17.10.2025 à 06:00
nfoiry
En Chine, les outils numériques sont en train de réinventer la pratique de la lecture. Mais la dilution dans le multimédia ne risque-t-elle pas de détruire la liberté intérieure inhérente à cette activité ? Réponse de Michel Eltchaninoff dans notre nouveau numéro.
octobre 202516.10.2025 à 18:35
hschlegel
« Gel, suspension, “année blanche” : pour acheter sa survie, le gouvernement a opté pour l’immobilisme. Or, dans un monde mouvant, ne rien faire est une décision qui a des conséquences réelles – et souvent fâcheuses.
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C’était donc ça qu’il fallait faire pour apaiser la droite et les socialistes : choisir l’inaction. Il faut que rien ne change pour que rien ne change, semble s’être dit Sébastien Lecornu, las d’être renversé comme un pion. D’où la timidité de ses propositions qui, passé quelques mesurettes de détail, se résument à vouloir figer l’existant. On “gèle” le barème de l’impôt sur le revenu ; on “suspend” la réforme des retraites ; on décrète une “année blanche”, soit le maintien de certaines dépenses publiques au niveau de l’année précédente.
Ça a l’air si inoffensif, une “année blanche” : on l’imagine douce et indolore, flottant dans les frimas de janvier 2025 tels de légers flocons de neige, nimbant d’un brouillard cotonneux notre frilosité collective. La stratégie est habile : qui songerait à se révolter contre une absence d’action ? Lorsqu’on se mobilise, c’est généralement pour protester contre un changement qui nous déplaît. “Bloquons tout !”, appelaient en septembre les manifestants, comme s’il fallait freiner une accélération sociétale et capitaliste dans laquelle ils s’estimaient lésés. En un sens, le gouvernement semble les avoir entendus : incapable de refondre quoi que ce soit, il s’est résigné à bloquer, lui aussi – en l’occurrence les dépenses publiques et les mesures d’adaptation habituelles à la conjoncture, comme la revalorisation des pensions et des minima sociaux en fonction de l’inflation.
Or cette absence de changement n’est qu’apparente. N’en déplaise aux Lecornu de ce monde, on ne peut arrêter ni le temps ni le réel. Celui-ci est “création continue d’imprévisible nouveauté”, comme le formule Henri Bergson dans “Le possible et le réel” (in : La Pensée et le Mouvant). “À vrai dire, il n’y a jamais d’immobilité véritable, si nous entendons par là une absence de mouvement”, explique le philosophe dans “La perception du changement” (paru dans le même recueil).
“Le mouvement est la réalité même, et ce que nous appelons immobilité est un certain état de choses identique ou analogue à ce qui se produit quand deux trains marchent avec la même vitesse, dans le même sens, sur deux voies parallèles : chacun des deux trains apparaît alors comme immobile aux voyageurs assis dans l’autre. […] Les voyageurs des deux trains ne peuvent se tendre la main par la portière et causer ensemble que s’ils sont ‘immobiles’ c’est-à-dire s’ils marchent dans le même sens avec la même vitesse”
Henri Bergson, conférence sur “La perception du changement” (1911)
D’un parti à l’autre, nos responsables se serrent la main en croyant rester immobiles, tels les voyageurs de Bergson. C’est oublier que les trains du réel sont toujours en marche, si j’ose dire, contrairement au parti présidentiel : tandis que les députés se satisfont de ce semblant d’immobilisme, l’inflation court, la dette file, la pauvreté s’aggrave. Ainsi, la suspension de la réforme des retraites a des effets bien concrets. Face au déséquilibre démographique vertigineux qui est le nôtre, l’inaction est une décision : elle alimente une dette explosive qui n’attend pas notre accord pour enfler. “Ô, temps, suspends ton vol !”, chantait Lamartine ; mais à force de nier le réel, il revient en boomerang.
De même, la non-revalorisation des barèmes fiscaux et prestations sociales en fonction de la hausse des prix a des effets notables sur le pouvoir d’achat. Si personne ne songerait à pleurer sur le gel des pensions des retraités les plus aisés, rappelons-nous que les foyers plus modestes seront les premières victimes de l’inaction gouvernementale, eux dont les minima sociaux seront mécaniquement rognés par l’inflation. D’après l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les ménages les moins favorisés verront leur revenu disponible (rapporté au niveau de vie) baisser de 1% – contre 0,3% pour les plus aisés – et seront nombreux à basculer sous le seuil de pauvreté. Autrement dit, l’année blanche pourrait bien se transformer, une fois consommée, en année noire pour les plus fragiles. Enfin les classes moyennes ne seront pas épargnées : avec le gel du barème d’impôts, une partie d’entre elles deviendra imposable, et ce alors que la hausse des prix viendra grever leurs finances. “L’inflation, c’est de la taxation sans législation”, pointait l’économiste Milton Friedman. Elle fait faire des économies à l’État de manière subreptice, indolore – tout en rognant sur les revenus des citoyens.
