22.07.2025 à 16:33
Carole Deniel, Responsable des programmes de composition atmosphérique et Climat, Centre national d’études spatiales (CNES)
François-Marie Bréon, Physicien-climatologue, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, Université Paris-Saclay
La quantité de CO2 dans l’atmosphère varie à cause des activités humaines, mais aussi en réponse au fonctionnement des écosystèmes, comme les arbres, qui absorbent et émettent du CO2 en respirant.
Grâce aux satellites, on peut ainsi voir la planète « respirer ». La nouvelle mission MicroCarb du Cnes doit décoller le 25 juillet de Guyane et vient rejoindre d’autres programmes pour suivre de près ce facteur important du changement climatique.
Les satellites sont devenus des outils indispensables pour suivre l’évolution du climat. En effet, les mesures denses et continues de la teneur en CO2 permettent d’identifier les sites d’émission ou au contraire d’absorption par les écosystèmes et les activités humaines.
Avec le lancement de la mission MicroCarb, qui est consacrée à la mesure précise de la concentration du CO2 atmosphérique, la France va apporter une contribution inédite à l’amélioration de notre connaissance du cycle du carbone.
Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal moteur du changement climatique actuel. Sa concentration dans l’atmosphère a fortement augmenté depuis le début de l’ère industrielle, à cause de la combustion des énergies fossiles et des changements d’usage des terres (en particulier la déforestation).
Ce gaz joue un rôle fondamental dans l’effet de serre, le phénomène naturel par lequel certains gaz atmosphériques absorbent une partie du rayonnement infrarouge émis par la Terre. Le CO2 contribue ainsi à réchauffer la surface. Si cet effet est indispensable à la vie sur notre planète, son amplification par les activités humaines entraîne les modifications du climat dont nous ressentons déjà les conséquences et qui vont encore s’accentuer.
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Le changement climatique entraîne déjà des impacts majeurs : élévation du niveau des mers, intensification des événements extrêmes, réduction des glaciers, modification des régimes de précipitations, et bouleversements pour les écosystèmes et les sociétés humaines.
Mais au-delà de son rôle moteur du changement climatique, le CO2 intervient aussi dans des rétroactions complexes au sein du cycle du carbone.
Malheureusement, les perturbations sur le cycle du carbone interrogent. Aujourd’hui, environ 55 % des émissions de CO2 sont absorbés naturellement par les océans (où il se dissout) et par la végétation terrestre (via la photosynthèse), qui jouent le rôle de « puits de carbone ». Cette absorption atténue partiellement l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère. Or, ces puits de carbone (océan et végétation) sont sensibles au changement climatique lui-même, ce qui conduit donc à des « rétroactions » entre climat et cycle du carbone.
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Par exemple, quelles seront les conséquences s’ils deviennent moins efficaces du fait, par exemple, de la sécheresse récurrente qui atténue la capacité d’une forêt à absorber le carbone, ou d’autres impacts négatifs du changement climatique sur les écosystèmes ? De même, le réchauffement climatique entraîne des conditions favorables aux incendies, qui peuvent ainsi devenir des sources additionnelles et significatives de CO2 vers l’atmosphère.
Les États signataires de l’accord de Paris (2015) se sont engagés à réduire leurs émissions dans le but de limiter le réchauffement climatique à moins de 2 °C, et même de rester aussi proche que possible de 1,5 °C. En 2024, les objectifs apparaissent difficiles à atteindre car, même si les émissions de certains pays ont commencé à décroître, les émissions continuent de croître globalement.
Dans ce cadre, il apparaît nécessaire, d’une part, de disposer d’un système indépendant pour suivre les émissions de CO2 aux échelles nationales et, d’autre part, de suivre l’évolution des flux naturels en réponse au changement climatique. Cela passe par une observation dense et continue des concentrations atmosphériques de CO2.
Aujourd’hui, on mesure la concentration atmosphérique de CO2 proche de la surface, sur une centaine de stations très inégalement réparties sur la Terre. La série de données la plus iconique est celle de Mauna Loa, au sommet d’une des îles de l’archipel d’Hawaï, qui décrit la composition atmosphérique en continu depuis 1958. Depuis, plusieurs réseaux d’observation ont été mis en place et regroupés pour l’Europe dans le programme ICOS en 2015.
Quelques campagnes de mesures spécifiques apportent, par ailleurs, une description résolue sur la verticale depuis la surface jusqu’à près de 30 kilomètres d’altitude.
Malgré ces observations, la densité d’observations reste très insuffisante pour les objectifs scientifiques et sociétaux décrits ci-dessus. C’est pourquoi les satellites apportent un complément nécessaire, avec une mesure certes moins précise que celles des observations in situ, mais avec une densité très largement supérieure.
Dans les rapports internationaux intergouvernementaux GEO (intergovernmental Group on Earth Observations) ou des agences spatiales du CEOS (Committee on Earth Observation Satellites), les groupes d’experts sont unanimes pour reconnaître le besoin de mesure de CO2 depuis l’espace.
Ainsi, la Jaxa (Japon) puis la Nasa (États-Unis) se sont lancé, dès 2009, dans la mesure du CO2 depuis l’espace.
