28.05.2024 à 11:30
Toute bulle qui monte… ≈052
Francis Pisani
Texte intégral (3336 mots)
Bienvenue sur Myriades,
Soyez gentil.le.s d’excuser mon retard dû à un petit déménagement proche… pour lequel l'intelligence artificielle ne m'est encore d'aucune aide ;-).
Tout ça alors que la folie.IA est montée d’un cran. Ou de deux. Peut-être même plus. Et, pour une fois, je me sens obligé de partir de l’actualité largement publiée pour faire le point. A ma manière.
Accélération de l’accélération
Nous entrons dans une nouvelle phase d’accélération du développement de l’intelligence artificielle générative, celle avec laquelle nous dialoguons, celle qui nous concerne le plus immédiatement. Éléments clés :
OpenAI a lancé une nouvelle version de son programme phare : ChatGPT-4o. Séduisant. Bluffant. Multimodal (il parle entend, plaisante et sourit). Ultra puissant. Gratuit. Genre la Grosse Berta dans la guerre des IA.
Google a mis sur le marché global sa version Gemini. Plus sage, elle présente des résumés des résultats (parfois donneurs de mauvais conseils comme de mettre de la colle dans une pizza pour faire tenir les ingrédients) plutôt qu’une accumulation de liens, tient compte du contexte et offre une intégration avec les différents services de Google.
Microsoft reprend la vieille rivalité avec Apple en lançant un PC plus rapide que les Macs comparables. Il est vendu avec IA intégrée et se propose de retrouver (Recall) tout ce qui se trouve dans votre ordi (ce qui veut dire qu’il en garde la trace…).
La valeur de NVIDIA qui fabrique les microprocesseurs utilisés par toutes les BigTech de l’IA a augmenté de 427% en un an… et c’est pas fini dit le patron.
En clair : l’accélération s’accélère. Mais !
Premier point : elle présente un risque de sécurité- Cette accélération paraît dangereuse à certains des fondateurs d’OpenAI dont les responsables les plus sensibles aux questions d’éthique et de sécurité ont quitté l’entreprise. Leur service a été dissous. Comme toujours le patron dit que c’est maintenant l’affaire de tout le monde. Seul le temps nous dira si c’est efficace… et, pour le moment, le temps qui coule permet à l’entreprise d’appuyer à fond sur la pédale sans trop se soucier du reste. Les mésaventures de Sam Altman, patron d’OpenAI, avec Scarlett Johansson dont, je simplifie, il utilise la voix (ou l’imite à la perfection) sans son autorisation, ne contribuent pas à sa crédibilité.
Deuxième point : ça nous rapproche de l’effondrement (burst) - On ne nous parle que des milliards qui font gonfler la bulle IA et, du coup, son éclatement me semble inévitable. Je n’aie aucune compétence d’économiste pour l’affirmer - ça en rassurera certain.e.s - juste l’expérience de quelqu’un qui couvrait les technologies de l’information telles qu’elles étaient développées autour de Silicon Valley au tournant de notre siècle. Au moment où le web a commencé à sentir l'impact du navigateur Netscape sur notre accès à l’information.
La question commence à se poser pour l’IA. Accordez-moi deux minutes.
Le principal argument de ceux qui sont contre cette analyse est que les modèles d’affaire d’alors reposaient sur des idées entièrement nouvelles et qui n’avaient jamais fait leurs preuves. La possibilité de faire des achats online par exemple.
Aujourd’hui, par contre, l’apport en productivité de l’IA leur semble évident et prouvé, déjà palpable. Pas de raison de s’inquiéter. Circulez.
Spray and pray (brumiser et prier)
C’est ignorer le dicton de base des capital risqueurs (venture capitalists ou VC) du monde entier : « spray and pray ».
Explications : plus un investissement se fait tôt, plus il a de chances de rapporter gros. Mais moins les VC ont de certitude sur le projet qui remportera la palme. Ils s’efforcent d’investir tôt car, si attendre est moins risqué, ça rapporte moins. En gros, sur 10 startups, 9 échouent. Mais celle qui réussit rapporte 100 fois ou mille fois la mise originale. Donc on tire à l’aveugle et on laisse la logique du marché et de la technologie inconnue décider.
