LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs REVUES Médias
Souscrire à ce flux
L’expertise universitaire, l’exigence journalistique

ACCÈS LIBRE UNE Politique International Environnement Technologies Culture

▸ les 25 dernières parutions

30.03.2025 à 16:33

Que ferait la Chine si les États-Unis ne remboursaient pas leur dette ?

Alain Naef, Assistant Professor, Economics, ESSEC

L’administration de Trump suggère de ne pas rembourser ses créanciers, dont la Chine. Assiste-t-on à la fin de la suprématie du dollar ?
Texte intégral (1491 mots)
La Chine détient environ 4 % des obligations américaines en circulation. Une somme considérable : plus de 700 milliards de dollars. MaxZolotukhin/Shutterstock

Après la guerre des droits de douane, bienvenue dans la guerre des dettes souveraines. L’administration de Trump suggère de ne pas rembourser ses créanciers, dont la Chine fait partie. Assiste-t-on à la fin de la suprématie du dollar ?


La nouvelle administration Trump expérimente beaucoup en matière économique. Elle a appris que les droits de douane, bien qu’ils augmentent les recettes fiscales, génèrent aussi des problèmes internes. Ils entraînent des représailles commerciales, rendent les biens étrangers plus coûteux, et provoquent ainsi de l’inflation – ou une hausse des prix. Jusqu’ici tout va bien.

Une proposition récente évoque désormais un défaut sélectif sur la dette américaine. Selon le Financial Times citant Bloomberg, Trump a suggéré que

« l’équipe d’Elon Musk chargée d’améliorer l’efficacité gouvernementale aurait trouvé des irrégularités lors de l’examen des données du département du Trésor américain, ce qui pourrait amener les États-Unis à ignorer certains paiements ».

Le terme « ignorer certains paiements » est un euphémisme. En clair, cela signifie envisager un défaut sélectif, autrement dit ne pas rembourser tous leurs créanciers… particuliers comme étatiques.

Ne pas rembourser ses créanciers permet de choisir volontairement de payer certains mais pas d’autres. Trump évoque cela comme moyen de pression géopolitique ou comme une source de revenus pour l’État. Le défaut permet de réduire la dette nationale. Mais c’est une idée risquée. Elle menace la confiance dans le dollar. Qui veut acheter des obligations d’État qui pourraient valoir zéro, selon l’humeur du souverain ?

Taxer les investisseurs étrangers

L’économiste Barry Eichengreen a récemment questionné la suprématie du dollar en première page de Financial Times, un événement en soi. Selon Eichengreen, la proposition de Stephen Miran – le principal conseiller économique de Trump – de taxer les détenteurs étrangers de titres du Trésor fédéral risquerait de compromettre la stabilité financière internationale. Le but est de dévaluer le dollar, pour rendre les exportations américaines plus compétitives. Officiellement, l’administration envisage une « commission d’utilisation » prélevée sur les intérêts versés aux investisseurs étrangers. Il faudrait payer pour se servir du dollar, propriété des États-Unis.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Le gouvernement Trump joue sur les mots en renommant l’impôt « commission d’utilisation ». Ce prélèvement direct sur les intérêts permet d’éviter les traités fiscaux internationaux. En pratique, ce sont uniquement les investisseurs étrangers qui paient. Une discrimination déguisée.

Comme Brad Setser l’a récemment montré sur le réseau social Threads, plus de la moitié des détenteurs de dette américaine – des détenteurs d’obligations du Trésor des États-Unis – sont des particuliers ou des entreprises américaines… qui seraient probablement épargnés par ce défaut. Alors, qui d’autre détient cette dette ? Deux gouvernements figurent en haut de la liste : le Japon et la Chine.

Chine : 4 % des obligations américaines

Le Japon est pour l’heure encore un pays allié et pourrait être exonéré. Même si l’administration Trump montre moins d’enthousiasme envers l’Europe et ses partenaires historiques, l’alliance géopolitique avec les États-Unis pourrait encore jouer un rôle.

La Chine, quant à elle, détient encore environ 4 % des obligations américaines en circulation. Si ce chiffre peut paraître faible, il représente une somme considérable. Plus important encore, la Chine a de l’argent en jeu, avec plus de 700 milliards de dollars placés dans ses réserves de change officielles, montant probablement supérieur en tenant compte des réserves non officielles. Les institutions semi-publiques chinoises, comme les banques et les grandes entreprises, détiennent potentiellement des montants encore plus élevés.


À lire aussi : La Chine principal créancier mondial, une fragilité de plus pour les pays émergents et en développement


Brad Setser a récemment indiqué sur Threads que la Chine réduit progressivement ses avoirs en bons du Trésor américain. On ignore les montants exacts vendus, mais les transactions passant par Euroclear, en Belgique, offrent un aperçu. Depuis 2014, la Chine semble effectivement se désengager progressivement du dollar américain. Elle est passée d’un créancier possédant 18 % des actions américaines à un peu plus que 4 % aujourd’hui.

La Chine reste néanmoins le deuxième détenteur étranger d’obligations américaines. Imaginez maintenant que les experts de DOGE ou d’autres proches de Trump décident, pour des raisons de politique intérieure, d’un défaut sélectif envers la Chine.

Prémices avec l’Ukraine

La géopolitique pourrait jouer dans les deux sens. La Chine réduirait son exposition avant que des idéologues proches de Trump ne prennent l’initiative. Alternativement, elle poursuivrait ses propres objectifs géopolitiques en réduisant préventivement ce risque en cas de tensions futures.

La Russie avait, elle aussi, liquidé toutes ses obligations américaines avant d’envahir l’Ukraine. Le risque de défaut sélectif ou d’attaque financière était trop grand. Lorsque j’étais à la Banque centrale, mes collègues et moi ne nous en étions aperçus qu’après l’invasion, bien que l’information ait été sous nos yeux (ce que nous avions présenté dans un article après coup).

Vers une vente d’obligations américaines ?

La Chine détient encore une quantité importante d’obligations américaines. Si elle hésitait à entreprendre cette manœuvre géopolitique audacieuse, elle se rapprocherait d’une situation où, d’un point de vue financier, le feu vert serait donné. L’idée d’un défaut sélectif pourrait ainsi accélérer les ventes d’obligations américaines par la Chine.

Si un défaut sélectif devait se produire réellement, les conséquences géopolitiques ne seraient pas forcément le premier souci. Cela signifierait avant tout que l’essence même des investissements financiers à l’échelle mondiale serait bouleversée. Les obligations du Trésor américain représentent, par définition, l’actif le plus sûr disponible, selon les manuels de macroéconomie.

Si cet actif réputé sûr venait à faillir, les capitaux chercheraient immédiatement refuge ailleurs sans forcément en trouver. Il n’y a par exemple pas assez de bons du trésor allemand, et ceux d’autre pays sont plus risqués. Cela correspond précisément à la définition d’une crise financière mondiale. Nous n’en sommes certes pas encore là. Mais si l’administration Trump devait expérimenter avec les défauts sélectifs comme elle le fait avec les droits de douane, les conséquences seraient bien plus catastrophiques et immédiates.

The Conversation

Alain Naef a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR).

27.03.2025 à 17:04

Pablo Escobar, un héritage encombrant pour le tourisme colombien

Ross Bennett-Cook, PhD Researcher, Carnegie School of Sport, Leeds Beckett University

L’histoire de la Colombie en tant que plaque tournante du trafic de drogue joue toujours un rôle majeur pour attirer les visiteurs dans le pays.
Texte intégral (1678 mots)

L’histoire de la Colombie en tant que plaque tournante du trafic de drogue joue toujours un rôle majeur pour attirer les visiteurs dans le pays.


Quand vous pensez à la Colombie, quelles images vous viennent à l’esprit ? Pour certains, il peut s’agir du café ou peut-être de la diversité des paysages et des cultures du pays. Pour beaucoup d’autres, ce sera les cartels, le crime et la cocaïne.

L’histoire de la Colombie en tant que plaque tournante du trafic de drogue joue un rôle majeur dans l’attraction des visiteurs pour ce pays – une forme de voyage connue sous le nom de dark tourism. Mais le gouvernement colombien et une grande partie de la population sont pressés de se débarrasser de cette association sordide.

Un nouveau projet de loi en cours d’examen par le Congrès colombien propose d’interdire la vente de souvenirs représentant le célèbre baron de la drogue Pablo Escobar et d’autres criminels condamnés. La loi proposée entraînerait des amendes pour ceux qui enfreignent les règles et une suspension temporaire des entreprises.

La Colombie est devenue un important producteur de cocaïne dans les années 1970, alimentée par la demande en Amérique du Nord. Dirigé par Escobar, le cartel de Medellín a dominé ce commerce, contrôlant environ 80 % de l’approvisionnement en cocaïne des États-Unis.

En 1988, le magazine Time a surnommé Medellín la « ville la plus dangereuse » du monde. Les attentats à la voiture piégée, les assassinats, les enlèvements et la torture font partie de la vie quotidienne. Lors d’une tentative ratée d’assassinat du candidat à la présidence César Gaviria en 1989, Escobar était même derrière l’attentat à la bombe d’un vol commercial qui a tué les 107 passagers et membres d’équipage à bord.

En 1991, le taux d’homicides à Medellín était de 381 pour 100 000 habitants, avec 7 500 personnes assassinées dans la ville cette année-là seulement. En comparaison, il y a eu un total de 980 morts en 2024… dans toute la France.

Aujourd’hui, Medellín est beaucoup plus paisible. Depuis la mort d’Escobar en 1993, son taux d’homicides a chuté de 97 % en raison de l’intensification de la répression sécuritaire et des accords de paix entre les gangs de narcotrafiquants.

La Colombie a maintenant une industrie touristique en plein essor, battant des records. Medellín est même devenue un endroit branché pour les nomades numériques en raison de sa vie nocturne animée, de ses paysages époustouflants et de son excellent climat.

Pourtant, lorsque j’ai visité la Colombie en 2024, il était difficile de ne pas s’enticher d’Escobar. Son visage est partout : sur des porte-clés, des aimants, des tasses et des t-shirts, tandis que l’on voit souvent des sosies poser pour des photos. Même les aéroports – le dernier endroit où je m’attendrais à être associé à la drogue – stockent des souvenirs d’Escobar.

Un rapide coup d’œil sur le site de TripAdvisor « les meilleures choses à faire à Medellín » montre que le musée Pablo Escobar est numéro un. Presque toutes les visites de la ville sont liées au célèbre chef de cartel, y compris les visites dans les quartiers qu’il contrôlait (et souvent terrorisant), ses cachettes et le lieu de sa dernière fusillade avec la police.

Robin des bois ou meurtrier ?

L’essor du narcotourisme peut être largement attribué à l’énorme popularité de Narcos, une série acclamée par la critique sur Netflix qui met en scène la vie d’Escobar. Mais des émissions comme Narcos ont été critiquées par certains experts pour avoir glorifié le style de vie des cartels, en se concentrant sur l’argent, le glamour et le sexe plutôt que sur les dures réalités de la vie au sein du trafic de drogue en Colombie.

Selon le chercheur en « tourisme noir » Diego Felipe Caicedo, les médias populaires liés à la culture des narcotrafiquants dépeignent souvent les membres du cartel comme des héros réussissant à vaincre la structure de classe établie par le système capitaliste d’élite.

Cela a abouti à un héritage dissonant de personnes comme Escobar. Pour certains, il est un personnage de type Robin des Bois qui construisait des maisons et donnait aux pauvres. Pour d’autres, il est une figure maléfique et un meurtrier vicieux. Et bien qu’Escobar ait utilisé une partie de sa fortune pour améliorer les quartiers défavorisés, beaucoup y ont vu une tactique pour acheter la loyauté des populations et masquer ses activités criminelles.

