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La Lettre de Philosophie Magazine

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14.10.2025 à 18:00

La vie, “c’est musclé” ?

hschlegel

La vie, “c’est musclé” ? hschlegel mar 14/10/2025 - 18:00

« Peut-être avez-vous, comme moi, profité de la rentrée de septembre pour prendre quelques bonnes résolutions. J’ai pour ma part arrêté de boire du soda, repris des cours de russe, planté un cerisier dans mon jardin, fixé le thème de mon prochain livre. Mais une bonne action me résiste systématiquement : faire du sport. Me muscler m’apparaît toujours contre-nature. 

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Je fais partie des gens qui sont fâchés avec le sport. Non pas que j’en tire une fierté, car je connais les bénéfices de l’activité physique. Il en va simplement ainsi. Je marche beaucoup – davantage que la moyenne – mais jamais à plus de 5km/h. Pour le reste, j’ai à peu près tout essayé : la course (ennui), le yoga (ennui mortel), l’escalade (trop cher), l’équitation de mon enfance (trop cher et trop loin). Des amis me conseillent d’“aller à la salle” pour travailler mon “cardio” ou me muscler un peu, mais l’idée même de m’y rendre me déprime. Les matières synthétiques, la lumière artificielle, les mouvements du corps déclenchés par la seule force de la volonté, tout ce cirque m’attriste. Je m’accommode volontiers de mes bras mollassons et préfère occuper mon temps à autre chose. Voire à rien du tout.

Une chanson a failli me faire changer d’avis : Le Coach, de Soprano. Quand je l’ai découverte, il y a trois ans, elle m’a totalement grisée. Dans ce tube vu 350 millions de fois sur YouTube, les rappeurs Soprano et Vincenzo jouent les profs de salle de sport qui déploient des slogans mi-cassants mi-drôles pour motiver les athlètes amateurs : “Il est temps d’aller pousser, on a des rêves à soulever / Ta balance fait trop la gueule, il va falloir éliminer...” Le tout entrecoupé de “Alleeeeez, alleeeeez”, qui donnent envie de mettre un bandana fluo et se joindre à l’exercice. Si je l’ai beaucoup écoutée, et encore chantée à tue-tête cet été dans une voiture remplie d’enfants hilares, elle n’est jamais parvenue à me faire prendre une carte d’abonnement à la salle. En revanche, elle m’a amenée à reconsidérer le pouvoir symbolique du muscle.

Faire du sport n’est pas qu’une question sanitaire ni esthétique. C’est une éthique de vie. Je ne parle pas ici des valeurs véhiculées par le sport : l’entraide, le dépassement de soi, la persévérance... Importantes, certes, mais pas propres à l’entraînement. En revanche, le champ lexical du Coach souligne que produire du muscle permet d’affronter mentalement l’existence. Écoutons le refrain : “Faut taffer le cardio pour mieux endurer / Faut taffer les abdos pour mieux encaisser / La vie c’est musclé.” Ailleurs, on nous dit qu’il faut “toujours se relever”, “recommencer”, “ne pas abandonner”. J’ai bien conscience que ce n’est pas du Proust, mais j’aime cette manière d’affirmer haut et fort, sans se cacher, que “la vie, c’est musclé”. C’est une épreuve, de vivre. C’est dur. En général, on n’y arrive pas. On fait ce qu’on peut, avec ses petits bras.

Nos qualités morales dépendraient-elles de nos aptitudes physiques ? Rousseau ne dit pas autre chose. Si l’on imagine mal Jean-Jacques soulever de la fonte en survêt’ rose, le philosophe valorise grandement l’activité physique. “L’esprit a ses besoins, ainsi que le corps. Ceux-ci sont les fondements de la société, les autres en sont l’agrément” (Discours sur les sciences et les arts, 1751). Considérant que la vie en société a perverti notre nature profondément vaillante et libre, Rousseau loue “la force et la vigueur du corps” qui maintiennent, selon lui, un esprit “sain et robuste”. Retour à une force morale originelle dans l’état de nature, qui supposait de s’armer physiquement contre toutes sortes de dangers. Sa conclusion ne flatte pas les profils cérébraux : “L’étude des sciences est bien plus propre à amollir et efféminer les courages qu’à les affermir et les animer.”