Bref, cette année blanche est tout sauf anodine. Au lieu de taxer les riches ou de réduire les dépenses étatiques, on décide de faire peser l’effort budgétaire sur le contribuable moyen, les générations futures et les plus fragiles – mais sans se faire d’ennemis, puisqu’on prétend n’avoir rien changé. Et si l’on bloquait ce blocage ? »
octobre 202516.10.2025 à 17:16
hschlegel
Depuis septembre, le Maroc est traversé par le mouvement « GenZ 212 », mené par une jeunesse en quête de justice sociale. Parti de Lqliâa, près d’Agadir, il s’est vite étendu à tout le pays. Dans cet entretien, Amine Chebarri, étudiant en cinéma à la faculté de Ben M’sick de Casablanca et rappeur sous le nom de Nomade, nous offre un point de vue intérieur privilégié pour comprendre le mouvement.
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Comment est né le mouvement “GenZ 212” au Maroc ?
Amine Chebarri : D’abord, j’aimerais préciser que je ne suis pas moi-même un représentant de « GenZ 212 » au Maroc, je ne suis qu’un participant qui offre son point de vue. Ensuite, il faut dire que ce mouvement vient de Oulad Cha’b [traduit littéralement par « les enfants peuple » : l’expression renvoie à l’idée d’un mouvement populaire], des jeunes, et pas de l’extérieur comme on a voulu le faire croire. Si dans l’immédiat, la mort de 8 femmes enceintes en 10 jours à l’hôpital Hassan II ou encore les expropriations des terrains et démolitions pour construire des stades ont pu en être l’étincelle, le mouvement s’ancre dans une histoire de luttes sociales au Maroc. « GenZ » est l’héritier de nombreux mouvements de contestations comme celui du 20 février 2011 (M20), du Hirak du Rif (2016-2017), des « assoiffés de Zagora » (2017), ou encore du mouvement Jerada des « martyrs du charbon » (2017-2018). Le point commun à ces mouvements, c’est qu’on vit toujours dans les mêmes conditions indignes malgré le changement de constitution en 2011. Si j’étais trop jeune à l’époque de ces mouvements pour y participer, j’en ai beaucoup entendu parler par mes parents et ma famille qui étaient plutôt militants.
“Au Maroc, les jeunes vivent toujours dans les mêmes conditions indignes malgré le changement de constitution en 2011” Amine Chebarri
Quelles sont les revendications du mouvement ?
Au départ, c’était la santé, l’éducation et la fin de la corruption. Le mouvement « GenZ » se distingue des précédents par sa demande de mouhassaba (مُحاسَبَةٌ), la reddition des comptes : on attend du gouvernement la transparence et des personnes corrompues au pouvoir qu’elles rendent des comptes. Le parti pris des revendications, c’est de s’éloigner des structures institutionnelles et des partis pour affirmer un discours de justice sociale ; que les réformes posées par la constitution de 2011 soient appliquées. Comme le mouvement est récent, et que beaucoup de jeunes sont dépolitisés, sans lien avec des partis ou associations militantes, ils veulent « connecter les consciences politiques » lors des débats sur la plateforme Discord, où l’on organise la lutte et où de nombreuses revendications sont nées. Mais cette conscience vient aussi – entre autres – des échanges avec l’ancien député progressiste-réformiste Omar Balafrej, du contact avec les générations précédentes qui ont vécu les mouvements de contestation passés, etc.
“À Casablanca, on ne répare les aménagements précaires que pour le passage d’une personnalité officielle, les touristes et les gens aisés. C’est une façade pour le monde extérieur pendant que les Marocains meurent dans les hôpitaux” Amine Chebarri
Avez-vous participé vous-même aux manifestations et aux rassemblements ? Comment est-ce que ça s’est passé ?
J’ai participé à toutes les manifestations sauf la première. Il n’y avait presque que des jeunes, des tranches d’âge de 15 à 20 ans et d’autres un peu plus vieux. Presque personne ne se connaissait, parce qu’on se rejoignait anonymement sur notre fil Discord en amont des rassemblements. On ajoutait un ami aux débats, lui-même ramenait les siens, etc. Les rassemblements ont été spéciaux parce que le contexte dans lequel on a grandi était dur. Les générations de nos parents ont vécu dans la peur. On connaît les récits de l’époque de Hassan II, des mouvements étudiants de 1965 ou des émeutes du pain en 1981 qui ont été réprimés dans le sang. Aujourd’hui, les jeunes qui ont fini au commissariat et qui ont été récupérés par leurs parents se sont pris quelques baffes à leur sortie [rires] ! Mais on sent quand même qu’il y a un soutien réciproque et général au sein de notre génération. Il y a une dynamique de groupe, qui a commencé sur Discord et qui échappe à surveillance de la structure familiale. Le premier jour, il n’y avait pas autant de monde que les jours suivants. Mais la répression, qui a été très forte, a poussé les jeunes et les non-politisés à bouger le deuxième jour. Certains, dans les places et assemblées, tenaient des discours très courageux et galvaniseurs, même devant la police. C’était un moment magique, même si c’était dur parce qu’il y a une grande mobilisation sans la médiation des partis politiques ou des institutions. Tu tournais la tête et tu ne voyais que des jeunes – il y avait de la peur mais on l’assumait collectivement, on l’acceptait et on se disait que ce n’était pas ça qui allait nous faire reculer.
