17.12.2025 à 06:00
nfoiry
Il existe, près de Lisbonne, une plage où le désir au grand air, entre hommes, se donne libre cours. À l’heure des applications de rencontre et de la dépression sexuelle, des parades amoureuses sans lendemain, solaires et dionysiaques existent donc encore… Dans notre nouveau hors-série « Petit Traité des vices », Victorine de Oliveira vous emmène à la découverte de ce lieu.
décembre 202516.12.2025 à 21:00
hschlegel
« Cloud Dancer : un bien joli nom pour une polémique. Ce “danseur des nuages” est le ton que l’institut Pantone, célèbre pour son nuancier, a désigné comme couleur de l’année 2026. Il s’agit d’un blanc qui a pu être décrit comme aérien ou vaporeux, mais que je qualifierais plutôt comme terni, sans brillance ni éclat – pas la neige qui scintille sous un soleil matinal ni le nuage moutonneux d’été ; plutôt celui qui s’apprête à vous lâcher son crachin pollué sur la tête.
[CTA1]
Un blanc bien terneC’est la première fois depuis 1999 que Pantone s’arrête sur une nuance de blanc. Par comparaison, 2018 vibrait en Ultra Violet, 2023 en Viva Magenta et 2024 en Peach Fuzz. Cette dernière nuance glissait déjà lentement mais sûrement vers le Mocha Mousse de 2025, une teinte entre le beige et le marron, littéralement la mousse de votre café. Si vous vous demandiez pourquoi le maronnasse avait envahi les vitrines des magasins, les intérieurs – dans les coffee shops qui se reproduisent à l’infini dans les grandes villes, c’est finalement comme si le café avait aspergé les murs – et jusqu’aux vêtements pour bébé, pourtant derniers remparts à imprimés colorés, vous avez désormais la réponse. Pantone décrète à présent “un besoin collectif de reset, un retour à la clarté, une sorte de page blanche pour sortir du bruit ambiant”. À qui ce “retrait”, cette “respiration”, ne feraient-ils pas envie ? Appuyer sur le bouton “stop” alors que l’actualité a rarement été aussi anxiogène et désespérante, franchement, on vote pour. Mais parer de blanc le bouton en question, on est moins sûr.
➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.
Harmonie ou morosité ?Cela peut paraître anecdotique, mais les chasseurs de tendances qui travaillent pour Pantone ont su saisir un air du temps. Quand les couleurs chaudes invitent à la créativité et à la fête – Viva Magenta était censé célébrer “une époque non conventionnelle” –, les tons plus neutres suggèrent la recherche de consensus et d’harmonie. Personnellement, j’entends plutôt quelque chose comme “merci de ne pas déborder” – et je me sens subitement non seulement passible de fashion faux-pas mais aussi d’inconvenance, avec mon jean rose et mes chemises à imprimés eighties. Après les purges dans les administrations, les algorithmes et même le langage lancées par Trump, se pourrait-il que le ménage se fasse jusque dans nos placards et notre garde-robe ? Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux à avoir dressé le parallèle entre la morosité politique ambiante, l’accroissement des inégalités voire un fascisme rampant, et la neutralisation des couleurs.
L’obsession de la puretéYvane Jacob, journaliste mode autrice du compte Instagram “Sapé comme jadis” le remarque sur France Culture début octobre : le beige est une couleur qui a largement été adoptée par les plus riches, dans une démarche de distinction au sens bourdieusien. De quoi appuyer l’idée du blanc comme “masque”, pour reprendre le titre d’un essai de Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs (1952). Dans ce classique de la littérature décoloniale, l’auteur dénonce la façon dont “le Blanc” assoit sa domination à la fois par stigmatisation et effacement de la couleur noire – ce qui ne peut que provoquer névroses et pathologies chez les personnes ainsi discriminées. Dans le chapitre intitulé “L’homme de couleur et la Blanche”, Fanon décrit comment “de la partie la plus noire de mon âme, à travers la zone hachurée me monte ce désir d’être tout à coup blanc. Je ne veux pas être reconnu comme Noir mais comme Blanc. […] On m’aime comme un Blanc. Je suis un Blanc. […] J’épouse la culture blanche, la beauté blanche, la splendeur blanche.” La couleur blanche est si peu neutre qu’elle est un signe de noblesse, et donc de domination à la fois économique et sociale depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à l’époque moderne, comme le remarque l’historien Michel Pastoureau dans Blanc. Histoire d’une couleur (Seuil, 2022).
