LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie BLOGS Revues Médias
Christophe MASUTTI
Hospitalier, (H)ac(k)tiviste, libriste, administrateur de Framasoft
Souscrire à ce FLUX

STATIUM


▸ les 164 dernières parutions

01.10.2014 à 02:00

Trail : créez et partagez votre parcours en 5 minutes avec OpenStreetMap

Se livrer à son sport favori avec des outils libres, ce n’est pas toujours évident. L’un des obstacles à franchir est de travailler avec des fonds de cartes libres et pouvoir en faire à peu près ce qu’on en veut.

Ce petit tutoriel rapide à propos de Umap va sûrement vous être utile! Vous venez de faire votre parcours (ou vous en projetez un) et vous brûlez d’envie de partager le tracé avec vos amis? Il existe pour cela plusieurs solutions :

  1. Vous disposez d’un appareil qui se charge pour vous de téléverser votre tracé et une flopée de données personnelles sur un site de partage. Là, tant pis pour vous et la confidentialité de vos données, c’est un choix.
  2. Vous prenez une carte, vous scannez et dessinez ensuite le parcours par dessus… un peu laborieux, non?
  3. Vous téleversez votre tracé sur un site qui offre des fonds de carte et un éditeur prêts à l’emploi. Généralement un fond de carte IGN (issu de Géoportail) est accessible. C’est là aussi un choix, mais votre carte ne sera toujours pas libre.
  4. Vous travaillez avec Umap.

C’est quoi Umap ? Il s’agit d’une application en ligne utilisant plusieurs fonds de cartes issus du projet OpenStreetMap. Comme il s’agit de cartographie libre vous pouvez alors en disposer à votre guise pour afficher vos parcours sur votre site ou partout ailleurs sans contrevenir à des questions de copyright. Vous pouvez même choisir la licence sous laquelle votre tracé pourra être partagé. Étape par étape, voici comment faire pour obtenir le tracé ci-dessous, c’est à dire permettre à d’autres de visualiser une zone de carte sur laquelle on a tracé quelque chose.

Voir en plein écran

Étape 1

  1. Rendez-vous à l’adresse umap.openstreetmap.fr et ouvrez un compte (soit sur OpenStreetMap, ou en vous connectant avec vos comptes Github ou même Twitter si vous en avez).
  2. Cliquez sur “créez une carte”.

Accueil Umap

L’interface est relativement simple mais son aspect dépouillé (au profit de la cartographie) peut paraître déroutant.

Umap

En gros, à gauche vous disposez des outils vous permettant d’interagir avec le site et l’interface. À droite, vous disposez des outils d’édition. Ce sont ces derniers que nous allons voir de près.

Boutons Umap

L’idée générale est de partager un ou plusieurs calques sur un fond de carte. En termes clairs : je dessine quelque chose sur un calque et je partage ce calque pour l’afficher avec le fond de carte de mon choix. Les trois premiers boutons sont très faciles a) insérer un marqueur, b) tracer une ligne ou une c) forme. Pour chaque éléments que je dessine, qu’il s’agisse de ligne, de forme ou de parcours, je pourrai lui assigner des propriétés : un nom, un descriptif, des couleurs et d’autres propriétés (épaisseur de trait, interactivité, etc.) Ensuite, dans l’ordre d’apparition des boutons : d) importer des données, e) modifier les propriétés de la carte, f) changer le fond de carte, g) centrer la carte sur la zone que l’on est en train de travailler, h) gérer les permissions (possibilité de rendre l’accès privé).

Étape 2

  1. Importez vos données (outil d) soit depuis votre machine (bouton “parcourir”) soit depuis une url. Choisissez le format utilisé (par exemple GPX) et cliquez sur Importer.
  2. Sitôt importé, le tracé se dessine sur la carte qui se centre automatiquement sur la zone concernée.
  3. En double-cliquant sur le tracé du parcours, chaque point pourra être édité.

Umap Interface

Étape 3

  1. Allez ensuite dans les paramètres (bouton e).
  2. Donnez un nom à votre carte et un descriptif.

Umap Interface

Étape 4

  1. Ajoutez un ou plusieurs marqueurs pour définir des points remarquables de votre parcours : le départ, l’arrivée, un point de vue, etc.
  2. À chaque marqueur vous pourrez définir son nom (s’affichera au survol de la souris), un descriptif. Dans les propriétés avancées, vous pouvez définir sa couleur, sa forme. Dans les coordonnées, vous pouvez affiner si besoin en modifiant la latitude et la longitude.

Umap Interface

Étape 5

Revenez aux paramètres de la carte (bouton e), puis:

  1. dans les Options d’Interface, cochez les boutons dont vous laisserez l’usage à vos lecteurs. Les paramètres par défaut peuvent suffire dans un premier temps.
  2. Les propriétés par défaut vous permettent de valoriser les éléments de votre carte en particulier le tracé. Choisissez par exemple une couleur bien tranchée (un rose fushia!)
  3. Dans notre exemple, nous avons choisi une opacité de 0.5 points et une épaisseur de 8 points.
  4. Bien d’autres options sont disponibles, vous pourrez y revenir plus tard.

Étape 6

  1. Cliquez sur enregistrer le zoom et le centre actuel (bouton g). Cela permettra à vos lecteurs d’accéder directement à la zone sur laquelle vous travaillez.
  2. Dans la partie crédit : renseignez les crédits que donnez à votre carte. Ici, nous plaçons la carte sous licence libre CC-By-SA.

Umap Interface

Étape 7

  1. Cliquez sur le bouton f pour afficher les différents fonds de carte disponibles.
  2. Si vous courrez en ville, le fond de carte par défaut (OSM-Fr) devrait être suffisant. Si par contre vous courrez en nature (montagne, campagne, etc), et pour obtenir un affichage plus proche de ce que vous connaissez habituellement, choisissez le fond Open Topo Map
  3. Cliquez sur Enregistrer, en haut à droite.

Umap Interface

Étape 8

  1. Allez sur les outils de gauche et cliquez sur le bouton exporter et partager la carte.
  2. Vous avez alors votre disposition le code l’iframe que vous pourrez coller sur votre site web ou ailleurs. Les options d’export vous permettent de régler la hauteur, la largeur et autres options que vous laissez à l’usage de vos lecteurs (à savoir: le lien “plein écran” permettra au lecteur d’afficher la carte ne grand sur le site Umap).
  3. L’autre solution étant tout simplement de copier l’url de votre carte (dans la barre de votre navigateur) et de l’envoyer à vos correspondants.