Le romantisme d’Escobar met en colère beaucoup de Colombiens qui détestent l’idée qu’un magnat de la drogue meurtrier soit l’image la plus reconnue du pays. Dans une ville où presque toutes les familles connaissent quelqu’un qui a été touché par les conséquences violentes du trafic de drogue, les victimes de Medellín vivent maintenant avec des rappels placardés sur les devantures des magasins, les étals des vendeurs et les t-shirts des touristes.

Pourtant, ceux qui comptent sur ce commerce de souvenirs sont furieux de la possibilité de devoir arrêter leurs activités lucratiques. Dans de nombreuses destinations en développement, la vente de souvenirs est un moyen accessible de tirer parti du tourisme et peut servir de porte d’entrée pour sortir de la pauvreté.

Le commerce des souvenirs est une question d’offre et de demande – les vendeurs ne vendent des souvenirs Escobar que parce qu’ils sont les plus populaires. Ainsi, peut-être devrait-on se concentrer sur le changement d’attitudes et d’intérêts des touristes, plutôt que de pénaliser les vendeurs ?

Contrôler le récit

Camille Beauvais, chercheur en histoire colombienne, suggère qu’il appartient aux autorités locales de prendre le contrôle du récit par la commémoration et l’éducation. Cela pourrait suivre l’exemple du musée antimafia à Palerme, en Italie, qui est conçu pour reconnaître le courage de la ville et de ses habitants face à l’activité criminelle.

De telles tentatives pourraient détourner les touristes des visites sensationnalistes vers une représentation plus nuancée et historiquement précise de cette période turbulente. Mais les autorités colombiennes ont, jusqu’à présent, tenté d’ignorer cette période importante de l’histoire du pays.

Ce n’est qu’en 2022 que la Commission vérité colombienne a publié un rapport officiel sur les causes profondes de la violence en Colombie, y compris les échecs gouvernementaux et internationaux dans la lutte contre les narcotrafiquants.


À lire aussi : Dark tourism: why atrocity tourism is neither new nor weird


Cependant, certains groupes en Colombie ont déjà essayé de développer un récit alternatif. En 2019, l’ONG Colombia ConMemoria (La Colombie se souvient) a créé un « Narcostore » en ligne, un faux site de souvenirs rempli de produits sur le thème de l’Escobar.

Lorsque les visiteurs cliquaient pour acheter l’article, ils étaient redirigés vers des témoignages vidéo de personnes touchées par le trafic de drogue, dont beaucoup avaient perdu des amis ou des parents à cause de la terreur d’Escobar. Le site a atteint 180 millions de visiteurs dans le monde.

Le narcotourisme ne semble pas disparaître. La fascination pour le vrai crime, la drogue et les cartels est plus populaire que jamais. Mais peut-être que ces touristes devraient prendre un moment pour réfléchir à ce qu’ils pourraient ressentir si quelqu’un qui avait assassiné leurs proches devenait un aimant à frigo souvenir pour que les gens se souviennent de leur pays.

The Conversation

Ross Bennett-Cook ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

27.03.2025 à 17:01

Les mobilisations de la société civile syrienne face à une transition incertaine

Valentina Napolitano, Sociologue, chargée de recherche à l'IRD (LPED/AMU), spécialiste des questions migratoires et des conflits au Moyen-Orient, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Trois mois après la chute de Bachar al-Assad, la société civile syrienne, y compris les anciens réfugiés revenus dans le pays, peine à jouer un rôle de premier plan dans la construction de la nouvelle Syrie.
Texte intégral (3991 mots)

En ce mois de mars, la population syrienne a fêté pour la première fois l’anniversaire du début de la révolution contre le régime. Toutefois, cinq mois après la chute de Bachar al-Assad, le nouveau régime inquiète bon nombre d’habitants. Dans un climat plus qu’incertain, certains Syriens qui avaient fui la guerre sont rentrés pour tenter de participer à la reconstruction du pays, mais la tâche est colossale et leurs efforts sont souvent entravés par le nouveau pouvoir.


Au lendemain de la chute du régime le 8 décembre 2024, consécutive à l’opération militaire éclair menée par les troupes d’Ahmed al-Charaa, des foules en liesse se rassemblaient dans l’ensemble des villes et des villages syriens, ainsi que dans les pays étrangers où des millions de personnes ont fui au cours des années précédentes.

Trois mois plus tard, de nouveaux rassemblements eurent lieu pour commémorer le début de la révolution contre le pouvoir despotique des Assad en 2011 ; mais, cette fois, la joie des participants, nettement moins nombreux, était bien plus mesurée. Le contexte était il est vrai particulièrement pesant : la période a été marquée par des affrontements violents entre des éléments de l’ancien régime et des membres des forces de sécurité du nouveau, qui ont eu lieu à Homs et sur la côte syrienne, principalement habitée par des populations alaouites, communauté dont est issu le président déchu, et qui ont fait près de 1400 victimes, dont de nombreux civils, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

Retour en Syrie ? Arte Regards, février 2025.

Dans cette Syrie post-Assad, les actualités politiques s’enchaînent à un rythme effréné. Une controversée déclaration constitutionnelle vient d’être signée, précédée par une conférence de dialogue national, peu inclusive et organisée dans la précipitation, ainsi que par des accords conclus avec les représentants des communautés kurdes et druzes sur la gestion de leurs territoires, sur fond de tensions régionales avec Israël et le Liban.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Parallèlement, les initiatives émanant de la société syrienne se multiplient. Pour de nombreux Syriens, elles sont d’ailleurs le seul espoir de pouvoir contribuer activement à la reconstruction politique, socio-économique, matérielle et culturelle du pays. Elles proviennent essentiellement du tissu associatif, qui au cours de ces 14 années de révolution et de guerre, a continué à travailler dans la clandestinité à l’intérieur du pays ou qui était contraint à se réorganiser en exil. Elles puisent aussi dans des réseaux politiques et sociaux plus anciens. La réorganisation de ce tissu associatif, au croisement entre les différents territoires à l’intérieur de la Syrie et en exil, constitue un enjeu majeur de cette période post-Assad.

S’emparer des espaces publics, promouvoir le dialogue et la paix civile

Ce qui est frappant dans cette Syrie libérée de 54 ans d’un régime tortionnaire, c’est surtout la liberté d’expression retrouvée dans les espaces publics, où auparavant régnaient la peur et la crainte mutuelle. Chaque jour, à Damas et dans d’autres villes du pays, des débats, des ciné-clubs, des formations et des distributions d’aides sont organisés.

Ainsi, le Rassemblement civil de Jaramane, né après la chute du régime par des citoyens et des activistes dans le domaine de l’information et de l’aide humanitaire dans cette ville située au sud-est de Damas, a pour objectif de créer un espace de débat posant les bases d’un État civil fondé sur la citoyenneté et non sur des appartenances confessionnelles ou ethniques. Cette question est centrale alors même que le débat public sur le futur de la Syrie se construit autour de catégories de pensée, telles celles de « communauté » ou de « minorité », imposées autant par l’ancien régime que par les acteurs étrangers, et réitérée par l’actuel pouvoir. Or ces catégories de pensée doivent au contraire être dépassées afin de souder un nouveau pacte social fondé sur les droits et la justice.

Manifestation organisée à Damas le 7 février 2025 et demandant l’organisation de la Conférence de dialogue national. Valentina Napolitano, Fourni par l'auteur
Sur la pancarte : « La vraie Conférence nationale protège les acquis de la révolution pour la liberté et la dignité », 7 février 2025, Damas. Valentina Napolitano, Fourni par l'auteur

Le Rassemblement civil a organisé plusieurs manifestations, notamment pour réclamer la tenue d’une conférence de dialogue national et pour s’opposer aux exactions commises par l’État d’Israël, qui bombarde périodiquement le territoire syrien, a avancé ses troupes au-delà de la ligne d’armistice de 1974, et cherche à alimenter les divisions de la société en s’érigeant comme un défenseur des droits des minorités. Une autre action de protestation a été organisée en opposition au licenciement de centaines d’employés du secteur public.

L’association Notre début (Bidayetna) s’est elle aussi structurée autour de militants des droits humains et d’intellectuels. Elle se veut un espace de débats sur la question de la paix civile (al-selm al-ahli). Les conférences publiques qu’elle organise à Damas, Homs et Idleb ont pour objectif de construire un dialogue avec d’autres composantes sociales du pays, en dehors des milieux intellectuels de la capitale, sur la question de la justice transitionnelle, sur le cas des prisonniers et des disparus, ou encore sur les fondements de la nouvelle constitution.

« Cette période doit être la période du politique à proprement parler », explique un des fondateurs de l’initiative, « car le régime déchu pensait que seuls ses soutiens étaient des citoyens. Tous les autres n’avaient pas le droit d’exister ! » Cette organisation souhaite favoriser un nouveau rapport à la citoyenneté parmi les Syriens et les Syriennes : son but est d’écouter et de récolter leurs idées.

Cette liberté d’expression retrouvée dans les espaces publics reste néanmoins fragile et soumise à de fortes tensions. Des hommes armés surveillent toujours les places et les rues. Ils dispersent régulièrement les rassemblements, prétextant la présence de potentiels éléments perturbateurs affiliés à l’ancien régime.

La marche silencieuse organisée à Damas le 9 mars pour appeler le gouvernement à déclarer un deuil national en mémoire des victimes alaouites des massacres des jours précédents a été dispersée par des tirs de sommation après des affrontements violents ayant opposé ses participants à ceux d’une contre-manifestation hostile aux alaouites.

D’autres réunions publiques organisées autour de la question de la justice transitionnelle — notamment par le groupe de travail incluant Syrian Archives et le Centre syrien pour les études et les recherches juridiques, deux organisations qui documentent les violations de droits de l’homme, promeuvent les principes de justice et défendent les victimes — ont été annulées sans explication par les autorités syriennes.

C’est tout le paradoxe de la période actuelle : l’effervescence est réelle mais la liberté d’expression est entravée, l’État de droit n’est pas encore rétabli et les blessures de la guerre demeurent ouvertes.

La justice transitionnelle au cœur des mobilisations collectives

Depuis la chute du régime, la justice transitionnelle est un préalable indispensable : d’une part, pour tourner la page d’un passé sombre marqué par la répression ; d’autre part pour fonder les bases du futur pacte social entre tous les habitants de la Syrie.

Durant les années de guerre, alors qu’aucune transition politique ne semblait se profiler, la question était déjà investie par les Syriens en exil qui, face à l’impossibilité d’accéder à la Cour pénale internationale, ont commencé à explorer le principe de compétence universelle et des voies alternatives pour la justice. Des plaintes ont été déposées en Allemagne, en Autriche, en Suède, en Norvège et en France, et ont débouché sur la délivrance de mandats d’arrêt contre plusieurs hautes personnalités des services de renseignement syriens, dont deux — le colonel Anwar Raslan, responsable de la section investigation, et Eyad al-Gharib, officier de renseignement au sein de la redoutée branche 251 — ont été arrêtées en Allemagne.

Les Syriens se sont organisés principalement autour d’associations de victimes telles que Families for Freedom, l’association de familles Caesar, ou encore la coalition des familles de personnes kidnappées par l’État islamique.

