15.11.2018 à 01:00
Définitions du capitalisme de surveillance
Notre quotidien est enregistré, mesuré, considéré comme une somme de procédures dont la surveillance consiste à transformer l’apparent chaos (et notre diversité) en ordre. Tous les acteurs économiques et institutionnels y ont un intérêt. Pour beaucoup, c’est d’un nouveau capitalisme qu’il s’agit : le capitalisme de surveillance. Mais peut-on lui donner une définition claire ? Je vais essayer…
Avec son récent ouvrage, Das Zeitalter Des ÜberwachungsKapitalismus1, Shoshana Zuboff nous livre une critique des plus intelligentes de ce qu’elle nomme le capitalisme de surveillance. Fruit d’un long travail dont les traces sont visibles depuis cinq ans (en particulier dans un article intitulé « Big Other… »2 et quelques sorties remarquées dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung3), Shoshana Zuboff a intitulé son ouvrage en écho à son travail initial, en 1988, sur la mutation du travail en procédures et informations, In The Age Of The Smart Machine4.
L’œuvre de S. Zuboff ne s’inscrit pas exclusivement dans une analyse des modèles économiques. Pour cela il faut plutôt aller voir du côté de Nick Srnicek, qui se penche sur les changements des modèles capitalistes dans leurs rapports aux technologies5. Pour N. Srnicek, les technologies de l’information ne sont pas uniquement des leviers d’augmentation de productivité, mais elle conditionnent aussi une économie de plateformes rendue possible par l’essor des infrastructures numériques des années 1990, combinée à une baisse de rendement de l’industrie manufacturière. Avec l’éclatement de la bulle Internet des années 2000 puis la crise de 2008, des firmes monopolistiques sont apparues (les GAFAM) et sont devenues les figures incontournables de cette transformation du capitalisme.
S. Zuboff ne s’inscrit pas non plus (tout à fait) dans une approche du capitalisme de surveillance du point de vue de l’économie politique. C’est ce que font au contraire J. B. Foster et R. W. McChesney, initiateurs6 du concept de capitalisme de surveillance (voir billet précédent) qui montrent en quoi le capitalisme de surveillance est une résurgence hégémonique de l’esprit de la politique nord-américaine sur les trois axes : militaire (maintenir des états de guerre pour le contrôle des pays), financier (les clés de l’économie mondiale) et marketing (assurer la propagande). Cette approche macro-économico-historique est tout à fait intéressante mais elle a le tort de focaliser essentiellement sur des mécanismes institutionnels et sans doute pas assez sur les pratiques d’une économie de la surveillance qui n’est pas toujours à ce point dépendante du politique, bien au contraire7.
S. Zuboff, elle, s’intéresse aux pratiques et propose une conception systémique du capitalisme de surveillance à partir de ses manifestations économiques et sociales. Pour cela, elle propose un point de vue holistique et une définition qui est en même temps un programme d’analyse et un questionnement sur l’économie de nos jours. On trouve cette définition au début de son dernier ouvrage. En voici une traduction :
Überwachungskapitalismus, der – 1. Neue Marktform, die menschliche Erfahrung als kostenlosen Rohstoff für ihre versteckten kommerziellen Operationen der Extraktion, Vorhersage und des Verkaufs reklamiert; 2. eine parasitäre ökonomische Logik, bei der die Produktion von Gütern und Dienstleistungen einer neuen globalen Architektur zur Verhaltensmodifikation untergeordnet ist; 3. eine aus der Art geschlagene Form des Kapitalismus, die sich durch eine Konzentration von Reichtum, Wissen und Macht auszeichnet, die in der Menschheitsgeschichte beispiellos ist; 4. Fundament und Rahmen einer Überwachungsökonomie; 5. so bedeutend für die menschliche Natur im 21. Jh. wie der Industriekapitalismus des 19. und 20. Jhs. für die Natur an sich; 6. der Ursprung einer neuen instrumentären Macht, die Anspruch auf die Herrschaft über die Gesellschaft erhebt und die Marktdemokratie vor bestürzende Herausforderungen stellt; 7. zielt auf eine neue kollektive Ordnung auf der Basis totaler Gewissheit ab; 8. eine Enteignung kritischer Menschenrechte, die am besten als Putsch von oben zu verstehen ist – als Sturz der Volkssouveränität.
