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La Lettre de Philosophie Magazine

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25.11.2025 à 21:00

Les consommateurs de drogue ont-ils du sang sur les mains ?

nfoiry

Les consommateurs de drogue ont-ils du sang sur les mains ? nfoiry mar 25/11/2025 - 21:00

« “Non, je ne me tairai pas. Je dirai la violence du narcotrafic.” Le combat d’Amine Kessaci contre les violences liées au trafic de drogue a bouleversé la France et suscité une prise de conscience inédite. Il a aussi donné lieu à des débats houleux sur les moyens pour engager cette lutte. J’aimerais revenir ici sur une dimension qui me semble avoir été un peu négligée : la responsabilité des consommateurs.

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Je dois d’abord faire une confession, pour expliquer d’où je parle. Oui, comme des millions de Français, j’ai déjà pris de la drogue : du cannabis à l’adolescence et de la cocaïne dans ma vingtaine (pour tester). Dans mon entourage, je ne dirais pas que tout le monde en prend, mais pas loin. Ecstasy, MDMA, champis… Toutes les semaines, quelqu’un me raconte une soirée sous influence. J’écoute, curieuse et amusée, tant les récits sont bon enfant et égaient un quotidien déprimant – l’époque va mal. Si je reste spectatrice, c’est que j’ai la “chance” d’aimer l’alcool et de ne pas ressentir le besoin de passer à autre chose. Surtout, la drogue me fait peur. Je crains qu’elle ne me fasse perdre les pédales comme elle l’a fait chez tant de gens : apprendre que le premier chanteur des Pink Floyd, Syd Barrett, n’était jamais redescendu d’un trip m’a sans doute immunisée.

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Régulièrement, j’éprouve quand même un malaise. Je sens que certains sujets sont compliqués à aborder. Et le livreur de 17 ans que tu as contacté via WhatsApp, tu ne penses pas que tu ruines un peu son avenir ? Et la dernière fois que tu as “pris une trace” et que, le même jour, deux hommes ont été fusillés à Marseille, tu ne t’es pas dit qu’il y avait un petit lien ? Et tu ne crois pas que tu prends de la drogue parce que tu aimes le frisson de l’interdit et que, du coup, tu participes d’un système qui ne peut que mal tourner ? Évoquer la responsabilité des consommateurs dans la violence générée par le narcotrafic paraît tabou. Même quand j’ai proposé un article dessus, en conférence de rédaction, j’ai vite été soupçonnée de vouloir faire la morale aux gens. 

Dissonance cognitive dans la brume

Les consommateurs de drogue ont-ils du sang sur les mains ? La question – certes provocatrice – a de quoi déranger, mais il me semble important de pouvoir la poser. Non pas pour défendre illico une société du “tout répressif” (spoiler : ce n’est pas ma position) mais pour tenter de comprendre pourquoi, précisément, les débats sur la drogue semblent viciés. C’est comme si, soudain, la chaîne de causalité entre la production d’un objet et sa consommation disparaissait. J’entends les objections : “Ce n’est pas mon problème, l’État n’a qu’à réussir sa mission… Et puis d’abord, qui te dit que c’est ce gramme-là de coke qui est responsable de la fusillade à Marseille ?” En effet, impossible de le savoir. Mais impossible de l’ignorer non plus.

Dressons un parallèle avec Shein, autre grand débat du moment. Lorsque la marque de vêtements s’est installée au BHV, la question de la responsabilité des consommateurs s’est posée. À ce moment-là, tout le monde paraissait d’accord : il ne fallait pas alimenter le succès d’une entreprise qui employait des enfants et dont des employés mouraient au travail. Là aussi, les informations ne permettaient pas d’établir un lien absolu entre létalité de la production et responsabilité de la consommation. Mais ce flou artistique n’était pas considéré comme un argument recevable pour justifier de soutenir Shein. Alors, pourquoi serait-ce différent avec la drogue ? Je crois que cette dissonance cognitive est l’une des composantes du problème – pas la seule évidemment, les logiques internes au marché de la drogue demeurant essentielles. 