Umap Interface

26.09.2014 à 02:00

Internet, pour un contre ordre social

Les bouleversement des modèles socio-économiques induits par Internet nécessitent aujourd’hui une mobilisation des compétences et des expertises libristes pour maintenir les libertés des utilisateurs. Il est urgent de se positionner sur une offre de solutions libres, démocratiques, éthiques et solidaires.

Voici un article paru initialement dans Linux Pratique num. 85 Septembre/Octobre 2014, et repris sur le Framablog le 5 septembre 2014.

Téléchargements :

26.09.2014 à 02:00

Faut-il libérer aussi le droit d'auteur ?

Qui conteste aujourd’hui à un auteur le droit de tirer les bénéfices de la vente de son œuvre ? Personne. Pourtant, que ce soit dans le domaine de la musique, du cinéma ou de la littérature, le discours des éditeurs tend à soutenir le contraire, à savoir que les actes de piratage vont avant tout à l’encontre des auteurs et l’accès libre aux ressources culturelles signifierait avant tout la mort de l’Auteur. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Le nœud du problème, au delà de l’acte de piratage qui demeure un vol, c’est la question de la cession exclusive du droit de diffusion et de vente. Ces derniers temps, des éléments très concrets illustrent parfaitement les limites de la propriété d’une œuvre et le danger des monopoles de la culture. Pour ces derniers, un auteur vivant ou mort, collectif ou individuel, ce n’est plus qu’une question de rentabilité.

Sans droit d’auteur ?

Récemment publié en français, le livre de J. Smiers et M. van Schijndel intitulé Un monde sans copyright… et sans monopole a au moins le mérite de poser les jalons d’une réflexion de fond sur les modèles économiques de la culture. Il dénonce avec force les monopoles culturels et la conception de l’œuvre comme une propriété qu’un auteur cède en totalité ou en partie à un tiers, l’éditeur de bien culturel, lui même en position dominante sur le marché. Les méfaits de cette situation sont clairement énoncés : inégalités de revenus entre les auteurs (sans rapport avec la qualité de leur œuvre), exercice de monopole et priva(tisa)tion des droits (notamment par rapport aux pays les plus défavorisés, voir ce que sont les ADPIC).

Le copyright est une notion anglo-saxonne et le droit du copyright est utilisé dans beaucoup de pays, signataires de la Convention de Berne mais qui ne font pas la distinction radicale entre le droit moral, par nature inaliénable, et les droits patrimoniaux de l’œuvre. En France, quelle que soit l’œuvre et sa diffusion, un auteur conserve quoi qu’il arrive un droit moral sur elle, qui la protège de toute atteinte à son intégrité et à celle de son créateur. Dans le monde de l’édition livresque, la plupart du temps, un auteur signe un contrat avec une maison d’édition, et cède une partie - conséquente - de son droit patrimonial (la diffusion, la vente et le bénéfice) en échange ou non d’une rémunération basée, par exemple, sur le nombre de vente des exemplaires de son ouvrage. Comme il s’agit de droit patrimoniaux, les héritiers de l’auteur peuvent en disposer (dans certains pays, ils peuvent les vendre une fois pour toute), modulo certaines dispositions que le législateur a cru bon de définir, comme la durée maximum de l’usage de ces droits, au delà de laquelle l’œuvre est déclarée comme appartenant au domaine public. Pour un synthèse claire et complète de ces enjeux, voir Option Libre, de Benjamin Jean.

J. Smiers et M. van Schijndel proposent la possibilité d’une alternative, non pas tellement à l’exercice du droit d’auteur, mais à l’usage qui est fait de la notion de propriété d’une œuvre, une propriété “transférable” et source à la fois de richesse, de pauvreté et d’inégalité d’accès à la culture. Faut-il pour autant nier le fait que l’exercice du droit d’auteur est avant tout un moyen de protection de l’œuvre et de son auteur? Si les conclusions de Smiers et van Schijndel tendent à la polémique, il n’en demeure pas moins que certains événements récents donnent sérieusement à réfléchir.

La mésaventure de François Bon

François Bon est un écrivain, lauréat de nombreux prix littéraires (le dernier, en 2004, pour le livre remarquable intitulé Daewoo) . Il a notamment mis en œuvre, en 1997, le site remue.net, l’un des premiers sites web francophones dédiés à la littérature. Il a de même fondé le site publie.net, un site consacré à l’édition de textes numériques. Fort de ses capacités littéraires, François Bon a consacré beaucoup de temps à une nouvelle traduction du célèbre livre d’Ernest Hemingway Le vieil homme et la mer. L’unique traduction francophone de J. Dutourd, actuellement publiée par les Éditions Gallimard, laisse en effet à désirer à plus d’un point. Si F. bon a jugé qu’il pouvait en proposer une, c’est que, au Canada, une œuvre est déclarée comme appartenant au domaine public 50 ans après la mort de l’auteur, et Hemingway est mort en 1961. Ainsi, en ce mois de février 2012, via le site publie.net, François Bon proposait sa traduction dans une édition numérique. Très peu de temps après, les Éditions Gallimard faisaient savoir qu’ils étaient les seuls à pouvoir proposer une traduction française de l’ouvrage, ordonnaient l’arrêt de toute distribution du travail de F. Bon, et menaçaient de demander des dommages et intérêts pour les 22 exemplaires numériques déjà vendus à 2,99 euros pièce.

Comme le résume Eric Loret, sur Ecrans.fr :

Qui a raison ? François Bon savait que le texte du Vieil Homme et la Mer était dans le domaine public au Canada. Il croyait qu’il en était de même aux Etats-Unis, ce qui aurait rendu la plainte de Gallimard obsolète, le copyright ne pouvant être plus long en France que celui du pays d’origine de l’auteur. Hélas, comme l’a expliqué Cécile Dehesdin sur Slate.fr, les droits du Vieil Homme auraient pu tomber en 1980, soit vingt-huit ans après sa publication, si la dernière épouse de Hemingway n’avait eu la bonne mauvaise idée de les prolonger, soit jusqu’en 2047) Mais comme le copyright français, c’est soixante-dix ans après la mort de l’auteur, même si les droits courent encore dans son pays d’origine, la libération du texte de « Papa » serait plutôt vers 2032. En revanche, François Bon peut vendre sa traduction en ligne au Canada, à condition que le site marchand empêche les Français de se procurer le livre litigieux.