Soprano rejoint Rousseau. Puisque “la vie, c’est musclé”, autant produire littéralement du muscle pour en affronter les vicissitudes. En effet, je ne suis pas sûre de vouloir être capable, à l’avance, d’“encaisser” les épreuves de la vie. Est-on encore vraiment ouvert à l’altérité si, par définition, on s’équipe à l’excès pour ne plus être mis en difficulté par rien ? Oui, sans doute y a-t-il un risque à s’exposer ainsi à tout ce que la vie peut offrir – de bon comme de mauvais. Mais aux préparatifs bien étudiés, on peut aussi préférer une autre méthode : la débrouille. »

octobre 2025
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14.10.2025 à 17:00

Ziad Majed : “Le plan Trump entend dépolitiser le conflit israélo-palestinien”

hschlegel

Ziad Majed : “Le plan Trump entend dépolitiser le conflit israélo-palestinien” hschlegel mar 14/10/2025 - 17:00

Tandis que des otages ont été échangés contre des prisonniers et que l’aide humanitaire est revenue à Gaza, le futur des institutions politiques de la Palestine est plus flou que jamais. Explications avec le politologue Ziad Majed, auteur de Proche-Orient, miroir du monde. Comprendre le basculement en cours (La Découverte, 2025).

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Que pensez-vous du déploiement du plan Trump ?

Ziad Majed : La machine de mort semble s’être arrêtée. Le cessez-le-feu s’est imposé et des centaines de milliers de Palestiniens marchent en direction du nord vers la ville ravagée de Gaza. Les otages israéliens sont en train d’être libérés et échangés contre des détenus palestiniens. Les camions de l’aide humanitaire doivent bientôt entrer dans l’enclave, notamment pour fournir nourriture, médicaments et vaccins, mais aussi nettoyer, remettre quelques routes en fonction, rétablir des réseaux d’eau en attendant l’électricité qui va prendre bien plus de temps. Cependant, si la guerre qualifiée par les organisations internationales de génocidaire prend fin, beaucoup de questions restent en suspens. Qui va administrer Gaza ? Il est question aujourd’hui de mettre le territoire sous une tutelle étrangère supervisée par Tony Blair, une figure issue de l’histoire coloniale et mandataire britannique en Palestine associée à la guerre en Irak comme au mépris du droit international. Mais quelle élite politique palestinienne sera associée à la transition politique ? Ensuite, on ne sait toujours pas quand l’armée israélienne va se retirer, ni si le gouvernement de Netanyahou va finalement abandonner sa volonté de modifier radicalement la démographie de Gaza en faisant partir les habitants de gré ou de force. Le futur de l’occupation de la Cisjordanie n’est pas clair non plus. Comme si la gestion de Gaza devenait une affaire logistique sans perspective politique en relation avec le reste des territoires occupés.

 

Y a-t-il déjà eu autant d’incertitudes quant au futur des institutions politiques palestiniennes ?

Depuis la mort de Yasser Arafat, Israël a tout fait pour empêcher l’émergence d’une nouvelle élite politique palestinienne, soit par l’assassinat, soit par l’arrestation de leaders qui auraient pu jouer un rôle important dans une transition, comme Marwan Barghouti. Cela leur a servi de prétexte pour répéter qu’il n’y avait pas de partenaires crédibles pour construire la paix. Ensuite, la division territoriale et politique entre le Hamas et le Fatah de Mahmoud Abbas, c’est-à-dire entre Gaza et la Cisjordanie, a été entretenue et a rendu impossible l’existence même d’un corps politique commun pour administrer les territoires palestiniens, qui demeurent, selon le droit international, « illégalement occupés par Israël ».