Depuis décembre dernier, ces organisations, auparavant actives à l’étranger ou dans la clandestinité, se sont mobilisées à l’intérieur de la Syrie. La place al-Marjeh, dans le centre de Damas, est devenue dès le lendemain de la chute du régime un lieu de rencontre des mères des personnes disparues, qui espéraient pouvoir retrouver leurs proches suite à l’ouverture des prisons. Les photos des disparus ont été collées autour de l’obélisque et ailleurs dans la ville.

Photos de disparus sur la place al-Marjeh, Damas, février 2025. Valentina Napolitano, Fourni par l'auteur
Photos de disparus dans la vieille ville de Damas, février 2025. Valentina Napolitano, Fourni par l'auteur

Les familles se sont aussi organisées autour d’une « Tente de la Vérité » (Khaymet al-haqiqa), qui a pour objectif de collecter des documents et de mettre en contact les familles des victimes dans différents quartiers et villes de Syrie afin de faire pression sur l’actuel gouvernement pour qu’il mette en œuvre un véritable processus de justice transitionnelle concernant l’ensemble de parties en conflit, dont les groupes qui actuellement gouvernent le pays.

Depuis la rencontre d’Al-Charaa avec les familles des victimes au Palais présidentiel et l’annonce, dans le cadre de la déclaration constitutionnelle, de la création d’un organisme qui serait directement en charge de la justice et de la question des prisonniers et des disparus, aucune avancée réelle n’a eu lieu. La préservation des documents, des preuves et des restes humains retrouvés dans les prisons et les fosses communes demeure un élément essentiel des revendications de ce collectif.

Rassemblement organisé à Jaramane par les familles des disparus autour de la « Tente de la Vérité », 13 février 2025. Valentina Napolitano, Fourni par l'auteur

Après l’exil, le retour pour reconstruire

Autre élément remarquable de cette période : le retour en Syrie de nombreux activistes qui avaient été contraints à s’exiler. Ils sont rentrés pour poursuivre sur place leur action en matière d’information, de plaidoyer et d’aide humanitaire. Après plus d’une décennie d’absence, ces Syriens sont revenus dans leurs villes et villages d’origine afin de retrouver leur proches mais aussi pour contribuer à la reconstruction du pays et à l’organisation de l’aide aux très nombreuses personnes dans le besoin : la majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Bareeq for education and developpement fondée en 2015, à Amman, en Jordanie, par des Syriens installés entre la Jordanie et les pays du Golfe, proposait aux réfugiés syriens des cours de soutien scolaire et d’alphabétisation ainsi que des formations professionnelles. Elle a récemment entamé des activités en Syrie à travers le financement de bourses d’étude et de micro-projets professionnels.

« C’est ma vie » (Hadhihi hayati), autre organisation caritative créée à l’initiative d’un entrepreneur syrien en Jordanie, qui dès 2012 fournissait de l’aide à des enfants et à des familles syriennes réfugiées dans le camp de Zaatari, en Jordanie, ainsi que dans la région d’Idleb, s’est aussi empressée d’organiser des campagnes de distribution de produits de première nécessité dans l’ensemble du pays.

Tout ce tissu associatif, entre l’intérieur de la Syrie et les territoires où les Syriens ont migré, représente une ressource importante pour la reconstruction du pays. Mais les sanctions économiques, toujours en vigueur, entravent les flux monétaires. Et les politiques migratoires restrictives risquent de décourager la coopération entre Syriens de l’intérieur et de l’extérieur, alors même que ces derniers peuvent perdre les droits acquis dans les pays hôtes.

La capacité de la société syrienne en exil à investir à nouveau le terrain dans son pays d’origine est surtout liée à la réglementation que le nouveau pouvoir de Damas adoptera pour encadrer ses organisations. Pour le moment, certaines organisations créées à l’étranger préfèrent conserver un statut d’organisation internationale. D’autres ne souhaitent pas être enregistrées, pour ne pas se soumettre au contrôle des autorités actuelles.

Jusqu’à présent, le pouvoir ne fait guère d’efforts pour intégrer l’ensemble des composantes de cette société civile qui s’est structurée au cours des dernières années. Une partie marginale d’entre elles ont été invitées à prendre part à la conférence de dialogue national organisée le 25 février dernier, dont les résultats ont été largement décevants.

Alors que les initiatives de la société civile syrienne se multiplient, témoignant des transformations sociales majeures et de l’héritage des années de la révolution et de la guerre, et contribuant à alimenter le débat démocratique dans un pays libéré de 54 ans d’autoritarisme, la capacité de ces groupes à réellement œuvrer pour la reconstruction de la Syrie reste suspendue à des contraintes internes et externes qui pour le moment les dépassent.

The Conversation

Valentina Napolitano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

27.03.2025 à 17:01

Kirghizstan-Tadjikistan : la fin du dernier litige territorial d’Asie centrale

Olivier Ferrando, Enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lyon, spécialiste des sociétés d'Asie centrale, UCLy (Lyon Catholic University)

Le 13 mars 2025, le Kirghizstan et le Tadjikistan ont signé un accord actant le tracé définitif de leur frontière, mettant ainsi un terme à 35 ans de litige territorial.
Texte intégral (3087 mots)

Alors que les rédactions du monde entier scrutent les moindres faits et gestes de l’administration Trump pour tenter de résoudre la guerre en Ukraine, deux autres républiques ex-soviétiques – le Kirghizstan et le Tadjikistan – viennent de mettre un terme à plus de trente-cinq ans de litige frontalier : les présidents des deux pays ont en effet signé, le 13 mars 2025, un traité bilatéral actant le tracé définitif de leur frontière. Il s’agit d’un exemple de coopération bilatérale réussie dans un espace confronté à l’héritage de nombreux conflits frontaliers ou territoriaux.


Le traité qui vient d’être signé à Bichkek est historique à plus d’un titre. D’abord, il est le dernier d’une longue série d’accords bilatéraux initiés en 1991, au lendemain de l’indépendance des cinq républiques centrasiatiques, afin de délimiter et de démarquer des frontières tracées de manière imparfaite par le régime soviétique au début du XXe siècle, et modifiées jusque dans les années 1970. Avec le traité du 13 mars, il ne reste plus de frontière contestée et « une paix éternelle est désormais instaurée en Asie centrale » selon les termes du président kirghiz Sadyr Japarov.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Ensuite, cet accord survient moins de trois ans après le dernier conflit armé qui avait atteint un paroxysme dans l’escalade de la violence entre les deux voisins et semblait les condamner à un cycle immuable de tensions frontalières.

Enfin, ce traité est le résultat d’une entente directe entre représentants des services de sécurité kirghiz et tadjiks, après une tentative infructueuse de médiation de la Russie en 2022 et face à l’inaction de l’Organisation du Traité de sécurité collective, pourtant garante de la paix régionale et à laquelle les deux États sont parties depuis 1994.

Un processus laborieux et secret

Une Commission mixte pour la délimitation de la frontière avait été mise en place dès 1989 entre les Républiques socialistes soviétiques tadjike et kirghize, à la suite d’un conflit lié à l’extension de terres irriguées sur un territoire agricole contesté.

Entrée réellement en fonction au début des années 2000, cette Commission a rapidement permis de fixer la moitié des 1 000 kilomètres de frontière, essentiellement dans les zones montagneuses inhabitées. Mais l’absence de tracé précis le long des régions densément peuplées occasionna une série de conflits de voisinage, puis des heurts entre gardes-frontières, avant de dégénérer en véritables affrontements armés en avril  2021 (55 morts), puis en septembre 2022 (144 morts).

Human Rights Watch, 2 mai 2023.

À cette date, 300 kilomètres de frontière – les plus contestés – n’avaient toujours pas été délimités. La principale difficulté provenait du fait que les deux pays s’appuyaient sur des sources cartographiques inconciliables.

D’un côté, le Tadjikistan se référait à des supports datant des années 1920, dont les tracés restaient très approximatifs. De l’autre, le Kirghizstan fondait ses arguments sur la Déclaration d’Alma-Ata de 1991 instituant la Communauté des États indépendants, qui proclamait « le respect mutuel de l’intégrité territoriale » des États membres dans leurs frontières de 1991, prenant donc en compte certains gains territoriaux survenus tout au long du XXe siècle.

Il semble que les autorités tadjikes aient finalement renoncé aux avantages territoriaux que les cartes les plus anciennes leur attribuaient, en échange de concessions de la part de leurs homologues kirghizes. À la surprise générale, un court communiqué de presse conjoint des services de sécurité annonçait le 4 décembre 2024 que les deux délégations s’étaient accordées sur l’ensemble du tracé de la frontière, sans plus de précision.

C’est donc le 13 mars dernier que les deux chefs d’État ont signé un paquet de seize accords de coopération, à l’occasion de la visite d’État du président tadjik Emomali Rahmon, annoncée seulement la veille de son déplacement.

Tous les documents ont été détaillés à l’exception du principal – le traité frontalier – dont le contenu est resté des plus confidentiels jusqu’à sa ratification par le Parlement du Kirghizstan le 19 mars. Les autorités kirghizes voulaient sans doute éviter toute contestation interne du tracé définitif : moins de deux ans et demi plus tôt, en novembre 2022, le traité frontalier signé avec l’Ouzbékistan avait en effet donné lieu à un mouvement de protestation que le pouvoir de Bichkek avait finalement réprimé avec sévérité.

Quelles conséquences pour les populations frontalières ?

Depuis l’indépendance des deux pays, l’absence de démarcation précise du territoire national n’avait cessé d’envenimer le quotidien des habitants résidant dans les zones frontalières, tant pour leur mobilité que pour l’utilisation des ressources naturelles, notamment dans la vallée du Ferghana, marquée par une forte densité humaine et des ressources limitées.

Bien que les populations et leurs élus n’aient pas été associés au processus de négociation, la signature du traité frontalier semble poser les bases d’un développement régional apaisé. Au regard de l’intrication complexe des populations tadjikes et kirghizes le long de la frontière, les échanges de territoire convenus dans le traité restent limités – tout au plus quelques centaines d’hectares de terres agricoles. Seule exception : le territoire autour du village kirghiz de Dostouk sera transféré au Tadjikistan afin d’assurer une continuité routière entre la zone montagneuse en amont, où résident près de 100 000 Tadjiks, et le chef-lieu du district. Les 70 familles kirghizes expropriées devraient recevoir un logement et une parcelle de dix ares dans la périphérie de la capitale régionale Batken, distante d’une vingtaine de kilomètres.

Représentation cartographique de l’accord frontalier, conclu le 13 mars 2025, entre le Tadjikistan et le Kirghiztan. Olivier Ferrando, Fourni par l'auteur

Coupant court à toute objection, le président du Comité pour la sécurité nationale du Kirghizstan a relativisé l’importance de ce transfert :

« C’est difficile pour les deux parties, mais lorsqu’il s’agit de trouver une solution pour la frontière étatique, l’intérêt de chaque village ne saurait l’emporter. »

Pour faciliter la mobilité des populations à l’intérieur du territoire national malgré le tracé capricieux de la frontière qui oblige à passer par des routes du pays voisin, les négociateurs se sont accordés sur l’octroi d’un statut « neutre » à ces sections routières dont la longueur varie de quelques centaines de mètres (Tört-Kötchö au Tadjikistan) à quelques kilomètres (Arka et Ak-Saï au Kirghizstan).

À la différence de Dostouk, il ne s’agit pas ici d’un transfert de souveraineté mais d’une suppression du contrôle assuré jusqu’alors par les gardes-frontière à l’entrée et à la sortie des sections routières et qui compliquait grandement le transit des personnes et marchandises tant la corruption et les excès de zèle étaient courants. Cet engagement à une « neutralisation » réciproque des points sensibles de la frontière est certainement la mesure la plus audacieuse du traité, tant leur extrême militarisation était devenue ces dernières années la principale source de tension entre les deux pays.