“Le gouvernement marocain cherche à réinstaurer le climat des années de plomb, sous la dictature de Hassan II” Amine Chebarri
Quelle est la dynamique du bras de fer entre le mouvement et les autorités ?
À Casablanca, je dirais que c’est d’abord allé crescendo avant de redescendre. Le premier jour, un ami m’a raconté que les forces de l’ordre opéraient des dispersions sauvages : des interventions éclair, lors desquelles on attrape tout le monde. Le deuxième jour, c’était pareil, mais la mobilisation policière était bien plus importante. Cette fois, ils ne dispersaient pas seulement les manifestants, mais aussi des rues et des quartiers entiers avec tous les moyens à leurs dispositions. Personne n’avait le droit de se rassembler ou de descendre de chez lui pour regarder. Celui qui s’approchait se faisait attraper, même la presse. À ce niveau, il s’agissait presque d’enlèvements. Leur objectif était de faire le plus peur possible, d’envoyer un message aux familles et aux gens qui penseraient à manifester. Ils ont cherché à réinstaurer le climat des années de plomb. Des jeunes de quartiers sans lien avec le mouvement ont aussi été agressés par les forces de l’ordre. S’ils étaient surtout curieux au début, ils représentent maintenant une bonne part du mouvement. Une anecdote à ce sujet : ils prenaient leurs motos quand on se faisait poursuivre par la police à Derb Sultan – un quartier de Casablanca plein de ruelles où l’on peut vite se perdre – pour nous guider vers les sorties de ce dédale ! Il y a eu une vraie solidarité de lutte. Par la suite, il y a eu la mort d’au moins trois personnes et plusieurs blessés. Les forces de l’ordre ne nous ont pas communiqué les chiffres officiels sur les blessés et les décès parmi les manifestants, alors qu’ils l’ont été du côté des forces de l’ordre. Les jeunes étaient vraiment remontés, et le gouvernement a compris que si la violence continuait, on ne s’arrêterait pas. Maintenant, ils ont adopté une approche qui consiste à dire que personne ne s’en prendra aux manifestations pacifiques. Les dernières manifestations ont alors été beaucoup plus tranquilles du côté des forces de l’ordre.
Dans les slogans, les mots de karama (كرامة) et hogra (حڤرة) reviennent souvent. Quelle est leur signification ?
La karama, c’est la dignité. C’est le strict minimum à respecter, ce qui ne devrait même pas être revendiqué. La hogra, c’est une humiliation institutionnalisée, symbolique et matérielle, qui bafoue la karama. Le peuple marocain vit dans des conditions précaires et indignes. À Casa, on ne répare ce qui est précaire – les quartiers, les hôpitaux, les écoles – que pour préparer le passage d’une personnalité officielle. Les jeunes s’opposent donc à ces grands projets de développement et de construction en vue de la Coupe du monde ou de la Coupe d’Afrique des nations, dont la fonction est surtout de produire une façade superficielle pour le monde extérieur pendant que les gens meurent dans les hôpitaux. On prépare des services et aménagements qui ne seront accessibles que pour les touristes et les gens aisés. Ce qu’on demande, c’est la karama et la justice sociale, parce que pour l’instant, on est loin des stades et de la modernisation, de ces projets qui ne peuvent pas profiter au peuple marocain. Ces grands projets, c’est mettre le ’kar ’la l’khnouna [« du rouge à lèvres sur de la morve », c’est à dire maquiller le réel].
octobre 202516.10.2025 à 12:29
hschlegel
On a beau prétendre qu’on s’en fiche, notre activité professionnelle structure notre identité et notre rapport au monde. Comment trouver la juste distance vis-à-vis du travail ? Nos confrères de Philonomist nous aident à y voir clair dans cette vidéo.
octobre 202516.10.2025 à 06:00
nfoiry
Aux États-Unis, l’essai Abundance (non traduit) signé par les journalistes Derek Thompson et Ezra Klein suscite l’intérêt chez certains démocrates, qui cherchent à recentrer le parti autour de cet idéal. Dans notre nouveau numéro, nous avons demandé à l’historienne Alexia Blin, dont l’essai À l’assaut de l’abondance sort ce mois-ci, de nous expliquer ce repositionnement idéologique.
octobre 202515.10.2025 à 18:00
hschlegel
« Il y a quelques jours, j’ai rencontré une voyante. Dans un bar, permettez-moi de le préciser d’emblée – je ne suis pas allé consulter les augures.