Gallimard, qui ne veut pas endosser le rôle du méchant, a fini par déclarer que « si on suit strictement la règle, nous sommes en effet les seuls à pouvoir publier une traduction de cette œuvre. Mais, vis-à-vis de la succession Hemingway, […] nous sommes tenus contractuellement de faire respecter ces droits. François Bon n’avait probablement pas connaissance de ces accords contractualisés. »

On comprend ici non seulement que le texte sera dans le domaine public en France en 2032 (à moins qu’une extension du temps d’exploitation ne soit votée d’ici là), mais aussi que Gallimard, propriétaire des droits d’édition du livre dans sa version française élaborée par Dutourd, est aussi dépositaire de tout droit d’une œuvre dérivée de The Old Man and the Sea sur le territoire français.

Que peut-on tirer de cette histoire? Certes, les héritiers d’Hemingway ont sûrement toutes les bonnes raisons du monde pour avoir négocié (et continuer de le faire) avec Gallimard les conditions de l’usage de l’œuvre originale en France. Et Gallimard a très certainement toute l’expérience juridique pour exercer ce monopole… même si la traduction n’est peut-être pas à la hauteur de l’œuvre originale. Mais tout est une question de point de vue : peu de gens, en dehors de chez Gallimard, justement, sont à même de pouvoir juger de la pertinence de la traduction de Dutourd, et encore moins d’élus sont donc censés proposer une traduction créative et plus en phase avec l’intention originelle de l’auteur… (quand on pense au nombre de traductions différentes de Platon, d’Aristote ou de Kant, toutes comparables et permettant aux lecteurs d’approfondir leurs connaissances de ces auteurs, cela laisse rêveur…).

Des lois américaines

Mais laissons-là l’ironie. Si l’on se penche sur les récents avancements juridiques outre-Atlantique, on s’aperçoit assez vite que se multiplient les freins au domaine public et à la diffusion des connaissances. Les raisons de ces limitations et de ce lobbying sont bien évidemment économiques.

Vers la fin de l’année 2010, j’avais publié sur le Framablog un texte intitulé « Pour libérer les sciences ». Ce texte avait pour objectif de synthétiser les problèmes liés à la centralisation de l’information scientifique et au monopole des éditeurs de revues, ceci dans le but d’abonder dans le sens d’un accès véritablement ouvert à l’information scientifique et promouvoir un modèle privilégiant la diffusion des sciences qui doit, à mon sens, passer par l’adoption des licences libres. J’étais loin de me douter alors que la tension était à ce point palpable dans le monde anglo-saxon.

Récemment, en janvier 2012, T. Gowers (médaille Fields en mathématiques) a lancé un appel au boycott scientifique contre Elsevier (éditeur de plus de 2000 revues) en mettant en cause les tarifs prohibitifs pratiqués par cette firme. Je ne signerai pas cette pétition car, à mon avis, focaliser uniquement sur les coûts masque totalement le principal problème : le fait que les connaissances soient soumises à un monopole d’éditeur et que ce monopole est lui-même accrédité par les scientifiques eux-mêmes qui cèdent leurs droits d’auteur à des revues sans que le public, qui pourtant a financé les recherches en question, ne puisse profiter de ces connaissances gratuitement comme un juste retour sur investissement. Je ne parle pas non plus des effets de ce monopole à la fois tarifaire et intellectuel contre les pays qui, eux, n’ont pas la chance de pouvoir accéder à ces revues faute d’en avoir les moyens financiers suffisants pour leurs universités.

Néanmoins, toujours aux États-unis, ce sont bien les éditeurs de revues scientifiques (Springer et Elsevier en tête) qui ont manœuvré pour soumettre en décembre 2011 à la Chambre des Représentants un projet de loi intitulé le Public Research Works Act (PRA). S’il est promulgué (mais en 2008 et 2009 déjà deux tentatives de cet ordre ont eu lieu), ce texte comportera des clauses visant à interdire l’accès libre (open access) aux informations scientifiques résultant de recherches pourtant menées sur les fonds publics. Tout l’intérêt de cette loi serait donc de centraliser l’information scientifique de manière exclusive dans les revues scientifiques qui verraient donc leur monopole de fait renforcé par un monopole de droit. Un chercheur n’aurait donc plus la possibilité de diffuser son texte par d’autres canaux que celui de la revue, et si possible, l’une de celles détenues par les grands groupes. Cela dit, tout n’est pas perdu dans les couloirs où les lobbies s’affrontent : une autre proposition de loi, la Federal Research Public Access Act of 2012 a été déposée en février 2012. Elle fait suite à d’autres tentatives (sans doute répondant aux tentatives précédentes des gros éditeurs), et entre pleinement en désaccord avec la PRA en proposant qu’au contraire les résultats publiables des recherches financées sur les fonds fédéraux soient systématiquement en accès libre.

Bien sûr, nous ne parlons pas ici de littérature (quoi que les livres scientifiques soient bien souvent dotés de bonnes feuilles à rendre jaloux certains lettreux). Ce qui est en question, c’est la notion de bien commun. La particularité des bien culturels, qu’ils soient scientifiques ou artistiques, c’est que tous sans exception ont une part de l’humanité qui devrait revenir sans restriction aucune au public. L’exercice des monopoles culturels repose uniquement sur le talon d’Achille de l’exclusivité de la diffusion ou de l’extorsion de la propriété intellectuelle d’un auteur (en faisant croire que l’auteur n’a de compte à rendre ni à lui même ni au public, même si ce dernier a financé ses recherches ou si la culture de l’auteur est elle même issue d’une culture plus large qui le dépasse à titre individuel). Qu’apporte réellement un éditeur si ce n’est un savoir faire dans la fabrication d’un ouvrage et dans sa diffusion, bref un support ? Pourquoi ce support serait-il censé donner une quelconque légitimité à la privation de l’œuvre, en décidant qui a le droit de la lire et qui n’en a pas le droit, ou en privant l’auteur lui-même de sa propre volonté de diffusion ? En somme : comment pourrions nous dénier toute notion de bien commun culturel au profit exclusif du capital financier ?