Liberté et responsabilité

Que faire de notre responsabilité ? Philosophiquement, cette notion est liée à celle de liberté. Je suis libre car je suis responsable de mes choix, et je dois en rendre compte quand ils nuisent à autrui. Or, aujourd’hui, concernant la drogue, on constate un double malentendu. D’un côté, les personnes qui revendiquent la liberté de consommer de la drogue nient en même temps leur responsabilité personnelle dans les ravages causés par le narcotrafic. D’un autre côté, la droite, attachée à l’idée de liberté lorsqu’il s’agit de défendre le monde de l’entreprise ou la liberté d’expression, semble d’un coup se méfier comme de la peste de cette notion. Emmanuel Macron a lui-même plongé dans cette contradiction : alors qu’en 2016, il vantait les mérites de la légalisation du cannabis, il se fait aujourd’hui le héraut de la “tolérance zéro” – abandonnant la cohérence libérale au profit d’un calcul électoral bien facile. 

Dire à quelqu’un : “tu es responsable” ne devrait pas être considéré comme une insulte. Oui, les consommateurs de drogue sont en partie responsables de la violence du narcotrafic. Ils ne sont pas les premiers responsables, ni les seuls, ni les pires, et ce ne sont pas d’horribles personnes pour autant. Surtout, si l’on croit que les humains sont capables de faire des choix éclairés qu’ils jugent bons pour eux-mêmes, et même si l’on désapprouve moralement ces choix, alors il faut avoir le courage de croire à la liberté jusqu’au bout. Et donc d’examiner sérieusement l’idée d’une dépénalisation des drogues dont a minima, ni la production, ni la consommation ne nuiraient à autrui. Quelles seraient de telles drogues ? Sous quelles conditions pourraient-elles être fabriquées et consommées en France ? Ce sont des questions importantes, trop peu évoquées dans le débat public, qui ne sauraient être éludées par les responsables politiques authentiquement attachés à la liberté.  »

novembre 2025
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25.11.2025 à 17:00

Pourquoi l’affaire Epstein ébranle le mouvement Maga

hschlegel

Pourquoi l’affaire Epstein ébranle le mouvement Maga hschlegel mar 25/11/2025 - 17:00

Les revirements de Donald Trump sur les « Epstein files » ont semé la zizanie chez ses partisans, très impliqués sur le sujet. Le président américain aurait-il quelque chose à cacher ? Retour sur des mois de polémiques et ce qu’elle dit du rapport à la vérité chez les partisans de Trump.

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Du pain bénit pour les complotistes

L’affaire Epstein obsède depuis des années l’opinion publique américaine. Elle est rapidement entrée en résonance avec certaines théories du complot véhiculées dans le camp républicain. Au sein du mouvement QAnon, très proche de la nébuleuse « Maga », beaucoup sont en effet convaincus de l’existence d’un réseau mondial d’élites s’adonnant sans vergogne à la pédophilie, récoltant l’adrénochrome – substance prétendument rajeunissante – à partir de sang d’enfants. L’homme d’affaires et célèbre criminel sexuel américain Jeffrey Epstein, mort en prison en 2019, est présenté comme un maillon central de ce réseau.

“Donald Trump figure dans les dossiers Epstein. C’est pour ça qu’ils n’ont pas été rendus publics” Elon Musk

 

En promettant de rendre publics les « Epstein files », le « dossier Epstein », pendant la campagne présidentielle de 2024, Donald Trump est devenu le héraut de ces complotistes en guerre contre ce qu’ils pensent être une cabale pédophile et sataniste. Pour l’« influenceur » QAnon Mama Wolf, certains « message secrets codés » de Trump indiquaient sa volonté de démanteler ce grand système. Au début du second mandat de Trump, Peter Thiel, magnat de la Silicon Valley, allait jusqu’à annoncer une apocalypse – une grande « révélation », au sens étymologique : « Le retour de Trump à la Maison-Blanche augure l’apokálypsis des secrets de l’ancien régime. »

Une “révélation” qui se fait attendre…

Sauf que le grand dévoilement n’a pas lieu. En mai 2025, Pam Bondi, ministre fédérale de la Justice, informe le président que son nom figure dans le dossier Epstein – l’information sera publiquement confirmée le 23 juillet. Elon Musk, brouillé avec le chef d’État, en profite pour l’attaquer sur X, mobilisant à nouveau une rhétorique complotiste : « Donald Trump figure dans les dossiers Epstein. C’est la véritable raison pour laquelle ils n’ont pas été rendus publics. Bonne journée, Donald Trump ! »