Depuis quelques années, la Chine dispose également d’un programme spécifique ambitieux, avec de nombreux capteurs utilisant diverses technologies déjà en orbite, mais dont malheureusement les données restent très peu distribuées à la communauté internationale (communication entre agences).
En Europe, la Commission européenne a étendu son programme spatial de surveillance environnementale opérationnelle (appelé Copernicus, dont l’implémentation a été confiée à l’Agence spatiale européenne, l’ESA) – dont les missions de surveillance du CO₂ atmosphérique sont une priorité. Ainsi, les données de la mission européenne CO2M sont attendues d’ici fin 2027 pour permettre de mieux surveiller depuis l’espace les émissions anthropiques de CO2 grâce à une résolution spatiale de quatre kilomètres carrés et une fauchée de plus de 200 kilomètres permettant d’obtenir une image des panaches issus des émissions intenses localisées.
Avec le lancement prévu cet été de sa mission MicroCarb, développée en collaboration avec l’Agence spatiale du Royaume-Uni et la Commission européenne, le Centre national d’études spatiales (Cnes) va ouvrir la voie en Europe à des données précises de concentration de CO2.
MicroCarb est un microsatellite d’environ 200 kilogrammes équipé d’un spectromètre. Celui-ci mesure le rayonnement solaire réfléchi par la surface terrestre, après une double traversée dans l’atmosphère. La mesure à très haute résolution spectrale permet d’identifier les raies d’absorption du CO2, dont les intensités peuvent être reliées à la quantité de CO2 dans l’atmosphère.
Avec des outils sophistiqués qui prennent en compte l’ensemble de la physique de l’interaction entre le rayonnement solaire et les molécules de l’atmosphère, on peut en déduire une estimation de la concentration atmosphérique de CO2 avec une précision d’environ 0,25 % sur une surface d’environ 40 kilomètres carrés.
Le satellite est sur une orbite héliosynchrone pour faire des mesures autour de midi, ce qui permet d’avoir un éclairement solaire d’une intensité nécessaire à la mesure. Cette mission va donc assurer une continuité avec les missions précédentes, en particulier celle de la Nasa dont la poursuite semble fortement compromise suite au budget prévisionnel du gouvernement Trump pour 2026, notamment pour les sciences de la Terre.
Par ailleurs, le spectromètre de MicroCarb est fondé sur un concept optique innovant par sa compacité permise par l’utilisation d’un seul détecteur pour l’ensemble des canaux de mesures et d’une bande spectrale inédite pour l’amélioration de la précision de mesure. En fonction des performances de MicroCarb, ces innovations pourraient être reprises pour les prochaines missions déjà en préparation.
Carole Deniel travaille à l'Agence Spatiale Francaise, le CNES.
François-Marie Bréon est Responsable Scientifique de la mission MicroCarb. Il est professeur invité au Collège de France sur l'année universitaire 2024-2025. Par ailleurs, il a une implication citoyenne en tant que vice-président et porte-parole de l'Association Française pour l'Information Scientifique (Afis).
22.07.2025 à 11:46
Enrica Montalban, Post-doctorante, Inrae
Claire Martin, Directrice de recherche, Université Paris Cité
Serge Luquet, Directeur de recherche CNRS, Université Paris Cité
Bien que leur rôle soit moins connu que celui des neurones, les astrocytes sont des cellules essentielles au fonctionnement du cerveau. Une nouvelle étude, chez la souris, parue dans la revue Nature communications révèle le rôle des astrocytes du striatum, une structure du circuit de la récompense, dans le contexte de l’obésité induite par une alimentation enrichie en graisses et en sucres. Ces cellules pourraient représenter une cible intéressante pour le traitement des maladies métaboliques.
Le cerveau est constitué de milliards de neurones. Ce sont des cellules excitables, c’est-à-dire qu’elles peuvent générer des potentiels d’actions et transmettre des informations aux autres neurones sous forme de courant électrique. Cependant, les neurones ne constituent que la moitié des cellules du cerveau, l’autre moitié étant constitué de cellules gliales, parmi lesquelles on trouve les astrocytes. Ces derniers sont impliqués dans de nombreuses pathologies du cerveau telles que les maladies neurodégénératives (la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson), les troubles psychiatriques ou l’épilepsie.
Contrairement aux neurones, les astrocytes ne peuvent pas générer de courants électriques, mais présentent des variations de leur concentration en calcium intracellulaire. Le calcium intracellulaire est impliqué dans de nombreux processus liés au fonctionnement des cellules et aurait un rôle indispensable pour la physiologie des astrocytes. Le fait que les astrocytes soient silencieux pour les méthodes classiques d’enregistrement de l’activité cérébrale telles que l’électroencéphalogramme (ECG) a rendu leur étude beaucoup plus lente et difficile. Par conséquent, leur rôle a été largement sous-estimé et nous sommes encore loin d’avoir élucidé la manière dont ils communiquent avec les neurones.
C’est avec le développement d’outils d’imagerie ciblant des acteurs cellulaires spécifiques que leur rôle dans les processus cérébraux peut enfin être élucidé. Les résultats que nous avons obtenus permettent de mettre en évidence plusieurs caractéristiques de l’activité astrocytaire dans le contexte de l’obésité induite par l’alimentation enrichie en graisse et en sucre.