Ce n’est pas pour rien que la fleur de lys est un emblème royal. Plus tard, la chemise blanche que l’on ne cache plus derrière un pourpoint devient un objet de distinction, avec un col désormais amovible afin de limiter les lavages : c’est ainsi que “nos actuels ‘cols blancs’ trouvent leurs racines les plus lointaines”, note Pastoureau. Au XXe siècle, le blanc signale plutôt la propreté, l’hygiène, après avoir été symbole de pureté dans un espace occidental marqué par le christianisme. Une évolution due à la découverte de l’eau de Javel par le savant français Claude-Louis Berthollet dans les années 1775-77. Car la fameuse eau non seulement élimine toute trace de vie microbienne, mais blanchit – elle lave et délave. De quoi inscrire le Cloud Dancer dans une lignée inquiétante : à trop vouloir faire table rase du passé, il se pourrait bien qu’il se contente de délaver nos yeux, voire nos cerveaux. »
décembre 202516.12.2025 à 17:01
hschlegel
Quels films de l’année 2025 fallait-il voir ? Cédric Enjalbert et Ariane Nicolas, qui co-animent la newsletter de Philosophie magazine « Par ici la sortie », ont fait leur best-of. Un classement sans hiérarchie, ordonné par date de sortie, parce que bon. Venez le commenter sur les réseaux sociaux !
[CTA2]
Les textes qui accompagnent ce top 10 sont repris de nos critiques, dans un format plus court.
“Tardes de Soledad”, d’Albert SerraEn suivant le matador péruvien Andrés Roca Rey, le cinéaste espagnol poursuit deux obsessions métaphysiques. D’une part, il nous met dans la posture du voyeur et fait du regard le motif de cette incursion dans l’arène. L’homme dévisage l’animal devant une assemblée qui les scrute : nous les voyons voyant et vus. Albert Serra ne prend parti ni pour ni contre une pratique décriée ; il s’interroge plutôt sur cette fascination qui, comme le note Jean-Toussaint Desanti à propos de « l’obscène », nous repousse en même temps qu’elle nous appelle. D’autre part, le réalisateur livre une formidable vanité, médusé par la décomposition et la mort. Desanti à nouveau : « Dès lors, mon œil était capturé, comme si quelque chose d’épouvantable et de sacré, invisible dans le visible, s’était inscrit sur ce mur. » Ou sur l’écran. La fiche du film.
“Materialists”, de Celine SongPeut-on encore croire à l’amour, dans une société « matérialiste » où, sur les applications de rencontre, les êtres humains sont notés comme des courses en taxi ? Pour affronter cette question, Celine Song rentre dans le dur. Elle imagine une jeune femme, sorte d’algorithme Tinder en talons aiguille, dont le métier est de former des couples dans l’élite new-yorkaise. Une “matcheuse” sans pitié, qui évalue froidement chaque qualité et compatibilité possible. Courtisée à son tour par un client, époux parfait sur le papier, elle hésite malgré tout à renouer avec un amour de jeunesse… Le film, qui gagne progressivement en douceur, pointe la souffrance psychologique des femmes, partagées entre désir d’émancipation, rêve du prince charmant et cruauté du marché marital. Une rom-com brillante, tendre et lucide. La fiche du film.
Ces films ont été chroniqués dans le mensuel ou sur notre newsletter culturelle “Par ici la sortie”, qui sort chaque vendredi. Abonnez-vous : elle est gratuite !
