14.12.2025 à 17:58
Tiziano Piccardi, Assistant Professor of Computer Science, Johns Hopkins University

Les fils d’actualité des réseaux sociaux sont conçus pour capter notre attention. Mais de simples ajustements dans les algorithmes qui les sous-tendent permettent d’apaiser le débat public.
Réduire la visibilité des contenus polarisants dans les fils d’actualité des réseaux sociaux peut diminuer de manière tangible l’hostilité partisane. Pour parvenir à cette conclusion, mes collègues et moi avons développé une méthode permettant de modifier le classement des publications dans les fils d’actualité, une opération jusque-là réservée aux seules plateformes sociales.
Le réajustement des fils pour limiter l’exposition aux publications exprimant des attitudes anti-démocratiques ou une animosité partisane a influencé à la fois les émotions des utilisateurs et leur perception des personnes ayant des opinions politiques opposées.
Je suis chercheur en informatique spécialisé dans l’informatique sociale, l’intelligence artificielle et le web. Comme seules les plateformes de réseaux sociaux peuvent modifier leurs algorithmes, nous avons développé et rendu disponible un outil web open source permettant de réorganiser en temps réel les fils d’actualité de participants consentants sur X, anciennement Twitter.
S’appuyant sur des théories des sciences sociales, nous avons utilisé un modèle de langage pour identifier les publications susceptibles de polariser les utilisateurs, par exemple celles prônant la violence politique ou l’emprisonnement des membres du parti adverse. Ces publications n’étaient pas supprimées ; elles étaient simplement classées plus bas dans le fil, obligeant les utilisateurs à défiler davantage pour les voir, ce qui a réduit leur exposition.
Nous avons mené cette expérience pendant dix jours, dans les semaines précédant l’élection présidentielle américaine de 2024. Nous avons constaté que limiter l’exposition aux contenus polarisants améliorait de manière mesurable ce que les participants pensaient des membres du parti adverse et réduisait leurs émotions négatives lorsqu’ils faisaient défiler leur fil d’actualité. Fait notable, ces effets étaient similaires quel que soit le parti politique, ce qui suggère que l’intervention bénéficie à tous les utilisateurs, indépendamment de leur affiliation.
Une idée reçue veut que l’on doive choisir entre deux extrêmes : des algorithmes basés sur l’engagement ou des fils purement chronologiques. En réalité, il existe un large éventail d’approches intermédiaires, selon les objectifs pour lesquels elles sont optimisées.
Les algorithmes de fil d’actualité sont généralement conçus pour capter votre attention et ont donc un impact significatif sur vos attitudes, votre humeur et votre perception des autres. Il est donc urgent de disposer de cadres permettant à des chercheurs indépendants de tester de nouvelles approches dans des conditions réalistes.
Notre travail ouvre cette voie : il montre comment étudier et prototyper à grande échelle des algorithmes alternatifs, et démontre qu’avec les grands modèles de langage (LLM), les plateformes disposent enfin des moyens techniques pour détecter les contenus polarisants susceptibles d’influencer les attitudes démocratiques de leurs utilisateurs.
Tester l’impact d’algorithmes alternatifs sur des plateformes actives est complexe, et le nombre de ces études n’a augmenté que récemment.
Par exemple, une collaboration récente entre des universitaires et Meta a montré que passer à un fil chronologique n’était pas suffisant pour réduire la polarisation. Un effort connexe, le Prosocial Ranking Challenge dirigé par des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley, explore des alternatives de classement sur plusieurs plateformes pour favoriser des résultats sociaux positifs.
Parallèlement, les progrès dans le développement des LLM permettent de mieux modéliser la façon dont les gens pensent, ressentent et interagissent. L’intérêt croît pour donner davantage de contrôle aux utilisateurs, en leur permettant de choisir les principes qui guident ce qu’ils voient dans leur fil – par exemple avec Alexandria, une bibliothèque des valeurs pluralistes ou le système de réorganisation de fil Bonsai. Les plateformes sociales, telles que Bluesky et X, s’orientent également dans cette direction.