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L’obésité est un problème majeur de santé publique, affectant 17 % de la population française et accroissant le risque relatif d’un ensemble de pathologies : par exemple, les maladies cardiaques, l’hypertension, le diabète de type 2, des maladies du foie et certaines formes de cancer. Cette pathologie est complexe et implique différents facteurs dont la contribution au développement de l’obésité varie considérablement d’un individu à l’autre : ces facteurs sont génétiques, environnementaux (comme le stress ou la qualité du sommeil) ou liés aux habitudes alimentaires. Une alimentation enrichie en graisses et en sucres est définitivement une coupable identifiée.
Notre corps maintient un état d’équilibre appelé homéostasie, grâce à un mécanisme de régulation précis qui équilibre les apports nutritionnels et les dépenses énergétiques. Cet équilibre de la balance énergétique est réalisé grâce à des circuits cérébraux bien identifiés, impliquant notamment l’hypothalamus. Toutefois, un autre moteur puissant de l’alimentation est l’aspect hédonique de la nourriture, c’est-à-dire le plaisir que nous trouvons à consommer des aliments appétissants, au-delà des besoins énergétiques du corps. Cette motivation à manger pour le plaisir repose notamment sur la libération de dopamine au niveau d’une région cérébrale appelée striatum.
Il a été démontré que l’obésité induite par l’alimentation était associée à des altérations de la transmission de la dopamine, à des dérèglements alimentaires de type addictif/compulsif ainsi qu’à une altération de la flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à s’adapter facilement à de nouvelles situations.
Si l’implication des neurones (qui libèrent ou répondent à la dopamine) a été beaucoup étudiée dans le cadre de ces processus physiologiques et physiopathologiques, le rôle des astrocytes a longtemps été négligé.
L’excès de nutriments favorise des mécanismes inflammatoires dans le cerveau qui s’accompagnent de la libération de substances susceptibles de modifier le fonctionnement des neurones et des astrocytes. Or les astrocytes occupent une place stratégique dans le cerveau, à l’interface entre les vaisseaux sanguins et les neurones, ces cellules pivots permettraient de contrôler aussi bien l’information neuronale que l’apport énergétique. En condition d’excès nutritionnel dans la circulation, elles pourraient constituer un premier rempart qui protégerait les neurones des altérations induites par les éléments circulant dans le sang.
Dans notre travail, réalisé chez la souris, nous montrons tout d’abord que les régimes gras affectent la structure et la fonction des astrocytes du striatum.
Nous avions déjà caractérisé de telles modifications dans l’hypothalamus, la région impliquée dans l’initiation de la prise alimentaire et qui est en contact étroit avec le compartiment sanguin, mais elles étaient très peu caractérisées dans le striatum. Nous montrons, d’une part, une réactivité des astrocytes, qui s’exprime par des modifications morphologiques, et, d’autre part, des changements dans la dynamique des flux calciques, susceptibles d’altérer leur communication avec les neurones de la structure.
Cette observation faite, nous avons décidé de manipuler directement les astrocytes par une approche permettant de forcer une cascade de signalisation dans les cellules en insérant spécifiquement dans les astrocytes un récepteur synthétique jouant le rôle d’interrupteur. Cette approche permet en particulier d’induire une vague de calcium (un second messager clé au niveau intracellulaire) afin d’en observer les conséquences.
Que se passe-t-il si l’on augmente artificiellement la quantité de calcium et que l’on « active » les astrocytes ? Est-ce que cela a un impact sur l’activité neuronale et le comportement des souris ?
L’activation de cet interrupteur moléculaire et l’afflux de calcium cohérent dans la population d’astrocytes ciblée a effectivement eu pour conséquence de modifier la cinétique et la réponse des neurones avoisinants démontrant ainsi, pour la première fois, que la manipulation des astrocytes pouvait interférer avec les réseaux neuronaux.
Nous avons appliqué cette technique en comparant des souris nourries avec un régime standard avec des souris rendues obèses par un régime enrichi en graisses et en sucres. Les souris sous régime enrichi présentent des défauts cognitifs qui s’expriment par une difficulté à s’adapter à une nouvelle situation. Dans notre cas, les souris devaient apprendre qu’une récompense était située dans le bras gauche d’un labyrinthe, puis nous avons examiné comment elles s’adaptaient si nous changions le bras récompensé.
Dans ce contexte, les souris nourries avec un régime enrichi avaient du mal à s’adapter, or l’activation forcée des astrocytes du striatum dorsal a permis aux animaux de réapprendre facilement la tâche, et ce, en absence de perte de poids. La manipulation des astrocytes du striatum a ainsi permis de corriger l’altération cognitive induite par le régime riche.
Si le striatum est bien connu pour son rôle dans les processus cognitifs et motivationnels, cette structure cérébrale n’est pas traditionnellement associée à la régulation du métabolisme corporel. Notre étude apporte un élément supplémentaire dans ce sens. En effet, nous montrons que la manipulation in vivo des astrocytes dans le striatum exerce un contrôle sur le métabolisme énergétique de l’animal en affectant particulièrement le choix des substrats métabolique (lipides ou sucres) utilisés par la souris pour assurer son métabolisme. Après activation des astrocytes, elles utilisent plus de lipides.