“Rêves”, premier volet de la “Trilogie d’Oslo”, de Dag Johan Haugerud« Tout le monde rêve d’être désiré », croit l’héroïne de ce récit d’apprentissage. Premier volet d’une trilogie romantique, comptant deux autres films – Amour et Désir –, Rêves suit l’éveil érotique d’une lycéenne norvégienne, éprise de sa professeure. Le réalisateur Dag Johan Haugerud brosse le portrait de trois générations de féministes – grand-mère, mère, fille. Il se demande aussi à quoi tient ce désir irrésistible de se raconter, de mettre nos existences en récit ? C’est que chacun cherche à se rendre « irremplaçable » en s’inventant une histoire, comme l’affirme Johanne elle-même. « Devenir irremplaçable, écrit Cynthia Fleury dans Les Irremplaçables (Gallimard, 2015), c’est d’abord entrelacer les différentes séquences du processus d’individuation jusqu’à former une singularité qui n’est plus sous tutelle. » La fiche du film.
“Jeunesse (Retour au pays)”, de Wang BingPour clore sa trilogie sur les travailleurs du textile, le documentariste chinois Wang Bing suit des ouvriers qui retournent fêter le Nouvel An chez eux. Ces nóngmíngōng (« ouvriers-paysans ») n’ont statutairement pas le droit de s’installer en ville, ce qui les condamne à la précarité. Malgré un quotidien harassant, cette Jeunesse qui a déjà tant vécu garde une vitalité propre à son âge : elle rit, rêvasse… Wang Bing filme la face cachée du made in China, avec ces portraits insensés d’authentiques prolétaires au sens de Marx : des exclus ne possédant que leur force de travail. D’une grande délicatesse, comme en témoigne cette séquence où une vieille dame prépare un repas dans un bidonville gelé, le film n’en constitue pas moins un document féroce contre le pouvoir communiste, son archaïsme et son hypocrisie. La fiche du film.
“Sirāt”, d’Oliver LaxeLuis, un père de famille taciturne, cherche désespérément sa fille au milieu d’une rave party dans le désert marocain. Accompagné de son fils Esteban, et après une évacuation forcée de l’armée, il s’engage dans un road trip dantesque pour retrouver la fugitive. Âpre, aventureux, sans pitié, Sirāt est autant la quête risquée d’un être cher qu’une métaphore sous acide de la vacuité de l’existence. Que faire, au fond, sinon danser ? Le film parvient à rendre palpable le phénomène magique par lequel des ondes traversent le corps humain et l’activent, au cours de la danse. Il déploie aussi un motif aristotélicien, celui de l’effritement du monde. Les personnages ne sont pas les seuls à être altérés par cette épreuve. La montagne ressort métamorphosée. On comprend alors qu’un corps inerte peut aussi être, à sa manière, bien vivant. La fiche du film.
“Une bataille après l’autre”, de Paul Thomas AndersonDans une Amérique fasciste gouvernée par des suprémacistes blancs – tiens, tiens – un groupe de rebelles pro-migrants est démantelé. Seize ans plus tard, on retrouve l’un d’entre eux, Bob, affalé sur son canapé, un joint à la main. La rébellion semble loin de lui, jusqu’au jour où sa fille Willa est enlevée sur ordre d’un colonel diabolique... Au combat politique de Bob contre un pouvoir raciste se mêle une bataille intime, celle d’un père qui tente de sauver sa fille. Mais la satire vire vite à la farce. Ce père ringard et surexcité évoque un grotesque Superman en robe de chambre. La guerre civile qui mine le pays est du même tonneau : sorte de méchant bordel généralisé, psychédélique, où tout le monde a l’air fou. Mais n’est-ce pas le propre de toute guerre civile que de voir la société déraisonner ? La fiche du film.