“Ce qui se dessine pour l’instant est un avenir sans cap politique […], avec un territoire de Gaza dévasté où l’on va faire de la gestion sécuritaire, alimentaire, humanitaire, économique” Ziad Majed

 

Pourquoi le plan Trump marginalise-t-il autant cette question du futur de l’administration politique de la Palestine ?

Ce plan est piloté par des personnes qui ont une culture des affaires. Ils connaissent plus le monde de l’immobilier que celui des institutions politiques. C’est le cas de Steve Witkoff, envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient, ou de Jared Kushner, l’un des architectes du plan Trump qui est aussi impliqué dans des projets de constructions au sein des colonies israéliennes en Cisjordanie. Pour eux, ce sont les affaires et les investissements qui permettront de traverser les turbulences politiques à Gaza. Et quand vous avez plus de 80% des habitations qui sont détruites ou endommagées, ils ont des arguments pour affirmer que la reconstruction politique est secondaire. Évidemment, derrière la question institutionnelle, il y a les négociations politiques, la reconnaissance de l’État palestinien, les questions du droit international et de l’impunité, des mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, autant de causes qu’Israël et les États-Unis veulent occulter de leurs agendas. Se dessine donc un avenir sans cap politique, avec une Cisjordanie morcelée et colonisée, administrée en partie par une Autorité marginalisée et vieillissante. Et puis Gaza, un territoire dévasté où l’on va faire de la gestion sécuritaire, alimentaire, humanitaire, économique…

 

Cette volonté de dépolitiser les enjeux du conflit israélo-palestinien est-elle nouvelle ?

Elle marque profondément cette phase du conflit qui s’est ouverte le 7 octobre 2023. Depuis lors, tenter de contextualiser les événements – et notamment le 7-Octobre lui-même – a été perçu, surtout en Europe et aux États-Unis, comme une façon de justifier les attaques du Hamas. Il y a eu un changement dans la terminologie du conflit. Pendant deux années, nous avions la crise humanitaire d’un côté et les otages de l’autre, sans qu’il ne soit jamais possible de revenir au cœur politique du sujet, à savoir : le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, aux questions de la colonisation – voire de l’annexion – de la Cisjordanie comme au blocus depuis 2007 de la bande de Gaza. Trump et son administration ne parlent plus de résolutions onusiennes, de droit international ou des Conventions de Genève. Tout se passe comme s’ils voulaient que ce conflit se déjudiciarise.

 

Beaucoup de pays, de l’Arabie Saoudite à l’Europe, ont tenté de remettre la politique au milieu en reconnaissant la Palestine. Est-ce insuffisant ?

Les rapports de force dans les relations internationales sont tels que Donald Trump impose pour le moment sa logique. Mais peut-être que les Européens, aidés par certains États arabes de la région, vont finir par peser dans les prochains mois. Enfin, il faut aussi prendre en compte que Trump reste très imprévisible. Il s’est montré pro-colonisation en ce qui concerne la Cisjordanie et l’ambassadeur des États-Unis en Israël a même dit qu’il comprenait l’annexion d’une partie de ce territoire palestinien occupé. Or, Trump a dit fin septembre qu’il n’y aurait plus d’annexion… 

“Le plan Trump est piloté par des personnes qui ont une culture des affaires. Ils connaissent plus le monde de l’immobilier que celui des institutions politiques” Ziad Majed

 

Vous dites que le 7-Octobre a ouvert plus largement un nouveau moment dans l’histoire du Proche-Orient. Pourquoi ?