“Je connais Jeff depuis quinze ans. C’est un type formidable, qui aime les belles femmes autant que moi” Donald Trump

 

Trump est pris à son propre piège. Face au refus réitéré de l’administration de publier le dossier, le camp républicain se divise. En juillet, 36% des soutiens du parti dénoncent la gestion de ce scandale, selon un sondage réalisé par l’université de Quinnipac, quand 40% l’approuvent. Des déclarations passées de Donald Trump refont surface : « Je connais Jeff depuis quinze ans. C’est un type formidable. C’est un plaisir de le fréquenter. On dit même qu’il aime les belles femmes autant que moi, et beaucoup d’entre elles sont plus jeunes. » La mort d’Epstein en prison pendant le premier mandat de Trump, classée comme un suicide, refait l’objet de thèses conspirationnistes.

… et un véritable panier de crabes

À la fin de l’été, une proposition de loi imposant la publication du dossier est lancée, le Epstein Files Transparency Act. Trump demande dans un premier temps aux Républicains de ne pas la voter. Il dénonce, à qui veut l’entendre, un « canular démocrate ». Dans la dernière ligne droite, une partie des documents incriminant le président fuitent. « Bien sûr, [Trump] était au courant pour les filles », écrit Epstein, qui glisse encore : « J’ai rencontré des gens très mauvais. Aucun ne l’était autant que Trump. Il n’y a pas une seule cellule décente dans son corps. » Dans un autre e-mail, Epstein le qualifie de « chien qui n’a pas aboyé ». La base électorale de Trump se déchire un peu plus. Mi-novembre, la représentante Marjorie Taylor Greene, figure importante du mouvement Maga, rompt avec le président, dénonçant de manière véhémente son manque de transparence sur l’affaire.

“J’ai rencontré des gens très mauvais. Aucun ne l’était autant que Trump. Il n’y a pas une seule cellule décente dans son corps” Jeffrey Epstein

 

Face aux pressions, Trump fait finalement volte-face. Le 16 novembre, il appelle les républicains de la Chambre à voter en faveur de la divulgation des dossiers, et il promulgue la loi, tout en annonçant une enquête fédérale sur les liens entre le prédateur sexuel et des démocrates, dont Bill Clinton. Pour Alexander Hinton, professeur en anthropologie cité dans The Conversation : 

“Trump a probablement joué un coup stratégique brillant, en déclarant soudainement : ‘Je suis tout à fait favorable à sa divulgation. Ce sont en réalité les démocrates qui sont ces élites maléfiques, et maintenant nous allons enquêter sur Bill Clinton et les autres.’ Il reprend le contrôle du récit, il sait parfaitement comment faire, et c’est intentionnel”

Alexander Hinton

Menteur, menteur

Le retournement n’en apparaît pas moins, pour beaucoup, comme la décision d’un homme acculé. À bien des égards, l’affaire Epstein ébranle certains fondamentaux qui fédérèrent le mouvement Maga. Selon Alex Hinton, ce dernier se structure autour de cinq piliers : l’Amérique ; les frontières à sécuriser ; le rejet du mondialisme ; la liberté d’expression ; la fin des guerres à l’étranger. « J’ajouterais l’insistance sur “Nous, le peuple”, opposé aux élites, précise l’universitaire dans l’article précité. Chacun de ces piliers est étroitement lié à une dynamique clé du mouvement Maga, à savoir la théorie du complot. Et ces théories du complot sont en général anti-élites et opposant “Nous, le peuple” à ces dernières. »

“Ni le statut de milliardaire ni celui de chef d’État n’ont suffi à convaincre ses soutiens que Trump appartient à cette élite qu’il dénonce”

 

Tant que Trump parvenait à maintenir l’image d’un président défendant les intérêts du peuple contre des élites supposément perverses, ses partisans lui passaient sans trop de problèmes ses innombrables mensonges, ses frasques, ses adultères, ses condamnations pour agression sexuelle. L’ensemble de ces accusations, plutôt que de discréditer Trump, ont pu être perçues par ses supporters comme une tentative de museler un « parrhésiaste » comme le dit Michel Foucault : celui qui dit vrai, parle franchement. La nébuleuse Maga a souvent été galvanisée par ces accusations lancées contre un homme qui dérangeait l’establishment corrompu du soi-disant « État profond ». Un homme qui, assurément, n’était pas parfait, mais dont les travers étaient facilement excusés. Ni le statut de milliardaire ni celui de chef d’État n’ont suffi à convaincre ses soutiens que Trump appartient à cette élite qu’il dénonce.