Surveillance Capitalism, n. – 1. A new economic order that claims human experience as free raw material for hidden commercial practices of extraction, prediction, and sales; 2. A parasitic economic logic in which the production of goods and services is subordinated to a new global architecture of behavioral modification; 3. A rogue mutation of capitalism marked by concentrations of wealth, knowledge, and power unprecedented in human history; 4. The foundational framework of a surveillance economy; 5. As significant a threat to human nature in the twenty-first century as industrial capitalism was to the natural world in the nineteenth and twentieth; 6. The origin of a new instrumentarian power that asserts dominance over society and presents startling challenges to market democracy; 7. A movement that aims to impose a new collective order based on total certainty; 8. An expropriation of critical human rights that is best understood as a coup from above: an overthrow of the people’s sovereignty.
Capitalisme de surveillance, le – 1. un nouvel ordre économique qui revendique le vécu humain comme matière première gratuite pour des pratiques commerciales occultes d’extraction, de prévision et de vente ; 2. une logique économique parasitaire dans laquelle la production de biens et de services est subordonnée à une nouvelle architecture globale de modification des comportements ; 3. un type de capitalisme malhonnête, sans précédent dans l’histoire humaine, caractérisé par une concentration des richesses, des connaissances et du pouvoir ; 4. le cadre fondateur d’une économie de surveillance ; 5. une menace aussi grave pour la nature humaine au XXIe siècle que le capitalisme industriel des XIXe et XXe siècles l’était pour le monde naturel ; 6. la source d’un nouveau pouvoir instrumental qui affirme sa domination sur la société et impose des défis déconcertants à la démocratie de marché ; 7. un mouvement qui vise à imposer un nouvel ordre collectif qui repose sur une certitude absolue ; 8. une spoliation des droits humains essentiels, que l’on peut comprendre au mieux comme un putsch venu d’en haut, un renversement de la souveraineté populaire.
Étant donné la fraîcheur des travaux de S. Zuboff et la nouveauté du concept de capitalisme de surveillance (2014), il est difficile de proposer une lecture critique qui ne soit pas biaisée, d’une manière ou d’une autre, par la dimension opératoire que l’on souhaite lui donner. L’utilise-t-on pour expliquer les modèles de l’économie des plateformes ? en quoi joue-t-il un rôle dans les politiques de régulation des États ? interfère-t’il avec le politique et comment ? Est-ce une manifestation d’une volonté de pouvoir (de la part de qui ?) ou une émergence plus ou moins spontanée issue de plusieurs circonstances ou idéologies ? etc.
Toutes ces questions doivent être posées et c’est aussi pourquoi j’ai entrepris un ouvrage dont l’ambition est de proposer des pistes de réflexion. La première est justement de se demander en quoi le capitalisme de surveillance est tangible (et si une approche matérialiste peut en venir à bout). J’en suis assez vite arrivé à la conclusion que si l’on souhaite en faire l’histoire, il faut partir d’une définition qui utilise les concepts auxquels nous sommes déjà habitués.
Mon projet est donc très différent de celui de S. Zuboff, qui va jusqu’à inventer deux figures : celle de Big Other (l’altérite à laquelle nous renvoient nos doubles numériques) et les « coup des gens », qui, par opposition à un « coup d’État », est sorte d’accaparement offensif de nos vies privées et de notre quotidien par les GAFAM.