Tout s’est accéléré depuis fin 2023 : le rôle de l’Iran recule sans qu’on sache si Téhéran va tenter de le reconstruire ou si Netanyahou va prolonger sa guerre. Le régime Assad s’est effondré en Syrie mais la transition pose beaucoup de défis. D’un côté, il y a de fortes tensions sectaires avec les Kurdes, les Druzes ou les Alaouites. De l’autre, Israël y occupe désormais des positions et mène des frappes régulières. Tout comme au Liban qui est très fragilisé économiquement et politiquement. Le Hezbollah a perdu une partie de son influence mais garde le soutien d’une grande partie des Chiites. Est-ce que ce pays retrouvera son influence ? Quid de l’Irak ? Nous sommes dans un moment d’indétermination dans l’histoire contemporaine du Proche-Orient et de son rapport à un monde où reculent les valeurs universelles : il y a peu de projets politiques, que ce soit du côté des pouvoirs installés ou du côté des oppositions comme des dissidents. Et, dans cette grande indétermination, la seule certitude est qu’une partie des populations est condamnée à vivre dans des zones urbicidées. Pendant des décennies, des millions de personnes vont se réinstaller dans un environnement qui gardera la mémoire de la destruction et de la mort.

 

Le Proche-Orient, miroir du monde. Comprendre le basculement en cours, de Ziad Majed, vient de paraître aux Éditions La Découverte. 352 p., 18,50€, disponible ici.

octobre 2025
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14.10.2025 à 12:53

L’automne vu par les philosophes

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L’automne vu par les philosophes hschlegel mar 14/10/2025 - 12:53

Les feuilles jaunissent, les épaules se couvrent : c’est l’automne. Qu’en disent les philosophes ? Une anthologie à relire sous la couette.

octobre 2025
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14.10.2025 à 06:00

La chanteuse et actrice Jehnny Beth répond à notre “Questionnaire de Socrate”

nfoiry

La chanteuse et actrice Jehnny Beth répond à notre “Questionnaire de Socrate” nfoiry mar 14/10/2025 - 06:00

Avant d'enflammer ce mardi la scène parisienne de La Maroquinerie pour le deuxième soir de suite, puis le Marché Gare à Lyon le 17 octobre avec les titres de son nouvel album You Heartbreaker, You (sorti sur le label Fiction Records), la rockeuse et actrice (à voir dans la série Hostage sur Netflix) Jehnny Beth a répondu à notre redoutable « Questionnaire de Socrate ».

octobre 2025
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13.10.2025 à 17:47

De la colère froide des Français

hschlegel

De la colère froide des Français hschlegel lun 13/10/2025 - 17:47

« Tout le week-end, j’ai cherché le mot qui conviendrait le mieux pour désigner l’affect qui s’est emparé de la société française, tous camps et toutes classes confondus, face à la crise politique en cours.

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En admettant que la “colère froide” soit un bon candidat, la question est alors de savoir si, à l’instar des colères du passé, celle-ci va pouvoir être confiée à ce que le philosophe Peter Sloterdijk appelle une “banque de la colère”.

De ma boulangère – “et en plus, c’est avec notre argent qu’ils se livrent à ce pitoyable et interminable jeu de chaises musicales” – à ma femme – “on n’accepterait de personne dans la vie normale de jouer ainsi avec les nerfs de ses semblables” –, c’est un étrange sentiment qui règne dans la société française depuis la séquence ouverte par la démission surprise de Sébastien Lecornu, il y a une semaine, et sa reconduction, hier, autour d’un gouvernement à l’assise encore plus étroite et en sursis face à deux nouvelles motions de censure.

D’abord l’incrédulité : en un peu plus d’une année, voilà le troisième gouvernement qui s’effondre sur lui-même faute d’avoir trouvé le moyen de former des compromis au sein d’un Parlement sans majorité et sous la pression d’un président de la République enclin à considérer qu’il pouvait faire plier la réalité politique à sa volonté. Au-delà des querelles d’egos et d’ambitions, qui sont le lot normal de la vie politique, c’est le sentiment dominant que les politiques sont devenus incapables d’articuler leurs ambitions personnelles aux enjeux du pays et du moment. Même si Sébastien Lecornu se présente, en rupture avec ce climat, comme un “moine soldat” motivé par le seul sens du “devoir”… Dans une France sans budget, en proie à une dette colossale et à une polarisation idéologique et sociale sans précédent, les acteurs politiques apparaissent comme de purs arrivistes au service de leurs intérêts et de leurs calculs à la petite semaine. En regard de la gravité des crises, la politique prend l’aspect d’un petit cénacle à l’intérieur de la société, inapte à lui procurer cette distance et cette hauteur qui lui permettraient de se déchiffrer et de se décider. Or ce décrochage de la vie politique, initié par la dissolution de l’Assemblée nationale, n’a cessé de s’aggraver depuis un an et demi. D’où la colère qui s’est saisie du corps social.