Ce travail révèle un rôle nouveau pour les astrocytes dans les circuits de la récompense. Ils participent en effet au contrôle des fonctions cognitives et nos résultats illustrent pour la première fois leur capacité à restaurer une fonction cognitive dans un contexte obésogène. D’autre part, ce travail établit un lien direct entre les astrocytes du striatum et le contrôle du métabolisme énergétique global de l’animal.
Une approche prometteuse consisterait à développer des stratégies thérapeutiques ciblant spécifiquement les astrocytes, plutôt que les neurones, au sein du système de la récompense, dans le traitement de l’obésité et, plus largement, des pathologies métaboliques.
Serge Luquet a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) ANR-19-CE37-0020-02, ANR-20-CE14-0020, and ANR-20-CE14-0025-01, la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) FRM Project #EQU202003010155.
Claire Martin et Enrica Montalban ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
22.07.2025 à 10:22
Sabrine Mallek, Professeure Assistante en Transformation Digitale, ICN Business School
La plupart des navigateurs proposent une « navigation privée », souvent perçue comme un moyen de surfer anonymement. Pourtant, ce mode ne garantit pas l’anonymat en ligne, et de nombreux internautes surestiment sa portée.
La navigation privée permet d’éviter que quelqu’un d’autre ayant accès à votre ordinateur voie vos activités en ligne a posteriori. C’est utile, par exemple, sur un ordinateur public ou partagé, pour ne pas laisser d’identifiants enregistrés ni d’historique compromettant.
Cependant, il est important de comprendre que cette confidentialité est avant tout locale (sur votre appareil). Le mode privé n’implique pas de naviguer de façon anonyme sur le réseau Internet lui-même. Il ne s’agit pas d’un « bouclier d’invisibilité » vis-à-vis des sites web visités, de votre fournisseur d’accès à Internet (FAI), ou de votre employeur.
Comme l’indique la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), même en mode privé, les sites peuvent collecter des informations via des cookies (des petits fichiers qui enregistrent vos préférences et activités en ligne) ou des techniques de fingerprinting, qui permettent d’identifier un utilisateur de façon unique en analysant les caractéristiques techniques de son navigateur.
Des études confirment les limites techniques du mode privé. Des traces subsistent malgré la fermeture de la session, en contradiction avec ce qu’affirme la documentation du navigateur. Une analyse sur Android a révélé que la mémoire vive conserve des données sensibles : mots-clés, identifiants, cookies, récupérables même après redémarrage.
Le mode privé ne bloque pas les cookies publicitaires, il les supprime simplement en fin de session. Lorsqu’on revient sur un site dans une nouvelle session privée, celui-ci ne « se souvient » pas des choix précédents : il faut donc souvent redéfinir ses préférences (accepter ou refuser les cookies). Les bannières de consentement aux cookies, bien connues des internautes européens depuis l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la directive ePrivacy, réapparaissent donc systématiquement. La fatigue du consentement pousse de nombreux internautes à tout accepter sans lire.
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En France, 65 % des internautes acceptent systématiquement les cookies, malgré une meilleure information sur le sujet ces dernières années. Pourtant, les internautes sont conscients des risques liés à leur vie privée en ligne, mais n’agissent pas systématiquement, souvent par manque de connaissances ou de confiance dans les outils disponibles. Certains sites dissimulent même l’option « Refuser » pour vous influencer : un panneau bien conçu peut réduire de moitié les acceptations.
Le mode privé ne suffit pas à garantir l’anonymat en ligne. Pour mieux protéger sa vie privée, il faut combiner plusieurs outils.
Un VPN (virtual private network ou réseau privé virtuel, en français) crée un tunnel sécurisé entre votre appareil et Internet, permettant de naviguer de façon plus confidentielle en chiffrant vos données et en masquant votre adresse IP. En 2024, 19 % des utilisateurs de VPN français souhaitent avant tout cacher leur activité, et 15 % protéger leurs communications.
Un navigateur comme Tor va plus loin : il rebondit vos requêtes via plusieurs relais pour masquer totalement votre identité. C’est l’outil préféré des journalistes ou militants, mais sa lenteur peut décourager un usage quotidien. Des alternatives comme Brave ou Firefox Focus proposent des modes renforcés contre les traqueurs, tandis que des extensions comme uBlock Origin ou Privacy Badger bloquent efficacement pubs et trackers. Ces extensions sont compatibles avec les principaux navigateurs comme Chrome, Firefox, Edge, Opera et Brave.
Il est aussi essentiel d’adopter une hygiène numérique : gérer les cookies, limiter les autorisations, préférer des moteurs comme DuckDuckGo (qui ne stockent pas vos recherches, ne vous profilent pas et bloquent automatiquement de nombreux traqueurs) et éviter de centraliser ses données sur un seul compte. En ligne, la vraie confidentialité repose sur une approche globale, proactive et éclairée.