Trump a-t-il encore des cartes en main ?

Tout change en revanche dès lors que ses mensonges apparaissent au grand jour. Le parrhésiaste peut certes mentir, tant que son mensonge ne concerne pas l’objet même au sujet duquel on attend de lui qu’il dise, non pas « le vrai », mais « vrai ». Il n’a de force que par la conviction qu’il exprime, peu importe que son discours soit objectivement vrai ou faux. Le franc-parler de Trump qui ne ménage d’ordinaire personne, en dépit de son caractère souvent délirant, séduit une grande partie des Américains par cet engagement intime, viscéral. Sur l’affaire Epstein, ses atermoiements marquent une rupture avec la parrêsia foucaldienne. Trump se débat, essaie de se tirer d’affaire, là où le parrhésiaste ne transige pas et dit le fond de son cœur sans se préoccuper des conséquences, au péril parfois de sa vie.

Le camp républicain sera-t-il indéfiniment fracturé ? Difficile à dire. Sans doute faudra-t-il attendre le dévoilement du dossier et l’analyse de son contenu (d’ici un mois environ) pour voir une tendance à long terme se dessiner. Pour Alex Hinton, l’affaire aura sans doute un effet plus limité qu’on ne le pense :

“Beaucoup de membres de Maga ont compris qu’il fallait rester fidèle à Trump […] La rupture que nous observons est celle de Trump avec l’une de ses principales partisanes du Maga, l’élue républicaine de Géorgie Marjorie Taylor Greene, et non celle de la base partisane du Maga avec Trump”

Alexander Hinton

Certaines franges de l’électorat trumpien pourraient être plus affectées : « Il existe une réelle inquiétude, notamment parmi les chrétiens fervents du mouvement Maga, pour qui le trafic sexuel est un sujet central. » Mais à en croire Hinton, le trumpisme a encore de beaux jours devant lui.

novembre 2025
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25.11.2025 à 12:00

Un sage contre la machine : Bergson face à la mécanique de l’intelligence artificielle

nfoiry

Un sage contre la machine : Bergson face à la mécanique de l’intelligence artificielle nfoiry mar 25/11/2025 - 12:00

À l'heure de l'enthousiasme généralisé pour les intelligences artificielles, il n'est sans doute pas inutile de se replonger dans l'œuvre du philosophe Henri Bergson qui, il y a près d’un siècle, pointait déjà les limites du technicisme béat. Une démonstration salutaire à retrouver dans le nouveau numéro spécial de nos confrères de Philonomist.

novembre 2025
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25.11.2025 à 06:00

“Est-ce qu'on peut être méchant sans le vouloir ?” Les enfants répondent

nfoiry

“Est-ce qu'on peut être méchant sans le vouloir ?” Les enfants répondent nfoiry mar 25/11/2025 - 06:00

« Parfois on fait une blague pour faire rire, mais on blesse quelqu’un. » Est-on méchant pour autant ? Dans notre nouveau numéro, nous vous proposons de découvrir les réponses surprenantes et profondes d'enfants à ces questions. Puis, Chiara Pastorini, spécialiste de philosophie avec les enfants, vous donne les clés pour aborder le sujet avec eux. 

novembre 2025
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24.11.2025 à 21:00

Menace d’une guerre en Europe : “Le spectre de la défaite anticipée fait son retour”

hschlegel

Menace d’une guerre en Europe : “Le spectre de la défaite anticipée fait son retour” hschlegel lun 24/11/2025 - 21:00