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Appelons-la Pythie. C’est à l’occasion de l’anniversaire d’une amie que j’ai croisé sa route. Dans la foule attablée, je ne connais pas grand monde. Au bout d’un moment, je me retrouve finalement assis à côté d’elle. Ma timidité naturelle m’aurait plutôt incité à ne pas engager la conversation, mais j’ai déjà bu trois pintes. Nous commençons donc à échanger. Pythie ne tarde pas à me parler de ses séances de tarot. Heureux hasard, je sais moi-même tirer les cartes. Je n’y crois pas, mais je sais vaguement comment procéder – dextérité prophétique acquise à l’occasion d’une autre beuverie, lointaine, en compagnie d’une amie prénommée Cassandre (je n’invente pas).
J’aurais certainement dû oublier depuis, si je n’avais eu l’occasion de pratiquer. Mais il se trouve que quelques connaissances ayant eu vent de mes talents, pourtant conscientes de mon scepticisme, réclament de temps à autre que je lise leur avenir. Imaginez la drôle de position qui est la mienne, celle de l’incroyant sommé de consulter l’avenir. Je m’exécute tout de même. Il y a un plaisir purement narratif à tisser, à partir de quelques symboles, un récit cohérent. C’est un exercice de style. Une occasion aussi, parfois, de glisser un message qui ne pourrait se dire trop ouvertement, de formuler quelques vérités inaudibles si elles n’étaient convoyées par la médiation des arcanes. Je confirme en tout cas qu’il n’est pas très difficile de faire des “prédictions” qui font sens pour un interlocuteur, même fraîchement rencontré, pour peu qu’on cerne son caractère. “On peut prédire à un joueur qu’il jouera, à un avare qu’il entassera, à un ambitieux qu’il briguera. Même sans sorcier nous nous jetons une espèce de sort à nous-mêmes, disant : ‘Je suis ainsi ; je n’y peux rien’”, relève Alain dans ses Propos sur le bonheur (1925). De même d’un dépendant affectif, d’un égocentrique patenté – de n’importe quel tempérament encroûté.
Pardonnez-moi cette digression. J’en reviens à ma Pythie. Je dis voyante, mais je découvre en réalité, au fil de la discussion, tout le cortège de l’ésotérisme : la communication avec les morts, les vies antérieures, le magnétisme, etc. Mon interlocutrice, avertie de mes intérêts philosophiques, s’attendait je suppose à devoir se défendre des traditionnelles critiques contre la superstition. Mais je suis ivre et curieux. Dubitatif, certes, mais pas fermé. J’écoute. La discussion est intéressante. Pythie est avenante. Elle parle avec passion, et c’est cette passion, je crois, qui exerce sur moi une certaine fascination. Parce que je ne la comprends pas. Il me semble qu’en ces domaines infalsifiables, comme le dit Karl Popper, qui échappent par définition à toute procédure de validation, l’agnosticisme est la seule position raisonnable. Il n’y a aucune manière de prouver ce dont mon interlocutrice parle avec tant d’enthousiasme. Je ne lui demande d’ailleurs aucune justification, nous épargnant ainsi les vaines tentatives de rationalisation dans lesquelles s’enferrent souvent les adeptes de l’hermétisme.
Sa conviction m’échappe radicalement. Sur quoi se fonde-t-elle ? Essentiellement sur des expériences dont elle me fait le récit. Une expérience n’est jamais une preuve ; il semble pourtant que certaines fournissent à d’aucuns un motif suffisant de croire. Je repense à Kant qui, détaillant les différentes formes du “tenir pour vrai”, en évoque une qui m’a toujours troublé : la croyance, qui “n’est que subjectivement suffisante”, “tenue en même temps pour objectivement insuffisante”. Cette catégorie, Kant la nomme “foi”. Je ne comprends pas, je le confesse, cette suffisance subjective d’une croyance. Je me garderai bien d’affirmer avec certitude, faute d’en avoir l’expérience, que quelque chose de cet ordre n’existe pas. Mais cette forme-là du tenir pour vrai n’a aucune réalité pour moi. Elle ne se rattache à aucune expérience. Si je devais trouver un point de comparaison, peut-être parlerais-je des convictions du genre : j’existe, je suis libre, je suis mortel, etc. J’aurais pourtant le plus grand mal à mettre les deux sur le même plan – des convictions qui, enracinées dans une condition partagée, d’emblée donnée, possèdent encore dans leur inobjectivité une prétention universelle, et d’autres qui puisent leur intensité dans des expériences particulières. N’y a-t-il pas, dans cet entêtement à croire, ancré dans le singulier, un secret orgueil – un désir de n’être pas “comme tout le monde” ? Je ne me permettrais pas de trancher.