Sabrine Mallek ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
22.07.2025 à 08:12
Jeffrey S. Rosenthal, Professor of Statistics, University of Toronto
Lorsque l’ancien champion du monde d’échecs Vladimir Kramnik a laissé entendre qu’Hikaru Nakamura, l’un des meilleurs joueurs du monde actuellement, trichait sur la plateforme en ligne Chess.com, un statisticien a été appelé pour enquêter.
En tant que professeur de statistiques, il n’est pas fréquent que je sois contacté directement par le PDG d’une entreprise valant plusieurs millions de dollars, et encore moins au sujet d’une histoire d’allégations de tricherie et de malversations impliquant des champions du monde d’échecs.
C’est pourtant ce qui s’est passé l’été dernier. Erik Allebest, PDG du plus grand site d’échecs en ligne au monde, Chess.com, m’a demandé d’enquêter sur les allégations de l’ancien champion du monde d’échecs Vladimir Kramnik concernant les longues séries de victoires d’un des meilleurs joueurs du monde, l’Américain Hikaru Nakura.
Kramnik a déclaré que ces séries avaient une très faible probabilité de se produire et qu’elles étaient donc très suspectes. Il n’a pas formellement accusé Hikaru de tricherie, mais le sous-entendu était clair. Sur Internet, les esprits se sont vite échauffés : les partisans de Kramnik postant des commentaires virulents (souvent en russe) sur cette présumée tricherie, tandis que de nombreux joueurs de Chess.com et partisans d’Hikaru rejetaient les accusations.
Qui a raison ? Qui a tort ? Est-il possible de trancher ?
Erik Allebest m’a demandé de réaliser une analyse statistique indépendante et impartiale pour déterminer le degré d’improbabilité de ces séries de victoires.
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Pour résoudre ce problème, j’ai d’abord dû calculer la probabilité que chaque joueur gagne ou fasse match nul dans chaque partie. Les joueurs peuvent avoir des niveaux de jeu très différents. Les meilleurs ont évidemment plus de chances de vaincre des adversaires moins expérimentés. Mais à quel point ?
Chess.com attribue un classement à chaque joueur qui varie après chaque partie, et ces notes m’ont été communiquées. Mon analyse a suggéré qu’un modèle mathématique pouvait fournir une estimation précise des probabilités de victoire, de défaite ou de nulle pour chaque partie.
En outre, les écarts par rapport à cette probabilité dans les résultats de parties successives étaient approximativement indépendants, de sorte que l’influence d’une partie sur la suivante pouvait être ignorée en toute sécurité. J’ai ainsi obtenu une probabilité claire que chaque joueur gagne (ou perde) chaque partie.
Je pouvais alors analyser ces séries de victoires qui avaient provoqué tant de débats enflammés. Il s’est avéré qu’Hikaru Nakamura, contrairement à la plupart des autres joueurs de haut niveau, avait joué de nombreuses parties contre des joueurs beaucoup plus faibles. Cela lui donnait donc une très grande probabilité de gagner chaque partie. Mais malgré cela, est-il normal d’observer de si longues séries de victoires, parfois plus de 100 parties d’affilée ?
Pour le vérifier, j’ai effectué ce que l'on appelle des simulations de Monte Carlo, qui répètent une expérience en intégrant des variations aléatoires.
J’ai codé des programmes informatiques pour attribuer au hasard des victoires, des défaites et des nuls à chaque partie d’Hikaru Nakamura, selon les probabilités de mon modèle. J’ai demandé à l’ordinateur de mesurer à chaque fois les séries de victoires les plus surprenantes (les moins probables). Cela m’a permis de mesurer comment les séries réelles d’Hikaru pouvaient se comparer aux prédictions.
J’ai constaté que dans de nombreuses simulations, les résultats simulés comprenaient des séries tout aussi « improbables » que les séries réelles.
Cela démontre que les résultats d’Hikaru aux échecs étaient à peu près conformes à ce que l’on pouvait attendre. Il avait une telle probabilité de gagner chaque partie, et avait joué tellement de parties sur Chess.com, que des séries de victoires aussi longues étaient susceptibles d’émerger selon les règles des probabilités.
J’ai rédigé un bref rapport à propos de mes recherches et l’ai envoyé à Chess.com.
Le site a publié un article, qui a suscité de nombreux commentaires, pour la plupart favorables.
Nakamura a ensuite publié son propre commentaire en vidéo, soutenant également mon analyse. Pendant ce temps, Kramnik a publié une vidéo de 29 minutes critiquant mes recherches.
Ce dernier ayant soulevé quelques points importants, j’ai rédigé un addendum à mon rapport pour répondre à ses préoccupations et montrer qu’elles n’avaient pas d’incidence sur la conclusion. J’ai également converti mon rapport en un article scientifique que j’ai soumis à une revue de recherche.
Puis je me suis ensuite consacré à mes tâches d’enseignant et j’ai laissé de côté les controverses sur les échecs jusqu’à ce que je reçoive une réponse de plus de six pages en décembre dernier. Il s’agissait de trois rapports d’arbitres et de commentaires d’éditeurs de la revue dans laquelle j’avais soumis mon article scientifique.