Cependant, d’un point de vue purement intellectuel, je ne peux m’empêcher de faire deux remarques à propos de la définition de S. Zuboff. La première, c’est qu’elle est surtout un programme d’analyse et présume largement que les pratiques du capitalisme de surveillance sont la traduction d’intentions, de jeux de domination et de pouvoirs. La seconde, c’est que les différents points de définitions peuvent en fait correspondre à des constructions proposées par d’autres auteurs du mouvement des surveillance studies depuis les années 1970. Une liste apparaît dans un article de Gary T. Marx8, par exemple : la société disciplinaire, la société du dossier, la société du contrôle, le post-panoptisme, la dataveillance, la société transparente, l’informatisation ubiquitaire, l’uberveillance. Il s’agit d’autant d’approches différentes du capitalisme de surveillance. Dans cette mesure, on peut remercier S. Zuboff de faire l’éclatante démonstration, en une seule analyse, de ce que les surveillance studies avaient jusqu’à présent quelques difficultés à cerner, sans doute trop concentrées sur les rapports entre technique et société, d’un point de vue sociologique ou anthropologique. Mais S. Zuboff va-t-elle au bout de son projet, qui appelle une critique du capitalisme ? Rien n’est moins sûr.
Pour ma part, comme je compte faire une histoire, il me faut aussi satisfaire à l’exigence d’une définition. Or, mon problème est d’intégrer aussi bien l’historiographie que les témoignages (par exemple des rapports) ou des documents probants (comme des articles), sans pour autant y voir des manifestions de ce que, aujourd’hui, nous nommons le capitalisme de surveillance mais qui, sur une cinquantaine d’années, répond à bien d’autres noms. N’ayant pas le talent de S. Zuboff, je ne peux pas non plus entreprendre une analyse globale, voire holiste, en y intégrant les multiples dimensions historiques des sciences et des technologies.
Je préfère donc procéder en deux temps pour trouver une manière synthétique d’exprimer (sur la période 1960 à nos jours) ce qu’est le capitalisme de surveillance a) par ses pratiques et b) par ses mécanismes. C’est une définition qui me permet, dans cette archéologie que je propose, de procéder par étapes, de nommer ce que je cherche, comprendre la naissance d’une économie de la surveillance et la logique progressive, non linéaire, du capitalisme de surveillance.
Je pose ainsi que les pratiques de surveillance sont :
les procédés techniques les plus automatisés possible qui consistent à récolter et stocker, à partir des individus, de leurs comportements et de leurs environnements, des données individuelles ou collectives à des fins d’analyse, d’inférence, de quantification, de prévision et d’influence.
Et qu’il faut tâcher de situer le capitalisme de surveillance dans son parcours historique.
L’histoire du capitalisme de surveillance est celle des transformations sociales que l’informatisation a rendu possibles depuis les années 1960 à nos jours en créant des modèles économiques basés sur le traitement et la valorisation des données personnelles. La prégnance de ces modèles ajoutée à une croissance de l’industrie et des services informatiques9 a fini par créer un marché hégémonique de la surveillance. Cette hégémonie associée à une culture consumériste se traduit dans plusieurs contextes : l’influence des consommateurs par le marketing, l’automatisation de la décision, la réduction de la vie privée, la segmentation sociale, un affaiblissement des politiques, un assujettissement du droit, une tendance idéologique au solutionnisme technologique. Il fait entrer en crise les institutions et le contrat social.
Du point de vue de ses mécanismes, le capitalisme de surveillance mobilise les pratiques d’appropriation et de capitalisation des informations pour mettre en œuvre le régime disciplinaire de son développement industriel (surveillance des travailleurs) et l’ordonnancement de la consommation (surveillance et influence des consommateurs). Des bases de données d’hier aux big datas d’aujourd’hui, il permet la concentration de l’information, des capitaux financiers et des technologies par un petit nombre d’acteurs tout en procédant à l’expropriation mercantile de la vie privée du plus grand nombre d’individus et de leurs savoirs10.