Cette étude n'est qu'un premier pas vers la conception d’algorithmes conscients de leur impact social potentiel. De nombreuses questions restent ouvertes. Nous prévoyons d’étudier les effets à long terme de ces interventions et de tester de nouveaux objectifs de classement pour traiter d’autres risques liés au bien-être en ligne, comme la santé mentale et le sentiment de satisfaction. Les travaux futurs exploreront comment équilibrer plusieurs objectifs – contexte culturel, valeurs personnelles et contrôle par l’utilisateur – afin de créer des espaces en ligne favorisant des interactions sociales et civiques plus saines.
Retrouvez dans le Research Brief de The Conversation US une sélection travaux académiques en cours résumés par leurs auteurs.
Cette recherche a été partiellement financée par une subvention Hoffman-Yee du Stanford Institute for Human-Centered Artificial Intelligence.
13.12.2025 à 17:12
Fahad Idaroussi Tsimanda, Géographe, chercheur associé au LAGAM, Université de Montpellier
Le cyclone Chido a ravagé le département français de Mayotte le 14 décembre 2024. Si l’État est intervenu massivement pour traiter l’urgence, les promesses de reconstruction structurelles semblent loin d’avoir été tenues. Entretien avec le géographe mahorais Fahad Idaroussi Tsimanda.
The Conversation : Un an après Chido, où en est la reconstruction ?
Fahad Idaroussi Tsimanda : Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido a frappé Mayotte et endommagé 80 % du territoire mahorais (près de 60 % de l’habitat aurait été détérioré ou totalement détruit, mais aussi de nombreuses infrastructures, des territoires agricoles et naturels). Il s’agissait d’une catastrophe humanitaire majeure, malgré un bilan officiel limité à 40 morts et 41 disparus. Rapidement, l’État a mobilisé de forts moyens d’urgence après avoir déclaré l’état de calamité naturelle exceptionnelle. Sur place, plus de 4 000 personnels de la sécurité civile, de la police, de la gendarmerie et des armées ont été déployés. De l’aide humanitaire a été distribuée massivement – packs d’eau, patates, bananes, farine, huile, etc. La remise en état des routes et des principaux réseaux d’eau potable et d’électricité ont été effectifs au bout d’un mois environ.
Une forte mobilisation politique a également eu lieu dans le courant de l’année 2025. Pour formaliser et encadrer la reconstruction de l’île, le gouvernement a adopté une loi d’urgence en février 2025, puis une loi pour la refondation de Mayotte, fixant une trajectoire d’investissement de 4 milliards d’euros sur plusieurs années. Ces textes ont été complétés par des ordonnances visant à accélérer la reconstruction, notamment en adaptant temporairement les règles de construction pour faciliter la reconstruction des logements détruits.
Pourtant, notre constat est que, au-delà de l’urgence, la reconstruction structurelle n’a toujours pas eu lieu et la situation demeure critique sur place. Nous sommes encore très loin de ce que les Mahorais attendaient. Selon les chiffres de la députée Estelle Youssouffa, très peu d’argent a été dépensé : 25 millions d’euros seulement depuis le début de l’année, soit environ 0,6 % de l’enveloppe totale promise de 4 milliards d’euros.
J’ai pu constater que, dans le chef-lieu, Mamoudzou, plusieurs bâtiments publics (ceux du Département de Mayotte, la mairie, le commissariat, ceux de l’intercommunalité, etc.) sont toujours couverts de bâches. Au centre hospitalier de Mayotte, des travaux de toiture sont en cours, mais l’essentiel a en revanche été réalisé.
Pour ce qui concerne les particuliers, un prêt à taux zéro de reconstruction a été a été promis aux Mahorais, aux ménages sinistrés avec une enveloppe de 50 000 euros. Mais je ne connais personne autour de moi qui en ait bénéficié. Certains habitants ont déjà reconstruit, certains démarrent à peine leurs chantiers.
Je suis enseignant, et je constate que la situation des écoles est toujours très dégradée, avec beaucoup de salles de classe indisponibles ce qui conduit à charger les effectifs pour chaque classe. On estime que 40 % des établissements scolaires ont été détruits ou endommagés pendant le cyclone. Les classes fermées contraignent les élèves à un nombre d’heures de cours limités avec un système de rotation.