Comment la qualifier ? Dans la Rhétorique, Aristote définit la colère comme “le désir douloureux de se venger publiquement d’un mépris manifesté publiquement à notre endroit ou à l’égard des nôtres, ce mépris n’étant pas justifié”. Si les Français ont le sentiment que leur destin est négligé et méprisé par les politiques, leur colère se distingue cependant de la forme active et véhémente à laquelle pensait Aristote, pour qui l’expression publique du courroux était déjà une manière de compenser le dommage subi. Or ce qui monte aujourd’hui chez les Français ressemble bien plus à une colère silencieuse, collectivement partagée, mais rentrée.

À la différence de la colère classique, vengeresse, la colère française s’associe au sentiment tout aussi prégnant d’une impuissance collective, comme si les citoyens étaient devenus otages de querelles sur lesquelles ils n’ont pas de prise alors qu’elles les empêchent de vivre. Loin d’être éloquente et agissante, c’est donc une colère froide, mélange d’exaspération et de lassitude, de nervosité et de fatigue, de consternation et de détachement. Plus retenue que la haine, elle allie l’indifférence au sens du ridicule… “Quelle bande de clowns !”, entend-on de plus en plus. Reste à savoir si cette colère froide et retenue peut subsister longtemps sans se réchauffer et passer à l’action. Dans Colère et Temps (Libella-Maren Sell, 2007), le philosophe allemand Peter Sloterdijk proposait de penser la politique en termes “thymotiques” – de thymos, désignant en grec le cœur, les passions et les émotions. Dans cette perspective, il invitait à considérer les partis révolutionnaires du XXe siècle comme des “banques mondiale de la colère” dont la fonction avait été de collecter, placer et valoriser les colères dispersées dans le corps social en les échangeant contre des promesses d’action collective future. “La base de leur commerce, écrivait-il, est la promesse faite à leurs clients de déverser un profit thymotique sous forme d’une hausse du respect de soi et d’une capacité élargie à faire face à l’avenir s’ils renoncent au défoulement instantané de leur colère.” Depuis longtemps – c’est sans doute sa principale ambition –, Marine Le Pen a cherché à transformer le front de la haine et de la vengeance, créé par son père avec le FN, en une banque de la colère susceptible de prendre le pouvoir. Et c’est tout le sens de son attitude dans la crise actuelle. Si elle dénonce “un spectacle affligeant, désespérant et pathétique”, elle table sur le renoncement “au défoulement instantané de la colère” afin d’engranger, le temps venu, le maximum de dividendes politiques de ce précieux capital. Reste qu’elle n’a pas encore fait la démonstration qu’elle était capable de donner aux “avoirs en colère” une traduction sous la forme d’une politique qui “assurerait la hausse du respect de soi et une capacité élargie à faire face à l’avenir”, selon le schéma proposé par Sloterdijk. Sans compter que son accession au pouvoir pourrait provoquer la révolte de la France qui ne se se reconnaîtrait sans doute pas dans cette expression-là de la colère… C’est peut-être tout l’enjeu “thymo-politique” des mois à venir : à quelle banque politique les Français vont-ils vouloir confier leur froide colère ? »

octobre 2025
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13.10.2025 à 15:54

Pourquoi retraduire la “Métaphysique” d’Aristote ?

hschlegel

Pourquoi retraduire la “Métaphysique” d’Aristote ? hschlegel lun 13/10/2025 - 15:54

Depuis plusieurs années, Jean-François Pradeau s’est lancé dans un lent mais ambitieux travail de retraduction de la Métaphysique d’Aristote, qui permet d’en renouveler l’approche. On vous explique comment, à partir du dernier volume qui vient de paraître : un tour de force où, par un judicieux choix de vocabulaire, Aristote soudain s’éclaire et devient accessible !