Voilà pour ce qui me concerne. La suite se trouvera dans l’ouvrage à paraître. J’ajoute cependant que cette définition s’adresse aussi à certains (ils se reconnaîtront) qui me l’ont demandée à des fins pédagogiques (et sans doute lassés par mon style d’écriture qui rappelle souvent que les fontes d’imprimerie sont en plomb).
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ZUBOFF, Shoshana. Das Zeitalter Des ÜberwachungsKapitalismus. Frankfurt: Campus Verlag, 2018. (À paraître en anglais : The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power. New York: Public Affairs, 2019). ↩︎
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ZUBOFF, Shoshana. « Big Other: Surveillance Capitalism and the Prospects of an Information Civilization ». Journal of Information Technology 30 (2015): 75‑89. ↩︎
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Voir surtout ZUBOFF, Shoshana. « The Secrets of Surveillance Capitalism ». Frankfurter Allgemeine Zeitung, mars 2016. ↩︎
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Zuboff, Shoshana. In The Age Of The Smart Machine: The Future Of Work And Power. New York: Basic Books, 1988. ↩︎
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SRNICEK, Nick. Platform Capitalism. Cambridge: Polity, 2016. Trad. Fr.: Capitalisme de plateforme. L’ hégémonie de l’économie numérique. Québec: Lux Éditeur, 2018. ↩︎
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John Bellamy Foster and Robert W. McChesney, « Surveillance Capitalism. Monopoly-Finance Capital, the Military-Industrial Complex, and the Digital Age », Monthly Review, 66, Juillet 2014. ↩︎
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Et c’est peut être aussi ce qui empêche S. Zuboff de produire une véritable critique du capitalisme. elle a en effet tendance à ne s’en tenir qu’à une analyse des méfaits des pratiques des « capitalistes de la surveillance », comme s’il fallait en réalité défendre un « bon » capitalisme contre de méchants voyous. Je pense au contraire qu’on ne peut pas faire l’économie d’une critique en règles des modèles capitalistes qui sont justement à la source des pratiques. ↩︎
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MARX, Gary T. « Surveillance studies ». Dans : James Wright (éd.), International Encyclopedia of the Social and Behavioral Sciences, Amsterdam: Elsevier, 2015, p. 733‑41. ↩︎
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Il s’agit aussi d’une corrélation entre une baisse de régime de l’industrie manufacturière (par exemple l’industrie automobile) et le déplacement des capitaux vers la surfinanciarisation de l’économie numérique. ↩︎
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Nous pouvons ajouter, comme illustration du dernier point, que le capitalisme de surveillance exproprie l’individu de sa vie privée et de ses savoirs comme le capitalisme industriel a exproprié les travailleurs de leur maîtrise du temps en disciplinant au travail le salarié qui vivait, dans le monde rural, selon un tout autre rythme que celui des machines (les premières conquêtes sociales du monde ouvrier ont porté sur le temps de travail, sa rémunération, et les temps de repos). Voir à ce sujet Edward P. Thompson, Temps, discipline du travail et capitalisme industriel, Paris, La Fabrique, 2004. ↩︎
28.10.2018 à 02:00
Sortie VTT : Barembach - Champ du Feu - Serva
Voici une petite sortie VTT automnale du côté de la Vallée de la Bruche qui vous permettra de faire une sortie courte mais assez sportive.
Pour faciliter l’expérience, vous pouvez télécharger le topo-guide que je mets à votre disposition. Il ne remplace pas le GPX que vous pourrez récupérer via la carte ci-dessous. La distance est courte (35 km), le dénivelé est appréciable (1250 m D+) et les terrains sont de difficultés variées (deux points de prudence néanmoins sont signalés dans le topo).
En bref, voici le descriptif du parcours :
- Départ de Barembach, se garer près de l’église.
- Monter jusque Mullerplatz en suivant le balisage (profitez du sentier qui « coupe » le grand chemin forestier).
- Continuer vers le Champ du Messin, puis suivre le GR5.
- À la Vieille Métairie, prendre le chemin sur la droite près de la fontaine. Monter au Champ du feu.