Concrètement, pour le Tadjikistan, les 40 000 habitants de l’enclave de Voroukh devraient pouvoir rallier librement le district d’Isfara via la section « neutre » d’Ak-Saï. Plus encore, les 500 000 habitants des districts de Konibodom et d’Isfara seront directement reliés à leur capitale régionale Khoudjand sans contrôle le long de la section d’Arka. En contrepartie, le Tadjikistan laissera libre le passage de Tört-Kötchö, véritable cordon ombilical pour le district kirghiz de Leïlek. Ce corridor avait été un point névralgique des conflits armés de 2021 et 2022, entraînant l’isolement complet des 120 000 habitants du district.

Afin de faciliter la mobilité et de favoriser les synergies interethniques, les deux présidents se sont également engagés à rétablir des lignes de bus desservant indistinctement les villages tadjiks et kirghiz le long des itinéraires « neutres » et qui avaient disparu en raison précisément du durcissement des contrôles.

Outre cette détente annoncée de la circulation locale, le traité frontalier permet de rétablir la liberté de mouvement des personnes et des marchandises entre le Tadjikistan et le Kirghizstan, après quatre années de fermeture des frontières. Le jour de la signature du traité et avant même la ratification par les Parlements, les deux principaux postes-frontière étaient rouverts en grande pompe, avec la participation en ligne des deux présidents, et les liaisons aériennes étaient rétablies entre les deux capitales.

Cérémonie d’ouverture du poste-frontière de Gouliston-Kyzyl Bel, le 13 mars. www.asiaplus.tj

Le président kirghiz n’a d’ailleurs pas tardé à relancer l’idée d’un visa unique en Asie centrale, qui permettrait aux touristes étrangers de voyager librement dans la région, sur le modèle du visa Schengen.

Enfin, la délimitation de la frontière prend en compte la question des ressources hydriques, qui constituait un facteur récurrent de tensions, notamment lors du conflit armé d’avril 2021.

Barrage de Golovnoï de dérivation des eaux de la rivière Isfara. Eurasianet

Le traité clarifie par exemple le statut du barrage de Golovnoï, situé en territoire tadjik mais jusqu’ici contrôlé exclusivement par les autorités kirghizes. Le barrage alimente en effet un canal de remplissage du réservoir de Törtkoul, situé en territoire kirghiz et d’une importance vitale pour l’agriculture irriguée de cette région aride. Le traité établit un mécanisme de contrôle partagé des vannes du barrage qui donnera un droit de regard aux autorités tadjikes sur les volumes d’eau prélevés et devrait mettre un terme aux rumeurs, souvent infondées, de violation des quotas hydriques par le Kirghizstan.

Un modèle à suivre ?

Ces dernières années, les présidents tadjik et kirghiz refusaient toute concession à la résolution du litige frontalier, tant ce conflit constituait une ressource salutaire pour asseoir la légitimité du régime sur un territoire menacé — et ce, au prix d’une dérive autoritaire et liberticide. La volonté politique qui a permis d’aboutir à ce traité historique ouvrira, espérons-le, un nouveau chapitre dans les relations entre les deux pays, d’ores et déjà consolidées par la création d’un Conseil intergouvernemental conjoint. Mais elle pourrait également avoir un retentissement régional à l’occasion du sommet trilatéral, une première historique, qui réunira les chefs d’État du Kirghizstan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan le 31 mars prochain à Khoudjand, capitale régionale du Ferghana tadjik.

Face au modèle transactionnel et vertical promu par Donald Trump en Ukraine, et alors que la Russie a les yeux durablement tournés vers l’Ouest, le processus de réconciliation entre le Kirghizstan et le Tadjikistan, piloté par les intéressés eux-mêmes et attaché à promouvoir des solutions locales pour une paix durable, pourrait constituer une alternative crédible pour la résolution d’autres conflits frontaliers ou territoriaux hérités de l’époque soviétique, par exemple entre la Géorgie et l’Abkhazie, la Moldavie et la Transnistrie, ou encore l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui se sont d’ailleurs entendus le même jour sur l’aboutissement d’un accord de paix qui mettrait fin à quarante ans de conflit.

The Conversation

Olivier Ferrando est membre du Conseil d'administration de l'organisation non-gouvernementale ACTED.

26.03.2025 à 16:34

Faut-il craindre une levée des sanctions des États-Unis contre la Russie  ?

Matthieu Crozet, Professeur d'économie à l'Université Paris Saclay, conseiller scientifique au CEPII, CEPII

Le net réchauffement des relations Washington-Moscou pourrait rapidement conduire l’administration Trump à lever ses sanctions visant la Russie. Avec quelles conséquences ?
Texte intégral (1871 mots)

Les échanges commerciaux entre les États-Unis et la Russie n’étaient pas très élevés avant le déclenchement des sanctions visant Moscou. Si Donald Trump décide de retirer son pays du front des pays sanctionnant la Russie, les conséquences ne seront donc pas immédiatement significatives.


Une chose que nous a apprise l’actualité internationale de cette dernière décennie, c’est qu’il faut prêter une oreille attentive aux discours politiques, surtout quand ils émanent de responsables populistes ou autoritaires : aussi extravagants qu’ils puissent paraître, ils sont souvent l’expression d’une conviction profonde, associée à une volonté d’agir.

De la même façon qu’il fallait écouter Vladimir Poutine quand il affirmait vouloir soumettre l’Ukraine, il faut aujourd’hui prendre au sérieux les déclarations prorusses de l’administration Trump.

Vers un assouplissement des sanctions états-uniennes

Les nombreuses marques de bienveillance du nouveau président des États-Unis à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine et des oligarques russes annoncent un retrait de Washington des deux fronts du conflit ukrainien. Le retrait du front armé est d’ores et déjà engagé, avec l’interruption du soutien militaire, humanitaire et logistique à l’Ukraine.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Le retrait du front des sanctions économiques qui pèsent sur la Russie depuis 2014 est aussi à l’ordre du jour. Le 3 mars 2025, Reuters a en effet indiqué que la Maison Blanche avait demandé au département d’État et au Trésor fédéral de dresser une liste de sanctions susceptibles d’être assouplies. On ne sait pas encore lesquelles seraient allégées, ni quand, ni quelles en seraient les contreparties, mais un retrait des États-Unis de la coalition occidentale est une hypothèse probable.

Or, l’efficacité des sanctions économiques repose largement sur l’asymétrie des forces en présence. Plus le poids économique des pays qui imposent les sanctions est élevé, plus la pression sera forte, avec des possibilités de contournement limitées, et un coût réduit pour ces pays. La formation d’une large coalition est ainsi une condition du succès, et le désengagement des États-Unis ne peut que mettre à mal les efforts pour contenir les capacités économiques de la Russie.

Quelles conséquences exactes ?

Les conséquences de ce retrait sont difficiles à évaluer. On peut toutefois avancer des arguments rassurants, car autant l’aide militaire des États-Unis a joué un rôle crucial sur le front, autant ce sont les autres pays de la coalition qui ont été en première ligne sur celui des sanctions.

Pour des raisons géographiques et culturelles, les États-Unis ne sont pas un partenaire majeur de la Fédération de Russie. Avant la mise en place des sanctions (en 2014, puis en 2022), à peine 5 % des exportations russes de biens hors énergie étaient destinées au marché américain (Graphique 1).

Côté importations, la proportion est encore moins importante : de 3 à 4 % des biens importés en Russie provenaient des États-Unis. À l’inverse, les pays d’Europe occidentale, l’Ukraine, mais aussi le Japon et la Corée sont des partenaires économiques naturels de la Russie. Si l’on ajoute les autres pays de la coalition, qui inclut d’autres partenaires commerciaux mineurs de la Russie, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, le poids de cet ensemble dans le commerce extérieur russe est sans commune mesure avec celui des États-Unis : en 2021, ces pays représentaient en effet plus du tiers des exportations russes (hors énergie) et près de la moitié des importations.

Graphique 1 : Part des États-Unis et des autres pays de la coalition dans le commerce russe (hors énergie). Cliquer pour zoomer. Calculs de l’auteur a partir de CEPII, base BACI, Fourni par l'auteur

De ce fait, les pays européens et le Japon ont assumé l’essentiel du coût associé aux trains de sanctions commerciales qui se sont succédé depuis 2022.

Pour donner un ordre de grandeur, la baisse des exportations vers la Russie, entre 2021 et 2023, a représenté environ 1 % du PIB pour la Slovaquie, pour la Finlande et pour la République tchèque, 0,44 % pour l’Allemagne, de l’ordre de 0,2 % pour la France et l’Italie… et moins de 0,03 % pour les États-Unis (Graphique 2).

Graphique 2 : Variation des exportations vers la Russie entre 2021 et 2023, en % du PIB de l’exportateur. Note : le PIB de l’exportateur est celui de 2023. Sources : calculs de l’auteur à partir de CEPII base BACI et Banque mondiale, Fourni par l'auteur

Une quantification plus précise confirme le faible impact qu’aurait la levée des sanctions américaines. À partir d’une estimation de l’impact des sanctions sur le commerce bilatéral, puis d’une simulation d’un modèle théorique permettant de prendre en compte les mécanismes d’entraînement liés aux chaînes de valeur et aux variations de revenu, l’effet estimé des sanctions de 2022 est significatif, mais d’une ampleur modeste.

Elles auraient engendré une baisse du niveau de vie de 2,62 % pour les Russes. Dans cet ensemble, la part imputable aux États-Unis est négligeable, comme le montre la simulation d’un scénario où Washington n’aurait pas participé aux sanctions cette année-là : la perte pour la Russie n’aurait été ramenée qu’à 2,60 %, soit 0,02 % de moins – un changement bien modeste.

Vers une vaste coopération économique Washington-Moscou ?

Ces estimations ont cependant leurs limites et la vigilance reste de mise. Même si le potentiel de commerce avec les États-Unis reste faible, une levée unilatérale des sanctions offrirait tout de même une bouffée d’air bienvenue à l’économie russe.

Elle pourrait permettre l’accès à des biens sensibles à double usage (civil et militaire). Une suppression des sanctions financières américaines aurait pour conséquence de relancer l’investissement en Russie – aujourd’hui étranglé par des taux d’intérêt prohibitifs – et de faciliter les stratégies de contournement en réduisant les contraintes sur les paiements internationaux.

Tout cela sans compter que les États-Unis pourraient aussi aller au-delà d’un simple retour à la situation de 2021 : après tout, aucun signe ces dernières semaines ne permet d’écarter la perspective d’une administration américaine qui encouragerait une coopération économique volontariste avec la Russie. Rappelons d’ailleurs que la conversation téléphonique Trump-Poutine du 18 mars a donné lieu, sur le site de l’ambassade des États-Unis à Moscou, à un résumé se concluant par ces mots :

« Les deux dirigeants ont convenu que l’amélioration des relations bilatérales entre les États-Unis et la Russie offrirait des avantages considérables. Il s’agira notamment de conclure d’énormes accords économiques et d’assurer la stabilité géopolitique une fois la paix rétablie. »

The Conversation

Matthieu Crozet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

26.03.2025 à 16:31

Managers, comment sortir des bulles informationnelles pour désescalader les conflits ?