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Du temps où la métaphysique était une nouvelle discipline encore balbutiante

Le problème avec la métaphysique, c’est qu’on ne sait pas très bien de quoi ça parle, ce que ça dit, bref : ce que c’est. Et ce problème n’est guère nouveau : rappelons que, dès l’origine, c’était à tâtons qu’Aristote (384-322 avant J.-C.) envisageait l’existence d’une toute nouvelle discipline, encore balbutiante donc, sans savoir ni exactement sur quoi elle devait porter ni même comment la nommer. Dans l’ouvrage auquel la postérité donnera le nom allusif de Métaphysique (c’est-à-dire ce qui est « après » ou « par-delà » la physique), Aristote nourrit en effet un projet inédit et qui se cherche encore – à savoir celui de poser les fondations d’une science qui, au lieu de se concentrer sur une certaine partie de tout ce qui est, puisse envisager ce tout lui-même, sans rien exclure, pour en faire comme tel son objet d’étude. Si la physique étudie les corps en mouvement et eux seulement, l’éthique examine l’action humaine, les mathématiques traitent des nombres et des figures, etc., peut-on concevoir une science qui soit cette fois-ci universelle, c’est-à-dire qui porte sur l’ensemble de ce qui est ?

L’objet de la métaphysique

Ainsi présentée, on voit mal comment on pourrait s’y prendre concrètement pour mener à bien ce projet. La perspective évoquée semble certes intellectuellement excitante mais difficilement réalisable, puisqu’à partir du moment où l’on tient le moindre propos sur quelque chose, on risque d’exclure autre chose. Aristote tergiverse et envisage différentes possibilités (au grand dam des commentateurs, qui passeront des siècles à se demander si ces différentes perspectives se recoupent ou non). Pour faire simple, deux grandes options se dégagent :

La métaphysique pourrait consister à rapporter tout ce qui est à sa cause, qui est elle-même l’effet d’une cause antérieure, etc. En dernière instance, elle reviendrait alors à étudier Dieu comme l’origine ou la cause de toute forme d’être… et serait ainsi assimilable à la théologie.Mais elle pourrait aussi consister à étudier ce qui est, du simple point de vue que cela est, abstraction faite de ce que c’est. Une table est (une table), une idée est (une idée), un événement est (un événement)… et même si ces choses, abstraites comme concrètes, correspondent à des réalités différentes, elles ont toutes en commun d’être, tout simplement. 

Selon cette dernière interprétation, la métaphysique aurait pour objet « l’être », et chercherait à élucider la question suivante : qu’est-ce que l’être ? C’est du moins ainsi qu’on a l’habitude de traduire en français le questionnement aristotélicien, puisque le grec est sensiblement moins ambigu. « Être » en français est tantôt un verbe tantôt un substantif, tandis que le terme qu’utilise Aristote est un pur substantif, qui signifie « l’étant », ou donc « ce qui est » (en grec το ον – to on – d’où le nom d’« ontologie » donné à cette branche de la philosophie).

“On considère habituellement que la métaphysique a pour objet ‘l’être’ et cherche à répondre à la question suivante : qu’est-ce que l’être ?”