- Amorcer la descente jusque la route, contourner le Centre de vacances « Les Sapins », pour reprendre le chemin.
- Un grand pré (Le Haut des Monts): aller tout droit pour pouvoir amorcer une grande descente jusqu’au Col de la Perheux. Prudence car le terrain n’est pas facile au début de la descente.
- Au Col de la Perheux, prendre les cercles jaunes en direction de la Serva. Une fois sur un sentier étroit, attention aux lacets avec fort dévers. Descendre vers Neuviler-la-Roche, et au croisement de la D130, prendre les triangles rouges.
- Quitter les triangles rouges pour monter la route forestière (sans balisage particulier) jusqu’aux Roches Blanches. Puis prendre le sentier (cercles rouges) jusque la Croix Walter.
- Descendre jusque Barembach.
12.10.2018 à 02:00
Archéologie du capitalisme de surveillance
Avec le temps, cela devait finalement arriver. Me voici embarqué dans l’écriture d’un ouvrage à paraître chez C&F Éditions au printemps prochain. Une archéologie du capitalisme de surveillance, rien que cela. Mais c’est garanti, je ne me prendrai pas pour un penseur post-moderne (ils avaient tort !).
De quoi cet ouvrage va-il parler? D’abord le titre est tout à fait provisoire, qu’on se le dise. C’était juste pour vous faire cliquer ici. Blague à part, voici un petit argumentaire qui, je l’espère pourra vous faire patienter les quelques mois qui nous séparent d’une publication…
Christophe Masutti, Archéologie du capitalisme de surveillance, Caen, C&F Éditions, 2019 (à paraître).
Argumentaire
L’expression « capitalisme de surveillance » est employée le plus souvent non comme un concept mais comme un dénominateur, c’est-à-dire de l’ordre de la perception des phénomènes, de ceux qui nous font tomber de nos chaises presque tous les jours lorsque nous apprenons à quels trafics sont mêlées nos données personnelles. Mais il n’a pas été défini pour cela : son ambition est surtout d’être un outil, une clé de lecture pour comprendre la configuration politique et sociale de l’économie de la surveillance. Il faut donc mettre à l’épreuve ce concept et voir dans quelle mesure il permet de comprendre si l’économie de la surveillance obéit ou non à une idéologie, au-delà des pratiques. Certes, il faut donner une définition du capitalisme de surveillance (idéologique, pratique, sociale, collective, culturelle, anthropologique ou politique), mais il faut surtout en comprendre l’avènement.
Je propose dans ce livre une approche historique qui commence par une lecture différente des révolutions informatiques depuis les années 1960. Comment vient la surveillance? comment devient-elle un levier économique ? Il faut contextualiser la critique du contrôle (en particulier par les philosophies post-modernes et les observateurs des années 1970) telle qu’elle s’est faite dans la continuité de la révolution informatique. On peut focaliser non pas sur l’évolution technologique mais sur le besoin d’information et de traitement de l’information, tout particulièrement à travers des exemples de projets publics et privés. L’informatisation est un mouvement de transformation des données en capital. Cet ouvrage sera parsemé d’études de cas et de beaucoup de citations troublantes, plus ou moins visionnaires, qui laissent penser que le capitalisme de surveillance, lui aussi, est germinal.
Qu’est-ce qui donne corps à la société de la surveillance ? c’est l’apparition de dispositifs institutionnels de vigilance et de régulation, poussés par un débat public, politique et juridique, sur fond de crainte de l’avènement de la société de 1984. C’est dans ce contexte qu’au sein de l’appareillage législatif germèrent les conditions des capacités de régulation des institutions. Néanmoins la valorisation des données, en tant que propriétés, capitaux et composantes stratégiques, fini par consacrer l’économie de la surveillance comme modèle unique. Le marketing, la modélisation des comportements, la valeur vie client : la surveillance devient une activité prédictive.