Oui, il faut pirater

Dans certains cas, le piratage me semble être la seule solution envisageable. De fait, cette pratique est beaucoup plus courante et ancienne qu’on se l’imagine (souvenez vous du slogan « le photocopillage tue le livre », affiché au dessus des photocopieuses françaises à la demande des « syndicats » du livre… qui pourtant semblent se porter très bien aujourd’hui). Pour reprendre le cas des scientifiques, c’est même une pratique jugée normale. Un chercheur publie un article dans une revue à grand tirage pour plusieurs raisons : 1) parce que le système du publish or perish l’y oblige, 2) parce qu’il est fier (et a bien raison de l’être) d’avoir mené ses recherches, 3) parce qu’il veut que la communauté scientifique et plus généralement le public ait connaissance de ses recherches et 4) parce que, une fois publiées, ses recherches seront discutées et participeront à l’avancement des sciences. Les deux dernières raisons ne peuvent souffrir aucune espèce de restriction. Or, l’article ou le livre, avant même d’être publié, a déjà fait l’objet d’une circulation à l’intérieur de la communauté scientifique (le chercheur a besoin de l’avis de ses collègues), et même après la publication, l’auteur accède volontiers (en raison de l’impératif supérieur de l’intérêt de la Recherche) aux demandes de ses collègues qui voudraient se procurer un exemplaire ou, une fois que la revue est parue et presque oubliée, l’auteur diffuse son texte a qui veut le lire, et ses collègues font de même. J’ai moi-même un nombre assez impressionnant de textes scientifiques parus dans des revues et que je distribue ou qui m’ont été distribués, tout simplement parce que ces textes sont d’abord des outils de travail. Dans la mesure où l’auteur signe un contrat d’exclusivité avec la revue, cette situation ne devrait pas exister : c’est bel et bien du piratage généralisé et même institué en pratique. Je dirais même, pour en finir avec cet exemple, qu’il s’agit là de bien commun et qu’une œuvre intellectuelle (de l’esprit) ne devrait jamais être soumise à quelle exclusivité que ce soit, au même titre que les logiciels libres (qui irait breveter un algorithme : iriez vous breveter « 2+2=4 » ?… ha si, Microsoft l’a fait, et n’est pas le seul), et au contraire des brevets végétaux, par exemple.

Pour le reste, ce sont les États eux-mêmes qui, influencés par les multinationales de l’industrie culturelle, sont amenés à réguler les conditions de versement dans le domaine public en dépit du bon sens. Cela constitue en réalité un véritable appel au piratage, car dans ce jeu, personne n’est dupe : c’est uniquement pour satisfaire les intérêts lucratifs des acteurs des marchés culturels. Durant ces dernières décennies, dans à peu près tous les pays signataires de la Convention de Berne, la durée de protection du droit d’auteur n’a cessée d’augmenter, reculant d’autant plus le moment où une œuvre est déclarée comme faisant partie du domaine public. Si la Convention de Berne obligeait les signataires à adopter les mesures nécessaires pour une protection minimale de 50 ans, elle empêchait nullement l’adoption d’une durée plus longue, si bien que, dès lors que la durée de protection n’est pas harmonisée, les pays ayant le plus d’intérêts économiques entraînaient mécaniquement les autres à adopter des durées plus longues. Ainsi le Copyright Term Extension Act voté aux États Unis en 1998 et soutenu notamment et médiatiquement par la Walt Disney Company, allongeait de 20 ans la durée de protection, en la passant à 70 ans. Quelques années après, en avril 2009, le Parlement Européen décida d’emboîter le pas aux États-Unis, cette fois dans le domaine du disque et des artistes-interprètes. La décision du Parlement fut cependant retardée par une majorité de pays s’opposant à cette décision pourtant remise chaque année au vote. C’est en 2011 qu’elle fut finalement entérinée.

Jusqu’à aujourd’hui, les augmentations successives de la durée de protection n’ont fait qu’aggraver les effets de l’Uruguay Round Agreements Act (URAA), adopté en 1996, et qui a des répercutions directes et complètement absurdes sur le statut des œuvres étrangères aux États-Unis. Comme il est fort bien résumé sur le blog de Wikimedia France :

Avec l’URAA, les États-Unis ont protégé des œuvres étrangères « pour la durée de protection restante dont l’œuvre aurait bénéficié si elle n’était jamais passée dans le domaine public aux États-Unis ». Or, la loi des États-Unis donne aux œuvres publiées entre 1924 et 1978 une protection de 95 ans après la date de publication. Cela provoque des situations absurdes : les États-Unis ne reconnaissant pas la « règle du terme le plus court », ces œuvres ont beau entrer dans le domaine public dans leur pays d’origine, elles restent protégées aux États-Unis.

… Ce qui ne va pas sans poser problème pour la Wikimedia Foundation et, donc, l’encyclopédie Wikipédia, qui héberge de nombreuses œuvres et reproductions d’œuvres du domaine public dans certains pays alors même que les serveurs sont sur le sol américain.

Le domaine public, qui jusqu’à présent était considéré comme le panthéon juridique des biens culturels, est donc fortement remis en cause. L’exemple du rôle joué par Gallimard, dans l’épisode que nous avons mentionné plus haut, montre aussi que la législation américaine en la matière a des impacts cruciaux au niveau international. Les lobbies mondiaux des industries culturelles vont jusqu’à imposer aux États de se doter d’un appareillage juridique et technique afin de surveiller les usages des outils de communication, principaux vecteurs modernes de la diffusion des œuvres. Tels sont les principes de SOPA (aux États-Unis) et ACTA (en Europe).

Dans un article récent, Jérémie Nestel dénonce ces mésusages du droit d’auteur et pointe du doigt la mort annoncée du domaine public. La question qu’il pose est aussi le titre de son article : « Pourquoi investir sur des auteurs vivants quand les morts sont aussi rentables ». Car, au delà de tous les exemples où le droit d’auteur est dévoyé au service des intérêts financiers par le truchement de lois toutes aussi absurdes les unes que les autres, il y a la question de l’encouragement à la création, bientôt relégué au second plan. Les monopoles de la cultures semblent davantage se mobiliser pour la protections de leurs intérêts qu’en faveur de la création culturelle.

Son affirmation sera aussi la conclusion de cette partie :

À ceux qui arguent que le piratage nuit à l’économie de la culture, « nous » répondrons que c’est l’allongement toujours plus excessif des droits d’auteurs.

On peut effectivement se demander si le piratage de certaines œuvres ne revient pas, tout simplement, à leur faire prendre le chemin du domaine public, à contre-pied des abus des monopoles culturels. Une œuvre de salut public, en quelque sorte.

Tout le monde s’octroie des droits

Les œuvres d’auteurs disparus ne sont pas les seules à se trouver au centre des intérêts marchands. Il y a aussi les œuvres livresques disparues, toujours placées sous le régime de la protection du droit d’auteur, mais jugées trop peu rentables pour être publiées. Là aussi, on pourrait se demander pourquoi, dans la mesure où ces œuvres ne trouvent pas suffisamment de lecteurs et/ou d’investissements pour être publiées par les maisons d’édition, les auteurs eux mêmes ne pourraient pas les placer sous licence libre, ou, à tout le moins, profiter simplement des offres d’impression à la demande. Mais dans certains cas, c’est impossible car les maisons d’édition ont acquis les droits de diffusion pour une longue durée, ou parce que les auteurs ont disparus et que les œuvres se trouvent orphelines sans toutefois appartenir au domaine public.