Emma Lei Jing, Assistant Professor, Neoma Business School

Comment des discussions lancées sur des sujets sensibles se transforment-elles en bulles informationnelles ? Et comment en sortir pour aller au-delà de nos désaccords ?
Texte intégral (1810 mots)
Les chambres d’écho résultent de processus sociaux continus dans lesquels les gens s’enferment eux-mêmes sur la base d’interprétations divergentes de ce qui est « bon » ou « mauvais ». Aloha Hawaii/Shutterstock

Les discussions lancées sur des sujets sensibles se transforment souvent en chambre d’échos, ces bulles informationnelles où les personnes partagent les mêmes croyances. Comment en sortir pour aller au-delà de nos désaccords ? Étude de cas avec le débat sur la toxicomanie au Canada.


Retraites, conflit israélo-palestinien, élection de Donald Trump, les controverses sont légion en ce début d’année 2025 et… polarisent les opinions. Les algorithmes « intelligents » surfent sur cette vague en créant des bulles de filtres, ou bulles informationnelles. Nos réseaux sociaux nous donnent à voir ce qui est censé nous intéresser le plus, en fonction des contenus que nous partageons le plus ou sur lesquels nous cliquons davantage. Sommes-nous condamnés à l’irréconciliable ?

Ce phénomène est bien connu des chercheurs en sciences sociales, qui parlent de chambres d’écho. Dans ces espaces, les arguments et les émotions sont amplifiés et répétés par des individus partageant les mêmes croyances. Les chambres d’écho résultent de processus sociaux continus dans lesquels les gens s’enferment eux-mêmes sur la base d’interprétations divergentes de ce qui est « bon » ou « mauvais ». Se crée alors autour de ces personnes une bulle informationnelle que les perspectives opposées peinent à pénétrer.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Notre étude de cas porte sur une nouvelle approche controversée de lutte contre la toxicomanie au Canada – la réduction des méfaits. Nous nous demandons comment des discussions lancées sur ce sujet sensible se transforment en chambre d’écho ? Quel est le rôle des émotions dans ce processus d’isolement des opinions et d’escalade des désaccords ?

Fossé émotionnel moral

La réduction des méfaits vise à réduire les conséquences négatives de la toxicomanie, sans en exiger l’abstinence. Elle inclut des mesures comme la distribution de seringues propres et la mise en place de sites de consommation supervisée. Introduite en 2008 en Alberta au Canada, cette politique a radicalement transformé le débat public, créant des clivages entre partisans et opposants.

Cet exemple nous a permis de développer un modèle sur la dynamique des contestations pouvant mener à des chambres d’écho, dans le champ des addictions.

Aiguille usagée, seringue, cigarette et déchets plastiques jetés dans la rue par des toxicomanes
Aiguille et seringue usagées, mégots de cigarette et déchets plastiques jetés dans la rue par des toxicomanes dans l’est du centre-ville de Vancouver au Canada. » Rita Petcu/Shutterstock

Notre étude souligne le rôle essentiel des émotions morales. Contrairement aux émotions fondées sur des intérêts personnels, les émotions morales concernent le bien-être de la société. Dans ce type de débat, la prise de position initiale de chacun dépend souvent de sa vision du bien et du mal. Or, il n’existe pas d’accord universel sur ce qui est juste.

En conséquence, chaque parti considère qu’il défend ce qui est juste et bon pour la société. Il suffit d'observer les réactions polarisées suite à l'élection présidentielle américaine de 2024.

Convictions morales

À mesure que l'expression de ces émotions morales s’intensifie, un fossé se creuse entre les deux groupes opposés. Cette polarisation croissante transforme peu à peu l'espace de débat en territoires idéologiques hermétiques, véritables chambres d’écho, où ne résonnent plus que des arguments confortant les croyances préexistantes.


À lire aussi : Comment les Français choisissent-ils leurs médias ?


En intégrant ces émotions morales dans leurs discours, les individus intensifient leurs désaccords et renforcent les divisions dans le débat public. En fait, ces émotions alimentent l’escalade de ces conflits. Chacun est persuadé, presque de façon viscérale, que l’autre a tort. Si bien que ce qui était au départ une prise de position sur une question morale se transforme progressivement en un rejet, pas uniquement de l’idée opposée, mais aussi de ceux qui la portent.

Par exemple, dans la société états-unienne moderne, la division entre les républicains et les démocrates s’accentue en raison de la présence de ces émotions. Nous avons pu observer dans les discours une augmentation des émotions négatives comme la frustration, la colère et le dégoût envers l’opposition.

In fine, ces émotions éloignent les acteurs (citoyens) les uns des autres. Le débat s’éteint, puisque les discours et les arguments antagonistes ne sont plus entendus. Nous mettons en lumière que l’émergence des chambres d’écho est fortement liée à un biais autour de la notion de moralité. Chaque camp perçoit l’opposition comme moralement mauvaise, dès lors qu’elle s’oppose à sa vision de ce qui est bon pour la société.

Pas de fumée sans feu

Cette évolution progressive des débats vers des chambres d’écho est catalysée par des événements déclencheurs attirant l’attention ou suscitant l’émotion. Ils séparent encore plus les différents clans. Braquer les projecteurs sur la question qui divise encourage les personnes qui ne l’ont pas encore fait à prendre parti. La crise des opioïdes de 2012 en est symptomatique. Le débat est réalimenté par de nouveaux acteurs et de nouveaux discours, avec un poids toujours aussi important des émotions susmentionnées. Par exemple, lorsqu’un gouvernement conservateur canadien a considérablement réduit les pratiques de la réduction des méfaits, les personnes engagées dans le débat ont commencé à renoncer à convaincre l’autre partie ; ils entraient dans leur propre chambre d’écho.

Pour atténuer ces effets, nous suggérons aux acteurs publics de présenter les débats de manière pragmatique. Par exemple : aborder la réduction des inconvénients comme un moyen de diminuer les coûts des soins de santé.

Au sein des organisations, les débats sur des sujets controversés risquent souvent de polariser les opinions et de fragiliser la cohésion d'équipe. Notre recherche démontre que les managers jouent un rôle crucial dans la régulation de ces dynamiques. En observant attentivement l'évolution des discussions, ils peuvent intervenir au moment opportun pour éviter l'escalade émotionnelle.

La clé réside dans leur capacité à instaurer un cadre d'échange structuré, privilégiant un langage neutre et analytique. Cette approche permet d'examiner les différentes perspectives sous l'angle de leur valeur pragmatique plutôt que sous un prisme moral qui classerait les opinions comme justes ou fausses. En déplaçant ainsi le débat du terrain des convictions vers celui des solutions concrètes, les managers favorisent un dialogue constructif où la diversité des points de vue devient une ressource plutôt qu'une source de division.


Cet article a été rédigé par Elizabeth Goodrick de Florida Atlantic University, Trish Reay de l’Université d’Alberta et Jo-Louise Huq de l’Université de Calgary.

The Conversation

Emma Lei JING a reçu des financements pour cet projet de recherche de The Social Sciences and Humanities Research Council of Canada.

26.03.2025 à 16:28

L’Europe à l’heure du retour des logiques de puissance décomplexées : le temps du sursaut stratégique ?

Delphine Deschaux-Dutard, Maître de conférences en science politique, Université Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)

Bastien Nivet, Docteur en science politique (École de management), Pôle Léonard de Vinci

Si l’UE multiplie dernièrement les annonces et les plans relatifs à son réarmement, elle est encore loin d’être perçue comme une puissance réelle par les autres grands acteurs internationaux.
Texte intégral (2443 mots)

Face aux puissances révisionnistes que sont les États-Unis de Trump et la Russie de Poutine, l’Union européenne cherche à renforcer son autonomie stratégique. Des plans sont mis sur la table, les sommets se multiplient, mais les 27 sont encore très loin de partager une vision commune en matière militaire, comme en témoigne, entre autres, la difficulté qu’ils ont à s’entendre sur des achats d’armement mutualisés.


La scène surréaliste qui a opposé Donald Trump à Volodymyr Zelensky dans le bureau Ovale de la Maison Blanche, le 28 février 2025, puis la brutale annonce par les États-Unis de la cessation de leur soutien militaire et en matière de renseignement à l’Ukraine (avant une nouvelle volte-face suspendant cette « pause » quelques jours plus tard) ont saisi d’effroi de nombreux chefs d’État et de gouvernement européens, tant elles marquent une rupture dans la conception que l’UE se fait des relations internationales, depuis l’édification en 1945 du système onusien, fondé sur la charte de San Franscisco, qui place en son cœur les principes d’intégrité territoriale, de dialogue et de résolution pacifique des différends.

Au regard de l’évolution très rapide de l’ordre international sous l’action combinée de puissances révisionnistes, telles que la Russie ou la Chine, et du nouveau positionnement américain depuis le début du second mandat Trump, qui a vu Washington adopter une conception purement transactionnelle des relations internationales, l’Europe serait-elle en train de sortir de l’Histoire ? Peut-elle continuer à se comporter comme un agneau dans un monde de carnivores ?


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Si les annonces se sont multipliées depuis début mars 2025 concernant la montée en puissance de l’échelon européen en matière de défense, il importe, pour bien faire la distinction entre les effets d’annonce et la limite de leur effet performatif, de rappeler d’où vient l’UE en matière de réflexion stratégique et de conception de la puissance.

Pour l’UE, un rapport au monde d’« influence sans la puissance » rattrapé par l’Histoire

Contrairement à une vision très répandue, la construction européenne n’a jamais été qu’une simple construction économique interne, un marché, un « espace ». Permettre aux Européens de participer aux affaires du monde avec leurs capacités et leurs approches propres en a été un objectif réitéré et progressivement affiné, depuis les premières communautés des années 1950 jusqu’à l’UE à 27, aujourd’hui.


À lire aussi : Bonnes feuilles : « Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945 »


La déclaration Schuman du 9 mai 1950 affirmait déjà que l’une des ambitions essentielles d’une Europe organisée était sa « contribution au monde », et soulignait sa fonction fondamentale en matière de préservation de la paix et sa vocation à nouer des relations pacifiques avec les autres acteurs. De premières politiques de coopération et d’aide au développement ont ensuite tissé, dès les années 1960, dans le cadre de la Communauté économique européenne créée en 1957, un riche réseau de relations extérieures avec de nombreux États, d’abord principalement africains, puis plus diversifiés.

Dès la déclaration de Copenhague de 1973 sur l’identité européenne, l’Europe des neuf États membres d’alors articulait plus précisément une vision européenne spécifique de l’ordre international et de la contribution particulière que les Européens entendaient y jouer. Elle actait notamment la nécessité – dans un contexte de concentration de la puissance –, que l’Europe « parle d’une seule voix » et posait les principes fondamentaux sur lesquels devait reposer cette influence internationale à construire : recherche de la coopération et du dialogue entre acteurs internationaux, attachement au développement et à l’action des institutions internationales, du droit, de la justice et du développement.

En établissant les bases institutionnelles d’une politique étrangère et de sécurité commune dans le Traité sur l’Union européenne signé à Maastricht, en février 1992, dans un contexte de transition et d’incertitudes post-guerre froide, les États membres ont réaffirmé et précisé plus avant ces principes et valeurs.

Enfin, des processus comme celui de la stratégie européenne de sécurité (SES) de 2003, la stratégie globale de sécurité de 2016, ou encore la « boussole stratégique » européenne de 2022, ont précisé plus avant et de façon publique les éléments de la « vision européenne du monde » sous-tendant les relations extérieures de l’UE. Il ressort de ces documents, malgré leurs limites conceptuelles et diplomatiques, une posture internationale de l’UE avec des caractéristiques identifiables :

  • primauté du droit et de la négociation sur le rapport de force et le recours à la violence pour le règlement des différents ;

  • attachement au multilatéralisme, à la coopération internationale, au droit international et aux institutions internationales ;

  • reconnaissance du nécessaire usage d’outils militaires dans certaines situations, si possible sous mandat de l’ONU ;

  • volonté collective d’influer sur l’environnement international, par l’association des outils de soft power (ou puissance civile) et, plus récemment, de hard power.