Le capitalisme de surveillance est-il une affaire culturelle ? On peut le concevoir comme une tendance en économie politique, ainsi que les premiers à avoir défini le capitalisme de surveillance proposent une lecture macro-politico-économique (John Bellamy Foster, Robert W. McChesney, 2014). On peut aussi se concentrer sur les pratiques des firmes comme Google et plus généralement sur les pratiques d’extraction et de concentration des big datas (Shoshana Zuboff, 2018). On peut aussi conclure à une forme de radicalité moderne des institutions dans l’acceptation sociale (collective ?) de ce capitalisme de surveillance (on se penchera notamment sur les travaux d'Anthony Giddens puis sur ceux de Bernard Stiegler). Que peut-on y opposer ? Quels choix ? À partir du constat extrêmement sombre que nous allons dresser dans cet ouvrage, peut-être que le temps est venu d’un mouvement réflexif et émancipateur.
03.08.2018 à 02:00
Algorithmes: la bombe à retardement
Qui choisit votre université ? Qui vous accorde un crédit, une assurance, et sélectionne vos professeurs ? Qui influence votre vote aux élections ? Ce sont des formules mathématiques. Ancienne analyste à Wall Street devenue une figure majeure de la lutte contre les dérives des algorithmes, Cathy O’Neil dévoile ces « armes de destruction mathématiques » qui se développent grâce à l’ultra-connexion et leur puissance de calcul exponentielle. Brillante mathématicienne, elle explique avec une simplicité percutante comment les algorithmes font le jeu du profit. Cet ouvrage fait le tour du monde depuis sa parution. Il explore des domaines aussi variés que l’emploi, l’éducation, la politique, nos habitudes de consommation. Nous ne pouvons plus ignorer les dérives croissantes d’une industrie des données qui favorise les inégalités et continue d’échapper à tout contrôle. Voulons-nous que ces formules mathématiques décident à notre place ? C’est un débat essentiel, au cœur de la démocratie.
O’Neil, Cathy. Algorithmes: la bombe à retardement, les Arènes, 2018.
Lien vers le site de l’éditeur : http://www.arenes.fr/livre/algorithmes-la-bombe-a-retardement/
31.07.2018 à 02:00
Cyberstructure
Les outils de communication ont d’emblée une dimension politique : ce sont les relations humaines, les idées, les échanges commerciaux ou les désirs qui s’y expriment. L’ouvrage de Stéphane Bortzmeyer montre les relations subtiles entre les décisions techniques concernant l’Internet et la réalisation — ou au contraire la mise en danger — des droits fondamentaux. Après une description précise du fonctionnement de l’Internet sous les aspects techniques, économiques et de la prise de décision, l’auteur évalue l’impact des choix informatiques sur l’espace politique du réseau. Un ouvrage pour appuyer une citoyenneté informée, adaptée aux techniques du XXIe siècle et en mesure de défendre les droits humains
Bortzmeyer, Stéphane. Cyberstructure: l’internet, un espace politique. C&F éditions, 2018.
Lien vers le site de l’éditeur : https://cyberstructure.fr/
24.06.2018 à 02:00
Capitalisme de surveillance ?
Dans une série d’article intitulée Les Léviathans, j’ai longuement présenté le concept de capitalisme de surveillance développé par Shoshana Zuboff. L’interprétation reste toujours prisonnière de l’objet, au moins en partie : en l’occurrence, il y a une chose que je n’ai pas précisé dans ces articles, c’est la provenance du concept.
Les premiers à avoir formulé et développé le capitalisme de surveillance sont John Bellamy Foster et Robert W. McChesney en juin 2014 dans un article paru dans la Monthly Review, dont le titre devrait toujours être donné in extenso : « Surveillance Capitalism Monopoly-Finance Capital, the Military-Industrial Complex, and the Digital Age ».