En novembre 2011, le Sénat Français a proposé une loi visant à permettre l’exploitation numérique des livres indisponibles au XXe siècle. Pour l’AFUL, dont le communiqué sonnait manifestement très juste, cette loi n’a pour autre effet que de « bloquer la politique européenne d’ouverture de la culture et des savoirs et à faire subventionner les éditeurs par les collectivités territoriales et par l’État ». Pour preuve, en ce mois de février 2012, la BNF annonce en trompettes qu’après avoir construit leur base de donnée, elle aura le privilège de numériser plus de 500.000 œuvres ne figurant pas dans le domaine public mais seulement indisponibles à la vente. Quant aux auteurs, ils pourront faire prévaloir leur droit de retrait du processus de numérisation mais à aucun moment on ne leur demandera la permission a priori. Nombre d’entre eux, pourtant, pourraient très bien refuser ou préférer voir leurs œuvres diffusées sous format numérique de manière gratuite ou profiter de cet épuisement de ventes pour les placer sous licence libre. Néanmoins, cette préemption de la BNF — organisme public — sur le droit d’auteur ne s’arrête pas à de telles considérations : le processus de numérisation se fera sur une partie des fonds récoltés par le Grand Emprunt, et une fois cet investissement effectué sur des fonds publics par un organisme public, les bénéfices tirés de la vente de ces livres numériques seront partagés, via une gestion collective paritaire, entre les éditeurs et les auteurs (voir le communiqué de presse). Oui vous lisez bien : une rémunération des auteurs (normal) ET une rémunération des éditeurs, ceux-là même qui ont organisé la rareté des œuvres et cessé leurs publications faute de satisfaire aux exigences de rentabilité ! L’État français va donc numériser et publier des œuvres à la place des éditeurs pour ensuite les rémunérer sous prétexte qu’ils en détiennent encore les droits. C’est une magnifique entourloupe rendue possible à la fois par les opportunités que laissent les contrats de cession exclusive de droit et par la cupidité (où les intérêts bien compris de certains fonctionnaires).

Il y a quelques temps, en juillet 2011, Hachette et Google avaient signé un accord de partenariat portant sur les mêmes principes: Google numérise et diffuse, les intérêts de l’éditeur et du diffuseur sont partagés. Au moins, le partenariat restait privé, même si on peut se poser la question de la durée de leur protection une fois les œuvres dans les mains d’un acteur américain. Or, la BNF qui a si longtemps fustigé les principes de Google, participe aujourd’hui exactement aux mêmes travers et, au lieu de favoriser la diffusion ouverte d’œuvres et rémunérer exclusivement les auteurs, assure tout le travail à la place des éditeurs, sur les deniers publics, et va en plus leur reverser des dividendes. Le citoyen français payera donc deux fois. Il ne reste plus qu’à attendre l’arrivée d’une taxe sur les FAI et les contenus téléchargeables pour un jour payer une troisième fois. Ne parlons pas des procédés de type DRM qui vont être imposés aux lecteurs, utilisant une pléthore de logiciels privateurs et de formats incompatibles.

La guerre des formats et de la circulation des biens culturels ne fait que commencer.

09.09.2014 à 02:00

THK: premier trail à ambiance médiévale

Le trail du Haut Koenigsbourg ! Il était temps que je cesse enfin de faire l’ours solitaire au fond des bois pour courir une épreuve organisée. Il y en aura peu, car décidément j’aime bien être seul, mais pour cette première, un petit récit de course s’impose, d’autant plus que l’organisation fut extraordinaire…

Nous étions 500 et par un prompt renfort… !

07h00 du matin le 07 septembre 2014, arrivée à Kintzheim, petite bourgade alsacienne charmante tout juste sortie du brouillard matinal.

J’arrive pile au top départ de la version 54km du Trail du Haut Koenigsbourg, juste à temps pour taper la claque aux courageux qui s’élancent dans la fraîcheur des vignes. Une heure après, ce sera mon tour, le temps d’un petit échauffement et quelques étirements dans le quartier qui se réveille doucement.

Pour sa 4e année, le trail du Haut Koenisgbourg offrait pas moins de 4 épreuves dans la même matinée : 12km (350m+), 24km (850m+), 54km (2020m+) et 84km (3284m+).

Si on lit un peu les témoignages ici et là sur les réseaux sociaux, l’organisation fut exemplaire et c’est peu dire. L’accueil et la gestion d’un total de 1664 coureurs (non, ce n’est pas le trail du Haut Kronenbourg, relisez bien) ne fut pas une mince affaire, mais ajoutez-y, en vrac :

  • un balisage ultra clair, avec de jolies pancartes parfaitement visibles
  • un parcours littéralement enchanteur, avec des points de vue variés
  • un passage aménagé dans le château du Haut Koenigsbourg, si!
  • et en prime des ménestrels avec de la musique médiévale, et des châtelains pour nous encourager,
  • un énorme camion-douche, des ravitaillements sympas et complets, et pour couronner le tout, une chaude ambiance au départ comme à l’arrivée.

Voilà pour poser le cadre de cette course. Autant dire qu’on ne peut pas regretter de s’être inscrit. Du coup, la barre est placée très haut pour ce premier trail : ca va être dur de s’inscrire à d’autres courses!

C’est parti, ca s’accroche derrière

07h40 : Antoine me rejoint. Le collègue n’en est pas à son premier trail, loin de là. Il est à l’aise, lui… Moi, un peu intimidé par tout ce monde, je ne sais pas trop où me placer. Devant, n’y pensons même pas. Tout derrière? pourquoi pas… ou bien dans le gros de la troupe…

Peu importe, en définitive, car les 4 premiers kilomètres devraient servir à étirer au maximum le cortège, enfin, presque…

08h00 : le départ des 24km est donné par Môssieur l’maire de Kintzheim en personne. Quelques 800 coureurs s’élancent en direction des vignes. Diantre! ca part vite! Ha zut, ma montre qui ne capte pas le satellite… bidouillage…

« – tu captes, toi? – non, pas de réception! – ha si, ca vient. Hé mais c’est quoi ce cardio de malade? Elle délire c’te montre. »

En fait, le cardio se stabilisera en milieu de course. Il faut dire que c’est mon principal repère (quand d’autres regardent plutôt leur vitesse): donc soit on est vraiment parti très vite, soit le cardio déconnait, plutôt un peu des deux… Je n’en saurai pas plus. Ca monte dans les vignes, terrain bitume/béton pour commencer. On se réchauffe néanmoins au soleil rasant, dans une lumière typiquement alsacienne, juste au dessus des vignes encore un peu brumeuses, avant d’entrer dans la forêt du Hahnenberg.