Ces caractéristiques dessinent une ambition de « volonté d’influence mais un rejet de la puissance » et empruntent très largement à une lecture libérale des relations internationales, plaçant en son centre les principes de coopération et de démocratie et donnant la primauté à la négociation et la résolution pacifique des différends au détriment de la force, qu’elle soit militaire ou argumentaire.

Or, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 et la vision du monde et la pratique diplomatique de la nouvelle administration américaine depuis le début de l’année 2025 prennent à rebours cette vision européenne et risquent, dans certains cas, de la rendre caduque.

L’UE a donc multiplié les annonces, depuis février 2025, en vue de se réarmer et de renforcer son autonomie stratégique vis-à-vis d’une OTAN au sein de laquelle Donald Trump menace régulièrement de limiter drastiquement l’engagement américain. Mais y a-t-il une réelle révolution stratégique collective en marche à Bruxelles ? Ou bien cette « heure de l’Europe », régulièrement annoncée depuis l’implosion de la Fédération yougoslave en 1991, sera-t-elle encore reportée ?

Y a-t-il une révolution stratégique réelle à Bruxelles ?

La défense européenne et, plus largement, la construction européenne évoluent au gré des crises.

La crise actuelle n’y fait pas exception, ayant conduit la Commission européenne à annoncer un plan de 800 milliards d’euros (le plan ReArm Europe) afin d’accélérer l’armement de l’UE. Ce plan vient s’ajouter aux nombreux outils, créés depuis 2022, en vue de conduire à une montée en puissance de l’industrie européenne d’armement, dont le Règlement européen visant à renforcer l’industrie européenne de la défense, au moyen d’acquisitions conjointes (EDIRPA), le plan de soutien à la production de munitions en Europe (ASAP), ou encore le plan stratégique EDIS dont l’objectif est de favoriser les acquisitions conjointes en matière d’armement au sein de l’UE.

Ces outils s’ajoutent à l’aide militaire apportée à Kiev à travers la Facilité européenne de paix (6,1 milliards entre 2022 et 2024) et la réflexion lancée par la Commission européenne, en mars 2025, sur la création d’un fonds européen qui permettrait d’envoyer de 20 milliards à 40 milliards d’euros d’aide militaire à l’Ukraine dans les mois à venir.

De même, certains pays de l’UE font preuve d’un activisme fort visant à promouvoir une réelle défense européenne, à l’instar, entre autres, de la France – qui réinvestit le concept d’autonomie stratégique européenne qu’elle brandit régulièrement depuis plus d’une décennie –, de la Pologne ou plus récemment d’une Allemagne rendue soucieuse par le délitement du lien transatlantique et qui a déclaré, par la voix de son futur chancelier Friedrich Merz, au soir des élections législatives du 23 février 2025, que la défense européenne devait prendre son indépendance.

Pour autant, tous ces outils et ces mouvements politico-diplomatiques ne sauraient à eux seuls constituer une politique, et encore moins une posture stratégique pour l’UE.

Le Livre blanc sur la défense européenne (intitulé Readiness 2030, ou Être prêt pour 2030) présenté par la Commission, le 19 mars 2025, liste certes tous les outils et moyens à utiliser… mais continue de considérer l’OTAN comme la pierre angulaire de la sécurité européenne.

En effet, malgré l’urgence, les 27 semblent bien loin de partager une vision collective harmonisée de la puissance collective européenne. En matière d’armement, par exemple, au-delà des milliards annoncés par la Commission, les États ne sont pas parvenus à s’accorder sur la définition de critères d’achat de matériel militaire qui consacreraient enfin une nécessaire préférence européenne. Si la France plaide en ce sens, ses partenaires, fortement dépendants du matériel militaire non européen, ne partagent pas (ou pas encore) cette vision.

De même, les sommets entre pays européens se multiplient, tantôt à Paris, tantôt à Londres, mais toujours en dehors du cadre de l’UE, ce qui établit, de fait, une diplomatie de club qui ne permet guère d’avancée européenne collective en matière de réflexion sur la puissance de l’UE dans le monde.

L’UE peut-elle se projeter et être perçue comme une puissance ?

Même si, avec l’annonce du plan ReArm Europe et d’un futur livre blanc de la défense européenne pour mai 2025, l’UE semble se mettre plus que jamais en ordre de marche pour se doter d’une défense substantielle, cela ne fait pas encore d’elle une puissance globale reconnue par les autres puissances internationales, comme le démontrent les négociations bilatérales entre Washington et Moscou autour de la question d’un cessez-le-feu en Ukraine, et la délocalisation à Riyad (Arabie saoudite) des discussions sur le sujet, en parallèle des multiples réunions organisées par les chefs d’État et de gouvernement français et britannique.

Car la puissance dépend aussi de la perception que se font les autres acteurs, et en la matière, si l’UE semble attirer les citoyens canadiens ces dernières semaines, elle est loin de convaincre l’ensemble des puissances internationales telles que les États-Unis, la Russie ou encore l’Inde et la Chine. Dans un monde où la politique de puissance a fait son grand retour ces dernières années et où les pays les plus puissants privilégient les négociations bilatérales au détriment du multilatéralisme, il est grand temps que les États européens se rendent compte que l’UE n’est pas une voie possible pour exister sur la scène internationale, mais la seule s’ils espèrent continuer à défendre les valeurs sur lesquelles le projet européen s’est construit : paix et dialogue diplomatique, plutôt que force et raison du plus fort.

The Conversation

Delphine Deschaux-Dutard a reçu des financements de l'ANR.

Bastien Nivet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

25.03.2025 à 16:47

Turquie : quatre notions clés pour comprendre l’ébullition actuelle

Samim Akgönül, Université de Strasbourg

Quatre termes, employés pour certains par le pouvoir, pour d’autres par ses détracteurs, reflètent la situation de la Turquie depuis l’arrestation d’Ekrem Imamoglu, rival d’Erdogan.
Texte intégral (2545 mots)

Pour mieux comprendre ce qui se joue actuellement en Turquie, où des manifestations massives ont lieu sans discontinuer depuis l’arrestation, le 19 mars, du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, il convient de s’intéresser à des mots turcs – sans véritable traduction française – qui ont fait leur apparition, ou leur réapparition, dans l’espace public et qui traduisent la réécriture des règles politiques à laquelle se livre actuellement le pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan.


Arrêté le 19 mars, avec plusieurs dizaines de ses collaborateurs, d’élus et de membres du Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste), pour des accusations de « corruption », de « terrorisme » et d’« aide au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) », le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, 53 ans, élu en 2019 et réélu en 2024, a été démis de ses mandats et incarcéré le 23 mars.

Le pouvoir a également entrepris de remettre en cause ses acquis académiques, car, selon la Constitution, le président de la République doit être diplômé d’une université. Or, le diplôme universitaire d’Imamoglu, obtenu il y a 32 ans à l’Université d’Istanbul, vient d’être annulé sous la pression du pouvoir. Ironiquement, Recep Tayyip Erdogan est lui-même soupçonné de ne pas avoir réellement obtenu le diplôme universitaire dont il se prévaut, et ne peut présenter aucune preuve de fréquentation universitaire (photos, témoignages, etc.), même si l’université dont il prétend être diplômé assure qu’il y était bien étudiant.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Cette brutale mise à l’écart d’un personnage politique incontournable en Turquie, séduisant tant l’électorat séculier que les milieux conservateurs, et qui était pressenti pour être le candidat de l’opposition face à Erdogan à la présidentielle de 2028, a immédiatement suscité une vaste réaction. Depuis une semaine, le pays est balayé par une vague d’immenses manifestations réunissant des centaines de milliers de personnes exprimant leur solidarité avec l’édile emprisonné. On y retrouve des jeunes comme des universitaires, en passant par des citoyens issus de villes traditionnellement fidèles à l’AKP. Tandis que les médias classiques restent étrangement silencieux et que X a déjà bloqué, à la demande d’Ankara, de nombreux comptes d’opposition, les chiffres avancés par le secrétaire général du CHP évoquent un million de manifestants.

Dans ce contexte explosif, il est utile de s’arrêter sur certains termes spécifiques, très présents dans le débat public turc actuel, qui reflètent finement la situation actuelle d’un pays en ébullition.

Le « témoin secret » (Gizli tanık)

Premier terme : Gizli tanık, en français « témoin secret ». En Turquie, le recours aux « témoins secrets » a été légalisé par la loi n° 5726 sur la protection des témoins, adoptée le 27 décembre 2007 et publiée au Journal officiel le 5 janvier 2008, à une époque où le mouvement güleniste dominait l’appareil judiciaire en accord avec l’AKP au pouvoir.

« Turquie : maire d’Istanbul et principal opposant à Erdogan, Ekrem Imamoglu a été arrêté », France 24, YouTube (mars 2025).

Ce système de Gizli tanık empêche l’interrogatoire contradictoire des témoins et facilite le placement en détention provisoire, puis la condamnation, de tout suspect dans les affaires politiques : il suffit qu’un témoin secret dépose contre eux.

Cette pratique a été introduite pour la première fois en 2007 dans les procès Ergenekon. Par la suite, elle a été employée contre les Kurdes dans les procès de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), en 2009. Elle continue d’être utilisée dans diverses affaires judiciaires aujourd’hui. C’est ce « témoin secret » qui a été utilisé par le pouvoir pour porter à l’encontre d’Imamoglu des accusations de corruption et de terrorisme.

Des maires destitués et remplacés par des administrateurs (Kayyum) nommés par le pouvoir

Notre deuxième terme, kayyum, renvoie à la figure cruciale du « tuteur ». En Turquie, il désigne une personne nommée par un tribunal ou par une autorité civile pour gérer un bien, notamment immobilier, ou une institution. Cette mesure intervient lorsque le dirigeant d’une institution est dans l’incapacité d’exercer ses fonctions ou qu’il est démis de ses fonctions pour des raisons définies par la loi.

L’application de la nomination de kayyum aux municipalités en Turquie a été légalisée par le décret-loi n° 674, publié le 1er septembre 2016, durant l’état d’urgence instauré après la tentative de putsch du 15 juillet 2016. Ce décret a conféré au ministère de l’intérieur le pouvoir de destituer les maires accusés d’être liés à des organisations terroristes et de nommer des administrateurs à leur place.

À la suite de l’adoption de cette réglementation, de nombreuses municipalités, en particulier celles dirigées par le parti pro-kurde HDP, ont été placées sous tutelle administrative. Depuis 2016, au total 160 nominations de kayyum ont été effectuées.

Parmi les griefs retenus contre Imamoglu figure l’existence d’un accord électoral, baptisé « Pacte urbain », conclu avec le HDP avant les élections municipales de 2024. Paradoxalement, cette accusation survient alors même que le pouvoir mène en coulisses des négociations avec Abdullah Öcalan, leader historique du PKK, dans l’optique d’un désarmement du mouvement kurde.

Le 23 mars 2025, à l’aube, le juge a ordonné la mise en détention provisoire d’Ekrem Imamoglu sous le chef d’accusation de « corruption », tandis que l’accusation de « terrorisme », la seule permettant la nomination d’un kayyum à Istanbul, restait en discussion.

« Turquie : le maire d’Istanbul au tribunal, nouvelles manifestations de soutien », France 24, YouTube (mars 2025).