« Alors que Trump et Poutine s’apprêtent à sceller le sort de l’Ukraine – et demain peut-être de l’Europe – par-dessus le dos des intéressés, ici même, dans le confort de la paix et de la sécurité, certains refusent l’idée que nous devrions nous préparer à défendre nos frontières et nos libertés, au prix de la vie. Oubliant ainsi la grande leçon qu’un Marc Bloch ou un Merleau-Ponty avaient tirée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

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“Nous ne sommes pas prêts”

“Ce qu’il nous manque c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l’on est. Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, de souffrir économiquement, parce que les priorités iront à de la production défense, alors on est en risque.” Sans doute maladroit (le terme “d’enfant” dans le vocabulaire militaire désigne les soldats et non les mineurs, pensons à l’entame de La Marseillaise !), l’avertissement lancé par le chef d’état-major des armées Fabien Mandon, lors du congrès des maires de France la semaine dernière, était destiné à alerter sur la menace d’une attaque russe contre l’Europe et la nécessité de se préparer à un tel affrontement.

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Les réactions : un étrange renoncement anticipé

Tombés quelques jours avant l’annonce du plan en forme de capitulation de Donald Trump pour l’Ukraine, ces propos ont provoqué une vague de réactions… négatives. Depuis Jean-Luc Mélenchon faisant part de son “désaccord total” vis-à-vis de “préparations guerrières décidées par personne” jusqu’au RN, où l’on dénonçait une “faute”, en passant par Philippe De Villiers, qui faisait part de sa “honte” et appelait à “se concentrer sur la France, ses frontières et sa souveraineté” où “nos enfants se font déjà tuer dans nos banlieues”… Même la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a cru utile de recadrer Fabien Mandon, rappelant que la France dispose d’une armée de métier et qu’en conséquence, “nos enfants, au sens où on l’entend, ne vont pas aller combattre et mourir en Ukraine”. Autrement dit : ne vous projetez pas dans la possibilité de la guerre, elle concerne les Ukrainiens en Ukraine, et si affrontement il devait y avoir sur le sol européen et même français, il ne concernerait que nos soldats… qui ne sont pas nos enfants. Étrange renoncement anticipé, me suis-je dit, en entendant ces réactions en chaîne et alors que l’on découvrait l’ampleur des concessions que Donald Trump s’apprête à faire à Vladimir Poutine avec son plan de paix en 28 points (mais qui est, apparemment, quand même en cours de réécriture) et la pression qu’il exerce sur les Ukrainiens et les Européens pour qu’ils battent en retraite. Et si la défaite, que le chef d’état-major des armées redoute pour l’avenir, avait en réalité déjà eu lieu ?

Entre aveuglement et mémoire courte ?

“Nous avions secrètement résolu d’ignorer la violence et le malheur comme éléments de l’histoire, parce que nous vivions dans un pays trop heureux et trop faible pour les envisager.” Voilà le constat que faisait Maurice Merleau-Ponty en juin 1945 dans l’éditorial du premier numéro des Temps modernes, la revue qu’il fondait alors avec Sartre et Beauvoir, au nom de la responsabilité retrouvée. Intitulé “La guerre a eu lieu”, ce texte revient sur les illusions pacifistes dont s’étaient bercés une majorité de Français et d’intellectuels qui n’avaient pas voulu voir venir l’hitlérisme et la guerre à la fin des années 30. “Nous habitions un certain lieu de paix, d’expérience et de liberté, formé par une réunion de circonstances exceptionnelles, et nous ne savions pas que ce fut là un sol à défendre, nous pensions que c’était le lot naturel des hommes… Habitués depuis notre enfance à manier la liberté et à vivre une vie personnelle, comment aurions-nous su que c’étaient là des acquisitions difficiles, comment aurions-nous appris à engager notre liberté pour la conserver ? Nous étions des consciences nues en face du monde. Comment aurions-nous su que cet individualisme et cet universalisme avaient leur place sur la carte ?” Et Merleau-Ponty d’inviter à tirer des cinq années de guerre et d’occupation plus qu’une piqûre de rappel réaliste, une leçon philosophique : “On n’est pas libre seul.”