Premier passage single après le premier ravitaillement… ca bouchonne… et un peu de déception…. J’avais fait le parcours en solo le 22 août, et à cet endroit, on peut courir… enfin, trottiner, quoi. Tant pis, c’est sympa, on monte au Hahnenberg file indienne, youkaïdi, youkaïda.

Je perds complètement Antoine de vue
il me dira plus tard avoir tapé une grosse accélération pour doubler plusieurs coureurs. Moi, je n’ai pas osé de crainte de devoir bousculer, et puis je discutais du parcours avec mes collègues de devant…

Arrivé à ce premier sommet, la course commence vraiment. Pas le temps d’admirer le paysage (et pourtant une très belle vue sur la plaine d’Alsace) : je décide de descendre aussi vite que possible. Finalement, je n’aurai pas gagné énormément de temps : la descente n’est pas longue et on se retrouve ensuite sur un chemin assez roulant.

Mon dossard fait des siennes, il joue au Sopalin avec la sueur : mauvaise qualité (beaucoup de coureurs sont dans le même cas, cela arrive). Je le remets, il se re-déchire… Tant pis, je le sortirai au besoin… direction mon slip.

A partir du parking de la Montagne des Singes (km 9), je commence seulement à prendre mon rythme de croisière. Le passage dans le sous-bois moussu est un enchantement. Un ravitaillement marrant au Refuge Pain d’Epices (on nous distribue… du pain d’épices, donc) et on commence l’ascension vers le château du Haut Koenigsbourg.

C’est sans doute la partie la plus pénible du parcours : un long chemin forestier ascendant, du genre où tu marches plus vite que tu ne cours, mais pas systématiquement…

Et là arrive la récompense (km 18)! le sommet ? non! le château : d’abord une châtelaine m’invite à emprunter une poterne le long du mur d’enceinte…. des escaliers (fabriqués exprès pour nous?) puis on se met à courir sur le chemin de ronde du château.

« Attention la tête! » Hé oui, les médiévaux étaient en moyenne plus petit que nous autres… enfin, pour ce qui me concerne avec mon 1,68m je n’étais pas vraiment concerné. Et là, j’ai pensé aux grands coureurs de devant, qui avaient franchi la ligne d’arrivée depuis longtemps… Après tout, un trail, c’est technique, et il faut courir aussi avec la tête. Ici, au sens propre comme au sens figuré.

Après le château, la descente vers Kintzheim. Enfin, une descente… qui comprend tout de même une assez longue partie sur un replat entre les deux sommets. C’est la particularité des Vosges. Donc rythme de croisière, on pense à autre chose. Je vois pas mal de gens avec des sales crampes en train de faire des étirements… je décide de ne pas forcer. De toute façon, l’arrivée n’est pas loin…

Arrivée et conclusion

10 minutes avant l’arrivée. Avant une dernière pente bétonnée (où je préfère marcher quelques mètres), je me retrouve un peu seul, j’en profite pour faire le point sur le temps de parcours : je mettrai finalement le même temps qu’en solo: 3h05. Compte-tenu du fait que les 8 premiers kilomètres ont été plutôt laborieux, j’ai plutôt bien couru dans l’ensemble, ce qui me laisse une belle marge de progression pour le prochain trail.

Évidemment, j’ai pris un rythme plutôt ronflant : le plus difficile aura été de courir en groupe et composer avec le rythme des autres dans les passages étroits. Beaucoup de temps peut être gagné si l’on est seul, par conséquent, il faut être un peu plus stratégique sans toutefois se précipiter.

Enfin l’arrivée! Je retrouve mon collègue qui m’a précédé d’une dizaine de minutes. Bah! il a fait la photo, merci !

Voir le parcours

CM

17.07.2014 à 02:00

Questions de sécurité démocratique

Le jour même de la série d’assassinats terroristes à Charlie Hebdo et Porte de Vincennes en ce mois de janvier 2015, plusieurs politiciens ont proposé, au nom de la sécurité collective, de revoir l’équilibre entre les libertés individuelles et la sécurité. Sur ce blog, j’ai eu l’occasion, le lendemain des faits, de signaler le paradoxe qu’il y avait à former, au nom de la liberté d’expression, une union politique autour des questions de sécurité collective dans une guerre contre le terrorisme. Dès lors il me semble important de se pencher sur les discours politiques qui ont et qui vont scander la vie publique cette année 2015.

Dans tous les cas où la sécurité publique est abordée de manière politique, le choix est imposé entre une définition de la démocratie et l’équilibre entre les droits individuels et la sécurité. Or, de tous les concepts, celui de sécurité est au mieux défini de manière floue (ce qui n’empêche pas la bienveillance, lorsque par exemple la santé ou la défense des salariés sont reconnues comme des formes de sécurité) et au pire complètement dévoyé pour servir des intérêts divergents.

Les études de cas ne manquent pas autour de la notion de sécurité démocratique, telle cette étude de C. Da Agra intitulée « De la sécurité démocratique à la démocratie de sécurité : le cas Portugais » (dans Déviance et Société, 25, 2001), ou encore cette étude sur le cas colombien. L’Unesco défend l’idée que la question de la sécurité démocratique devrait être conçue « comme une matrice au sein de laquelle les questions relevant de la sécurité pourraient être abordées de façon permanente par l’ensemble des acteurs de la société » (voir ici), de manière à éviter d’être accaparée par quelques uns et les conflits d’intérêts. Telle est la problématique soulevée par cet article sur le cas colombien, justement.

L’annonce d’une conférence qui se tiendra prochainement à l’Université de Strasbourg (voir le programme) m’a fait connaître une partie des travaux de Liora Lazarus, professeure de droit à l’Université d’Oxford. Cette dernière travaille depuis longtemps sur les questions relatives au droit et à la sécurité. Un texte de sa part, rédigé en 2010 et publié en 20121, intitulé « The Right to Security – Securing Rights or Securitising Rights » (Le droit à la sécurité – sécuriser les droits ou sécuritariser les droits) m’a semblé tout particulièrement visionnaire, lorsqu’on le lit à la lumière des récents événements terroristes sur le sol français.

Je ne résiste pas à vous livrer ici la traduction personnelle (et donc perfectible) d’une section de son article, intitulée Rhetorical expressions of the right to security (les expressions rhétoriques du droit à la sécurité).