Les lecteurs de Shoshana Zuboff noteront que cette dernière ne fait pas mention, dans ses articles, à la paternité du concept par Foster et McChesney. Du moins, elle n’a pas publié (à ma connaissance) une approche critique et comparative de son approche par rapport à celle de Foster et McChesney. La conséquence est que, au fil des affaires relatives aux usages déloyaux des données personnelles durant ces 3 ou 4 dernières années, le concept de capitalisme de surveillance a été sur-employé, parfois même galvaudé et transformé en un mot-valise. Pour celles et ceux qui ont cependant fait un effort d’analyse (tel Aral Balkan) le concept renvoie systématiquement aux travaux de Shoshana Zuboff.
Oserait-on accuser Zuboff de l’avoir usurpé ? pas tout à fait. On peut parler plutôt d’un emprunt. Le capitalisme de surveillance tel que le défini Zuboff implique bien d’autres éléments de réflexion. Quant à citer les auteurs qui les premiers ont énoncé le capitalisme de surveillance, oui, elle aurait pu le faire. Mais qu’est-ce que cela aurait impliqué ? L'éditorial de la Monthly Review de ce mois de juin 2018 apporte quelques éléments de réponse en confrontant l’approche de Foster-McChesnay et de Zuboff :
Zuboff a défini le capitalisme de surveillance de manière plus restrictive comme un système dans lequel la surveillance de la population est utilisée pour acquérir des informations qui peuvent ensuite être monétisées et vendues. L’objet de ses recherches était donc d’étudier les interrelations entre les entreprises et le comportement individuel dans ce nouveau système d’espionnage marchandisé. Mais une telle vision a effectivement dissocié le capitalisme de surveillance de l’analyse de classe, ainsi que de la structure politico-économique globale du capitalisme – comme si la surveillance pouvait être abstraite du capital monopolistique et financier dans son ensemble. De plus, l’approche de Zuboff a largement éludé la question de la relation symbiotique entre les sociétés militaires et privées – principalement dans les domaines du marketing, de la finance, de la haute technologie et de la défense – qui était au centre de l’analyse de Foster et McChesney.
Pour ce qui me concerne, les lecteurs des Léviathans (et j’espère un peu plus tard d’un ouvrage actuellement en gestation) pourront constater que j’extrapole assez largement la pensée de Zuboff, sans toutefois rejoindre l’analyse américano-centrée de Foster-McChesnay. Le point de basculement est somme toute assez pragmatique.
Le besoin de surveillance est un besoin viscéral de l’économie des biens et services (j’ai montré qu’il relève d’une histoire bien plus ancienne que le web 2.0 et remonte aux années 1950). La concentration des entreprises répond à un besoin d’optimisation des systèmes d’informations autant qu’au besoin de maîtriser le marché en le rendant malléable selon des stratégies bien définies, à commencer par les pratiques de marketing. Comment est-il devenu malléable ? grâce aux big datas et à l’usage prédictif du traitement des données. La concentration des capitaux est donc à la fois une conséquence de ce nouveau mode de fonctionnement capitaliste (qui enclenche parallèlement une autre approche du (néo-) libéralisme), et une stratégie calculée de recherche de maximisation des profits tirés des données conçues elles-mêmes comme un capital.
À mon humble avis, nonobstant l’approche concernant le complexe militaro-industriel de Foster-McChesney qui nous fait remonter à la Guerre du Vietnam tout en étant parfaitement explicatif des stratégies de surveillance des institutions gouvernementales (auxquelles finirent par se prêter les gouvernements d’autres pays du monde, comme en France ces dernières années), l’approche de Zuboff détache effectivement la question du capitalisme de surveillance de ses racines politiques pour se concentrer surtout sur les organisations et les comportements individuels soumis à une idéologie presque exclusivement économique. Ma part modeste à cette réflexion n’est pas d’entamer une histoire totale comme le feraient Foster et McChesney, mais d’aller directement au cœur du problème : la capitalisation de l’information comme nouvelle forme du capitalisme. C’est peut-être une approche (pseudo-) marxiste qu’il manque selon moi à Foster-McChesney pour mieux comprendre cette mondialisation du capitalisme de surveillance.
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