Les bidonvilles ont été ravagés par Chido. Que s’est-il passé dans ces quartiers depuis un an ? François Bayrou, le premier ministre de l’époque, s’était engagé à bloquer leur reconstruction. Est-ce le cas ?
F. I. T. : Dès le lendemain du passage de Chido, les familles de migrants vivant dans les bidonvilles ont reconstruit leurs maisons. Le préfet de Mayotte a interdit aux particuliers d’acheter des tôles s’ils ne pouvaient pas présenter de justificatif de domicile, afin d’empêcher la reconstruction de bidonvilles. Pourtant, il fut très facile de contourner cela avec le justificatif d’un voisin. Ceux qui avaient les moyens ont acheté des tôles et des chevrons. D’autres ont réutilisé les tôles déformées et ont débité des cocotiers tombés à terre pour les structures.
Imaginer reconstruire en dur dans ces quartiers est un leurre. Les personnes qui habitent dans les bidonvilles sont souvent en situation irrégulière, elles n’ont pas droit au logements sociaux qui sont de toute façon en nombre insuffisant. Quelle autre option est possible ? Selon les statistiques officielles, avant Chido, il existait environ neuf logements sociaux pour 1 000 habitants, ce qui est extrêmement faible. Or 40 % des logements sont en tôle à Mayotte et 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national. Les bidonvilles, reconstruits à l’identique, sont toujours aussi fragiles et vulnérables face aux intempéries.
Après Chido, les migrants ont été pointés du doigt par une partie de la classe politique française. Le gouvernement Bayrou a légiféré pour durcir l’accès à la nationalité française et a promis plus de fermeté pour lutter contre l’immigration. Comment évolue la situation sur place ?
F. I. T. : Près de la moitié des personnes vivant à Mayotte sont des étrangers, dont de nombreux illégaux, installés dans les bidonvilles. Les opérations policières massives, comme Wambushu ou Place nette pour raser les bidonvilles et expulser massivement, n’ont pas été renouvelées en 2025. En revanche, les policiers aux frontières interviennent toujours en mer et au sein de l’île pour expulser les illégaux. Mais ces derniers reviennent : l’île est facilement accessible depuis les îles voisines en bateau et les frontières sont difficiles à contrôler.
Malgré les efforts de l’État, les arrivées illégales se poursuivent. Les migrants vivent toujours dans des logements précaires, avec un accès limité aux droits fondamentaux et des inégalités qui perdurent.
Les relations entre la France et les Comores jouent un rôle central dans cette problématique migratoire. Quel est l’état de ces relations ?
F. I. T. : En 2018, un accord a été conclu entre l’Union des Comores et la France. Il s’agissait pour la France d’aider les Comores sur le plan de l’agriculture, de l’éducation, de la santé – ceci à condition que le gouvernement comorien stoppe le départ des migrants depuis l’île d’Anjouan. Mais depuis, rien n’a changé. Le président de l’Union des Comores Azali Assoumani répète avec constante que la France doit abandonner Mayotte et l’île intégrer l’Union des Comores. Il affirme que Mayotte appartient aux Comores, sans doute pour satisfaire son électorat, alors que les habitants des Comores vivent dans une grande pauvreté.
Quel est l’état d’esprit des habitants de l’île que vous côtoyez ?
F. I. T. : Les Mahorais sont résilients. Après le cyclone, ils se sont entraidés, ils étaient solidaires. Ici, la vie suit son cours. Certains critiquent le gouvernement, mais, en général, les Mahorais sont confiants dans l’avenir. Ce qui est un sujet de tension, ce sont les phénomènes de violence qui impliquent parfois des migrants. Cela ne date pas de Chido. La question migratoire est montée en puissance depuis que l’île est un département français, en 2011.
Fahad Idaroussi Tsimanda ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
12.12.2025 à 13:08
Hugo Spring-Ragain, Doctorant en économie / économie mathématique, Centre d'études diplomatiques et stratégiques (CEDS)
Vendredi 12 décembre 2025, le Groupe d’experts sur le smic publie un rapport sur l’impact du salaire minimum sur l’économie française. Son impact sur la pauvreté n’est cependant pas univoque. Le smic ne suffit pas à expliquer les trajectoires personnelles de plus en plus diverses. Le revenu disponible qui prend en compte les aides perçues et les dépenses contraintes est un critère plus juste.