 

Tel est le choix de traduction fait par le spécialiste de philosophie antique Jean-François Pradeau : après Métaphysique, Livre Alpha (PUF, 2019), Bêta (PUF, 2021), Gamma (PUF, 2022), Delta (PUF, 2023) et Epsilon et Petit alpha (PUF, 2024), il vient en effet de publier sa traduction des deux livres centraux (Livres Zêta et Êta, PUF, 2025) qui s’écarte des traductions habituelles et rend l’intention aristotélicienne beaucoup plus claire. Afin de mieux le comprendre, comparons trois traductions d’un extrait particulièrement important du premier chapitre du livre Zêta, où Aristote recentre sa pensée pour donner une nouvelle formulation de ce qui lui semble la question centrale de la métaphysique, en déplaçant le questionnement :

 

Traduction la plus répandue

(J. Tricot, 1933)

Variante

(M.-P. Duminil et A. Jaulin, GF, 2008)

NOUVELLE TRADUCTION

(J.-F. Pradeau, PUF, 2025)

« En vérité, l’objet éternel de toutes les recherches, présentes et passées, la question toujours posée : qu’est-ce que l’Être ? revient à ceci : qu’est-ce que la substance ? C’est cette substance, en effet, dont les philosophes affirment, les uns, l’unité, d’autres, la pluralité, cette pluralité étant, pour les uns, limitée en nombre, et pour d’autres, infinie »

« La question que l’on se pose chaque fois, autrefois comme maintenant, et qui est chaque fois source de difficulté : “Qu’est-ce que l’être ?” équivaut à la question : “Qu’est-ce que la substance ?” En effet, les uns affirment que l’être est un, les autres qu’il y en a plusieurs, soit en nombre fini, soit infini »

« La question qui se pose toujours et qui toujours fait difficulté, “qu’est-ce qui est ?”, cette question est celle de savoir ce qu’est la réalité (les uns affirment en effet qu’il s’agit d’une seule chose, les autres qu’il y en a plusieurs, d’autres qu’elles sont en nombre limité et d’autres en nombre illimité) »

 

La différence est patente entre les trois traductions, ou plus exactement entre les deux premières traductions (qui sont assez proches) et la dernière. Autant le questionnement aristotélicien semble pompeux quand il porte sur « l’être » – et plus encore quand on écrit cet « être » avec une grandiloquente majuscule, « l’Être » –, autant il devient plus accessible quand il s’exprime de manière plus concrète, comme la recherche de ce qui est. Aristote, ainsi compris, ne veut plus se lancer dans la quête improbable d’une entité inconnue mais interroge simplement et concrètement ce qui constitue le réel.

Parler de “réalité” plutôt que de “substance”, qu’est-ce que ça change ?

La suite du passage est encore plus éloquente. Là où les traductions antérieures faisaient se demander à Aristote si ce mystérieux « l’être » était l’équivalent de « la substance », Jean-François Pradeau, plus modestement, ne parle que de « la réalité ». Choisir le terme de « substance » pour traduire le grec ουσία – ousia – posait de multiples difficultés, tant il semble surtraduit et lourd de sens, comme peut l’être un terme technique et savant, voire inquiétant… car on se met immédiatement à spéculer sur la nature de cette étrange substance, qui semble à la fois indéterminée et pourtant dotée d’une certaine sorte de permanence ou de subsistance. Dans ces conditions surtout, la métaphysique semble une affaire réservée aux initiés qui disposeraient des codes d’une terminologie spécifique ; et ce n’est pas un hasard si ce sont d’abord dans les écoles scolastiques que la traduction de ουσία par le latin substantia s’est imposée (avant de connaître un grand succès dans la philosophie moderne chez Descartes, Spinoza, et Hegel notamment), avant de se transmettre de génération en génération de philosophes.

“Avec cette nouvelle traduction, Aristote ne veut plus se lancer dans la quête improbable d’une entité inconnue ; il interroge simplement et concrètement ce qui constitue la réalité”

 

Dans la version de Jean-François Pradeau en revanche, on perd ce fil de tradition et de transmission mais l’on se met à reconsidérer la métaphysique avec des yeux neufs, car le terme de « réalité » est plus neutre et banal, accessible à tout un chacun. Elle redevient un questionnement évident et quotidien, consistant à constater d’une part que « ce qui est » correspond à ce que nous considérons comme « réel », et d’autre part que tout le monde ne s’accorde pas sur la nature et l’extension de ce qui peut être légitimement considéré comme réel. À partir de là, bien sûr, les difficultés restent nombreuses et très ardues : y a-t-il une seule réalité au-delà des apparences ? Les différentes réalités sont-elles au contraire les diverses choses qui nous environnent, et alors sont-elles toutes de nature sensible et corporelle ou en existe-t-il de nature intelligible ? La réalité n’est-elle pas toujours un composé de matière et de forme ? Ce qui fait la réalité d’une chose est-il sa matière, son essence ou autre chose encore ?