Conséquence inattendue, la crise a une énorme vertu : elle assainit le marché permet aux équipes ayant échoué de se redéployer (d’où l’importance de la tolérance à l’échec) et au gros du capital de se concentrer sur les plus performantes.
Soyons clairs. La seule logique ici est la capitaliste la plus brutale. Seul l’argent compte. Rien à foutre de l’impact social, des gens qui, ayant investi sans pouvoir brumiser (l’efficacité de la prière restant à démontrer) y perdent pantalon ou culotte. C’est comme ça.
La valse à cinq temps
Revenons à la bulle. Elle éclate au cinquième temps.
Le déroulement n’est un mystère pour personne autour de la Baie de San Francisco. Il est parfaitement décortiqué en cinq phases relativement précises, bien scandées.
Déplacement : Une technologie - ChatGPT dans ce cas - vient en déplacer d’autres.
Boom : gros et petits veulent participer à la ruée vers l’or. A coup, cette fois de centaines et bientôt de milliers de milliards de dollars.
Euphorie : nous y sommes. Trop tôt pour faire les comptes on ne chante que les promesses. Tentant.
Passage à la caisse : ce que font les plus expérimentés qui ramassent leur mise dès que les échecs commencent à proliférer.
Panique ou burst: l’explosion de la bulle dont il faut bien comprendre qu’elle peut être déclenchée par les plus malins et les plus actifs dans la phase précédente.
Nous en sommes clairement à la phase trois. Difficile de savoir combien elle va durer et quand s’amorcera la quatre. Il faudra suivre l’actu.
Outre les faillites visibles, le passage pourrait être déclenché par des décisions gouvernementales prises pour contrôler les géants de la tech et/ou assurer un peu de sécurité aux petits investisseurs. L’angoisse de secteurs importants de la population inquiets des menaces que l’IA fait peser sur l’emploi, de son impact environnemental ou par un accident dû à un mauvais usage de l’IA peut également y contribuer.
S’il fallait parier (je ne parle pas de science) je miserais sur un éclatement de la bulle avant la découverte - trop souvent promise pour nous allécher - de l’intelligence artificielle « miracle »… ou , comme ils disent « générale », c’est à dire plus intelligente que nous dans tous les domaines.
Et vous ?
Principales sources :
Présentation de ChatGPT-4o (extraits: 26min).
Présentation de Google Gemini (résumé : 11m).
Analyse des 5 temps du cycle des investissements par The Guardian (en anglais, soutien facultatif).
12.05.2024 à 10:17
Minimal.IA + AI first ≈051
Francis Pisani
Texte intégral (2332 mots)
Bienvenue sur Myriades,
Vous qui entrez ici… abandonnez toute angoisse ;-). J’y parle d’intelligence artificielle et de technologies digitales en termes simples : infos minimales et explications courtes pour qui n’en fait ni un métier ni un investissement mais souhaite mieux comprendre en quoi « ce truc change tout ».
Minimal.IA
Les femmes sont peu nombreuses aux postes de commande des Big Tech. D’où l’enthousiasme d’Ayesha Khanna face à la slovène Sanja Fidler. VP en charge de la recherche en intelligence artificielle à NVIDIA (qui produit près de 80% des microprocesseurs utilisés dans ce domaine), elle a aussi publié 170 articles scientifiques. Respect.
Vous en avez entendu parler, ne manquez surtout pas la vidéo d’Apple intitulée « Crush » (mot qui veut dire à la fois « coup de coeur »et « pulvériser ») conçue pour nous convaincre des beautés de son nouvel iPad. On y voit une énorme presse écraser tous les outils de la création artistique pour en sortir un iPad ultra fin. Catastrophique. Elle ne dure qu’1min08 qui pourraient conduire à quelques trimestres de troubles pour la marque à la pomme. Mon ami Antoine Brunel y voit « une publicité qui résume tout, car le cerveau humain est lui aussi sous cette même presse ».
Belles promesses : Google DeepMind vient d’annoncer dans un article publié par la prestigieuse revue Nature « AlphaFold 3, un modèle d'IA capable de prédire la structure et les interactions de toutes les molécules de la vie avec précision ». Guillaume Grallet nous explique dans Le Point qu'elle devrait permettre de « mettre au point de nouveaux médicaments, une meilleure production agricole, ou encore tout simplement de mieux comprendre la vie ». Plus prometteur encore, le serveur sur lequel se trouve le modèle est gratuit et ouvert aux scientifiques du monde entier.