La question revient cette année encore avec le rapport du Groupe d’experts du smic publié ce vendredi 12 décembre : le salaire minimum protège-t-il encore réellement de la pauvreté ? Pourtant, comme l’ont rappelé l’Insee et l’Institut des politiques publiques (IPP) dans plusieurs travaux plus ou moins récents, le salaire brut, seul, ne détermine pas la pauvreté. Ce qui importe, c’est le niveau de vie, c’est-à-dire le revenu disponible après transferts sociaux de toutes sortes (qui s’ajoutent), impôts et charges contraintes (qui se soustraient). Dans un contexte de renchérissement du logement (13 % d’augmentation de l’indice de référence des loyers, IRL) et d’hétérogénéité croissante des situations familiales, la question ne doit plus être posée en termes uniquement macroéconomiques.
La littérature académique reprend ce constat. Antony B. Atkinson souligne que la pauvreté ne renvoie pas simplement à un « manque de salaire », mais à un insuffisant accès aux ressources globales ; Patrick Moyes rappelle que la structure familiale modifie profondément le niveau de vie relatif. Quant à France Stratégie et l’Insee, après sa publication faisant l’état des lieux de la pauvreté en France, ils documentent la montée de ce qu’on appelle la pauvreté laborieuse, c’est-à-dire le fait de travailler sans pour autant dépasser les seuils de pauvreté et sans possibilité de profiter de l’ascenseur social.
À lire aussi : La pauvreté de masse : symptôme d’une crise de la cohésion sociale
Notre premier graphique compare l’évolution du smic, des salaires et des prix depuis 2013. On y observe très nettement que le salaire minimum a servi d’amortisseur pendant la séquence inflationniste récente : ses revalorisations automatiques l’ont fait progresser aussi vite, souvent plus vite, que l’indice des prix à la consommation.
Figure 1 – Évolution du smic, du salaire mensuel de base (SMB), du salaire horaire de base des ouvriers et des employés (SHBOE) et de l’indice des prix à la consommation (IPC) hors Tabac – Sources : Dares, Insee, Rapport GES 2025 – Graphique de l’auteur.
Ce mouvement contraste avec celui des salaires moyens, dont la progression a été plus lente. Comme le soulignent plusieurs analyses de France Stratégie et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cela a eu pour effet de resserrer la hiérarchie salariale, une situation déjà documentée lors de précédentes périodes de rattrapage du smic.
Mais ce constat ne dit rien d’une dimension pourtant déterminante : l’accès au temps plein car une partie des salariés au smic n’y est pas à temps complet. Comme l’ont montré plusieurs travaux de l’Insee et de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares, ministère du travail), une proportion importante de travailleurs rémunérés au salaire minimum occupe des emplois à temps partiel, et souvent non par choix mais parce qu’aucun temps plein n’est disponible. C’est ce que les économistes appellent le temps partiel contraint.
Ce temps partiel modifie radicalement l’interprétation du smic : on parle d’un salaire minimum horaire, mais, concrètement, les ressources mensuelles ne reflètent pas ce taux. Un salaire minimum versé sur 80 % d’un temps plein ou sur des horaires discontinus conduit mécaniquement à un revenu inférieur et donc à une exposition accrue à la pauvreté.
Mais si l’on s’en tenait à cette comparaison, on pourrait conclure que le smic protège pleinement les salariés les plus modestes. Or, c’est précisément ici que la question se complexifie. Car la pauvreté ne dépend pas du seul salaire : elle dépend du revenu disponible et donc de l’ensemble des ressources du ménage. C’est ce que montrent les travaux sur la pauvreté laborieuse, un phénomène en hausse en France selon l’Observatoire des inégalités, environ une personne en situation de pauvreté sur trois occupe un emploi mais les charges familiales, le coût du logement ou l’absence de second revenu maintiennent le ménage sous les seuils de pauvreté.
Pour comprendre la capacité réelle du smic à protéger de la pauvreté, il faut observer ce qu’il devient une fois transformé en revenu disponible grâce aux données de l’Insee et de la Dares, c’est-à-dire le revenu après impôts, aides et charges incompressibles.