J’ai également découvert que Kramnik avait posté une deuxième vidéo de 59 minutes critiquant mon addendum et soulevant d’autres points.
J’ai tenu compte des points supplémentaires soulevés par Kramnik et par les arbitres tout en révisant mon article en vue de sa publication. Il a finalement été publié dans Harvard Data Science Review.
J’étais heureux de voir mes résultats publiés dans une prestigieuse revue de statistiques, ce qui leur conférait un sceau d’approbation officiel. Et peut-être, enfin, de régler cette controverse sur les échecs au plus haut niveau.
Jeffrey S. Rosenthal reçoit des fonds de recherche du CRSNG du Canada, mais n'a reçu aucune compensation de Chess.com ou de qui que ce soit d'autre pour ce travail.
21.07.2025 à 18:10
Cyril Mergny, Postdoctoral research fellow, Université Paris-Saclay
Frédéric Schmidt, Professeur, Planétologie, Université Paris-Saclay
Europe est une lune de Jupiter entièrement recouverte d’une épaisse croûte de glace. Sous cette carapace, tout autour de la lune, se trouve un océan global d’eau liquide.
Cette lune intéresse particulièrement les scientifiques depuis que les données de la sonde Galileo, à la fin des années 1990, ont révélé des conditions qui pourraient être propices à l’émergence de la vie dans cet océan sous-glaciaire. En effet, c’est le seul endroit dans le système solaire (en dehors de la Terre) où de l’eau liquide est en contact direct avec un manteau rocheux à la base de l’océan. S’il y a du volcanisme sous-marin sur Europe, cela fournirait une source d’énergie, qui, avec l’eau, est l’un des ingrédients essentiels pour générer les briques de base du vivant.
Mais il reste encore de nombreuses inconnues sur la glace en surface d’Europe. Deux nouvelles études lèvent le voile sur un phénomène inattendu.
Grâce à deux nouvelles études, l’une théorique et l’autre issue des observations du télescope James-Webb, nous comprenons aujourd’hui mieux la surface glacée d’Europe. Nous avons notamment montré que la structure atomique de la glace change au fil des saisons, ce que l’on peut voir dans la lumière réfléchie par cette lune, un peu comme un phare qui scintillerait dans la nuit.
Ces nouvelles connaissances seront utiles pour, un jour, envisager de poser un atterrisseur sur Europe, mais aussi pour mieux comprendre les processus géologiques qui façonnent la surface – on ne sait toujours pas, par exemple, bien expliquer l’origine des « rayures » qui façonnent la surface d’Europe.
Dans les prochaines années, nous espérons que le scintillement du « phare atomique » d’Europe pourra être réellement observé, notamment par la sonde Europa Clipper de la Nasa ainsi par que la mission JUICE de l’ESA.
Sur Terre, la glace d’eau dans son environnement naturel se présente sous une seule forme : une structure cristalline, communément appelée « glace hexagonale ».
Cependant, dans l’espace, comme sur Europe, c’est une autre histoire : il fait tellement froid que la glace d’eau peut adopter des formes plus exotiques avec différentes propriétés.
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Ainsi, la forme de glace la plus répandue dans l’Univers est la glace dite « amorphe ».
C’est une forme de glace où l’arrangement des molécules d’eau ne présente aucun ordre à grande échelle, contrairement à la glace cristalline qui, elle, possède des motifs répétitifs.
Une analogie à notre échelle humaine serait un étalage d’oranges. Dans le cas cristallin, les éléments sont tous bien rangés, sous la forme d’un réseau périodique. Dans le cas amorphe, les éléments sont en vrac sans aucune position régulière.
Notre vie quotidienne comprend des exemples de versions amorphes ou cristallines d’un même matériau : par exemple, la barbe à papa contient une forme amorphe du sucre, alors que le sucre de cuisine usuel est cristallin.
En fait, nous nous attendons à ce que le système solaire externe ait de la glace principalement sous une forme amorphe, en premier lieu parce qu’à très faible température (-170 °C sur Europe), les molécules n’ont pas assez d’énergie pour s’organiser correctement ; mais également parce que la structure cristalline a tendance à se briser sous l’effet des bombardements de particules en provenance du Soleil, déviées par la magnétosphère de Jupiter, comme si on envoyait une orange perturbatrice dans un étal bien rangé.
Les observations spatiales précédentes des années 1990 puis dans la décennie 2010 avaient montré que la glace d’Europe est un mélange de formes amorphes et cristallines. Mais, jusqu’à présent, aucun modèle n’expliquait pourquoi.
Pour la première fois, nous avons quantifié la compétition entre la cristallisation, due à la température pendant les heures les plus chaudes de la journée, et l’amorphisation induite par le bombardement en surface de particules issues de la magnétosphère de Jupiter.
Nous avons ainsi montré que la cristallinité est stratifiée sur Europe : une très fine couche en surface est amorphe, tandis que la couche en profondeur est cristalline.