La discussion fut en tout cas stimulante. Pythie est quelqu’un de très sympathique. De ceci, j’ai au moins la conviction : on peut apprécier une personne sans vraiment la comprendre. »
octobre 202515.10.2025 à 17:00
hschlegel
Rivés à nos écrans, nous sommes en permanence assaillis d’informations. Comment, dans un tel contexte, retrouver la capacité à dialoguer avec soi ? Quelques pistes pour comprendre les menaces qui pèsent sur notre intériorité, et nous réapproprier un espace mental essentiel.
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Le flux perpétuel d’informations dans lequel nous sommes plongés a engendré les concepts d’infobésité ou de fatigue informationnelle. À cela s’ajoutent un scrolling envahissant, une place prépondérante des réseaux sociaux qui captent notre attention, souvent malgré nous, et qu’on tient pour responsables d’une anxiété croissante chez les jeunes comme d’une détérioration de la concentration à tous les niveaux. Ces mutations récentes interrogent : peut-on encore « être dans ses pensées » aujourd’hui ? S’agit-il d’un luxe que la plupart d’entre nous a irrémédiablement perdu ?
Du contenu comme remplissageTout commence par une expérience à la portée de chacun. À l’attente d’un bus, d’un métro ou d’un tramway, ne pas dégainer son téléphone : résister à l’appel des notifications et de leur dopamine sécrétée, et observer autour de soi. Il y a fort à parier que toutes les personnes présentes auront cette étrange posture, nuque cassée, front baissé, absorbées par l’écran que leur pouce fait défiler. Une fois à l’intérieur du bus ou du wagon, même constat : des individus qui semblent hypnotisés par leur téléphone, qui ne vous voient pas monter, qui ne regardent ni leur environnement ni leur voisin. On a beau le savoir, lorsque l’on renonce à prendre en main son téléphone un moment, il y a de quoi être décontenancé : dans quelle dystopie vivons-nous ?
“On a beau savoir que tout le monde est sur son téléphone, partout, tout le temps, lorsqu’on renonce à le prendre en main un moment, il y a de quoi être décontenancé : dans quelle dystopie vivons-nous ?”
Arrêts de bus, files d’attente d’un magasin, d’un bureau de poste, quais de gare ou de métro, passages piétons : ces situations où nous sommes contraints de patienter sont désormais remplies de manière uniforme par du temps d’écran, de podcasts, de vidéos et tout un tas de contenus. Il en va de même dans les lieux de sociabilité ou d’intimité : restaurants, parcs, terrasses, salon ou chambre à coucher, là où nous pouvions errer mentalement, n’ayant rien à faire sinon réfléchir, engager la conversation ou lire un livre, nous sommes désormais habitués à être captés passivement.
La discussion avec autrui, comme celle que nous entretenions avec nous-mêmes, a largement disparu. Or, être dans ses pensées revient précisément à entretenir un cheminement intime, autour de ce que l’on a vécu, de ce qui se passe présentement ou de ce qui adviendra. Happé par les smartphones, nous cessons alors de nourrir aussi bien notre dialogue intérieur que la créativité de nos idées.
“Notre esprit est devenu un simple contenant dans lequel on verse des informations ou des anecdotes disparates”
Le terme de « contenu » qui définit tout ce qui est produit ou publié sur les réseaux sociaux (vidéos, textes ou photos) n’a rien d’anodin : notre esprit est devenu un simple contenant dans lequel on verse des informations ou des anecdotes disparates, sans hiérarchie ni cohérence, toutes proposées aléatoirement par un algorithme qui semble bien nous connaître. On passe ainsi d’une vidéo d’humour à un article de presse, d’un extrait de reportage aux photos de vacances d’un lointain collègue – et c’est parfois à se demander ce qui nous a poussés à débarquer sur « le profil » d’une personne, ne sachant même plus ce qu’on y fait ni mesurant le temps passé.
L’errance qui égare… et celle qui éclaireIl y a bien une forme d’errance perverse dans cet usage permanent des réseaux sociaux et des applications, à l’opposé de l’errance souhaitable et nécessaire qui est celle de nos pensées. La première nous perd, la seconde nous offre un répit salutaire et nous éclaire. Contrairement à l’idée reçue, « se perdre dans ses pensées » est fructueux : c’est lorsque l’esprit est libre qu’il mémorise, opère un discernement, se projette ou établit des associations d’idées, des liens et des nouvelles pensées. Une inattention qui a presque disparu.
Le remplissage des temps d’attente, ou de ceux jugés non productifs, constitue le premier frein à nos divagations mentales : les temps de flottement dont notre esprit s’emparait n’existent plus, ils ont été supplantés par des outils qui assurent un flot infini d’informations ou de distractions. Ainsi, la fonctionnalité de l’infinite scrolling (défilement infini) empêche toute satiété, conditionnant le cerveau à ingurgiter toujours plus… jusqu’au doomscrolling (défilement anxiogène), ce néologisme qui définit quant à lui un cercle vicieux poussant à enchaîner de manière obsessionnelle les informations négatives, façonnant une angoisse existentielle.