“Un simple accident”, de Jafar PanahiLauréat de la Palme d’or à Cannes, ce film a été tourné clandestinement par Jafar Panahi, avec des acteurs engagés. Vahid Mobasseri est l’un d’eux. Il incarne Vahid, qui a tout perdu en prison et pense reconnaître l’un de ses bourreaux. Comment s’assurer qu’il s’agit bien de son tortionnaire ? Quel sort lui réserver ? Habité par le doute, il cherche des réponses et emmène dans sa quête, sur les routes à bord d’un minivan, une équipée d’hommes et de femmes qui se connaissent à peine, mais unis par la brutalité du régime et d’un homme, qu’aucun n’a vu mais que certains ont senti, entendu ou touché. Ils manifestent ce que le philosophe Jan Patočka appelle « la solidarité des ébranlés ». La tension, la beauté et l’humour de ce film tiennent à ce chemin incertain tracé vers une insatiable volonté de justice… guettée par la tentation de la vengeance. La fiche du film.
“La Petite Dernière”, de Hafsia HerziÀ un âge où les possibles s’ouvrent, Fatima, étudiante en philosophie, se découvre une attirance pour les femmes. Musulmane pratiquante, elle sait pourtant que sa religion l’interdit et qu’elle s’expose au rejet de son entourage. Devant la caméra de Hafsia Herzi toutefois, point de contradiction entre les deux. La question n’est pas de savoir si ces pratiques sont conciliables (Fatima montrera que oui) mais plutôt de comprendre comment naviguer entre ces différentes identités. La jeune femme se reconnaît-elle dans la notion de « servitude volontaire » de La Boétie, développée par l’un de ses professeurs ? N’est-elle pas aliénée par la religion, forcée de choisir entre les différentes expressions de son Moi ? Loin de la juger, le film s’avère empli de compassion – ou ce qui, en religion, se nomme miséricorde. La fiche du film.
“Deux Procureurs”, de Sergueï LoznitsaSergueï Loznitsa adapte une nouvelle du prisonnier politique Gueorgui Demidov, envoyé au goulag. Elle relate le parcours d’un procureur bolchevique zélé, Alexander Kornev, révolté par le sort injuste réservé aux élites du Parti durant les grandes purges. Croyant à un dysfonctionnement du régime soviétique, il entend rétablir la justice et le droit en faisant appel aux plus hautes autorités. Mais voici Kornev entré dans la logique totalitaire. Dans cette « société atomisée et individualisée », la confiance n’existe pas, remarque Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme. Elle est « un lieu où se fabrique quotidiennement de l’absurde ». La dramaturgie implacable de cette fable politique tient en haleine durant près de deux heures, portée par une distribution solide d’acteurs ukrainiens, lituaniens, lettons et russes dissidents. La fiche du film.
“Bugonia”, de Yórgos LánthimosDeux frères fomentent l’enlèvement de la directrice d’un important groupe agrochimique (remarquablement interprétée par Emma Stone), convaincus qu’elle est, sous l’identité de Michelle, l’émissaire d’une nation extraterrestre prête à envahir la Terre. Thriller, comédie noire, science-fiction, gore... Tous les registres sont convoqués, et Yórgos Lánthimos échappe aux attentes. Car dans leur fureur conspirationniste, les deux criminels amateurs touchent aussi une vérité du doigt. Et même deux ! La première est que nous sommes mus par un insatiable désir de raconter, et de croire à, des histoires. La seconde est qu’il n’est pas nécessaire d’inventer des complots impossibles car il existe des scandales bien réels, occulté par des « marchands de doute » selon l’expression de l’historienne des sciences Naomi Oreskes. La fiche du film.
+ En bonus, le film qui a divisé la rédaction :“The Brutalist”, de Brady CorbetRien n’y a fait ! Michel Eltchaninoff et Ariane Nicolas n’ont pas réussi à trouver un point d’accord sur The Brutalist, de Brady Corbet, sorti en tout début d’année. Le premier l’a trouvé émouvant et plein d’idées ; la seconde, ronflant et trompeur. Lisez leur querelle (garantie sans brutalité) par ici !
décembre 2025