Guerre, IA et la nouvelle « diplomatie »
l’iPhone est né en 2007. Il nous a fallu 3 ans à peu près pour comprendre que nos relations avec les autres, l’info, les apps, le web et l’internet passeraient essentiellement par le téléphone. Ce qu’on appelait « mobile first ». C’est, aujourd‘hui, l’intelligence artificielle qui, 18 mois après l’apparition de ChatGPT, est l’élément clé de réorganisation de notre relation au monde. Et je ne parle pas, cette semaine, de comment elle peut permettre de faire des recherches mieux étayées ou d’écrire un texte plus vite.
Levons un peu le nez du guidon. Les Tech@IA (technologies à l’heure de l’IA) sont maintenant partout. Dans notre poche ou notre sac, comme au centre du conflit Chine États-Unis. Les deux super-puissances doivent se retrouver à la fin du mois de mai à Genève pour le premier dialogue sur le contrôle de l'intelligence artificielle en cas de guerre.
Le ministère des affaires étrangères américain (Département d’État) vient, dans cette perspective, de publier un document posant les bases de la Stratégie internationale des États-Unis en matière de cyberespace et de politique digitale.
De quoi s’agit-il ? L’homme qui en est responsable, le premier Ambassadeur pour le cyberespace et la politique digitale, Nathaniel Fick, a posé le problème on ne peut plus clairement dans un entretien au New York Times : « Presque tout le monde est prêt à reconnaître que la technologie est un élément important de la politique étrangère, mais je dirais que la technologie n'est pas seulement une partie du jeu, elle est de plus en plus le jeu tout entier ».
Une nouvelle ère des relations internationales est en train de s’ouvrir. Selon Washington, la planète sera - de nouveau - divisée en deux camps et personne ne pourra échapper au choix puisque technologies digitales et intelligence artificielle se retrouvent à tous les niveaux, qu’il s’agisse de développement, de résilience en cas d’attaque, de protection des câbles sous-marins, des entreprises, des utilisateurs comme de toutes les données que nous gardons dans le cloud.
Anthony Blinken, le Secrétaire d’État, estime qu’il est dangereux d’utiliser des technologies appartenant à des conceptions reposant sur des couches (stacks) différentes. Le monde entier va donc devoir choisir entre l’écosystème proposé par les Américains et celui des Chinois, quelles que soient leurs performances respectives.
« L’ordre international sera défini par le système d'exploitation métaphorique qui dominera » affirme Nathaniel Flick. Formule sibylline autant qu’idéologique. Face à Beijing, peu discrètement mis en cause, le Département d’État mise sur la « solidarité digitale » avec ses alliés.
L’enjeu est bien sûr le « sud global » que la Chine s’efforce d’amadouer en jouant de leur passé colonial commun et, pour beaucoup de leur rejet croissant de l’Occident. Les États-Unis misent, eux, sur le futur promis par leurs capacités technologiques.
Leur avance ne semblant pas devoir être éternelle, ils se dépêchent d’avancer leurs cartes.
En clair, nous entrons dans une période de conflits de plus en plus tendus. Technologies digitales et intelligences artificielles sont essentielles à tous les niveaux de la vie économique, sociale et politique à commencer par la guerre. Habitués à sélectionner des fusils dans un camp et des tanks dans l’autre les pays qui se veulent ou se disent (disaient) « non-alignés » vont devoir choisir à quelle IA se vouer. L’américaine ou la chinoise.
Commentaires :
Dommage collatéral de taille : une telle évolution risque de nous conduire à un fractionnement de l’internet. Tout le contraire de ce dont nous avons rêvé depuis le début des années 1990… sauf les régimes autoritaires qui y gagnent.
C’est le moment choisi par la France pour mettre ses capacités nucléaires au service de l’Europe. Elles sont concernées, mais leur contrôle dépend maintenant de capacités précises en cybersécurité. Ne sommes-nous pas en retard d’une guerre ?
Bien utilisées les intelligences artificielles peuvent contribuer aussi à la résolution des conflits. Qui va s’y mettre ?
- Persos A à L
- Mona CHOLLET
- Anna COLIN-LEBEDEV
- Julien DEVAUREIX
- Cory DOCTOROW
- Lionel DRICOT (PLOUM)
- EDUC.POP.FR
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