“Nous avons développé une aversion pour les vides et remplissons désormais tous les silences, là où auparavant seule la latence existait”
Autant de pratiques qui s’emparent de notre cerveau, ne laissant pas de place à la réflexion et bien peu à la volonté. C’est peut-être par désir mimétique autant que pour nous donner une contenance (justement) que nous nous emparons aussi machinalement de notre téléphone : nous sommes agis plus qu’acteurs de notre comportement, et nous ne contrôlons plus ce à quoi nous pensons.
Le remède serait alors de parvenir à lever les yeux sur ce qui nous entoure, ce qui exige un effort : ne rien prendre en main, appréhender une forme de béance, devient une rééducation à l’observation comme à la pensée. Réapprendre à ne rien faire, en somme.
“Ces heures de solitude et de méditation sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi” Jean-Jacques Rousseau
Dans ses Rêveries du promeneur solitaire (publiées à titre posthume en 1782), Rousseau explique comment la solitude est une condition pour se rapprocher de soi-même, et comment la contemplation permet d’expérimenter pleinement le sentiment d’exister : « Ces heures de solitude et de méditation sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi sans diversion, sans obstacle, et où je puisse véritablement dire être ce que la nature a voulu. »
Il ne s’agit donc pas de s’égarer mais de se réapproprier, et de coïncider avec soi-même. Aujourd’hui, si l’on est seul et sans activité, combien de temps est-on capables de se laisser aller à la rêverie ?
L’instantané contre la décantationMais la confiscation de nos pensées ne provient pas seulement des smartphones ou des réseaux sociaux. Le règne de l’instantané a lui aussi supplanté la latence à laquelle toute action était soumise, il y a dix ans encore. Les messages sont dictés, ou vocaux, les réponses sont attendues immédiatement, les confirmations de lecture nous indiquent « en temps réel » (le temps peut-il autrement ?) si notre destinataire a lu ou non notre message. Une étape supplémentaire a été franchie dans la communication instantanée, comme dans la recherche d’informations : l’intelligence artificielle répond en quelques secondes à toute question, reléguant les recherches en ligne à une certaine obsolescence.
L’accélération est l’un des concepts majeurs du philosophe allemand Hartmut Rosa : au lieu de nous permettre de dégager du temps, tout ce qui accélère la société (les outils de communication, les transports, la logistique) contribue à une fuite en avant, de sorte que là où l’on traitait quelques courriers par jour, on traitera aujourd’hui une quarantaine de mails et des dizaines de messages. L’exemple du courrier est emblématique : le discours que l’on tient est bien différent entre un échange épistolaire manuscrit (très rare aujourd’hui), un mail et des messageries instantanées. Or, cette instantanéité protéiforme va à l’encontre de la réflexion, qui nécessite du temps, celui de l’infusion, de la décantation des idées : ce que l’on fait lorsqu’on se plonge dans ses pensées.
“Tout ce qui accélère la société (les outils de communication, les transports, la logistique) contribue à une fuite en avant. L’instantanéité protéiforme va à l’encontre de la réflexion”
Le remède consisterait à désobéir à l’exigence de l’instantané et à redoubler de vigilance à l’égard de soi-même : ce n’est pas parce que je lis ce qu’on m’écrit que je dois répondre sur-le-champ. Prendre une journée ou deux de réflexion sur un problème – ou ne pas céder à l’attente supposée du destinataire – est coûteux, car nous jouons tous ce jeu de la disponibilité permanente. Mais nos pensées, elles, le sont de moins de moins. Savoir se rendre indisponible devient une hygiène de vie et une discipline à exercer.
“Nulle part l’homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme” Marc Aurèle
Bien avant l’essor des notifications, l’empereur stoïcien Marc Aurèle conseillait de se couper des sollicitations extérieures pour se retrier en soi-même : « On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes. Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d’isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l’homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme […] » (Pensées pour moi-même, Livre IV, 3).
Mais n’est-ce qu’une question de volonté ?
Retrouver le silenceSi nous peinons tant à cesser de scroller ou à résister à l’instantanéité, c’est aussi parce que les activités silencieuses, où l’on pouvait s’entendre penser, se sont réduites. C’est la troisième barrière à lever : celle du bruit, du son permanent. Qu’il soit podcast, radio, émission, entretien, information en continu, il envahit toutes les activités où la latence existait, accompagnée de notre seul dialogue intérieur. Dans nos trajets quotidiens, pendant les tâches ménagères… Tout comme nous avons développé une aversion pour le vide, nous avons rempli les silences.