Plus remarquable encore, la simulation a révélé que la cristallinité de la glace en surface pouvait varier selon les saisons ! Bien que les variations saisonnières n’affectent pas la quantité de particules qui bombardent Europe, il fait plus chaud en été, ce qui rend la cristallisation plus efficace et fait ainsi pencher la balance en sa faveur. En été, il fait en moyenne 5 °C plus chaud qu’en hiver, ce qui rend la glace jusqu’à 35 % plus cristalline qu’en hiver dans certaines régions.
Nous en avons conclu que si l’on observait Europe au fil des saisons à travers un spectroscope, cela donnerait l’impression que la surface « scintille » sur une période de douze ans (la durée d’une année sur Europe), comme un phare dans la nuit.
Simultanément à notre étude, des astronomes de la Nasa ont observé Europe avec le puissant télescope James-Webb. Leur étude vient de montrer que les résultats de nos simulations sont en accord avec leurs observations. En effet, bien que les deux approches utilisent des méthodes radicalement différentes, elles aboutissent aux mêmes conclusions.
Grâce au spectromètre du James-Webb, les chercheurs ont pu estimer, à distance, la structure atomique de la glace à la surface d’Europe (sur le premier micromètre d’épaisseur). Pour cela, ils ont analysé la lumière réfléchie par Europe dans l’infrarouge (légèrement plus rouge que ce que notre œil peut percevoir) à la longueur d’onde de 3,1 micromètres qui reflète l’état de cristallisation de la glace d’eau.
Ils ont ainsi établi une carte de cristallinité de la lune glacée. En comparant leur carte observée avec celle que nous avons simulée, nous constatons un très bon accord, ce qui renforce notre confiance dans ces résultats.
Sur Europe, la surface est donc parsemée de régions avec de la glace d’eau amorphe et d’autres avec de la glace d’eau cristalline, car la température varie selon les zones. Globalement, les régions les plus sombres absorbent davantage les rayons du Soleil, ce qui les réchauffe et, comme sur Terre, les températures sont plus élevées près de l’équateur et plus basses près des pôles.
Cependant, l’étude observationnelle utilisant le télescope James-Webb a capturé une photo d’Europe. Elle ne peut donc pas, pour le moment, détecter les scintillements dans l’infrarouge, car il faudrait observer la surface au cours de plusieurs années pour distinguer un changement. Ces fluctuations de la surface sont une nouveauté que nous avons découverte dans notre étude de simulation, et elles restent à être confirmées par des observations.
Nous espérons que les sondes JUICE et Europa Clipper pourront bientôt observer ces oscillations saisonnières de la lumière réfléchie par Europe dans l’infrarouge.
Notre intérêt se porte désormais aussi sur d’autres lunes glacées de Jupiter, où une cohabitation entre glace amorphe et glace cristalline pourrait exister, comme sur Ganymède et sur Callisto, mais aussi sur d’autres corps tels qu’Encelade, en orbite autour de Saturne, ou encore sur des comètes.
Frédéric Schmidt est Professeur à l'Université Paris-Saclay, membre de l'Institut Universitaire de France (IUF). Il a obtenu divers financements publics (Université Paris-Saclay, CNRS, CNES, ANR, UE, ESA) ainsi que des financements privés (Airbus) pour ses recherches.
Cyril Mergny ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
20.07.2025 à 18:50
Laurent Lebegue, Responsable performances système du projet CO3D, Centre national d’études spatiales (CNES)
Quatre satellites de nouvelle génération vont quitter Kourou, en Guyane, le 25 juillet, à bord d’une fusée Vega-C.
La mission CO3D, consacrée à la cartographie en trois dimensions des terres émergées du globe, s’appuie sur de nombreuses innovations technologiques. Son défi principal ? Couvrir une surface considérable avec une précision de l’ordre du mètre, en imageant aussi les objets mobiles comme les véhicules ou panaches de fumée, tout en se fondant sur des traitements entièrement automatisés pour réduire les coûts de production.
La mission CO3D, développée conjointement par le Centre national d’études spatiales (Cnes) et Airbus, doit fournir une cartographie des reliefs, que l’on appelle dans le domaine « modèles numériques de surface », pour des besoins bien identifiés – qu’ils soient civils ou militaires –, mais aussi de développer de nouveaux usages de ces informations 3D, encore insoupçonnés, que ce soit par des organismes de recherches ou des start-ups.
Les données acquises par la mission CO3D permettront de surveiller la Terre depuis l’espace. Ainsi, les scientifiques pourront par exemple suivre les variations du volume des glaciers ou des manteaux neigeux en montagne.
Ils pourront aussi étudier l’évolution du trait de côte ou encore l’effondrement des falaises, et ainsi simuler l’impact de la montée du niveau des mers sur les terres littorales.
La cartographie 3D de la biomasse permet aussi de suivre à grande échelle la déforestation ou, plus localement, l’évolution de la végétalisation des villes et la gestion des îlots de chaleur.
L’ensemble de ces données, qui forment l’une des briques de base des jumeaux numériques, sont essentielles pour mieux comprendre l’impact du dérèglement climatique sur les écosystèmes et les territoires.
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Au-delà des sciences, la modélisation 3D précise est un outil indispensable pour les acteurs du secteur public comme les collectivités ou la sécurité civile. Ces dernières exploitent les données 3D dans le cadre de l’aménagement du territoire, la gestion des espaces tels que les zones inondables ou encore pour la connaissance précise des terrains en cas de gestion de crise à la suite d’une catastrophe naturelle.