Le graphique suivant juxtapose trois situations familiales : une personne seule, un parent isolé avec un enfant et un couple avec un enfant dont les deux adultes perçoivent le smic.
Figure 2 – Revenu disponible et seuils de pauvreté selon trois profils de ménages rémunérés au smic Sources : Dares, Insee, Rapport GES 2025 – Graphique de l’auteur.
Dans le premier panneau, on observe qu’une personne seule rémunérée au smic dispose d’un revenu disponible supérieur au seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian. La prime d’activité joue un rôle important, mais c’est surtout l’absence de charge familiale et de coûts fixes élevés qui explique ce résultat.
Ce profil correspond à la représentation classique du smic comme filet de sécurité individuel. Comme le confirment les données de l’Insee et les travaux de France Stratégie, la pauvreté laborieuse y est encore relativement limitée. Cependant, même seul, un actif au smic pourrait avoir des dépenses contraintes extrêmement élevées dans des zones à forte demande locative.
Le deuxième panneau raconte une histoire totalement différente. Le parent isolé, même à temps plein au smic se situe clairement en dessous du seuil de pauvreté, plus grave encore, son revenu disponible ne compense plus le salaire net via les transferts. C’est ici que la notion de pauvreté laborieuse prend tout son sens. Malgré un emploi et malgré les compléments de revenu, le ménage reste dans une situation de fragilité structurelle.
Selon l’Insee, les familles monoparentales sont aujourd’hui le groupe le plus exposé à la pauvreté et notamment à la privation matérielle et sociale, non parce qu’elles travaillent moins, mais parce qu’elles cumulent un revenu unique, des charges plus élevées et une moindre capacité d’ajustement.
Dans le troisième panneau, un couple avec un enfant et deux smic vit lui aussi en dessous de la ligne de pauvreté. Ce résultat laisse penser que la composition familiale, même accompagnée de deux smic crée une pauvreté structurelle sur les bas revenus ; aussi le graphique montre-t-il que la marge est finalement assez limitée. Une partie du gain salarial disparaît en raison de la baisse des aides et de l’entrée dans l’impôt, un phénomène bien documenté par l’IPP et par le rapport Bozio-Wasmer dans leurs travaux sur les « taux marginaux implicites ». Dans les zones de loyers élevés, un choc de dépense ou une hausse de charges peut faire basculer ces ménages vers une situation beaucoup plus précaire.
Une conclusion s’impose : le smic protège encore une partie des salariés contre la pauvreté, mais ce résultat est loin d’être uniforme. Il protège l’individu à plein temps et sans enfant, mais ne suffit plus à assurer un niveau de vie décent lorsque le salaire doit couvrir seul les charges d’un foyer, notamment dans les configurations monoparentales. Cette asymétrie est au cœur de la montée de la pauvreté laborieuse observée par l’Insee et documentée par l’Institut des politiques publiques.
Ces résultats rappellent que la pauvreté n’est plus seulement un phénomène d’exclusion du marché du travail. Elle touche des travailleurs insérés, qualifiés et en contrat stable, mais dont le salaire minimum, appliqué sur un volume horaire insuffisant ou absorbé par des dépenses contraintes, ne permet plus un niveau de vie supérieur aux seuils de pauvreté. Le smic se révèle alors davantage un plancher salarial individuel qu’un instrument de garantie sociale familiale.
À l’heure où la question du pouvoir d’achat occupe une place centrale et où la revalorisation du smic reste l’un des outils majeurs d’ajustement, ces conclusions invitent à réorienter le débat. Ce n’est pas seulement le niveau du smic qu’il faut interroger, mais sa capacité à constituer un revenu de référence pour des configurations familiales et territoriales très hétérogènes. Autrement dit, le smic joue encore sa fonction de stabilisateur individuel, mais il n’est plus suffisant seul pour protéger durablement certains ménages.
La question devient alors moins « De combien augmenter le smic ? » que « Comment garantir que le revenu disponible issu d’un emploi au smic permette effectivement d’éviter la pauvreté ? ».
Hugo Spring-Ragain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.