“Savoir se rendre indisponible – aussi pour les destinataires de nos messages – devient une hygiène de vie et une discipline à exercer”
Tout le malheur des hommes vient-il de ne plus pouvoir écouter ses propres pensées ? Derrière toutes ces paroles qui nous gagnent se trame aussi une injonction à la rentabilité : même les moments où les tâches sont les plus anodines, nous ne résistons souvent pas au réflexe de les agrémenter d’une émission de radio, d’un environnement musical, d’un discours qui nous atteint. Si tous ces outils offrent une ouverture immense sur la culture ou le monde, ils entraînent aussi la disparition des temps de silence.
Un court reportage, rediffusé récemment sur les réseaux sociaux, a suscité un engouement éloquent : il montre Denise, 71 ans, laver ses draps au lavoir de sa commune, avec le sourire. « Quand on brosse le linge […] les idées noires, la colère, la rage, […] ça permet d’évacuer beaucoup de tensions qui s’accumulent », explique-t-elle. Être dans ses pensées ne signifie pas ressasser ou ruminer, mais au contraire trier, ordonner et ranger son esprit.
Le remède pour préserver cet écrin mental et rendre nos pensées audibles à nous-mêmes est de réapprendre à écouter le bruit de nos gestes, celui du lieu où nous nous trouvons, sans écouteurs, sans casque ni médias audio – et à faire cesser, ne serait-ce que pour un instant seulement, la cacophonie ambiante.
octobre 202515.10.2025 à 12:36
hschlegel
Le gouvernement Lecornu II doit sa survie à la suspension de la réforme des retraites, qui visait à reporter l’âge de départ à 64 ans. Si les politiques s’écharpent sur cette question, n’y a-t-il pas d’autres pistes pour faire évoluer notre système de pensions ? Nous vous proposons de relire les propositions iconoclastes que nous avions soumises en 2023 au politologue Bruno Palier.
octobre 202515.10.2025 à 06:00
nfoiry
Renonçant aux grandes questions métaphysiques qui lui donnent profondeur et contraste, l’existence indifférente est privée de repères, incapable de s’orienter, constate Mazarine M. Pingeot dans son nouvel essai. Pour y remédier, elle esquisse un nouveau chemin vers la transcendance que défriche pour vous Octave Larmagnac-Matheron dans notre nouveau numéro.
octobre 202514.10.2025 à 17:00
hschlegel
Tandis que des otages ont été échangés contre des prisonniers et que l’aide humanitaire est revenue à Gaza, le futur des institutions politiques de la Palestine est plus flou que jamais. Explications avec le politologue Ziad Majed, auteur de Proche-Orient, miroir du monde. Comprendre le basculement en cours (La Découverte, 2025).
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Que pensez-vous du déploiement du plan Trump ?
Ziad Majed : La machine de mort semble s’être arrêtée. Le cessez-le-feu s’est imposé et des centaines de milliers de Palestiniens marchent en direction du nord vers la ville ravagée de Gaza. Les otages israéliens sont en train d’être libérés et échangés contre des détenus palestiniens. Les camions de l’aide humanitaire doivent bientôt entrer dans l’enclave, notamment pour fournir nourriture, médicaments et vaccins, mais aussi nettoyer, remettre quelques routes en fonction, rétablir des réseaux d’eau en attendant l’électricité qui va prendre bien plus de temps. Cependant, si la guerre qualifiée par les organisations internationales de génocidaire prend fin, beaucoup de questions restent en suspens. Qui va administrer Gaza ? Il est question aujourd’hui de mettre le territoire sous une tutelle étrangère supervisée par Tony Blair, une figure issue de l’histoire coloniale et mandataire britannique en Palestine associée à la guerre en Irak comme au mépris du droit international. Mais quelle élite politique palestinienne sera associée à la transition politique ? Ensuite, on ne sait toujours pas quand l’armée israélienne va se retirer, ni si le gouvernement de Netanyahou va finalement abandonner sa volonté de modifier radicalement la démographie de Gaza en faisant partir les habitants de gré ou de force. Le futur de l’occupation de la Cisjordanie n’est pas clair non plus. Comme si la gestion de Gaza devenait une affaire logistique sans perspective politique en relation avec le reste des territoires occupés.
Y a-t-il déjà eu autant d’incertitudes quant au futur des institutions politiques palestiniennes ?
Depuis la mort de Yasser Arafat, Israël a tout fait pour empêcher l’émergence d’une nouvelle élite politique palestinienne, soit par l’assassinat, soit par l’arrestation de leaders qui auraient pu jouer un rôle important dans une transition, comme Marwan Barghouti. Cela leur a servi de prétexte pour répéter qu’il n’y avait pas de partenaires crédibles pour construire la paix. Ensuite, la division territoriale et politique entre le Hamas et le Fatah de Mahmoud Abbas, c’est-à-dire entre Gaza et la Cisjordanie, a été entretenue et a rendu impossible l’existence même d’un corps politique commun pour administrer les territoires palestiniens, qui demeurent, selon le droit international, « illégalement occupés par Israël ».