Rhetorical expressions of the right to security

Les lecteurs ne seront pas surpris d’apprendre que le droit à la sécurité est souvent mentionné dans les discussions relatives à la « guerre contre le terrorisme ». On recourt au droit pour justifier les mesures coercitives anti-terroristes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis, ou même pour justifier l’invasion militaire ou les réponses en Afghanistan2, au Kosovo3, au Pakistan4, et dans le cas de la Colombie, en Équateur5. Il y a beaucoup d’exemples, mais deux d’entre eux démontrent particulièrement bien ce point. Lors de l’exposé de la politique anti-terroriste de l’Union Européenne, Franco Frattini déclara : « Notre objectif politique reste à trouver le juste équilibre entre le droit fondamental à la sécurité des citoyens, qui est en premier lieu le droit à la vie, et les autres droits des individus, y compris le droit à la vie privée et les droits procéduraux »6. De même au Royaume-Uni, à propos de politique anti-terroriste en 2006, John Ried, ancien ministre de l’Intérieur, déclara : « Dans la mesure où nous sommes confrontés à une menace d’assassinat de masse, nous devons accepter que les droits individuels dont nous jouissons devront s’équilibrer avec le droit collectif à la sécurité, à la protection de la vie et de l’intégrité physique que nos citoyens exigent. »7

Les hommes politiques ne sont pas les seuls à tenir ce langage. Les citoyens aussi articulent le droit à la sécurité par rapport à la « guerre contre la terreur ». Comme l’écrit Emily Cochrane dans le Carstairs Courier en Alberta :

« Le Canadian Charter of Rights and Freedoms…, déclare le droit à la sécurité des personnes. Lorsque des membres d’une organisation terroriste Taliban firent s’écraser des avions dans une attaque stratégique contre l’Amérique le 9/11, en tuant 2,973 personnes, ceux qui ont soutenu ces actions et ceux qui les ont abrité, ont perdu leur droit à la sécurité tout comme ils ont causé la perte de la vie de tant d’autres personnes. Le peuple des États-Unis a un droit à la sécurité – de vivre sans peur, et le seul moyen d’y parvenir était de neutraliser la menace à la source. »8

Ces références nous apprennent deux choses importantes : premièrement que le droit à la sécurité est mentionné pour renforcer la rhétorique politique dans une situation de conflit militaire et de guerre contre le terrorisme, d’une manière subtile et importante. Ce processus de légitimation (et peut-être de désinfection) par référence au discours sur les droits est ce que nous pourrions appeler une « conformation de la sécurité au droit » (righting security). Le cadrage du droit sur la sécurité permet aux politiques de faire passer leurs actions coercitives comme le corrélat nécessaire d’un droit. En d’autres termes, la recherche de la sécurité n’est pas seulement un choix politique en vertu d’un bien public, c’est l’accomplissement d’un devoir imposé à l’État par le droit fondamental de chaque individu à la sécurité.

De manière toute aussi cruciale, présenter de telles actions de l’État comme ayant été motivées par notre droit fondamental est au cœur de la rhétorique du « rééquilibrage » entre la sécurité et les droits de l’homme. Cette langue du rééquilibrage oppose de manière générale le droit à la sécurité de la majorité aux droits des minorités qui pourraient être violés.

L'« altérité » intrinsèque dans ce rééquilibrage rhétorique est bien illustré par l’ancien Procureur général Lord Goldsmith, qui a fait valoir qu’il est difficile de trouver un « calcul utilitaire simple pour trouver l’équilibre entre le droit à la sécurité du plus grand nombre et les droits de quelques uns »9. Néanmoins, les politiques sont en désaccord quant à l’importance du droit à la sécurité, et donc savoir où situer l’équilibre entre la sécurité et les droits de la défense qui lui sont rivaux. Alors que John Reid croit que « le droit à la sécurité, à la protection de la vie et de la liberté, est et doit être le droit fondamental sur lequel tous les autres doivent s’appuyer »10, Sir Menzies Campbell11 note que tandis que le public « a un droit à la sécurité », il « a aussi un droit à la sécurité contre la puissance de l’État »12. Pourtant, une telle définition de la sécurité comme un droit de la défense contre l’intervention d’État est, dans la rhétorique politique, moins couramment utilisée que la dimension positive du droit issue des devoirs coercitifs de l’État.

Ces idées divergentes à propos du droit à la sécurité, et son poids dans la balance entre sécurité et liberté, joue directement sur la manière dont les gouvernements renforcent les pouvoirs de police et évaluent l’activité militaire devant une menace sécuritaire. Il y a très peu de clarté ou de conseil sur la manière d’équilibrer le droit à la sécurité là où il est invoqué pour légitimer la force de l’État aussi bien dans le contexte national qu’international. Cette situation est problématique parce que la portée du droit à la sécurité, son poids par rapport à d’autres droits, ses limites admissibles, et les devoirs corrélatifs qu’il impose à l’État, sont toutes des questions auxquelles il faut répondre avant de savoir comment les « équilibres » pourraient être atteints.


  1. Voir Liora Lazarus, « The Right to Security – Securing Rights or Securitising Rights », dans : Rob Dickinson et al., Examining Critical Perspectives On Human Rights, Cambridge : Cambridge Univ. Press, 2012, p. 87-106. ↩︎

  2. E. Cochrane, Troops deserve our support, Carstairs Courier (Alberta), 6 November 2007. ↩︎

  3. The Vancouver Sun, "Yeltsin’s final fling: The Russian leader, often portrayed in the West as a boorish drunk, had substance that belied his unvarnished style", 27 January 2001: "The Kosovo conflict demonstrated the worst political tendencies and double standards of modern Europe. It was claimed, for example, that human rights were more important than the rights of a single state. But when you violate the rights of a state, you automatically and egregiously violate the rights of its citizens, including their rights to security". ↩︎

  4. The Press Trust of India, "Pak should give firm assurance against abetting terrorism", 30 December 2001: "Stating that terrorism had crossed the lakshman rekha (the limit of patience) with the December 13 attack on Indian Parliament, Advani said, no sovereign nation which is conscious of its right to security can sit silent. It has to think as to what steps need to be taken to check this menace."" (Quoting India’s Federal Home Minister L. Advani in a programme on national broadcaster, Doordarshan). ↩︎

  5. BBC Worldwide Monitoring, "Colombia defends its incursion into Ecuador" 23 March 2008: Communique issued by the Presidency of the Republic in Bogota on 22 March. "The Colombian Government hereby expresses:. 1/ Its full observance of the decisions adopted by the OAS. 2/ Reminds the world that the camp of alias Raul Reyes was a site of terrorists who acted. ↩︎

  6. European Commissioner responsible for Justice, Freedom and Security "EU counter-terrorism strategy" European Parliament, 5 September 2007, Speech/07/505. ↩︎