Une défaite avant tout intellectuelle

En 1946, quelques mois après l’éditorial de Merleau-Ponty, paraissait à titre posthume L’Étrange Défaite, le testament de l’historien-résistant Marc Bloch, torturé et fusillé par la Gestapo en juin 44 après s’être engagé dans la résistance et avoir combattu dans la drôle de guerre. Dans ce “procès-verbal de l’an 40”, rédigé entre juillet et septembre de la même année, Bloch prend acte, lui aussi, du renoncement à combattre qui a précédé la capitulation française. C’est selon lui la cause première, intellectuelle et morale, et pas seulement politique et militaire, du désastre. “Le triomphe des Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle et c’est peut-être là ce qu’il y a eu en lui de plus grave.” Ou encore : “Ce fut la marée montante d’un désespoir qui, au lieu d’aiguillonner à l’action, semblait chercher son refuge dans une sorte de paresse somnolente.” Un découragement collectif et pas seulement une carence de ressources : “Au fond de leur cœur, ils étaient prêts, d’avance, à désespérer du pays même qu’ils avaient à défendre et du peuple qui leur fournissait leurs soldats.” Et d’enfoncer le clou : “Quelque chose a manqué de l’implacable héroïsme de la patrie en danger.” Pour Merleau-Ponty, c’est la croyance naïve et dangereuse que la liberté et la paix sont des acquis universels et non “un sol à défendre” qui a précipité la défaite. Pour Bloch, c’est, outre la fragmentation de la société en classes antagonistes, une forme de désespérance collective. En entendant la sortie du chef d’état-major Fabien Mandon et le rejet quasi unanime dont elle a fait l’objet, alors que la guerre en Europe menace, j’ai eu le sentiment que le spectre de la défaite anticipée faisait lui aussi retour. »

novembre 2025
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24.11.2025 à 17:00

La liberté académique : un combat urgent à mener, mais comment ?

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La liberté académique : un combat urgent à mener, mais comment ? hschlegel lun 24/11/2025 - 17:00

La guerre des idées continue de faire rage au sein des universités, plus fracturées politiquement que jamais. Entre dénonciations militantes, accusations de politiquement correct, censures réelles et annulations d’événements, le milieu universitaire semble être devenu une foire d’empoigne… au point où l’État français s’en mêle. Avec pour principale victime : la liberté académique ?

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Israël-Palestine : un conflit polarisant jusqu’à l’ingérence ?

Le 9 novembre, une secousse du conflit israélo-palestinien a ébranlé le monde académique. Organisé par le Collège de France, un colloque sur la Palestine a été annulé, puis reprogrammé ailleurs. Spécifiant à l’Agence France-Presse ne pas avoir « demandé l’annulation », le ministre de l’Enseignement supérieur Philippe Baptiste a qualifié cette décision de « responsable » sur le réseau social X. Dans une tribune, un collectif de professeurs du Collège de France rappelle que la liberté académique « protège un bien, non seulement public, mais aussi commun ».

“La liberté académique protège un bien, non seulement public, mais aussi commun” Tribune de membres du Collège de France

 

Loin d’être le privilège corporatiste d’une caste universitaire, la liberté académique rend possible, via la déontologie scientifique, la constitution de savoirs communs, essentielle pour la bonne tenue du débat démocratique. Coïncidence des polémiques, le 15 octobre dernier, Stéphanie Balme, directrice du Centre de recherches internationales à Sciences Po, remet un rapport pointant les menaces qui pèsent sur cette liberté. Au premier chef, sa définition floue et la quasi-absence de protections juridiques. Dans une note de 1810, le philosophe Wilhelm von Humboldt établit le premier que « l’indépendance et la liberté sont les principes » d’universités autonomes au sein desquelles des enseignants-chercheurs exercent leur profession à l’aide d’un triptyque de trois libertés (d’enseignement, de la recherche et d’expression). Les ingérences du politique ou du religieux risquent en effet d’entacher la recherche de la « science dans sa pureté ».

La nécessaire indépendance des institutions vis-à-vis du politique

Justement : les interventions politiques extérieures se multiplient, pointe le rapport. Un exemple parmi d’autres, en 2022, Laurent Wauquiez a ainsi conditionné les subventions aux universités de la région Auvergne-Rhône-Alpes à la signature préalable, de la part des institutions, d’une « Charte républicaine ».  