Le parc Gezi : réminiscences de la mobilisation de 2013

Notre troisième terme est Gezi, qui veut littéralement dire « promenade ». Il désigne un parc situé en plein cœur d’Istanbul, adjacent à la place Taksim, un haut lieu de la mobilisation politique.

Le « mouvement de Gezi » fait référence à une vague de contestation qui a éclaté en Turquie en mai 2013 à la suite d’un projet de réaménagement urbain menaçant ce parc, l’un des rares espaces verts du centre d’Istanbul. Initialement portée par des écologistes, la mobilisation s’est rapidement transformée en un vaste mouvement de protestation contre le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, accusé d’autoritarisme et d’ingérence croissante dans la vie publique, la volonté de raser le parc étant assimilée à un souhait d’ôter à l’opposition un lieu de rassemblement traditionnel.

La protestation avait alors été violemment réprimée par les forces de l’ordre, et Gezi est devenu un symbole de la résistance démocratique en Turquie, marquant une fracture durable entre le pouvoir et une partie de la société civile.

Manifestants au parc Gezi, près de la place Taksim à Istanbul, le 7 juin 2013. Mstyslav Tchernov/Wikimedia, CC BY

Les protestations actuelles rappellent ce mouvement par certains aspects, mais cette fois, la motivation est strictement politique. L’objectif est de dénoncer par-dessus tout, la manipulation des règles démocratiques par le pouvoir.

La participation ou non des milieux kurdes à ces événements n’est pas anodine. Alors qu’en 2013, les Kurdes ne s’étaient mobilisés que de manière individuelle, dans un contexte de processus de paix avec l’AKP, aujourd’hui, le parti pro-kurde DEM (qui a remplacé le HDP en 2023), pourrait officiellement apporter son soutien aux rassemblements pro-Imamoglu. Alors que son ancien chef Selahattin Demirtas, derrière les barreaux depuis 2016, a été condamné l’année dernière à 42 ans d’emprisonnement et qu’Öcalan lui-même a récemment appelé à l’auto-dissolution du PKK, la position du DEM est scrutée de près.

Si les Kurdes, de manière organisée, se joignent aux protestations en faveur d’Ekrem Imamoglu, le nouveau mouvement a une chance d’aboutir. En revanche, si, comme lors de Gezi, les organisations politiques kurdes, au premier rang desquelles le DEM et le PKK, se montrent réticentes afin de ne pas entraver le processus de paix en cours avec Ankara, alors les jeunes désorganisés se retrouveront, une fois encore, démunis face aux gaz lacrymogènes. Bien entendu, c’est au CHP qu’il appartient de prendre la tête du mouvement. Mais l’expérience militante du mouvement kurde dépasse largement celle des jeunes des classes moyennes qui soutiennent le CHP ; trop individualistes, insuffisamment engagés, ces citoyens ont beaucoup à apprendre, en matière de mobilisation, des Kurdes qui, eux, luttent depuis des décennies.

Mauvais perdant (Mızıkçılık)

Traduction : « Refuser la défaite, modifier les règles en cours de partie et user de mauvaise foi pour consolider le pouvoir. » En clair, c’est le mauvais perdant qui n’accepte pas la défaite avant même d’avoir été défait ! Ce terme est largement employé par les manifestants pour désigner le comportement de l’AKP – un comportement qui rappelle celui de ce même parti, il y a presque dix ans.

Après les élections législatives de juin 2015 en Turquie, l’AKP avait perdu sa majorité absolue, mais des violences provoquées à la fois par le PKK et les forces militaires, notamment liées à la question kurde, avaient perturbé le processus politique. Cette situation avait créé un climat d’insécurité et d’instabilité, ce qui avait conduit à des élections anticipées en novembre 2015 ; celles-ci allaient permettre à l’AKP de regagner une majorité absolue, renforçant ainsi la position de Recep Tayyip Erdogan.

Aujourd’hui, cette tactique peut être appliquée de nouveau pour écarter un opposant potentiel avant les prochaines échéances électorales. Un élément nouveau s’ajoute à ce tableau complexe : la solidarité avec Imamoglu affichée par de nombreux maires occidentaux, qui dénoncent publiquement l’atteinte aux principes démocratiques et au respect de l’État de droit en Turquie.

Toutefois, ce soutien ne pourrait-il pas être manipulé par le pouvoir turc à des fins de propagande ? Dans un climat où chaque geste de soutien international est scruté, force est de constater que cette solidarité pourrait être détournée afin de renforcer l’image d’un pays isolé ou pour détourner l’attention des véritables enjeux internes.

En définitive, la situation en Turquie demeure extrêmement fragile. À Istanbul, une métropole de plus de 15 millions d’habitants, le pari de neutraliser un opposant politique de ce calibre comporte des risques considérables, surtout dans un contexte où la jeunesse et les universitaires se mobilisent avec vigueur.

Marquée par des renversements imprévisibles, la trajectoire turque laisse entrevoir l’éventualité que la résistance populaire finira par contraindre le pouvoir à reculer, permettant ainsi à Imamoglu de conserver, au-delà des geôles actuelles, un avenir politique prometteur. Mais, nous avions dit la même chose pour Selahattin Demitas, pourtant en prison depuis près de… dix ans.

The Conversation

Samim Akgönül ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

25.03.2025 à 16:43

Histoire : quand la France convoitait les richesses ukrainiennes

Gwendal Piégais, Post-doctorant en histoire contemporaine, University College Dublin

Plus de cent ans avant Donald Trump, la France avait envisagé de conditionner son soutien à l’Ukraine, alors en lutte pour son indépendance face à l’Armée rouge, à des contreparties en ressources naturelles.
Texte intégral (1889 mots)
_Récolte en Ukraine_ (1896), de Mykola Pymonenko. Les importantes ressources naturelles du traditionnel « grenier à blé de l’Europe » ont suscité, à de nombreuses reprises dans l’histoire du pays, les convoitises de ses voisins. Mykola Pymonenko/Wikipedia

L’administration Trump exerce un brutal chantage à la paix sur le président Zelensky : un cessez-le-feu contre des terres rares voire des centrales nucléaires. Pour choquant que nous apparaisse ce troc, il n’a malheureusement rien d’inédit dans l’histoire de l’Ukraine. Il y a plus de cent ans, les riches ressources du pays étaient déjà au cœur de nombreux marchandages entre la jeune République populaire ukrainienne et les puissances occidentales – au premier rang desquelles la France.


Née en novembre 1917 sur les décombres d’un Empire russe ravagé par la Grande Guerre puis par la révolution, la jeune République populaire ukrainienne tente par tous les moyens d’obtenir des soutiens extérieurs dans sa lutte pour sa souveraineté. Elle signe en 1918, à Brest-Litovsk, une paix séparée avec les puissances centrales (Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire ottoman, Bulgarie). Surnommé « Paix du pain », ce traité reconnaît l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine en échange du versement à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie d’un million de tonnes de céréales. Déjà, les ressources naturelles ukrainiennes étaient l’objet d’un marchandage.

Malgré l’armistice de Rethondes, qui rend caduc ce traité, cet épisode n’en reste pas moins représentatif du rapport des puissances européennes à l’Ukraine au moment de sa première indépendance. Cette perception de ce pays comme un grenier à blé ou comme une immense mine à exploiter, les dirigeants de la République populaire ukrainienne tentent justement d’en tirer profit.

Qui donc est ce « général Kharkov » ?

Ils sont bien conscients qu’il faut que l’Ukraine surgisse – a minima mentalement – sur une carte de l’Europe orientale où la Russie, en tant qu’ancienne alliée et partenaire privilégiée de la France et de la Grande-Bretagne, occupe tout l’espace. Rappelons qu’à la conférence de Versailles, le premier ministre britannique Lloyd George s’était tourné vers un de ses collaborateurs pour demander qui donc était ce « général Kharkov », ignorant qu’on évoquait là une ville en Ukraine.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Mais les territoires ukrainiens occupaient une place de choix dans la géographie économique des entrepreneurs et politiciens français rêvant de sucre, charbon, et blé en abondance, à une époque où les craintes de pénurie et de tensions économiques sont grandes. C’est donc par l’économie et l’industrie que les diplomates ukrainiens tentent de défendre la cause de l’Ukraine.

Carte des revendications ukrainiennes, 1919. Carte des revendications ukrainiennes, « Mémoire sur l’indépendance de l’Ukraine présenté à la Conférence de la Paix par la délégation de la République ukrainienne », 1919

Après le retrait des Allemands et des Austro-Hongrois de la scène ukrainienne, l’Armée rouge progresse vers les rivages de la mer Noire. C’est alors que le directoire ukrainien – avec à sa tête Volodymyr Vynnytchenko, puis Symon Petlioura – prend langue avec la coalition menée par la France, qui a débarqué en décembre 1918 à Odessa et en Crimée pour soutenir les forces antibolchéviques. Les diplomates ukrainiens arrivent à Paris pour présenter leurs revendications à la Conférence de la paix, mais également à Istanbul ou à Athènes pour défendre leur cause auprès des Alliés.

Les intérêts économiques français en Ukraine

Les richesses ukrainiennes sont longuement décrites dans de nombreuses brochures, comme dans ce mémoire transmis au Quai d’Orsay en août 1919, intitulé « Relations économiques entre l’Ukraine et la France » par Woldemar Timochenko. Membre de l’Institut économique de l’Académie des sciences d’Ukraine, il tente de démontrer qu’une bonne part des intérêts économiques français dans l’Empire russe sont en fait positionnés dans les industries métallurgiques et minières ukrainiennes.

Conscient de l’importance des emprunts russes pour l’épargnant français, Timochenko propose de surcroît que l’Ukraine endosse cette dette, au moment où Lénine la répudie. Un règlement de ces créances imposerait à l’Ukraine de verser chaque année une centaine de millions de francs, ce que l’académicien estime possible « en augmentant ses exportations en France ». Timochenko pense ainsi attirer le soutien de la France afin de la lier au destin de l’Ukraine.

Cette entreprise de sensibilisation à la cause ukrainienne, et à l’intérêt que Paris pourrait retirer de son soutien, n’est pas l’apanage de quelques intellectuels ou diplomates. Alors que les forces ukrainiennes affrontent l’Armée rouge, des coopératives et entreprises installées en Ukraine prennent contact avec le ministère français des affaires étrangères pour proposer à la France des « marchandises et des matières premières des régions ukrainiennes ».

L’objectif est d’ouvrir au gouvernement ukrainien une ligne de crédit pour puiser dans les stocks de l’armée française en cours de liquidation afin d’équiper l’armée ukrainienne « en vue d’une lutte efficace contre le bolchevisme. »

Ces démarches ne sont pas sans effet à Paris, puisque le ministère de l’agriculture et du ravitaillement fait savoir au Quai d’Orsay, en septembre 1919, qu’il « attacherait un très grand prix » à recevoir des denrées alimentaires ukrainiennes. L’Ukraine trouve à Paris des interlocuteurs certes favorables, mais sans doute pas aussi pressés qu’elle le souhaiterait.

Car, en Ukraine, les armées de Petlioura affrontent les bolcheviks autant que les armées blanches, mais sont surtout terrassées par le typhus. Lorsque le directoire propose des tonnes de « sucre ou de graines de betteraves » à la France, c’est pour arracher à Paris des « marchandises de première nécessité » telles des chaussures, des vêtements, des médicaments, des pansements.

Une vision coloniale ?