Historiciser la métaphysique

Ce n’est là qu’un aperçu des questions qu’Aristote s’apprête à se poser, et le lecteur avec lui, dans le reste de la Métaphysique. Mais quoi qu’il en soit, l’on mesure de quelle façon une traduction permet d’éclairer profondément le sens d’un texte et la compréhension qu’on peut s’en faire. Et dans le cas d’un ouvrage qui a été aussi commenté que la Métaphysique, on pourrait dire que si elle eût été traduite autrement, c’est toute l’histoire de la philosophie qui en aurait été changée.

 

Disponible aux Presses universitaires de France, retrouvez toute la Métaphysique d’Aristote dans sa nouvelle traduction ici : Livre Alpha (2019) / Livre Bêta (2021) / Livre Gamma (2022) / Livre Delta (2023) / Livres Epsilon et Petit alpha (2024) / et notamment les Livres Zêta et Êta (2025), centraux dans l’œuvre du penseur grec.

octobre 2025
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13.10.2025 à 12:29

Sébastien Lecornu, un “salarié boomerang” ?

hschlegel

Sébastien Lecornu, un “salarié boomerang” ? hschlegel lun 13/10/2025 - 12:29

Revenir occuper un poste que l’on a volontairement quitté : quelle idée ! C’est pourtant un phénomène de plus en plus courant... et qui ne touche pas que les ministres : celui du « salarié boomerang », nouveau chouchou des DRH. Nos confrères de Philonomist nous expliquent le concept, dans un article en accès libre.

octobre 2025
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13.10.2025 à 08:00

Trois classiques pour lutter contre la fatigue

nfoiry

Trois classiques pour lutter contre la fatigue nfoiry lun 13/10/2025 - 08:00

Alors que nous l’éprouvons tous les jours, la fatigue a rarement été abordée par les philosophes. Pourtant, cet état épouse l’histoire de la pensée, comme nous vous proposons de le découvrir dans notre nouveau numéro avec Sénèque, Simone Weil et Jonathan Crary.

octobre 2025
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12.10.2025 à 08:00

Un philosophe chrétien face à “quatre mousquetaires” : Denis Moreau a lu le “Manifeste pour un nouvel athéisme”

nfoiry

Un philosophe chrétien face à “quatre mousquetaires” : Denis Moreau a lu le “Manifeste pour un nouvel athéisme” nfoiry dim 12/10/2025 - 08:00

Denis Moreau était en retraite dans un monastère quand nous lui avons adressé ce Manifeste pour un nouvel athéisme de quatre esprits brillants et polémiques qui mettent à l’index le renoncement des croyants à argumenter. Dans notre nouveau numéro, le philosophe chrétien, qui publie en cette rentrée Tous hérétiques ?, a accepté de les lire et de se faire l’avocat… de Dieu.  

octobre 2025
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11.10.2025 à 07:00

Clotilde Leguil : “Il faut comprendre ce qui dans l’amour peut mener à l’emprise”

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Clotilde Leguil : “Il faut comprendre ce qui dans l’amour peut mener à l’emprise” nfoiry sam 11/10/2025 - 07:00

Comment s’ouvrir à l’autre, se risquer à aimer, s’engager dans l’action sans s’y abîmer ? Avec son nouvel essai La Déprise, Clotilde Leguil prend ces questions à bras-le-corps. Dans notre dernier numéro à retrouver également chez votre marchand de journaux, elle nous expose sa démarche, au croisement de la littérature, du cinéma, de la philosophie et de la psychanalyse.

octobre 2025
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