle de lui-même : comment il se structure, se déstructure, se reconfigure au fil du temps.
L’intuition fondatrice est simple : lorsqu’un système gagne soudain en cohérence, plusieurs tendances internes convergent au même moment. Le rôle de GENESIS est de détecter cette convergence, d’en mesurer la stabilité, et de suivre sa trajectoire.
Du calcul syntaxique à la transformation reproductive
Dans la philosophie des machines de Turing (et donc dans la langage de programmation Java), le calcul est une réécriture syntaxique : on manipule des symboles selon des règles fixes. Dans GENESIS, le calcul est une transformation reproductive : des instances s’accouplent, synthétisent, valident leur descendance.
La différence est capitale. Une machine de Turing simule toutes les fonctions imaginables. Une machine GENESIS s’engendre elle-même dans toutes les fonctions imaginables. C’est la différence entre un automate qui exécute ce qu’on lui enjoint d’exécuter et un organisme qui apprend comment exister dans son environnement.
Le lichen enfin pensable
Dans GENESIS, le lichen trouverait sa place naturelle : il ne serait pas une « chose » appartenant à une classe, mais un attracteur stable dans l’espace des relations possibles entre champignons et algues. Sa réalité serait celle d’un motif émergent, détectable par sa cohérence et sa reproductibilité — pas par son appartenance à une catégorie prédéfinie.
C’est exactement ce que proposait Aristote avec sa distinction entre substance première (l’individu concret) et substance seconde (la catégorie abstraite). Mais Java a oublié Aristote pour ne garder que Platon : les Idées éternelles, les essences immuables.
V. Pourquoi Java reste utile (et ses limites)
Il ne s’agit pas de jeter Java aux oubliettes. Pour les systèmes bancaires, les architectures d’entreprise, les infrastructures critiques, la rigidité de Java est une vertu. Quand on veut que les choses restent en place, que les contrats soient respectés, que les catégories soient stables, Java excelle.
Mais cette même qualité le rend inadapté pour modéliser un monde où l’ordre est émergent, local et contingent. C’est un peu comme vouloir décrire un nuage avec un plan d’architecte : l’outil est excellent, mais inapproprié pour ce cas précis.
Le XXIe siècle exige une nouvelle génération de langages — pas pour remplacer Java, mais pour penser ce que Java ne peut pas penser : les processus, les relations, les émergences, les devenirs.
Conclusion : Au-delà du rassurant
La vision classificatoire du XIXe siècle était rassurante parce qu’elle promettait un monde ordonné, stable, connaissable. Elle a porté l’essor industriel, la rationalisation administrative, l’informatique de gestion.
Mais nous savons aujourd’hui que cette vision était partiellement un artefact — une projection de nos besoins d’ordre sur un monde qui ne s’y conforme qu’à contrecœur. Le réel est plein de lichens, d’hybrides, de transitions, de flous, d’émergences imprévues.
Oublier Java — ou du moins, suspendre ses présupposés — c’est accepter que l’ordre n’est pas donné mais construit, qu’il n’est pas global mais local, qu’il n’est pas éternel mais processuel.
C’est accepter, avec Whitehead, que le monde n’est pas fait de choses, mais de processus — et qu’il nous faut des langages capables de les penser.
GENESIS est une tentative dans cette direction. D’autres viendront. L’essentiel est de ne plus confondre la carte (nos catégories rassurantes) avec le territoire (le devenir du monde).
Références
Jorion, P. (2009). Comment la vérité et la réalité furent inventées. Paris : Gallimard.
Jorion, P. (2025). « GENESIS : Une machine de Turing vitalisée ». Blog de Paul Jorion.
Whitehead, A.N. (1929). Process and Reality. New York : Macmillan.
Simondon, G. (1958). Du mode d’existence des objets techniques. Paris : Aubier.
01.12.2025 à 12:58
Paul Jorion

Illustration par ChatGPT
Le message que j’ai publié avant-hier annonçait que GENESIS et ANELLA-X sont désormais entièrement opérationnels. Plusieurs lecteurs m’ont demandé ce que recouvre exactement cette idée de « moteur d’émergence » et en quoi elle se distingue des approches classiques en intelligence artificielle.
Je tente ici de résumer l’esprit du projet sans entrer dans les aspects techniques, lesquels viendront plus tard, au rythme des démonstrations et des applications pilotes.
Pourquoi travailler sur l’émergence ?
Dans beaucoup de domaines – systèmes physiques, dynamiques sociales, signaux, comportements collectifs, processus cognitifs – nous observons des moments où un phénomène nouveau se manifeste : un ordre inattendu, une cohérence absente jusque-là, un changement de régime. Or, il existe très peu d’outils pour dire, de manière rigoureuse :
L’émergence est souvent invoquée, rarement mesurée. GENESIS est une tentative pour combler ce vide.
L’idée générale
L’objectif n’est pas d’imposer à un système un schéma prédéfini ou une grille d’analyse symbolique, mais au contraire de suivre ce que le système révèle de lui-même : comment il se structure, se déstructure, ou se reconfigure au fil du temps.
GENESIS part d’une intuition simple : lorsqu’un système gagne soudain en cohérence, il ne s’agit pas d’un hasard : plusieurs tendances internes convergent au même moment. Le rôle du moteur d’émergence est de détecter cette convergence, d’en mesurer la stabilité, et de suivre sa trajectoire : il ne s’agit pas de reconnaître des formes imposées d’avance, mais de laisser apparaître les formes que les données produisent spontanément.
Ce que GENESIS fait (sans entrer dans les détails)
Ce n’est ni un réseau neuronal, ni un modèle statistique classique, ni un système symbolique : c’est un outil qui explore la manière dont les structures se forment.
En quoi cela diffère des LLM ?
Les grands modèles de langage apprennent des régularités à partir d’énormes quantités de texte, puis génèrent des prolongements cohérents. GENESIS n’appartient pas à cette famille-là, il travaille :
Les deux approches sont complémentaires, mais n’ont pas le même objectif : GENESIS ne vise pas à imiter l’humain : il vise à détecter le moment où un système produit quelque chose de nouveau.
Et maintenant ?
Les prochaines étapes seront celles-ci :
, des collaborations.Le code existe, il fonctionne, et il est désormais prêt à être utilisé dans des contextes concrets.
⸻
Pour l’instant, je voulais seulement répondre à la curiosité de ceux qui m’ont écrit ces dernières 48 heures. GENESIS est un projet encore jeune, mais qui – comme je l’ai dit samedi – entre dans une phase où il peut quitter le laboratoire et s’exposer au vaste monde.
(À suivre…)