La République populaire ukrainienne n’obtint jamais de la France le soutien escompté, Paris misant dans la région à la fois sur le nouvel État polonais et sur l’Armée des volontaires commandée par le général Denikine, puis par le général Wrangel. Après la défaite définitive des forces antibolcheviques en Crimée en 1920, c’est une Ukraine soviétique et une Pologne ressuscitée qui finissent par prendre le contrôle des territoires revendiqués par la République populaire ukrainienne.

La France adopta également une approche transactionnelle dans son soutien aux forces de Denikine qui combattait pour le rétablissement d’une Russie unie, intégrant l’Ukraine. Là encore, le soutien français n’était pas gratuit. Ainsi, plusieurs accords avec Denikine, puis avec Wrangel, prévoyaient que la France offre un soutien matériel accru à l’Armée des volontaires, en échange d’accords commerciaux en faveur de Paris, avec des contreparties industrielles à saisir en Ukraine.

Même dans leurs rapports avec l’ancien allié russe, les diplomates et militaires français restaient pétris d’une vision impériale et, pour certains d’entre eux, coloniale. Le personnel français en contact avec les Ukrainiens comme avec les Russes avait souvent eu, en effet, une expérience antérieure aux colonies.

Alors en mission auprès du général Wrangel, à l’été 1920, le général Mangin – célèbre en France pour sa promotion de la Force noire – ne manque pas de décrire l’Ukraine en des termes qu’il aurait pu employer pour une colonie française. Il vante ainsi tout l’intérêt qu’il y a, pour la France, à saisir « les richesses minérales de ses tréfonds. […] », à exploiter ce pays « très riche mais [qui] attend encore son heure de développement. » Pour bien des diplomates, politiciens et militaires occidentaux de l’époque, l’Ukraine n’attendait pas son État national, mais son digne exploitant.

The Conversation

Gwendal Piégais a reçu des financements du European Research Council.

25.03.2025 à 16:40

Slovaquie : la société civile vent debout face au pouvoir autoritaire et prorusse

Radovan Gura, Maître de conférences en sciences politiques, Univerzita Mateja Bela, Banská Bystrica

Gilles Rouet, Professeur des universités, Directeur, Institut Supérieur de Management – IAE de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

La société civile slovaque se mobilise pour protester contre la politique illibérale mise en oeuvre par le premier ministre populiste Robert Fico. Elle appelle à sa démission.
Texte intégral (2129 mots)

La Slovaquie est traversée par une crise sociale et politique majeure. Pour protester contre le gouvernement, et plus particulièrement contre le premier ministre, Robert Fico, la société civile se mobilise : manifestations massives, multiplication des pétitions… autant de moyens d’action pour dénoncer les dérives autoritaires de Fico et appeler à sa démission.


Alors que la société slovaque apparaît aujourd’hui profondément divisée, la scène politique du pays se caractérise par une instabilité croissante et une montée en puissance des discours populistes. Plusieurs événements successifs ont attisé les mécontentements et les protestations qui se focalisent désormais sur la personnalité du premier ministre, Robert Fico.

Les élections législatives d’octobre 2023 ont vu s’affronter deux visions radicalement opposées de la politique slovaque : d’un côté, des partis progressistes qui prônent une plus grande intégration européenne et des réformes en profondeur ; de l’autre, des formations populistes et eurosceptiques qui développent un discours nationaliste et identitaire, critique envers l’UE et l’OTAN, et très compréhensif à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine. Au premier rang de celles-ci, on retrouve le SMER-SD, le parti social-démocrate et populiste de Robert Fico, qui avait déjà exercé la fonction de premier ministre de 2006 à 2010, puis de 2012 à 2018. En capitalisant sur le mécontentement d’une partie de l’électorat, le SMER-SD a réussi à mobiliser un large soutien, notamment dans les régions les plus défavorisées du pays, et à porter une nouvelle fois son leader à la tête du gouvernement.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


En 2024, l’élection présidentielle, qui s’est soldée par la victoire de Peter Pellegrini, un allié de Robert Fico (le rôle du président est moins important, en matière de pouvoir exécutif, que celui du premier ministre), puis les élections européennes, où le SMER-SD a été légèrement devancé par le parti libéral et pro-UE Slovaquie progressiste, ont encore accentué les divisions. Celles-ci avaient été exacerbées, entre les deux scrutins, par l’attentat qui a failli coûter la vie à Robert Fico, le 15 mai 2024. Les discours de haine et les attaques personnelles se sont ensuite multipliés.

Le pouvoir est actuellement exercé par une coalition gouvernementale très fragile, regroupant des partis aux idéologies parfois divergentes, alors que la Slovaquie doit concilier ses intérêts nationaux avec les exigences de l’Union européenne. S’y ajoute la corruption, un problème endémique qui continue d’éroder la confiance des citoyens dans les institutions et freine le développement du pays.

Mobilisations et pétitions comme moyen de contestation

Lors de ces différentes élections, le SMER-SD a surtout bénéficié du soutien des habitants des zones rurales et des personnes âgées. Ces dernières ont été séduites par son discours populiste sur la protection sociale, le rejet des élites, la critique de l’immigration et la priorité donnée à « la paix aux frontières slovaques » (entendre : le refus d’un alignement sur l’appui de la plupart des pays de l’UE à l’Ukraine en guerre), discours largement relayé par les médias progouvernementaux et sur les réseaux sociaux, y compris par l’usage de fake news.

Face à la montée du populisme et à l’inquiétude liée à la fragmentation de la population, une partie de la société civile slovaque se mobilise depuis les dernières élections législatives pour défendre les valeurs démocratiques et les droits humains, en particulier la protection contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle.

Des manifestations et des actions citoyennes sont régulièrement organisées pour exprimer le mécontentement de la population et demander des changements. Des dizaines de milliers de personnes se rassemblent chaque semaine, surtout à Bratislava et à Kosice, la deuxième ville du pays. D’abord réunies pour protester contre la suppression du bureau du procureur spécial en charge de la lutte anticorruption, elles ont ensuite dénoncé les attaques du pouvoir contre les médias indépendants et l’alignement de Fico sur Vladimir Poutine dans le dossier ukrainien, avant d’exprimer leur opposition radicale à Robert Fico et à son gouvernement au sens large.

Dans le même temps, de nombreuses initiatives ont été prises pour promouvoir la démocratie, les droits humains et les valeurs européennes. À travers l’organisation de campagnes de sensibilisation et de débats publics, les ONG, mouvements citoyens et médias indépendants jouent actuellement un rôle essentiel dans l’information des citoyens. Le conflit qui a opposé une partie de la société civile au ministère de la culture sur des questions liées à la liberté d’expression et à la protection du patrimoine culturel a mis en évidence les tensions entre les défenseurs des valeurs démocratiques et un gouvernement accusé de vouloir restreindre les libertés individuelles.

En décembre, l’apparition de Robert Fico à la télévision russe et la confirmation de sa présence aux commémorations du Jour de la victoire du mois de mai 2025 à Moscou ont suscité des réactions importantes. Les partis d’opposition appellent à manifester partout en Slovaquie. Malgré le froid hivernal, les manifestations rassemblent plus de 60 000 manifestants à Bratislava et des dizaines de milliers dans les autres villes.

Une autre forme de protestation a pris une ampleur inédite en Slovaquie : pétitions et lettres ouvertes se sont multipliées, s’adressant au gouvernement slovaque et s’attaquant à la personnalité même de Robert Fico.

Magda Vasaryova, ancienne secrétaire d’État aux affaires étrangères et ambassadrice en République tchèque, dénonce ainsi, dans une pétition publiée début novembre 2024, les agissements du premier ministre :

« Nous protestons contre ses démarches volontaristes qui depuis longtemps discréditent la République slovaque auprès des alliés et des États coopérants […]. Aucun pouvoir obtenu lors d’élections libres ne peut être transformé en une tentative de gouverner à vie au mépris des règles d’un État démocratique. »

Une deuxième pétition est initiée par des psychiatres et psychologues qui s’alarment du comportement du premier ministre, « caractérisé par un style de plus en plus autoritaire, la manipulation des faits, le mensonge, la diffamation » :

« Votre comportement politique et vos positions proclamées polarisent la société et […] génèrent frustration et mécontentement. Il semble que l’agressivité et l’explosivité émotionnelle dans vos apparitions publiques soient devenues plus prononcées après la tentative d’assassinat dont vous avez été victime. […] Nous espérons que vous développerez votre capacité d’introspection et que vous aurez la possibilité de corriger votre comportement politique, y compris d’envisager de quitter la haute politique. »

D’autres pétitions et lettres ouvertes réunissent des milliers de signataires – universitaires, entrepreneurs, investisseurs, membres d’associations. Elles traduisent leur indignation vis-à-vis de la gestion des affaires publiques et de la politique étrangère et leur inquiétude face aux attaques verbales contre les ONG et les associations citoyennes qui « rappellent les anciens régimes totalitaires (fascistes et communistes), qui ont suivi des étapes similaires pour établir un ordre politique non démocratique ».

En réaction, les soutiens du gouvernement s’emparent eux aussi de ce nouveau moyen de mobilisation. Ils diffusent leurs propres pétitions, comme celle du 27 janvier 2025, qui dénonce les ONG financées par des « forces étrangères », accusées de remettre en cause la « souveraineté nationale », la « démocratie » et la « stabilité politique » – les manifestations étant, selon eux, organisées « sous l’influence de forces étrangères ».

Quelles perspectives pour le gouvernement Fico ?

En janvier 2025, la Slovaquie a été la cible d’une série de cyberattaques de grande ampleur. Des infrastructures critiques comme les services du cadastre ou la Compagnie générale d’assurance maladie ont été touchés, à différents degrés de gravité.

Robert Fico y a vu un complot visant à aggraver les tensions et à déstabiliser la République slovaque. Il a dénoncé une tentative de coup d’État grâce à un plan d’occupation de bâtiments gouvernementaux, de blocage des routes et d’organisation de grèves nationales. Pour lui, les responsables de ces cyberattaques ne sont autres que les représentants de l’opposition, d’ONG financées par l’étranger, d’une grande partie des médias antigouvernementaux slovaques et d’agents étrangers – ceux-là mêmes qui participeraient aux désordres en Géorgie ou qui auraient provoqué le soulèvement populaire en Ukraine en 2014.

En outre, le gouvernement slovaque continue de s’isoler sur la scène européenne, notamment en raison de ses prises de position vis-à-vis de l’Ukraine ou de l’État de droit. Les tensions peuvent encore s’aggraver si le gouvernement persiste dans ses réformes autoritaires et/ou si l’économie continue de stagner. L’UE peut aussi décider d’intensifier sa pression sur le gouvernement et de lancer des procédures contre Bratislava pour atteinte à l’État de droit. Et sans changement de ligne de la part du pouvoir, la mobilisation citoyenne se poursuivra.

La crise politique et sociale actuelle est telle qu’elle pousse une partie du corps social à se mobiliser selon des modalités anciennes (les manifestations) et plus récentes (les pétitions en ligne). À travers ces mobilisations, la société civile s’attaque non seulement à une ligne idéologique contestée, mais aussi à la personnalité et au comportement d’un seul homme, le premier ministre. Sa démission, attendue comme en 2018 – elle était alors intervenue après le scandale national provoqué par l’assassinat par balles d’un journaliste qui enquêtait sur la corruption du pouvoir, ainsi que de sa fiancée – ne suffirait toutefois pas à résoudre tous les problèmes…

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

25 / 25
  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
  CULTURE / IDÉES 1/2
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  IDÉES 2/2
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
  FIABILITÉ LIMITÉE
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
Slate
Ulyces
🌓