“La liberté académique est mal définie et n’est quasiment pas protégée juridiquement”

Face à cette « forme de maccarthysme contemporain 2.0 », le rapport préconise un panel d’actions visant à défendre cette liberté : sa constitutionnalisation pour le volet juridique, mais aussi la promotion d’une « véritable culture de la liberté académique » auprès du grand public. Reste ouverte la question de sa délimitation. À l’heure des coupes budgétaires, quid du financement privé de la recherche ? Ne risque-t-il pas d’exposer les chercheurs à des pressions venant des entreprises ?

novembre 2025
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24.11.2025 à 12:55

Valentin Husson : “Le vice commence avec la gourmandise”

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Valentin Husson : “Le vice commence avec la gourmandise” hschlegel lun 24/11/2025 - 12:55

Cette semaine, Philosophie magazine est partenaire de l’émission Avec philosophie sur France Culture, pour une série en quatre volets sur les vices, en lien avec notre nouveau hors-série : « Petit traité des vices à l’usage des honnêtes gens ». Premier épisode : la gourmandise, avec le philosophe Valentin Husson, qui participe aussi au numéro.

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Dans le hors-série de Philosophie magazine « Petit traité des vices à l’usage des honnêtes gens », Valentin Husson, auteur de L’Art des vivres. Une philosophie du goût (PUF, 2023), participe à un repas pantagruélique avec notre journaliste Clara Degiovanni. C’est fort de ce rapport allègre à la vie qu’il évoque la gourmandise au micro de Géraldine Muhlmann : « Le vice commence avec la gourmandise », souligne le philosophe, qui rappelle que le péché originel, dans la religion chrétienne, commence avec le fait de croquer un fruit.

Cette association originelle entre le vice et la gourmandise témoigne plus généralement d’un rapport intime entre ripaille et sociabilité. « Même si les monothéismes condamnent les péchés de la chair, une place fondamentale est accordée au repas, à la gourmandise, note Valentin Husson. Même nos traditions en apparence les plus ascétiques cultivent un rapport à la bonne chère, à la convivialité. » La convivialité, qui veut dire « le fait de vivre avec », passe d’abord par la nourriture. Conclusion : « Notre rapport d’emblée à l’existence est donc aussi, fait de sensualité. » 

 

Écoutez l’émission en intégralité sur le site de France Culture et retrouvez notre hors-série en commande sur notre boutique !

novembre 2025
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24.11.2025 à 06:00

“Qu'est-ce que la philosophie ?” Une lumière dans la nuit, répond Jean-Baptiste Brenet dans son nouveau livre !

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“Qu'est-ce que la philosophie ?” Une lumière dans la nuit, répond Jean-Baptiste Brenet dans son nouveau livre ! nfoiry lun 24/11/2025 - 06:00

Un ouvrage intitulé Qu’est-ce que la philosophie ? On imagine a priori une lecture un brin scolaire. Pourtant, Jean-Baptiste Brenet signe un essai étonnant en forme d'éloge de la nuit ! Dans notre nouveau numéro, Martin Duru éclaire les enjeux de ce livre.

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23.11.2025 à 08:00

La folle histoire des vices, de Platon à Freud

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La folle histoire des vices, de Platon à Freud hschlegel dim 23/11/2025 - 08:00

La lutte contre les « dérèglements » et les « péchés » a été la grande affaire de la philosophie morale. Jusqu’à ce que, dans la modernité, certains d’entre eux soient traités de perversion… ou carrément exaltés : d’hier à aujourd’hui, et de Platon à Freud en passant par Sade, voici la folle histoire des vices. À retrouver dans notre nouveau hors-série disponible en kiosque, « Petit traité des vices à l’usage des honnêtes gens » !

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23.11.2025 à 06:00

Perte d'êtres chers, traversée de deuils... Est-ce que la mort des autres dédramatise notre propre mort ?

nfoiry

Perte d'êtres chers, traversée de deuils... Est-ce que la mort des autres dédramatise notre propre mort ? nfoiry dim 23/11/2025 - 06:00

Avoir perdu des êtres chers, traversé des deuils,  est-ce que cela dédramatise notre propre mort ? Non, répond le philosophe Martin Heidegger, mais dans notre nouveau numéro, deux romancières contemporaines, la Française Brigitte Giraud et l’Américaine Sigrid Nunez, proposent une perspective plus nuancée. 

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