Par exemple, en cas de tremblement de Terre, les satellites d’observation sont activés pour évaluer les dégâts à grande échelle afin d’aider les secours à prioriser leurs interventions, mais aussi pour évaluer les reconstructions à prévoir. Ces opérations sont réalisables avec de l’imagerie 2D classique, mais estimer l’effondrement d’un étage de bâtiment avec une simple vue verticale n’est pas forcément adapté, contrairement à l’imagerie 3D qui permet de mesurer directement les hauteurs.
En matière de défense, les données CO3D aideront, par exemple, à préparer les missions aériennes d’avion ou de drones à basse altitude ainsi que les déploiements de véhicules et de troupes sur divers terrains accidentés.
La constellation s’articule autour de quatre satellites construits par Airbus, d’une masse de 285 kilogrammes chacun et d’une durée de vie de huit ans, permettant d’acquérir des images en couleurs d’une résolution de 50 centimètres – soit la résolution nécessaire pour produire des modèles numériques de surface avec une précision altimétrique d’environ un mètre.
Les quatre satellites seront regroupés en deux paires positionnées sur une même orbite (à 502 kilomètres d’altitude), mais en opposition afin de réduire le temps nécessaire aux satellites pour revenir photographier un même site.
Le principe de génération des modèles numériques de surface à partir des images est celui qui nous permet de voir en trois dimensions : la vision stéréoscopique. Les images d’un site sur Terre sont acquises par deux satellites avec un angle différent comme le font nos yeux. La parallaxe mesurée entre les deux images permet, grâce à de puissants logiciels, de calculer la troisième dimension comme le fait notre cerveau.
De plus, les images étant acquises avec deux satellites différents que l’on peut synchroniser temporellement, il est possible de restituer en 3D des objets mobiles, tels que des véhicules, des panaches de fumée, des vagues, etc. Cette capacité, encore jamais réalisée par des missions précédentes, devrait améliorer la qualité des modèles numériques de surface et ouvrir le champ à de nouvelles applications.
Les couleurs disponibles sont le rouge, le vert, le bleu mais aussi le proche infrarouge, ce qui permet d’avoir des images en couleur naturelle comme les voient nos yeux, mais aussi d’augmenter la capacité à différencier les matériaux, au-delà de ce que peut faire la vision humaine. Par exemple, un terrain de sport apparaissant en vert en couleur naturelle pourra être discriminé en herbe ou en synthétique grâce au proche infrarouge. Notons que la résolution native de 50 centimètres dans le proche infrarouge est inégalée à ce jour par d’autres missions spatiales. Elle permettra par exemple de générer automatiquement des cartes précises de plans d’eau et de végétation qui sont des aides à la production automatique de nos modèles numériques de surface de précision métrique.
Les satellites ont chacun la capacité d’acquérir environ 6 500 images par jour mais malgré cela, il faudra environ quatre ans pour couvrir l’ensemble des terres émergées attendues et produire les données associées ; une image élémentaire ayant une emprise au sol de 35 kilomètres carrés, il faudra environ 3,5 millions de couples d’images stéréoscopiques pour couvrir les 120 millions de kilomètres carrés.
De nombreuses innovations concernent également la planification de la mission et les traitements réalisés au sol.
Les satellites optiques ne voyant pas à travers les nuages, la prise en compte de prévisions météorologiques les plus fraîches possible est un élément clé des performances de collecte des données. En effet, les satellites sont très agiles et on peut les piloter pour observer entre les nuages. Avec CO3D, la prévision météo est rafraîchie à chaque orbite, à savoir quinze fois par jour.
Le volume de données à générer pour couvrir le monde en 4 ans est considérable, environ 6 000 téraoctets (l’équivalent d’un million de DVD). La seule solution possible pour atteindre cet objectif dans une durée contrainte et à des coûts réduits a été pour le Cnes de développer des chaînes de traitement robustes, sans reprise manuelle et massivement parallélisées dans un cloud sécurisé.
Le Cnes développe aussi un centre de calibration image, consacré à la mission CO3D, qui sera chargé, pendant les six mois qui suivent le lancement, d’effectuer les réglages des satellites, des instruments et des logiciels de traitement qui permettront d’avoir la meilleure qualité possible des images. À l’issue de ces phases de qualification des satellites et des données, les cartographies 3D seront accessibles aux partenaires institutionnels du Cnes (scientifiques, collectivités locales ou équipes de recherche et développement) au fur et à mesure de leur production.
Par la suite, après une phase de démonstration de production à grande échelle de dix-huit mois, Airbus commercialisera également des données pour ses clients.
À quelques jours du lancement, la campagne de préparation des satellites bat son plein à Kourou et l’ensemble des équipes de développement et d’opérations finalise à Toulouse les derniers ajustements pour démarrer les activités de mise à poste et de recette en vol, les activités de positionnement des satellites sur leur orbite finale, de démarrage des équipements des satellites et de leurs instruments, puis de réglage des paramètres des traitements appliqués au sol.
Laurent Lebegue ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.