  7. J. Reid, "Rights, security must be balanced", Associated Press Online, 16 August 2006. ↩︎

  8. Cochrane, Troops deserve our support. ↩︎

  9. Full text of speech reported by BBC News “Lord Goldsmith’s speech in Full” 25 June 2004, available at news.bbc.co.uk (accessed 14 September 2010). ↩︎

    1. Full text of speech reported by BBC News “Reid urges human rights shake-up”, 12 May 2007, available at news.bbc.co.uk (accessed 14 September 2010).
    ↩︎
  10. (NdT.:) député au parlement du Royaume-Uni, voir notice Wikipedia. ↩︎

  11. Speech made in the House of Commons debates into extending the limits of pre-charge detention, 25 July 2007, HC Deb., vol. 463, col. 851. Ironically, this framing of security as a defensive right against state action was part of the rationale behind the Second Amendment of the US Constitution which allowed for an armed citizenry to defend against abuses by undemocratic government (L. Emery, "The Constitutional right to keep and bear arms" 28(5) Harvard Law Review (1915) 473, 476). ↩︎

17.07.2014 à 02:00

Entraînement trail, autour de Gérardmer

Au cas où parmi les lecteurs de ce blog certains ne sauraient pas où aller courir, je compte proposer quelques parcours de trail que j’ai testé au moins deux ou trois fois. Aujourd’hui, une cuvée personnelle sur les hauteurs de Gérardmer. Vous aurez de même l’occasion de croiser les pistes de la station de trail gérômoise, dont j’aurai l’occasion de parler ultérieurement. Ce parcours a une vocation à la fois touristique et sportive. Il est adapté au traileurs débutants qui, sans forcer dans les montées où les passages peuvent être techniques, pourront assez facilement arriver au bout. Il vous mènera vers les « écarts » gérômois. Vous admirerez quelques anciennes fermes remarquables ainsi que des points de vues originaux et peu fréquentés.

Commentaires

- **Km 0 - 2,5—** Le parcours débute doucement en guise d'échauffement. Depuis le Square Briffaut, on longe la rive du lac de Gérardmer, en passant par le sentier du Tour du Lac. Toutefois, attention aux promeneurs au km 2 : le passage est rocheux et étroit. Si cette solution ne vous tente pas, il est possible de passer par la route, légèrement en amont. - **Km 2,5 - 3,5—** Montée de la Cascade de Mérelle. Sur un chemin romantique (assez humide et glissant par moment) on remonte le ruisseau de Mérelle, jusque sa cascade. Au delà de cette dernière, il est possible de reprendre la course progressivement pour enchaîner jusqu'au sommet. Cette section est assez technique : sol rocailleux et humide. - **Km 3,5 - 6—** Une section typique des hauts gérômois avec trois écarts remarquables : Frémont, Le Pré Chaussotte, Noirupt. Le chemin monte progressivement jusqu'au premier sommet du parcours. Aucune difficulté de terrain, chemin large. - **km 6 - 9,5—** Descente jusqu'au Col de Sapois, puis jonction jusqu'au Col du Haut de la Côte. Une section très rapide au début, si on pousse un peu le rythme de la descente, il sera possible ensuite de récupérer doucement sur le chemin de l'Urson. Pas de difficulté, on peut en profiter pour se nourrir un peu. - **km 9,5 - 12,7—** L’endurance est la clé de cette section longue et progressive. On emprunte les pistes de ski nordique de Gérardmer jusqu'au lieu-dit les Hautes Vannes. Garder de l'énergie sous la semelle pour enchaîner la section suivante. - **km 12,7 - 13,9—** La montée vous mènera jusqu'au chalet-refuge de la Croix Claudé. Le chemin est tantôt rocailleux, herbeux et humide. Les plus aguerris pourront courir, au moins par moment, mais attention à la longueur... et le parcours n'est pas fini... - **km 13,9 - 15,6—** La crête la plus sympathique du parcours puisque, en cas de beau temps et à partir de la Roche des Bioqués, on pourra admirer la superbe vue sur la vallée du Chajoux, l'une des deux vallées de la commune de La Bresse. Le sentier est terreux et rocailleux, et se termine en pente douce jusqu'à la reprise vers le sommet de Grouvelin - **km 15,6 - 17,3—** Montée puis descente du sommet de Grouvelin vers la ferme de Grouvelin. N'hésitez pas à marquer un arrêt au sommet, à la table d'orientation (1137m)! - **km 17,3 - 21,3—** Sur chemin large, descente vers la Mauselaine à travers les piste de ski alpin de Gérardmer. Vue sur la vallée de Gérardmer... Attention aux cuisses! - **km 17,3 - 22—** Après un peu de bitume (inévitable), descente assez technique par la Roche du Rain. Attention aux promeneurs en sens inverse (ou aux traileurs qui terminent l'un des parcours de la station de Trail!). Sentier rocailleux et terreux. - **km 22 - fin—** Retour dans la ville de Gérardmer, en évitant le centre, jusqu'au Square Briffaut.

Infos

  • Longueur : 23,56 km
  • Denivelé positif cumulé : 998 m
  • Denivelé négatif cumulé : 991 m
  • Altitude maxi : 1129 m
  • Altitude mini : 659 m
  • Voir la carte du parcours
132 / 164
 Persos A à L
Mona CHOLLET
Anna COLIN-LEBEDEV
Julien DEVAUREIX
Cory DOCTOROW
EDUC.POP.FR
Marc ENDEWELD
Michel GOYA
Hubert GUILLAUD
Gérard FILOCHE
Alain GRANDJEAN
Hacking-Social
Samuel HAYAT
Dana HILLIOT
François HOUSTE
Tagrawla INEQQIQI
Infiltrés (les)
Clément JEANNEAU
Paul JORION
Michel LEPESANT
Frédéric LORDON
Blogs persos du Diplo
LePartisan.info
 
 Persos M à Z
Henri MALER
Christophe MASUTTI
Romain MIELCAREK
Richard MONVOISIN
Corinne MOREL-DARLEUX
Timothée PARRIQUE
Thomas PIKETTY
PLOUM
VisionsCarto
Yannis YOULOUNTAS
Michaël ZEMMOUR
 
  Numérique
Christophe DESCHAMPS
Louis DERRAC
Olivier ERTZSCHEID
Olivier EZRATY
Framablog
Francis PISANI
Pixel de Tracking
Irénée RÉGNAULD
Nicolas VIVANT
 
  Collectifs
Arguments
Bondy Blog
Dérivation
Dissidences
Mr Mondialisation
Palim Psao
Paris-Luttes.info
ROJAVA Info
 
  Créatifs / Art / Fiction
Nicole ESTEROLLE
Julien HERVIEUX
Alessandro PIGNOCCHI
XKCD
🌓