“Ce qui se dessine pour l’instant est un avenir sans cap politique […], avec un territoire de Gaza dévasté où l’on va faire de la gestion sécuritaire, alimentaire, humanitaire, économique” Ziad Majed
Pourquoi le plan Trump marginalise-t-il autant cette question du futur de l’administration politique de la Palestine ?
Ce plan est piloté par des personnes qui ont une culture des affaires. Ils connaissent plus le monde de l’immobilier que celui des institutions politiques. C’est le cas de Steve Witkoff, envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient, ou de Jared Kushner, l’un des architectes du plan Trump qui est aussi impliqué dans des projets de constructions au sein des colonies israéliennes en Cisjordanie. Pour eux, ce sont les affaires et les investissements qui permettront de traverser les turbulences politiques à Gaza. Et quand vous avez plus de 80% des habitations qui sont détruites ou endommagées, ils ont des arguments pour affirmer que la reconstruction politique est secondaire. Évidemment, derrière la question institutionnelle, il y a les négociations politiques, la reconnaissance de l’État palestinien, les questions du droit international et de l’impunité, des mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, autant de causes qu’Israël et les États-Unis veulent occulter de leurs agendas. Se dessine donc un avenir sans cap politique, avec une Cisjordanie morcelée et colonisée, administrée en partie par une Autorité marginalisée et vieillissante. Et puis Gaza, un territoire dévasté où l’on va faire de la gestion sécuritaire, alimentaire, humanitaire, économique…
Cette volonté de dépolitiser les enjeux du conflit israélo-palestinien est-elle nouvelle ?
Elle marque profondément cette phase du conflit qui s’est ouverte le 7 octobre 2023. Depuis lors, tenter de contextualiser les événements – et notamment le 7-Octobre lui-même – a été perçu, surtout en Europe et aux États-Unis, comme une façon de justifier les attaques du Hamas. Il y a eu un changement dans la terminologie du conflit. Pendant deux années, nous avions la crise humanitaire d’un côté et les otages de l’autre, sans qu’il ne soit jamais possible de revenir au cœur politique du sujet, à savoir : le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, aux questions de la colonisation – voire de l’annexion – de la Cisjordanie comme au blocus depuis 2007 de la bande de Gaza. Trump et son administration ne parlent plus de résolutions onusiennes, de droit international ou des Conventions de Genève. Tout se passe comme s’ils voulaient que ce conflit se déjudiciarise.
Beaucoup de pays, de l’Arabie Saoudite à l’Europe, ont tenté de remettre la politique au milieu en reconnaissant la Palestine. Est-ce insuffisant ?
Les rapports de force dans les relations internationales sont tels que Donald Trump impose pour le moment sa logique. Mais peut-être que les Européens, aidés par certains États arabes de la région, vont finir par peser dans les prochains mois. Enfin, il faut aussi prendre en compte que Trump reste très imprévisible. Il s’est montré pro-colonisation en ce qui concerne la Cisjordanie et l’ambassadeur des États-Unis en Israël a même dit qu’il comprenait l’annexion d’une partie de ce territoire palestinien occupé. Or, Trump a dit fin septembre qu’il n’y aurait plus d’annexion…
“Le plan Trump est piloté par des personnes qui ont une culture des affaires. Ils connaissent plus le monde de l’immobilier que celui des institutions politiques” Ziad Majed
Vous dites que le 7-Octobre a ouvert plus largement un nouveau moment dans l’histoire du Proche-Orient. Pourquoi ?
Tout s’est accéléré depuis fin 2023 : le rôle de l’Iran recule sans qu’on sache si Téhéran va tenter de le reconstruire ou si Netanyahou va prolonger sa guerre. Le régime Assad s’est effondré en Syrie mais la transition pose beaucoup de défis. D’un côté, il y a de fortes tensions sectaires avec les Kurdes, les Druzes ou les Alaouites. De l’autre, Israël y occupe désormais des positions et mène des frappes régulières. Tout comme au Liban qui est très fragilisé économiquement et politiquement. Le Hezbollah a perdu une partie de son influence mais garde le soutien d’une grande partie des Chiites. Est-ce que ce pays retrouvera son influence ? Quid de l’Irak ? Nous sommes dans un moment d’indétermination dans l’histoire contemporaine du Proche-Orient et de son rapport à un monde où reculent les valeurs universelles : il y a peu de projets politiques, que ce soit du côté des pouvoirs installés ou du côté des oppositions comme des dissidents. Et, dans cette grande indétermination, la seule certitude est qu’une partie des populations est condamnée à vivre dans des zones urbicidées. Pendant des décennies, des millions de personnes vont se réinstaller dans un environnement qui gardera la mémoire de la destruction et de la mort.
Le Proche-Orient, miroir du monde. Comprendre le basculement en cours, de Ziad Majed, vient de paraître aux Éditions La Découverte. 352 p., 18,50€, disponible ici.
octobre 2025